Def Eco_Juin 2016 - VF - ANAJ

Transcription

Def Eco_Juin 2016 - VF - ANAJ
Lettre n° 5 /// Juin 2016
« La D2IE est morte, vive le SISSE ! ». Certaines nouvelles peuvent quasiment passer inaperçues tant elles semblent loin de
nos préoccupations quotidiennes. Et pourtant, sur le papier, la création du SISSE marque une refonte de l’outil étatique
censé protéger et promouvoir nos intérêts économiques, industriels et scientifiques fondamentaux. Osons le mot, sans
partisanisme aucun : il ne s’agit ni plus ni moins que de la « souveraineté économique » de la France. En pratique, ce «
Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques », placé sous la tutelle de Bercy, signe la fin de
l’interministérialité d’une politique d’intelligence économique (IE) française qui peine à trouver une assise claire dans
l’administration. Le constat est clair : depuis le Rapport Martre de 1994 qui dessinait pour la première fois les contours
d’une IE à la française, l’État n’a toujours pas trouvé le bon niveau de pilotage de son outil de défense et de promotion de
son patrimoine économique.
L’urgence est là : nos entreprises sont confrontées à un même univers concurrentiel, dans une lutte qui prend tous les
atours d’une guerre aussi insondable qu’évidente. Dans ce second cru de l’année 2016, notre comité explore quelques-uns
des enjeux auxquels nos entreprises – quelles qu’elles soient – doivent faire face dans un environnement instable. Ainsi, «
l’affaire Alstom » interroge la capacité de notre État stratège à protéger ses fleurons industriels, dans un dossier qui va
jusqu’à intéresser notre dissuasion nucléaire, c’est-à-dire l’assurance-vie de la Nation. Un État stratège qui se doit
également de préserver notre tissu de PME de défense par des financements innovants pour relever le défi de l’export,
après une année record pour les ventes d’armes. Enfin, entre les grands groupes et les PME, les ETI, déjà peu nombreuses
en France, peuvent aussi peiner à trouver des relais de croissance pour s’affirmer à l’international.
Au bout du compte, dans ce paysage concurrentiel protéiforme, on peut distinguer une même exigence valable partout et
pour tous : l’innovation. Derrière ce terme galvaudé et fourre-tout, il existe de véritables opportunités de croissance, pour
peu que l’innovation ne soit pas un but en soi. Pour nos entreprises, il est question d’avantages compétitifs, de parts de
marché et donc d’emplois. Des motivations suffisantes pour que l’État se dote d’une véritable politique d’intelligence
économique, qui va au-delà de la création d’un nouvel acronyme barbare.
Le Def Eco est votre lettre. Elle vous permet de suivre l‘activité du Comité Défense économique de l’ANAJ-IHEDN. Vous y
retrouverez nos publications, l’actualité en lien avec nos thématiques, nos décryptages et nos rencontres d’experts. Un tableau
de bord publié régulièrement tout au long de l’année est aussi diffusé sur le site de l’ANAJ-IHEDN (www.anaj-ihedn.org), sur la
page du comité Défense économique. La rédaction vous souhaite une bonne lecture.
Charles Experton
Auditeur-jeune de l’IHEDN, 82ème session 2014
/// Membre du Comité Défense économique
P. 3 - Retour sur la réorganisation de l’IE en France : la création du SISSE
P. 7 - Le monde des ETI : Interview du Directeur Délégué du Pôle Entreprises & Territoires de l’ADIT
P. 9 - Des NTIC à l’agrinaute, quels enjeux pour l’agriculture française ?
P. 13 - Les politiques publiques de soutien aux PME de l’industrie de défense française
P. 16 - Décryptage sur… les dessous de l’affaire Alstom
P. 19 - Notre rencontre d’expert : Dominique Carlac’h, Présidente de l’association des conseils en innovation
P. 22 – Focus sur le monde du mécénat : rencontre avec Jean-Jacques Goron, Délégué général de la Fondation BNP Paribas
Retrouvez toutes les publications de l’ANAJ-IHEDN sur : http://www.anaj-ihedn.org/category/actualites/publications-revues/
Du 02 au 04 juin 2016 – Club IES, Sommet IES Chamonix : Sommet de l’Intelligence Économique et de la Sécurité – 2°
édition
(Chamonix) - www.sommet-ies.org
22 juin 2016 – Global Security Process : Forum sur la sûreté et la sécurité des entreprises – 6° édition
(Salons de l’Aveyron, 17 rue de l’Aubrac, Paris 12ème) - http://www.surete-securite.com/
25 juin 2016 – ANAJ-IHEDN : 20 ans de l’ANAJ-IHEDN
(École Militaire –1 place Joffre, Paris 7ème) - http://www.anaj-ihedn.org/20ans/
ANAJ-IHEDN, Comité de Défense Économique /// 1, place Joffre, Case 41, 75700 SP07 Paris – France
Pour recevoir gratuitement la newsletter Le Def Eco : [email protected] ///
Vous pouvez également nous faire part de vos commentaires ou réflexions à cette même adresse.
Rédacteur en chef : Charles Experton ///
Équipe de la rédaction : Jean-Baptiste Pitiot, Alexia Gaudron, Nathalie Thibault.
Contributeurs : Eloise Rousseau, Nicolas Bouchaud, Marc Cazabat, Joseph de Lavilleon, Sarah Pineau, Guillaume
Pourquier, Raphael Kenigsberg.
Directeur de la publication : Ingrid Lamri ///
Les propos tenus n’engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
RETOUR SUR LA RÉORGANISATION DE L’IE EN FRANCE :
LA CRÉATION DU SISSE///
LA CREATION DU SISSE, NOUVEAU CHAPITRE DANS L’HISTOIRE MOUVEMENTEE DE L’ÉTAT ET
DE L’INTELLIGENCE ECONOMIQUE
En près de vingt ans d’existence officielle, l’intelligence économique « à la française » a suivi un
cheminement institutionnel protéiforme. Depuis le Rapport Martre (1994), qui a jeté les bases
théoriques et opérationnelles de cette nouvelle catégorie d’action publique, l’administration
française a eu le plus grand mal à lui attribuer une place pérenne et légitime au sein de l’appareil
d’État. Collectionnant les affiliations ministérielles (Économie, Intérieur, interministériel), elle a de
plus pris des formes et appellations diverses au gré des tutelles successives. La transformation en
janvier 2016 de la Délégation Interministérielle à l’Intelligence Économique (D2IE) et du Service de
coordination à l’intelligence économique (SCIE) en Service de l’Information Stratégique et de la
Sécurité Économiques (SISSE), rattaché à Bercy, constitue le dernier avatar du parcours sinueux de
l’intelligence économique française. Placé à la tête de l’institution, Jean-Baptiste Carpentier aura
fort à faire pour trouver sa place dans le paysage institutionnel et transformer en actes un concept
encore flou.
1. Les deux écoles de pensée de l’intelligence économique
L’intelligence économique est un concept jeune qui n’a pas été suffisamment investi par la
communauté académique. Si sa définition et ses méthodologies/outils font globalement consensus,
on peut néanmoins reconnaître une opposition entre deux approches qui reposent chacune sur une
grille de lecture spécifique des rapports de force économiques internationaux.
L’approche par la « guerre économique »
Cette première façon de comprendre l’intelligence économique part du postulat que les échanges
commerciaux sont une guerre, dans laquelle chaque État tente d’accroître sa puissance vis-à-vis de
ses concurrents. Défendue par le syndicat français de l’intelligence économique (SYNFIE), cette
approche a été notamment théorisée par Christian Harbulot, directeur de l’École de Guerre
Économique et auteur du Manuel de l’Intelligence Économique1. Elle donne à l’État un rôle
fondamental dans la conduite de cette guerre, dans la mesure où la recherche de la compétitivité
des entreprises participe à l’objectif géostratégique de puissance nationale. L’État ne se limite donc
pas à un rôle d’accompagnement des entreprises ou de protection du patrimoine informationnel de
celles-ci (contre les cyber-attaques notamment), mais est amené à développer des stratégies
offensives d’intelligence économique en matière d’influence et de conquête de marchés.
L’émergence du concept – euphémique– de « diplomatie économique » est à cet égard
symptomatique du renforcement du rôle des États dans la conduite de la « guerre économique »,
dans laquelle la France et l’Union européenne sont souvent accusées d’angélisme voire de naïveté.
L’approche par la « coopétition »
Récusant le concept de « guerre économique », cette deuxième approche fait référence à des
rapports de force économiques tantôt conflictuels, tantôt coopératifs. Comme l’indique ce motvalise, les relations entre entreprises (et entre États) se caractérisent alternativement par la
coopération et la compétition. Cette grille de lecture accorde une importance moindre au rôle de
l’État dans les rapports de force, car elle déconnecte la question de la compétitivité des
entreprises de celle de la recherche de puissance nationale. En ce sens, l’État se concentre sur sa
fonction régalienne de protection des intérêts économiques et sur son rôle d’accompagnateur par
la promotion des outils de l’intelligence économique auprès des entreprises. Jean-Baptiste
Carpentier s’inscrit plutôt dans cette approche, et a même déclaré se reconnaître pleinement dans
la notion de « coopétition » lors du colloque organisé par le SYNFIE (Syndicat français de
l’Intelligence économique) le 16 mars 2016 sur le thème « Les nouvelles menaces pesant sur les
fleurons industriels français ». M. Carpentier a expliqué à cette occasion son rejet d’une vision
« guerrière » de l’économie, assumant une nette divergence de vue avec le syndicat des
professionnels de l’intelligence économique.
Cette divergence serait anecdotique si elle se cantonnait à un débat théorique sur les rapports de
force économiques et stratégiques. Mais les enjeux sont bien plus cruciaux : ils interrogent le rôle
de l’État en tant qu’acteur de l’économie, ainsi que le périmètre et les moyens d’action de l’entité
chargée de piloter la politique nationale d’intelligence économique. Le décret portant création du
Service de l’information stratégique et de la sécurité économiques1 se garde bien de trancher
explicitement entre les deux visions, mais semble privilégier des missions étatiques
d’accompagnement aux entreprises davantage que de pilote des politiques publiques
d’intelligence économique.
2. De la D2IE/SCIE au SISSE : contours et moyens d’action de l’organe de pilotage de
l’intelligence économique française
La création d’un « Commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques » (CISSE)
chargé de diriger le « Service de l'information stratégique et de la sécurité économiques » (SISSE)
témoigne, outre d’un changement de dénomination, d’une évolution dans l’appropriation par
l’État des enjeux posés par l’intelligence économique et ce, en adéquation avec ses moyens et son
organisation. Le premier enseignement de cette évolution institutionnelle est un constat de pure
forme : l’expression « intelligence économique » disparaît ainsi que sa vocation interministérielle.
Faut-il s’en inquiéter ?
La tutelle du ministère de l’Économie est une décision pertinente
La disparition du caractère interministériel de l’organe étatique acte le rattachement du SISSE,
service à compétence nationale (SCN), au ministère de l’Économie, de l’industrie et du numérique,
et plus précisément à la Direction générale des entreprises (DGE). Ce choix trouve sa pertinence
dans l’organisation même des services de l’État : les chargés de missions régionaux et autres
conseillers régionaux à l’IE (CRIE) sont en effet déjà présents au sein de la DGE et de ses services
déconcentrés, les DIRECCTE (Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la
consommation, du travail et de l’emploi). La création du SISSE témoigne également d’un
compromis statutaire intéressant, le SCN, qui engendre moins de frais de gestion qu’une agence
de l’État1 en octroyant un contrôle accru au ministère de l’Économie sur les activités du service.
Le décret prévoit également que « les modalités de l'unité de gestion des moyens et des personnels
du service avec ceux de la direction générale des entreprises sont fixées par une convention conclue
entre le commissaire à l'information stratégique et à la sécurité économiques et le directeur général
des entreprises » afin de faciliter la mise en œuvre et l’installation du service. Cette nouvelle
organisation permet d’une part d’éviter les « nœuds de résistance » relatifs au travail
interministériel rencontrés par la D2IE comme l’a souligné Claude Revel (ancienne patronne de
l’IE en France)1. D’autre part, elle recentre l’animation du réseau « intelligence économique » de
l’État au niveau le plus pertinent, c’est-à-dire celui de la DGE, qui a notamment en charge
l’animation des pôles de compétitivité.
À l’instar d’autres missions de l’État, l’échec de l’interministérialité peut être une nouvelle fois
souligné et doit ouvrir la réflexion sur des choix de gouvernance plus performants tels qu’un
ministère « chef de file », « de tutelle » ou « pilote », assorti du choix d’une direction opérationnelle.
Un recentrage du rôle de l’État sur des missions défensives et d’accompagnement
Le décret du 29 janvier 2016 prévoit que la mission du SISSE participe d’une « politique publique en
matière de protection et de promotion des intérêts économiques de la Nation » à laquelle sont associés
un certain nombre d’organismes (coordonnateur national du renseignement, comité pour les métaux
stratégiques, etc.), mais ne constitue plus en soi la politique publique de «[l’]intelligence
économique »1 qui était auparavant élaborée, proposée et évaluée par la D2IE. En effet, si la mission
du SISSE est entendue dans un objectif plus large associant l’ensemble des politiques publiques ayant
une influence directe sur les intérêts de la Nation, cette notion « d’intérêts économiques, industriels et
scientifiques de la Nation » demeure difficilement appréciable : le SISSE doit-il veiller aux intérêts
économiques et industriels de l’État actionnaire ? Des entreprises exportatrices ? De toutes les
entreprises françaises présentes sur le territoire national et à l’étranger ?
Avec ces termes, l’État traduit certaines missions pour lesquelles il s’estime légitime (et compétent)
et laisse aux « administrations et à l’ensemble des acteurs intervenant dans l'information stratégique et
la sécurité économique » – mentionnés dans le décret comme étant le « public visé » – le soin de
s’approprier les enjeux de l’IE qui les concernent. Ces missions sur lesquelles l’État semble désormais
se concentrer sont l’animation et le soutien aux acteurs en matière d’information stratégique et le
renforcement de la protection à la fois des entreprises et des intérêts nationaux face aux attaques,
notamment cybercriminelles (avec la référence à la « souveraineté numérique »).
En ce sens, le SISSE paraît privilégier un rôle de protection et d’accompagnement, dans une approche
défensive, au détriment d’une perspective offensive promue auparavant notamment par Claude
Revel à travers le concept d’influence1. Cette orientation poursuit également la vision de M.
Carpentier dont l’action ne s’inscrit pas dans le prisme de la guerre économique. L’évolution
sémantique est significative. L’intelligence économique repose en effet sur trois expertises
opérationnelles que sont la veille (recherche de l’information stratégique), la protection des données
(sécurité des informations économiques) et l’influence (agir sur l’environnement à son avantage). Si
la D2IE intégrait les trois, le sigle SISSE, pour sa part, n’en garde que les deux premiers.
Un élément notable est par ailleurs absent du décret : la mission de formation à l’intelligence
économique des chefs d’entreprise et cadres de la fonction publique. Présente dans le Rapport
Martre (1994), confirmée dans le Rapport Carayon (2003), cette dimension pédagogique était mise
en exergue par le décret de 2013 instituant la D2IE dans les termes suivants : « en liaison avec le
ministre chargé de l'enseignement supérieur et les autres ministres concernés, il contribue à
promouvoir les enseignements portant sur les questions d'intelligence économique »1. En 2016, cette
volonté – caractéristique de l’intention interministérielle initiale – n’apparaît plus. Au-delà des mots
et des intentions, le SISSE devra relever plusieurs défis majeurs face à un environnement
institutionnel et culturel peu propice afin d’obtenir des résultats.
3. Les trois défis du SISSE
Mission récemment dévolue à l’État, l’intelligence économique pâtit d’une méconnaissance de
l’administration française tout comme du monde économique dans son ensemble. Il lui appartient
d’apporter la preuve de son utilité, en affrontant les trois défis suivants.
Acquérir sa légitimité et sa place dans l’appareil d’État
Le moins que l’on puisse dire au sujet de l’intelligence économique, c’est qu’elle ne représente pas un
concept central dans l’administration française qui la connaît encore mal voire pas du tout. La
première tâche sera de convaincre de sa pertinence dans le contexte actuel, en montrant la spécificité
de son diagnostic et de ses solutions. Cette tâche ne va pas de soi car les différentes missions de
l’intelligence économique peuvent être considérées comme déjà remplies par des services spécialisés
qui existent de longue date. Il existe en effet une myriade d’acteurs qui chacun à son niveau met en
œuvre une expertise relative à l’intelligence économique. On peut citer entre autres les Chambres de
commerce et d’industrie, le réseau Business France, BPI France, France Stratégie, les services de
renseignement, certaines directions ministérielles spécialisées, l’Agence Nationale de Sécurité des
Systèmes d’Information, etc. L’objectif du SISSE sera de faire la preuve de sa plus-value, en jouant
son rôle de chef de file et grâce à des résultats concrets.
Jouer pleinement son rôle et développer une culture du résultat
Le CISSE devra impérativement prendre en compte le bilan de la D2IE, qui nous interroge sur
l’absence de publication de rapport d’activités sur le site internet dédié d’une part et sur l’absence
de communication de chiffres ou d’éléments précis de nature à justifier de la qualité du service
rendu aux entreprises (nombre de consultations du site internet par exemple) d’autre part.
Les documents publiés par la D2IE sur son site sont des guides de bonnes pratiques ou des
documents à visée pédagogique orientés vers les PME et TPE qui se bornent à centraliser et à
mutualiser un certain nombre de méthodes et conseils. Élaborés et diffusés par la Direction générale
de la Sécurité intérieure (DGSI), l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information
(ANSSI) ou encore le réseau de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises
(CGPME) ou CCI France, ils portent sur l’utilisation de supports amovibles sécurisés, la protection
d’un poste de travail ou encore la sécurisation d’un flux de marchandises, pour en donner quelques
exemples.
Le SISSE devrait pouvoir transformer l’essai en présentant des actions et en suscitant
des sollicitations et un accueil favorable de la part de l’ensemble des acteurs du tissu économique à
condition d’être pleinement en mesure de s’appuyer sur un réseau de partenaires efficaces (ANSSI,
CGPME, CCI etc.) ainsi que sur la mobilisation de tous les agents concernés dans l’administration
centrale et déconcentrée.
Le risque est grand de voir le SISSE se contenter de devenir un prescripteur de bonnes pratiques et
de processus standards, quand la situation économique exige une participation plus active.
Les limites du rôle et des moyens de l’État au cœur de l’intelligence économique
Le décret instituant le SISSE confirme que l’État trouve sa légitimité par l’accompagnement des
entreprises dans leur développement économique, notamment à l’international, et par la mise en
œuvre d’outils œuvrant à l’information stratégique et la sécurité économiques. Le troisième pilier de
l’intelligence économique, à savoir la stratégie d’influence – ou de contre-influence – (certes
minimisée mais encore présente dans le texte) risque quant à elle d’entrer en contradiction avec une
autre mission, également dévolue au ministère de l’Économie conjointement avec l’Autorité de la
concurrence, celle de rechercher et sanctionner les pratiques anticoncurrentielles.
Prise en étau entre la promotion de l’idée de « patriotisme économique » et l’environnement
juridique et réglementaire proscrivant les pratiques contraires à la libre concurrence, l’intelligence
économique est traversée par cette contradiction qui n’a pas encore été surmontée. Là encore, il ne
s’agit pas d’un débat théorique, mais bien de la possibilité effective de trouver des marges de
manœuvre pour traduire en actes des volontés politiques. A cette question s’ajoute celle du degré de
gouvernance ou d’intervention adéquat : faut-il défendre l’économie à l’échelon national ou
européen ?
Le succès du SISSE, mesuré à l’aune de ces trois défis, permettrait de donner une place durable et
légitime à l’intelligence économique au sein de l’administration française.
Le renforcement du rôle des Etats dans les échanges commerciaux internationaux constitue un
paradoxe de la mondialisation économique, pourtant ouvertement libérale. L’existence et la portée
des dispositifs d’intelligence économique au sein de l’administration étatique interrogent de ce
point de vue le rôle que l’Etat s’octroie : protecteur/accompagnateur des entreprises ou « navire
amiral » de l’économie française à l’étranger. Tant les contours du SISSE que la personnalité du
Commissaire Carpentier semblent indiquer la préférence du gouvernement français pour la
première option.
Ancien directeur de Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers
clandestins - également service à compétence nationale), dont la mission relève d’une des politiques
les plus résolument régaliennes de l’État (la traque des flux financiers illicites), M. Carpentier doit
désormais animer un dispositif d’action publique au contenu peu structuré, dépourvu d’assise
académique ou institutionnelle stable et dont les résultats sont très attendus par les professionnels
concernés. Au regard de l’ampleur de la tâche, il ne nous reste qu’à exprimer tous nos vœux de
réussite au nouveau commissaire !
Éloïse ROUSSEAU
Auditrice-jeune de l’IHEDN, 69ème session 2011
///Membre du Comité Défense économique
Nicolas BOUCHAUD
///Membre du Comité Défense économique
LE MONDE DES ETI ///
(Entreprises de Taille Intermédiaire)
INTERVIEW DE JONATHAN BENADIBAH, DIRECTEUR DELEGUE DU POLE ENTREPRISES &
TERRITOIRES A L’ADIT(AGENCE POUR LA DIFFUSION DE L’INFORMATION TECHNOLOGIQUE)
1. En quelques mots, pouvez-vous nous donner votre parcours ?
Lors de mon Master 1 de Sciences Politiques et Relations Internationales à l’Université Jean Moulin
Lyon III, j’ai eu la possibilité de rejoindre le Département de la Formation et des Concours au sein du
Ministère des Affaires étrangères et européennes, avec le statut de stagiaire puis de vacataire. On m’a
alors confié la rédaction d’un mémoire portant sur « L’analyse du risque pays dans le cadre des stages
d’études au sein du MAEE ». J’ai ensuite souhaité compléter ma formation par un cursus diplômant au
sein de l’EEIE (École européenne d’intelligence économique) de Versailles et du Master 2
professionnel de Sciences politiques et Relations internationales de l’Université Jean Moulin-Lyon III
(mention politique et stratégie d’action publique, et mention intelligence économique). Lors de ce
cursus, j’ai fait la connaissance du Lieutenant-Colonel Dominique Musseau qui va jouer un rôle de
mentor tout au long de ma carrière professionnelle.
Mon engagement dans les métiers de l’Intelligence Économique commence en 2009 lorsque je rejoins
le cabinet de conseil Eurocrise dirigé par le Général 2S Loup Francart. En 2010, l’ADIT me propose de
prendre la responsabilité de la Cellule de renseignement économique pour l’Ile-de-France. Puis en
2014, je vais occuper la fonction de Directeur du Développement au sein du Pôle Intelligence
Territoriale de l’ADIT où je suis en charge de l’appui aux PME et ETI. Depuis le début de l’année 2015,
j’occupe la fonction de Directeur délégué du Pôle Entreprises & Territoires au sein de l’ADIT.
Par ailleurs, j’enseigne depuis 2010 l’intelligence économique (cartographie d’acteurs, validation de
partenaires, recherches d’informations sur Internet) dans des établissements d’enseignement
supérieur (Universités, Écoles d’Ingénieurs, Écoles spécialisées en intelligence économique). Enfin,
pour pour faire le lien avec l’IHEDN, j’ai suivi en 2015 le 49ème cycle d’intelligence économique et
stratégique de l’Institut.
2. L’ADIT a-t-il toujours été une évidence ou bien un hasard ?
Rejoindre l’ADIT, leader européen en matière d’intelligence économique et stratégique, était plus
qu’un souhait, c’était une évidence pour moi car son approche à la fois éthique et déontologique
correspond parfaitement à ma vision de la pratique de l’intelligence économique et aux valeurs
auxquelles je suis très attaché.
3. Pouvez-vous nous décrire l’ADIT en quelques mots ?
L’ADIT a été créée en 1992 sous la forme d’un EPIC (Établissement public à caractère industriel et
commercial). Elle est aujourd’hui le leader européen en intelligence stratégique.
Pour schématiser, disons que les missions de l’ADIT couvrent trois grands domaines
d’intervention :
•
•
•
Le cœur « historique » de l’ADIT regroupe trois branches très complémentaires :
o Le Pôle « Intelligence stratégique et Diplomatie d’affaires » intervient majoritairement
auprès des acteurs du CAC 40 et des grandes multinationales ;
o Le Pôle « Entreprises & Territoires » apporte un appui aux PME, ETI et aux acteurs
institutionnels ;
o Le Pôle Management et Gestion des risques.
Entreprise & Diplomatie, une filiale à 100% de l’ADIT, œuvre dans le conseil stratégique et
diplomatique, la médiation opérationnelle et l’advocacy / influence.
Et enfin Salvéo, dont la vocation est l’accompagnement des PME, ETI et grands comptes dans
leur développement à l’international.
4. Quelle est l’influence de l’IE sur les cibles PME-ETI ?
Chaque cible a une attente spécifique en matière d’intelligence économique. Les questions posées
par les PME correspondent le plus souvent à des besoins ponctuels dans un cadre de temps limité
(identifier un nouveau fournisseur, identifier des partenaires potentiels dans le cadre d’une
démarche export, aider l’entreprise à diversifier son portefeuille client dès lors que sa
technologie/son produit est mature, réaliser une étude concurrentielle sur un nouvel entrant sur le
marché, répondre à des questions relatives à la veille règlementaire, …).
Certaines PME souhaitent un accompagnement personnalisé dans le cadre d’une démarche
d’internationalisation et/ou d’innovation (étude d’attractivité visant à identifier un marché à fort
potentiel à l’étranger, étude de viabilité concernant un projet et/ou une innovation technologique,
…). Les ETI, quant à elles, nous demandent en plus d’intervenir sur d’autres problématiques telles
que l’identification de cibles potentielles dans le cadre d’une opération de croissance externe, la
réalisation d’études d’honorabilité et de solvabilité sur un acteur, en passant par des cartographies
d’acteurs, des études de marché, la mise en place d’une veille technologique et concurrentielle, etc.
5. Dans la croissance externe des ETI, quels sont les éléments stratégiques ?
Nous pouvons intervenir à plusieurs niveaux dans le cadre d’une opération de croissance externe
en fonction des besoins exprimés par une ETI, par exemple :
•
•
•
L’entreprise souhaite conduire une opération de croissance externe mais n’a pas identifié une
cible précise, nous lui proposons après étude approfondie une short-list de cibles potentielles à
partir de critères qualitatifs et quantitatifs ;
Nous pourrons être amenés à vérifier si les solutions technologiques et le portefeuille clients de
la cible que l’ETI vise dans l’opération de croissance externe sont en adéquation avec sa
stratégie ;
Très souvent, nous sommes sollicités pour conduire une étude de solvabilité et d’honorabilité
de la cible visée et des personnes physiques gravitant autour de cette cible (actionnaires,
direction).
6. Est-ce plutôt les grandes ETI ou les petites qui exportent ?
L’export n’est pas l’apanage des ETI (quelle que soit leur taille). Certaines PME sont très performantes
dans ce domaine, l’export pouvant représenter pour certaines d’entre elles plus de 80% de leur chiffre
d’affaire.
La conquête d’un marché à l’international n’est jamais le fruit du hasard : elle résulte d’abord d’une
volonté du dirigeant de l’entreprise et/ou de ses actionnaires, elle nécessite la recherche d’une offre
produit en adéquation avec les attentes des clients sur le marché visé, elle oriente le recrutement de
personnels maitrisant les langues étrangères afin de pouvoir interagir avec des partenaires / clients /
fournisseurs à l’international.
7. Quels sont d’après vous les prochains défis pour les ETI ?
Une entreprise n’est pas propriétaire de ses clients. L’entreprise est en création continue, elle est
confrontée à des défis permanents :
•
•
•
•
Elle devra en permanence chercher à conforter sa présence à l’international en développant des
réseaux, des partenariats, voire en réalisant des opérations de croissance externe lui permettant
d’atteindre une taille critique sur le marché ;
Pour l’entreprise qui n’est pas encore présente sur certains marchés à l’international devra
identifier les acteurs, les décideurs et imaginer ce que peuvent être les barrières non tarifaires qui
qui pourront être mises en place par les autorités locales qui souhaitent protéger leur industrie
nationale ;
Dans tous les cas, une veille attentive devra être mise en place pour identifier l’émergence de
technologies de rupture qui peuvent bouleverser le paysage concurrentiel ;
L’entreprise devra aussi faire l’effort de comprendre que nous vivons dans un monde qui bouge de
plus en plus vite, un monde façonné par le numérique : il est devenu vital de construire une vraie
stratégie digitale permettant de maîtriser une communication et une identité numérique fortes sur
le web 2.0, sans oublier le big data qui offre de nouvelles opportunités mais qui est à l’origine de
menaces d’un nouveau genre.
Propos recueillis par :
Marc CAZABAT
Auditeur-jeune de l’IHEDN, 60ème session 2008
///Responsable du Comité Défense économique
Éloïse ROUSSEAU
Auditrice-jeune de l’IHEDN, 69ème session 2011
///Membre du Comité Défense économique
ARTICLES ///
DES NTIC A L'AGRINAUTE, QUELS ENJEUX POUR L'AGRICULTURE FRANCAISE?
98 % des agriculteurs utilisent internet pour leur activité professionnelle1. Par ailleurs, 68 % des
Français qualifient les agriculteurs de « modernes1 ».
Deux données parmi d'autres qui révèlent que l'agriculteur connecté ou « agrinaute » n'est pas un
mythe. Il est vrai qu'entre les drones, les GPS, les sondes géolocalisées, les imageries satellites ou plus
simplement les robots de traite... le digital en agriculture est partout.
Et cela ne date pas d'hier (I) ! Pour autant, les usages et les secteurs concernés sont loin d'être
homogènes (II), et le marché français encore timide quoique dynamique (III). À l’arrivée, des
opportunités certaines mais des menaces qui le sont tout autant (IV).
1. Une révolution qui n'en est pas vraiment une
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'usage des nouvelles technologies en agriculture est
déjà ancien. Dès 1985 apparaît aux États-Unis « l'agriculture de précision » : des chercheurs font les
premières modulations d'apports d'engrais à partir d'analyses de sols. Il s'agit de faire « la bonne
intervention au bon endroit et au bon moment ».
En Europe, cette agriculture de précision se développe d'abord en Grande-Bretagne et en
Allemagne avant d'arriver en France à la fin des années 1990. Beaucoup situent son acte de
naissance en 1997 lorsque cinq systèmes de cartographies de rendement sont présentés au Salon
international du machinisme agricole par les grands constructeurs de moissonneuses-batteuses. De
fait, c'est à partir de là que la technologie se diffuse dans notre pays, soit finalement peu de temps
après le lancement des premières études en 1993-1994 par l’Institut technique des céréales et des
fourrages (ITCF), et le Cemagref1.
Selon Renaissance numérique − think-tank producteur de réflexions sur l’évolution économique,
politique et sociale de la société à l’heure du numérique − les agriculteurs français seraient donc de
véritables « early-adopters » des technologies numériques1. Dès la fin des années 1980, le minitel
est prisé par la profession pour les consultations météo, les cotations des produits, les conseils
techniques et juridiques… En 1986, Christian Gentilleau, fondateur par la suite de NTIC Agri Conseil
crée Guillaume TEL, première « banque de données agricoles télématique en Normandie ». Elle
permet de consulter les prévisions météo localisées, les cours et marchés de la presse agricole et
d’échanger avec les autres exploitants, de consulter les données de leur élevage, de calculer des
rations, des fumures, etc.
En trente ans à peine, l'agriculture française a donc su prendre, comme ailleurs en Europe, le virage
des TIC et des NTIC sans trop de difficulté. TelePAC, lancé en 2008, en est une preuve
supplémentaire : aujourd'hui 9 agriculteurs sur 10 effectuent en ligne les demandes d’aides de la
Politique agricole commune (PAC)1.
2. Diversité des exploitations & profils « connectés »
Si l'apparition des TIC et des NTIC en agriculture n'est pas nouvelle, les us et les coutumes en la
matière varient fortement d'un secteur agricole à l'autre mais également d'un agriculteur à l'autre.
De manière générale, les exploitants céréaliers sont davantage équipés et connectés que leurs
collègues éleveurs, particulièrement les éleveurs laitiers. Géographiquement parlant, les
exploitations les plus connectées se trouvent donc dans le nord de la France et le sud-ouest, ce qui
correspond, plus ou moins, aux zones de grandes cultures.
Par ailleurs, l’Observatoire des Usages du Digital a défini quatre types d'internautes en fonction de
sept points − diversité́ des usages, intensité des usages, usage des ré seaux sociaux, digitalisation et
organisation de la vie personnelle, modes d’apprentissage, attitude vis-à -vis du digital et usages
professionnels. Cette typologie s'applique également aux 250 000 agrinautes (80 % à 85 % environ
des exploitants agricoles) quoique dans des proportions différentes1.
•
Premièrement, les « réfractaires » (35 % des agrinautes vs. 30 % du grand public). Ils sont
méfiants ou rejettent tout ce qui est numérisé et ne regardent pas leur mails tous les jours.
Cependant, ces réfractaires regroupent aussi la très grande majorité des non connectés, or parmi
eux se trouvent des « non connectés, non réfractaires » simplement à cause de la lenteur du débit
qu’ils subissent en raison de leur localisation en zone rurale.
•
Deuxièmement, les « distants » (40 % des agrinautes, comme dans le grand public). C'est le profil
dominant chez les agrinautes. N’ayant pas forcément de smartphone, ils ne téléchargent que très
peu d’applications et désactivent souvent les notifications : ils préfèrent se connecter eux-mêmes.
•
Troisièmement, les « fonctionnels » (18 % des agrinautes vs. 20 % du grand public). Environ 500
par département, ils peuvent être qualifiés d'utilisateurs informés et compétents : ils ne se
connectent aux services que si ces derniers apportent un plus, « s’ils sont pratiques ». Ils
fréquentent peu les réseaux sociaux mais utilisent pleinement leur calendrier numérique qu’ils
mettent à jour régulièrement aussi bien depuis la tablette que le smartphone ou le PC.
•
Quatrièmement, les « connectés » (7 % des agrinautes vs. 10 % du grand public). 2,5 fois moins
nombreux que les fonctionnels, les «connecté s » sont à peu prè s 200 par dé partement. Utilisateurs
intensifs avec une grande appé tence pour la nouveauté́ , ils sont connecté s quasiment en
permanence. Leurs usages internet sont très diversifiés et concernent aussi bien les réseaux
sociaux agricoles que grand public. Enfin, leur vie personnelle est presque entièrement digitalisée.
Cependant, gardons à l'esprit que tout ceci n'est que relatif : le taux d'équipement moyen des
agriculteurs en ordinateur fixe par exemple (72 %) est supérieur à celui du grand public (47 %). De
plus, ce n'est pas l'apanage de la jeunesse puisque, là encore, les agrinautes de moins de 35 ans ne
représentent que 15%1 du total contre 331% chez l'ensemble des internautes !
3. Des usages communs qui ouvrent la voie à la constitution d'un marché français encore
balbutiant mais prometteur
Concrètement, l'agriculture connectée ou de précision, à quoi ça sert ? Bruno Tisseyre, de Montpellier
SupAgro, la résume ainsi : « Un ensemble de méthodes basées sur l’information et visant à optimiser
les performances d’une exploitation agricole sur plusieurs plans : technique (maximiser les
performances agronomiques de l’exploitation), économique (optimiser le gain économique de
l’exploitation), environnemental (limiter les impacts des pratiques de l’exploitation)1 ».
Renaissance numérique1 précise ces usages :
•
•
•
Surveiller l'exploitation d'abord, via des drones, des capteurs et des vidéos. À noter que
l’utilisation des drones agricoles en France est favorisée par une législation plus souple que dans
d'autres pays puisqu'en 2012, deux arrêtés ont permis l’utilisation des drones dans le secteur civil.
Produire plus et plus propre ensuite : c'est le rôle des robots, de l'imprimante 3D et de la gestion à
distance. Rappelons qu'à l'origine l'agriculture de précision s'est développée pour cela. Grâce à ces
outils, les agriculteurs effectuent leurs actions quotidiennes de manière optimisée. Ce sont, par
exemple, les systèmes d’irrigation connectés qui permettent de dispenser une irrigation variable
en fonction des données du sol et des données météo. Ou dans le domaine de l'élevage, l'utilisation
à des fins vétérinaires : des applications mobiles évaluent la qualité du lait en détectant les
premiers signes d’une infection de la mamelle, ce qui permet, en identifiant les maladies en amont,
d’éviter les contaminations, et in fine de perdre une partie de la production.
Enfin, s'informer et décider : la majorité des agrinautes utilisent les NTIC pour consulter les sites
météo, envoyer des messages, lancer des recherches d’informations techniques sur du matériel,
échanger des données avec leurs fournisseurs, procéder à des achats…
C'est le rôle des réseaux sociaux et des forums agricoles consultés respectivement par 33 % et 50 %1
des agrinautes : Agrilink, pardessuslahaie.net, forums des sites d’Agriavis, Terre-net, Pleinchamp, etc.
Cependant, en dépit de ces déclinaisons diverses et relativement répandues, « le marché français de
l'agriculture de précision est encore embryonnaire »1 . En effet, si les ventes d'équipements
commencent à décoller, en particulier sur les segments les plus matures comme les robots de traite,
l'Hexagone ne représente qu'à peine plus de 1 % du marché mondial des nouvelles technologies
agricoles.
Or dans ce domaine, comme bien d’autres, le marché français est composé d'une myriade de start-up
et de PME faisant face à quelques leaders, ces derniers étant très présents dans le machinisme
agricole : Agco – entreprise américaine mais qui a ouvert en 2013 une usine en France, à Beauvais –
ou John Deere1 par exemple. Start-up et entreprises de taille modeste sont davantage présentes sur le
segment des robots et systèmes d'automatisation agricole : Vitirover, qui propose un robot de tonte
contrôlable électroniquement, Dusseau Distribution, spécialisé dans les robots d'alimentation pour
animaux et de nettoyage des bâtiments d'élevage, etc. Enfin, sur le segment de l'imagerie agricole, les
acteurs historiques, comme Airbus Defence & Space, doivent composer depuis peu avec une multitude
de nouveaux entrants, à l'image de Redbird ou Airinov1.
Les prochaines années vont donc s'avérer décisives. Certes les usages des NTIC sont promis à une
croissance exponentielle au vu des évolutions de la profession, ce qui laisse entrevoir un avenir
radieux. Mais reste à savoir si les PME françaises trouveront leur place dans la concurrence mondiale
d'une part, et d'autre part, si la France est en capacité de relever les défis stratégiques en la matière –
particulièrement ceux du big data – entraînés par de telles transformations.
4. Des enjeux stratégiques de taille
Bien que pleine d'opportunités, l'agriculture de précision n'a pas que des avantages. Les matériels
sont aujourd'hui pour la plupart conçus pour la gestion de grandes ou très grandes parcelles
agricoles, couvertes de grandes cultures génétiquement très homogènes. Or celles-ci favorisent les
invasions biologiques de parasites de plus en plus résistants aux fongicides, insecticides voire aux
désherbants totaux.
De même, les capteurs et outils de pilotage ont surtout été élaborés pour des engins (tracteurs,
épandeurs autotractés…) parfois très lourds qui endommagent les sols vulnérables, compensant alors
négativement une partie des avantages apportés par la « précision » des traitements agricoles.
En outre, si l'agriculture connectée est relativement accessible pour des usages simples – météo,
échanges avec les fournisseurs, logiciels dédiés à la comptabilité, au contrôle et la traçabilité
(télédéclaration PAC, normes environnementales) ou aux dispositifs de gestion de la production
(troupeaux, parcelles, cultures, suivi vinification…), les usages plus complexes, notamment tous ceux
relatifs à l’informatique embarquée (GPS, communication machine to machine, identification
électronique des animaux…), ne concernent encore qu'une minorité (14 %). Ces technologies plus
pointues, mais aussi plus coûteuses, sont l’apanage des 36-46 ans, les plus jeunes se consacrant à leur
installation1. Se pose également la question de la formation à ces NTIC : dans l’agriculture comme
dans d’autres secteurs, de nombreux professionnels s'y lancent tête baissée et sont rapidement déçus,
n'y trouvant pas ce qu'ils cherchent ni les bénéfices qu'ils peuvent en tirer. Ils renoncent alors
rapidement à ces plateformes, qui sont pourtant pleines de ressources1. Un effort est sans doute à
faire au niveau des lycées agricoles, qui, à l'heure actuelle, ne forment que peu ou pas les futurs
agriculteurs à l’impact du numérique sur leur métier. Au contraire des grandes écoles qui, elles, ont
bien compris ces enjeux, mais ne forment pas directement des agriculteurs et des employés
d’exploitations agricoles mais plutôt des ingénieurs ou des chercheurs dans le secteur agricole.
Enfin le big data semble être le défi majeur de cette agriculture connectée. D'abord d'un point de vue
économique : la production et le traitement de la donnée agricole ouvrent sans cesse de nouveaux
marchés estimés, à terme, à plusieurs dizaines de milliards de dollars1.
Sur le fond, ensuite. L'utilisation de ces données, parfois à l'insu des agriculteurs, par les fournisseurs
de ces technologies, notamment quand ils sont étrangers, inquiète à juste titre le milieu politique
français. Ainsi, lors d'une audition organisée en juillet 2015 (?) par l'Office parlementaire d'évaluation
des choix scientifiques et technologiques (Opecst)1, le député PS Jean-Yves Le Déaut n'a pas manqué
de faire remarquer que « l'agriculture de précision [était] pleine de promesses mais que la
souveraineté de la France pourrait être menacée si sa filière agricole devenait tributaire de services
conçus par de grandes sociétés étrangères ». Un point de vue partagé par Pierrick Givone, directeur
général délégué à la recherche de l' Institut de recherches en sciences et technologies pour
l'environnement et l'agriculture (Irstea) : « Il ne faut pas être naïf et veiller à ne pas abandonner ces
éléments de compétitivité à quelques majors américaines. Historiquement, les satellites Lansat ont
été lancés par les Américains pour être capables de prédire la production agricole de l'URSS et
d'anticiper l'attitude des Soviétiques dans certaines négociations, en fonction de leurs besoins
d'importation de blé ». Il est vrai qu'aujourd'hui le secteur du big data est dominé par des grandes
multinationales américaines.
Pour conclure, dans le domaine des TIC et des NTIC, l'agriculture française n'est pas néophyte, même
si les usages et les profils des agrinautes sont variés, diversité qui se retrouve de manière plus
générale dans l'ensemble de la société. Cette vitalité du secteur donne lieu à un marché français
dynamique mais encore dispersé et pesant peu sur le marché mondial.
Pourtant, les opportunités sont réelles et les entreprises françaises ne doivent pas hésiter à les saisir,
ne serait-ce que pour des enjeux de souveraineté. Un champ économique à considérer avec attention
donc, sans oublier pour autant les enjeux sociaux (formation) et environnementaux.
Sarah PINEAU
Auditrice-jeune de l’IHEDN, 91e session 2015
///Membre du Comité Défense économique
LES POLITIQUES PUBLIQUES DE SOUTIEN AUX PME DE L’INDUSTRIE DE DEFENSE FRANÇAISE
Avec un chiffre d’affaires annuel de plus de 25 milliards d’euros, l’industrie de la défense française est
dominée par cinq groupes géants de l’armement (Airbus, Dassault, DCNS, Thales et Safran) qui
représentent les trois-quarts de sa valeur et plus des quatre-cinquièmes du montant des exportations
en 20151. Si les PME1 de la défense en France sont relativement marginales en termes de part de
marché - entre 10 % et 15 % -, elles représentent néanmoins 60 % des entreprises qui travaillent
pour le ministère de la Défense et plus de la moitié des exportateurs directs de matériels militaires en
20131.
Dans ce contexte, le soutien aux PME de la défense est devenu une politique constante des
gouvernements successifs depuis 2009. Ces politiques publiques s’articulent autour d’un triple
objectif : l’aide à l’innovation pour maintenir l’avance technologique des systèmes d’armement
français, la création de passerelles entre PME et grandes entreprises et enfin, le soutien aux
applications duales civiles et militaires. Avant de revenir sur les principales mesures de cette
stratégie globale en faveur des PME , il faut examiner les récentes évolutions de l’industrie de la
défense afin de cerner les enjeux d’une meilleure intégration des PME dans la défense française.
1. L’industrie de défense française : entre baisse des commandes publiques et intensification
de la concurrence internationale
Moyen de garantir les intérêts vitaux et la souveraineté d’un État, la défense nationale est une
composante essentielle des fonctions politiques régaliennes. À ce titre, l’Etat reste encore et toujours
un acteur clé dans le marché de la défense en France, d’abord à travers ses entreprises publiques
(DCNS pour la Marine nationale, Nexter pour l’rmée de Terre), ensuite en tant qu’actionnaire (chez
Safran, Thales ou Airbus group par exemple) et enfin en tant que client puisque 70 % du chiffre
d’affaires de l’industrie de défense française provenaient en 2013 de financements publics1.
Si l’État demeure donc un vecteur de croissance et de développement indispensable à la base
industrielle et technologique et de défense (à noter les entreprises qui permettent aux armées de
conduire leurs opérations), la réduction de ses ambitions en matière de défense ainsi que les
privatisations opérées ces dernières décennies ont progressivement fait évoluer les stratégies de
développement de l’industrie française. La baisse des dotations militaires dans un contexte de
contrainte budgétaire a ainsi poussé les entreprises françaises à exporter et à diversifier leurs
activités vers le marché civil1.
Dans un double contexte de dégradation de l’environnement sécuritaire mondial et d’émergence de
puissances régionales, les exportations de systèmes d’armements français ont ainsi connu des
records successifs de ventes ces dernières années. En 2015, la France enregistrait 16 milliards
d’euros de commandes étrangères - principalement en raison des premières ventes du chasseur
Rafale en Égypte et au Qatar - dépassant pour la première fois le montant des commandes publiques
(11 milliards d’euros). Si ces exportations sont devenues nécessaires pour l’industrie, du fait de la
baisse des commandes étatiques, elles peuvent également être sources d’effets pernicieux à long
terme. Les exportations impliquent en effet des transferts technologiques d’autant plus importants
que les États signataires obtiennent généralement que leurs entreprises nationales soient associées
dans la production des systèmes d’armements. De nouveaux pays exportateurs concurrents ont
également émergé, comme la Turquie ou la Chine. Ces puissances sont dorénavant « capables de
répondre dans plusieurs secteurs aux appels d’offres internationaux, et ainsi de concurrencer les
grands fournisseurs occidentaux », entraînant une course à la sophistication des armes de plus en
plus coûteuse, comme le souligne le rapport du Parlement sur les exportations d’armements de la
France en 2015.
2. Les PME de la défense, source majeure d’innovations technologiques
Dans cet environnement toujours plus concurrentiel, maintenir un niveau suffisamment élevé
d’investissements dans la recherche et le développement en matière de défense est devenu une
priorité affichée des pouvoirs publics. L’innovation issue de l’investissement permet en effet de
garantir l’avance technologique de la France et par conséquent son autonomie stratégique. L’Etat
subventionne ainsi jusqu’à 2,6 fois plus (37 %) les dépenses de R&D des entreprises de la défense
par rapport à tout autre type d’entreprise. Les PME étaient jusqu’à récemment de faibles
récipiendaires de ces subventions publiques avec 1 % des budgets consacrés. Ce n’est que ces cinq
dernières années que les appels des chercheurs et responsables politiques pour une valorisation du
rôle des PME dans l’industrie de la défense se sont multipliés.
L’attention portée aux petites et moyennes entreprises s’explique par leurs caractéristiques propres.
Premiers acteurs par leur nombre, les PME possèdent des aspects complémentaires aux grands
groupes.1 Grande capacité créatrice, coûts structurels faibles, forte réactivité, les PME développent
des compétences pointues et indispensables à l’origine d’innovations technologiques essentielles
aussi bien dans le domaine militaire que civil. Leur contribution à la compétitivité de l’industrie de la
défense fut ainsi mise en avant dans le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale1 paru
en 2013 et dans une communication de la Commission européenne publiée la même année, intitulée
« Vers un secteur de la défense et de la sécurité plus compétitif et plus efficace ». Cette dernière
promeut une meilleure intégration des PME dans l’industrie de la défense, afin de renforcer la base
industrielle et technologique de défense européenne. La production d’outils à usage civilo-militaire et
la mise en réseau de PME avec des centres de recherches d’excellence sont également deux objectifs
recherchés communément par la France et les institutions européennes pour parvenir à ce résultat.
Alors que les PME éprouvent des difficultés à s’insérer dans les activités de production liées à la
défense, le gouvernement a donc initié une série de mesures, regroupées par la suite autour du
« Pacte Défense PME », lancé en 2012, pour faciliter l’accès des PME et entreprises de taille
intermédiaires (ETI) aux contrats de défense.
3. Les politiques proactives du ministère de la Défense en faveur des PME
Le ministère de la Défense, à travers son bras armé la Direction générale de l’armement (DGA), s’est
mobilisé pour soutenir la vitalité et la pérennité du tissu de PME performantes et innovantes.
Interlocutrice de premier rang entre PME et le ministère de la Défense, la DGA s’est donnée pour
mission d’intégrer davantage les PME et ETI dans la stratégie d’achat du « MinDef ». Pour pallier le
manque de visibilité entre ces acteurs, la DGA a détaché du personnel en région dans les Directions
régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi
(DIRECCTE), principales interfaces entre entreprises et État/collectivités locales. Événement
intournable de l’industrie et des acteurs de la défense, le Forum DGA Innovation, dont la 4e édition
s’est tenue en novembre 2015 à Palaiseau, se veut aussi bien être une caisse de résonnance de la
politique pro-innovation et PME de l’État qu’un facilitateur de contact. En effet, les quelque 850
participants représentent la plupart des acteurs du marché de la défense : PME, grands groupes,
représentants des maîtres d’œuvre et investisseurs, responsables de l’État et de laboratoires de
recherches.
Le soutien à l’innovation prend également la forme de deux dispositifs. Le régime d’appui à
l’innovation duale (RAPID) est un dispositif de subventions conçu en 2009 qui accorde dans un délai
de quatre mois un financement des projets de PME et d’ETI à fort potentiel technologique et à
application dans le domaine civil et militaire. Les crédits ont récemment augmenté de 25 % pour
passer de 40 M€ à 50M€ entre 2013 et 2015. Après cinq ans d’existence en 2015, le dispositif a reçu
614 demandes de subventions. 293 projets ont été retenus (exosquelette, radar de surveillance, aide
au déploiement en milieu hostile) et concernaient 279 PME1.
En complément s’ajoute l’accompagnement spécifique des travaux de recherches et d’innovation
défense (ASTRID). Mis en place en 2011 et également financé par la DGA, ce dispositif alloue une aide
maximale de 300 000€ aux projets portés par des organismes de recherches en partenariat avec des
entreprises et qui disposent d’une application civilo-militaire à caractère fortement exploratoire et
innovant. En moyenne, 38 projets sont ainsi financés chaque année et touchent des thématiques aussi
diverses que le laser, la robotique, les biotechnologies ou encore le big data. Le programme ASTRID
Maturation, lancé en 2013, permet aux bénéficiaires d’un projet ASTRID de recevoir un financement
additionnel. Le transfert technologique de laboratoires vers les PME est une des conditions d’octroi
de cette subvention.
Enfin, parmi les autres mesures du Pacte Défense PME, des efforts sensibles sont réalisés pour
incorporer davantage les PME dans le processus d’achat du ministère de la Défense. Ce dernier a
décidé d’attribuer en priorité les marchés de moins de 15 000€ aux TPE et PME, d’augmenter le
volume des commandes publiques effectuées auprès des PME innovantes et d’améliorer les relations
entre grands maîtres d’œuvre et PME par la signature de conventions avec le ministère de la Défense.
Ainsi, le gouvernement a pris conscience de l’urgence à donner une plus grande place aux PME de
l’industrie de la défense, après avoir longtemps privilégié une stratégie surtout favorable aux grands
groupes. Premiers employeurs de France, les PME sont également les plus vulnérables au
retournement de la conjoncture économique. Les dispositifs d’aide à l’investissement ainsi que la
multiplication de contrats entre PME et l’État sont donc une opportunité pour ces milliers de petites
structures qui peuvent maintenir voire consolider leur activités et leurs emplois. D’après le ministre
de la Défense Jean-Yves Le Drian, un an après le lancement du Plan Défense PME, la campagne de
sensibilisation aurait permis à
3 500 PME et ETI d’intégrer le marché de la défense. Si
l’investissement dans la recherche et le développement est le garant de l’autonomie stratégique, les
montants consacrés demeurent néanmoins encore insuffisants pour assurer cet objectif. Sur les 12
milliards d’euros – environ - de budget annuel alloués à la DGA, seuls 770 millions (6,5%) sont
reversés dans la R&D.
Guillaume Pourquier
///Membre du Comité Défense économique
DÉCRYPTAGE SUR… LES DESSOUS DE L’AFFAIRE ALSTOM ///
L’AFFAIRE ALSTOM, OU LA VISEE HEGEMONIQUE DES ÉTATS-UNIS SUR LE COMMERCE MONDIAL
Alstom, un acteur stratégique pour la France
Alstom, fleuron de l’industrie française, est spécialisé dans l’énergie et les transports. Le groupe
compte plusieurs métiers tels que la construction de centrales thermiques clef en mains,
l’hydroélectricité, les énergies renouvelables, les réseaux de transmission d’électricité (smartgrids) et
le ferroviaire. Alstom fait partie intégrante de la filière française du nucléaire, fournissant entre
autres les turbo-alternateurs, une compétence rare qui manque à la filière américaine1.
Le secteur des grands équipementiers de l’énergie est partagé entre quatre groupes : l’Américain
General Electric (GE), le Japonais Mitsubishi, l’Allemand Siemens et le Français Alstom. Alstom
constituait de ce fait une cible stratégique pour le gouvernement américain. Ainsi, GE a été le bras
armé des États-Unis dans leur volonté d’obtenir l’hégémonie sur le marché de l’énergie et de casser
l’indépendance française du nucléaire, redoutable concurrent à l’export. Pourquoi la France a-t-elle
cédé une entreprise, certes privée, mais dont les activités sont pourtant capitales pour son
indépendance militaire et énergétique ?
L’offensive judiciaire américaine
En 2013, le Department of Justice (DoJ) américain accuse Alstom de corruption en invoquant une
violation du foreign corrupt practicies Act1. Les faits remontent à 2003, lorsque Alstom a remporté un
petit contrat de 118M€ en Indonésie contre un concurrent américain.
Le DoJ demande à Alstom de plaider coupable et de produire tous les documents nécessaires, dont
des documents techniques et commerciaux sensibles, ce que le groupe refuse. La justice américaine
menace alors Alstom d’une interdiction d’activité aux États-Unis et dans la majeure partie du reste
du monde où le dollar est utilisé comme monnaie d’échange. Le DoJ engage également des
procédures pénales dirigées personnellement contre une centaine de cadres dirigeants d’Alstom
dans le but de les intimider. Leurs mails sont interceptés et remis au DoJ, illustrant parfaitement le
rôle de soutien des services de renseignement américains envers leur économie. L’un de ces cadres,
responsable mondial de la division chaudières, est même incarcéré durant un an et demi, alors qu’il
se rendait à New York pour un voyage d’affaires. Alstom finit par céder, accepte de plaider coupable
et se voit infliger une amende démesurée de 772 millions d’USD.
L’État tenu à l’écart des discussions
En février 2014, les patrons d’Alstom et GE, Patrick Kron et Jeffrey Immelt, dînent au Bristol à Paris
pour évoquer la possibilité d'un rapprochement entre les deux groupes. Jeffrey Immelt est intéressé
par les seules turbines à gaz, mais Patrick Kron, qui espère mettre fin aux poursuites judiciaires et
sanctions financières américaines qui le visent personnellement, propose de vendre la totalité de la
branche Énergie. Il ne prévient ni l’État, ni son propre comité exécutif, ni même son conseil
d’administration. L’action du DoJ contre Alstom et ses dirigeants joue donc un rôle déterminant car,
à cette époque, le groupe français n'est pas au plus mal, contrairement à ce que relaye alors la
presse. Un renforcement de la présence de l'État est même envisagé. L’argument majeur, avancé par
ceux qui ont intérêt à ce que la vente ait lieu, est le fait qu’Alstom n’aurait pas atteint une taille
critique1 en termes de parts de marché. Or, cela est faux car les branches Énergie de GE et d’Alstom
affichent des chiffres d’affaires proches, de l’ordre de 15Mds€.
Pour Bercy, ces négociations ne sont encore que des rumeurs et le ministre de l’Économie d’alors,
Arnaud Montebourg, demande à plusieurs reprises à Patrick Kron si celles-ci sont fondées. Celui-ci
lui répond toujours par la négative, jusqu’à ce que l'agence Bloomberg révèle le secret au mois
d’avril.
Arnaud Montebourg réplique un mois plus tard en publiant un décret élargissant le champ d'un
texte de 2005 qui autorise l'État à interdire une vente si elle porte atteinte aux intérêts stratégiques
de la Nation. Aux domaines d’application déjà existants tels que la défense, la cryptologie et la
recherche et développement, il rajoute l'énergie, les transports et la santé. Il sollicite ensuite une
offre concurrente de Siemens afin de créer un champion européen de l’énergie, à l’instar
d’Airbus. Mais les autorités antitrust de la Commission européenne mettent en garde Siemens, qui
risque d’être poursuivi pour abus de position dominante. Siemens s’allie finalement à Mitsubishi
pour proposer une offre financièrement plus intéressante que celle de GE et qui laisse de surcroit le
contrôle des activités stratégiques d’Alstom aux Français. Pourquoi l’État va-t-il alors retenir l’offre
de GE ?
Des négociateurs intéressés
Jeffrey Immelt fait partie des membres les plus influents de l'American Chamber of Commerce et est
le chef du conseil pour l'emploi et la compétitivité de Barack Obama. Il bénéficie donc de l’appui du
gouvernement américain. Il décide de nommer la patronne de GE France, Clara Gaymard,
représentante auprès de l’État français. Un choix judicieux sachant qu’elle était auparavant déléguée
aux investissements internationaux au sein du gouvernement. GE choisit aussi le Crédit Suisse First
Boston comme banque d'affaires : le patron de sa filiale française, François Roussely, est l’ancien
PDG d'EDF et un proche de Jean-Yves le Drian et de François Hollande.
De son côté, David Azéma, patron de l'Agence des participations de l’État, qui est sous l’autorité de
Bercy, est nommé négociateur en chef par l'État. Il est alors surprenant d'apprendre qu’une fois la
vente actée, il occupera un poste de direction au sein du bureau londonien de Bank of America
Merrill Lynch, qui n'est autre que la banque conseil choisie par Patrick Kron. Ce dernier demande au
cabinet d'avocats américain Hogan Lovells de se charger des négociations concernant les procédures
judiciaires. Là encore, ce choix n’est pas dû au hasard car Steve Immelt, le frère de Jeffrey, en devient
le patron une fois le deal conclu. En outre, Patrick Kron écarte Nicolas Tissot, le directeur financier
du groupe, et le remplacer par son adjoint Jean-Jacques Morin, plus favorable à un rapprochement
avec GE.
Enfin, l’augmentation de 300k€ des jetons de présence de chacun des membres du
conseil d'administration d’Alstom finira par les convaincre de voter en faveur de la cession1. À la
signature de l’accord, le même conseil d'administration octroie 4M€ de bonus sous forme d'actions à
Patrick Kron.
Un accord totalement déséquilibré
En juin 2014, un accord est trouvé pour le rachat par GE des activités turbines à gaz, turbines à
vapeur hors nucléaire et hors France et du renouvelable pour 12,35Mds€. Le deal prévoit alors la
création de trois co-entreprises 50/50 : Alstom Grid pour les activités de réseau électrique, Alstom
Énergies Renouvelables pour l’éolien offshore et l’hydroélectricité et enfin – la plus sensible – GEAST
pour les turbines à vapeur et le nucléaire en France. En contrepartie, GE cède ses activités de
signalisation à Alstom Transports qui devient ainsi un acteur important dans le domaine du
ferroviaire. L’État devient le premier actionnaire d’Alstom en rachetant une partie des parts de
Bouygues et détient une Golden share (droit de veto) dans la co-entreprise stratégique GEAST. De
plus, GE reprend à sa charge le contentieux judiciaire d’Alstom et s’engage à payer l’amende de
$772M réclamée par le Département de la Justice américain.
En réalité, cet accord présenté comme équilibré ne l’est pas. En effet, l'activité des turbines à gaz, qui
représente 40 000 salariés sur les 65 000 que le groupe emploie et 9Mds€ de chiffre d'affaires sur 14,
est largement sous-évaluée par les analystes. De plus, GE récupère les contrats de maintenance,
activité la plus rentable, détient le pouvoir décisionnel stratégique, opérationnel et financier et
s'octroie des management fees1. Les Français conservent uniquement la direction technique.
Bruxelles, craignant à nouveau un abus de position dominante sur le marché des turbines à gaz de
haute puissance, incite GE à céder certains actifs d’Alstom à l’italien Ansaldo Energia. La Commission
européenne donne finalement son feu vert et un nouvel accord est signé en septembre 2015 par
Emmanuel Macron, le nouveau ministre de l’Économie. Entre temps, le choix des acteurs des
négociations a porté ses fruits et le nouvel accord est encore plus défavorable pour la France que le
premier. GE obtient une action supplémentaire (50/50 +1) ainsi qu’une voix prépondérante au
conseil d’administration dans Alstom Grid et Alstom Énergies Renouvelables.
En outre, le conglomérat américain n’a plus 50%, mais 80% du capital dans la co-entreprise nucléaire
GEAST. Il récupère ainsi les très lucratifs contrats de maintenance des turbines à vapeur en service
dans le parc nucléaire français à la veille du grand carénage1. Encore plus inquiétant, GE dispose
d'options de rachat des parts d'Alstom dans les trois co-entreprises. Les poursuites judiciaires sont
maintenues et c’est finalement Alstom qui doit payer l'amende alors que GE récupère 1,9Mds€ de
trésorerie.
Pour finir, le montant du rachat s’élève à 8,5Mds€ à la fin 2015, contre 12,35 Mds€ en 2014 par l’effet
combiné de la chute de l’euro face au dollar et d’un rabais de 300 M€ accordé par Alstom. Une
bouchée de pain pour GE, champion de l'évasion fiscale qui a accumulé 108 milliards d’USD dans des
paradis fiscaux1. En effet, GE ne paie quasiment pas d'impôts dans les pays où il est implanté, sauf aux
États-Unis où il n'a payé que $1,4Mds d'impôt fédéral.
Le secteur électronucléaire français durablement affaibli
En France, le secteur nucléaire soutient au total 410 000 emplois1 en prenant en compte les emplois
indirects ainsi que les emplois induits par le pouvoir d'achat des employés. L'industrie nucléaire
contribue positivement à la balance commerciale1 et entraîne dans son sillage un tissu dense et
diversifié de milliers de fournisseurs, de sous-traitants et de PME dynamiques et exportatrices.
Lorsqu'une grande entreprise délocalise ou que ses centres de décision passent sous pavillon
étranger, c'est ce réseau d’entreprises locales qu'elle faisait vivre qui disparaît. GE n'a pris aucun
engagement à ce sujet.
Enfin, la France perd la maîtrise de la turbine Arabelle, considérée comme la meilleure au monde et
dont la recherche et le développement ont été financés par des crédits publics. Or il s’agit d’une pièce
maîtresse des centrales nucléaires de dernière génération. La France n’est donc plus en mesure de
proposer une offre intégrée 100% française à l’export, entraînant la perte potentielle de « mégacontrats ».
En effet, en cas de concurrence avec d’autres industriels américains comme c’est le cas en Inde, il est
peu probable que GE fournisse des groupes turbo-alternateurs aux industriels français. Il en va de
même en cas de désaccord sur la politique étrangère comme ce fut le cas en 2003 au sujet de l’Irak.
L’industrie électronucléaire française va donc être durablement affaiblie, ce qui implique des pertes
d’emplois considérables sur le long terme.
Une perte de souveraineté
La France, dont près de 80% de l’électricité produite provient du nucléaire, dépendra de la politique
de prix de GE pour la maintenance de son parc de centrales. Mais l’indépendance énergique n’est
pas la seule mise en péril car GE devient le fournisseur exclusif de turbines pour la flotte de guerre
française après avoir racheté successivement les deux fabricants français, Thermodyn et Alstom. Les
États-Unis pourront donc avoir un droit de regard sur l’utilisation de la flotte par la Marine
nationale, puisque celle-ci sera équipée de turbines américaines, y compris les sous-marins
nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), qui sont une composante de la dissuasion nucléaire. De plus,
cela illustre la stratégie américaine qui consiste à freiner les ambitions de la France dans le domaine
de la vente d’armes. En effet, les exportations navales militaires françaises seront dorénavant
soumises au programme ITAR (International traffic in Arms Regulation) qui permet de bloquer la
vente d'un matériel militaire dès qu'il incorpore une partie fabriquée par une société américaine.
Enfin, GE met la main sur Alstom Satellite Tracking Systems, société spécialisée dans les systèmes
de repérage par satellite, qui a entre autres pour clients le renseignement militaire français (DRM)
et la société Thalès, spécialisée dans l’aérospatiale et la défense. Malgré les mises en garde des
services de renseignement français, cette société ultra-sensible passe sous pavillon étranger,
rendant la conduite de la politique extérieure de la France davantage dépendante de celle des ÉtatsUnis.
Un pas de plus vers la désindustrialisation
Impossible de ne pas faire de parallèle avec l’affaire Alcatel dont le patron, Serge Tchuruk, accusé de
corruption par la justice américaine, avait accepté une fusion inégale avec l’américain Lucent,
permettant ainsi aux États-Unis de mettre la main sur un autre secteur stratégique français : les
télécommunications. L’incapacité des dirigeants des grands groupes français et de nos élites
politiques à protéger les entreprises stratégiques des offensives économiques déloyales de pays
prétendus alliés n’est pas due uniquement à leur naïveté et leur incompétence. Leur responsabilité
est aussi morale car ces entreprises qu’ils bradent afin de satisfaire leurs intérêts personnels font
partie du patrimoine économique national.
Après la perte de Pechiney, Alcatel, Arcelor et Lafarge, celle d’Alstom révèle l’absence de stratégie
industrielle de l’État depuis plusieurs décennies alors que ce secteur reste le premier pourvoyeur
d’emplois en France.
Il est donc impératif et urgent que la France protège davantage ses secteurs stratégiques comme le
font les États-Unis ou le Royaume-Uni, avec leur arsenal d’instruments législatifs. Pour ce faire, les
entreprises françaises cotées en Bourse doivent s’affranchir des dérives de l'ultra-libéralisme et de
la financiarisation de l'économie réelle qui privilégient les profits à court-terme. L’adoption d’un
actionnariat de long terme plus responsable (privilégiant par exemple les fonds de pension1) ainsi
qu'un financement par des banques locales permettraient de faire coïncider les décisions
stratégiques avec l'intérêt national.
M.C.
///Membre du Comité Défense économique
NOTRE RENCONTRE D’EXPERT ///
ENTRETIEN AVEC DOMINIQUE CARLAC’H, PRESIDENTE DE D&CONSULTANTS,
SOCIETE DE CONSEIL EN STRATEGIE ET FINANCEMENT DE L’INNOVATION /
PRESIDENTE DE L’ASSOCIATION DES CONSEILS EN INNOVATION
1. Pourriez-vous nous résumer votre parcours et ce qui vous a amenée à créer puis diriger
votre entreprise ?
Je suis passée par quelques étapes clefs qui m’ont donné des leçons précieuses : le sport de haut
niveau, la polyvalence de mes études et ma première expérience en entreprise.
Mon passage en Equipe de France d’athlétisme m’a appris la préparation et la programmation de la
performance, décisifs dans l’entreprenariat. J’ai également développé dans mes études à Sciences-Po
ma curiosité et mon adaptabilité, qui m’ont amenée à l’innovation.
Puis ma première expérience dans une entreprise m’a appris le triptyque sur lequel doit reposer toute
entreprise : expertise technique, force de développement commercial et volonté d’impact sur son
environnement. L’innovation ne doit pas être son propre but, mais viser un impact économique, social
et sociétal durable. J’ai donc débuté l’aventure de l’entreprenariat avec D&C, créée il y a 25ans, avec
cette volonté que le conseil en innovation ait de multiples impacts, au-delà de la seule avancée
technique.
2. Pourquoi une entreprise fait-elle appel à D&Consultants aujourd’hui ?
Les entreprises sont régulièrement en quête de relais de croissance, pour renforcer leur compétitivité.
Nous les emmenons sur de nouveaux gisements de création de valeur en déminant le terrain et en leur
clarifiant les enjeux et possibilités, mais aussi leur capacité à les exploiter.
Nous agissons tout d’abord sur la stratégie. En partant de l’entreprise, nous identifions des gisements
de valeur non exploités. Par exemple des technologies ouvrant de nouvelles opportunités et qui, par un
transfert, et qui, par un transfert, pourront satisfaire les besoins des clients pour des clients. Ou encore
avec un produit innovant développé par un industriel désireux de savoir comment en tirer le plus
grand potentiel, sur des segments ou des régions spécifiques.
Un deuxième volet de nos services consiste à « dérisquer » les projets d’innovation de nos clients visà-vis de leur activité principale. L’innovation induit une immobilisation de capital importante, avec des
cycles souvent longs. Nous faisons en sorte que nos clients puissent investir suffisamment et
raisonnablement à la fois, tout en gardant l’ambition d’innover sans déstabiliser leur entreprise. Nous
retirons le risque par des financements extérieurs adaptés, publics ou privés, parfois combinés.
Notre métier porte aussi sur le rythme à donner à ces projets, pour qu’ils soient menés à bien. Nous
pilotons les projets d’innovation de nos clients de manière à gérer les ressources au mieux et au bon
moment, évitant ainsi les ralentissements.
Le troisième volet se traduit par l’importance que nous donnons à l’impact de l’innovation. Il est au
cœur de notre dialogue avec la puissance publique. Les politiques publiques se nourrissent des
technologies et marchés futurs et ont besoin d’indicateurs pour piloter la compétitivité des territoires.
Nous avons un parfait poste d’observation de ces indicateurs qui pourront être déclinés en
accompagnements des acteurs économiques portant la compétitivité de ces territoires.
3. On lit justement sur votre site Internet que vous vous placez « au cœur de l’innovation »,
est-ce une manière de résumer cela ?
En effet, nous avons une bonne vision de ce que les industriels souhaitent faire, font et peuvent
faire, et le faisons remonter à la puissance publique. Et dans l’autre sens, nous accompagnons les
industriels sur des appels à projets. Par ailleurs, nous formons un trait d’union entre les
entreprises et le monde académique par l’orientation de la R&D et la valorisation de la recherche.
4. De quels moyens disposez-vous pour répondre à ces problématiques exprimées par vos
partenaires ?
Nous appuyons notre travail avant tout sur des méthodologies élaborées et améliorées depuis 25
ans dans notre entreprise. Nos clients détiennent les inconnues de leur marché, et nous, les
méthodes pour résoudre ces équations à plusieurs inconnues. Mais nous amenons aussi à leurs
projets le savoir-faire du chef d’orchestre, pour faire intervenir au bon moment des compétences
et structures différentes.
La méthodologie a toute son importante. Notre métier ne peut pas se reposer seulement sur le
réseau et le carnet d’adresses, ou l’expertise technico-scientifique, utiles et nécessaires, mais
insuffisants pour bâtir des stratégies robustes et durables.
C’est un métier intellectuellement exigeant, qui nécessite de compenser le côté généraliste par
une capacité de profondeur et de largeur d’analyse. Nous recrutons donc des touche-à-tout avec
la volonté d’élargir le périmètre de nos clients et ne pas s’arrêter au champ visible, et minimum à
Bac+5.
5. Pensez-vous que votre profession soit connue et reconnue ?
Avec le travail de L’Association des conseils en innovation, nous sommes de plus en plus connus
et reconnus. Derrière le mot « consultant » en innovation, sont de plus en plus mises en exergue
des entreprises avec savoir-faire et méthode, qui accompagnent la mutation des entreprises et
des territoires, et non plus des indépendants trop spécialisés.
Surtout, on reconnaît de plus en plus notre création de valeur. La moyenne d’âge des entreprises
de l’ACI est de 20 ans et, si l’on ne créait pas de valeur, on ne survivrait pas. Enfin, l’ancrage
territorial que nous avons est apprécié par les entreprises qui font appel à notre profession, avec
beaucoup de fidélité lorsqu’elles ont pu apprécier l’impact de nos missions sur leur croissance et
leur compétitivité.
6. Avez-vous un exemple dans l’histoire de votre entreprise qui illustre les différents
points que nous avons abordés ?
Nous avons de très nombreux clients fidèles. Je peux citer l’entreprise Bürkert, une ETI allemande
dont la principale implantation est en France. Nous travaillons avec cette filiale française depuis
près de 10 ans et l’avons accompagnée sur ses différentes problématiques d’innovation depuis.
Nous l’avons aidé à financer un premier projet, et avons réalisé par la suite sa feuille de route
technologique sur les technologies clefs émergentes dans les métiers qu’elle recouvre. Cela s’est
traduit par l’évaluation de marchés sur une douzaine de secteurs et plusieurs technologies
d’importance stratégique pour cette filiale. Nous l’avons à nouveau aidé à financer un projet
récemment, bouclant ainsi la boucle du cycle de l’innovation. La filiale a ainsi pu innover
sereinement, sans brider sa prise de risque, et tout en rencontrant de beaux succès.
Propos recueillis par :
Joseph de Lavilleon
Auditeur-jeune de l’IHEDN, 80ème session 2013
///Membre du Comité Défense économique
///21
FOCUS SUR LE MONDE DU MÉCÉNAT ///
RENCONTRE AVEC JEAN-JACQUES GORON, DELEGUE GENERAL DE LA FONDATION BNP PARIBAS,
DANS LE CADRE DE NOTRE CYCLE D’ETUDES SUR LE MECENAT
1. Pouvez-vous nous rappeler en quelques mots votre parcours avant d’arriver à la tête de la
Fondation BNP Paribas ?
Fils de lieutenant-colonel de l’armée de l’Air, mon enfance a été bercée par l’idée de servir l’intérêt
général. Diplômé en Lettres modernes, j’ai consacré une partie de ma vie au journalisme et à la
production radio. Chez Arc-en-Ciel tout d’abord, radio associative d’arts et de spectacles, puis chez
Radio Nova, véritable pépinière de talents qui m’a permis d’approcher l’écriture radiophonique, pour
enfin produire des émissions pour les Nuits magnétiques sur France Culture.
Diplômé en communication du CELSA, j’ai passé trois ans dans une agence de communication
institutionnelle, avant d’entrer chez Paribas en 1991, à la Direction des ressources humaines, où j’étais
en charge de la communication et des études sociales. Je suis ensuite passé par la Direction de la
communication, avant de rejoindre la Fondation, en 1995.
Je peux dire que le fait d’avoir côtoyé le monde de l’art et de la culture en tant que journaliste et
communicant m’a servi dans mes missions à la Fondation BNP Paribas.
2. Comment est organisé le Mécénat chez BNP Paribas ?
La Fondation Paribas a été créé en 1984. C’est après la fusion avec BNP en 2000 qu’elle devient la
Fondation BNP Paribas. Aujourd’hui, le président de la fondation est Michel Pébereau1, figure
emblématique de la banque, qui est à l’origine de la fusion entre BNP et Paribas.
Le budget du mécénat pour le groupe est de près de 40M€ (réseau et partenaires internationaux),
dont 65% pour la solidarité (égalité des chances, initiatives locales, éducation, microfinance), 27%
pour l’action culturelle (arts de la scène, patrimoine et prix) et 8% pour la recherche
(environnementale et médicale). De ce budget, 7M€ sont gérés par la Fondation BNP Paribas (0,5M€
en régie directe à l’étranger et 6,5M€ en national).
Le fait que le groupe BNP Paribas soit international entraîne des règles de mécénat différentes selon
les pays, de par les spécificités fiscales et juridiques locales. Par exemple, au Brésil, le mécénat est
fonction des résultats des entreprises, alors qu’en France, la loi Aillagon du 1er aout 2003 permet de
développer le mécénat par incitations fiscales et simplification de la reconnaissance d’utilité publique.
Il existe 13 fondations dans le groupe, dont deux de création récente : en Allemagne depuis 2015 et au
Royaume-Uni en 2016. Il existe aussi des fonds de dotation chez BNP Paribas, dont celui de BNP
Paribas Banque de Bretagne (culture et solidarité) ou encore le fonds Urgence et développement
(campagne contre les catastrophes naturelles – solidarité).
La Fondation BNP Paribas est, par ailleurs, sous l’égide de la Fondation de France, ce qui la différencie,
sur le plan juridique, d’une fondation d’entreprise. A ce titre, un représentant de cette dernière fait
partie du comité exécutif de la Fondation BNP Paribas, apportant expertise et conseils.
3. Quelles sont les missions du mécénat chez BNP Paribas ?
La principale mission de la Fondation BNP Paribas est avant tout d’animer et de coordonner les
actions de la communauté mécénat de BNP Paribas (régie directe).
Les champs d’intervention du mécénat sont au nombre de trois : culture, solidarité/éducation,
environnement. Historiquement, chez BNP Paribas, nous retrouvons la culture (musées et danse), la
solidarité (éducation) et la recherche.
///22
Nous en avons des exemples récents, comme avec la restauration d’œuvres d’art du Musée des
Beaux-Arts de la Rochelle, qui a été soutenue en complément par le conseil municipal, ou encore
l’aide à la lutte contre le changement climatique depuis 2010 (appel à projet à travers toute
l’Europe).
Ces missions sont à différencier du sponsoring BNP Paribas (défini dans les frais généraux) que l’on
retrouve dans les domaines du tennis1 et du cinéma1.
4. Quels sont les moyens mis en œuvre pour évaluer l’impact du mécénat ?
Depuis 2010, il existe un baromètre permettant de connaître les dépenses consolidées du groupe
BNP Paribas en matière de mécénat. Présenté sous forme de rapports, ce véritable outil de pilotage
est une application WeDoData, et fournit des documents de référence qui sont transmis au
commissaire aux comptes.
Une agence de notation extra-financière, SAM Robeco, permet aussi d’établir la responsabilité
économique (bon produit), la responsabilité sociale (recrutement), la responsabilité civique
(mécénat), la responsabilité environnementale (transition énergétique) de BNP Paribas.
Enfin la fondation s’attache à mesurer régulièrement l’impact de son mécénat : retours presse,
résultats concrets des actions à partir d’enquêtes, nombre de personnes touchées etc.
5. Conclusion
Pour travailler dans le mécénat, l’idéal est une formation en communication, marketing, sciences
politiques, journalisme, ou encore des stages en RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) ou
dans des fondations.
50 projets sont soutenus chaque année par le Mécénat du groupe BNP Paribas. Dream Up est un
nouveau programme d’éducation par la pratique artistique (musique, danse, arts visuels) à un niveau
international (dans 26 pays). 20k€ sont alloués par pays sur une durée de trois ans pour des enfants
peu privilégiés.
La Fondation BNP Paribas confère à la banque une image méliorative, qui lui permet de rayonner en
France et dans le monde. Si elle disparaissait, on pourrait craindre un risque d’image pour la marque.
Propos recueillis par :
Marc Cazabat
Auditeur-jeune de l’IHEDN, 60ème session 2008
///Responsable du Comité Défense économique
Raphael Kenigsberg
Auditeur-jeune de l’IHEDN, Grandes Ecoles 2013
///Membre du Comité Défense économique
///23