Dix ans de décentralisation au Bénin

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Dix ans de décentralisation au Bénin
DIX ANS DE DECENTRALISATION AU BENIN : QUELS
BILAN ET PERSPECTIVES ?
Introduction
« A l’heure où tout craquait, un petit peuple du Tiers Monde a laissé la
raison et l’intelligence du cœur prendre le pas sur l’instinct et les intérêts
égoïstes afin de tout sauver à nouveau.
Je t’exalte Seigneur, car tu m’as repêché, tu n’as pas réjoui mes ennemis à
mes dépens
Seigneur mon Dieu, j’ai crié vers toi et tu m’as guéri
Seigneur, tu m’as fait remonter des enfers, tu m’as fait revivre quand je
tombais dans la fosse ».
Monseigneur Isidore de Souza préfaçant les actes de la
Conférence Nationale.
Le Professeur Albert TEVOEDJRE, fait aussi le constat suivant dans le
rapport général de la Conférence Nationale :
« Tournant en effet le dos à notre histoire et à notre géographie, à nos arts, à
notre habileté, nous avons refusé notre croissance à partir de notre être et
de nos ressources. Préférant l’immédiat de quelques-uns au « moyen terme »
de tous nous avons choisi d’élargir épisodiquement le petit cercle des
privilégiés et continuons d’étouffer les énergies du plus grand nombre.
L’argent, devenu notre maître nous dicte toutes nos extravagances, toutes
nos faiblesses, tous nos abus. A cause de l’argent qu’il nous faut à tout prix,
nous nous mettons en danger de n’avoir plus de culture authentique, plus
de liberté, plus de respect pour nous, plus de famille. … nous nous sommes
donc retrouvés assassins de nos propres valeurs »
Une lueur s’est allumée dans notre nuit de honte et nous a conduits à la
Conférence Nationale et à la Décentralisation avec l’homme au centre du
développement, l’homme au cœur de la croissance économique et du partage
des biens.
Après plus de dix (10) ans de préparation, la décentralisation est devenue
effective en 2003 avec l’installation des premiers conseils communaux. Quel
est le chemin parcouru depuis 2003 par rapport aux constats des états
généraux et par rapport aux objectifs de la décentralisation ?
I. Vision, objectifs de la décentralisation
1.1- Vision
Le Bénin est organisé en espaces autonomes, appelés communes, voulues
comme des espaces publics de liberté, d’initiatives, d’exercice des droits des
citoyens et de participation offerts aux différents acteurs et partenaires au
développement.
1.2- Objectifs
1.2.1- Objectifs généraux
 Promouvoir la démocratie à la base
 Promouvoir le développement local durable.
1.2.2- Objectifs spécifiques





La participation du citoyen à la gestion de la chose publique
Le rapprochement de l’administration du citoyen
La prise en charge à la base par la population de ses propres affaires
La création de nouveaux espaces d’initiatives
L’accès équitable à la jouissance de la richesse nationale.
Mais quels résultats avons-nous obtenus après dix (10) ans de mise en
œuvre ?
II. Les résultats
2.1 Un cadre juridique et institutionnel adéquat.
Ainsi, nous avons :
 La constitution du 11/12/1990 en ses articles 150 à 153.
 Un corpus légal de la réforme de l’administration territoriale
comprenant sept (07) lois et plus de trente (30) décrets d’application. A
cela s’ajoutent des textes spécifiques relatifs à des politiques et
stratégies sectorielles.
 Un dispositif institutionnel qui a évolué avec la création en 2007 du
Ministère de la Décentralisation de la Gouvernance Locale de
l’Administration et de l’Aménagement du Territoire (MDGLAAT) et des
structures telles que :
• La Direction Générale de l’Administration de l’Etat (DGAE)
• La Direction Générale de la Décentralisation et de la
Gouvernance Locale (DGDGL)
• La Délégation à l’Aménagement du Territoire (DAT)
• La Maison des Collectivités Locales (MCL)
• L’Observatoire de la Gouvernance Locale et de la
Décentralisation (OGoLD)
• Le Centre de Formation de l’Administration Locale (CeFAL)
• La Commission Nationale des Finances Locales (CONAFIL)
• La Commission Nationale de la Coopération Décentralisée
(CNCD)
• La Commission Nationale des Affaires Domaniales (CNAD)
• Les Conseils Départementaux de Concertation et de
Coordination
(CDCC),
Les
Conférences
Administratives
Départementales (CAD), les Services Déconcentrés de l’Etat
(SDE) et les Préfectures au niveau départemental
• Les conseils communaux et l’administration communale au
niveau des communes
2.2 En matière de gestion communale :
 L’existence d’un creuset associatif des communes (ANCB, ACAD,
ACMC, ADCoB, APIDA)
 Un effort louable dans la construction des bureaux de mairie et de
d’arrondissement
 Le renforcement des capacités de l’administration communale et le
recrutement de cadres de niveaux A et B pour améliorer les
prestations de l’administration communale.
 Le pilotage du développement à la base grâce désormais à des plans
de développement communal
2.3-L’engagement de plus en plus marqué des PTF à accompagner le
développement à la base.
2.4- L’élaboration des outils de gestion (tels que les guides, les manuels
et recueils) et l’élaboration d’un document de Politique Nationale de
Décentralisation/Déconcentration
(PONADEC)
devant
permettre
une
visibilité et une lisibilité du processus de décentralisation.
2.5- L’existence d’un instrument d’accompagnement financier appelé
Fonds d’Appui au Développement des Communes (FADeC) qui est
l’instrument national de financement du développement local. De 2003
à 2007, l’Etat a versé aux communes au titre du Fonds de Solidarité
Intercommunal (FSI) précurseur du FADeC plus de six milliards six
cent millions (6 600 000 000) de francs CFA. De 2008 à 2012, le
FADeC a transféré aux communes près de Soixante-dix-huit milliards
(78 000 000 000) de Francs CFA répartis comme suit :
 FADeC affecté 2010-2012
Secteur de l’eau et de l’énergie :
1 935
Secteur de la santé :
3 599
Enseignement secondaire, et formation technique et
professionnelle (2011) :
1 218
• Enseignement maternel et primaire :
12 190
 FADeC non affecté 2008 à 2012 :
58 520
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•
•
995 912
873 616
000 000
000 000
910 483
En 2013, il est prévu de transférer aux communes plus de vingt et un
milliards (21 000 000 000) de Francs CFA avec une contribution des
partenaires techniques et financiers de plus de 42%.
Ces fonds ont permis la réalisation dans les communes d’infrastructures tels
que :
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
Des salles de classe
Des hangars dans les marchés
Des centres de santé d’arrondissement
Des abattoirs
Des gares routières
Des pistes rurales,
Etc.
Ces résultats positifs et patents ne constituent que la partie émergée de
l’iceberg.
En effet au-delà des acquis, il y a des freins et limites qui portent ombrage à
l’éclosion d’une décentralisation véritable creuset de participation et de
responsabilisation citoyenne.
III.-Limites et freins à l’éclosion de la décentralisation.
3.1- La mauvaise gouvernance caractérisée par
 une politisation excessive de la gestion communale
 Les pesanteurs sociologiques dans la prise de décision.
« …La plus grave des violences contre la décentralisation est exercée par
les amateurs de la querelle politique qui se sont rués du sommet de l’Etat
vers la base. L’hydre de la stérilité politicienne s’est ainsi délocalisée. Et
nos élus locaux, comme nos mandatés nationaux, se chamaillent pour
conquérir le pouvoir et se chicanent en oubliant de le gérer et de lui faire
porter des fruits….alors le service public de la décentralisation devient un
sévice public : la gouvernance se sclérose , le développement est en sursis
et les populations n’accusent pas seulement le contrecoup en terme
d’accès aux services sociaux de base mais perdent également leurs
illusions sur la capacité intrinsèque de la décentralisation à procréer du
bien–être et des lendemains fastes ». (Gervais LOKO : champs de ruine et
champs d’espoir Quid de la décentralisation 2009, le Municipal).
3.2- Le manque de vision ou la faible capacité managériale des élus et cadres
communaux
3.3-L’attentisme et la faible participation des populations
3.4-L’analphabétisme et la non appropriation des défis et enjeux de la
décentralisation
3.5-La faiblesse des ressources propres et les transferts financiers toujours
faibles de l’Etat central
3.6-L’absence d’une organisation de plaidoyer et de lobbying à la base.
3.7- L’absence de perspectives économiques dans les actions communales.
Face à ces ombres et lueurs, quelles perspectives pour la décentralisation et
le développement local, inducteur de mieux–être pour chacun et pour tous ?
IV.-Perspectives
Le
plus
grand
préjudice
qu’on
puisse
porter
au
processus
de
la
décentralisation, c’est de susciter le doute de par nos faits, nos gestes et nos
propos. Il faut comme dirait l’autre agir.
4.1-Promouvoir une conscience citoyenne locale. Ceci passe par :
 L’organisation d’une société civile engagée véritablement dans une
action citoyenne de lobbying et de plaidoyer pour une gestion
participative des affaires communales.
 La création au niveau village, quartier de ville, arrondissement des
cadres de concertation et de réflexion sur le développement local en
vue d’un arrimage des préoccupations communautaires et
communales.
 La mise en place d’un système de communication et compte rendu
entre élus et populations en vue de réduire le déficit d’information et
d’instaurer une transparence et une lisibilité dans les actions des élus
et de l’administration communale.
 Une relecture et une adaptation de certaines dispositions du corpus
légal aux contextes sociologiques du Bénin.
4.2-Promouvoir une gouvernance financière qui doit se concrétiser par :
 La mise en place d’un système de reddition des comptes semestriel en
vue de permettre aux maires d’informer régulièrement les populations
de leur gestion.
 La mise en place au niveau des arrondissements des comités
communautaires de suivi et de surveillance
 La mise en place d’un système efficace de gestion budgétaire qui allie
dépenses utiles et amélioration du taux de recouvrement des recettes
propres.
4.3- Poursuivre et affiner la mise en œuvre des outils et instruments
réalisés :
 La Politique Nationale de Décentralisation / Déconcentration
(PONADEC)
 Le Fonds d’Appui au Développement Communal (FADeC)
 Le Plan de Développement Communal (PDC)
 L’initiative de Dogbo.
Conclusion
La décentralisation est un outil pour lutter contre la pauvreté si elle stimule
à la fois une croissance économique juste et un changement social et
politique. Elle institue une nouvelle conception de la population qui ne doit
plus être perçue comme bénéficiaire de services conçus en dehors d’elle mais
une population qui entreprend et qui décide ce qui la concerne.
Après dix (10) ans de décentralisation, quelle population sommes-nous ?
Teilhard de Chardin disait « Si je ne brûle pas, si tu ne brules pas, si nous
ne brûlons pas, comment les ténèbres pourraient-elles devenir clarté ? »
Et Jean Paul II dans ses exhortations aux jeunes à Toronto et au Guatemala
en juillet 2002 de poursuivre « Construisez avec responsabilité l’avenir,
travaillez pour le progrès harmonieux … suscitez chez tous les citoyens le
désir de transformer la communauté humaine en une grande famille où les
relations sociales, politiques et économiques soient dignes de l’homme et où
sont promues la dignité de la personne et la reconnaissance effective de ses
droits invulnérables ». Voilà aussi mon credo et je suis convaincu que de
cette cette façon, nous serons des acteurs de la décentralisation, sel et
lumière de notre espace de développement.
Joseph Tossavi
Assistant technique de la Coopération Belge auprès de la Commission
Nationale des Finances Locales