La décentralisation en afrique - entre politique et développement

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La décentralisation en afrique - entre politique et développement
D. Gentil / Réseau IMPACT
Libres opinions / Fév. 2004
LA DECENTRALISATION
EN AFRIQUE DE L’OUEST :
ENTRE POLITIQUE ET DEVELOPPEMENT
M ARC T OTTE , T ARI K D AHOU , R ENE B I LL AZ (D I R .)
C O T A / K AR T H A L A / E N D A G R A F , N O V E MB R E 2003, 408 P .
Ce livre est un ensemble de 21 chapitres écrits par 20 auteurs, d’origines disciplinaires ou
géographiques diverses (avec un bon équilibre Nord/Sud, mais une seule femme).
Il vise à « présenter les rapports entre désengagement de l’Etat, décentralisation et
développement » ; à « illustrer des dynamiques d’affrontement autant que des formes
d’arbitrage inédites » ; « à rendre compte des enjeux que posent la gouvernance locale…,
les nouvelles opportunités… d’améliorer la gestion des ressources territoriales, naturelles et
productives au bénéfice du plus grand nombre ».
Les articles sont répartis en deux groupes : « ceux de la première partie cherchent à clarifier
les enjeux et les concepts ; ceux de la seconde partie rendent compte des pratiques locales
marquées par la confrontation des hiérarchies « traditionnelles » avec les nouvelles élites
rurales et les représentants de l’administration ». Une troisième partie est consacrée à un essai
de synthèse, en fait, à une juxtaposition de points de vue d’un socio-anthropologue, d’un
géographe et d’un agronome.
Comme les auteurs nous invitent à lire l’ouvrage de plusieurs manières (à la carte, à partir de
la synthèse ou de manière linéaire), j’ai privilégié ma vision subjective de libres opinions plutôt
que la discipline d’une note de lecture.
Ce qui m’a paru le plus intéressant :
• Le rappel constant de la nécessité d’analyses concrètes et du dépassement de la
projection et de l’imposition des normes occidentales. Mieux vaut comprendre les modes
réels et diversifiés de gouvernance que rechercher désespérément nos notions de
« bonne gouvernance », d’« Etat de droit » et de « démocratie ».
1
• Dans cet esprit, Gauthier de Villers et surtout Antoine Sawadogo montrent la complexité et
la diversité des Etats africains, « combinaison de trois formes d’Etat, colonial, intégral et
prébendier », un « Etat discontinu et fragmentaire ». L’Etat est loin de relever d’un modèle
unique et ne se résume pas à la politique du ventre. Le rejet actuel de l’Etat par les
populations ne vient pas d’une hypertrophie de l’Etat mais révèle plutôt un appel à
d’autres formes d’Etat. « Il s’agit moins de décentraliser que de refonder l’Etat, d’inventer
un contrat social ou un contrat territorial… ».
« Une refondation de l’Etat par le local s’impose de plus en plus pour permettre une
véritable genèse de l’Etat africain » et une invention/construction de biens et espaces
publics et de nouvelles citoyennetés1.
• La qualité des monographies (notamment chapitres 11 à 14) au Sénégal, Mali et BurkinaFaso, illustre la complexité du jeu des acteurs (autorités villageoises, chefs de terre,
responsables associatifs, nouveaux responsables commerciaux, poids du parti majoritaire
et des projets…).
• L’analyse de la décentralisation urbaine et des rapports difficiles entre villes et
communautés rurales.
• Le foncier urbain comme source principale de revenus communaux par les lotissements et
pas seulement comme répartition des richesses et des pouvoirs.
• Une bonne analyse critique de l’intérêt et des limites des cadres de concertation.
L’information et la communication sont certes nécessaires mais le niveau des techniques
et procédures, la recherche du consensus doivent être dépassés pour retrouver les enjeux
politiques de pouvoirs et/ou d’accès aux ressources.
Ce qui m’a paru manquer ou insuffisamment traité :
• Une problématique plus affirmée. Un ouvrage collectif, encore plus que d’autres, doit
s’articuler autour de quelques grandes questions, de quelques fils rouges qui vont de
l’introduction à la conclusion2. A titre d’exemple : décentralisation et refondation de l’Etat,
décentralisation et démocratie, décentralisation et lutte contre la pauvreté et les
inégalités…
Dans ce livre on sent, dès le départ, la pluralité des objectifs, des conceptions et la
difficulté d’une synthèse (la conclusion se résume à la juxtaposition de trois points de vue).
• Ce qui aurait permis une véritable analyse comparative, à partir d’une grille commune3
de cas comparables4. Alors qu’ici on oscille un peu trop entre chapitres certes intéressants
mais généraux (comme la notion de gouvernance et de décentralisation à la Banque
mondiale et à l’Union européenne…) et somme de monographies.
• Cette analyse comparative aurait été passionnante si le livre avait traité des politiques de
décentralisation au Sénégal, Mali et Burkina-Faso. Au lieu de rappeler, ce qui est déjà bien
documenté, l’imposition des modèles occidentaux uniformes, il aurait été intéressant de
mettre en valeur les diversités et les facteurs explicatifs des histoires nationales (ex :
Domaine national en 1964 et première décentralisation de 1972, voulus par les autorités
sénégalaises, avec une petite assistance technique du PNUD ; rapport entre la
Tout en étant d’accord avec la nécessité d’une refondation, on (Dominique Gentil) peut estimer qu’il est préférable d’articuler cette « co-invention » à plusieurs niveaux (local, national, régional…).
2 Voir sur ce point le travail de construction à partir du colloque d’Abidjan . G. Winter (coord.). Inégalités et politiques
publiques en Afrique. Karthala, 2001.
3 Comme l’a essayé CERISE pour la gouvernance dans quatre institutions de microfinance.
4 Entre les 3 pays, mais sans doute pas avec les garrigues au Nord de Montpellier.
1
2
décentralisation et les événements du Nord Mali, avec les différents débats nationaux de
1992 à 1999 sur le mode de découpage, le monopole ou non de partis pour les
candidatures… ; décentralisation très contrôlée par le parti dominant et les autorités
administratives au Burkina-Faso, mais aussi les débats au sein de la Commission Nationale
de Décentralisation…).
• Une construction du livre plus resserrée, avec une introduction problématisée, l’élimination
de quelques chapitres (notamment sur les organisations paysannes qui ne sont pas reliés à
la problématique centrale5) et une véritable conclusion.
Ce qui reste à faire :
• A mon avis, réfléchir collectivement à une problématique et une grille d’analyse de la
décentralisation
(situation
antérieure,
information,
découpage,
élections,
fonctionnements et résultats, relations avec autres niveaux, financement, conflits,
perceptions par les populations…),
• Multiplier les analyses de terrain et la comparaison de politiques nationales, et synthétiser
celles qui existent déjà (APAD, Politique Africaine…),
• Proposer et discuter de nouvelles synthèses en favorisant une réflexion africaine (ateliers
d’écriture, entretiens, débats…).
5 La filière coton au Mali ou les organisations paysannes café-cacao en Côte d’Ivoire ne sont jamais mises en relation
avec l’établissement de collectivités décentralisées.
3

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