Assurance vie : le démembrement de la clause bénéficiaire

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Assurance vie : le démembrement de la clause bénéficiaire
Assurance vie : le démembrement de la clause bénéficiaire
Cette technique reste méconnue. Pourtant, utilisée à bon escient, elle permet des économies d’impôts
non négligeables.
Le démembrement des clauses bénéficiaires est utile dans une logique de transmission de
patrimoine. ()
Formule née dans les années 1980, le démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat
d’assurance vie est régulièrement mis en avant par les conseillers en gestion de patrimoine.
Ce type de montage, qui voit habituellement le conjoint recueillir l’usufruit et les enfants la nuepropriété, a connu son apogée entre 2007 et 2011, en raison notamment d’un impact fiscal très
favorable. Depuis deux ans, cet avantage est moins puissant, mais le procédé conserve de sérieux
atouts. Comment fonctionne cet instrument patrimonial? Dans quelles situations adopter cette
solution? Quelles précautions faut-il prendre avant de se lancer? Les réponses du Revenu.
Très répandue pour optimiser la transmission d’un bien immobilier, la technique du
démembrement de propriété l’est beaucoup moins dès qu’elle touche à la clause bénéficiaire d’un
contrat d’assurance vie. Pourtant, comme pour un bien immobilier, elle prévoit qu’au décès du
souscripteur assuré le capital sera démembré entre un ou plusieurs bénéficiaires en usufruit et
un ou plusieurs bénéficiaires en nue-propriété. Cela étant, comme les fonds démembrés portent
généralement sur une somme d’argent, qui est un bien «consomptible», on parle de quasi-usufruit.
Une subtilité dont il faut avoir connaissance car, comparativement à l’usufruitier, le quasi-usufruitier
voit ses pouvoirs élargis.
En principe, il peut ainsi dépenser tout le capital reçu. Toutefois, pour ne pas léser le nu-propriétaire,
celui-ci est titulaire d’une créance de restitution qui viendra en déduction de l’actif successoral du
quasi-usufruitier.
Organiser sa transmission
Le démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie dispose avant tout
d’un intérêt civil. «Le versement des capitaux sous forme de quasi-usufruit est un excellent moyen
de protéger le conjoint survivant en lui laissant une liberté totale quant à leur remploi», souligne
Anne Berry, directeur adjoint à l’ingénierie patrimoniale chez Banque Privée 1818. Par ailleurs, il est
particulièrement adapté dans une logique de transmission patrimoniale en bénéficiant d’un cadre
fiscal avantageux. Et ce, malgré l’adoption de la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011 qui est
venue réduire cet attrait.
Auparavant, lorsque le quasi-usufruitier désigné bénéficiaire était le conjoint, il en résultait (loi
Tepa de 2007) une exonération totale de taxes (tant pour le conjoint que pour les nus-propriétaires),
quel que soit le montant du capital versé avant 70 ans. Désormais, l’usufruitier et le nu-propriétaire
sont mis à contribution en fonction de leurs droits respectifs calculés à partir d’un barème fiscal (voir
page 35). Si l’opération est donc soumise à imposition, elle peut toutefois permettre d’alléger de
plusieurs dizaines de milliers d’euros le poids de la fiscalité par rapport à un contrat classique qui n’est
pas assorti d’une clause bénéficiaire démembrée.
Prenons un exemple: vous versez une prime unique de 400.000 euros à 65 ans. Votre conjoint est
désigné usufruitier et votre enfant unique nu-propriétaire. À votre décès,
le contrat d’une valeur de 500.000 euros est taxé. Votre conjoint quasi-usufruitier est alors âgé de 69
ans. La valeur de son quasi-usufruit est de 40% (voir page 35), soit 200.000 euros. La valeur de la
nue-propriété est donc de 60%, soit 300.000 euros. La fiscalité du quasi-usufruit est nulle puisque le
conjoint est exonéré depuis 2007.
L’enfant, lui, est en revanche taxé, au taux de 20%, selon le barème classique de l’assurance vie
avant 70 ans. Il bénéficie toutefois d’une part de l’abattement de 152500 euros, calculé au prorata
de la valeur de sa nue-propriété (60%), soit 91.500 euros. Le contrat est alors fiscalisé sur une base
réduite de 208.500 euros, ce qui représente un coût total de 41.700 euros.
À partir des mêmes chiffres, une clause bénéficiaire non démembrée avec pour bénéficiaire en pleine
propriété l’enfant aurait engendré une fiscalité de 69.500 euros.
De nombreux schémas possibles
Les choix sont multiples pour organiser les conditions auxquelles soumettre l’usufruitier et le nupropriétaire dans leurs relations futures. Il est alors essentiel de dessiner les contours de la solution
qui vous conviendra le mieux.
Pour cela, divers éléments doivent être pris en compte: votre régime matrimonial, vos objectifs
patrimoniaux, la composition de votre famille… Vous devez aussi vous poser un certain nombre de
questions indispensables à la bonne rédaction de la clause bénéficiaire. À qui destinez-vous les
capitaux? Quels pouvoirs souhaitez-vous donner aux bénéficiaires?…
Le démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance vie peut être adapté à différents
schémas patrimoniaux. «Le choix ne doit pas se restreindre à la configuration classique voyant le
conjoint devenir usufruitier et les enfants nus-propriétaires», souligne Richard Chalier, directeur
technique du groupe Fidroit. Par exemple, un certain nombre de contrats se dénouent sans la
présence d’un conjoint. Il peut alors être intéressant, malgré un coût fiscal plus important, de nommer
vos enfants bénéficiaires de l’usufruit et vos petits-enfants bénéficiaires de la nue-propriété.
En outre, pour contribuer au financement de la dépendance d’un parent, la rédaction d’une clause
lui attribuant le bénéfice de l’usufruit et affectant à votre conjoint le bénéfice de la nue-propriété peut
aussi être très pertinente.
La qualité du suivi est déterminante
Le principal inconvénient
attaché au quasi-usufruit concerne le risque de dilapidation des fonds par le détenteur de ce droit
puisqu’il peut librement consommer la totalité du capital. Le risque est alors que l’actif de succession
au décès du quasi-usufruitier ne suffise pas pour que les nus-propriétaires récupèrent tout ou partie
de leur créance.
Par ailleurs, le nu-propriétaire étant considéré comme un créancier «chirographaire», il ne sera
remboursé qu’après les créanciers «privilégiés» qui bénéficient d’une sûreté ou d’une garantie
(nantissement, gage, hypothèque…).
En outre, le partage des droits entre plusieurs protagonistes peut impliquer un risque de mésentente
familiale, notamment dans le cadre de familles recomposées, sur la gestion des capitaux.
Enfin, en l’absence d’aménagement conventionnel, il peut y avoir un défaut de prise en compte,
dans la créance, de restitution de la dépréciation monétaire liée à l’inflation. Cela peut avoir des
conséquences significatives, en particulier si l’espérance de vie du quasi-usufruitier est longue.
Prenons un exemple: le quasi-usufruitier reçoit 500.000 euros aujourd’hui et décède quinze ans
plus tard. À son décès, en l’absence de dispositions, le nu-propriétaire disposera d’une créance de
restitution d’un même montant, c’est-à-dire 500.000 euros. Si, à présent, une indexation annuelle de 2
% est prévue –qui peut être déterminée à partir de trois méthodes de calcul différentes–, la créance
de restitution ne sera plus d’un montant de 500.000 euros mais de 673.000 euros.
Pour éviter ces écueils et se prémunir contre le manque d’accompagnement au décès du
souscripteur, il est conseillé de rédiger une convention de quasi-usufruit. Elle permettra d’aménager
les relations entre les bénéficiaires en déterminant le montant de la créance de restitution. «Pour
connaître son existence et la rendre opposable à la succession du quasi-usufruitier, enregistrez-la au
centre des impôts ou par acte notarié», prévient Constance Carcel, consultante chez Michel Tirouflet
Conseil.
Sinon, les capitaux pourraient être taxés une seconde fois au décès du quasi-usufruitier. Cet aspect
est d’autant plus important «que l’essentiel des clauses bénéficiaires démembrées ne sont pas
enregistrées», regrette Richard Chalier. Ainsi, la réelle valeur ajoutée du conseil «ne se trouve pas
seulement dans la rédaction de la clause bénéficiaire mais aussi dans la qualité du suivi effectué par
votre conseiller», ajoute l’expert.
Faites appel à un expert patrimonial
Dans certains cas, il peut être préférable de prévoir qu’une caution soit fournie. Vous pouvez
ainsi imposer au quasi-usufruitier de fournir des garanties suffisantes pour assurer au nu-propriétaire
le remboursement de sa créance à terme.
Il est également possible d’éviter la situation de quasi-usufruit et de prévoir que le capital
soit reversé à l’usufruitier avec une clause de remploi. Celle-ci lui donnera moins de liberté dans
l’utilisation qu’il fera des capitaux et sera plus protectrice des intérêts du nu-propriétaire. «Dès qu’il
y a un risque de contestation entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, utilisez une clause de remploi»,
conseille Richard Chalier.
À noter, le nu-propriétaire et l’usufruitier étant imposables au décès du souscripteur (sauf cas
particulier), il est alors essentiel de leur permettre de régler les taxes ou droits leur incombant. Pour
cela, assurez-vous que la clause bénéficiaire prévoit que l’usufruitier disposera librement d’une part
suffisante du capital.
Concernant le nu-propriétaire, deux solutions peuvent être envisagées. Soit vous lui accordez
une part des capitaux en pleine propriété afin qu’il puisse s’acquitter lui-même de la fiscalité. Soit vous
attribuez à l’usufruitier l’intégralité du capital en quasi-usufruit, afin qu’il accorde au nu-propriétaire un
prêt du montant correspondant. Le quasi-usufruitier recevra alors de l’assureur un capital «net» qui
servira de base pour le calcul de la créance de restitution du nu-propriétaire.
Le démembrement de la clause bénéficiaire d’un contrat vie est une pratique très performante
mais à manier avec précaution. Certains établissements constatent de nombreuses situations où le
démembrement est mal conçu ou mal rédigé, entraînant parfois plus de contestations que de réelles
améliorations. Dès lors, pour en profiter sereinement, rapprochez-vous d’un conseiller en gestion de
patrimoine ou d’un notaire.