quatre ruses à l`usage des profs et formateurs

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quatre ruses à l`usage des profs et formateurs
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RNE 0921940J
Quatre ruses à l'usage
des professeurs et des formateurs
Extraits de "Les Ruses éducatives. 100 stratégies pour mobiliser les élèves",
ESF, 2008, Yves Guégan, psychosociologue et formateur
Comment contourner la résistance des élèves à se mettre au travail et à
respecter les règles ? Pour cela, les enseignants emploient souvent des ruses
éducatives qui, lorsqu’elles sont bienveillantes, permettent de désamorcer les
conflits et de susciter la motivation. […]
Ruse n°1 : Instaurer des règles d'or
Je consacre du temps en début de formation pour que le groupe décide des
règles à suivre pour rendre les relations aussi harmonieuses que possible. Il
s’agit d’élaborer une sorte de charte que j’appelle « les règles d’or ». Voici
celles élaborées par un groupe d’apprentis : Ponctualité ; respect mutuel ;
politesse avec le personnel ; humour ; respect des lieux ; s’entraider ; respect
des consignes de sécurité ; écoute ; partager ; réfléchir à ce que l’on va faire ;
curiosité ; courage ; motivation ; sérieux ; contrôler sa nervosité ; initiative
personnelle ; hygiène ; qualité du travail ; patience ; ne pas baisser les bras ;
tenue. La liste terminée, j’ai demandé si tous dans le groupe étaient d’accord et
prêts à s’engager sur cette charte qui a été affichée dans la salle. Les premiers
effets bénéfiques n’ont pas tardé à apparaître.
Suite à la pause de l’après-midi, un jeune est allé déranger le personnel
administratif féminin dans un but bien précis. Au retour dans la salle, ses
collègues lui ont dit : « Fais gaffe, t’as écrit des choses alors tu les respectes. »
Cette façon de procéder me décharge du rôle de gendarme : le groupe se prend
alors en charge et je deviens une sorte d’arbitre. J’ai d’ailleurs moi-même été
rappelé à l’ordre. Après avoir fait des photocopies avec beaucoup de mal, je
suis revenu en salle en expliquant que le photocopieur m’avait énervé. Là un
jeune m’a dit : « Monsieur regardez les règles, on ne doit pas s’énerver. » J’ai
tout de suite admis qu’il avait raison de me le rappeler.
Chez les adolescents en particulier, les échanges entre pairs, sous-tendus par le
désir d’appartenance au groupe, font émerger une certaine conformité entre les
comportements, les opinions, la manière de s’exprimer. En classe, lorsque la
norme commande la non-participation, il est difficile de ne pas s’y plier, sous
peine d’être considéré comme un traître, un « fayot ». Cependant l’enseignant
peut faciliter l’émergence de normes participatives en organisant un libre jeu
d’influences mimétiques. Cette tactique s’applique pour l’élaboration des
règles, jugées ordinairement arbitraires et inutilement contraignantes par les
élèves. Certes, ils signent le règlement intérieur, mais c’est un acte solitaire qui
n’implique pas un engagement personnel lorsque l’environnement groupal
s’avère résistant. Or un groupe peut manifester un désir de régulation, à la
condition qu’on lui en donne l’opportunité. C’est ce que fait ici Thierry
Trigolet, professeur de technologie.
L’adhésion à la règle est rendue possible car chacun observe que les autres
semblent manifester le désir d’y adhérer également. Petit à petit, le groupe
autorise ainsi l’émergence d’une norme coopérative à partir du moment où il
est suffisamment mis en confiance pour laisser de côté le réflexe mimétique de
contestation de l’autorité institutionnelle.
Ruse n°2 : Octroyer des jokers
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Quand un apprenti travaille de manière particulièrement positive il m’arrive de
lui offrir en récompense un joker qui lui permettra de ne pas faire un contrôle
de son choix dans l’année. C’est toujours accepté avec plaisir, et quand vient le
jour de l’utilisation du joker, je l’autorise donc à ne rien faire. Étant élève,
j’aurais moi-même adoré bénéficier de ce genre de privilège, j’aurais pu
regarder les autres travailler avec l’accord du prof, en étant un peu à égalité
avec lui. Ç’aurait été un bonheur. Mais curieusement, mon apprenti se sent
alors exclu du groupe et veut faire le contrôle quand même, en prenant
toutefois le soin de négocier : « Si la note n’est pas bonne, elle ne compte pas
M’sieur ? » Je me fais un plaisir d’accepter la requête. Pour ne pas privilégier
trop les meilleurs, je fais la même chose quand un apprenti d’ordinaire peu
participatif se met soudainement à travailler. Je lui donne son joker et du coup,
il devient généralement plus actif en cours
Michaël Viggiano, professeur de français, accorde un joker (un droit au nontravail) pour les élèves qui, soit en permanence, soit ponctuellement,
fournissent un travail de qualité. Il active ainsi une émulation, mais aussi, et
paradoxalement, un désir de travail chez ceux qui en sont dispensés.
Cet encouragement au non-travail peut apparaître antipédagogique. En réalité,
le caractère ludique et anticonformiste de la technique a pour effet d’inciter
l’apprenti à la coopération afin, en particulier, de ne pas se sentir placé à l’écart
du groupe.
Le don a le pouvoir d’enclencher un processus de réciprocité : il appelle le
contre-don. Ce processus repose sur l’obligation morale de rendre. Il est très
actif dans les relations sociales et ne s’apparente pas le plus souvent à la ruse.
Mais il peut aussi être détourné en technique secrète d’influence car on peut
décider de donner dans le but spécifique d’obtenir la réciproque. À l’école, le
contre-don visé sera une coopération accrue. Pour que la réciprocité
fonctionne, l’élève doit avoir conscience d’en tirer un bénéfice tangible, que ce
soit sur le plan intellectuel ou narcissique. Bien entendu, il convient de veiller à
une distribution égalitaire des dons, afin d’éviter de donner prise au sentiment
d’injustice.
Ruse n°3 : Jouer le maître ignorant
Avec une classe d’apprentis mécaniciens totalement hermétiques à l’étude des
langues, j’ai eu l’idée en début d’année de dire que j’aimerais bien comprendre
le fonctionnement du moteur à explosion et ils se sont pris au jeu pour réparer
une ignorance aussi lamentable de ma part. Ils ont préparé une séquence sur ce
sujet, en anglais bien sûr, en se répartissant le travail de recherche de
vocabulaire sur les différents aspects techniques à aborder. Pendant la
séquence, j’ai posé plusieurs questions (toujours en anglais), et alors que
d’habitude, mes questions les fatiguent, ils ont été, ce jour-là, particulièrement
actifs pour me montrer leur expertise. Mon effarante incompétence et la naïveté
de mes questions étaient pour eux terriblement réjouissantes.
Prendre le rôle du maître ignorant conduit à donner aux élèves un véritable
objectif : faire la preuve de leurs compétences. Nathalie Mathieu, professeur
d’anglais, applique de temps en temps cette technique.
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Traditionnellement, l’enseignant monopolise tous les pouvoirs (pédagogie,
maintien de l’ordre…). Il met ainsi en place une relation qui est souvent source
d’apathie ou de récriminations. Pour contrer la logique d’opposition il faut
repenser la relation de pouvoir en termes de partage. Il s’agit pour l’enseignant
d’un retrait calculé dont l’objectif est de libérer un espace de responsabilité
susceptible d’être investi par les élèves. Le partage du pouvoir ne constitue pas
une ruse pour les élèves décidés à coopérer. On ne peut parler de ruse que
lorsqu’on vise un retournement d’attitude d’élèves résistants.
Dans cet esprit, la pédagogie du Maître ignorant constitue une piste
intéressante qui donne à Jacques Rancière (1) l’opportunité de se livrer à une
vive critique de l’explication : « Expliquer quelque chose à quelqu’un, c’est
d’abord lui démontrer qu’il ne peut pas le comprendre par lui-même (…).
L’explication est le mythe de la pédagogie, la parabole d’un monde divisé en
esprits savants et esprits ignorants, esprits mûrs et immatures, intelligents et
bêtes. » Telle est l’explication qui serait en définitive un principe
d’abrutissement. Il convient sans doute de prendre quelque recul par rapport à
cette dénonciation radicale car on voit mal comment l’explication pourrait
disparaître de l’école : le maître a aussi des choses à dire. Il reste que son retrait
plus ou moins prononcé a pour effet de réduire son emprise intellectuelle et sa
domination.
Montrer ses connaissances et son expertise est particulièrement valorisant
quand on sait que le maître ne représente plus cette montagne de savoir qui
écrase de sa puissance l’intelligence des apprenants et paralyse leur désir
d’expression. Le retournement d’attitude des apprentis est ici assez
spectaculaire. Cependant il reste ponctuel et la ruse s’essoufflera dans la durée.
Mais elle aura permis de légitimer les cours ultérieurs, en mettant en évidence
l’intérêt d’apprendre l’anglais…
NOTE :
(1) Jacques Rancière, Le Maître ignorant. Cinq leçons sur l’émancipation
intellectuelle, Fayard, 2001.
Ruse n°4 : Encourager pour dissuader
Donner des cours de psychosociologie dans une école d’ingénieurs ne
déclenche pas un enthousiasme débordant. Affalés sur leurs chaises avec à la
main un stylo qui tourne comme un hélicoptère, les élèves rechignent à se
laisser persuader par les mérites des « sciences molles ». Pour désamorcer
l’apathie, il est judicieux de démarrer la première séance en les invitant à
exprimer leurs représentations négatives de la psychosociologie. On remplit
alors tout un tableau avec leurs remarques : « ça ne sert à rien » ; « c’est de la
manipulation » ; « on va couper les cheveux en quatre pour pas grand-chose » ;
« c’est pipo » ; « c’est pas prouvé » ; « c’est chiant… »
Le tableau joue le rôle du miroir. Face à l’excès du négatif, certains finissent
par manifester leur désaccord, dire que la psychologie, c’est quand même
intéressant, qu’un ingénieur est aussi un cadre qui doit travailler avec les
autres, etc.
Si bien qu’ils achètent la psychosociologie sans qu’il soit nécessaire de leur «
vendre ». Cette technique fait tomber les résistances parce que l’enseignant
n’argumente pas contre l’avis des opposants, il laisse à chacun une liberté
d’expression qui fissure l’unanimité mimétique
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Dans les interactions compétitives ou conflictuelles, il est fréquent que la
persuasion rationnelle demeure inefficace parce que l’argument est toujours
susceptible d’être invalidé par un contre-argument. Il arrive alors que les
positions se crispent et que les arguments de l’un viennent renforcer les
arguments de l’autre dans un jeu sans fin. Dans la plupart des cas de ce type, la
technique paradoxale tourne le dos à la logique d’opposition pour préférer une
approche approbative qui consiste non seulement à feindre d’accepter la
résistance de l’autre, mais encore à l’encourager.
Cette démarche est illustrée par la prescription du symptôme qui consiste à
mettre brusquement en lumière la position d’un opposant. Le but est de rendre
sa position intenable pour l’amener à en changer de lui-même. Le moyen
utilisé est la reformulation à laquelle s’ajoute une injonction de surenchère.
Pour gérer par exemple un élève qui refuse de travailler, on peut lui proposer
de signer un « contrat de paresse ». Il sera ainsi placé dans une situation
inconfortable qui ne manquera pas de le faire réfléchir. La prescription du
symptôme repose sur le principe d’encourager pour dissuader
L’effet miroir est une tactique voisine dont le mécanisme consiste, sans
pratiquer la surenchère, à dévoiler pour dissuader. L’effet miroir offre aux
élèves un gain précieux : l’opportunité de montrer qu’ils ont raison en étant
contre. Ce gain à forte valeur narcissique exerce une pression à l’engagement.
Il entraîne une coopération quasi automatique qui serait beaucoup plus difficile
à obtenir si l’expression collective portait, non pas sur les désaccords, mais sur
les convergences de vues.
Yves Guégan a publié Les Ruses éducatives. 100 stratégies pour mobiliser les
élèves, ESF, 2008, et L’Usage légitime du pouvoir dans la classe, Hachette,
2004. Les fondements théoriques de la ruse article paru dans Sciences
Humaines, mensuel N° 203 - avril 2009.
À LIRE AUSSI
Paul Watzlawick, John Weakland et Richard Fisch, Changements. Paradoxes
et psychothérapie, 1974, rééd. Seuil, coll. «Points essais», 2000.
Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois, Petit traité de manipulation à
l’usage des honnêtes gens, 1990, rééd. Presses universitaires de Grenoble,
2002.