Trois histoires d`animaux

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Trois histoires d`animaux
Trois histoires d’animaux:
Nous avons décidé de mettre en résonance trois textes.
Le premier évoque à nouveau la ruse pour sauver sa vie. Il est à mettre en parallèle
avec les aventures d’Ulysse. C’est une question de vie ou de mort.
Un cerf rusé d’après les frères Lu, Contes de Chine, Éditions de la farandole (annexe
1):
Nous racontons la première histoire. Un écueil inattendu, les enfants ne savent pas ce
qu’est un cerf ! Nous pensons à Bambi comme référence. C’est la sortie au cinéma de
Bambi II qui fait écho chez eux. Le faon porte encore ses taches, ce qui permet aux
élèves de comprendre la première astuce du jeune cerf pour sauver sa vie lors de
l’arrivée du tigre. Mais il leur est plus difficile de comprendre la seconde, lors du
retour du tigre accompagné du renard: en fait, le renard est l’allié du tigre mais le cerf
va réussir à lui fait croire qu’il est son complice. Cette ruse est complexe à
comprendre pour certains élèves qui croient que le renard a vraiment ramené le tigre
au cerf pour qu’il le mange. Nous constatons que lorsque c’est «la parole» qui est
porteuse de la ruse, les élèves ont plus de mal à comprendre.
Le tigre
le cerf
le renard
Dans le deuxième texte, nous changeons de registre, avec une histoire de dévoration.
pour s’approprier la ruse, «vertu du jaguar».
La ruse du jaguar, Contes et fables d’animaux, Hatier, 2005
A malin, malin et demi
Dans les sociétés amérindiennes en particulier, on attribue une vertu à chaque animal.
Le jaguar, l’anaconda sont considérés comme des animaux de pouvoir. Le jaguar est
le plus redouté et le plus admiré des animaux. Sa ruse, sa férocité, sa couleur dorée en
font une métaphore du pouvoir et sa puissance est associée à celle du soleil, de la
foudre ou de l’or. Quoi de mieux pour un fils de chef !
Un jaguar cupide qui monnaye ses services trouve plus rusé que lui en la personne de
Talokoe, le chef du village.
Alima, le fils du chef ne mange plus. Le «maître des hommes» compte sur la ruse du
jaguar pour lui rendre l’appétit. C’est la première fois qu’il va travailler pour un
homme et en espère un bon prix, ce qui le perdra. Les animaux qui sont
successivement apportés à Alima pour lui ouvrir l’appétit, transmettent une qualité :
le singe l’agilité, l’anaconda la puissance, le tapir la gourmandise. Est-ce cette
succession d’animaux qui donne l’idée au chef de tuer le jaguar pour récupérer sa
ruse pour son fils? Ou bien en avait -il le projet depuis le début ? Un enfant a émis
cette hypothèse. A-t-il attendu que son fils guérisse pour tuer l’animal afin de ne rien
avoir à payer ? Les enfants ont débattu. C’est l’homme le plus rusé de tous.
Ce récit a le mérite d’être linéaire et chaque épisode est facilement identifiable
puisqu’ il correspond à une action maligne du jaguar. Mais il est difficile de repérer
quelle est la logique du jaguar dans sa quête des animaux à offrir au jeune Alima. Y at-il réellement un enchaînement logique?
On peut deviner que la succession d’animaux va s’arrêter, que le jaguar a terminé sa
mission, lorsque le fils du chef ingère le troisième animal qui symbolise la
gourmandise. La chute est elle vraiment inattendue ? Elle est en miroir dans sa
structure avec les épisodes précédents. Nous, «lecteurs» qui savons comment et
pourquoi le jaguar a tué ses proies, nous pouvions anticiper sur la fin.
Il est vrai qu’ici, les références culturelles sont vraiment différentes des nôtres avec
l’idée d’animal totem et d’appropriation des «qualités» d’un ennemi par son ingestion.
Les enfants ne verront dans ce conte qu’un animal qui a trouvé un humain plus malin
que lui. Cela leur parait légitime que les hommes soient ainsi présentés comme
supérieurs aux animaux.
Le jaguar rusé, perché sur son arbre guette ses proies.
Nous avons choisi maintenant de lire un épisode du Roman de Renart, qui met en jeu
une ruse pour manger. Il a pour intérêt d’utiliser deux types de supercherie: la
flagornerie et la fausse blessure. Il s’agit là de faire entrer les élèves dans un autre
personnage archétypal de la ruse qu’est le renard.
Renart et le corbeau, Le Roman de Renart Christian Poslaniec, François Crozat,
éditions Milan jeunesse, 1997
Le renard et le corbeau : les enfants ont le sentiment de connaître cette histoire, de
l’avoir déjà entendue. Ils «connaissent» la fable de la Fontaine.
Nous apprenons comment le corbeau a subtilisé un fromage et en a laissé tomber un
petit morceau en le dégustant. Le renard qui se reposait sous l’arbre comprend vite ce
qui se passe et flatte le corbeau qui lâche le fromage.
Seulement, il ne se contente pas du fromage comme dans la fable de La Fontaine. Il
fait mine d’être dégoûté par l’odeur du fromage et blessé car il espère ainsi que le
corbeau va descendre de l’arbre et faire d‘une pierre deux coups. Le corbeau mis en
confiance n’échappe que de peu à la mort. Le renard n’attrapera que quelques plumes
du corbeau et repartira avec le fromage.
La ruse de la blessure feinte. Le renard se jette sur le corbeau qui est descendu
de l’arbre récupérer son fromage.
Nous retrouvons la ruse de la blessure qui est destinée à faire croire soit à l’incapacité
soit à la vulnérabilité. Le renard est célèbre également pour la ruse de la mort feinte,
que l’on trouve dans le renard et les anguilles.
Débat sur le mensonge: la fin (la faim) justifie-t-elle les moyens ? Pour les enfants, il
ne faut pas mentir.
Le rôle et le pouvoir de la parole
« Les hommes sont si aveugles, si entraînés par le besoin du moment, qu’un trompeur
trouve toujours quelqu’un à tromper » Nicolas Machiavel, Le Prince.
Nous lirons aux élèves lors de la séance suivante: Le corbeau et le renard d’Esope, où
le fromage est un morceau de viande, Phèdre et La Fontaine.
Léo le corbeau et Gaspard le renard, école des loisirs
Cet album raconte l’histoire de deux amis qui découvrent les vieux secrets de famille
qui sont bien entendu l’histoire du corbeau et du renard: citations de vers de la fable
dans le texte et même reprise des illustrations de Gustave Doré. Les enfants décodent
facilement les références culturelles.
Les habits neufs de l’Empereur, H.C Andersen. Les enfants ont beaucoup apprécié
ce conte où le roi finit par se promener tout nu sous un dais. Ils ont bien compris que
les tisserands sont des voleurs, qu’ils n’ont pas fabriqué le tissu d’or, d’argent et de
pierreries. Il leur a été plus difficile de comprendre que personne ne veut avouer ne
pas voir le tissu; qu’il s’agit d’un piège à imbéciles et prétentieux. Ils sont ravis que ce
soit un enfant qui ait le courage de dire ce qu’il voyait ou plutôt ce qu’il ne voyait pas.
Tibert et Romuald, Anne Jonas- François Crozat, Milan, 1998
En l’absence de ses parents, Romuald le souriceau désobéit et explore la bibliothèque.
Il fait tomber un livre qui lui raconte les histoires qu’il renferme. Cette expérience va
lui servir lors de sa rencontre avec Tibert le chat. Comme Schéhérazade, il va raconter
des histoires pour sauver sa vie. La dernière image de l’album nous montre Tibert ravi
d’écouter une histoire qui provient du Roman de Renart, l’épisode de Tibert et
l’andouille. Cette illustration est celle d’un l’album précédemment cité: Le roman de
Renar,t Christian Poslaniec, illustré par François Crozat, où l’on voit Tibert perché en
haut du calvaire et Renart qui guette en bas. C’est un des rares cas où Renart ne gagne
pas la partie. La ruse de l’histoire qui distrait le chat est bien comprise. En revanche,
elle ne suscita aucune référence culturelle chez les élèves qui ne connaissent pas
Schéhérazade et les Contes des mille et une nuits. Ils ont pour seule référence Aladin
en raison du film de Disney. Une petite fille nous annonce que son deuxième prénom
est Schéhérazade. Nous utiliserons l’album intitulé Nuits d’Orient de Fiona Waters,
Albin Michel, 2003, qui contient l’histoire de Schéhérazade.
"Le renard et le puits", Plouf de Corentin, École des loisirs, 1991
Le roman de Renart peut facilement être rapproché de l’album : le puits, lieu de
rencontre des animaux est un élément propre à ce texte classique ainsi que les
situations de tromperie, de ruse. La langue par contre est très différente. Format
spécial de l’album qui évoque la profondeur du puits.
Le caillou comme leurre
Après avoir lu la ruse de Rhéa, la mère de Zeus pour le sauver de Chronos qui allait le
dévorer, nous avons mis en réseau plusieurs albums qui racontent des histoires de
cailloux. En effet, les pierres sont souvent utilisées dans les contes comme leurre. Ici,
le ou les cailloux sont le moyen de rajouter des ingrédients pour obtenir une soupe
digne de ce nom.
Ce vieux thème de la soupe au caillou nous a paru intéressant car il existe un grand
nombre de versions.
Nous commençons par la version de Robert Giraud, Père Castor, 2003
Dans cette version, on voit clairement l’aspect ruse de la soupe aux cailloux.
Nous lisons ensuite la version d’Anaïs Vaugelade à l’École des loisirs, 2001
Dans cette version, l’auteur /illustrateur a choisi des faire jouer des animaux comme
dans une fable. Le loup inquiétant, le regard luisant et malin représente l’étranger. Il
frappe chez une poule qui va surmonter sa peur pour goûter la soupe au caillou. Le
loup repart et reprend son caillou. Quelle est l’intention du loup au début de l’histoire?
A-t-il un plan ? Utilise-t-il cette histoire de caillou pour pouvoir pénétrer chez des
animaux crédules et les dévorer ?
Version de John J. Muth, Éditions Circonflexe, 2002
Le récit se déroule en Chine. Il faut expliquer les éléments de la culture chinoise
présents dans le texte. La soupe aux cailloux mitonnée par trois moines va permettre à
un village de retrouver la joie du partage.
Nous avons choisi de raconter en dernier l’album de Tony Ross, éditions Mijade,
2004.
Une poule qui connaît l’astuce de la soupe au caillou. C’est la version où la ruse est
vraiment mise en valeur par l’illustration et le texte et surtout avec beaucoup
d’humour. Dans cette histoire, la soupe au caillou sert à la poule à gagner du temps
afin de ne pas être dévorée par le loup qui a clairement dévoilé son intention de la
manger. Ici, à contre emploi par rapport à la version d’Anaïs Vaugelade, la poule est
intelligente. On retrouve ce portrait de poule dans Poule Rousse, album déjà cité. Le
loup très archétypal au début se fait totalement berner. La fabrication de la soupe a un
double objectif : fatiguer le loup qui est chargé de nombreux travaux pendant que la
préparation de la soupe avance, puis le rassasier pour qu’il n’ait plus envie de la
dévorer. La poule ne sera pas mangée et le loup s’enfuira … avec le caillou !
La ruse amoureuse:
Cyrano
Taî-Marc Lethahn
Rebecca
Dautremer,
Editions Gauthier
Languereau
C’est en découvrant ce très bel album que nous l’avons associé à la ruse amoureuse.
La scène sous le balcon qui à la fois torture Cyrano mais qui lui permet aussi d’avouer
son amour à Roxane nous paraissait pouvoir entrer dans notre thème.
La ruse pour envoyer Christian à la mort a été comprise. Un magnifique album et une
transposition pleine d’humour.
La tapisserie de Pénélope
Pour clore notre Odyssée au pays de la ruse, nous retournons à Ithaque. Nous
retrouvons Ulysse et Pénélope. Nous découvrons la ruse de la broderie défaite tous les
soirs par amour pour Ulysse, afin de ne pas épouser les prétendants.
Pénélope, Ulysse et le métier à tisser.
Conclusion
Les enfants apprécient de retrouver mis en réseau des albums qu’ils connaissaient et
d’avoir l’impression de «mieux» les comprendre après notre année sur la ruse. Nous
avons conduit une séance de réflexion sur la ruse. Les références culturelles que nous
avons fournies par le biais du corpus de textes étudié tout au long de l’année nous ont
permis d’aborder le thème de la vérité et du mensonge et de la nécessité éventuelle
d’utiliser la ruse avec d’autres arguments que: «c’est pas bien de mentir».
Les enfants trouvent que l’on peut éventuellement utiliser la ruse pour sauver sa vie,
mais que les ruses du renard par exemple sont inadmissibles.
Il est plus difficile en fait de faire la différence entre la ruse et l’ingéniosité. Ils se sont
souvenu des mythes de Dédale et Icare et de Thésée et du Minotaure avec le fil
d’Ariane qu’ils avaient représentés en début d’année.
La chute d’Icare qui crie : "HA…"
Le fil d’Ariane dans le labyrinthe
Il nous était impossible de refermer le grand livre de la ruse sans raconter "Le Chat
Botté ou le maître chat", Charles Perrault, Illustrations de Fred Marcellino,
Gallimard, 1991, dont on trouve une lumineuse analyse de Françoise CaminadeRiffault dans Les chemins de la littérature au cycle III, Argos scéren CRDP,
Académie de Créteil. « Chez lui, tout est calculé en fonction du but qu’il s’est
assigné, et du plan qu’il a élaboré depuis le début pour y parvenir. Chacune de ses
interventions rusées est une nouvelle pièce qu’il place sur son échiquier, alors
qu’Ulysse, jouet des forces divines subit les événements, même s’il les domine au fur
et à mesure. Dans un cas, il y a construction savamment délibérée, dans l’autre,
victoire sur une succession aléatoire d’épisodes qui se juxtaposent plus qu’ils ne
s’enchaînent. Le Chat Botté est un personnage, Ulysse un héros. »
Ils ont tellement aimé les aventures d’Ulysse qu’ils décident de construire un cheval
de Troie et de jouer les aventures d’Ulysse pour la fin de l’année. Nous sommes dans
la rédaction de la pièce.
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Annexe 1