21. Œdipe, le dénoueur d`énigmes « Quel est l`être, le seul parmi

Transcription

21. Œdipe, le dénoueur d`énigmes « Quel est l`être, le seul parmi
21. Œdipe, le dénoueur d’énigmes
« Quel est l’être, le seul parmi ceux qui vivent sur terre, dans les eaux, dans
les airs, qui a une seule voix, une seule façon de parler, une seule nature, mais
qui a deux pieds, trois pieds et quatre pieds, et dont la vitesse des membres
est la plus lente dès qu’il s’appuie sur le plus grand nombre de pieds ? »
(énigme de la Sphinge).
Prévenus par un oracle que leur fils tuerait son père et épouserait sa mère,
Laios et Jocaste bannissent Œdipe. Devenu adulte, celui-ci tue un inconnu
qui lui dispute le passage et dont il ne connaît pas l’identité. Après avoir
trouvé la bonne réponse à l’énigme de la Sphinge, il délivre Thèbes et il est
couronné roi. Il épouse la reine veuve dont il saura plus tard qu’elle est sa
propre mère et lui donne quatre enfants, parmi lesquels Antigone. Lorsqu’il
apprend la tragique vérité, il se crève les yeux et, accompagné d’Antigone,
erre par le monde jusqu'à ce qu’il en soit mystérieusement soustrait.
Le drame se déroule en trois lieux et en trois phases. La femme de la
première phase est sa mère physique, c’est le temps de l’éducation, du retrait
dans le giron de l’ « être ». La figure féminine est celle de sa mère protectrice
qui tient à distance tout ce qui pourrait lui être fatal et qui lui donne son
amour sans condition, sans rien exiger en retour.
Au cours de la deuxième phase, la femme est partenaire et adversaire. La
mère devient épouse. Le conscient masculin se développe, le conflit éclate
lorsque la femme n’est plus identifiée à la mère. Avec Jocaste, Œdipe adulte
vit l’élément féminin dans sa conflictualité mère-épouse. « La féminité se
révèle être très ambivalente, elle engendre la vie et tue, elle soutient et
détruit, elle attire et repousse. » Les deux extrêmes se cachent sous une seule
et même représentation physique.
La troisième phase est la mort de Jocaste, « l’élimination du dragon »,
autrement dit la libération de l’aspect dévorateur de la grande déesse. Le
chemin est libre, la conscience de soi du héros est centrée, cristallisée, il peut
rencontrer la femme sans risque, et donc sans crainte. L’inceste appartient à
la deuxième phase de la vie et il est inévitablement lié à un effroyable
sentiment de culpabilité. Or, la culpabilité est toujours un gage de
connaissance : Œdipe re-connaît sa mère en Jocaste, sa culpabilité lui est
révélée. L’inceste ne devient fécond que par la connaissance - en d’autres
termes : « Notre vie dans le monde reste stérile tant que nous n’en discernons
pas la structure réelle ». La troisième figure féminine est Antigone : « Elle
s’occupe d’Œdipe et le soutient sans être sa mère, elle l’aime sans être objet
de désir. Elle réunit ainsi en elle divers aspects de la féminité et devient une
véritable compagne, une anima qui ne menace pas l’animus mais lui donne
les impulsions nécessaires pour se trouver. Le conscient masculin du soi doit
pouvoir s’en remettre à la force féminine qui le guide, à l’inconscient, de
même que notre conscient a besoin de se frotter aux réalités de la vie pour se
développer. » (DT).
Il convient ici de bien discerner les notions de « moi » et de « soi » (K66K70). C. G. Jung écrit que le « soi » est la totalité, l’harmonie parfaite. Le
« moi » aux multiples couches symbolise l’écartèlement, les polarités.
L’homme qui se laisse écartelé par la polarité perd l’accès à l’unité, il tue
son soi en développant son moi. Le moi commence à jouer le rôle du soi, à
vouloir devenir omnipotent pour être l’égal du soi. Dans toutes les
mythologies, les récits et les légendes où il est question d’un vrai et d’un faux
roi, il faut entendre le « moi » et le « soi », le « moi » étant l’usurpateur et le
« soi » le souverain « légitime ».
Si le « moi » se met au service de la quête du « soi », il ne sait pas que la
connaissance du soi conduira à sa propre mort. L’aveuglement d’Œdipe
signifie symboliquement qu’il ne peut plus porter son regard ailleurs que sur
soi, vers l’intérieur. Aux trois phases du mythe œdipien correspondent trois
regards : le regard vers l’extérieur, le regard « discernant », et le regard vers
l’intérieur. De façon analogue, trois niveaux de conscience peuvent être
distingués : l’inconscient, le conscient et le « surconscient ».
La troisième étape est celle durant laquelle le « soi » se substitue au « moi ».
Concrètement, c’est l’automutilation d’Œdipe. Dès lors, le destin d’Œdipe est
indéfectiblement lié à celui d’Antigone, il s’en remet volontairement à une
femme « du troisième type » (mère, fille, femme solaire). La connaissance du
« soi » a donné à Œdipe la force de se détacher du monde et de se laisser
guider par sa fille Antigone. « Œdipe a trouvé la réponse à l’énigme (de la
Sphinge), il a dévoilé le mystère de l’être humain. Le monde des immortels
s’ouvre à lui et le rend lui-même immortel. L’humain devient divin ».
« C’était un messager des dieux, la terre s’est ouverte et doucement l’a pris
en son sein. L’Homme est soustrait du monde sans souffrances, sans
maladies, il est dans la béatitude comme jamais homme ne le fut. Cela peut
paraître fou à certains et je ne peux pas convertir ceux qui se croient plus
sages. »
Thorwald Dethlefsen est persuadé que la tragédie grecque peut être un moyen
utile à l’homme d’aujourd’hui « et je ne saurais en nommer d’autre dont
l’effet me semblerait plus fort ni même équivalent. »
Un mythe est une métaphore. Prise au pied de la lettre, la tragédie d’Œdipe
est sans conteste une triste histoire. Aussi faut-il en chercher le sens non dans
ce qu’elle a de superficiel mais dans le message ; un message des dieux qui
n’est pas transmis en clair et dont les images doivent être décryptées,
l’homme doit essayer de comprendre les images qu’il véhicule. Le sort
d’Œdipe n’est certes pas enviable, c’est peut-être pour cela qu’on ne se donne
pas la peine de déchiffrer l’énigme de la Sphinge, alias Œdipe. Pourtant, tout
homme en quête marche sur ses traces. Beaucoup d’entre nous abandonnent
dès que surgissent les premières difficultés, ils ne veulent pas franchir toutes
les étapes. Ce n’est qu’au bout du périple qu’Œdipe atteint à la connaissance,
symbolisée par un acte d’automutilation. Un acte a priori incompréhensible
qui symbolise l’inversion des valeurs au moment de son passage du monde
physique au monde spirituel. C’est aussi l’instant où Œdipe renaît dans le
monde de l’être en compagnie de son épouse solaire, Antigone.
Œdipe, c’est le combat existentiel de l’homme, sa tentative permanente
d’atteindre à la connaissance, à la vérité du créateur, pour pouvoir revenir
vers Lui. Tout chercheur est un Œdipe.

Documents pareils