Rupture du ligament croisé antérieur chez l`enfant
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Rupture du ligament croisé antérieur chez l`enfant
Index6interieur2coulok 28/07/05 11:18 Page 4 M ise au point Rupture du ligament croisé antérieur chez l’enfant en période de croissance Ph. Landreau Bales CP, Guettler JH, Moorman CT – Anterior cruciate ligament injuries in children with open physes : evolving strategies of treatment. Am J Sports Med 2004 ; 32 : 1978-85. Résumé La rupture du ligament croisé antérieur (LCA) est une des lésions les plus fréquentes en traumatologie du sport. Elle représente 250 000 cas par an aux états-Unis. L’incidence des ruptures du LCA chez l’enfant, en excluant les arrachements des épines, représente 3,3 % de la totalité des ruptures. C’est donc une lésion rare par rapport à celle survenant chez l’adulte, mais qui pose des problèmes spécifiques. Le traitement fonctionnel a montré ses insuffisances et le traitement chirurgical a un potentiel nocif sur les cartilages de croissance. Nous n’aborderons ici que les ruptures du ligament lui-même, sans considérer les arrachements osseux. et 100 % à 16 ans. Il a également été noté que la portion centrale du cartilage de croissance tibial se ferme plus tôt que la portion périphérique, ce qui est un élément important à considérer pour la réalisation du tunnel tibial. La croissance est généralement complète à 14 ans chez la fille, plus tard vers 16 ans chez le garçon. Plusieurs méthodes sont utilisées pour évaluer la maturation du squelette chez l’enfant, incluant les radiographies simples du genou, l’âge osseux sur une radiographie de la main, la classification de Risser sur une radiographie de bassin et les stades de maturation sexuelle de Tanner. Anatomie fonctionnelle Les deux ménisques jouent un rôle important dans la protection du cartilage lors des contraintes liées à l’appui. Il a été montré que les ménisques peuvent transmettre jusqu’à 60 % des contraintes en compression lors de la marche : 70 % pour le ménisque latéral, 50 % pour le ménisque médial. Lorsque le ligament croisé antérieur (LCA) est normal, les ménisques contribuent peu à la stabilité antéro-postérieure. Dès que le LCA est déficient, ils agissent, en particulier le ménisque médial, comme stabilisateurs secondaires du fait de leur rôle de cale, ce qui explique les lésions méniscales secondaires, en particulier médiales. Il a été montré que les pics de contrainte augmentent respectivement de 40 % et de 700 % après méniscectomie partielle et totale. Dans ce cas, il existe un risque de lésion dégénérative prématurée, particulièrement important si la lésion est survenue tôt dans la vie du patient. L’anatomie et l’évolution des cartilages de croissance sont des éléments à prendre en considération au cours du traitement d’une rupture du LCA. C.T. Behr et al., en faisant une étude IRM post mortem et in vivo, ont montré que la position over-the-top correspond au cartilage de croissance fémoral distal. T. Sasaki et al., également par étude IRM, ont établi la relation entre le taux de fermeture des cartilages de croissance fémoral et tibial et l’âge. Ils retrouvent en moyenne 0 % à 11 ans, 5 % à 12 ans, 34 % à 13 ans, 53 % à 14 ans, 94 % à 15 ans Traitement des ruptures du LCA chez l’enfant Depuis les années 80, plusieurs équipes se sont intéressées au traitement de ces lésions car leur incidence a augmenté et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la communauté médicale est plus sensibilisée et les moyens diagnostiques se sont améliorés ; ensuite, la modification des habitudes sportives est certainement le facteur prédominant : les enfants sont plus sportifs qu’il y a 20 ans et surtout ils pratiquent à un haut niveau des sports sollicitant le genou de façon importante. Traitement fonctionnel Les différentes études de la littérature montrent que le traitement fonctionnel est insuffisant. Les enfants non opérés 4 28/07/05 11:18 Page 5 restent le plus souvent instables (9 sur 16 pour J.R. McCarroll, 17 sur 18 pour H. Mizuta) et peu d’entre eux reprennent leur sport initial au même niveau. Le nombre de lésions méniscales initiales est important (13 sur 18 pour H. Mizuta) et, surtout, les lésions méniscales secondaires sont fréquentes. Il en est de même pour les lésions cartilagineuses. P.M. Aichroth et al. ont même montré des signes dégénératifs présents à 72 mois de recul chez 10 enfants sur 23, après rupture du LCA à l’âge moyen de 12,5 ans. Ainsi, les données de la littérature mettent en évidence que, non seulement le traitement fonctionnel ne permet pas aux jeunes patients de poursuivre le sport, mais qu’il augmente le risque de lésions méniscales et cartilagineuses secondaires. Il est donc logique de vouloir stabiliser chirurgicalement le genou, mais le risque pour les cartilages de croissance fait mettre en balance les risques de lésions méniscales et cartilagineuses, d’une part, les risques d’épiphysiodèse, d’autre part. ® DR Index6interieur2coulok Contrôle radiographique à 8 mois d’une ligamentoplastie du genou par greffon de tendon rotulien à la fin de la croissance. Traitement chirurgical Passer au travers d’un cartilage de conjugaison fait peser le risque important d’épiphysiodèse complète, avec comme conséquence une différence de longueur des deux membres inférieurs, ou d’épiphysiodèse partielle qui peut aboutir à une déviation angulaire du membre. Les sutures du LCA ont montré leurs limites chez l’enfant comme chez l’adulte. Les plasties extra-articulaires ont également été décevantes. J.R. McCarroll montre, sur 10 enfants ayant eu une plastie extra-articulaire, des résultats médiocres avec persistance de dérobements et des lésions méniscales secondaires. D’autres techniques, évitant le cartilage de croissance, ont été proposées. A.W. Parker et D. Drez réalisent une tranchée tibiale antérieure, au-dessus du cartilage, et positionnent le transplant over-the-top au niveau du fémur. Ils rapportent des résultats satisfaisants sur une petite série. Le problème est lié à l’absence d’isométrie du transplant et au risque de conflit antérieur. Le choix du transplant est important. Le greffon rotulien, os-tendon-os, largement utilisé chez l’adulte, a l’inconvénient de réaliser un prélèvement sur la tubérosité tibiale antérieure avec le risque d’épiphysiodèse à ce niveau et de recurvatum résiduel. En outre, une fois fixé, le greffon osseux est souvent au niveau du cartilage de croissance. Certains auteurs préfèrent pour ces différentes raisons les allogreffes, mais le risque de transmission de maladies virales, en particulier, n’est pas négligeable à cet âge. Les ischio-jambiers représentent donc, dans ce sens, une très bonne alternative. Même si peu d’études rapportent les résultats des reconstructions intra-articulaires des ruptures du LCA chez l’enfant, au total seulement 2 cas d’anomalies de croissance ont été publiés. A.B. Lipscomb et A.F. Anderson en rapportent un cas sur 24 patients ayant eu un tunnel tibial traversant le cartilage de croissance et un positionnement over-the-top du transplant au niveau du fémur. La différence de longueur consécutive (2 cm) serait due à des agrafes utilisées pour sécuriser la fixation. D’autres auteurs réalisent une technique identique à celle de l’adulte. P.M. Aichroth et al. réalisent une ligamentoplastie transépiphysaire chez 45 patients âgés en moyenne de 13 ans. Il n’y a aucune complication de type épiphysiodèse, mais les résultats sont globalement moins bons que chez l’adulte. Les auteurs expliquent cette différence de résultats par la moindre compliance des enfants en termes de rééducation. P.H. Edwards et W.A. Grana retrouvent des résultats similaires. Ils recommandent de réaliser le tunnel tibial un peu plus vertical que chez l’adulte. En marge des études de la littérature, une enquête datant de 2002 (Herodicus Society and the ACL Study Group) a rapporté 15 anomalies de croissance après ligamentoplastie du LCA chez l’enfant. Les causes principales étaient le greffon osseux ou le système de fixation au niveau du cartilage de croissance fémoral et la réalisation d’un tunnel large au niveau tibial. Le risque est réel. La difficulté est donc de prendre une décision thérapeutique risquée chez un enfant dont on sait que la restriction des activités physiques est souvent difficile. 5 Index6interieur2coulok 28/07/05 11:18 Page 6 M ise au point Nos connaissances demeurent néanmoins incomplètes en ce qui concerne l’effet d’un tunnel passant au travers du cartilage de croissance. D.M. Stadelmaier et al. ont réalisé des tunnels reproduisant le trajet d’un LCA chez 8 chiens au squelette immature : 4 tunnels sont remplis d’un transplant de fascia lata, 4 sont laissés vides. Aucune épiphysiodèse n’est observée dans le groupe fascia lata ; une épiphysiodèse partielle survient dans le groupe tunnel vide. D’autres études de la littérature vont dans ce sens. Les auteurs de cette mise au point proposent leur technique habituelle : utilisation des ischio-jambiers, tunnel de 7,5 mm maximum, tunnels mis en place en position « habituelle » à travers les cartilages de croissance, ne pas toucher à la virole périchondrale postérieure du fémur, fixations à distance (endobouton fémoral, agrafe et bouton tibiaux), réalisation de radiographies peropératoires pour vérifier l’absence de matériel au niveau du cartilage de croissance. mauvaise compliance, soit en raison d’habitudes de la vie quotidienne malgré les précautions prises en termes sportifs. Il faut alors envisager une reconstruction du LCA, avec les techniques de sécurité actuellement admises, et accepter le risque pour le cartilage de croissance face au risque pour les ménisques et donc pour le cartilage articulaire. Ainsi, cette pathologie conduit souvent à un dilemme thérapeutique : choisir le risque pour le cartilage de croissance ou pour le cartilage articulaire ! Bibliographie sélective Aichroth PM, Patel DV, Zorrilla P – The natural history and treatment of rupture of the anterior cruciate ligament in children and adolescents : a prospective review. J Bone Joint Surg Br 2002 ; 84 : 38-41. Andrews M, Noyes FR, Barber-Westin SD – Anterior cruciate ligament allograft reconstruction in the skeletally immature athlete. Am J Sports Med 1994 ; 22 : 48-54. Bisson LJ, Wickiewicz T, Levinson M, Warren R – ACL reconstruction in children with open physes. Orthopedics 1998 ; 21 : 659-63. Mise au point intéressante et assez bien documentée d’un sujet qui pose problème. Jusqu’à une période récente, la rupture du ligament croisé antérieur (LCA) chez l’enfant en période de croissance était synonyme de traitement fonctionnel en raison des risques de la chirurgie pour les cartilages de croissance. On sait maintenant que cette lésion ligamentaire aboutit, en l’absence de traitement, à des lésions méniscales puis cartilagineuses, au-delà de la limitation qu’elle peut entraîner chez un enfant très sportif. Le conseil de « limiter les activités sportives de l’enfant » ou « pas de sport en attendant l’intervention » est assez théorique car un enfant, même privé de sport (si cela est réellement possible en pratique !), continue à solliciter son genou du fait même de sa vie quotidienne ludique. Hormis pour certains jeunes patients très disciplinés, c’est une différence notable avec l’adulte. Une attitude de plus en plus agressive s’est ainsi développée au fil de ces dernières années, s’appuyant sur le fait qu’il faut comparer les risques pour le cartilage de croissance d’un côté et ceux pour les ménisques et le cartilage de l’autre. Ces arguments sont recevables ; encore faut-il respecter les principes chirurgicaux de prudence rappelés dans cet article. En pratique, rien n’est systématique, comme d’ailleurs chez l’adulte. Il est parfois possible de faire attendre l’enfant après une rupture du LCA lorsque la laxité n’est pas très importante, que l’arrêt sportif (pivot et pivot contact) est bien accepté, et que la vie quotidienne est normale. C’est certainement le meilleur cas de figure pour attendre la fin de la croissance (plus rapide chez la jeune fille) et faire alors une ligamentoplastie dans des conditions normales, comme chez l’adulte, en évitant de voir apparaître les lésions méniscales puis cartilagineuses. Dans d’autres cas, malheureusement assez fréquents, le genou reste instable soit par Fairbank TJ – Knee joint changes after meniscectomy. J Bone Joint Surg Br 1948 ; 30 : 664-70. Hawkins RJ, Misamore GW, Merritt TR – Followup of the acute nonoperated isolated anterior cruciate ligament tear. Am J Sports Med 1986 ; 14 : 205-10. Kannus P, Jarvinen M – Knee ligament injuries in adolescents : eight year follow-up of conservative management. J Bone Joint Surg Br 1988 ; 70 : 772-6. Kocher MS, Saxon HS, Hovis WD, Hawkins RJ – Management and complications of anterior cruciate ligament injuries in skeletally immature patients : survey of the Herodicus Society and the ACL Study Group. J Pediatr Orthop 2002 ; 22 : 452-7. Lipscomb AB, Anderson AF – Tears of the anterior cruciate ligament in adolescents. J Bone Joint Surg Am 1986 ; 68 : 19-28. McCarroll JR, Shelbourne KD, Porter DA, Rettig AC et al. – Patellar tendon graft reconstruction for midsubstance anterior cruciate ligament rupture in junior high school athletes : an algorithm for management. Am J Sports Med 1994 ; 22 : 478-84. Mizuta H, Kubota K, Shiraishi M, Otsuka Y et al. – The conservative treatment of complete tears of the anterior cruciate ligament in skeletally immature patients. J Bone Joint Surg Br 1995 ; 77 : 890-4. Parker AW, Drez D, Cooper JL – Anterior cruciate ligament injuries in patients with open physes. Am J Sports Med 1994 ; 22 : 44-7. Stadelmaier DM, Arnoczky SP, Dodds J, Ross H – The effect of drilling and soft tissue grafting across open growth plates : a histologic study. Am J Sports Med 1995 ; 23 : 431-5. Tanner JM – The development of the reproductive system. In Growth at Adolescence. 2nd ed. Blackwell Scientific, Oxford 1962 ; 28-39. 6