Une toile de maître à la photocopieuse
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Une toile de maître à la photocopieuse
Page 1 sur 1 Série Limitée N°105 du 17 fevrier 2012 Page n° 54 BUZZ Une toile de maître à la photocopieuse L'art contemporain est tellement à la mode qu'il investit aussi les entreprises. Pour le bon plaisir des patrons collectionneurs, mais aussi de leurs employés. Il est apparu dans les magazines en octobre 2010. Du moins dans les pages culture. Car cela fait déjà quelques années qu'Édouard Carmignac s'est fait un nom dans le monde de la finance. Mais en sponsorisant l'exposition « Basquiat », l'homme d'affaires a brusquement attiré les projecteurs sur lui. On découvrait ainsi son bureau, place Vendôme, où le gestionnaire a accroché ses toiles préférées. Il faut dire que recevoir ses visiteurs sous les regards de Lénine et de Mao, immortalisés par Warhol, doit créer un bon climat de négociation. Mais Édouard Carmignac n'a pas agi en fin stratège, il est véritablement passionné. L'homme a commencé à collectionner lorsqu'il était étudiant, a croisé Basquiat à New York dans les années 1980, et quand il a décidé de montrer sa collection, son désir était surtout de faire partager ses goûts à ses collaborateurs. « Je souhaitais qu'ils puissent travailler dans un cadre personnalisé. Aujourd'hui, les oeuvres d'art font partie de la vie de l'entreprise. Avec le temps et la fréquentation de certains tableaux, leur regard évolue. » Pour Nathalie Gallon, en charge de l'accrochage et de la conservation des oeuvres, « quand de nouvelles pièces arrivent, tout le monde s'y intéresse ». Aujourd'hui, la collection compte 150 oeuvres et une quinzaine d'autres s'y ajoutent régulièrement chaque année. Le plaisir dans le travail Une collection d'entreprise qui témoigne donc avant tout du goût du PDG. C'est aussi le cas pour Laurent Dumas. Le fondateur du groupe immobilier Emerige a installé une partie de ses oeuvres dans ses locaux de la rue de Choiseul. « Cela s'est fait progressivement depuis six ans. On associe ainsi notre activité à la création. » On trouve donc dans l'entrée une sculpture de Sunagawa et une autre de Claire Morgan. Dans la salle de réunion, deux têtes de David Mach dialoguent avec une oeuvre de Mark Dion. Dans son bureau, Laurent Dumas travaille entouré de tableaux de Philippe Cognée, Martin Barré et Jorge Queiroz. Une philosophie partagée par Thierry Gillier, le fondateur de Zadig & Voltaire, collectionneur depuis toujours. « À 18 ans, j'étais en stage chez Christie's, à New York, c'est là que j'ai pris le virus. » Il a transformé les 1 700 mètres carrés d'un immeuble du xviie siècle de la rue Saint-Roch en petit musée privé. Pour preuve, l'énorme caisse qui trône dans l'entrée, en provenance de la Paula Cooper Gallery. Dans la salle de réunion, des oeuvres de Christopher Wool, Tatiana Trouvé ou Daniel Firman cohabitent avec une toile de Penck. La cuisine est décorée d'un grand Buren rouge. Avec un impact sur la créativité ? « Fatalement, l'art nourrit la création, et je pense que les gens qui travaillent avec moi sont sensibles à cet environnement, cela leur donne de l'importance. » Pour Emmanuelle de Noirmont, « cette génération d'hommes d'affaires incarne le renouveau de la collection d'entreprise. Historiquement, ce sont les grandes sociétés comme Renault, les banques et les compagnies d'assurances qui ont commencé à acheter. Maintenant, elles sont rejointes par des entrepreneurs qui veulent à la fois profiter de leur collection et y associer leurs employés ». De son côté, la Société générale a compris depuis longtemps que l'art était un moyen d'agrémenter le cadre de vie des salariés. Initiée par son PDG Marc Viénot en 1995, la collection compte aujourd'hui 350 oeuvres originales et 700 lithographies. Et si elle s'enorgueillit de quelques grands noms, tels Soulages, Alechinsky, Olivier Debré ou Zao Wou-Ki, elle s'intéresse dorénavant beaucoup aussi aux scènes artistiques émergentes. « C'est là que sont nos filiales : Europe de l'Est, Asie, Moyen-Orient », commente Hafida Guenfoud-Duval, directrice du mécénat culturel. Le plaisir dans le travail, cela pourrait être le mot d'ordre du groupe Pernod Ricard qui, depuis 1975, passe commande à des artistes. Mais, cette année, le groupe est allé encore plus loin dans la démarche, en proposant à ses salariés de participer à l'oeuvre d'art en question : dix-huit d'entre eux, soit un pour mille, ont en effet servi de modèles au photographe Denis Rouvre. L'art ou la nouvelle ivresse des travailleurs. D.R. ; ÉRIC JANSEN ; MARTINE BECK COPPOLA PAR ÉRIC JANSEN Tous droits réservés - Les Echos 2012 http://www.lesechos.fr/imprimer.php?chemin=/archives/2012/SerieLimitee/00105-02... 05/10/2012