PRIVATISATION DE GAZ DE FRANCE

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PRIVATISATION DE GAZ DE FRANCE
Privatisation de Gaz de France
L’alibi de la sécurité d’approvisionnement de la France
Face à la levée de boucliers et aux interrogations nombreuses relatives à la privatisation de
Gaz de France, les pouvoirs publics essaient de mettre en avant de nouveaux arguments en
faveur de cette privatisation, qui constituerait pourtant un reniement de la parole donnée aux
gaziers et électriciens par un gouvernement dont Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin
étaient déjà membres.
Après avoir donné dans le « patriotisme économique », argument anti-européen et pour le
moins étonnant lorsqu’il s’agit de défendre une entreprise qui sur le plan énergétique est à
90% belge ; les pouvoirs publics mettent aujourd’hui en avant l’argument de la sécurité
d’approvisionnement de la France.
La présente note vise à montrer que :
- Si la sécurité d’approvisionnement en gaz de la France et même de l’Europe est une
vraie question ; la résolution des problèmes rencontrés en ce domaine suppose un
réexamen des directives européennes (I)
- Alors que la privatisation de Gaz de France ne résoudrait nullement ce problème et
fragiliserait au contraire encore plus la position de notre pays (II). Bref, il s’agit d’une
mauvaise réponse à une bonne question
I.
La garantie de la sécurité d’approvisionnement de la France et de
l’Europe en gaz implique de revoir l’équilibre général des
directives européennes :
1. L’ouverture des marchés en gaz au plan européen se déroule dans un contexte :
- Où l’Europe est de plus en plus dépendante de ressources extra communautaires
(on va vers les 2/3 de dépendance) ;
- Où les pays fournisseurs restent organisés sous forme de monopole (Gazprom
russe ou Sonatrach algérienne…);
- Où la part du gaz dans la production d’électricité est appelée à croître car c’est la
source d’énergie la plus facile à rentabiliser à court terme ce qui fait que la
croissance de gaz va être largement tirée par celle de l’électricité entraînant un
gaspillage important de ressources primaires ;
- Où de nouveaux pays (Chine et Inde) ont des besoins énormes en matière
énergétique et donc aussi en gaz.
2. Face à cela, l’Europe s’est démunie :
- elle a supprimé les monopoles d’importation au bénéfice des entreprises
européennes telles que Gaz de France ; fragilisant les monopoles d’achats alors
que les vendeurs restaient organisés sous forme de monopole !
- elle a contesté la part des contrats de long terme (contrats dits « take or pay »)
passés avec les fournisseurs, qui étaient pourtant fondés sur une logique de
« gagnant-gagnant » au profit d’une logique de marché de court terme, accentuant
la volatilité des marchés ;
- elle a contesté les clauses des contrats existants (clauses dites de destination)
interdisant aux entreprises importatrices de gaz de recéder ce gaz à des pays tiers,
mécontentant les entreprises fournisseurs qui y ont vu une remise en cause des
contrats existants.
Bref, elle a changé unilatéralement les règles du jeu.
3. La réaction des russes et de certains pays producteurs ne s’est pas faite attendre. Outre
des velléités récurrentes de créer une OPEP du gaz, les pays vendeurs et notamment les
russes
- Ont renforcé la protection de leurs entreprises (projet de loi en cours à la Douma
visant à instituer de jure un monopole d’exportation),
- Insisté sur leur volonté de trouver de nouveaux débouchés fondés sur des règles
stables et non fixées unilatéralement ;
- Et surtout, ils ont aujourd’hui la volonté d’aller vers l’aval gazier : cela s’est traduit
par des partenariats en Allemagne avec Wingaz voire par la volonté de lancée une
OPA sur le britannique Centrica, l’ex British Gaz.
4. On le voit, les directives européennes ont totalement déstabilisé le marché gazier. Elles
ont abouti à fragiliser l’Europe et n’ont pas abouti à la baisse des prix attendue. Et pour
cause, comme l’indique la Commission Durieux sur le prix du gaz, le coût des matières
premières représente 47% du prix total du gaz facturé, 45% provenant de l’utilisation des
réseaux et 8% seulement les coûts de commercialisation.
Si on veut donc sécuriser l’approvisionnement gazier de l’Europe et notamment de la France
qui importe tout son gaz, il faut donc revoir ces règles du jeu et introduire à la place de
règles de concurrence qui ont montré leurs limites et même leurs inconvénients, des
mécanismes associant des relations de long terme entre pays fournisseurs et acheteurs tant
l’énergie est un bien stratégique.
En tout état de cause, et même si les règles européennes restaient inchangées, la
privatisation de Gaz de France serait une décision dangereuse qui ne renforcerait en rien la
sécurité d’approvisionnement de la France. En réalité, cet argument a tout d’un prétexte.
II.
La privatisation de Gaz de France :
un mauvais prétexte qui fragiliserait encore plus notre pays dans le gaz :
A. Un mauvais prétexte :
Quels sont les arguments d’aujourd’hui ?
Discours de Dominique de Villepin à Cadarache le 9 juin 2006 :
« Cette indépendance, elle passe par des grands champions industriels. C’est pourquoi je
suis déterminé à avancer dans le projet entre Gaz de France et Suez. Le gouvernement a
engagé une concertation approfondie avec les syndicats sur ce sujet. En faisant émerger le
premier acheteur européen de gaz, ce projet permettra de s’approvisionner à moindre coût
et dans des conditions plus sûres sur les marchés mondiaux. Cela profitera à tous les
Français et leur permettra aussi de réduire leur facture de gaz ».
Même réponse de Thierry Breton à l’Assemblée Nationale le 6 juin 2006 :
« Vous me permettrez de vous dire quels sont ces défis, puisque vous les ignorez : un
marché de l’énergie dont le caractère toujours plus concurrentiel nous impose certains choix
si nous voulons faire face à nos besoins dans le respect de l’intérêt général ; la nécessité de
sécuriser nos approvisionnements ; celle d’accroître notre faculté de peser sur les coûts de
l’énergie ».
Il est absolument inexact de prétendre que la fusion Gaz de France avec Suez - qui
s’assimile de plus en plus dans les faits à une absorption de Gaz de France par Suez (cf le
mode de gouvernance choisi par l’Etat) - renforcerait la sécurité de la France.
Il est d’ailleurs intéressant de noter ce que disait ce même Thierry Breton il y a un an lors de
l’introduction en Bourse de Gaz de France :
« Le secteur de l’énergie connaît depuis quelques années de profondes évolutions. La
sécurité d’approvisionnement des pays de l’Union Européenne exigera dans un avenir
proche d’importants investissements des entreprises du secteur énergétique. Pour cela, Gaz
de France a besoin de disposer de tous les atouts pour se développer »
« L’entreprise bénéficiera d’une augmentation de capital représentant environ 40% de
l’opération. Avec un apport de fonds propres levés auprès d’investisseurs institutionnels,
l’entreprise disposera d’un bilan très solide et de la capacité d’investir ».
Le Ministre Breton avait donc estimé que l’augmentation de capital de 40 % des sommes
levées en Bourse suffisait au développement de Gaz de France. Ou il nous avait menti à
l’époque, ou il nous ment maintenant. Mais rien en termes de besoins financiers n’a changé
depuis un an si ce n’est dans un sens positif puisque Gaz de France a eu en 2005 les
meilleurs résultats de son histoire. De son côté, Suez est plus endettée que Gaz de France
qui a pour sa part des capacités de financement considérables.
On soulignera ensuite que Suez n’a contrairement à Gaz de France pas d’exploration
production alors que Gaz de France produit 10% du gaz qu’elle vend et que de nombreux
projets sont en cours de développement.
On soulignera ensuite que Suez ne fournit actuellement pas la France en gaz. Il est présent
dans quelques pays européens mais aussi aux USA.
On mentionnera enfin que les zones dans lesquels Suez a des relations contractuelles en
termes d’approvisionnements gaziers ne recoupent pas totalement celles de Gaz de France.
En tout état de cause, même si les prix baissaient, il est illusoire de penser que cela se ferait
au bénéfice du consommateur car les prix seraient fonction du marché, les deux entreprises
ayant bien insisté sur le fait que cette fusion créerait de la valeur pour les actionnaires !
B. Une fragilisation de notre pays :
Comme l’indique le Gouvernement dans sa réponse aux syndicats, la minorité de blocage,
quand bien même elle serait prévue dans la loi n’interdit pas une OPA d’entreprises de pays
fournisseurs telles que Gazprom.
C’est ce que celle-ci cherche à faire actuellement avec Centrica. Autrement dit, pour
« sauver » Suez d’une OPA annoncée, on permettrait une OPA sur le nouvel ensemble
incluant le gaz et les portefeuilles de Gaz de France.
Même sans aller jusqu’à l’OPA, rien n’interdit à d’autres entreprises de « ramasser » les
actions en Bourse (pour mémoire, le capital de Suez est détenu à 30% par des « hedge
funds »). Dans ce cas de figure, l’Etat serait également impuissant. Les parlementaires
français sont-ils prêts à prendre ce risque ?
Est-ce que l’énergie n’est-il pas un bien vital, et si oui, ne doit-il pas rester dans les mains de
l’Etat ? Pense t-on un seul instant que les tarifs réglementés, qui avaient toujours été
combattus par Suez pourraient durablement perdurer alors que la nouvelle entreprise serait
privée ? Voilà les questions qu’il convient de se poser.
En réalité, on vient de le voir. L’argument tiré de l’approvisionnement en gaz est inopérant.
On notera d’ailleurs que le dossier de notification remis à Bruxelles par les deux entreprises,
insiste surtout sur le fait que cette fusion permettrait de créer « un concurrent crédible à
EDF ».
Dès lors, les parlementaires vont devoir se prononcer sur :
- Le poids qu’ils veulent donner à leur parole lorsqu’ils se sont engagés à ne pas
privatiser Gaz de France ;
- Le fait de savoir s’il est judicieux de privatiser Gaz de France pour protéger une
entreprise privée mais en mettant la nouvelle entité fusionnée sous la menace elle-même
d’OPA fragilisant ainsi la position de notre pays ;
- Le fait de savoir s’il est cohérent de créer un concurrent privé à EDF dont le
Gouvernement affirme vouloir conserver la majorité du capital.
- Le fait de savoir si le maintien de tarif réglementé en gaz est crédible avec la
privatisation projetée d’autant plus que Bruxelles est hostile à ce qui est ressenti comme une
entrave à la concurrence.
Pour la FNEM-FO, dans ce contexte incertain, la meilleure garantie, c’est de maintenir des
leviers pour l’Etat en matière énergétique en conservant des entreprises publiques.
Paris, le 13 juin 2006.