l`automédication
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l`automédication
26 PRÉVENTION Jeudi 20 novembre 2008 Le Nouvelliste bru DOSSIER CETTE SEMAINE SANTÉ L’AUTOMÉDICATION Pratique dont le succès va grandissant, l’automédication ne devrait jamais être déployée pour traiter des maux chroniques. Les épines du self-service PHARMACOLOGIE Entre autres pour des motifs financiers, l’automédication a le vent en poupe. Reste que cette pratique n’est pas dénuée de tout risque. Au contraire. Existe-t-il des terrains de prédilection pour l’automédication? Quasiment tous les domaines sont touchés. Le plus fréquent a trait à la douleur: maux de tête, arthroses, myalgies. La lutte contre les insomnies et les troubles digestifs, les refroidissements et les fatigues font le lit des tranquillisants, des laxatifs, des antitussifs, des fortifiants, comme des vitamines. Il est plus commode de prendre une pilule que de changer de mode de vie ou de se discipliner, n’est-ce-pas! En outre, l’automédication touche également des zones grises, où l’on achète sous le manteau des produits pour doper ses performances sexuelles ou sportives. Est-ce que l’automédication est influencée par la publicité des fabricants? Certainement, voire même grandement. Beaucoup de journaux n’abordent l’information santé que pour faire vendre. Une étude a montré récemment que 50% des informations sur les médicaments sont inadéquates et 20% carrément dangereuses. Par définition, lorsque l’on parle d’un produit en relevant seulement ses aspects positifs, on trompe le public. Pas seulement le grand public d’ailleurs, mais aussi les médecins. On peut trouver dans la presse médicale spécialisée de nombreux exemples de publicité littéralement scandaleux, où les industriels recourent à l’irrationnel pour inciter le praticien à prescrire. Quoi qu’il en soit, cette déferlante publicitaire a fini par faire 12 EMBALLAGES PAR AN ET PAR HABITANT Professeur Biollaz, peut-on quantifier l’ampleur du phénomène «automédication» en Suisse? C’est difficile, il n’y a pas beaucoup d’études sur le sujet. On dispose néanmoins de certaines données chiffrées. Fait numéro un: environ la moitié des médicaments vendus sur le marché helvétique est en libre accès, c’est-à-dire ne nécessite pas d’ordonnance. Fait numéro deux: en 2007, les produits en libre accès ont représenté un chiffre d’affaires de 693 millions de francs, prix fabrique. Précision, il s’agit de quelque 86 millions d’emballages, soit près de douze par an et par habitant. Le chiffre d’affaires global de ce secteur ne cesse d’augmenter. Il y a quelques années, nous avions fait une étude sur les jeunes et l’automédication. Un sur cinq avait consommé un médicament en automédication dans les quinze jours précédant le questionnaire. Et il s’agissait d’écoliers! Lorsque l’on sait que l’automédication augmente avec l’âge, on imagine sans peine que l’ampleur du phénomène est vraiment très, très large en Suisse... LE MINI QUIZ Les risques Professeur Biollaz, quels sont les prin1cation? cipaux dangers posés par l’automédi- BERNARD-OLIVIER SCHNEIDER S’appuyant pêle-mêle sur une bonne dose de confiance en soi, la ferme impression de maîtriser son sujet, les tentations publicitaires, les offres aguichantes des pharmacies en ligne et la chatoyante perspective d’économiser temps et argent, l’automédication gagne sans cesse du terrain en Suisse. Reste que n’est pas médecin ou pharmacien qui veut. L’aventure n’est pas sans risque: avaler à l’aveugle tisanes ou cachets peut se terminer aux urgences, voire au cimetière. Comment éviter les dérapages incontrôlés? Le point avec le Dr Jérôme Biollaz, professeur de pharmacologie clinique au CHUV à Lausanne. EN CHIFFRES La moitié des médicaments sont en vente libre sur le marché suisse. L’embarras du choix ne rime hélas pas forcément avec efficience. SACHA BITTEL apporté par le traitement. Bref, l’automédication ne saurait reposer que sur un vaste bagage de connaissances. Autre point: il ne faut jamais donner à quelqu’un d’autre un médicament qui vous a été prescrit et dont il vous resterait quelques doses. Par ailleurs, toute prise de produit de façon chronique devrait être supervisée par un praticien. mouche. Beaucoup de personnes n’arrivent plus à imaginer que le médicament peut être nocif, que prendre un cachet peut aggraver le mal. Un exemple-type? Vous avez des brûlures d’estomac, vous avalez un anti-inflammatoire et vous vous retrouvez avec une hémorragie digestive... Venons-en aux assureurs maladie. La possibilité d’opter pour des franchises élevées, voire très élevées, contribue-t-elle à doper l’automédication? C’est probablement un facteur parmi d’autres. Cela étant, lorsque A ce propos, que pensez-vous des consultations par téléphone, que proposent certains assureurs? L’objectif est louable lorsqu’il s’agit d’épargner des consultations inutiles, pour des cas dits bagatelle. Il faut noter que le triage téléphonique est quelque chose de très compliqué. A ma connaissance, ces services en ligne n’ont fait l’objet d’aucune évaluation par un expert neutre en Suisse. Ils peuvent être utiles lorsqu’il s’agit simplement de rassurer un patient. Pour des cas plus graves, par exemple lorsqu’une connaissance de votre passé médical est requise, une consultation en ligne se situera toujours en retrait d’une consultation auprès de son médecin de famille. Sauf à vouloir passer un temps fou au bout du fil! NOTRE EXPERT Dr Jérôme Biollaz Professeur,division de pharmacologie clinique du CHUV l’automédication est pratiquée de manière responsable, elle ne m’inquiète pas. Qu’est-ce qu’une automédication responsable? Elle suppose que celui qui la pratique s’informe de manière sérieuse, auprès de professionnels de la santé tout aussi sérieux. Elle suppose qu’il y ait un diagnostic, si possible exact, du mal que l’on cherche à combattre. Puis il doit y avoir évaluation du bénéfice 61,5 millions Pharmacies millions 3,4 Hôpitaux RE NS IB IL O TE L ts L EN en es, I M N V cam llag 07 E édi ba 20 em en s m par isse e d , n re Su io lib en t u e s rib nt du st ve ven i D en So ur ce :I M S H ea l th G m bH ,H er gi sw i l. 9,2 Que pensez-vous de la médecine dite populaire? Vous entendez les remèdes de grand-mère? Il y en a certains qui ne sont pas dénués de vérité, qui marchent fort bien. Reste qu’on n’en sort pas: il est capital que le médicament, quelle que soit sa forme, corresponde à une indication précise. Et c’est là tout le problème: on en revient à la nécessité incontournable de la justesse du diagnostic de base! Faut-il se méfier des tisanes? Les plantes peuvent avoir des effets puissants. Hélas, millions Drogueries beaucoup de médecins prescripteurs oublient de demander à leurs patients s’ils prennent des tisanes. Ce qui peut millions avoir des effets dramatiques. Médecins Il y a une dizaine d’années, en Belgique, on a ainsi recensé plusieurs cas ayant débouché sur des insuffisances rénales terminales! 11,8 ,8 5 8 Dans le fond, quels bienfaits attribuez-vous à l’automédication? En premier lieu, on observera que les gens qui y ont recours s’intéressent sans doute plus à la santé que la moyenne. Ce qui est une bonne chose, tant qu’ils ne deviennent pas hypochondriaques. Cette pratique se justifie pleinement pour traiter une petite migraine, ou un muscle un peu douloureux après son jogging. Grosso modo, le principal bienfait de l’automédication est économique. On épargne à l’assurance de base un certain nombre de consultations. J’y vois toutefois un gros méfait: celui de banaliser le médicament. On emploie aujourd’hui le «médic» à toutes les sauces, pour n’importe quel bobo, même le plus infime. Cette tendance regrettable ne concerne pas que la médecine traditionnelle. Les médecines douces ne font pas exception. Lorsqu’une maman donne une dragée homéopathique à son enfant pour un mini-rhume, il faut savoir qu’elle l’habitue de facto à l’idée qu’il faut ouvrir un flacon et prendre un cachet pour tout et pour rien. Voilà ce qui est le plus gênant dans l’affaire. Il y a premièrement l’erreur de diagnostic, qui peut retarder l’établissement du traitement correct, avec toutes les conséquences imaginables à la clé. Un traitement incorrect, une erreur dans la posologie ou la durée du traitement sont susceptibles d’aggraver une affection préexistante. En deuxième lieu, il est impératif de lire les notices qui accompagnent les produits: pour savoir à l’avance quels pourraient être les effets indésirables. En se rappelant au passage que jamais un médicament ne présente un profil totalement favorable: la pilule magique n’existe pas! Troisièmement, lorsque l’on suit un traitement prescrit par un médecin, il faut automatiquement se renseigner avant de prendre un produit supplémentaire. Pour illustrer ce propos, il y a d’abord l’exemple frappant d’un transplanté cardiaque qui avait pris en automédication du millepertuis, une plante aux propriétés antidépressives: cela avait abouti au rejet de la greffe, le millepertuis ayant interféré avec les immunosuppresseurs. Dans le même sens, j’aimerais rappeler que le jus de pamplemousse, mais aussi certains jus d’orange ont des interactions avec des médicaments, notamment cardiovasculaires, dont ils «boostent» l’effet mais aussi la toxicité. Quatrièmement, un traitement en automédication ne devrait jamais être pris au long cours, sauf peut-être lorsqu’il s’agit de lutter contre de légères douleurs articulaires. Achèteriez-vous des médicaments 2 sur I’internet? Jamais. C’est une loterie! Enfin, estimez-vous qu’il faudrait 3 être plus favorable à l’automédication en soumettant moins de médicaments à l’ordonnance? A mes yeux, la santé n’est pas un bien de consommation comme un autre. Je souhaite le maintien d’un cadre réglementaire strict. Je sais qu’il y a des pressions pour que cela change. Ce serait une grossière erreur, qui coûterait cher en termes de santé publique. Les USA constituent l’exemple à ne pas suivre: l’automédication y fleurit, notamment parce que des dizaines de millions de personnes n’ont pas d’assurance, mais leur système de santé est au final le plus coûteux de la planète. ADRESSES UTILES http://www.kompendium.ch http://www.hug-ge.ch/Pharmacie/liens_web.htm PARTENARIAT Cette page a été réalisée avec l’appui du Service cantonal de la santé publique Ligue valaisanne contre les toxicomanies