L`expatriation, une épreuve enrichissante
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L`expatriation, une épreuve enrichissante
La Croix -mercredi 27 janvier 2016 Parents&enfants G rands voyageurs, Isabelle et son mari rêvaient depuis longtemps de partir vivre à l’étranger « pour ajouter un peu d’aventure » à leur vie et « découvrir une autre culture ». Ingénieur dans le domaine de la métallurgie, Johann a accepté un poste à Belo Horizonte, dans le Minas Gerais. « Qui ne rêve pas de partir vivre au Brésil ? J’étais loin de me douter que ce serait aussi difficile », confie aujourd’hui Isabelle qui poursuit : « mon mari a une énorme pression sur les épaules, notre fils de 9 ans a beaucoup de mal à s’adapter à l’école et à se faire des amis. Quant à moi, j’ai renoncé à un emploi de cadre territorial dans une mairie pour une liberté… grisante mais déstabilisante ! » Pourtant, cet aveu reste encore tabou. Mondialisation oblige, l’expatriation est souvent considérée comme un passage quasi obligé dans le parcours professionnel des cadres. Les quelque deux millions et demi de Français établis hors de France s’accordent à dire que cette expérience accélère une carrière et constitue une chance pour la famille, notamment pour les enfants qui apprennent d’autres langues et s’ouvrent à d’autres modes de vie. « Certes, mais tout le monde n’a pas les mêmes dispositions à vivre à l’étranger. Déménager est un grand changement, qu’il faut négocier avec chaque membre de la famille », constate la psychologue Magdalena Zilveti Chaland, auteur de Réussir sa vie d’expat’(1). Les clés de la réussite ? Mûrir son projet et le préparer ensemble. « Trop souvent, constatet-elle, les candidats au départ idéalisent leur expatriation et n’en imaginent que les bénéfices. Pourtant, ce choix implique inévitablement des renoncements, comme s’éloigner de ses proches. » Grâce à Internet, il est possible aujourd’hui d’être en relation quasi quotidienne avec eux. Mais, à trop passer de temps à maintenir le lien avec leur pays d’origine, certains peinent à se recréer un réseau social, à s’intégrer à leur nouvel environnement. « Ils se mettent entre parenthèses, en attendant de retrouver leur vie L’expatriation, une épreuve enrichissante De plus en plus de Français partent s’installer à l’étranger. L’expérience, souvent positive, est parfois vécue difficilement par certains membres de la famille Les enfants d’expatriés développent des qualités et des faiblesses qui leur sont propres. GS/Westend61-GmbH 13 d’avant et ne profitent pas de l’expérience », alerte la psychologue. Renoncer à son travail est également une réalité douloureuse pour de nombreux conjoints d’expatriés. D’après une étude d’Expat Communication publiée en septembre, seulement la moitié d’entre eux retrouvent une activité professionnelle, souvent avec moins de responsabilités. « Pour certaines mères de famille qui n’en peuvent plus du rythme métroboulot-dodo, l’expatriation apparaît comme une issue, pour retrouver de l’oxygène, pour mieux conjuguer vie professionnelle et famille. Mais si on leur avait dit qu’elles allaient sacrifier leur carrière, beaucoup auraient hésité à partir », explique Alix Carnot, directrice des carrières internationales chez Expat Communication, qui propose formation et accompagnement. À trop passer de temps à maintenir le lien avec leur pays d’origine, certains peinent à s’intégrer à leur nouvel environnement. Après huit déménagements en treize ans pour suivre les affectations de son mari, cette mère de quatre enfants connaît bien l’insidieux décalage qui se crée parfois dans les couples expatriés : « Certaines femmes appellent leur mari le ”super-héros”. Alors qu’il était patron d’une succursale bancaire de Saint-Germain-en-Laye, il devient “monsieur Société générale” de Libreville (Gabon) ou de Wuhan (Chine) ! Il travaille douze heures par jour, car la mission est complexe. À la maison, madame se retrouve à gérer seule l’intendance, autrefois mieux répartie dans le couple. Cela peut provoquer frustration et tension, voire un gros coup de blues. » La situation est d’autant plus difficile à vivre que le choc culturel est rude. « La moindre démarche ou course prend un temps fou, déplore Isabelle au Brésil. On doit Suite page 14. La Croix -mercredi 27 janvier 2016 Parents&enfants 14 L’expatriation, une épreuve enrichissante « Tout le monde n’a pas les mêmes dispositions à vivre à l’étranger. Déménager est un grand changement, qu’il faut négocier avec chaque membre de la famille. » témoignages L’expatriation soude les familles « Un projet très fédérateur » Jérémie, père de quatre enfants de 4 à 12 ans Porte-manteaux d’une école française de Tanger, au Maroc. Baptiste de Ville d’Avray/Hans Lucas Suite de la page 13. apprendre tous les codes et automatismes culturels, et mon mari, accaparé par ses propres soucis, n’est pas toujours à l’écoute. » Il est aussi parfois délicat de confier ses difficultés d’adaptation aux proches restés en France. « Le cliché de la ”belle vie” des expatriés reste très présent, alors même que les conditions d’expatriation se détériorent, avec la multiplication des contrats locaux et la diminution de l’assistance fournie par les entreprises », rappelle Magdalena Zilveti-Chaland. On a d’autant moins le droit de se plaindre que la famille élargie supporte mal la séparation : les grands-parents se sentent abandonnés, tandis que les frères Malgré les nombreux défis, le bilan que tirent les familles expatriées est généralement positif. et sœurs peuvent reprocher à celui qui est parti de leur laisser la charge de ces derniers. Pour combattre l’isolement, trouver du soutien auprès d’autres expatriés se révèle crucial. « Avoir repères En chiffres Selon une enquête d’Ipsos (octobre 2015), près de la moitié des expatriés ont quitté la France depuis plus de six ans, mais la plupart d’entre eux conservent des liens étroits avec leur pays d’origine : 71 % un ”parrain” capable d’expliquer les démarches administratives, ou un guide recensant astuces et bonnes adresses permet de se concentrer sur l’essentiel : le bienêtre psychologique de la famille. C’est sur les mères, le climat de chaleur et d’écoute qu’elles recréent, que repose le secret d’une expatriation réussie », assure Anne Trousseau, présidente de la Fiafe (Fédération internationale d’accueil français et francophone à l’étranger), dont les deux cent vingt-cinq structures (dans plus de quatrevingt-dix pays) organisent cafésrencontres, activités ludiques ou sportives, voire aide psychologique, comme après les attentats de Paris. Malgré les nombreux défis, le bilan que tirent les familles ex- parlent français tous les jours, 42 % suivent l’actualité politique, 63 % consomment des produits alimentaires français, 52 % se sentent avant tout citoyens français. Quelques sites : www.femmexpat.com www.fiafe.org www.ufe.org (Union des Français de l’étranger) patriées est généralement positif. Pour certains couples, ce nouveau départ constitue l’occasion de se retrouver. « Partir nous oblige à revoir tous les grands choix tacites du couple : dans quelle maison veut-on habiter ? Quelle éducation veut-on transmettre à nos enfants ? Quelle carrière vise-t-on ? C’est une chance pour ne pas s’enliser dans la routine et se choisir à nouveau », assure Alix Carnot, qui note aussi combien l’expérience resserre les liens familiaux : « À l’étranger, on compte beaucoup les uns sur les autres. On développe une complicité particulière faite de souvenirs et de secrets partagés. C’est irremplaçable. » Cécile Jaurès (1) Sorti en août 2015 aux Éditions Eyrolles. 254 p., 25 €. « Comme ma femme est géologue dans l’industrie pétrolière, nous savions que nous allions, un jour ou l’autre, vivre à l’étranger. Nous étions motivés par l’ouverture d’esprit et le regard critique sur notre mode de vie que ces séjours allaient nous apporter. Nous sommes d’abord partis en Écosse, de 2006 à 2011. Encore petits, les enfants n’ont guère eu de difficultés à s’intégrer et nous revenions souvent en France. Au Gabon, où nous avons emménagé il y a quelques mois, nous nous sentons plus isolés. Notre fils de 7 ans, notamment, a du mal à s’adapter aux méthodes pédagogiques de sa nouvelle maîtresse. Audelà des difficultés, ce projet s’est révélé très fédérateur pour notre famille. Avant le départ, nous avons fait ensemble des recherches sur la géographie, le climat, la monnaie… Nous avons gardé notre maison à Pau pour ne pas les déraciner totalement et emporté de nombreuses photos… et nos instruments de musique ! Jouer ensemble nous aide à nous sentir chez nous. On prend plaisir à essayer de nouveaux sports, à visiter les réserves naturelles du pays… De plus, expérimenter un quotidien moins confortable, rythmé par de fréquentes coupures d’eau ou d’électricité, apprend aux enfants combien nous sommes privilégiés en France. Au final, nous avons plus de temps à consacrer à notre famille. Le plus dur pour moi est d’avoir abandonné mon travail en France. Ingénieur chez EDF, je ne mesurais pas la difficulté de trouver un poste à l’étranger et la perspective du retour m’inquiète. Comment expliquer à un recruteur qu’après une coupure si longue, on est toujours opérationnel ? » « Transporter cet îlot de bonheur que représente le foyer » Anne-Élisabeth, mère de quatre enfants de 3 à 13 ans « Quand on part en expatriation, on plonge dans l’inconnu. On sait ce qu’on perd mais pas ce qu’on trouve. J’ai d’abord suivi mon mari, qui travaille dans les assurances, à Rome, de 2009 à 2013. Ce fut une expérience formidable pour toute la famille. En Chine, où nous habitons depuis deux ans et demi, l’intégration est plus difficile. Nous vivons dans un indéniable confort matériel mais cela ressemble parfois à une prison dorée. J’ai fait mon possible pour transporter l’« isola felice », cet îlot de bonheur que représente le foyer, mais passer des palais romains aux immeubles en construction de Shanghaï, une ville polluée au climat chaud et humide, fut brutal. Ma fille aînée a beaucoup souffert de l’absence de sa meilleure amie, restée à Rome. Les premiers mois, elle lui écrivait sans cesse et ne se liait pas aux autres élèves. À la rentrée scolaire suivante, le fait de ne plus être considérée comme la « nouvelle » lui a redonné confiance en elle. Nous cherchons à faire en sorte que chaque étape soit une source d’enrichissement et nous apprenons tous le chinois. J’organise des déjeuners-conférences au sein du cercle francophone et je réfléchis toujours à mon projet professionnel mais ce n’est pas facile de se réinventer à 40 ans. » Recueilli par Cécile Jaurès La Croix -mercredi 27 janvier 2016 Parents&enfants 15 Prochain dossier : La sexualité chez les jeunes Ballottés d’un pays à l’autre depuis leur naissance, les enfants d’expatriés développent des forces et des faiblesses spécifiques entretien « Des enfants différents des autres » Cécile Gylbert Consultante en interculturel et mobilité internationale Qui sont ces « enfants de la troisième culture » dont vous parlez dans votre livre (1) ? Cécile Gylbert : On les appelle aussi les enfants nomades, multiculturels ou transculturels. Ils ont passé leur enfance dans trois, quatre, voire six pays. Ils ont des amis sur les cinq continents mais ne les voient que rarement. Ils regardent des films en VO, mais n’écrivent pas très bien en français. Contraints de s’adapter à chaque déménagement, ces enfants-là ne s’approprient réellement ni la culture de leurs parents, ni celles des pays où ils ont vécu. Ils finissent par développer leurs propres modèles culturels et modes de pensée. À quels défis doivent-ils faire face ? C. G. : Partageant un style de vie atypique, ils se sentent toujours différents des autres. La plupart intègrent cette singularité à leur personnalité et développent une grande indépendance d’esprit. Leur principale difficulté concerne leur identité, leurs racines. « D’où vienstu ? » est une question qu’ils redoutent, parce qu’ils n’ont pas clairement la réponse. Nombre d’entre eux rencontrent des problèmes de loyauté culturelle : d’un pays à l’autre, les valeurs profondes, liées à la religion, au patriotisme ou à l’éducation, changent et parfois se contredisent, ce qui entraîne une confusion dans leur esprit. Contrairement à un enfant d’immigré qui va à tout prix chercher à s’intégrer, un enfant expatrié attend toujours inconsciemment le retour dans son pays d’origine ou le prochain déménagement. Cette forme d’instabilité le fragilise. Certains ont des difficultés à « s’installer », à se faire de nouveaux amis, une manière de se protéger contre la souffrance d’une prochaine séparation. La plupart peinent aussi à se projeter dans l’avenir et peuvent même, à l’âge adulte, développer un besoin de mouvement perpétuel. Dès que cela ne se passe pas bien dans leur mariage ou leur travail, ils s’en vont ! pistes Pour aller plus loin Selon le palmarès établi par l’enquête d’InterNations, vaste réseau social rassemblant plus d’un million et demi d’expatriés à travers le monde, les meilleurs endroits pour vivre avec des enfants seraient l’Autriche et la Scandinavie, tandis que le Moyen-Orient, la Chine et l’Inde se placent en bas de peloton. À chaque âge sa barbe ! Tomas Rodriguez/plainpicture/Fancy Images « C L’expatriation permet-elle toutefois de développer des compétences précieuses ? C. G. : Ces enfants « nomades » Recueilli par Cécile Jaurès (1) Les Enfants expatriés. Enfants de la troisième culture, Éditions du Net, 225 p., 16 €. Ils veulent se laisser pousser la barbe Plus d’un tiers des parents inscrivent leurs enfants dans une école internationale (surtout en Asie et au Moyen-Orient), un autre tiers choisit une école publique locale, notamment aux États-Unis et en Europe. Les écoles privées locales sont surtout prisées en Amérique du Sud. Caméléons culturels, ils développent également le sens de l’observation : ils décryptent vite les codes et savent communiquer très facilement avec n’importe qui… sont parfaitement adaptés à notre monde globalisé par leur ouverture d’esprit, leur multilinguisme, leur capacité d’adaptation… Ils sont capables d’analyser un problème sous plusieurs angles, avec une perspective plus large. Cette pensée « hors du cadre » constitue une grande force. Caméléons culturels, ils développent également le sens de l’observation : ils décryptent vite les codes et savent communiquer très facilement avec n’importe qui… Toutefois, comme ils ont intégré que tout peut s’arrêter à tout moment, ils demandent, dans leur mode de relation, un degré d’intimité rapide. Cela crée parfois des difficultés avec les enfants locaux, qui ne vont pas se livrer du jour au lendemain. L’important est de reconnaître et de comprendre en quoi ces enfants sont différents des autres, de prêter attention à leurs ressentis, et de les accompagner au mieux dans les transitions en communiquant beaucoup. #AirDuTemps Effet de mode oblige, de plus en plus d’adultes ont arrêté de se raser. Du coup, les plus jeunes aussi se rêvent barbus Elektrons 08/plainpicture Il est important de préparer les enfants à l’expatriation. On peut effectuer avec les plus grands des recherches documentaires sur le pays. Proposer aux plus petits des activités pour les aider à visualiser ce qui les attend : dessiner la maison qu’ils auraient envie d’habiter dans le pays d’accueil, façonner en pâte à modeler les gens de là-bas… Quand ils changent de pays, ils peuvent fabriquer une boîte contenant des souvenirs : une feuille du jardin, un crayon donné par la maîtresse ou la photo d’un copain. Cela permet de faire le tri dans leurs pensées et de créer une continuité d’un pays à l’autre. ’était trop rigolo, quand mon frère Paul, 22 ans, s’est laissé pousser la barbe. Elle était rousse, alors qu’il est brun ! », raconte Claire, 14 ans. De fait, sur la photo qui apparaît sur le smartphone de la jeune fille, Paul apparaît tout sourire, le visage encadré d’un fin collier de barbe. « Mes parents aiment bien », résume Claire. La barbe de Louis a reçu un accueil plus tiède. « Mes parents disent que je ressemble à un djihadiste, raconte, goguenard, le jeune homme. Moi, je trouve juste ça beaucoup plus pratique que le rasage. » Depuis quelques années, la barbe fait son grand retour dans les chaumières. Nul n’aurait pourtant parié sur le retour des rouflaquettes et boucs il y a dix ans. Mais force est de constater que les barbiers fleurissent dans les villes. À l’origine du phénomène, les « hipsters », comprenez des jeunes hommes à la fois « branchés » et attachés à une esthétique rétro. Par exemple, un hipster vit avec son iPad à la main, mais ressort aussi une garde-robe digne des années 1970. En général, il arbore une barbe nourrie et longue, accompagnée d’une moustache très nette et d’une coiffure plutôt courte. Cette esthétique très en vogue séduit de nombreux adolescents. Pourtant, « à chaque âge sa barbe, prévient Alain, seul maître barbier de Paris. Il faut attendre d’avoir 25 ou 30 ans pour que celle-ci soit envahissante. » Il ne sert donc à rien de suivre les pseudo-conseils qui fleurissent sur Internet censés accélérer la pousse des poils. Ils peuvent même se révéler dangereux. Certains sites conseillent ainsi de prendre un vasodilatateur, le Minoxidil. « Mais il s’agit d’un médicament, qui ne doit pas être pris sans avis médical », prévient le docteur Philippe Assouly, dermatologue. « Mieux vaut opter pour une barbe moins nourrie, comme une barbichette à la Leonardo DiCaprio ou un bouc à la Brad Pitt », conseille Alain. À notre avis Beaucoup d’adeptes aiment le côté pratique de la barbe comme en atteste, depuis belle lurette, le succès de la barbe de trois jours. Mais aujourd’hui, un peu comme un tatouage, elle est aussi parfois un signe d’appartenance à une tribu urbaine. Cette barbe-là est peut-être en passe de devenir victime de son succès, car… même les pères s’y mettent. Est-ce le début de la fin de la barbe ? Alain reste confiant. « La mode est ce qui se démode, ce qui reste c’est le style », rétorque le maître barbier, citant Coco Chanel. À méditer. Emmanuelle Lucas