Un marché boursier Rocky Balboa

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Un marché boursier Rocky Balboa
Un marché boursier Rocky Balboa
16 février 2007
Paul Dontigny jr., Investissements PDJ
Vous vous souvenez de Rocky? Peu importe la supériorité de l'adversaire, par
magie ou par détermination, il se relevait et trouvait des forces inépuisables d'on
ne sait trop où. C'est un peu ce qu'a fait l'économie américaine depuis quelques
années.
Je tiens le titre de cette chronique d’une lettre financière publiée par John Mauldin où il
décrivait récemment l’économie américaine. Vous vous souvenez de Rocky? Peu
importe la supériorité de l’adversaire, par magie ou par détermination, il se relevait et
trouvait des forces inépuisables d’on ne sait trop où.
C’est un peu ce qu’a fait l’économie américaine depuis quelques années. Mais nous
savons d’où elle prend ses forces par contre. Elle les prend de la dette et de l’argent
imprimé par la Fed, ainsi que de l’aide de divers nouveaux processus économiques
mondiaux trop complexes pour nous. Je vais tenter d’illustrer assez simplement ce qui
se passe sans aller dans les détails.
Une chose est certaine. Il y a des liquidités dans le système en contrepartie de cette
dette record. À cet effet, il y a présentement un sujet à la mode: le «Carry Trade»
japonais. Les investisseurs vendent à découvert des obligations à court terme au Japon
et reçoivent donc l’argent de ces ventes. Il s’agit effectivement d’une forme d’emprunt
déguisé en transaction obligataire. Ils investissent alors cet argent dans des obligations
à long terme américaine par exemple. Ils empruntent donc à moins de 2% et
investissent à 4,5%.
Mais comme toute forme d’emprunt, ces processus de création de liquidités sont
temporaires et risqués. D’autant plus qu’ils sont utilisés à raison de centaines de
milliards de dollars par des arbitragistes et spéculateurs de grande envergure et non par
des investisseurs à long terme. Ce groupe inclut aussi des grandes institutions
financières mondiales qui participent au processus directement (avec leurs liquidités) ou
indirectement (ils investissent dans des fonds ou financent d’autres spéculateurs).
On retrouve ce genre de financier aussi dans les départements de financement
corporatif des firmes de courtage, sur les bureaux de négociateurs, dans les fonds de
capital d’investissement privé et dans les fonds spéculatifs (hedge funds). Ils gèrent tellement d’argent maintenant que
la plupart des investisseurs à long terme comme les caisses de retraite se sentent obligés de maintenir au moins
un suivi de leurs méthodes et agissements puisqu’ils ont la capacité d’influencer les marchés. Ils sont
effectivement devenus des «ils». Ces gens qui «savent quelque chose» ou qui «seront là» pour soutenir les
marchés en cas de besoin grâce à leurs énormes liquidités disponibles.
Déjà, il y a plus de 10 ans, Fisher Black, un des co-inventeurs de la formule d’évaluation des options encore
utilisée de nos jours (Black & Scholes), avait fait part des études qu’il faisait au sujet de la capacité d’influencer
les marchés. Il était alors employé d’une des grandes firmes de courtage américaines. Il tentait de modéliser des
transactions comme la suivante: acheter très rapidement 5 millions d’actions d’un titre qui transige normalement
cette quantité d’actions en une journée et tenter de les revendre en tranches de 250 000 actions tranquillement.
La logique était que le fort volume de 5 millions ferait monter le prix puisqu’il n’y avait pas 5 millions d’actions à
vendre au prix du marché. L’effet secondaire recherché par l’initiateur de la transaction, serait que d’autres
participants au marché croient qu’«un gros investisseur sait quelque chose». Si un important gestionnaire achète
de gros volumes d’un titre, par exemple Warren Buffett, cela incite un nombre important de petits investisseurs à
acheter ce même titre.
L’engouement ainsi créé permettrait de vendre tranquillement les 5 millions sans refaire tomber le titre.
Présentement, c’est ce genre de jeux qui domine les marchés. Et ce n’est là rien de nouveau. Dans les années
20, «ils» étaient composés des banquiers et des grands industriels américains. Aujourd’hui, «ils» incluent ces
deux groupes en plus des fonds spéculatifs, des fonds de capital d’investissement privé, des courtiers et des
spéculateurs privés, et «ils» sont de tous les pays.
Ils utilisent tous les avancements technologiques de modélisation et de transaction par ordinateur, en plus de
l’effet de levier et de l’analyse technique, entre autres. Puisque la majorité des investisseurs et spéculateurs les
surveillent pour tenter de bénéficier du «prochain secteur» qui bénéficiera de leurs liquidités, alors il se crée des
engouements de prix qui s’auto-stimulent.
C’est grâce à ce processus essentiellement spéculatif de création de liquidités que nous sommes témoins de
véritables revirements dignes de Rocky dans les marchés et même dans l’économie. Les faits et les normes
historiques sont tout simplement ignorés. Dans un tel monde, la valeur de l’analyse financière fondamentale est
pratiquement nulle, sauf pour nous indiquer que la seule chose sensée à faire est de ne pas y participer, à moins
d’avoir le goût de spéculer.
Dans l’histoire des marchés boursiers, il y a eu plusieurs vagues de spéculation semblables où la masse et même
les initiés en viennent à croire que la Bourse est protégée par de grands investisseurs puissants et mystérieux.
Ces marchés étaient tous très chers et le résultat a toujours été l’évaporation de capital en bout de ligne, c'est-àdire à la fin du cycle. C’est pourquoi il faut retirer nos capitaux avant cette fin.
Le baron Rothshild et Bernard Baruch (années 20 et 30) ont tous les deux affirmé qu’ils avaient bâti et maintenu
leur fortune en vendant trop tôt. Et M. Baruch avait aussi ajouté qu’il avait en plus l’habitude d’acheter trop tard.
C’est facile comme concept mais psychologiquement très difficile à réaliser. Par contre, c’est à mon avis la
meilleure façon de maximiser le rendement à long terme ET de minimiser le risque, ce qui permet de dormir un
peu mieux. Et n’est-ce pas là le but ultime?