La recherche d`information sous le regard des
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La recherche d`information sous le regard des
LECTURE CRITIQUE La recherche d’information sous le regard des sciences humaines Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Jérôme Dinet Usages, usagers et compétences informationnelles au 21e siècle Collection Traité des sciences et techniques de l’information Hermès Lavoisier, 2008 Cet ouvrage récent réunit les contributions de seize chercheurs issus de différents champs disciplinaires des sciences humaines autour du thème de la recherche d’information abordé sous un angle peu exploré, celui « de l’usager, de ses usages et des compétences informationnelles ». Le présent volume du « Traité des Sciences et Techniques de l’Information », dirigé par Jérôme Dinet, se compose de dix chapitres précédés d’une courte préface rédigée par le coordinateur lui-même, qui rappelle brièvement combien la recherche d’informations est une activité essentielle, voire vitale, parmi toutes les activités humaines. Dans le premier chapitre, au titre en forme de question, « Etre usager de l’information en ligne nécessite-t-il de nouvelles compétences ? » Brigitte Simonnot (CREM, Université Paul Verlaine, Metz) apporte une réponse claire et sans équivoque : « non » affirme l’auteure qui reconnaît pourtant que savoir trouver et savoir comment trouver l’information est devenu aujourd’hui une activité cruciale pour chacun. Elle défend ainsi l’idée d’un accompagnement, par la formation, des usagers de plus en plus nombreux et qui sous-estiment bien souvent la complexité des systèmes d’information qu’ils utilisent. A ce propos, on ignore encore bien des choses sur ces usagers et sur leur comportement souligne la chercheuse, qui voit là autant de nouvelles questions que de pistes heuristiques pour la recherche scientifique. Dans le second chapitre, Alexandre Serres (Urfist de Bretagne Pays de la Loire, Université Haute Bretagne, Rennes) revient sur la question de la formation à la maîtrise de l’information sous un jour particulier, celui de l’école. Mais pour comprendre « sur quoi » et « pour quoi » il faut former les élèves, il est d’abord nécessaire d’analyser les défis propres à la culture informationnelle qui sont posés à l’institution scolaire, estime l’auteur. C’est du moins le détour, très instructif, qu’il prend ici avant d’expliquer que ce qui manque, aujourd’hui, à l’école, est la mise en place d’une véritable politique des technologies favorisant la maîtrise d’une culture informationnelle globale, articulée autour de trois axes : la réalisation pratique, la 508 D&S – 7/2009. Information scientifique connaissance théorique et la distanciation critique des TIC. Le chantier est vaste et surtout urgent. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com C’est dans l’univers des knowledge workers que Gilles Balmisses entraîne ensuite le lecteur, à travers le troisième chapitre consacré au problème de la recherche d’information en entreprise. D’après ce consultant de KnowledgeConsult, la plupart des moteurs de recherche actuellement mis en ligne dans les entreprises sont inefficaces, complexes et pis, ne répondent pas aux besoins d’information à la fois multiples et spécifiques des collaborateurs. Dès lors, devant la massification et la diversité des données, comment organiser et faciliter l’utilisation mais aussi l’accès à l’information ? Pour l’auteur qui considère que la performance de l’entreprise est intimement liée à la gestion de l’information, la solution est dans la mise en œuvre progressive d’une approche globale et transversale : la gouvernance. Là encore, il faut faire vite… Puis, retour à l’école avec le quatrième chapitre dédié à l’éducation à l’évaluation des sources d’information. Parce que les technologies numériques ont modifié notre rapport à l’information et que les sources sont multiples, la formation à la recherche d’information sur Internet doit désormais prendre en compte la question de la crédibilité soutiennent Monica Macedo-Rouet (Scéren, Centre National de Documentation Pédagogique, Poitiers) et Jean-François Rouet (Laboratoire Langage, Mémoire, et Développement cognitif, Université de Poitiers). Toutefois, c’est sans doute parce que le jugement de la crédibilité est une opération complexe que les deux chercheurs insistent également sur la nécessité d’établir des programmes de formation adaptés au contexte et centrés sur le développement et l’acquisition des compétences d’évaluation. A l’avenir chaque utilisateur devra être capable d’évaluer les sources mais aussi de les mettre en relation avec l’information elle-même. En attendant, le lecteur désireux d’en savoir plus sur le sujet pourra toujours se référer à la liste de référentiels de compétences documentaires présentée à la fin de cette contribution. Le cinquième chapitre offre un nouveau regard sur le thème de la maîtrise des TIC abordé jusqu’à présent dans cet ouvrage du seul point de vue de la recherche d’information. Nadia Gauducheau (Université de Technologie de Troyes) propose ici d’entrer par une autre porte, celle des outils de communication médiatisés par ordinateur (CMO). Son travail repose sur l’idée que l’identification des compétences communicatives permet de comprendre l’usage (in)approprié des outils de CMO. Après avoir dressé un bref état de l’art sur la question, l’auteure explique que trois grandes catégories de compétences liées à l’identification, la recontextualisation et l’analyse sont nécessaires pour garantir l’efficacité des échanges médiatisés par ordinateur. Et pour les utilisateurs qui veulent être plus efficaces, elle indique quelques ressources potentielles pour le développement des compétences communicatives relatives à la CMO. Comment repenser l’ingénierie des EIAH pour des enseignants de plus en plus souvent amenés à concevoir des dispositifs intégrant des environnements Lecture critique 509 Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com informatiques ? Telle est la préoccupation qui anime, dans ce sixième chapitre, Philippe Cottier, Christophe Choquet et Pierre Tchounikine de l’Université du Maine au Mans. Pour répondre à cette question, les auteurs s’appuient sur deux recherches distinctes qu’ils ont menées dans le champ de l’ingénierie des EIAH et qu’ils décrivent là de manière très exhaustive. Ainsi, les principales leçons qu’ils tirent de ces deux expériences de conception et de réingénierie inspirées par l’approche instrumentale de Rabardel sont doubles : les enseignants, non spécialistes des technologies informatiques, peuvent concevoir des EIAH, à condition de disposer d’outils techniques malléables et ouverts et surtout d’avoir le véritable pouvoir d’agir sur le système. C’est seulement à ces conditions que pourra se développer l’innovation pédagogique concluent les trois chercheurs. Il faudra attendre le septième chapitre pour aborder ce que Marc-Eric Bobillier Chaumon, (Laboratoire GRePS, Institut de Psyhologie, Université Lumière, Lyon) considère comme l’un des défis majeurs que doivent relever les nouvelles technologies, l’accessibilité des TIC aux personnes empêchées. Pourtant on sait encore bien peu de choses sur ce problème explique l’auteur qui souligne, dès le départ, le caractère insuffisant des études actuelles portant sur les apports des technologies dans la réduction de l’empêchement. S’il est lui-même convaincu de leur rôle indéniable, l’idée qu’il défend, est que pour concevoir des dispositifs techniques adaptés aux publics empêchés, il faut tenir compte des conditions sociales et situationnelles mais aussi des limites de leurs usages. Ce chapitre est également l’occasion pour M.-E. Bobillier Chaumon de revenir sur quelques mots « fourretout », utilisés, ici et là, tant dans le langage scientifique que courant. Que les séniors se rassurent, l’âge n’est pas un obstacle à l’utilisation des TIC apprend-on au huitième chapitre rédigé par Aline Chevalier, Aurélie Dommes du Laboratoire Processus Cognitifs et Conduites Interactives à l’Université de Paris Ouest et Jean-Claude Marquié, membre du Laboratoire CLLE-LTC à l’Université de Toulouse. Alors pourquoi observe-t-on des différences interâges dans l’adoption des nouvelles technologies et plus spécifiquement dans la recherche d’information en ligne ? A partir d’une revue abondante de la littérature sur le sujet, les auteurs indiquent qu’il s’agit d’abord d’un problème d’attitude avant d’expliquer ensuite que la recherche d’information en ligne est une activité complexe qui mobilise des ressources cognitives en déclin avec l’âge. Certes, les changements physiques et physiologiques impactent l’usage d’Internet, reconnaissent les trois chercheurs, mais plutôt que d’incriminer le vieillissement naturel, il convient, selon eux, de comprendre les difficultés cognitives que rencontrent les séniors pour aider les concepteurs à développer des sites web adaptés à ces nouveaux internautes. L’avant dernier et neuvième chapitre est un véritable plaidoyer en faveur des outils du Web 2.0 pour la veille au sens de la « recherche d’information » (RI) tel que la définit Elisabeth Noël (ENSSIB, Paris) qui prend soin de préciser, avant tout, les contours d’une notion encore très floue. Le ton est péremptoire et l’auteure cherche à nous convaincre au point de présenter une liste foisonnante des outils les plus emblématiques du Web 2.0. Bien sûr, E. Noël n’est pas dupe et reconnaît que 510 D&S – 7/2009. Information scientifique ces applications présentent des limites qu’elle met d’ailleurs en évidence pour chacune des étapes qu’elle décrit préalablement. Elle en appelle ainsi à la vigilance de chacun mais surtout aux chercheurs pour mettre en place des formations scientifiques pointues, à la hauteur des exigences que requiert le véritable métier de veille. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Et pour clore cet ouvrage, Jérôme Dinet (Université de Metz) donne la parole à Munéo Kitajima (National Institute of Advanced Industrial Science and Technology Tsukuba, Japon) qu’il a traduit pour ce dixième chapitre. L’auteur s’adresse assurément à un public de spécialistes. Il est question dans ce texte de l’analyse des processus cognitifs qui sous-tendent la recherche d’information en ligne. Autrement dit, quelles sont les stratégies et les mécanismes mis en œuvre par les utilisateurs d’Internet ? Comment opèrent-ils leurs choix pour sélectionner des liens hypertextuels pertinents mais aussi pour accomplir des actions efficaces pour trouver l’information nécessaire ? La réponse se trouve dans la description que fait M. Kitajima de deux nouveaux modèles cognitifs de simulation visant la compréhension des comportements des utilisateurs de nouvelles technologies. On retiendra avec lui que l’activité de recherche d’information suppose une variété de stratégies dont la plus robuste et la moins coûteuse est basée sur la reconnaissance des « labels ». Encore faut-il pouvoir la réaliser efficacement… Cet ouvrage collectif visait en priorité un état des lieux des connaissances actuelles sur la recherche d’information. On peut dire, au terme de notre lecture, que l’objectif de départ est bel et bien atteint. La recherche d’information est explorée sous de nombreuses facettes. Ainsi, derrière le titre du livre « usages, usagers et compétences informationnelles au 21ème siècle », se profilent en réalité de multiples réflexions qui dépassent la simple question des outils techniques traditionnellement abordée dans la plupart des travaux portant sur la recherche d’information. A cet égard, les dix chapitres, souvent très denses et émaillés de nombreux exemples, auraient pu être regroupés selon les trois dimensions « usages », « usagers » et « compétences informationnelles », évoquées dans le titre. Mais il s’agit peut-être là un choix délibéré des auteurs afin de laisser le lecteur libre de naviguer entre des textes qui se complètent, certes, mais qui se suffisent également à eux-mêmes. C’est donc avec beaucoup d’intérêt et de curiosité que nous nous sommes laissés entraîner dans les méandres des environnements technologiques. Si l’acuité de cet ouvrage réside sans doute dans la manière dont les auteurs abordent et renouvellent un thème souvent traité, on en appréciera le caractère éclectique, et ce, à trois niveaux. D’abord du point de vue de ses contributeurs issus d’horizons très différents. Consultants, documentalistes, chercheurs en psychologie cognitive, spécialistes en Sciences de l’Information et de la Communication, sont tous réunis ici pour nous offrir une vision panoramique de ce qui se fait pour et sur la recherche d’information. Ensuite, on appréciera l’effort d’ouverture vers la communauté scientifique internationale bien que représentée en la seule personne de Munéo Kitajima. Enfin, cet ouvrage spécialisé utilise un vocabulaire à la fois simple et savant à la portée de tous les lecteurs visés. Enseignant, chercheur, étudiant, Lecture critique 511 praticien ou simple utilisateur du net, chacun trouvera dans ces développements les renseignements dont il a besoin, l’information pour comprendre et faire le point sur les problèmes posés par la RI, les idées pour proposer, aujourd’hui et demain, de nouvelles pistes de recherche et des améliorations pour l’action. Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com Néanmoins, quelques regrets, qui ne contrarient en rien notre enthousiasme pour ce livre, peuvent être formulés. Bien que les auteurs plaident pour une pluridisciplinarité des approches de la RI, on remarquera que les Sciences de l’éducation, (est-ce intentionnel ?), sont exclues de cet ouvrage. Et pourtant, les questions d’éducation et de formation ressortent ici au premier plan. Par ailleurs, on regrettera l’absence d’éclairage conceptuel sur les notions d’ « usage » et d’ « usager » qui continuent de se confondre, aussi bien dans le débat social que scientifique, avec celles d’ « utilisation » ou de « pratique » pour le premier terme et d’ « utilisateur » pour le second. Une réflexion commune et une mise à plat des conceptions actuelles autour de ces notions n’aurait pas été vaines. Ainsi, on ne saura que recommander la lecture de ce précieux volume. Non, il ne s’agit pas là d’un énième document sur l’analyse des systèmes informatisés, ni même d’un manuel d’enseignement à la recherche documentaire mais bien d’un ouvrage d’intelligibilité sur les pratiques de recherche d’information en ligne où la dimension humaine est, plus que jamais, au cœur du sujet. Najoua MOHIB (LISEC) Université de Strasbourg [email protected] Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com