Des TIC crédibles en tout territoire

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Des TIC crédibles en tout territoire
LECTURE CRITIQUE
Des TIC crédibles en tout territoire
Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com
Alain Jaillet, L’école à l’ère numérique
Des espaces numériques pour l’éducation à l’enseignement à distance
Collection savoir et formation, éditions de L’harmattan
Il n’est pas trop tard pour faire la recension de cet ouvrage paru en 2004, car il
est à recommander aux étudiants qui mènent des recherches en TICE, afin de leur
montrer comment dans le domaine des technologies pour l’éducation, la recherche
en sciences de l’éducation, comme l’élaboration théorique, qui « partent du terrain »
sont crédibilisées. Cet ouvrage, en particulier dans le contexte français, est à
recommander aussi aux bailleurs administratifs et politiques, trop pressés de voir
rentabiliser leurs investissements matériels dans l’éducation. Investissements trop
souvent limités à des équipements mais où les dispositifs d’accompagnement,
notamment l’appui et la formation des enseignants, sont absents ou négligés. A
l’enthousiasme des débuts succède alors la critique technophobe.
Enfin, explicitement ou implicitement cet ouvrage donnera de nombreuses pistes
pour établir, par exemple, la dimension pédagogique d’un cahier des charges, lors de
l’élaboration d’un dispositif de formation à distance, particulièrement dans le
domaine de la formation des enseignants.
Rendre compte du livre d’Alain Jaillet n’est pas simple, car cet ouvrage peut
déclencher des jugements contradictoires. Trois adhésions préalables aux choix de
l’auteur sont en effet nécessaires pour apprécier cet ouvrage à sa juste valeur
scientifique : elles portent sur la posture identitaire du chercheur en TICE, sa
« multiréférenciation », le choix du style rédactionnel, enfin.
La première adhésion porte sur la posture du chercheur en sciences de
l’éducation et particulièrement dans le domaine des TICE, il faut en effet partager
l’idée avec l’auteur, qu’un chercheur peut être au delà de sa réflexion conceptuelle,
partie prenante dans un dispositif, comme, pour utiliser un vocabulaire
cinématographique, producteur, scénariste, acteur ou metteur en scène… Et, Alain
Jaillet est le plus souvent dans les dispositifs qu’il décrit, un peu tout cela à la fois.
Alors tout se joue sur la capacité de distanciation qu’il convient de respecter pour
rendre les analyses crédibles et la méthodologie mise en place, transposables, dans
d’autres contextes.
La seconde adhésion porte sur la construction théorique revendiquée : Alain
Jaillet ne choisit pas la facilité, car, si rester sur un « créneau » délimité, un pré
carré, s’avère pour un chercheur souvent confortable ; au contraire, au prix de
quelques raccourcis méthodologiques, l’auteur a une pensée multiréférencée, il met
en corrélation des concepts issus des domaines académiques des champs des
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D&S – 5/2007. Nouveaux territoires de la connaissance
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sciences de l’éducation francophones (didactique, pédagogie, psychologie…) avec
des apports propres aux TICE et des références nord-américaines, au sein desquels
S. Papert occupe une place essentielle. La bibliographie de l’ouvrage met en lumière
un spectre large de références francophones mais aussi internationales. Pour Alain
Jaillet, le dispositif technique en TICE n’est rien sans la référence à la pédagogie et
aux savoirs mais aussi aux acteurs et aux structures. Par exemple, la mise en place
des technologies dans le cadre scolaire ne peut être pensée sans références aux
pratiques pédagogiques durant lesquelles la machine est absente. Cette
multiréférenciation, inscrit l’auteur dans une démarche originale de recherche qui
force l’intérêt du lecteur de l’ouvrage.
La troisième adhésion porte sur le style rédactionnel, il faut en effet partager
l’idée avec l’auteur que la qualité d’un texte de recherche n’est pas proportionnelle à
la densité de références (parfois invérifiables d’ailleurs) au caractère résolument
abscons du style, à la longueur des analyses. L’auteur, au contraire, utilise un
vocabulaire simple enrichi par des métaphores, nous n’en citons qu’une qui fait
allusion à la pratique des TICE : « les enseignants qui rodent autour de la gare en
visitant des wagons à quai, parfois en les regardant s’éloigner, d’autres se sont
essayés à toutes les évolutions ferroviaires. Bref, ils s’y mettent. Pour les élèves, en
groupe ou individuellement et en dehors de l’école, ils ont pris un billet, et le train
est déjà parti. Il faudra bientôt les rattraper », pour inviter le futur lecteur de
l’ouvrage à découvrir d’autres images, toujours savoureuses.
Le plan de l’ouvrage est en fait chronologique. Quatre dispositifs, les trois
derniers en tout cas, au sein desquels l’auteur prit une part essentielle à l’Université
de Strasbourg1, sont en effet présentés et contextualisés au sein de leurs histoires
respectives et dans des vagues technico-pédagogiques plus larges, avec cependant
un déficit de références aux dispositifs et contemporains similaires ou voisins, ce qui
prive le lecteur et sans doute l’auteur aussi, d’ancrages réflexifs…
On découvrira ainsi successivement (la présente recension synthétise des
appellations souvent plus complexes dans les contextes d’usages).
– Le programme In-tele Internet-Based Teaching and Learning qui constitue un
bon exemple d’une première approche de l’Internet pédagogique et de la
coopération européenne dans le domaine des TICE.
– La description de plusieurs dispositifs d’EVS, Etablissement Scolaire virtuel,
programme qui constitue une des premières tentatives de mise en place d’un
Environnement Numérique de Travail.
1. Ces actions conçues et dirigées par A. Jaillet ont fait l’objet de nombreuses
communications et publications par d’autres auteurs, par exemple, récemment, l’article de
B. Coulibaly sur « le rôle du coordinateur dans un dispositif collaboratif à distance » DS
vol. 4/2006.
Lecture critique
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– « L’opération des Landes » qui fut longtemps avant celle du département des
Bouches du Rhône la plus importante opération de distribution d’ordinateurs
portables aux enseignants et aux collégiens.
– La formation UTICEF (Utilisation des Technologie de l’Information pour
l’Education et la Formation) et la plate forme ACOLAD, qui à la fois annoncent
l’enseignement à distance par Internet, les campus virtuel, la mise en réseau
internationale des Universités et le travail collaboratif des formateurs et des formés,
enfin, des formes estimables de coopération Nord-Sud.
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Ces récits, nous soulignons l’usage de ce terme, sont d’un grand intérêt pour
comprendre comment, malgré tous les obstacles, les pesanteurs et les contradictions,
l’école pénètre dans l’ère numérique, pour paraphraser le titre de l’ouvrage. Ce
changement d’ère prendra du temps et la perception même de son déroulement
échappe en grande partie à ses acteurs et à ses témoins, fussent ils chercheurs
spécialisés du domaine, surtout que, depuis la rédaction de l’ouvrage, les pratiques
sociales des formés et d’une majorité des formateurs intègrent massivement l’usage
personnel de l’ordinateur.
PS : l’ouvrage est décidément riche ou touffu (comme on voudra), puisque
l’éditeur nous propose deux sous-titres à « l’école à l’ère numérique ». Si, sur la
couverture, il est question : Des espaces Numériques pour l’éducation à
l’enseignement à distance, dans les pages intérieures, il est question : Des espaces
Pédagogiques Numériques à l’enseignement à distance. Dans le premier cas, c’est
l’ingénierie de formation qui l’emporte, dans le second, c’est plutôt l’histoire
contemporaine des technologies. Inutile de choisir, le livre contient au moins ces
deux aspects !
Jacques Wallet
Université de Rouen
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