Les jeux vidéo. A la recherche d`un monde meilleur De

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Les jeux vidéo. A la recherche d’un monde meilleur
De Jean-Paul LAFRANCE
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Par Céline MOUNIER
L’objet de cet ouvrage est de comprendre le phénomène d’engouement dont
les jeux vidéo font l’objet. Cela n’est pas possible sans un détour par le jeu
en lui-même, son essence. Jean-Paul Lafrance s’appuie sur une riche
littérature philosophique, ethnologique et psychologique. Les références sont
abondamment citées au fil des chapitres. Elles permettent de caractériser le
jeu et d’élaborer des catégories de jeu. Il en ressort que le jeu est à la fois
une action libre, une action située en dehors de la vie courante, une action
improductive, une action circonscrite et en même temps une action qui
demande de respecter un certain nombre de règles et qui requiert des
habiletés. En quelque sorte, c’est un peu comme les événements de la vie,
mais « pour de faux ». Le jeu peut aussi bien être une action solitaire qu’une
action collective. En ce qui concerne les catégories de jeu, certains mettent
en avant la compétition, d’autres la chance, certains portent sur le simulacre,
d’autres enfin sur la recherche de vertige. Tous procurent un sentiment de
tension, de joie et de liberté à la fois.
Parmi les jeux vidéo, certains s’apparentent plutôt à des jeux « d’action »,
comme Doom où il s’agit de jouer à la guerre, d’autres à des jeux
« intelligents », comme Tetris qui est une sorte de jeux de puzzle, ou Myst,
dans lequel le joueur incarne un personnage, d’autres encore à des jeux de
rôle, comme par exemple The Sims ou World of Warcraft. Les catégories
classiques ne sont pas loin. Et comme tout jeu, les jeux vidéo créent un
« espace du possible » et un « temps de réorganisation symbolique et
imaginaire de son existence ». Dans quelle mesure alors les jeux vidéo sontils spécifique par rapport aux jeux en général ? L’auteur répond à cette
question en expliquant que l’interactivité informatique introduit un degré
important d’abstraction. Mais au-delà de cet énoncé, on peut regretter que
l’auteur ne s’intéresse pas à la double dimension des écrans comme mise en
scène d’un monde imaginaire et comme dispositif de contrôle. Ici, des copies
d’écran auraient ici été bienvenues pour décrire à la fois la participation à
des histoires et la dimension calculatrice de cette participation.
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Réseaux n° 138
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L’auteur restitue ensuite les résultats d’une enquête réalisée au Canada, qui a
révélé que plus de la moitié des joueurs ont plus de 18 ans, avec une bonne
part de trentenaires : ceux qui ont appris à jouer lorsqu’ils étaient des
adolescents. Ils sont plutôt des hommes, les femmes jouant davantage « par
curiosité », sauf en ce qui concerne des jeux de type « jeux de rôles ». Et
lorsqu’ils jouent, les joueurs zappent souvent avec d’autres types d’activités
sur Internet, comme écouter de la musique, naviguer sur la toile, chatter ou
downloader des fichiers… Ils alternent donc des séquences de jeu et des
séquences d’autres activités ne se référant pas à cette sphère d’activité.
Après avoir présenté ces quelques données de cadrage, l’auteur restitue son
matériau d’enquête. Celui-ci est riche. Cette restitution prend la forme de
présentation d’extraits d’entretiens classés par thèmes, relativement peu
commentés et analysés, simplement présentés, tel un présentateur qui
indiquerait quel morceau du répertoire va maintenant être interprété, laissant
le soin au lecteur de lire l’interprétation comme cela lui convient… mais en
faisant comme s’il connaissait déjà tous les jeux mentionnés. Peut-être
aurait-il fallu les présenter rapidement sous la forme d’encarts. A la lecture
de ces extraits, quelques traits ressortent. Tout d’abord, les joueurs cherchent
à relever des défis – « j’aime ça devenir plus puissant » –, à s’immerger dans
une forme d’altérité et créer de l’esthétique – « le scénario embarque dans la
tête ». Les joueurs se font les héros de l’histoire ou acteurs à part entière. Ce
faisant, ils recherchent à avoir prise sur le cours du monde virtuel dans
lequel ils agissent, autrement dit, à le contrôler à leur avantage. De ces
entretiens, ressort ainsi la tension vécue par les joueurs de jeux vidéo entre
ancrage dans une situation et le calcul, indispensable à la valorisation de soi.
Cette dimension-là semble d’autant plus forte que le joueur joue en réseau,
parfois très étendu (à la Corée notamment), avec cette idée que la
maximisation de ses investissements devient de plus en plus l’objet même du
jeu vidéo – « la plupart ont un personnage maximisé qui font des instances ».
Les extraits d’entretiens révèlent des situations où le jeu investit la scène du
non-jeu. Il arrive que les joueurs se rencontrent. Ils sont parfois déçus de
rencontrer la vraie personne (avec ses défauts) et non son avatar (avec ses
qualités), et se trouvent surpris par le fait que la vraie personne soit moins
sympathique que son avatar, non sans une certaine naïveté, notons-le! Dans
d’autres situations, les personnes s’échangent des astuces pour mieux jouer,
hors du jeu, ou pendant le jeu, prenant ainsi de la distance avec le jeu. Enfin,
la maximisation dans et pour le jeu investit véritablement la vraie scène
économique, comme le montre cet extrait d’entretien : « des gens qui font
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des scripts, pour que leur personnage jouent automatiquement (…) ensuite
ils vendent tout ça pour de l’argent dans la vraie vie ».
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C’est l’une des dernières citations présentée dans l’ouvrage, à la suite de
laquelle J.-P. Lafrance propose une conclusion qui porte sur « l’invention
d’une liberté dans et par la légalité », reprenant ici les catégories classiques
sur le jeu… alors même que cette dernière citation surprend ou dérange
quelque peu. Elle invite le lecteur à s’interroger aux formes d’entrelacement
entre l’espace du jeu vidéo et la vie « pour de vrai » – dans la veine des
travaux d’Anne F. Garreta – et sur les passerelles entre la conception des
jeux et leurs usages – pour faire ici échos à l’étude menée par Vinciane
Zabban. Des éléments de réponses, et de prise de risques, permettraient
certainement de donner davantage de corps à cette spécificité du jeu vidéo
par rapport aux autres jeux qu’est son fort degré de production abstraite.
Jean-Paul Lafrance, Les jeux vidéo. A la recherche d’un monde meilleur,
Hermès, 2006.
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