Au Hellfest, le bar à vin est un lieu de rendez-vous

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Au Hellfest, le bar à vin est un lieu de rendez-vous
Vendre
Vincent Perraud, vigneron de
Clisson, accueille avec 80 bénévoles
les festivaliers au Kingdom of
Muscadet, le bar à vin installé par
les vignerons de la commune.
photos : BALANCA-ERWAN
« Au Hellfest, le bar à vin
est un lieu de rendez-vous »
Au royaume du
métal, le muscadet
est roi ! Depuis onze
ans, les vignerons
ont su amadouer
un public réputé
pour apprécier la
bière. Une opération
séduction réussie.
I
l est presque onze heures
ce vendredi 17 juin. Une
horde de mélomanes tatoués, cloutés et habillés
de noir sort de la petite gare de
Clisson, au cœur du vignoble
nantais, en Loire-Atlantique.
Direction : le Hellfest, un des
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La Vigne - N° 288 - juillet-août 2016
plus grands festivals de métal
en Europe. « Aujourd’hui, Clisson
est synonyme de métal et de muscadet », affirme Frédéric Loiret,
du domaine du Grand Air, 24 ha,
à Clisson même. Durant trois
jours, cette petite ville de 6 000
habitants devient le centre du
monde des amateurs de ce style
musical. C’est là, au milieu des
vignes, que se déroule le festival.
« Cette année, les organisateurs
attendent plus de 150 000 personnes en trois jours et 60 nationalités ! Vous connaissez beaucoup
de moyens de toucher autant de
monde en si peu de temps ? » Les
vignerons ne se sont pas posé
la question bien longtemps.
Depuis la première édition, en
2006, ils tiennent un bar, nommé
« Kingdom of Muscadet » (pour
royaume du muscadet), pendant
toute la durée des concerts.
Lorsque Benjamin Barbaud, le
créateur du festival, s’est implanté à Clisson, il n’a pas eu d’autre
choix que de faire appel aux vignerons. « Le site se trouve sur des
terres qui nous appartiennent, raconte Frédéric Loiret. Il avait donc
besoin de nous. En contrepartie,
nous avons demandé à installer
un bar à vin. » Le pari n’était pas
gagné d’avance : « C’est vrai que
les amateurs de métal ont la réputation de ne boire que de la bière,
mais il était impensable pour nous
de passer à côté de cet événement. »
L’aventure du bar à vin a d’abord
commencé à petite échelle. « Au
départ, on avait un espace de
trois mètres sur trois, se sou-
vient Frédéric Loiret, dans un
sourire. Et regardez maintenant,
nous sommes dans un vrai bar de
300 m2 ! » Idéalement placé au
fond d’une petite clairière, face
aux grandes scènes, le lieu est
imposant, à l’image du festival.
Entièrement conçu en bois, il
représente une barrique. On y
accède par un impressionnant
portique, d’inspiration celtique.
Là, tout un petit monde s’affaire
dans une joyeuse ambiance rythmée par les concerts alentour.
« Nous faisons appel à 80 bénévoles pour servir les festivaliers,
indique Frédéric Loiret. Ce sont
des amis, de la famille… et parfois
même des clients ! » Arnaud et Stéphanie sont de ceux-là. Amoureux des vins, ils ont rencontré
Frédéric grâce à des amis com-
bâti en forme de tonneau
(ci-dessus), le bar à vin propose
du muscadet et du gamay rouge
ou rosé sur un espace de 300 m2.
Hugo fait découvrir le festival
à sa mère Marie-édith (ci-dessous).
pas d’échange d’argent (cidessus) sur le stand. Les festivaliers
règlent avec une carte prépayée.
Sylvain Paquereau, viticulteur
organisateur, renfloue le bar avec les
Bib stockés dans une salle attenante.
muns. Depuis, ils se font ambassadeurs du muscadet dans leur
entourage, en Seine-et-Marne.
« Il y a deux ou trois ans, Frédéric
nous a proposé de participer bénévolement, raconte Arnaud. Pour
ce qui est de la musique, le métal
n’est pas notre tasse de thé, mais
nous avons accepté pour donner un
coup de main ! » Et Stéphanie, sa
femme, de préciser : « Nous avons
deux ados à la maison, j’aime autant vous dire qu’ils sont jaloux ! »
Car le Hellfest est devenu un festival incontournable pour tous
les fans de métal. Cette année,
140 groupes ont fait le show
sur six scènes, des Allemands
Rammstein aux Français Mass
Hysteria, en passant par les Californiens The Offspring.
Mais la star du bar, c’est bien le
muscadet. Pour des raisons de
sécurité, les vignerons et leurs
aides de camp le servent dans
des gobelets en plastique réutilisables, que bien des festivaliers conservent en souvenir. En
coulisse, tout le monde s’active.
Frédéric Loiret nous fait la visite
guidée. « La commune de Clisson compte six vignerons. Nous
sommes cinq à travailler à l’intérieur du festival, le sixième reste
en dehors pour proposer la cuvée
Hellfest (voir encadré p. 52). Nous
vendons nos vins, conditionnés en
Bib, aux organisateurs du festival et
nous prenons sur notre temps libre
pour les servir aux festivaliers. »
Le stock se trouve dans la pièce
attenante au bar. Les bénévoles
s’y relaient pour tirer à la chaîne
des pichets de vin bien frais. « On
n’arrête pas !, s’amuse l’un d’eux.
Un Bib, ça dure vingt secondes à
peine ! »
Côté bar, ça ne désemplit pas.
Les festivaliers peuvent choisir
entre du muscadet et du gamay
rouge ou rosé à 2,80 euros le
verre de 18 cl, 4,30 les 28 cl et 22
le pichet. « Il n’y a pas d’échange
d’argent sur le stand, explique Frédéric Loiret. Les clients règlent avec
une carte prépayée qu’ils achètent
sur place ou bien par Internet. »
Le contact avec le public se fait
donc en toute décontraction.
« Certains prennent le temps de
discuter avec nous », assure le
vigneron. Comme Gégé, Gérard
de son vrai nom. Festivalier il y a
encore quelques années, il a fait
la connaissance des vignerons
au bar du muscadet. « En 2007,
j’ai appris qu’il y avait un bar à vin
sur le Hellfest. Ça m’a beaucoup
surpris. J’y suis allé. J’ai trouvé l’accueil plus que sympathique. C’était
l’occasion idéale de découvrir un
produit que je connaissais mal. Aujourd’hui, je bois plus de muscadet
que de bière ! » Et Gégé est surtout
passé de l’autre côté de la barrière
puisqu’il fait partie de l’équipe
des serveurs bénévoles.
Autour du bar, l’ambiance est à la
fête. L’air résonne de riffs de gui-
tare endiablés, au point qu’il est
parfois difficile d’entendre son
voisin. Pichets de bière et verres
de muscadet se côtoient sur les
tonneaux installés en guise de
table. « Moi, je n’aime pas la bière,
alors heureusement qu’il y a du
vin ! », s’exclame ­Marie-Edith, venue des Yvelines. Son fils, Hugo,
lui fait découvrir le Hellfest et le
bar à vin dont il ne profite pas
d’habitude : « Le muscadet est un
peu plus cher que la bière. C’est difficile d’y emmener les copains… »,
explique-t-il. Un peu plus loin,
un groupe d’amis trinque : « C’est
vraiment super que les organisateurs aient impliqué les vignerons.
C’est une excellente idée ! »
Karl et Yoann sont Nantais. Les
vins de la région, ils les connaissent. « J’ai toujours détesté qu’on
dise que le muscadet, c’est de la
piquette ! », s’insurge Karl. Amateurs de bière comme de vins,
les deux amis viennent au bar
comme on soutient une cause.
« Aujourd’hui,
Clisson est
devenu synonyme
de métal et
de muscadet. »
« J’aime bien l’idée que les vignerons soient là pour défendre leur
travail et nous faire découvrir leur
quotidien. Ils sont disponibles pour
discuter, alors pourquoi se priver ? »
« C’est vrai que le muscadet doit
faire face à un déficit d’image », regrette Vincent Perraud, vigneron
sur la commune avec son frère
Stéphane. À eux deux, ils gèrent
27 ha en bio au domaine ●●●
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vendre
pari réussi pour les
vignerons : les amateurs
de métal dégustent du
muscadet dans l’ambiance
conviviale du bar à vin.
le soir, la fête bat son
plein et le bar ne désemplit
pas. En 2015, ce sont ainsi
15 000 litres de muscadet
qui ont été écoulés.
les vignerons de Clisson (ci-dessus),
qui organisent le stand, eux aussi pris dans
l’ambiance, font le signe universel des métalleux.
Damien (ci-contre, au centre), un habitué
du festival, initie ses compagnons au bar à vin.
des Cognettes. « Pourtant,
nous vendons très bien au Japon et
aux États-Unis. C’est à se demander où est le problème. »
Lorsque le festival s’est installé,
Vincent a eu des réticences. Puis
il s’est adapté, comme tout le
monde. « Au début, ça fait un peu
peur quand on voit débarquer les
loulous. Ils ont un sacré look quand
même. Mais, finalement, la musique et le vin, c’est le même métier :
on rapproche les gens. » Vincent a
même été surpris de voir autant
de festivaliers intéressés par le
vin. Aujourd’hui, il ne rechigne
pas à prendre la pose devant les
photographes et ne jure que par
les groupes de rock celtiques
dont il attend la prestation.
De l’autre côté du bar, les « métalleux » sont tout aussi surpris
de trouver des vignerons. « Un
bar à vin dans un festival, je crois
que ça ne se fait nulle part ailleurs,
avance Frédéric Loiret. Je me
souviens même que le premier réflexe était de nous demander de la
bière ! » Depuis, la greffe a pris.
Le royaume du muscadet est
plus qu’un simple stand : « C’est
devenu un lieu de rendez-vous. »
Damien, cheveux longs et T-shirt
●●●
Tout
bénefs’
La cuvée du métalleux
« Au bar, les gens sont parfois
déçus de ne pas voir les
bouteilles », raconte Gérard,
le festivalier devenu bénévole.
Pour des raisons de sécurité, le
verre est interdit sur le festival.
Impossible donc d’y vendre autre
chose que du vin au pichet. C’est
à l’extérieur du festival que les
vignerons de Clisson proposent
la cuvée du Hellfest. Elle est
exclusivement vendue à la sortie
du site au prix de 7 euros. « Nous
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rock, est un habitué du festival.
Il a entraîné un de ses collègues.
Avec leurs compagnes respectives, ils font une pause, un verre
de muscadet à la main. Damien
connaissait le bar. Il a voulu le
faire découvrir à ses compagnons. « C’est super un bar à vin
ici !, se réjouit Fabienne. Un bon
petit verre, c’est agréable, et ça
change de la bière ! » Tous disent
aimer « ce qui est bon ». Le muscadet en fait partie. « Boire du
muscadet, c’est rendre hommage à
la région ! », assure Damien.
Le festival, un moment idéal
pour redorer l’image du vignoble
en vendons 4 000 cols, dénombre
Frédéric Loiret. Chaque année,
nous créons une étiquette. Et sur
la contre-étiquette, nous indiquons
le nom des groupes qui ont joué. »
La bouteille est aussi offerte aux
artistes qui viennent se produire.
« Les métalleux ont tendance à
être collectionneurs, sourit Frédéric
Loiret. Ils disent les garder pour
le souvenir. » Les plus fidèles
doivent avoir une jolie série de onze
bouteilles devenues cultes !
selon François Guérin, viticulteur
sur 18 ha. « Les gens commencent
souvent par nous demander si le
métal est notre musique préférée !
Mais ils sont surtout demandeurs
d’informations sur notre métier.
Nous avons réussi à les séduire
parce que nos vins ont gagné en
qualité, mais aussi parce que nous
sommes là, derrière le bar, à en faire
la promotion. »
Et les ventes en profitent bien.
« Chaque année, on vend plus que
la précédente, se réjouit Frédéric
Loiret. L’année dernière, pour les
dix ans du festival, nous avons
vendu 15 000 litres de muscadet
en trois jours ! » Il faut dire que le
Hellfest grossit d’année en année,
mais toujours dans le respect des
vignes alentour.
« Les parcelles sont toutes proches,
mais nous n’avons jamais eu à déplorer de graves dégradations »,
assurent en chœur les vignerons.
Tous avouent s’être attachés à
ce public hétéroclite et décalé.
« Moi, j’écoute cette musique depuis que je suis adolescent, confie
François Guérin. Je ne suis donc
pas surpris que vin et métal s’entendent à merveille. »
émilie-Anne Jodier

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