qui doit être convoqué

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qui doit être convoqué
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Lexbase La lettre juridique n˚671 du 6 octobre 2016
[Sociétés] Jurisprudence
Démembrement de propriété, droits sociaux et convocation à
l'assemblée générale : qui doit être convoqué ?
N° Lexbase : N4642BWT
par Christine Lebel, Maître de conférences HDR (CRJFC, EA 3225), UFR
SJEPG (Université de Franche-Comté)
Réf. : Cass. civ. 3, 15 septembre 2016, n˚ 15-15.172, FS-P+B (N° Lexbase : A2399R3A)
Les assemblées générales peuvent donner lieu à cristallisation des conflits latents existant lorsque les associés
d'une société sont membres d'une même famille, comme le démontre l'arrêt rendu le 19 septembre 2016 par la
troisième chambre civile de la Cour de cassation (1).
En l'espèce, une société civile immobilière a été constituée entre les membres d'une même famille. Elle est
propriétaire d'une maison d'habitation, constituant le seul actif social. Les parts sociales ont été démembrées,
l'usufruit ayant été attribué à la mère et la nue-propriété répartie entre les enfants. L'usufruitière n'a pas été
convoquée à l'assemblée générale dont l'ordre du jour était la vente de l'immeuble social. Considérant que
l'usufruitière devait être convoquée, l'un des nu-propriétaire et l'usufruitière ont demandé en justice la nullité
de l'assemblée générale. La cour d'appel a rejeté leur demande considérant que l'assemblée générale litigieuse
ayant pour objet des décisions collectives autres que celles concernant l'affectation des bénéfices ne saurait
être annulée au motif que l'usufruitière des parts sociales n'avait pas été convoquée pour y participer. Ils rédigent un pourvoi. Ils prétendent que le droit de vote ne se confond pas avec le droit de participer aux décisions
collectives d'une assemblée générale. Si la qualité d'usufruitier empêche de prendre part aux votes relatifs à la
vente de l'immeuble de la société, cette qualité ne saurait suffire à exclure le droit de participer aux assemblées
générales. En procédant de la sorte, les juges du fond auraient violé l'article 1844 du Code civil (N° Lexbase :
L2020ABG). Par l'arrêt du 15 septembre 2016, la Cour de cassation rejette le pourvoi et, par voie conséquence,
les arguments avancés par ses auteurs : n'ayant pas pour objet l'affectation des bénéfices, l'assemblée générale a été valablement convoquée. Les délibérations décidées par les nus-propriétaires des parts sociales ayant
décidé la vente de l'immeuble dans les conditions financières proposées ne peuvent être remises en cause, car
il n'y a pas nullité de l'assemblée générale.
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La solution énoncée par l'arrêt du 15 septembre 2016 l'a été à propos d'une société civile. Toutefois, la problématique porte sur la qualité d'associé en cas de démembrement des droits sociaux, peu importe qu'il s'agisse de parts
sociales de société civile, de parts sociales de société commerciale ou bien encore d'actions. Ainsi, il convient de
revenir sur la détermination de la qualité d'associé en cas de démembrement des droits sociaux (I) avant d'indiquer comment la jurisprudence reconnaît le droit de voter dans les assemblées à chaque titulaire du droit d'associé
démembré (II).
I — La détermination de la qualité d'associé en cas de démembrement des droits sociaux
La notion d'associé n'a pas été définie par le législateur. Les ouvrages de droit des sociétés n'apportent que peu d'informations sur cette notion. Toutefois, on peut définir l'associé comme étant la personne physique ou morale qui est
membre d'un groupement constitué sous forme de société et dont la participation est conditionnée par la réalisation
d'un apport en contrepartie duquel, l'associé reçoit des droits sociaux. Cette présentation est très synthétique et ne
fait pas état du droit au partage des bénéfices ou à la contribution aux pertes, ni à l'exercice des droits politiques et
des droits financiers caractérisant les droits sociaux que l'associé reçoit en contrepartie de son apport.
La problématique en matière de détermination de la qualité d'associé intervient en cas de concours, c'est-à-dire
lorsque plusieurs personnes peuvent revendiquer cette qualité. Dans ce cas, il convient de distinguer entre le concours
horizontal, lorsque des personnes ont vocation aux mêmes droits sur les parts sociales, et le concours vertical,
lorsque des personnes ont des droits différents sur les mêmes parts sociales. Il s'agit, dans ce dernier cas, de l'indivision des époux mariés sous un régime communautaire, qui ne sont pas au cœur de faits de l'espèce.
La situation est plus complexe en cas de concours horizontal, et tout particulièrement lorsque la propriété des parts
sociales est démembrée. La loi est silencieuse sur cette question, et la Cour de cassation semble éviter d'avoir à
prendre position (2). Par conséquent, prononcer une réponse est une mission confiée à la doctrine. Toutefois, sur ce
point, les analyses sont divergentes.
Il est certain que le nu-propriétaire a le droit de participer aux décisions collectives, droit qui est d'ordre public car
aucune clause des statuts ne peut l'écarter (3). Cependant, son droit de vote peut être supprimé à condition de ne
pas déroger à son droit de participer aux décisions collectives (4). Ainsi, il doit avoir été valablement convoqué, avoir
reçu l'information préalable et le cas échéant, la possibilité d'exprimer un avis consultatif (5). Actuellement, il semble
que le droit de vote ne peut pas être retiré au nu-propriétaire dès lors que l'on porte atteinte à la substance de droits
sociaux (6). Par conséquent, le nu-propriétaire a la qualité d'associé (7).
Dans ces conditions, quelle est la situation de l'usufruitier ? Peut-il avoir la qualité d'associé ? La doctrine est actuellement divisée sur ce point. Il semble qu'un élément de réponse à cette question se situe dans la nature juridique de
l'usufruit : s'agit-il d'une charge réelle ou d'un droit démembré ? Mais aucune précision n'a été formulée à ce jour, ni
par le législateur, ni par la Cour de cassation. Une autre piste semble possible et a été énoncée (8). Ainsi, le titre d'associé étant lié à l'acte d'apport, seul l'auteur de l'apport ou son successeur peut avoir la qualité d'associé. L'usufruitier
n'étant ni l'apporteur, ni le successeur de l'apporteur, il ne pourrait alors pas prétendre avoir la qualité d'associé. En
effet, les parts sociales sont la contrepartie de l'acte d'apport, conférant des droits politiques et financiers à l'associé.
Au regard du droit des biens, les parts sociales constituent une chose appropriée dont le propriétaire est l'apporteur.
Par conséquent, l'associé est la version utilisée en droit des sociétés, pour désigner le propriétaire des parts sociales
en droit des biens. En outre, l'usufruit ne porte pas atteinte au droit de propriété ; il restreint seulement son exercice
en raison de la constitution d'un droit réel de jouissance générale des parts sociales. Présenté ainsi, l'usufruitier doit
conserver la substance des parts sociales grevées et, par conséquent, il ne pourrait pas avoir le droit de voter les
décisions dans les assemblées générales ayant pour objet de porter atteinte à l'intégrité ou à la destination des parts
sociales.
Pour autant, l'obligation de conserver la substance des droits sociaux n'empêche pas nécessairement l'usufruitier
d'avoir la qualité d'associé. En effet, la Cour de cassation lui a reconnu le droit de voter en assemblée générale dès
lors qu'il s'agit de décider de l'affectation des bénéfices (9).
Au final, nous sommes en présence d'une controverse doctrinale. Pour certains auteurs, l'usufruitier a la qualité d'associé (10). Pour d'autres, ce n'est pas possible (11). Enfin une solution médiane est également proposée (12). Ainsi,
on peut constater que les prérogatives de l'associé sont réparties entre le nu-propriétaire et l'usufruitier des droits
sociaux, ce qui permettrait d'affirmer que la qualité d'associé est partagée entre eux. Ainsi, on reprendra une proposition doctrinale selon laquelle, en raison du démembrement des titres sociaux, il y a démembrement de la qualité
d'associé. Par conséquent, la réunion des titres forme la qualité unique d'associé (13).
Cette analyse, en attente de validation par la Cour de cassation, permet ainsi de répartir les droits et obligations
respectifs du nu-propriétaire et de l'usufruitier de droits sociaux.
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II — La participation distributive aux assemblées générales et les actions réservées à l'associé
En l'espèce, la question soulevée par l'usufruitière et l'un des nus-propriétaires était savoir si la première avait ou non
le droit de participer aux assemblées générales et de voter les résolutions mises à l'ordre du jour, tout spécialement
parce que la vente du seul actif social, une maison d'habitation, était projetée.
Actuellement, en application des articles 1844, alinéa 3, et 578 (N° Lexbase : L3159ABM) du Code civil, l'usufruitier a
qualité pour voter les décisions concernant l'affectation des bénéfices. Ce droit a été reconnu par la Cour de cassation
(14). Il a été présenté comme étant "irréductible" par le Professeur Viandier et n'est plus actuellement contesté. Il en
va autrement lorsque la distribution porte sur les réserves. Dans ce cas, la Cour de cassation a récemment rappelé
(15) que "si l'usufruitier a droit aux bénéfices distribués, il n'a aucun droit sur les bénéfices qui ont été mis en réserve,
lesquels constituent l'accroissement de l'actif social et reviennent en tant que tel au nu-propriétaire" (16).
L'arrêt du 15 septembre 2016 précise la cadre juridique, en précisant que l'absence de convocation de l'usufruitier
pour une assemblée générale qui n'a pas vocation à décider du sort des bénéfices réalisés par la société au cours
du dernier exercice social n'entraîne pas l'annulation de l'assemblée, et avec elle, celle des résolutions adoptées par
les seuls nus-propriétaires. Ainsi, lorsque les statuts n'ont pas organisés la répartition du droit de vote de l'associé en
cas de démembrement des droits sociaux, l'usufruitier ne peut prétendre avoir plus de droit que celui relatif au vote
des derniers bénéfices réalisés, qui n'ont pas encore été affectés à un compte de réserve.
Plus généralement, il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que l'usufruitier peut exercer les droits
attachés à la qualité d'associé, et tout spécialement des actions dès lors qu'elles ont une nature conservatoire (17),
ou bien qu'elles portent sur des prérogatives d'information. Dans ce cas, ces actions pourraient être exercées aussi
bien par le nu-propriétaire que par l'usufruitier, à condition que l'on considère qu'ils aient, pour partie, la qualité
d'associé (18).
En pratique, il peut être utile de réfléchir à la répartition des pouvoirs entre nu-propriétaire et usufruitier. Tout spécialement, comme en l'espèce, ne serait-il pas opportun d'envisager, au moins, la convocation et l'audition de l'usufruitier lorsque la société est une SCI familiale dont le seul actif social est une maison d'habitation, dans laquelle
était vraisemblablement logée l'usufruitière ? La réponse à cette question de nature juridique appartient au domaine
sociologique, voire éthique....
(1) Lexbase, édition aff., 2016, n˚480 (N° Lexbase : N4403BWY).
(2) J. Prieur, S. Schillier, Th. Revet, R. Mortier, L'usufruit des droits sociaux : quelle liberté contractuelle ?, JCP éd. N, 2010,
1221, spéc. n˚ 16 et s..
(3) Cass. com., 4 janvier 1994, n˚ 91-20.256, publié (N° Lexbase : A4835AC3), Bull. civ. IV, n˚ 10 ; Dr sociétés, 1994, com.
45, note Th. Bonneau ; Defrénois, 1994, p. 556, obs. P. Le Cannu ; Bull. Joly Sociétés, 1994, p. 249, note J. — J. Daigre ;
M. Cozian, Du nu-propriétaire ou de l'usufruitier, qui a la qualité d'associé ?, JCP éd. E, 1994, 374 ; JCP éd. E, 1994, I, 363,
n˚ 4, obs. A. Viandier et J. — J. Caussain.
(4) Cass. com., 22 février 2005, n˚ 03-17.421, F-D (N° Lexbase : A8706DGK), JCP éd. E, 2005, 1046, n˚ 3, obs. J. — J.
Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; R. Kaddouch, Conditions de l'attribution statutaire de la totalité du droit de vote au
seul usufruitier, JCP éd. E, 2005, 968.
(5) M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, 28ème éd., LexisNexis, 2015, n˚ 342.
(6) C. civ., art 578 (N° Lexbase : L3159ABM) ; Cass. com., 2 décembre 2008, n˚ 08-13.185, F-D (N° Lexbase : A5368EBG),
Dr., sociétés 2009, comm . 198, obs. M. — L. Coquelet, D., 2009, p. 780, note B. Dondero, cassant CA Caen, 19 février
2008, n˚ 05/00 192 N° Lexbase : A3564GT8), JCP éd. E, 2008, JCP éd. E, 1025, note Y. Paclot, Dr. sociétés, 2008, comm.
198, obs. M. — L. Coquelet
(7) Cass. soc., 8 novembre 1967, n˚ 66-11.296, publié (N° Lexbase : A9345R4U), Bull. civ. IV, n˚ 705 ; Cass. com., 4 janvier
1994, n˚ 91-20.256, préc.. note 3.
(8) J. Prieur, S. Schillier, Th. Revet, R. Mortier, préc. note 2, spéc. n˚ 18.
(9) Cass. com., 31 mars 2004, n˚ 03-16.694, FS-P+B (N° Lexbase : A7593DBT), JCP éd. E, 2004, 929, note A. Rabreau ;
A. Viandier, L'irréductible droit de vote de l'usufruitier, RJDA, 8-9/2004, p. 859.
(10) A. Viandier, La notion d'associé, LGDJ, 1978, n˚ 248 et s..
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(11) M. Cozian, Du nu-propriétaire ou de l'usufruitier, qui a la qualité d'associé ?, JCP éd. E, 1994, 374.
(12) Fl. Deboissy et G. Wicker, Le droit de vote est une prérogative essentielle de l'usufruitier de droits sociaux, JCP éd.
E, 2004, 1290.
(13) M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy, Droit des sociétés, préc. note 5, n˚ 344.
(14) Cf. note 9.
(15) Cass. com., 27 mai 2015, n˚ 14-16.246, FS-P+B+R+I (N° Lexbase : A6622NI4), Bull Joly Sociétés, 2015, p. 409 ; Rev.
Lamy Dr. aff., septembre 2015, p. 10, nos obs. ; D., 2015, p. 1752, note A. Rabreau ; Dr. sociétés, 2015, comm. 144, note
R. Mortier ; JCP éd. G, 2015, 767, note A. Tadros ; B. Saintourens et F. Julienne, Lexbase, éd. aff., 2015, n˚ 431 (N° Lexbase :
N8295BUR).
(16) Cass. civ. 1, 22 juin 2016, n˚ 15-19.471, F-P+B (N° Lexbase : A2344RUD), Dr. sociétés, 2016, comm. 141, note H. Hovasse ; Jour. des sociétés, octobre 2016, p. 47 ; Gaz. Pal., 13 septembre 2016, p. 46, note C. Barrillon ; G. Beaussonie, in
Chron., Lexbase, éd. priv., 2016, n˚ 670 (N° Lexbase : N4446BWL).
(17) Action relative à la désignation d'un expert, l'action sociale ut singuli. (18) M. Cozian, A. Viandier et Fl. Deboissy,
préc. note 5, n˚ 345.
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