Les hommes de Maserati

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Les hommes de Maserati
Les hommes de Maserati
Les sept frères Maserati naquirent à Voghera près de Pavie entre 1881
et 1898, mais le troisième, Alfieri, mourut en bas âge. Tous les autres
s'impliquèrent dans l'industrie automobile sauf le cinquième, Mario, qui devint
peintre mais créa quand même l'emblème de la firme Maserati, le trident, en
s'inspirant de celui de la statue de Neptune située sur la place centrale de
Bologne. Après la mort en course automobile de Carlo, l'aîné, c'est Alfieri, le
quatrième, qui avait déjà la lourde responsabilité de porter le même prénom
que son frère mort en bas âge, qui devint le leader de la fratrie et créa la
marque Maserati, en 1914, à Bologne.
L'entreprise se consacra au début à la fabrication de bougies
d'allumage et à la préparation pour la course de voitures Isotta-Fraschini et
Diatto. Sérieuse rivale des Bugatti, la première vraie Maserati, la tipo 26, sort
en 1926 et remporte sa première course, la Targa Florio en Sicile, avec Alfieri
Maserati en personne à son volant. Son moteur est un 8 cylindres en ligne de
1500 cc avec double arbre à cames en tête et compresseur délivrant 120 cv à
5300 tr/mn. (voir galerie photo courses, de même pour les autres voitures non
illustrées dans ce chapitre, voir les galeries photo coupé ou quattroporte)
En 1929, sort la V4 à 16 cylindres qui, à Cremone, avec le pilote
Bonazin Borzacchini, bat le record du monde de vitesse sur 10 Kms
parcourus à 246 km/h de moyenne. Le fabuleux moteur de la V4 est un V16
très étroit (25 degrés) né de l'union de deux blocs moteurs de tipo 26 B de 2
litres. Il développe 280 cv. V4 signifie moteur en V de 4 litres. Cette même
V4 remportera le fameux Grand Prix de Tripoli 1930.
8 C 2800 - 1931 -
Alfieri décéda en 1932 des suites lointaines d'un grave accident dont il
avait été victime en 1927 à la coupe de Messine, mais ses frères Ernesto,
Ettore et Bindo (ce dernier quittant alors Isotta-Fraschini pour Maserati)
reprirent le flambeau de l'entreprise familiale, le trident symbolisant mieux que
jamais l'union des trois frères. Maserati ne souffrit pas excessivement de la
crise de 1929, peut-être parce que le produit proposé à la vente, des voitures
de course, concernait une clientèle si favorisée qu'elle était finalement assez
peu sensible au marasme économique. Par contre, le départ de jeunes
hommes pour la guerre coloniale d'Éthiopie priva Maserati d'assez nombreux
clients potentiels. En 1933, le grand Tazio Nuvolari signa chez Maserati. Son
aide technique fut capitale car, en plus d'excellent pilote, il s'avéra être un
exceptionnel metteur au point châssis et moteur. Il remportera avec brio les
Grands Prix de Belgique à Spa et de Nice sur sa 8 CM (8 cylindres, 3 litres,
220 cv). Mais à cette époque, le parti nazi au pouvoir en Allemagne investit
des sommes ahurissantes dans le sport automobile à but de propagande
pro-germanique et, à partir de 1935, les Mercedes et Auto-Union furent très
difficiles à battre dans les courses majeures. Par contre, dans ce que l'on
pourrait aujourd'hui appeler les formules 2 ou 3 ou 3000, les Maserati
continuaient à remporter nombre de succès et les trois frères Maserati, aidés
par la famille Orsi ( propriétaires de Maserati depuis 1937 mais ayant promis
de laisser les trois frères diriger l'entreprise pendant 10 ans), orientèrent leur
production de voitures de courses en ce sens : ce fut le temps de la brillante 4
CL. Cependant les 6 CL (conçue par Ernesto) et 8 CL n'étaient pas négligées
et la 8 CL remporta notamment deux années consécutives, en 1939 et 1940,
les 500 Miles d'Indianapolis avec Wilbur Shaw à son volant et aurait encore
gagné en 1941 si une roue défectueuse n'avait fait des siennes. Cette 8 CL
"Boyle", du nom de son riche commanditaire, marqua fortement les esprits
outre-atlantique car elle était la première voiture non américaine depuis 20
ans à remporter cette prestigieuse course.
8 CL Boyle
En 1940, l'usine Maserati se déplaça de Bologne à Modène pour se
fixer là où elle se trouve toujours, viale Ciro Menotti. Durant la seconde guerre
mondiale, y furent produits des composants électriques et des
machines-outils ainsi que des voitures électriques ! (qui sait si un jour
Maserati en produira de nouveau ?). En 1947, Bindo, Ettore et Ernesto
quittèrent comme prévu Maserati 10 ans après la vente de leurs actions (mais
ils n'avaient pas imaginé que 5 de ces années seraient des années de guerre)
et fondèrent à Bologne, le berceau initial de Maserati, l'entreprise OSCA
(Officine Specializzate Costruzione Automobili) à qui l'on doit de très pures
barquettes de course de petite cylindrée qui régalèrent les pilotes-clients des
années 50. C'est donc la famille Orsi (le père, Adolfo, et surtout le fils, Omer,
beaucoup plus souple de caractère) qui resta aux commandes de Maserati.
Les Orsi étaient à l'origine des industriels de la machine-outil installés en
Emilia Romagna. Ils n'avaient initialement pas de connaissances spécifiques
en matière d'automobiles mais savaient très bien gérer une entreprise, tout le
contraire des trois frères Maserati, parfaits techniciens en autos de courses
voire même ingénieurs sur le tas (Ernesto a quasiment seul dessiné et mis au
point la 6 CL) mais piètres gestionnaires. Leur association avec les Orsi
étaient ainsi logique, les libérant des taches administratives et financières et
les laissant se concentrer sur la partie technique qui les passionnait et à
laquelle ils s'adonnèrent ensuite dans le cadre de la firme Osca, mais en
ayant "perdu" au passage l'entreprise qui portait leur nom. La A6 1500
dessinée par Pininfarina et sortie en 1946 fut la première Maserati d'après
guerre et quasiment la première Maserati de route de l'histoire de la firme.
A6 1500 - Pininfarina
Elle fut suivie par l'A6 G de 2 litres en 1950 et par la très belle A6 G 54
de Zagato en 1954 mais ces trois modèles réunis ne totalisèrent qu'une
centaine de voitures produites ! Maserati n'était encore qu'un constructeur de
voitures de course et dans ce domaine, après la guerre, les plus dangereux
concurrents du trident n'étaient plus allemands mais ses soeurs italiennes :
Alfa Romeo et la nouvelle venue, Ferrari.
A6 GCS
La A6 GCS barquette connut cependant de beaux succès en
compétition. En 1953, Maserati débaucha l'ingénieur moteur vedette de
Ferrari, Gioacchino Colombo (le père du fameux V 12 Ferrari "Colombo" à
simple arbre par banc de cylindres) qui exerça son talent sur l' A6 GCM et,
surtout, jeta les bases de la meilleure monoplace de sa génération, la 250 F
qui deviendra championne du monde de formule 1 en 1957 entre les mains
de Juan Manuel Fangio. Ce fut cependant un nouvel, très jeune (30 ans en
1954) et très brillant ingénieur, engagé sur les conseils de Colombo, qui
fignola la mise au point de la 250 F : Giulio Alfieri qui, curieusement, a pour
nom le prénom du fondateur de la marque Maserati, de sorte que lorsque l'on
lisait "Officine Alfieri Maserati" sur les bordereaux d'inscriptions des Maserati
d'usine aux courses, certains se demandaient pourquoi l'ingénieur plaçait-il
son nom devant celui de la marque. La contribution de Giulio Alfieri aux
succès sportifs et commerciaux de la firme au trident de 1954 à 1975 fut tout
à fait considérable et sa production extrêmement prolifique. On lui doit
l'affinage de la 250 F, ses dérivées barquettes sport à 6 cylindres ( les 250 S
et 300 S), la magnifique 450 S de 1957 et son merveilleux V8 quatre arbres
tellement en avance sur son temps qu'il sera produit jusqu'en 1990, la
Birdcage avec son châssis ultraléger en fins tubes d'aluminium (d'où son
nom), toute la série des Maserati du colonel Simone au Mans, les bases
mécaniques de tous les coupés des fastes années 60 ainsi que de la
quattroporte I, le V12 Maserati de 3 litres qui équipa la Cooper de formule 1
les saisons 1966 et 1967, le moteur V6 de la Citroën SM. Ce ne sera qu'en
1975, quand Maserati sera honteusement mit en liquidation judiciaire par
Citroën, que Giulio Alfieri passera à la direction de Lamborghini.
Mais revenons à 1956 avec l'histoire de la 450 S qui illustre à merveille
le fonctionnement de l'usine Maserati dans les années cinquante. Tout
commença donc en 1956 par la commande spéciale de 2 moteurs Maserati
V8 de 4.2 litres émanant d'un italo-américano-californien du nom de Tony
Parravano qui souhaitait les monter dans des châssis Kurtis en vue des 500
miles d'Indianapolis. Giulio Alfieri et son acolyte Valerio Colotti ressortirent
d'un placard le projet d'un V8 à 90 degrés quatre arbres à cames en tête sur
lequel ils avaient planché l'année précédente mais qui avait été abandonné
après la catastrophe survenue aux 24 heures du Mans 1955. Ce furent là les
deux tout premiers moteurs V8 Maserati d'après guerre, mis au point, réglés
puis rodés dans une caisse de 300 S, puis expédiés depuis Modène aux USA
et payés 15000 Dollars pièce, plus que le prix d'une Ferrari complète neuve !
Giulio Alfieri obtint l'accord de la famille Orsi afin de profiter de cette
commande et de ce tout nouveau moteur pour développer une barquette
sport en vue de la saison 1957. Le châssis et la boîte 5 vitesses furent signés
Colotti, la carrosserie par Medardo Fantuzzi qui reprit en plus agressif les
lignes de la 350 S.
450 S
Neuf exemplaires furent produits dont 4 d'usine et un coupé signé de
l'anglais Frank Costen, spécialiste d'aérodynamique aéronautique, et réalisé
en hâte par Zagato pour le Mans 1957 où elle fut pilotée par Stirling Moss
(Omer Orsi, le patron de Maserati, voulait absolument Stirling Moss comme
pilote et concéda que l'auto fut dessinée en Angleterre).
450 S Costen
Le moteur de la 450 S de 1957, le mythique V8 de 4.5 litres avec 4
arbres à cames en tête, 4 carburateurs Weber 45 et 2 bougies par cylindre,
délivre 400 cv. Son timbre est particulier et facilement reconnaissable, grave
et lent mais prompt à atteindre rapidement le régime maximum relativement
faible de 5500 tr/mn. D’aucuns le tiennent pour le meilleur moteur de la
deuxième moitié du XXème siècle. Ses dérivés en 4.2 litres (260 cv), 4.7 litres
(290 cv), 4.9 litres (290 à 355 cv) et 5 litres (350 cv) équipèrent, après les
voitures de course, les coupés, cabriolets et quattroporte Maserati de route
jusqu’en 1990, ce qui constitue, à égalité avec le moteur XK de Jaguar, un
record de longévité industrielle (33 ans de production).
Quelle belle année 1957 ce fut ! La plus belle de l'histoire de la firme .
Maserati, champion du monde de formule 1 avec la 250 F de Fangio, fut à
deux doigts de cumuler les deux titres, la 450 S de 400 cv manquant de peu
le sacre en voitures de sport. Les deux meilleurs moteurs du moment étaient
signés Maserati en 6 cylindres en ligne de 2.5 litres et en 8 cylindres en V de
4.5 litres. Ce V8 de la 450 S impressionna les connaisseurs de part son bruit
envoûtant et son allonge phénoménale. Ainsi, le Shah d'Iran, Resa Palavi,
n'eut de cesse qu'on lui livre une 450 S en version coupé de route. La
commande du Shah fut honorée l'année suivante par une magnifique 5000
GT carrossée par Touring au V8 poussé à 5 litres mais ramené à 350 CV
pour plus de souplesse et de confort d'utilisation.
La 5000 GT du Shah
Ce bijou fut exposé au salon de Turin avant sa livraison au Shah et
plusieurs carrossiers (Bertone, Michelotti, Allemano, Frua) déclinèrent leur
propre version de la 5000 GT. Au total, 36 exemplaires furent construits et
cela conforta les Orsi père et fils et leur ingénieur en chef Giulio Alfieri de
produire une auto de route, certes plus modeste, mais à relativement grande
échelle : ainsi naquit la 3500 GT sur la base 6 cylindres en ligne de la 350 S
dérivée de la 250 F. En achetant une 3500 GT, le client s'offrait le moteur de
la formule 1 championne du monde l'année précédente ! Vous imaginez
l'argument marketing irrésistible !
Cette auto, qui plus est magnifique (design Touring), fut la première
Maserati que le grand public (cependant financièrement à l'aise) put s'acheter.
2220 unités, soit quatre fois plus que toutes les Maserati produites depuis
l'origine de la marque en 1926, trouvèrent preneur, ce qui constitua un beau
succès commercial.
3500 GT
Ainsi, 1958 est une date très importante dans l'histoire de Maserati qui,
jusque là, était essentiellement un constructeur de voitures de course, les
rares adaptations à la route de ces bolides ne représentant que quelques
dizaines d'unités en 1958. S'achevait alors le temps du gentleman driver
achetant une auto pour courir personnellement avec elle. Les pilotes de haut
niveau devenaient des professionnels. Ils ne payaient plus pour courir mais
on les payait au contraire et déjà fort cher quand ils avaient du talent.
Désormais, alors que la compétition automobile s'organisait en écuries
privées ou d'usine, les clients fortunés ne voulaient plus prendre de risques
insensés en course. Ils préféraient réclamer des autos sportives pour rouler
sur des routes qui ne connaissaient pas encore les limitations de vitesse. Par
un revirement total de stratégie, Maserati devint un producteur (quasi exclusif
après 1965) de voitures de grand tourisme et même de berlines ultra-rapides.
Ces autos à la finition extrêmement luxueuse, bien plus soignées
qu'une délibérément spartiate Ferrari contemporaine, possédaient cependant
une base très sportive puisque leurs moteurs descendaient directement en 6
cylindres en ligne de la 350 S ( 3500 GT puis Sebring, Mistral) et en V 8 de la
450 S (Quattroporte I puis Mexico, Ghibli I, Indy, Bora, Kahmsin, Kyalami,
Quattroporte III).
Birdcage
Maserati n'écarta cependant pas totalement la course au début des
années 60 : Alfieri dessina la Birdcage sur un châssis ultra-léger en treillis de
fins tubes d'aluminium et y plaça des 4 cylindres en ligne 2 litres de 200 cv
(tipo 60) ou 3 litres de 250 cv (tipo 61). Ces très fines autos étaient vendues à
des écuries privées telles Camoradi ou Serrenissima de Venise. Si la tipo 60
s'illustra durant toutes les années 60 en circuit et en courses de côtes, la tipo
61 connut une carrière fantastique s'adjugeant les 1000 kms du Nurburgring
1960 avec l'équipage Moss-Guney et récidivant en 1961 avec Casner et
Gregory. Elle fut vice championne du monde des voitures de sport en 1961.
Le châssis Birdcage
Pour la remplacer, Alfieri créa les tipo 63 et tipo 64 avec des moteurs
(4 cylindres puis 12 cylindres) en position centrale arrière mais ces autos, si
elles impressionnèrent les esprits, ne remportèrent guère de course, pas plus
que les 151, 152 (au V8 en position avant) et tipo 65 (au V8 central arrière)
que le colonel Simone (Maserati France) engagea au Mans de 1962 à 1965.
La tipo 65 sera la dernière voiture de course 100 % Maserati à être
engagée en compétition automobile avant la Ghibli II Cup de 1995 ! Par
contre, Maserati devint motoriste de formule 1 pour l'écurie Cooper durant les
saisons 1966 et 1967, Giulio Alfieri ayant retravaillé pour l'équipe anglaise le
beau V12 à 60 degrés de 3 litres de la tipo 64 en le poussant jusqu'à 360 cv
et même 380 cv dans sa version 1967. Avec la Cooper-Maserati, John
Surtees fut vice champion du monde en 1966 (victoire au Mexique d'où
l'appellation Mexico pour le nouveau grand coupé 4 places sorti la même
année, plusieurs secondes places) et durant la saison 1967, Pedro Rodriguez
remporta le Grand Prix d'Afrique du Sud à Kyalami (d'où le nom du coupé qui
succédera à la Mexico en 1976).
Pour être tout à fait complet, signalons également la victoire d'une
Citroën SM à moteur Maserati V6 de 2.7 litres au rallye du Maroc 1971 et la
Ligier JS2 qui s'illustra au Tour de France Auto de 1973. Cette Ligier, équipée
du moteur Maserati V6 de la SM porté à 3 litres et placé en position centrale
arrière, était pour l'occasion livrée aux mains expertes de Larousse et
Chasseuil. Nous en aurons ainsi terminé avec l'engagement de Maserati en
sport automobile dans les années 60 et 70, incroyablement plus léger que
celui, considérable, des années 40 et surtout 50.
En 1968, malgré une très belle décennie de production de voitures de
tourisme fort appréciées pour leur élégance, leur luxe et le pédigrée "course"
de leurs moteurs, Adolfo et Omer Orsi cédèrent leurs parts de la société
Maserati à Citroën alors en quête d'un moteur de bonne cylindrée pour son
futur coupé de prestige, la SM. Le principe de la traction avant n'étant pas
négociable pour ce vaisseau amiral de la marque aux chevrons, le V8
Maserati s'avérait trop puissant, les roues avant, délestées en accélération à
la différence de celles arrière, ne pouvant faire passer au sol une telle
cavalerie sans patiner. Giulio Alfieri, maintenu par les dirigeants du quai de
Javel dans ses prérogatives d'ingénieur en chef de Maserati, amputa donc le
V8 maison de 2 cylindres et fournit à Citroën un très beau V6 à grande
ouverture (90 degrés, ce qui est inhabituel sur 6 cylindres en principe
disposés à 60 degrés), à 4 arbres à cames en tête, de 2.7 litres développant
entre 170 cv (version carburateurs) et 180 cv (avec l'injection). Ce noble V6
faisait de la SM la plus puissante des automobiles françaises de ces années.
Il trouva également place en position centrale arrière dans la Maserati Merak
en deux versions : l'une ramenée à 2 litres pour le marché italien sévère dans
ses taxes au delà de cette cylindrée, l'autre poussée à 2.9 litres.
Contrairement à ce que l'on a pu dire, les années Citroën (1968-1975)
ne furent pas stériles pour Maserati. Seule leur conclusion fut désolante mais
au début, aucune bride ne bâillonna la créativité de l'équipe de Giulio Alfieri,
bien au contraire. L'Indy, dont le nom rappelle les exploits de la Maserati
"Boyle" à Indianapolis, vit le jour en 1969. Grand coupé 4 places à la ligne
extrêmement fine due à Michelotti pour Vignale, elle "portait" le V8 maison en
version 4.2 litres (260 cv) ou 4.7 litres (290 cv) ou 4.9 litres (celui de la Ghibli I
SS ramené de 355 à 320 cv).
Indy
En 1971 au salon de Genève apparut la première Maserati de route à
moteur central arrière ( V 8 de 4.9 litres), la Bora, due au talent de designer
de Giorgetto Giugiaro, suivie par sa version allégée et affinée à moteur V 6, la
Merak.
Bora
Durant cette période, comme on le voit assez faste en productions de
rêve, l'enthousiasmante Khamsin, dessinée par Marcello Gandini, s'acquitta
avec classe de la lourde tâche de remplacer un chef-d’œuvre d'esthétisme, la
Ghibli I.
Khamsin
Toutes ces voitures furent réussies et connurent un certain succès,
malgré la crise pétrolière de 1973 due à la guerre du Kippour. Cette crise
n'empêcha pas Maserati de présenter la Merak SS et les prototypes de la
quattroporte II aux lignes épurées tracées par Gandini, version 4 portes de la
Citroën SM dont elle reprenait l'architecture traction avant-moteur V6. C'eut
été la première Maserati à traction avant si elle avait "vécu" et connu la
production. Mais brusquement, en Mai 1975, Citroën mit Maserati en
liquidation judiciaire, provoquant un tollé général dans le monde automobile.
L'explication de cette attitude brutale semble plus psychologique que vraiment
rationnelle car la situation financière de Maserati n'était pas si désespérée et,
de plus, de nombreuses marques de voitures de sport ont tout de même bien
survécu à la crise pétrolière. Non, chez les dirigeants de Citroën, c'était le
choc émotionnel du choc pétrolier : surprise, tout n'allait donc pas croître
indéfiniment en ce nouveau et beau monde économique ? Ils ont eu peur.
Ajoutez à cela le rachat de Citroën par Peugeot qui se désintéressait de
Maserati, l'échec commercial relatif de la SM (peut-être davantage dû aux
difficultés du réseau commercial Citroën à appréhender la clientèle qu'à la
crise du pétrole), la mise en chantier du V6 PRV (Peugeot-Renault-Volvo)
destiné à équiper les hauts de gamme de ces constructeurs sans puiser dans
la banque d'organes Maserati et on comprend mieux pourquoi les chevrons
voulurent se débarrasser du trident. Mais de là à le mettre en liquidation
judiciaire, il y avait un pas énorme. Citroën n'en était pas à son coup d'essai
dans le fusillage des monuments du patrimoine automobile en ayant déjà
mangé, digéré et effacé à jamais le brillant Panhard (souvenez-vous de ces
fines, agiles mais bruyantes P24 des années 60). De même, la France n'a
guère versé de larmes lors de l'exécution de fleurons absolus de son art
automobile (car à ce niveau, c'est bien d'art qu'il s'agit) tels Bugatti, Delage,
Delahaye, Facel-Vega. Objets trop précieux, trop luxueux, trop prestigieux,
trop chers pour être décemment exposés devant les distorsions de revenus
de notre société civile qui les percevait comme arrogants et insultants. Il faut
croire que l'admiration voire l'amour des italiens pour une belle auto sont plus
forts que la rancœur sociale éprouvée à l'encontre de l'heureux propriétaire
qui ose s'afficher avec. L'Italie ne put accepter l'idée de la disparition de
Maserati. Sous la pression de l'opinion publique, de l'Assocciazione
Industriali, des administrations communales et provinciales de Modène et
d'Emilia Romagna, le gouvernement italien intervint en faveur de Maserati,
évitant la fermeture grâce à l'administration par le GEPI (organisme étatique
de financement des entreprises en difficultés).
Après le temps d'Alfieri Maserati (1914-1932), celui de ses trois frères
Ernesto, Ettore et Bindo (1932-1947), celui de la famille Orsi (1947-1968),
celui de Citroën (1968-1975), commença alors pour Maserati l'époque et
même l'épopée De Tomaso. Alejandro De Tomaso, qui posséda et dirigea
personnellement Maserati de 1975 à 1993, fut un personnage haut en couleur
dont le parcours mérite largement que l'on s'y attarde quelque peu. Le très
précis Gilles Bonnafous, dans Motorlegend. com, relate fort bien sa vie :
Riche hidalgo argentin installé à Modène, Alejandro De Tomaso est un
personnage de roman. Héritier d'une immense fortune, il s'en détourne pour
se consacrer à sa passion : l'automobile. L'homme n'en est pas moins un
industriel avisé et un businessman engagé dans des domaines divers.
D'origine italienne par ses deux grands parents paternels, Alejandro De
Tomaso naît à Buenos Aires le 10 juillet 1928. Son père, un homme politique
connu, fut ministre de l'agriculture dans les années trente. Quant à sa mère,
elle appartient à l'une des plus anciennes et plus influentes familles d'origine
espagnole (XVI ème siècle), propriétaire de plus de 100 000 hectares dans la
province de San Luis, au pied des Andes. Pourtant, étudiant, Alejandro De
Tomaso fait partie de groupes anti-peronistes, où il côtoie un certain Ernesto
Guevara... Son père étant décédé prématurément, il est promis à la gestion
du domaine familial et de la fortune considérable qu'il représente. Mais ça ne
l'intéresse pas. C'est un fou de voitures et il rêve de suivre l'exemple des deux
grands pilotes argentins que sont alors Juan-Manuel Fangio et Froilan
Gonzales. Alejandro entame alors une carrière de pilote au milieu des années
cinquante, courant sur une Ferrari quatre cylindres et surtout sur des
Maserati. En 1956, il termine quatrième des 1000 kilomètres de Buenos Aires
sur une 150 S, qu'il pilote avec Carlos Tomasi. C'est là qu'il rencontre
Elisabeth Haskell, une richissime Américaine venue prendre part à la course
sur la Maserati qu'elle possède. Entre Maseratistes, on est sur la même
longueur d'onde. C'est le coup de foudre !
L'année suivante, ils se marient et courent ensemble, partageant le
volant d'une Osca 1500. Toujours en 1957, le couple émigre en Italie et
s'installe à Modène, la Mecque du sport automobile, fief de Maserati avec
Ferrari tout près (Maranello) et Osca (Bologne) non loin. Alejandro devient
d'ailleurs pilote d'usine Osca avec celle qui est désormais Elisabeth De
Tomaso. On ne saurait dire que le pilote manifeste un très grand talent, mais
le petit Argentin au bras de la grande blonde et riche Américaine fait parler de
lui et attire l'attention des medias...Ses meilleurs résultats sont trois victoires à
l'indice de performance aux 12 heures de Sebring 1958 (avec sa femme et
Bob Ferguson), aux 24 heures du Mans 1958 (avec Colin Davies) et à
nouveau à Sebring en 1959 (avec sa femme et Bob Ferguson). A chaque fois
sur une Osca 750 cm3.
Le temps est venu, pour Alejandro, de tourner la page du pilotage. Ce
qu'il veut désormais, c'est construire ses propres voitures. En 1959, il
implante son usine à Albareto, dans la banlieue de Modène. Il y construit des
voitures de course, des monoplaces de formule junior et même une formule 1
tout en participant à la mise au point de la Behra-Porsche.
L'étape suivante, naturelle, était la production de voitures de tourisme.
Ford, ayant échoué dans le rachat de Ferrari, s'allia à De Tomaso afin de
prendre une place dans le segment des voitures de sport luxueuses, lui
fournissant de gros V8 de 5 ou 5.7 litres pour ses Mangusta, Pantera,
Deauville et Longchamp. Ainsi et durant 15 ans, De Tomaso devint le
quatrième constructeur italien de voitures de sport derrière Ferrari, Maserati et
Lamborghini (tout cela dans un rayon de 50 kms, wahou !). Les affaires
prospérant, surtout grâce à la Pantera, De Tomaso racheta les marques de
moto Benelli et Moto Guzzi puis plus tard Innocenti en 1976. Mais juste avant
cela, en 1975, Maserati était mis en liquidation et survivait à peine sous
perfusion étatique. De Tomaso vint au chevet de sa voisine de Modène, se
porta acquéreur et entreprit son redressement.
La première intervention d'Alejandro De Tomaso fut de créer un
nouveau modèle à peu de frais, la Kyalami, en se servant de la superbe mais
confidentielle De Tomaso Longchamp, grand coupé 4 places à la ligne
affirmée signée Frua.
Kyalami
Le moteur V8 Ford de la Longchamp fut remplacé par le V8 Maserati
en version 4.2 ou 4.9 litres, les phares rectangulaires de la De Tomaso
échangés pour des doubles optiques rondes, et le trident fixé sur la calandre
à la place du fer en forme de T ondulant marquant le nombreux bétail de
notre Argentin dans l'estancia de sa grand-mère maternelle. Puis Alejandro
De Tomaso lança Giorgetto Giugiaro sur la création d'une Quattroporte III qui
sortit en 1978 avec les mêmes magnifiques moteurs V8 (le projet de
Quattroporte II sur base mécanique de Citroën SM à traction avant étant bien
sûr, vu les circonstances, abandonné).
Quattroporte III
Les ventes redécollèrent significativement en 1979 mais le nouveau
patron de Maserati avait une autre idée en tête pour faire passer la vitesse
supérieure à sa firme. Comme nous l'avons déjà mentionné, le gouvernement
italien taxait fortement les autos de plus de 2 litres mais sans entrer dans la
subtilité
d'une
éventuelle
suralimentation.
La
technologie
des
turbocompresseurs, testée en compétition puis par BMW sur sa 2002 et
Porsche sur sa 911, commençait à se fiabiliser. Il devenait possible d'obtenir
la puissance d'un bon 3 litres atmosphérique avec un 2 litres turbocompressé
utilisant l'énergie des gaz d'échappement pour faire tourner un moulin dont
l'axe, un peu plus loin, portait d'autres pales comprimant de l'air envoyé sous
pression, donc plus riche en oxygène (donc plus détonant), dans les cylindres
du moteur. Le problème rencontré sur les autos allemandes était celui du
temps de réponse du turbo, qui pouvait tout de même à l'époque atteindre 2
ou 3 secondes. En utilisant 2 petits turbocompresseurs plutôt qu'un seul gros,
diminuant d'autant le poids des pièces en mouvement et donc leur inertie à
l'accélération de la rotation, on réduisait très significativement le temps de
réponse et on améliorait franchement la disponibilité du moteur. Le nom était
tout trouvé pour la voiture qui étrenna cette toute nouvelle architecture moteur
(avec un turbo par rangée de cylindres du V6), toujours d'actualité 30 ans plus
tard sur une multitude de modèles sportifs : biturbo. En un seul mot simple et
concis, tout était dit. Les voitures avec un turbocompresseur étaient rares à
l'époque mais équipées de deux, ça n'existait pas et ce nom de biturbo, pour
la première fois entendu, frappa les esprits. Le V6 retenu fut celui à 90 degrés
des SM et Merak mais profondément remanié pour le haut moteur qui perdit
ses 4 arbres à cames en tête pour un simple arbre par rangée de cylindres
mais actionnant au total 18 soupapes, 3 par cylindre (2 petites d'admission
pour un bon brassage d'air et 1 grosse d'échappement). Ce moteur tout en
alliage léger faisait appel à des dépôts de couches dures à faible coefficient
de friction (Nikasil) sur les chemises des cylindres, en alliage léger elles aussi.
Le mélange air essence relevait d'un gros carburateur situé tout entier dans
une cloche étanche au centre du V 6, recevant l'air comprimé par les 2 petits
turbo japonais IHI.
Les deux durites aluminium droite et gauche amènent l’air comprimé par les turbos à
la cloche centrale du carburateur.
La puissance délivrée atteignait 180 cv ce qui témoignait d'un
rendement de 90 cv au litre, considérable pour l'époque où la moyenne des
moteurs fournissaient 50 cv au litre. Mais ce qui était encore plus
impressionnant, c'était la délivrance très brutale de la puissance, surtout sur
cette première génération de biturbo équipée de limitateurs de surpression
rudimentaires (wastegate ou soupapes de décompression). L'auto était d'une
vivacité incroyable, presque intenable, à faire paraître anémiques les Ferrari
308 et les Porsche 911 SC contemporaines à la silhouette pourtant bien plus
sportive.
Car Pierangelo Andreani habilla ce concentré de nouvelles
technologies et de vitamines qu'était la biturbo d'une robe particulièrement
sobre, pour ne pas dire sage et classique, le moteur avant autorisant quatre
vraies places et un coffre correct, à la différence de ses rivales. La biturbo fut
commercialisée fin 1981 et le succès fut absolument foudroyant et immédiat :
les commandes explosèrent à tel point que, pour les honorer toutes, il fallut
stopper la chaîne des Merak et même faire assembler une partie des autos
chez Innocenti à Milan, firme appartenant également au groupe De Tomaso
depuis 1976. Pour mesurer ce succès, il faut considérer qu'en 1981 Maserati
produisait moins de 500 voitures par an, en 1982 le quadruple, en 1984 elle
frôlait les 6500 unités ! Il s'agit là du plus gros succès commercial de l'histoire
de Maserati, inégalé même à ce jour en 2011.
Alejandro De Tomaso aurait pu savourer son plaisir : il avait réussi un
superbe "coup" commercial. Pourtant, il était sombre car des problèmes de
fiabilité, nombreux, apparaissaient. Rien à voir avec une Khamsin, par
exemple, dont le moteur V8 avait 20 ans de recul, pour lequel tout était
parfaitement connu, révélé et amélioré quand il le fallait depuis longtemps.
Pour la biturbo au contraire, tout était à découvrir. C'était un coup d'essai, une
première fois pour Maserati en motorisation turbo et une première mondiale
en biturbisme. Cette technologie du turbo était d'ailleurs trop neuve, les
ingénieurs et même les conducteurs insuffisamment expérimentés en ce
domaine. Les axes des turbos fondaient si on ne laissait le moteur 2 minutes
au ralenti avant de couper le contact (cela s'améliora quand les turbos furent
refroidis par l'eau du moteur fin 1984), les accoups pressionnels trop
importants étaient délétères pour les soupapes (waste-gate amélioré à partir
de 1984), l'air comprimé admis dans le moteur était trop chaud (échangeurs
air-air en option dès 1983 puis en série en 1984), la température était trop
élevée sous le capot générant des dysfonctionnements électriques divers et
variés (extracteurs d'air ou prise Naca dès 1984), le Nikasil des chemises
cylindres résistait mal (abandonné en 1985) ...Ajoutez une boîte de vitesse
(ZF pourtant), un différentiel et des cardans de résistance normale mais
s'usant prématurément à force d'encaisser des accélérations anormalement
violentes ! Et malgré tout cela, il se trouvait des maseratistes biturbistes
convaincus pour ramener à chaque fois leur biturbo défaillante chez Maserati
et recommander avec une bonne remise le modèle suivant sous les quolibets
de leurs amis : " mais achète-toi donc une BMW comme la mienne, je n'ai
jamais ouvert le capot !" J'ai connu de tels passionnés, considérant que
malgré les turpitudes, le plaisir de conduire une Biturbo était si intense que le
bilan global restait cependant positif. Le fait est, beaucoup de propriétaires de
biturbo en ont eu plusieurs. C'est un signe qui ne trompe pas. Ils appréciaient
Maserati et lui restaient fidèle comme on reste fidèle à une femme que l'on
aime même si sa santé est fragile. Et puis la santé des biturbo s'améliorait
pas à pas. L'adoption de l'injection électronique avec gestion informatisée des
divers paramètres moteurs fut un grand pas en avant (1986 sur la biturbo SI).
On peut dire qu'à partir de 1987- 1988, la plupart des problèmes étaient bien
maîtrisés mais le mal psychologique était fait, la réputation de fragilité
mécanique, de "moteur en cristal" comme on a pu dire, avait circulé et les
ventes déclinèrent irrémédiablement malgré une offre de plus en plus
diversifiée (berline 4 portes compacte, cabriolet Zagato, grand coupé 228,
petit coupé Karif).
Injustice des hommes : c'est quand elle était le moins fiable que la
biturbo s'était le mieux vendue, c'est quand elle arrivait à maturité, offrant des
performances encore plus enthousiasmantes avec un savoir faire chèrement
acquit et une fiabilité retrouvée que la clientèle se mit à la bouder. Cet état de
fait est encore plus flagrant et injuste pour les autos qui succédèrent à la
biturbo mais qui sont en fait ses filles des années 90, la Ghibli II et la
Quattroporte IV, qui connurent l'échec commercial alors qu'elles étaient
devenues au fil du temps des produits de très haute qualité. Mais à toute
chose malheur est bon, il y a là une pure aubaine pour les maseratistes
connaisseurs d'accéder au mythe Maserati dans d'excellentes conditions sans
être fort riche et cela est bien appréciable de rencontrer une situation où le
savoir prime sur l'argent.
Malgré tout, l'aventure humaine et technique biturbo fut une très belle
épopée, celles de pionniers hardis défrichant des terres nouvelles et de
travailleurs infatigables qui résolurent un à un les problèmes rencontrés et
déclinèrent, toutes versions de carrosseries et de moteurs confondues, pas
moins de 30 modèles différents. Cette longue période biturbo s'étendit de
1981 à 2002, la belle 3200 GT en étant l'aboutissement suprême. Le tableau
suivant en résume les étapes les plus marquantes :
1981
- lancement de la biturbo (V 6 de 2 litres 180 cv) le mois des 18 ans de
l'auteur de ces lignes, ça ne s'oublie pas !
1983
- biturbo S ( avec échangeurs air-air et prises d'air Naca, 205 cv)
1984
- berline 425 (V 6 de 2.5 litres)
- spider Zagato (avec V 6 de 2 ou 2.5 litres)
- grand coupé 228 (avec V 6 de 2.8 litres 255 cv et turbos refroidis par eau)
1985
- berline 420 (V 6 de 2 litres)
1986
- biturbo SI (avec injection électronique donnant 220 cv en 2 litres)
1987
- berline 430 ( V 6 de 2.8 litres 250 cv)
- coupé Karif (spider compact à 2 places avec hard-top soudé)
1989
- moteur à 4 soupapes par cylindre 245 cv en 2 litres
1990
- lancement de la Shamal ( avec V 8 à 4 soupapes par cylindre de 3.2 litres et
330 cv dans une robe ultra-agressive de Marcello Gandini)
1992
- les faces avant de tous les modèles ont des optiques arrondis (shamalisés)
- la boîte de vitesse Getrag remplace la ZF
- lancement de la Ghibli II dessinée par le fidèle Gandini ( V6 de 2 litres de
305 cv ou de 2.8 litres de 285 cv)
1994
- lancement de la Quattroporte IV toujours due à Gandini ( V6 de 2 ou 2.8
litres de 285 cv dans les 2 cas, V8 de 3.2 litres et 330 cv)
1995
- la Ghibli II cup de 2 litres et 330 cv ! (record de rendement)
1998
- la Quattroporte IV Evoluzione (totalement revue par Ferrari, cylindrées et
puissances inchangées)
- lancement de la 3200 GT, la dernière biturbo, un chef d'oeuvre de plus de
Giugiaro ( V8 de 3.2 litres et 370 cv)
Se sachant malade, Alejandro De Tomaso vendit ses parts de Maserati
à Fiat en 1993. Il ne décèdera pourtant qu'en 2003 et aura eu le temps de voir
sa chère firme Maserati renaître une nouvelle fois, mais cette fois-ci sous la
houlette de Ferrari. Car Fiat, qui possédait déjà presque toute l'industrie
automobile italienne avec Alfa Roméo, Lancia et Ferrari, ne parvint pas à
relancer les ventes de Maserati durant sa gouvernance de 1993 à 1997. Au
contraire, elles ne furent presque jamais aussi basses. Et pourtant, les deux
produits Maserati de cette période, la Ghibli II et sa version à 4 portes, la bien
nommée Quattroporte IV, atteignaient enfin un haut degré de technicité et de
fiabilité. Sur le papier, ces autos avaient tout pour elles : des moteurs biturbo
au rendement extraordinaire (jusqu'à 330 cv pour 2 litres dans la Ghibli cup,
ça fait tout de même 165 cv au litre, un record, même en suralimentation),
une fiabilité enfin honorable (fruit d'une quinzaine d'années de production
presque exclusive de moteurs biturbo par Maserati avec, au final, un
appréciable savoir faire en la matière), une finition cuir-boiseries-alcantara
magnifique et harmonieuse,
Le luxueux habitacle de la Quattroporte IV
des patronymes on ne peut plus glorieux voire presque usurpés selon
certaines mauvaises langues (La Ghibli I était un chef d'oeuvre absolu
d'esthétisme unanimement reconnu. Quant à l'appellation Quattroporte, elle
était jusque là réservée aux grandes berlines Maserati. Ainsi, il n'avait pas été
attribué aux biturbo berlines, 425, 420, 430 et 424, dont la Quattroporte IV
était pourtant la directe descendante, cette dernière jouissant donc d'un nom
fort prestigieux eu égard "à sa condition" de berline plutôt compacte, mais il
faut reconnaître qu'elle le vaut bien !), des carrosseries signées du "grand
couturier" Marcello Gandini (agressives et félines, même si leurs malles
arrières un peu hautes ont pu chagriner certains de même que les passages
de roues arrières de la Quattroporte IV obliques, comme sur la Countach ou
la Shamal, toutes deux nées de l'esprit de Gandini. Mais leur finesse globale
est bien réelle comme en témoignent une aérodynamique et des vitesses de
pointe excellentes. Plus on les regarde sous divers angles, plus on les trouve
belles, ces deux autos. En fait, la lecture de ce type de beauté de carrosserie
n'est pas facile et immédiate comme avec une œuvre de Giugiaro ou de
Pininfarina. Il faut du temps pour les apprécier, s'en imprégner mais après, je
vous assure, elles ne vous lâcheront plus, vous ne vous en lasserez jamais.
Cependant, pour en arriver là, il faut les avoir vues et revues ce qui n'était pas
évident en ces années d'avant la généralisation d'internet. Il aurait fallu qu'il y
en ait quelques unes dans la rue ce qui ne fut pas ou peu le cas, le seuil
critique de ventes entraînant le plaisir de les découvrir dans la circulation, en
action, n'eusse été qu'à Modène, Rome, Monaco ou Cannes, ne fut pas
atteint).
Rien n'y faisait, Ghibli II et Quattroporte IV trouvaient difficilement
preneur. Il fallait donc de nouveaux modèles à la beauté plus compréhensive,
pure et instantanément perçue, il fallait aussi la caution d'un constructeur
sérieux et au dessus de tout soupçon chapeautant Maserati. Dans le groupe
Fiat, il y avait (et il y a toujours) Ferrari. Quelqu'un eut l'idée au premier abord
saugrenue, mais en fait géniale, de vendre Maserati à Ferrari. Pour
quiconque a un peu de culture historique des deux marques, ce rachat
semble incroyable. Ces deux voisines, concurrentes sur tous les circuits du
Monde, ces deux cousines ennemies d'Emilia Romagna, l'une ayant brillé
dans les années 30 à 50 (Maserati), l'autre s'étant affirmée triomphalement
dans les années 60 et 70 (Ferrari), aucun fou n'eut parié que l'une
appartiendrait un jour à l'autre ! Et pourtant en 1997, par un habile tour de
passe-passe financier, Fiat céda la totalité des actions Maserati à Ferrari dont
elle était de toute façon aussi propriétaire. Ce rachat par Ferrari fut proclamé
sur la place publique et on s'assura bien que ce fut entendu. Ferrari
commença par stopper net toute la production de Maserati pendant 6 mois
pour une remise à niveau totale de la Quattroporte IV qui poursuivit ensuite sa
carrière sous le nom de Quattroporte IV Evo (pour Evoluzione). Par contre, la
production de la Ghibli II s'arrêta assez vite, Ferrari ayant décidé de lancer un
nouveau coupé en priant Giorgetto Giugiaro de "forcer" son talent. Il leur fallait
un chef-d’œuvre, ils l'eurent en la superbe 3200 GT, la première Maserati née
sous la gestion Ferrari, une merveille d'une grande pureté esthétique avec
ses phares carénés oblongues comme dans les années 50, sa calandre ovale
(rappelant les mêmes années de gloire sportive de Maserati) et ses fameux
feux arrières en boumerang, trouvaille de designer qui fit couler beaucoup
d'encre. Toute cette finesse dans un format compact de Ghibli II, du très
grand art ! (il est très difficile de réaliser une voiture à la fois courte et
élancée).
Les fameux feux « boomerang » de la 3200 GT
Si les trains roulants sont quasiment ceux de la Ferrari 550 Maranello
(les mêmes ingénieurs Ferrari ont travaillé sur les deux projets), par contre le
moteur est 100 % Maserati. Il s'agit d'une pièce d'orfèvrerie, la plus ultime
évolution de l'initial V 6 biturbo 2 litres 180 cv de 1981, en l'occurrence un V 8
biturbo 3.2 litres 370 cv, le nec plus ultra de la génération biturbo.
V8 3200
V6 Ghibli
Car il ne faut pas s'y tromper, même si 2 cylindres furent rajoutés, toute
l'architecture moteur est exactement similaire à celle d'un V6 Ghibli par
exemple : même angle d'ouverture du V à 90 degrés, arbre à came
d'admission (vers le centre du V) entraîné par la même chaînette (à l'arrière
du moteur) depuis l'arbre à came d'échappement lui même entraîné par la
longue courroie de distribution crantée (en avant du moteur pour plus
d'accessibilité), turbocompresseurs et échangeurs air-air identiques. En fait,
le V6 Maserati a retrouvé les deux cylindres qui lui avaient été amputés
quand Giulio Alfieri avait créé le V6 de la SM à partir du V8 maison. Le V8
3200 biturbo est le fruit de 17 ans de mises au point successives et
d'améliorations continues en matière de biturbisme. Cette 3200 GT est
exceptionnelle à plus d'un titre. C'est la dernière et la plus aboutie des biturbo
et c'est la dernière vraie Maserati c'est à dire mue par un vrai moteur
Maserati, toutes ses jeunes sœurs ayant, pour l'instant, un palpitant
atmosphérique Ferrari. Si le bois a quasiment disparu de l'habitacle de la
3200 GT (sauf sur la console centrale de certains modèles), le cuir pleine fleur
par contre recouvre tout : sièges bien sûr mais aussi tableau de bord,
console, contre-portes, montants de pare-brise, et l'alcantara magnifique
tapisse le ciel de toit. La montre est, comme il se doit dans une biturbo,
centrale et ovale, même si elle n'a plus son sertissage doré.
Cette auto magique se vendit fort bien malgré sa courte carrière
(1998-2002) car, tout préoccupé qu'il était par la beauté, toujours la beauté,
rien que la beauté, le Michel-Ange moderne, Giorgetto Giugiaro, avait oublié
les normes de surface minimum imposées par l'administration américaine
pour les feux arrière. Les magnifiques boomerangs, identificateurs au premier
coup d'œil de la 3200 GT comme les arc-boutants arrière le furent pour la
Merak ou la prise d'air avant droite pour la 250 F, ne passaient pas les
normes US et l'auto ne put y être vendue.
Ainsi, en 2002, l'éphémère 3200 GT interrompit prématurément sa
brillante carrière et fut remplacée par la 4200 coupé à banals mais larges feux
triangulaires et sans extracteurs d'air sur le capot moteur. A ces deux détails
près, les carrosseries et les intérieurs étaient absolument identiques. Par
contre, sous le capot, c'était la révolution car y prit dès lors place le V8
atmosphérique de la Ferrari Modena poussé à 4.2 litres (ce n'est pas un
hasard d'avoir choisi cette cylindrée rappelant le V8 de 4.2 litres des Indy des
années 70) mais ramené à 390 cv. Et alors là, les ventes décollèrent très
franchement.
Pour guère plus cher qu'une Porsche 911, on pouvait s'offrir un moteur
Ferrari (multichampionne du monde de F1 dans ces années avec Michael
Shumacher, ne l'oublions pas) dans une "discrète" Maserati beaucoup moins
voyante et beaucoup plus pratique qu'une Modena.
Le son inimitable et la fiabilité reconnue du V8 Ferrari eurent
également le loisir d'être appréciés dans un spider 2 places dérivé du coupé
et dans un magnifique vaisseau baroque dessiné par Pininfarina et sorti en
2003 : la Quattroporte V.
Firent leur apparition aussi sur toutes ces autos la boîte Cambio Corsa
avec palettes au volant et passage ultra-rapide des vitesses mais usant assez
vite les embrayages curieusement en conduite tranquille de ville (le seul point
faible de ces autos) beaucoup plus qu'en conduite rapide ou sur circuit.
Malgré ce détail (vu le prix de ces chef-d’œuvre roulant, leurs propriétaires
avaient les moyens de remplacer l'embrayage de temps en temps, guidés par
un indicateur électronique d'usure très précis au % près au tableau de bord,
mais attention en occasion, prévoir un budget embrayage) les ventes ne
cessèrent de grimper. C'était une re-renaissance après celle "biturbo" de
1981. On retrouve d'ailleurs presque les mêmes chiffres de production : 500
voitures livrées en 1981 pour 6500 en 1984 puis 518 en 1998 pour 5659 en
2005 mais à un prix proportionnellement bien plus élevé qu'en 1984 et avec
une fiabilité cette fois-ci au dessus de tout soupçon. Ce succès fut tel que Fiat
racheta les actions Maserati à Ferrari en 2005 mais sans le crier sur les toits
ce coup-ci.
La GranSport, ultime évolution de la 4200 coupé, avec son moteur
porté à 400 cv, ses bas de caisse carénés et sa grille de calandre chromée
acheva de faire tourner les têtes des porschistes les plus convaincus.
Survint alors une diva, la merveille des merveilles, qui eut pour mission
de remplacer finalement assez vite la série 4200 : la GranTurismo, dessinée
par Pininfarina, sans nul doute l'une des plus belles si ce n'est la plus belle
auto de la décennie, toute en symbolique, toute en évocation de sa lointaine
aïeule l'A6 GCS de 1954 (également due à Pininfarina) avec sa calandre
concave.
D'où qu'on la regarde, la GranTurismo est absolument parfaite de
fluidité mais plus grande que l'extraordinairement compacte 3200 GT-4200
coupé de Giugiaro et 200 kg plus lourde. Son V8 de 4.2 litres est moins
tonitruant que dans la carrosserie précédente et il fallut le pousser à 4.7 litres
(cylindrée mythique des Ghibli I 4.7 et des Indy 4.7 ) pour mettre tout le
monde d'accord grâce aux 440 cv délivrés dans un bruit à faire renier
l'écologie à Nicolas Hulot lui-même, un bouton au tableau de bord libérant
l'échappement, grande première qu'aucune administration dans aucun pays
n'a osé contrarier tant le résultat est féerique et majestueux. On a lu partout
dans la presse spécialisée que cette voiture, la GranTurismo S, possédait le
plus beau bruit de la production automobile mondiale. Plus belle carrosserie,
plus beau bruit, whaououou !!!
En 2010 furent lancés le GranCabrio (grand cabriolet 4 places sur base
GranTurismo), la GranTurismo MC (pour Maserati Corsa) GT4 réservée à la
course et la GranTurismo MC "stradale", version route de la précédente.
Car, petit retour en arrière, depuis 2004 Maserati revient à la
compétition grâce à la version course de la 4200 coupé (la Trofeo de 420 cv)
et surtout par l'intermédiaire d'une super-car dérivée de la Ferrari Enzo mais
pensée dès sa conception pour une homologation en Grand Tourisme FIA : la
MC 12.
MC12 version routière
MC12 Version course
Ce bolide extraordinaire, produit à seulement 50 exemplaires en
version routière (25 en 2004 et 25 en 2005) est en fait un sport prototype
animé par le V 12 de 6 litres de l'Enzo "dégonflé" à 630 cv au lieu de 660 (il
perd le calage variable de la distribution, interdit en GT FIA) mais gagne en
longueur et en largeur. Si sa vitesse maximale est moindre (330 km/h contre
350 à l'Enzo), ses vitesses de passage en virage sont supérieures et ses
accélérations foudroyantes (9.9 secondes pour le 0 à 200 km/h). L'équilibre
de la MC 12 est tel que la Enzo se trouve devancée sur circuit, notamment
sur le vieux Nurburgring qui, avec ses 170 virages, se pose au fil des années
comme un juge de paix incontournable quand il s'agit de départager les
super-cars entre elles. La MC 12 version course a un palmarès sportif épais
comme le bottin. Citons particulièrement une multitude de victoires et 5 titres
de champion du monde en GT FIA (aux mains du Vitaphone Racing Team)
ainsi que 3 victoires absolues aux 24 heures de Spa (2005, 2006, 2008), mais
la MC 12 n'est malheureusement pas homologable pour les 24 heures du
Mans. Toujours est-il que ces succès sportifs ravissent les maseratistes qui
n'oublient pas que leur marque préférée fut initialement entièrement vouée à
la compétition.
De quoi demain sera-t-il fait pour Maserati ? Il ne faut pas être grand
devin pour subodorer que l'offre en modèles de tourisme va de nouveau
s'élargir vers le bas. La GranTurismo et la Quattroporte V sont des produits
parfaits et peut-être plus encore mais fort chers. Il doit être possible d'obtenir
80 % de leurs prestations, soit plus qu'il n'en faut pour satisfaire le commun
des mortels même fervents maseratistes, pour 50 % du prix. Ni Alfa Romeo,
ni Lancia n'ont renouvelé leur berline haut de gamme, Fiat a déserté ce
secteur depuis longtemps et les familles italiennes aisées roulent en Audi,
Mercedes, BMW ou Jaguar, ça ne va pas ! Une berline à moitié prix des
Maserati actuelles devrait concurrencer ces références germaniques ou
anglaises (les françaises ne percent pas dans ce domaine, faute d'image) en
profitant de l'aura acquise par la marque au trident en très haut de gamme et
des synergies industrielles du groupe Fiat mais réussissant, j'en suis certain,
ce mariage savamment dosé de la sportivité et du luxe propre à Maserati.
Et bien voila, c'est fini, le parcours est parcouru. Comme paraissent
lointaines les Isotta-Fraschini préparées pour la course par Alfieri et ses frères
ou la Tipo 26 B remportant la Targa Florio ! Que de chemin depuis tout ce
temps, que de passion, de travail et d'émotions ! Un patrimoine, une histoire,
des rebondissements, des obstacles surmontés, des hommes et des
machines, reliés, ralliés au trident et à sa fierté !
200 S

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