RÉVÉLONS NOS INTUITIONS

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RÉVÉLONS NOS INTUITIONS
RÉVÉLONS NOS INTUITIONS
« Les autres font ce qu’ils veulent de tes mots,
tandis que tes silences les affolent.
Tiens ta langue et ils se mettront en huit
pour essayer de piger ce que tu ne dis pas. »
Frédéric Dard - Les pensées de San-Antonio, 1996
La Maserati MC12 avançait au ralenti sur Greenwich Street, dans la pointe
sud de Manhattan. Le vrombissement du moteur V12 en sous-régime surprenait
les passants qui se retournaient et restaient généralement muets d'admiration
devant la beauté du cabriolet sport bleu et blanc. Quant aux filles qui occupaient
les deux seules places du coupé, elles semblaient sortir de la photo retouchée par
ordinateur d’un magazine de mode ultra branché : coiffures de top model très
tendance, lunettes de star dernier cri, tenues de grande classe, super affriolantes.
En regardant de plus près, une réalité surprenante émergeait cependant de
cette image de femmes fatales trop parfaites. Des tatouages se détachaient sur
certaines parties de peau dénudées, des piercings trouaient leurs arcades,
narines, lèvres, oreilles et nombrils ; et de délicates pierres précieuses
flamboyaient, certaines unies par de minuscules chaînes en or ajouré.
Sur la calandre de leur bolide, l’inoxydable trident aiguisé de la célèbre
marque italienne étincelait dans la lumière des phares qui s'éclairaient en ce
dimanche soir, pour accueillir la nuit printanière qui tombait sur la capitale
mondiale du XXe siècle. Sur la plaque arrière de la Maserati, on pouvait lire en
lettres argentées : Just Suck Lust.
- On arrive juste à temps !
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©Yann YORO 2010
Les paroles de Cassandra, magnifique mannequin de dix-huit ans,
reflétaient toujours l’exacte vérité, quelle que soit la situation ; aucun des mots
qui sortaient de sa bouche n'était vain. Elle dévisagea Paloma qui conduisait et
ne put s'empêcher de sourire lorsque celle-ci profita d'un changement de vitesse
pour glisser sa main entre ses cuisses. De quatre ans son aînée, Paloma était
légèrement plus grande que Cassandra et paraissait bien plus femme qu’elle.
- Tu es si douce, glissa Paloma en effleurant son sexe du bout des doigts à
travers la dentelle ajourée de son string. Cassandra sentit son ventre chauffer
alors que ses cuisses s'écartaient imperceptiblement et qu'elle rejetait la nuque
sur l'appui-tête. Elle inspira profondément en contemplant les reflets des gratteciel embrasés par les lumières de cette soirée très spéciale.
Ce soir en effet, les New-Yorkais inauguraient le complexe de la Freedom
Tower, nouveau symbole de la liberté américaine et de la toute-puissance des
États-Unis sur le terrorisme. Dix ans, huit mois, neuf jours et quelques heures
après l’effroyable chute des doubles minarets de la finance Yankee, les
Américains voulaient montrer au monde qu'ils avaient relevé la tête, et que - tout
en gardant à jamais vibrant le souvenir des disparus - ils continuaient de
s’affirmer, bien déterminés à rester des leaders.
La voiture freina doucement. À trente mètres de là était dressé le dernier
barrage filtrant avant Ground Zero. Dans le reflet orange des lumières
tournoyantes, Cassandra aperçut un camion qu’un officier, chargé du contrôle
des laissez-passer, invitait à démarrer. Il transportait sur son plateau une
magnifique voiture de sport rouge. Cassandra Luscius ressentit un léger trouble
en reconnaissant l'unique exemplaire de la nouvelle et fabuleuse Ferrari P6,
dessinée par Pininfarina, le concepteur de voitures et de bateaux le plus génial
de son époque. Pour le féliciter d’avoir dessiné cette merveille d’esthétisme, il
venait de recevoir le Compasso d'Oro - le Compas d’Or, la plus haute distinction
en matière de design - pour la troisième fois de sa carrière.
Suivant le regard de son amie, Paloma lâcha en soupirant :
- Ils vont la mettre au vingtième étage, avec tous les objets de luxe qu'ils
ont pu exposer pour l'occasion ! Ces mecs de la haute, ils peuvent pas
s'empêcher d'en rajouter.
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©Yann YORO 2010

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