DOSSIER 6 Les enjeux et déterminants de la mobilité sociale

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DOSSIER 6 Les enjeux et déterminants de la mobilité sociale
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DOSSIER 6
Les enjeux et déterminants de la mobilité sociale
L'atténuation de l'inégalité des chances devant l'enseignement et l'augmentation des taux de scolarisation ne sont pas exclusives d'une quasi-stagnation de la
mobilité sociale."
Raymond Boudon - L'inégalité des chances (1973)
Objectifs du dossier
ü
ü
Définir et mesurer la mobilité sociale
Décrire la mobilité sociale
Pré-requis : égalité/inégalité des chances, capital économique/social/culturel
Notions au programme : mobilité/immobilité, reproduction, destinée, recrutement, mobilité structurelle/nette
Notions supplémentaires : Bourdieu/Boudon
Problématique :
•
•
Qu’est-ce que la mobilité sociale ? Comment peut-on la mesurer ?
Quels sont les déterminants sociaux qui influent sur la mobilité sociale et sur le maintien des inégalités ?
I.
Réalité et enjeux de la mobilité sociale
A.
Qu’est-ce que la mobilité sociale ?
B.
Quelle mobilité aujourd’hui ?
Présentation Power Point
La fluidité sociale a été forte de la fin des années 70 au début des années 90 mais semble diminuer depuis. Cela signifie que
dans les années 70 et 80, la mobilité structurelle a reculé au profit de la mobilité nette. Cette tendance s’est par la suite
inversée.
La reproduction sociale se fait donc au profit des enfants issus des milieux favorisés : On constate qu’un fils de cadre a de
fortes chances d’occuper une position supérieure à celle d’un fils d’ouvrier, d‘un peu moins à celle d’un fils d’employé et encore
un peu moins à celle d’un fils de professions intermédiaires. Mais dans tous les cas, sa probabilité d’occuper une position
sociale supérieure est cependant significativement plus élevée. L’avantage des fils de cadre a toutefois légèrement diminué de
77 à 93 avant de s’accroitre à nouveau rapidement. La fluidité semble bien diminuer depuis 93.
L’évolution de la mobilité selon les générations :
Nés entre 45 et 55
Nés entre 65 et 75
Répartition du pouvoir d’achat
Les 50 ans gagnaient 15% de plus que
les 30 ans
35% de +
Progrès de la structure
socioprofessionnelle
Augmentation continue de la proportion
de cadres
Ralentissement de la croissance de la
proportion de cadres
Mobilité intragénérationnelle
Possibilité de promotion rapide après
l’insertion
Faible possibilité de promotion, après
une insertion difficile
Possibilités d’ascension sociale
fortes
Plus faibles, avec risque de
déclassement, voire de disqualification
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II.
Les déterminants de la mobilité
A. Les facteurs structurels (cf Brises)
Quand on étudie la mobilité intergénérationnelle, il faut tenir compte de l'évolution de la structure des emplois d'une génération
à l'autre. Il n'est pas étonnant que les fils n'occupent pas la même position sociale que les pères, puisque les "positions
sociales" ont changé d'une génération à l'autre, avec la transformation des métiers, des catégories socioprofessionnelles et des
groupes sociaux.
•
•
•
Certaines CSP se développent tandis que d'autres régressent, il faut donc nécessairement que les individus
"circulent" d'une position sociale à l'autre. Comment expliquer qu'un quart seulement des fils d'agriculteurs soient
devenus eux-mêmes agriculteurs comme nous venons de le voir ? On peut penser que c'est un travail dur, ingrat,
dont les revenus sont aléatoires et qu'un grand nombre de fils d'agriculteurs, instruits par l'expérience de leur père,
renoncent à vouloir exercer le même métier que lui. On serait là vraiment dans la logique de l'acteur. Mais on sait que
les évolutions technique et économique ont complètement transformé le travail agricole : la productivité a
énormément augmenté alors que la demande a augmenté moins vite. Résultat : la taille des exploitations s'est accrue
et le nombre d'emplois dans l'agriculture a considérablement diminué. Autrement dit, que les fils d'agriculteurs le
souhaitent ou pas ne change rien à l'affaire, le nombre d'emplois disponibles dans l'agriculture diminue et ceux qui ne
pouvaient pas y trouver de place doivent en chercher une dans les autres secteurs de l'économie et devenir, par
exemple, ouvriers (ce qu'ils sont effectivement souvent devenus). Il s'agit donc ici d'une mobilité largement imposée
par l'évolution des structures économiques. On parle dans ce cas de mobilité structurelle.
La mobilité structurelle est le changement de position sociale qui est dû aux changements des structures
économiques et sociales. Elle représente une part importante de la mobilité : ainsi, la croissance pendant les Trente
glorieuses a nécessité le développement du nombre d'emplois qualifiés de cadres ou de professions intermédiaires.
Où trouver des titulaires pour ces emplois ? Parmi les fils des cadres et des professions intermédiaires, bien sûr. Mais
ceux-ci étaient relativement peu nombreux parce que, à la génération de leurs pères, le nombre d'emplois de cadres
ou de professions intermédiaires était beaucoup moins élevé. Il a donc bien fallu les recruter parmi les fils d'autres
CSP, par exemple les fils d'employés dont on a vu qu'ils avaient eu une mobilité ascendante assez forte. Cette
mobilité est donc quasiment obligatoire, poussée par les transformations des structures économiques. On peut
encore raisonner de la même manière actuellement avec les ouvriers : le nombre d'ouvriers a beaucoup diminué
depuis 1975. Les fils d'ouvriers vont donc peut-être être amenés à changer de CSP du fait de cette diminution, leur
mobilité va donc sans doute s'accroître.
La mobilité nette n'est pas due à l'évolution des structures, mais au fait que deux individus permutent leur
position sociale. Si la structure sociale reste inchangée, la promotion d'un individu dans la hiérarchie sociale impose
en effet qu'un autre connaisse symétriquement une régression dans cette hiérarchie. Cette mobilité nette se mesure
simplement par une soustraction : il s'agit de la différence entre la mobilité totale (ou mobilité brute, c'est-à -dire le
nombre d'individus mobiles) et la mobilité structurelle. On peut avoir le sentiment qu'il s'agit là de la" vraie " mobilité,
celle qui mesure la réelle possibilité de circuler entre des statuts sociaux hiérarchisés. Cependant les choses ne sont
pas si simples. D'abord parce qu'on a le plus grand mal à distinguer dans les statistiques les deux types de mobilité.
Ensuite parce que le fils d'agriculteurs devenu ouvrier, qu'il l'ait voulu ou non, a effectivement changé de statut social.
Conclusion : un des premiers facteurs de la mobilité globale est donc la transformation des structures économiques qui a
pour effet de modifier la structure des emplois et donc celle des statuts sociaux qui y sont attachés.
B. Le rôle de l’école
En première analyse, c'est l'école, et l'école seulement, qui peut rendre possible la mobilité ascendante des enfants originaires
de milieux défavorisés. Si faire des études et avoir un diplôme ne garantit ni un emploi, ni un statut social, ne pas en faire, ne
pas avoir de diplôme, garantit à coup presque sûr pour un enfant de milieu populaire l'impossibilité de l'ascension sociale :
dans les sociétés modernes, le diplôme est souvent la clé de l'accès à l'emploi et à la promotion dans l'entreprise. Pendant les
" Trente Glorieuses ", dans un contexte de forts changements dans la structure des emplois, avec une progression de la part
des professions intermédiaires et des cadres, c'est l'école qui a permis de trouver parmi les enfants d'ouvriers ou d'employés
ceux qui étaient les plus aptes à exercer ces emplois et qui a donc rendu possible leur ascension sociale.
Cependant, maintenant que le nombre d'emplois augmente moins vite, la concurrence pour l'accès aux emplois les plus
valorisés socialement s'accroît, surtout que la durée de la scolarisation s'est nettement allongée, entraînant la progression du
nombre de diplômés. Le lien entre diplôme et emploi est de moins en moins net. Le diplôme des enfants peut être assez
nettement supérieur à celui de leurs parents sans que leur statut social le soit. C'est ce que l'on appelle le paradoxe
d'Anderson.
Les explications du paradoxe
Pour Boudon, ce paradoxe apparent s’explique par 2 phénomènes : la dévalorisation des diplômes et l’effet de dominance.
_ D’une part, il y a en effet une dévalorisation des diplômes car il y a eu une croissance beaucoup plus forte du nombre
d’étudiants que du nombre d’emplois offerts sur le marché du travail. Les rendements des titres scolaires et universitaires ont
donc baissé. Pour accéder à une position sociale donnée, il faut un diplôme supérieur aujourd’hui. C’est l’effet pervers de la
démocratisation de l’école.
_ D’autre part, il y a un effet de dominance : à diplôme égal, une partie des positions sociales supérieures sont attribuées
prioritairement aux enfants d’origine sociale élevée. L’effet de dominance vient compléter l’effet de dévalorisation des diplômes.
Il y a plus de diplômes supérieurs que de places de cadres donc des critères extra-scolaires interviennent et de ce fait, les
relations sociales vont favoriser les enfants issus des catégories supérieures.
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Débat : l’école, entre reproduction sociale (Bourdieu) et choix individuels (Boudon)
1.
L’analyse de Bourdieu
Les Héritiers, en 1964 ;
La Reproduction, en 1970.
Les individus se positionnent dans l’espace social en fonction du volume et de la structure de leurs capitaux :
Capital culturel : ensemble des ressources culturelles et symboliques inculquées et transmises par la famille.
Bourdieu distingue + précisément :
- capital culturel à l’état incorporé : ie sous forme de dispositions durables de l’organisme : langage, élocution, posture,
attitude… Il résulte de l’« héritage culturel »
- capital culturel à l’état objectivé : sous la forme de biens culturels : tableaux livres, dictionnaires, machines…
- capital culturel à l’état institutionnalisé : sous forme de titres scolaires.
-
Capital économique : richesses matérielles.
Capital social : ensemble des ressources (relations, informations...) dont un individu dispose en raison de son
appartenance à un groupe social, et qu’il peut mobiliser pour favoriser sa réussite professionnelle.
Ce réseau de relations se matérialise dans les clubs, les cercles, les réceptions...autant de lieux qui ont pour fonction de
favoriser les contacts, les connaissances.
Pour Bourdieu, ce qui explique avant tout les inégalités d’accès et de réussite à l’école, c’est le capital culturel. En effet,
l’individu intériorise inconsciemment des principes sociaux et culturels qui lui sont transmis par sa famille et son environnement,
c’est l’habitus. Celui-ci se manifeste ensuite extérieurement par un “ sens pratique ” cad des manières de se comporter en
fonction des situations rencontrées.
Ainsi, les enfants des classes aisées maîtriseront « naturellement » le langage soutenu (attendu à l’école), auront déjà une
certaine culture générale (lecture de livres « classique », théâtre…) alors que les enfants de classes populaires apprennent à
modérer leurs aspirations et à avoir des projets réalistes en fonction de leur condition sociale.
Il insiste sur le fait que l’école a sa part de responsabilité dans cette inégalité des chances à l’école : il dénonce le système
éducatif qui sous couvert de l’égalité des chances conduit à l’exclusion des enfants des classes populaires.
En fait, l’école exerce une violence symbolique car elle valorise et légitime une culture savante qui est acquise par les enfants
des classes dominantes essentiellement en dehors de l’école. Il y aura donc des écarts de réussite.
2.
L’analyse de Boudon
Sociologue français contemporain (né en 1934). Chef de file de l’individualisme méthodologique : explication des faits sociaux à
partir des comportements individuels. (Opposition à l’holisme)
En 1973, Boudon publie L’inégalité des chances et critique l’approche bourdieusienne de la reproduction.
Pour lui, l’inégalité des chances n’est pas le produit du déterminisme social. Les acteurs sociaux ne sont pas contraints par
l’habitus et ils ont une conduite rationnelle.
Ceci étant, l’origine sociale a un rôle : Les élèves doivent réaliser au cours de leur scolarité de nombreux choix d’orientation (en
3ème, en seconde, en terminale…). Or l’individu qui est rationnel, décide ou non de poursuivre ses études dans telle ou telle
filière, en réalisant des calculs coûts / avantages / risques :
L’élève et sa famille comparent les coûts de poursuite d’études aux avantages et risques qu’ils auront à poursuivre leurs
études.
- Coûts : frais de scolarité, logement dans une ville universitaire, coût d’opportunité lié à une perte de salaire…
- Avantages : prestige d’obtenir tel ou tel diplôme, travail et revenus que l’on pourra espérer avoir avec le diplôme…
- Risques : risque d’échec, de dévalorisation…
Or, les classes supérieures vont tout faire pour maintenir leurs enfants dans la scolarité car les coûts sont faibles (on a les
moyens financiers), et les chances de réussite importantes.
Inversement, dans les classes populaires on a tendance à freiner les velléités de poursuite d’étude des enfants, car le coût leur
semble disproportionné par rapport aux avantages que cela pourrait procurer comme moyen de réussite. On a peur d’investir
face aux risques que l’enfant n’aille pas au bout.
C’est pour cela que, selon Boudon, les enfants des classes populaires sont plus nombreux dans les filières courtes, et
inversement pour les enfants des milieux aisés.
Les 2 auteurs semblent faire le même constat : Il persiste encore de fortes inégalités de réussite et d’accès à l’école. Mais c’est
sur leur approche qu’ils diffèrent : holisme et individualisme. Pour Bourdieu c’est l’inégal accès au capital culturel qui est la
cause de ces inégalités, l’école ne faisant que renforcer ces inégalités. Boudon insiste quant à lui sur les mécanismes de
stratégies individuelles et familiales.
C. L’influence de la famille
La famille joue un rôle très important dans la socialisation primaire des enfants. Vous avez étudié ce rôle en classe de première.
En analysant plus précisément ce que la famille transmet à ses enfants, nous verrons comment cela agit sur la mobilité.
•
La famille transmet un capital économique, un capital culturel et un capital social à ses enfants, et contribue
ainsi à la reproduction des inégalités. C'est Pierre Bourdieu, sociologue français décédé en 2002, qui a, le premier,
utilisé de manière systématique cette typologie. Il veut montrer par là que ce que transmet la famille et ce qui est
source d'inégalités, ce n'est pas seulement un patrimoine (le capital économique, c'est-à -dire ce qui rapporte un
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•
revenu), mais aussi un capital culturel (un ensemble de connaissances, de références culturelles, d'habitudes comme
visiter les musées, de compétences valorisées par le système scolaire comme la lecture ou la capacité d'écriture) et
un capital social (schématiquement l'ensemble des relations sociales et donc la capacité, plus ou moins grande selon
le capital social détenu, de pouvoir faire intervenir ces "relations" pour bénéficier d'avantages divers). On "hérite" d'un
capital social ou d'un capital culturel comme d'un capital économique (sauf qu'il n'y a pas d'impôt !) et ce capital peut
s'accumuler au fil des générations. Les individus disposent donc d'une quantité inégale de chacun de ces capitaux.
La famille peut donc être présentée comme fondamentalement reproductrice, car en transmettant des capitaux
différents, elle contribue au maintien des statuts existant. En particulier, dans les milieux favorisés, l'adage "tel père,
tel fils" semble souvent vérifié. Mais on peut considérer que c'est aussi vrai pour les ouvriers. Ainsi, si à diplôme égal,
les fils d'ouvriers valorisent moins bien sur le marché du travail que les fils de cadres un diplôme de l'enseignement
supérieur, c'est peut-être parce que leur comportement extérieur (façon de se présenter, de parler, etc.) traduit de
manière suffisamment explicite pour le recruteur leur origine sociale et que cela suffit à faire la différence.
Cependant la famille peut jouer aussi un rôle actif dans la mobilité sociale en favorisant la promotion de ses
enfants : ainsi, quand on observe les familles d'origine modeste, on observe que les enfants de certaines familles ont
une réussite scolaire nettement supérieure à la réussite moyenne des enfants des familles similaires. Quand on
cherche à expliquer ce différentiel de réussite, on trouve toujours une responsabilité particulière de la famille (volonté
forte de s'intégrer à la société française pour les familles d'origine étrangère, volonté forte que les enfants ne
connaissent pas des conditions aussi difficiles que leurs parents, etc…) qui se traduit en particulier par une grande
attention aux résultats scolaires.
On voit donc que si la famille, par le fait qu'elle transmet ce qu'elle est et ce qu'elle a, est d'abord reproductrice, donc contribue
à l'immobilité sociale, elle n'est pas que cela. Elle peut aussi rendre possible la mobilité sociale. Il y a donc la place pour des
comportements particuliers de la famille, des comportements rationnels que l'on peut qualifier de stratégiques.