Fiche 12 : Changement social et inégalités
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Fiche 12 : Changement social et inégalités
Fiche Cours Nº : 25012 ECONOMIE Série ES LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE Fiche 12 : Changement social et inégalités Plan de la fiche 1. Notions de base 2. Problèmes économiques et sociaux 3.Théories et auteurs 4. Repères historiques La croissance dans nos sociétés industrielles s’accompagne-t-elle d’une réduction des inégalités et d’une plus grande justice sociale ? Notions de base L’équité est une recherche pour promouvoir l’égalité des chances afin de réduire les inégalités sociales. La justice sociale a pour objet d’assurer une répartition plus juste des richesses produites. L’égalisation des conditions ne signifie pas la suppression des inégalités économiques. Pour Tocqueville, cela veut dire que la démocratie, par l’égalité politique et juridique qu’elle apporte, permet à chaque citoyen de réussir sa vie professionnelle et d’améliorer sa mobilité sociale. Les inégalités économiques traduisent les différences de revenus provenant des salaires, des capitaux ou des patrimoines des individus dans une société. Elles sont mesurées par : • la courbe de Lorenz, appelée encore courbe de concentration. Plus la courbe des revenus ou celle du patrimoine s’éloigne de la diagonale ou droite d’équirépartition, plus les inégalités s’accroissent dans la population ; • le strobiloïde de Louis Chauvel qui représente, sous la forme d’une toupie, la répartition des richesses dans un pays. La mobilité sociale ou inter-générationnelle désigne la situation d’un individu occupant une position sociale différente de celle de son père. On parlera de mobilité sociale ascendante si un fils d’agriculteur devient cadre. Elle sera descendante si le fils de cadre devient agriculteur, et l’on parlera alors de démotion selon l’expression du sociologue Raymond Boudon. On distingue également la mobilité structurelle qui est « subie », due aux transformations économiques de la société, et la mobilité nette ou pure qui est « voulue », obtenue par le travail et le mérite de l’individu. Cette mobilité nette ou pure se calcule en soustrayant la mobilité structurelle de la mobilité observée. La mobilité professionnelle ou intra-générationnelle qualifie le changement de position sociale d’un individu au cours de son existence. En suivant une formation de perfectionnement, un ouvrier pourra devenir ingénieur. L’étude de la mobilité dans la société s’effectue à partir des tables de mobilité, qui sont des tableaux statistiques construits par l’Insee à partir d’enquêtes sur la Formation et qualification des professions (FQP). Ces tableaux à double entrée croisent des tables de recrutement (catégorie socioprofessionnelle du père) avec les tables de destinées (catégorie socioprofessionnelle du fils). Ces tables permettent de rendre compte de la mobilité dans une société. La reproduction, terme souvent employé par le sociologue Pierre Bourdieu, désigne le maintien des inégalités et positions sociales d’une génération à l’autre. On parlera également d’hérédité sociale ou d’autorecrutement social. La discrimination positive ou « affirmative action » consiste à donner davantage aux catégories les plus défavorisées. Cette légitimation de l’inégalité remet en cause le principe d’égalité ou d’universalité à la base de nos sociétés démocratiques. Cette notion est apparue dans les pays anglo-saxons à partir des années soixante. La méritocratie : principe selon lequel la position sociale des individus dans une société doit dépendre de leur travail et de leur mérite. Ce principe est souvent critiqué comme étant un justificatif des inégalités sociales. © Tous droits réservés Studyrama 2010 Fiche téléchargée sur www.studyrama.com En partenariat avec : 1 Fiche Cours Nº : 25012 ECONOMIE Série ES LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE Les inégalités sociales sont diverses : économiques, culturelles mais aussi face à l’emploi, au logement, aux loisirs ou à l’espérance de vie. Le paradoxe d’Anderson constate que les enfants sont plus diplômés que leurs pères mais occupent souvent une position professionnelle inférieure. Nos sociétés connaîtraient donc une indépendance de relation entre diplôme et statut social. Problèmes économiques et sociaux La croissance : moteur ou frein à la réduction des inégalités ? Alexis de Tocqueville prévoyait que le régime démocratique allait progressivement réduire les inégalités sociales et économiques. En ce sens, il peut être considéré comme le précurseur de la théorie de la moyennisation de la société. En 1955, l’économiste américain Simon Kuznets (1901-1985) énonce par sa courbe dite en « U inversé » une loi selon laquelle la croissance conduirait à la réduction des inégalités. En effet, le développement de l’Etat providence et la tertiarisation de la société, qui rend caduque la division marxiste des classes, entraînent une réduction des inégalités. On constate une amélioration générale du niveau de vie et le développement d’une consommation de masse due en particulier à l’efficacité des revendications syndicales. A cela s’ajoutent la forte croissance des Trente Glorieuses et le taux très faible du chômage. Mais depuis les années quatre-vingt, on assiste à une remontée des inégalités qui dément la loi de Kuznets. Cela est dû : • au développement du chômage qui renforce les inégalités dans la société ; • à l’augmentation des revenus du capital qui croissent plus rapidement que les revenus du travail. Cela s’explique par le développement de la spéculation internationale et la politique de « recherche de valeur pour l’actionnaire » mise en œuvre par les fonds de pension anglo-saxons ; • au recours de plus en plus fréquent à la sous-traitance et à la flexibilité de l’emploi qui, en augmentant les intérims et les CDD, conduit à une société duale ou « à deux vitesses » ; • à l’école qui, en dépit de sa massification démocratique, ne paraît plus pouvoir apporter l’égalité des chances pour tous. La réussite scolaire est plus faible chez les enfants des milieux défavorisés que chez les enfants des catégories aisées ; • à l’influence des idées néolibérales qui remettent en cause l’Etat providence au nom de l’efficacité économique. Les politiques de redistribution sociale n’inciteraient pas à la reprise du travail et nuiraient au développement de la croissance. Il convient en effet de rappeler que, depuis Adam Smith, l’école libérale légitime les inégalités par la loi du marché. Les différences de salaires ou de revenus sanctionnent l’habileté, le diplôme ou l’efficacité entre les individus. L’école : égalité des chances ou reproduction des inégalités ? La démocratisation de l’école commence en France avec les lois Jules Ferry de 1881 et 1882 qui rendent l’enseignement primaire obligatoire. Elle s’accentue à partir des années cinquante par la massification de l’enseignement secondaire puis du supérieur. Enfin, à partir de 1970, on assiste à l’augmentation de la féminisation dans la poursuite des études. Cette démocratisation scolaire, complétée par un système de bourses pour les enfants les plus défavorisés, a pour objet de développer l’égalité des chances et, par l’obtention d’un diplôme, d’assurer la mobilité dans la société. Tous les enfants ont donc en principe les mêmes chances de réussir selon leurs mérites. Mais, à l’épreuve du temps, les résultats n’ont pas été à la hauteur de ces espérances. Les statistiques montrent en effet que : • les enfants de catégories modestes sont, dès l’enseignement primaire et secondaire, trois fois plus en retard que les enfants de cadres ; • dans l’enseignement supérieur, les enfants des catégories favorisées sont surreprésentés par rapport à ceux des catégories défavorisées ; • les catégories modestes sont, en revanche, surreprésentées dans les filières courtes des IUT (instituts universitaires de technologie) ou des STS (sections de techniciens supérieurs). L’inégalité des chances face à l’école est devenue un fait incontournable. Deux explications ont été avancées. Selon Raymond Boudon, cette inégalité serait due au comportement des familles. En établissant un rapport coût/avantage de la scolarité, les familles des milieux simples ne favoriseraient pas une scolarité longue pour leurs enfants en raison de son coût. Pour Pierre Bourdieu, chaque enfant hériterait d’un capital différent selon son milieu. En particulier, il bénéficierait dans les milieux des cadres d’un capital culturel comme une bonne maîtrise du langage ou une bonne culture générale. Cela l’avantagerait dans ses études. En revanche, les enfants des catégories défavorisées en seraient beaucoup moins pourvus, ce qui les handicaperait dans leurs études. Dès lors, l’école, en traitant tous les enfants de façon égale, ne ferait que reproduire ces inégalités de capital et d’origine. © Tous droits réservés Studyrama 2010 Fiche téléchargée sur www.studyrama.com En partenariat avec : 2 Fiche Cours Nº : 25012 ECONOMIE Série ES LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE Théories et auteurs Alexis de Tocqueville (1805-1859), dans son ouvrage De la démocratie en Amérique (1840), analyse le régime démocratique comme apportant une égalisation des conditions par : • l’égalité des droits pour tous les citoyens avec l’abolition des privilèges ; • l’égalité des chances : chacun peut, par son mérite, monter dans l’échelle sociale. « Vous ne manquerez point d’apercevoir qu’une double révolution s’est opérée dans l’état de la société. Le noble aura baissé dans l’échelle sociale, le roturier s’y sera élevé ; l’un descend, l’autre monte. Chaque demi-siècle les rapproche, et bientôt ils vont se toucher. » ; • enfin, la démocratie apporte un esprit d’égalité dans les relations sociales, chacun se pensant égal à l’autre. Mais la démocratie doit se garder de deux excès : • dégénérer en égalitarisme ou recherche d’une égalité totale des revenus pour tous ; • développer un excès d’individualisme qui pourrait rendre les citoyens indifférents à la conduite des affaires publiques et favoriser alors le despotisme des gouvernants. Le sociologue Raymond Boudon, né en 1934, analyse dans son ouvrage L’Inégalité des chances (1973) les conséquences de la forte démocratisation de l’enseignement. Il constate que cela pousse à accroître le nombre de diplômes. Mais cette inflation de diplômes dévalorise leur valeur, ce qui explique le paradoxe d’Anderson. En outre, les entreprises ne peuvent créer autant de postes qu’il y a de personnes diplômées. Cette démocratisation scolaire entraîne donc des effets pervers dans la société. Par ailleurs, il explique l’inégalité de la réussite scolaire selon les catégories sociales par le comportement rationnel des parents. Tout parcours scolaire est parsemé de choix et d’orientation. Dans les familles défavorisées, on analyse la poursuite des études en termes de coût et d’avantage. En général, par surestimation du coût et des risques d’échec, ces familles préféreront orienter leurs enfants vers des filières courtes et débouchant sur un emploi rapide et sûr. En revanche, pour des familles aisées, le coût des études apparaît faible et elles engagent leurs enfants à la conquête des diplômes. C’est ce comportement familial qui expliquerait que les enfants des milieux défavorisés soient rapidement éliminés du parcours scolaire. Un autre sociologue français, Pierre Bourdieu (1930-2002), s’est opposé à cette interprétation. Dans le livre Les Héritiers, les étudiants et la culture (1964) écrit avec Jean-Claude Passeron, il dénonce l’institution scolaire elle-même comme étant la cause de la reproduction des inégalités sociales. Pour lui, chaque enfant hérite de ses parents d’un triple capital : • capital culturel comme le langage, le raisonnement et la culture générale ; • capital économique avec les revenus d’activité et le patrimoine ; • capital social avec le réseau des relations privilégiées ou carnet d’adresses. Selon les milieux sociaux, l’importance de ce capital est très variable. Les élèves des classes aisées, surtout favorisés par leur fort capital culturel, seraient donc privilégiés dans leurs parcours scolaires. En traitant égalitairement des enfants au capital inégal, l’école reproduirait les inégalités au service des classes dirigeantes. L’institution scolaire ne serait donc pas un ascenseur social basé sur le mérite de chacun. Le philosophe américain John Rawls né en 1921, dans un livre qui a provoqué de nombreuses polémiques, Théorie de la justice paru en 1971, a énoncé les deux grands principes d’une société juste. Premièrement, le principe de liberté, c’est-à-dire les libertés fondamentales pour l’individu : celles de penser, d’entreprendre ou de se réunir. Deuxièmement, le principe de différence, c’est-à-dire que les inégalités sociales sont acceptables sous réserve : • qu’elles ne soient pas contraires aux principes fondamentaux de l’égalité des chances et de l’équité ; • que ces inégalités permettent d’améliorer la productivité économique et donc d’augmenter le pouvoir d’achat des populations les moins aisées ; • que des décisions même inégales soient prises quand elles ont pour but d’améliorer la situation des catégories les plus défavorisées. C’est ici la légitimation du principe de discrimination positive. Le sociologue italien Vilfredo Pareto (1848-1923) a formulé une théorie de la circulation des élites au sein du corps social. Dans les sociétés anciennes ou « fermées », le pouvoir héréditaire des classes dirigeantes empêche l’arrivée d’une nouvelle élite à leurs côtés. Cela provoque des conflits, voire des révolutions comme celle qu’a connue la France en 1789. En revanche, les sociétés démocratiques ou « ouvertes », fondées sur l’égalité juridique et la méritocratie, autorisent une circulation des élites dans la hiérarchie sociale. Les élites anciennes disparaissent au profit des nouvelles et le changement social s’effectue de manière pacifique. © Tous droits réservés Studyrama 2010 Fiche téléchargée sur www.studyrama.com En partenariat avec : 3 Fiche Cours Nº : 25012 ECONOMIE Série ES LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE Repères historiques Les sociétés traditionnelles se caractérisent par une stratification en castes ou en ordres qui conduit à une inégalité d’origine et une très faible mobilité sociale. Dans le système des castes en Inde, jusqu’en 1949, les individus vivent et travaillent selon leur caste et sont inégaux en droit. Il n’y a pas de mobilité sociale et les mariages se font obligatoirement à l’intérieur du groupe. En France, l’Ancien Régime reposait sur une hiérarchie inégalitaire de la société en trois ordres : la noblesse, le clergé et le tiers état. Le passage d’un ordre à l’autre était long et difficile. Le régime démocratique a apporté une égalité de droit et de chances pour tous les citoyens. Cela a permis de faire tomber les barrières institutionnelles et de favoriser la mobilité sociale. L’industrialisation du système économique à partir du début du XIXe siècle a également contribué à développer la mobilité sociale. Mais l’étude des tables de mobilité en France de 1945 à nos jours montre que la mobilité sociale reste un phénomène d’ampleur limitée. On constate une assez forte reproduction de la catégorie sociale et les déplacements de catégorie sont en moyenne assez faibles. Nos sociétés démocratiques apportent surtout une mobilité de proximité. © Tous droits réservés Studyrama 2010 Fiche téléchargée sur www.studyrama.com En partenariat avec : 4