Histoire du droit de grâce en France - Mei

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Histoire du droit de grâce en France - Mei
Histoire du droit de grâce en France
Maki FUKUDA
Résumé
Jusqu’à aujourd’hui, il n’y a aucune recherche sur l’histoire du droit de grâce en
France au Japon ; les études japonaises ne se sont intéressés qu’à la punition et son
contraire, le pardon, n’a guère été mentionné dans les dissertations. En France,
plusieurs thèses ont été présentées principalement entre la seconde moitié du XIXe
siècle et le début du XXe siècle. Cependant, ces recherches n’ont éclairé que l’aspect
institutionnel et sa réalité n’a pas encore été traitée. A partir des années 1980, les
nouvelles études, comme Les fictions dans les archives de N. Z. Davis, ont dévoilé les
actions du peuple relatives aux crimes en utilisant les lettres de grâce. Mais, de telles
études, ayant pour le but de découvrir la criminalité ou la vie du peuple, n’ont pas
beaucoup approfondi le droit lui-même.
Dans ce travail, nous explorons l’histoire du droit de grâce en lui-même. En cours
de recherche, nous avons trouvé qu’il n’y avait que peu de mention sur la question du
régime quand on a aboli le droit de grâce en 1791, l’année juste avant la suppression de
la monarchie. Toutefois, en considérant le lien entre ce droit, qui a été tenu de toute
antiquité pour « le droit divin », et les Rois d’ Ancien Régime, il semble que l’abolition du
droit de grâce est le fruit de l’établissement de la République.
De ce fait, nous pouvons logiquement nous demander si, dans ce pays, le droit de
grâce a évolué avec les mutations de la forme de souveraineté?
Pour répondre à cette question, il faut d’une part connaitre le progrès de ce pouvoir
dans le domaine du droit et, d’autre part mettre en considération les changements de
régime politique. Nous discutons donc l’histoire du droit de grâce en France sous trois
points de vue : celui de législation, des idées et de la réalité, selon une approche
chronologique. Dans chaque chapitre, nous utilisons non seulement les recueils des lois
et les œuvres des criminalistes mais aussi les procès-verbaux des séances de la
législation pour découvrir les intentions ou les idées présentes sous les textes des lois.
Nous avons aussi consulté les manuscrits conservés dans les Archives Nationales et les
journaux écrits par les contemporains afin de considérer le droit de grâce dans le
contexte de la société de chaque époque.
Le premier chapitre présente l’évolution du droit de grâce depuis la République
romaine jusqu’au Moyen Age. Nous y recherchons le changement de l’idée du droit de
grâce en relation avec l’établissement du pouvoir de l’Empereur. Étant le « droit des
dieux », la grâce a eu un caractère religieux et politique. Sous l’Empire, ce droit a été
attribué à l’Empereur, et, grâce à la notion de clementia considérée comme l’une des
vertus cardinales et la similarité à la gratia des dieux, ce droit s’est identifié au divin.
Après l’apparition du Christianisme, la référence à Dieu, a été tenue pour le dieu de
cette religion.
Au Moyen Age, les pouvoirs comme le pape ou le Roi a disputé la grâce en tant que
pouvoir suprême. Dans un premier temps, avec la faiblesse du pouvoir laïque, le pape l’a
accordé. Au Haut Moyen Age, le pouvoir royal s’est élargi et le Roi a privé les autres
pouvoirs de ce droit en modifiant en sa faveur les proverbes de droit romain ou
canonique qui ont justifié leur souveraineté.
Dans le chapitre 2, nous examinons d’abord le texte du Chapitre XVI de
l’ordonnance criminelle de 1670 sur le droit de grâce (cette loi a, pour la première fois
dans l’histoire de France, prescrit systématiquement le droit de grâce) et nous
expliquons la procédure de l’obtention des lettres de grâce.
Ensuite, nous montrons l’importance de ce droit comme idéologie de la monarchie
absolue menée par le Roi qui est «l’image de Dieu sur terre » en comparant les scènes de
« miracle judiciaire » au XVIe siècle, c’est-à-dire la grâce après la « révélation de l’erreur
judiciaire par Dieu au moment de l’exécution capitale », de même qu’au XVIIe siècle la
grâce royale au dernier moment du condamné. Cette idée a été utilisée aussi dans Les six
livres de la République de Jean Bodin. Nous analysons également les usages de ce droit en
relation avec les sujets pour savoir comment le Roi a réussi à acquérir leur appui.
Le chapitre 3 traite du changement du droit de grâce avec le déclin du pouvoir
monarchique au XVIIIe siècle. Nous le discutons selon trois aspects ; le conflit entre le
Roi et le Parlement de Paris, le mouvement d’abolition du droit de grâce et la grâce
forcée par le peuple.
Dans un premier temps, nous considérons les remontrances de la Cour contre la
grâce du Roi, qui a interrompu la procédure judiciaire. Dans un second temps, nous
critiquons l’abolitionnisme des Lumières, par exemple Le traité du délit et de la peine (5e éd.
1765) de Beccaria et ses oppositions. En apparence, l’abolitionnisme est le fruit de la
modernisation de la société. Mais la vraie différence entre les pro et les anti droit de
grâce est ailleurs : la nécessité ou non de la modification du droit pénal par la grâce.
Dans un troisième temps, nous voyons des cas dans lesquels les audiences ont obligé le
Roi à donner la grâce juste avant l’exécution. Ici, nous observons que, pour le peuple,
l’image du droit de grâce, mais aussi celle du pouvoir royal, a complètement changé.
Dans le chapitre 4, nous étudions l’abolition du droit de grâce et son
rétablissement sous la Révolution. Le droit de grâce a été aboli par le Code Pénal de
1791. Malgré la liaison présupposée entre ce droit et le Roi, il n’y a pourtant aucune
mention sur l’abolition de la royauté dans la discussion. Bien au contraire, les députés
ont déclaré leur loyauté au Roi et la réapparition du droit de grâce de 1802, réalisée par
Napoléon, a été décidée dans un tout l’autre contexte : l’inauguration de l’empire
napoléonien. En fait, les révolutionnaires ont aussi accordé la « grâce ». Ils ont proclamé
beaucoup d’ « amnisties » après la décision de l’abolition. Ils l’ont fait notamment pour
établir un nouvel ordre après les conflits de la Révolution en oubliant tous les
dissentiments politiques, ce qui pose la question sur l’importance du droit de grâce pour
la République.
Dans le chapitre 5, nous examinons enfin le droit de grâce au XIXe siècle dans le
chapitre 5. Nous suivons d’abord les dispositions des Constitutions. Elles sont
différentes selon le régime politique, certes, mais le fond et la procédure de grâce est
presque identique au cours du siècle. La grâce en ce temps-ci a revêtue de plus un plus
de caractère juridique mais l’image ancienne, la grâce comme pouvoir souverain, a aussi
été maintenue.
L’abolitionnisme est réapparu en raison de sa similarité avec les moyens
judiciaire comme la libération conditionnelle ou le sursis. Cependant, le droit de grâce
n’a pas été aboli et la grâce a été très souvent accordée sous la troisième République.
Donc, nous pouvons dire que la grâce n’est pas nécessairement « royale ». La République
a besoin de ce droit pour justifier son règne qui a moins de légitimité que la religion ou
la tradition.
Dans ce travail, nous démontrons donc que, paradoxalement, le régime
républicain a plus en besoin du droit de grâce que la monarchie. Bien sûr, cela ne rejette
pas la liaison entre cette dernière et le droit de grâce. Sous l’Ancien Régime, le roi, avec
l’intention d’exhiber son pouvoir, a parfois accordé la grâce dans les derniers moments
de l’exécution publique de la peine de mort, mais la République a eu, en moyenne,
beaucoup plus utilisé la grâce en raison de la nature de son principe de souveraineté. Le
président de la République, dont le pouvoir est issu du peuple, y a un rôle politique bien
moins affirmé que celui du roi, ce qui l’incite à plus avoir recours au « droit divin » pour
justifier de sa légitimité.

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