métamorphoses du libéralisme politique en France et au Brésil

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métamorphoses du libéralisme politique en France et au Brésil
LE ROI, LE PEUPLE ET LA NATION :
métamorphoses du libéralisme politique
en France et au Brésil (1830-1831)
Marco MOREL
Une historiographie politique du XIXe siècle brésilien est-elle possible ?
Il semble qu'il faille répondre négativement à cette question, surtout si nous
nous présentons avec l'énorme quantité des approches traditionnelles :
biographie des «héros de la patrie», intrigues de palais, récits de rébellions...
Mais s'il est hors de question de revenir à ce type de narration, les
perspectives pourraient, cependant, changer si nous cherchions à renouveler
plutôt qu'à revenir en arrière. Il faut donc changer la formulation de notre
question : est-il possible de renouveler l'historiographie politique du XIXe
siècle brésilien ?
Notre étude s'insèrera donc dans une perspective ouverte par cette
préoccupation. Les thèmes qui vont en grande partie contribuer à cette
définition des frontières et de l'identité de l'histoire politique 1 sont : l'étude
et la définition des acteurs politiques et sociaux (bibliographies individuelles
et collectives) l'étude de l'opinion publique (presse, pratique de lecture et
typologie du public), l'étude des différentes formes de sociabilité
(institutionnelles ou non), l'étude des pratiques électorales (élections, votes,
résultats), l'étude des partis ou des groupes politiques, des institutions civiles
(les 3 pouvoirs) et militaires, des vocabulaires et des religiosités. Les voies
ne sont pas vraiment ouvertes mais des signes sont en vue.
Le travail que nous proposons ici va avoir comme source principale la
presse d'opinion (témoignage des protagonistes). Il cherche à discuter les
métamorphes du libéralisme politique en France et au Brésil aux alentours
des années 1830-1831. Ce qui signifie que nous commençons avec la chute
de la deuxième restauration française, remplacée en juillet 1830 par une
autre monarchie censitaire, issue des barricades révolutionnaires,
1. Nous aimerions signaler certaines études qui, pensons-nous, ont aidé à renouveler
l'histoire politique du XIXe siècle : Agulhon Maurice (dir.), Le XIXe siècle et la
Révolution Française, Paris, 1992 ; Furet François, L'héritage de la Révolution
Française, Paris, 1986 ; Guerra François-Xavier, Modernidad e independencias,
Madrid, 1992 ; Mattos Ilmar Rohloff de, O tempo saquarema, Sao Paulo, 1987 ;
Mattoso Katia M, de Queiros, Bahia século XIX, Rio de Janeiro, 1992.
Cahiers du Brésil Contemporain, 1994, n°23-24, p. 59-75
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Marco Morel
réformatrice ou même «bourgeoise». Puis vient, en avril 1831, l'abdication
(ou la chute) du premier monarque brésilien critiqué à cause de ses tendances
absolutistes malgré sa réputation de constitutionnaliste. La politique
brésilienne fut visiblement influencée par les événements français alors que
les événements brésiliens ont eu en France une répercussion certaine mais
relativement faible cependant 1.
I. 1830 : une révolution à la française
Il y a un type d'approche des «influences de la Révolution française»
dont il nous semble que l'on a usé et abusé. En Amérique latine en
particulier, les mouvements d'indépendance sont souvent insérés dans un
curieux schéma. Avec une ironie simplificatrice, nous pourrions résumer ce
schéma historiographique de la manière suivante : la France est la patrie des
Lumières. Ces Lumières, de leur côté, se sont répandues de par le monde et
illuminant les élites locales, les ont entraînées à conduire les mouvements
d'indépendance...
1. L'essentiel de cet article est extrait de notre mémoire de DEA en histoire : La
Monarchie de Juillet à la fin du premier Règne brésilien : métamorphoses du
libéralisme, Centre de Recherches d'Histoire de l'Amérique Latine et du Monde
Ibérique, Université de Paris I, juin 1992. Les trois journées françaises sont
microfilmées dans la section des périodiques de la Bibliothèque Nationale, Paris,
avec comme références : La Gazette de France, Cote D 138 ; Le National, Cote D
585 ; La Tribune des Départements, Cote D 140. Le choix entre les périodiques, nous
avons consulté entre autres : Godechot, Jacques (dir.), Histoire Générale de la Presse
Française, tome II de 1815 à 1871, Paris, 1969 ; Ledré, Charles, La presse à l'assaut
de la monarchie (1815-1848), Paris, 1960 ; Nettement, A., Histoire de la Gazette de
France, Paris, 1846 ; Fabre, Auguste, La Révolution de 1830 et le véritable parti
républicain, Paris, 1833 ; Vigier, Philippe, La Monarchie de Juillet, Paris. Quant aux
trois journées brésiliennes, elles sont microfilmées à la Bibliothèque Nationale de Rio
de Janeiro, sous les références suivantes : Aurora Fluminense, Cote 36 (2) ; Diario
Fluminense, Cote 610 (6) ; O Republico, Cote 26 (1). Pour faire une sélection entre
les journaux, nous avons consulté entre autres : Sodré, Nelson Werneck, Historia da
Imprensa Brasileira, Rio de Janeiro, 1978 ; Viana, Helio, Contribuição à Historia da
Imprensa Brasileira, Rio de Janeiro, 1945 ; Guimaraes, Lucia, Evaristo da Veiga :
apropriação e adaptação dos principios liberais, in LPH Revista de Historia, vol. 1,
n° 1, Ouro Preto, 1990.
Le Roi, le Peuple et la Nation
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Il nous paraît, au contraire, plus intéressant de remplacer le mot
«influence» par des expressions du genre de choix, changement,
métamorphose. Les influencés n'auraient-ils pas su choisir quel type
d'influence les auraient le plus intéressés ? Un vocabulaire identique ne peutil pas avoir des sens différents suivant les lieux, les époques et les
protagonistes qui les utilisent ?
I.1 Le National
Le journal parisien Le National, était rédigé entre autres, par Adolphe
Thiers, futur président de la République chargé de la répression de la
Commune de Paris. Ce qui a attiré notre attention à la lecture systématique
de ce périodique durant la période choisie, ce sont les changements de
signification des concepts de révolution, de peuple et de nation en un espace
de temps pourtant assez bref.
Dans l'utilisation de ces mots-clefs, l'aspect le plus saillant se trouve
dans la construction d'une narration historique et d'une intervention
consciente dans le discours de ce journal sur ce qui est «royal». L'idée de
Révolution en ce sens, subit diverses mutations. Dans l'édition du 5 juillet
1830, les rédacteurs se montrent visiblement très éloignés de toute
perspective révolutionnaire :
«Le devoir du ministère, s'il tenait à ne plus troubler l'ordre
constitutionnel, serait de se retirer devant une majorité pareille».
Ce n'était donc pas la presse qui prêchait la révolution, mais bien un
ministère despotique qui pouvait la déclencher. Dans l'édition du 25 juillet de
la même année, le journal continuait à trouver absurde l'idée d'un
mouvement de rupture : «au milieu d'un calme profond, dans un temps de
régularité parfaite, c'est inconcevable !». Paroles bien claires : le moment
propice à de brusques changements n'était pas venu. En effet, Le National
faisait de l'opposition mais il ne prêchait pas une révolution. Ceci au moins
jusqu'au 27 Juillet 1830.
La censure de la presse est rétablie par la première des Ordonnances
publiées par Charles X et par le ministère de Polignac. Les périodiques sont
obligés de ne pas dépasser vingt feuillets et sont soumis à une autorisation
préalable. A cette mesure s'en ajoutent d'autres considérées par le
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gouvernement comme aussi importantes : dissolution de la Chambre et
restriction du droit de vote (proportionnel censitaire). Dans ce cadre, Le
National apparaît comme une espèce d'avant-garde de résistance au
despotisme. Pendant que les rédacteurs publient un manifeste appelant à la
désobéissance aux lois, les typographes organisent la lutte armée.
Mais une lecture attentive des pages de ce journal nous permet de
nuancer l'affirmation que la presse libérale a «fait» la révolution de 1830 à
Paris. A travers la vision exprimée par ce journal, il semble bien que le
principal protagoniste du mouvement fut la nation dans son ensemble. Voici
un passage significatif pris dans l'édition du 27 juillet 1830 :
«... (C')est à la France à juger jusqu'où doit s'étendre sa propre
résistance.»
Dans l'édition du 29 juillet, la révolution, jusque-là encore redoutée ou
évitable, apparaît en toutes lettres : une «Glorieuse Révolution», comme en
témoignent les lignes suivantes :
«Parisiens ! (...) vous avez commencé notre Glorieuse Révolution, vous
l'avez soutenue, vous en assurez aujourd'hui les résultats.»
C'est-à-dire qu'une révolution (avec une minuscule) avait commencé,
s'était développée et irait jusqu'à sa fin. Toute entière oeuvre des Parisiens.
Cette définition géographique, plus qu'une figure de rhétorique, a une
définition très claire. Les Parisiens se sont substitués au peuple comme
protagonistes efficaces. Dans cette même édition du 29, se détache un autre
acteur, le banquier et député de l'opposition Laffitte. D'après le journal : «M.
Laffitte a pris la parole et a exposé la situation de Paris». Le rôle important
de décrire la situation, là-même où les événements ont lieu, revient à ce
député.
Dans son édition du 31 juillet 1831, Le National, résumant sa position
devant les perspectives ouvertes, s'explique ainsi :
«Le duc d'Orléans est un prince dévoué à la cause de la révolution. Le
duc d'Orléans ne s'est jamais battu contre nous. Le duc d'Orléans était à
Jemmapes. Le duc d'Orléans est un roi-citoyen.»
La Monarchie de Juillet se trouvait donc ainsi proposée et le cadre des
protagonistes était complet : le peuple de Paris, le banquier-député, la nation
et le roi-citoyen. L'accompagnement chronologique, aussi court soit-il, nous
a bien montré les modifications (ou oscillations) des idées de ce journal sur
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le concept de révolution. D'un jour à l'autre, la révolution va se transformer :
de monstrueuse elle devient glorieuse, pendant que le peuple fait le chemin
quasi inverse... Le National était le défenseur de la souveraineté nationale, de
la liberté de la presse et des intérêts des grands financiers et commerçants.
C'est un représentant exemplaire du «juste milieu» français qui, dans le
monde ibérique et brésilien, serait qualifié de «libéral modéré».
I. 2 La Gazette de France
La Gazette de France est fière d'être l'un des plus anciens journaux
français. En 1830, elle se veut fidèle au roi et à la France mais nullement au
ministère Polignac. Même s'il ne restait que peu de chose en commun entre
la feuille créée au XVIIe siècle et le quotidien de la période que nous
étudions ici, les rédacteurs ne manquaient pas d'exploiter cette espèce de
mystique de la tradition du journal. Le journal, financé par la monarchie
restaurée, avait été «offert» à l'abbé Genoude, royaliste fidèle qui était son
rédacteur en chef.
Il n'était pas difficile, donc, d'identifier qui, pour ce journal, était le
principal protagoniste de l'évolution politique en cours : la souveraineté
appartenait au roi. Vision quasi dualiste, avec d'un côté le pouvoir
monarchiste légitime et de l'autre côté tout ce qui lui est opposé, c'est-à-dire
tout simplement le peuple ou, plus dangereusement, les masses, la Chambre
des députés lorsqu'elle dépassait les limites octroyées et la presse
d'opposition. «Voilà tout le procès entre la révolution et la royauté» résume
le journal le 2 juillet 1830.
Pour le journal, en effet, les pouvoirs de la Chambre des députés
devaient être bien limités ; pas question d'étendre le droit de vote car les
restrictions à ce droit étaient en harmonie avec le principe constitutionnel de
la représentativité. Le passage qui suit est clair ; il date du 6 juillet 1830 :
«Mais dans le système de la Charte, la nation n'a point directement
d'avis à donner sur les affaires publiques ; mais elle nomme la Chambre des
députés et la Chambre des députés a, par la Constitution, droit
d'intervention».
Ce passage est riche de sens. Il nous montre comment le discours du
libéralisme politique, même lorsqu'il est fondé sur le principe de la
représentativité et du constitutionnalisme, peut prendre des significations
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différentes et même opposées. De ce point de vue, la souveraineté nationale
était secondaire par rapport à la souveraineté royale. Le système libéral et les
libertés publiques n'avaient pas besoin d'être protégées ou développées
puisque les limitations au vote et celles des pouvoirs du Parlement créaient
un équilibre entre les Pouvoirs civils. C'est-à-dire que la souveraineté royale
l'emportait sur celle de la nation qui était elle-même limitée par le mode de
représentativité des Chambres dans le cadre des limitations au droit de vote.
Le roi était souverain, mais pas un souverain absolu, formule typique du
contexte historique de la Restauration Française à cette époque où s'élaborait
aussi l'indépendance du Brésil.
Les élections parlementaires françaises du 23 Juin amplifièrent la
représentation de l'opposition et cela, malgré les restrictions imposées au
droit de vote ; à la chambre, elle obtenait la majorité absolue.
En plus de cette déroute, un autre facteur alarma les alliés de Charles X
:
«Mais ce qu'il y a de plus alarmant dans cette situation, c'est
l'intervention des masses là où l'on n'avait espéré que celle des citoyens les
plus intéressés à l'ordre».
Ce passage de l'édition du 5 juillet 1830, montre bien les limites de la
citoyenneté accordée par les gouvernants : ils se voyaient menacés par
l'intervention des autres couches de la population dans le scénario politique.
En accord avec cette vision, La Gazette du 28 juillet défendit la thèse de
la constitutionnalité des Ordonnances de Charles X. Son appel au respect de
la Constitution signifiait appel à la défense de l'ordre établi. Mais face à
l'explosion des trois journées de Paris, le journal changea peu à peu sa
position : au début, il fit mine d'ignorer les faits, décrivant la vie quotidienne
de la famille royale sans beaucoup de changements. Puis, avec la fuite du roi,
il essaya de se réconcilier avec les groupes libéraux de l'opposition les plus
sûrs. Mais c'était déjà tard. Ayant, durant quelques jours, simplement
transcrit des nouvelles parues dans d'autres journaux, La Gazette de France
se mit à accepter l'opposition légitimiste à la Monarchie de Juillet en ne
critiquant pas le régime monarchiste mais bien ce qu'elle considérait comme
la quasi-légitimité «du règne de Louis-Philippe».
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I.3 La Tribune des Départements
La Tribune des Départements est normalement associée aux idées
républicaines. En réalité, elle ressemble à la presse libérale parisienne mais
avec quelques différences. Les ressemblances sont faciles à percevoir. Son
discours s'insérait dans le même cadre de respect de la Constitution, de la
souveraineté nationale, d'un gouvernement vraiment représentatif, de la
liberté de la presse et du rejet de tout coup de force absolutiste. Mais ces
préoccupations communes n'éliminaient pas sa spécificité à l'intérieur du
panorama politique.
Fondé en juin 1829, cet organe de presse apparaît finalement comme le
résultat d'un mélange curieux entre les positions vigoureuses de ses
rédacteurs, les frères Victoria et Auguste Fabre, d'une part, et les intérêts de
certains co-propriétaires, commerçants et fabricants de papier en province,
d'autre part. De plus, le groupe politique qui gravitait autour de La Fayette et
cultivait une certaine mystique napoléonienne, jouissait aussi d'une certaine
influence. A quelques jours des journées de juillet, soit par crainte de la
vigilance du gouvernement, soit par conviction, ce journal ne prêchait pas
une révolution c'est au moins ce qui apparaît dans cette citation du 24 juillet :
«La royauté est assurément étrangère à la lutte qui s'est engagée entre
le ministère et la France.»
Ce qui veut dire qu'il s'agissait d'un changement de ministère mais
absolument pas de détruire le régime monarchique. Dans les prises de
position de ce journal, on décelait certaines nuances. L'important n'était pas
la souveraineté du roi, ni celle de la nation, mais la souveraineté populaire,
acteur collectif, aux contours peu clairs, certes ; mais il y avait là un
changement de point de vue. L'édition du 25 juillet appuie curieusement en
écrivant :
«A nos yeux, au contraire, cette misérable question d'hommes devait
disparaître devant les intérêts plus graves et plus sérieux du peuple.»
Mais que désirait ce peuple ? La réponse est à trouver dans l'édition du
3 juillet :
«Le peuple ne se soucie guère de celle-là, ce qu'il veut obstinément c'est
l'exécution complète et sans arrière-pensée de la Charte.»
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Ici, La Tribune des Départements paraissait aller dans le même sens de
défense de la Constitution que les deux journaux cités plus haut. Mais, alors
que pour l'un, le défenseur et l'agent principal du constitutionnalisme était la
nation, pour l'autre c'était le roi et pour le troisième, le peuple. Simple
différence rhétorique ou pratiques politiques différentes cachées sous un
vocabulaire identique ? Voilà l'une des questions-clefs pour la
compréhension du libéralisme politique de la première moitié du XIXe
siècle.
Pour ce journal, le peuple se composait de couches de population jusque
là exclues du processus électoral. On touchait donc au problème du suffrage
censitaire, quoiqu'indirectement il est vrai, comme par exemple dans l'édition
du 10 juillet 1830 :
«(...) Car on veut bien se souvenir, pour la première fois depuis quinze
années, qu'à côté de quatre cent trente députés et de quatre-vingts mille
électeurs, il existe en France trente deux millions d'habitants, fécondant
notre agriculture et notre industrie commerciale, vivant de peu, ne cherchant
ni traitement, ni croix...».
Il est vrai qu'une certaine ambiguïté peut être décelée dans ce texte :
comment propriétaires et travailleurs peuvent-ils être associés comme des
frères pour devenir le «peuple» ? Toujours est-il que cette imprécision
relative dans la définition s'oppose à la défense très précise des intérêts
économiques (Le National) ou à l'exaltation du rôle du roi (La Gazette de
France).
Les terribles «masses populaires» exorcisées par La Gazette ont ici
gagné leur droit à la dignité, à la légitimité. Ce peuple, même ambigü, était
acteur légitime et souverain dans le processus politique. En effet, d'après La
Tribune du 10 juillet 1830, le peuple forme une «masse aussi honorable que
puissante».
Ce journal insiste sur la notion de peuple en armes en toute cohérence,
d'ailleurs, avec la tradition jacobine et même néo-jacobine. Pour expliquer
pourquoi il a suspendu sa parution durant les Trois Journées de Juillet, le
journal affirme avec clarté le 30 juillet :
«Les citoyens qui se livrent de diverses manières aux travaux de
l'imprimerie, sont presque tous armés et les ateliers sont presque vides.»
Apparaît donc ainsi un autre protagoniste qui va rester plus ou moins
caché dans les récits des deux autres journaux ce sont les typographes,
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citoyens, peuple en armes. Il ne s'agit pas du peuple parisien, mais
simplement du peuple.
Comme réponse au National qui, le 31 Juillet, va introduire un
important protagoniste dans le scénario (le roi-citoyen), la Tribune, dès le
1er août, donne grande importance à un Comité Central des Amis du Peuple,
organe qui venait de publier son manifeste. Dans ce texte, la légitimité d'un
groupe réduit de députés usurpant les prérogatives du peuple tout entier était
mise en question 1.
Tout ceci montre la complexité et la diversité des libéralismes français.
D'où cette réflexion : s'il n'y avait pas uniformité des «idées libérales» en
France, comment considérer qu'elles ont pu traverser saines et sauves
l'Océan Atlantique ?
II. Le passage de la mer océane.
Il fallait en moyenne 45 jours pour un voyage de France au Brésil
quelque soit l'itinéraire ou le type de l'embarcation. Une sorte de rythme
géopolitique réglait les relations entre les deux pays. L'«Achille» par
exemple, avait quitté le Havre le 7 août 1830 pour accoster à Salvador de
Bahia le 18 septembre, soit 42 jours plus tard. A la surprise générale, le
navire n'arborait pas l'étendard blanc de Saint Louis, symbole de l'ancienne
monarchie française, mais un drapeau bleu, blanc, rouge, couleurs de la
révolution. Quant à la frégate «Prince Impérial», partie de Brest le 8 août,
elle arriva à Rio de Janeiro le 23 septembre après 48 jours de navigation avec
les mêmes nouveautés et le drapeau tricolore interdit depuis la chute de
Napoléon Bonaparte. Immédiatement, tous les navires français qui se
trouvaient à quai changèrent aussi leurs drapeaux 2.
1. Ce Comité devint très vite la Société des Amis du Peuple, s'inspirant donc
clairement du fameux pamphlet de Marat. Cette association comptait sur
l'enthousiasme de jeunes comme Auguste Blanqui, François Raspail et Godefroy
Cavagnac (fils du conventionnel Jean-Baptiste). Elle devint en même temps
républicaine et intéressée par les questions sociales. D'après ses adversaires, elle
serait une sorte de Club des Jacobins ressuscité.
2. Cf. Archives Diplomatiques du Ministère des Affaires Etrangères, Paris,
Correspondance Politique du Brésil, vol. 12, dépêches de Marcescheau, Bahia, 27 de
setembro de 1831 ; et de Pontois, Rio de Janeiro, 30 de outubro de 1831.
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Dans l'ambiance politique brésilienne, la nouvelle des Trois journées
révolutionnaires parisiennes fut un «choc électrique», raconte un témoin
souvent cité par les historiens 1.
En gardant à l'esprit l'impact du mouvement français sur le Brésil et tout
spécialement l'impact des événements de Paris sur la politique à Rio de
Janeiro, nous avons voulu sonder trois organes de la presse d'opinion
brésilienne qui auraient plus ou moins la même autorité que les journaux
français choisis plus haut, sur la question de la souveraineté, sur l'idée de
peuple, de nation et de révolution.
II.1 La République
En 1831, la presse brésilienne s'est montrée plus tranchante dans ses
attaques contre le monarque que les journaux français en 1830. Mais cette
véhémence est en partie due au succès de l'exemple de la France où le roi
avait effectivement été détrôné.
Parmi les organes de presse qui se montrèrent les plus durs dans leurs
attaques contre D. Pedro I, il y avait A República rédigé par Antonio Borges
da Fonseca. Ce rédacteur qu'on a toujours classé parmi les libéraux dits
libéraux exaltés, aura une longue carrière publique. Il s'alliera tantôt avec
certains membres des groupes dirigeants, tantôt avec des contestataires et
même des révolutionnaires. Futur chef quarante-huitard à Pernambouc,
Borges en arrive à prêcher clairement le républicanisme et le travail libre.
Mais en 1830, au contraire de ce que le titre de son journal semblait
suggérer, il prit une position ambiguë par rapport à la souveraineté royale :
«La signification simple et naturelle du mot REPUBLIQUE suffit à
montrer que je désire le bien public» (2 octobre 1830).
Le journal défendait l'idée d'un pacte. Mais en réalité ce n'était plus
l'idée d'un pacte entre le roi et le peuple à la mode ancienne, mais au
contraire un point de vue très moderne pour l'époque. C'est ce qui ressort de
ce passage publié le 13 octobre 1830 :
1. Armitage, John, Historia do Brasil, Rio de Janeiro, 1965, p. 281.
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«... Si le gouvernement désirait se montrer despotique, il détruirait le
Pacte Social, ce Pacte en vertu duquel le gouvernement et nous-mêmes
existons unis en un seul corps d'une nation indépendante et
constitutionnelle.»
Cette citation montre une véritable filiation avec les idées de
J.J. Rousseau, adaptées, cependant, à la réalité du XIXe siècle. C'est-à-dire
que la vision des révolutionnaires était passée par le crible du
constitutionnalisme.
Dans un premier Temps, A República semblait se satisfaire du
changement de ministère dans une tentative de sauvegarder ou, peut-être, de
perfectionner les tendances libérales de la monarchie luso-brésilienne. C'était
d'ailleurs une position fréquente à l'époque. Cette position se retrouve dans le
numéro du journal du 16 octobre lorsque, d'un côté il prévenait qu'il y avait
un danger de «destruction de l'unique monarchie américaine» ; et d'un autre
côté, il cherchait à trouver une issue pour cette même monarchie : «Les
monstres, ennemis acharnés de la monarchie constitutionnelle cherchaient à
tromper l'ignorance populaire en assénant des mensonges au détriment
direct de la réputation de la Monarchie.»
A travers ces quelques citations, il est clair que le rédacteur de ce
journal cherchait à relativiser la souveraineté royale en introduisant non
seulement l'idée républicaine, mais aussi l'idée d'un pacte entre le
gouvernement et la nation. En vérité, il s'agissait bien d'un républicanisme
implicite, explicable par les conditions répressives en usage à cette époque.
En attendant, il y avait une tentative de perfectionner les institutions
monarchiques en les rapprochant le mieux possible des idées modernes de
liberté constitutionnelle.
Mais le socle sur lequel garder ces idées nouvelles, ces nouveaux
idéaux, n'était ni le roi, ni même la nation, mais le peuple. Ou plus
spécialement le peuple-masse, ce qui apparaît clairement dès le 16 octobre
1830 :
«A partir du moment où se sont répandues dans la masse du peuple, les
idées de liberté et d'égalité, il n'existe aucun pouvoir capable de mettre la
nation en esclavage et si d'occasion cela arrivait, il serait promptement
détruit.»
Etaient donc introduites non seulement la notion de souveraineté
populaire mais aussi l'élimination de la peur traditionnelle des masses
populaires et l'association de l'idée de liberté avec celle d'égalité.
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Marco Morel
Le rédacteur de ce journal a donc, grâce à la presse, su jouer un rôle
important dans les pratiques politiques de l'époque. Il prendra part aux
batailles de rue connues sous le nom de «Nuit des carafes» et fondera la
Société pour la Défense de la Liberté et de l'Indépendance Nationale, groupe
qui aura une grande influence sur les destinées du pays.
Le 7 avril 1831, jour de la chute de la Monarchie est la date de la
révolution brésilienne écrit A República. On y lit le 15 avril :
«Brésiliens, comme nous avons su faire notre Révolution dans la Gloire
! Comme nous avons su nous régénérer si facilement ! Une telle révolution
est véritablement prodigieuse... Nulle part ailleurs le peuple et l'armée n'ont
fraternisé ainsi pour la défense de la seule liberté nationale. Cependant,
citoyens, il nous reste encore beaucoup à faire. Il faut conclure la grande
oeuvre commencée. C'est là en quelque sorte que sera méritée votre
réputation ; le temps de la modération est arrivé.»
Deux pistes sont à suivre dans le texte cité ci-dessus. D'un côté, il y a
cette perspective qui dit que la révolution commence à peine, puisqu'elle est
un processus à élaborer, à réaliser et à mener à sa fin. D'un autre côté, il y a
une défense de la modération, de la mesure qui peut paraître incompatible
avec une perspective révolutionnaire. En vérité, nous ne voyons là aucune
contradiction ni ambiguïté, bien au contraire, c'est le résultat cohérent des
positions prises par le rédacteur de cette époque : c'est-à-dire un certain
gradualisme où l'affermissement des libertés sous un régime monarchique
pourrait mener à un régime républicain. Dans la pensée de ce personnage le
chemin est long vers ce régime mais ouvert. Autrement dit, il s'agit de ce qui
peut être appelé ensuite une tactique ou une stratégie, ce qui nous permet de
comprendre la proposition de «monarchie fédérative» que le journal va
défendre au cours des mois suivants.
II.2 A Aurora Fluminense
Evaristo de Veiga, José Apolinario Morais et Francisco Valdetaro, tous
trois Brésiliens, s'associent au Français Joseph François Sigaud pour fonder
le journal appelé A Aurora Fluminense (1827). Très vite, le journal est
exclusivement dirigé par Evaristo et est identifié comme organe du
libéralisme modéré brésilien. Au vu des trois journées parisiennes de 1830,
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le rédacteur développait tout un système de défense autour de la souveraineté
nationale, comme par exemple le 29 septembre 1830 :
«Où va, à ces heures-là, la légitimité française ? Lorsqu'un peuple
résiste aux décrets du Roi, quand il l'oblige à abdiquer devant la force des
combats, où va se cacher la légitimité... ? L'unique légitimité, raisonnable et
juste, est la volonté de la Nation clairement exprimée».
En même temps que la souveraineté nationale était soulignée, la
souveraineté royale était, quant à elle, questionnée ou limitée. Ces lignes du
22 septembre 1830 en témoignent :
«La plupart des têtes couronnées n'évaluent pas à leur juste valeur les
obligations qu'elles ont contractées vis-à-vis du peuple. Elles en exigent
l'obéissance fidèle, minutieuse ou exagérée qu'il a promise.»
La souveraineté populaire n'était cependant même pas mentionnée dans
ce journal. Jusqu'au 7 avril 1831, le rédacteur s'abstint, bien évidemment, de
prêcher une révolution. Mais avec la destitution de l'Empereur, on
commence à entrevoir la révolution non sans surprise d'ailleurs :
«Une révolution, des plus sombres, par ses immenses conséquences et
par son déroulement, a eu lieu au Brésil» (8 avril 1831).
Ces simples phrases résument bien la pensée du rédacteur devant les
événements auxquels il a activement pris part : une révolution surprenante
aux amples conséquences avait eu lieu au Brésil. La comparaison avec
l'expérience française viendra trois jours plus tard, le 11 avril :
«Notre glorieuse révolution n'a rien eu à envier aux trois jours de
Paris. Nous avons reproduit ici les actes de désintéressement et de
générosité si admirés en France et cela de la part de personnes qui n'étaient
pas forcément issues de couches sociales favorisées.»
Il est intéressant de signaler qu'une révolution glorifiée et célébrée
appartient déjà au passé. Grâce à son côté national, le mouvement avait, pour
la plus grande joie du journaliste, dépassé les conflits sociaux. Ce n'est sans
doute pas un hasard si le rédacteur compare révolution brésilienne et
révolution de Paris et non révolution de Rio de Janeiro et révolution de Paris.
Il fallait accentuer les caractéristiques nationales en même temps qu'on
obéissait à une logique «populiste» et aux intérêts plus amples de la Nation.
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Marco Morel
Cette idée de conclusion, de point final du processus révolutionnaire
apparaît dans l'insistance de ces lignes qui sont du 29 avril 1831 :
«Notre révolution a commencé et s'est terminée avec tant de gloire,
pourquoi vouloir maintenant la souiller ?»
Le thème de la fin de la révolution a donc surgi de la même façon chez
les libéraux français que chez les brésiliens. Mais pour ces derniers, la
différence apparemment subtile mais très significative était que le
commencement et la fin avaient lieu au même moment.
Voilà l'essence du juste milieu brésilien : la souveraineté royale
contrôlée par le constitutionnalisme, la souveraineté nationale valorisée par
la notion de représentativité et de souveraineté populaires mises de côté ou
combattues. Beaucoup d'historiens qualifient cette attitude de «libéralisme
modéré» bien que la préoccupation de modération, le désir de se montrer
raisonnable cachaient les courants les plus divers du scénario politique de
l'époque.
II.3 Le Diario Fluminense
La peur d'une révolution était la première préoccupation du journal
officiel de l'Empire brésilien : le Diario Fluminense. Inutile de dire que cet
organe de presse défendait avec ardeur la souveraineté royale puisqu'il était
le porte-voix du gouvernement. Mais ce qu'il est curieux de vérifier, c'est que
cette peur d'une révolution exprimée en un langage toujours rétrograde ou
traditionaliste malgré quelques concessions constitutionnalistes, était bien
fondée puisque l'Empereur finit par être déposé. Beaucoup de protagonistes
virent une Révolution dans cet épisode. Ils vont cependant ne pas se montrer
unis sur le problème de savoir à quel moment se termine cette révolution.
A la veille de la fin du premier empire, notre journal était rédigé par le
chanoine Januario da Cunha Barbosa, importante figure du mouvement
d'indépendance brésilien qui, sept ans plus tard, sera le fondateur de l'Institut
Historique et Géographique Brésilien.
Du point de vue de ce journal, le pouvoir du monarque et le
constitutionnalisme allaient toujours de pair. On lit par exemple le 3 janvier
1831 :
Le Roi, le Peuple et la Nation
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«Les Brésiliens de bon sens et qui ont quelque chose à perdre ne
veulent rien savoir d'une révolution et aiment vivre tranquillement sous la
constitution et sous l'Empereur.»
Les formes de sociabilité, modernes et démocratiques, étaient l'objet
d'attaques de la part de cet organe de presse. Cela apparaît clairement dans ce
texte du 3 janvier 1831 :
«Il convient de dire que la volonté des “Clubistes” n'est pas celle de la
Nation ; d'ailleurs ce n'est pas avec des idées fausses que l'opinion publique
se dirige.»
L'antagonisme entre les Clubs soutenant la souveraineté populaire et la
souveraineté nationale est soulignée ici ; mais qui est le défenseur de cette
souveraineté nationale ? Cela a déjà été dit : c'est l'Empereur
constitutionnel...
Pour renforcer ses arguments, le journal transcrivait, à partir de sources
françaises, ce qui pouvait le mieux lui servir d'exemple :
«Il nous semble bien qu'il est possible d'appliquer à ce cas ce qu'a dit
M. Guizot, Ministre de l'Intérieur français, lorsqu'il montre le danger des
Sociétés Populaires. Elles mettent en danger jusqu'aux principes
constitutionnels.» (4 janvier 1831).
Il est intéressant de vérifier combien la défense intransigeante du
gouvernement et de la souveraineté royale était toujours associée à la défense
du constitutionnalisme, même si la Constitution avait été le fruit exclusif de
la volonté impériale.
Juste à la veille de l'abdication du monarque luso-brésilien, le journal
gouvernemental accentuait encore ses tendances constitutionnalistes :
«Nous avons fui les extrêmes, la Constitution est notre bouée de
sauvetage.»
Comme nous l'avons vu déjà, il y avait donc plusieurs libéralismes
derrière l'uniformité apparente du libéralisme français. Il nous paraît licite de
supposer que la même unité dans la diversité existe parmi les libéraux
brésiliens. Si nous prenons comme référence la notion de souveraineté et les
concepts de peuple, nation et révolution, nous pouvons arriver à la
conclusion qu'il y a bien des différences sous le couvert du même
vocabulaire constitutionnel. La presse d'opinion nous montre la voie. A des
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Marco Morel
moments-clefs —d'un côté chute ou de l'autre remplacement du monarque—
elle nous aide à mieux comprendre les problèmes posés.
III. Conclusions
Certes, d'un côté nous craignons la recherche de conclusions trop
logiques sur les libéralismes français et brésilien, notre intention n'est
cependant pas de réduire ce débat au point de ne pas en tirer certains
enseignements. En réalité nous n'avons pas adopté ici certaines positions
utilisées en général dans les débats historiographiques : il ne s'agit pas de
savoir quel serait le libéralisme le plus «progressiste» ou le plus
«conservateur». Ni même de savoir qui a influencé qui, ou quelles idées se
rencontraient au bon ou au mauvais endroit.
L'intérêt d'une recherche comparative dans trois journaux de la presse
d'opinion de chaque pays nous semble devoir nous révéler comment s'est
formée la première génération de l'«opinion publique» brésilienne. Surtout
elle nous révèle les différences dans le témoignage des protagonistes des
événements.
Une piste que cette recherche nous a ouverte se trouve dans la
consolidation de l'imaginaire libéral dans la période étudiée. C'est-à-dire
qu'apparaît bien la façon dont les personnages s'auto-représentent dans le
processus historique.
Nous cherchons donc à comprendre la logique interne qui structurait les
trois ordres de l'imaginaire libéral en 1830-1831 : ceux qu'on appelait les
«exaltés» (souveraineté populaire), ceux qu'on qualifiait de «modérés»
(souveraineté nationale) et enfin les «restaurateurs» (souveraineté royale).
En 1830 en France, en 1831 au Brésil, avant de réaliser leur
«révolutions», les libéraux avaient défendu, avec plus ou moins de force, la
monarchie constitutionnelle. Lorsqu'arrive ladite révolution, les positions
restent les mêmes dans les deux pays. Mais dans les mois ou les années qui
suivent, l'opposition républicaine va se montrer plus clairement en France
qu'au Brésil où, pour au moins une trentaine d'années, elle restera cachée et
déguisée sauf dans les mouvements de révolte qui atteignent, dans diverses
provinces brésiliennes, une certaine ampleur.
Le Roi, le Peuple et la Nation
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Donc, s'il y avait ce commun dénominateur, les différences, cependant
ne manquaient pas. L'exemple du suffrage censitaire va dans ce sens. Alors
qu'en 1830, en France, les restrictions au droit de vote sont synonymes
d'inquiétude, elles n'étaient même pas mentionnées en 1831 par les libéraux
brésiliens qui critiquaient durement l'empereur. Bien sûr, on le sait bien, la
société brésilienne de cette époque est fondée sur le travail esclave. Dans la
France de cette époque l'esclavage n'existait qu'aux Antilles et en Guyane.
Une formule traditionnelle qualifie la Monarchie de Juillet de «monarchie
bourgeoise» ; mais même les libéraux brésiliens les plus optimistes ne
pouvaient pas utiliser le même qualificatif pour l'unique Empire tropical. Le
droit de vote, tout le monde en est d'accord, constitue l'une des pièces
fondamentales de toute représentativité donc de toute légitimité du système
libéral. Au Brésil, les libéraux étaient, avant tout, l'ensemble des hommes
libres, liberalis comme le dit le latin. En ce sens, les activités libérales étaient
le fait d'hommes libres, dignes de cette condition, par opposition à ceux qui
exercent des activités mécaniques ou manuelles, destinées surtout aux
esclaves.
Nous ne voyons cependant pas un libéralisme français influençant un
libéralisme brésilien. En plus de la nuance du nombre, de la diversité, il
semble, pour conclure, que les discours politiques sont issus et produits à
partir de lieux historiques précis et des caractéristiques propres à chaque
société. Nous pouvons parler de métamorphoses du libéralisme politique en
France et au Brésil. Changements dans le temps car quelquefois la courte
durée peut présenter des transformations fulgurantes et substantielles ;
changements aussi dans l'espace, d'une société à une autre, d'un pays à
l'autre. Ces métamorphoses sont particulières pour chaque développement
national et peuvent donner lieu à différentes relectures ou interprétations
lorsqu'elles sont revues dans des contextes différents.
Elles appartiennent cependant à un même temps, celui du
constitutionnalisme libéral, même si elles ont pu obéir à des intérêts
divergents. Elles s'exprimaient avec un même vocabulaire utilisant les termes
de «national», de «populaire» ou de «royal» et gardent la révolution comme
principal paradigme.
Rien n'est plus naturel dans une époque post-révolutionnaire dont les
cicatrices de rupture sont mal fermées. Le Brésil s'insère dans ce contexte de
recherche d'une solution au processus révolutionnaire même si beaucoup de
Brésiliens croyaient et croient encore aujourd'hui, qu'ils n'ont pas encore
vécu leur révolution.