Discours de Julien Pain, Responsable du Bureau Internet
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Discours de Julien Pain, Responsable du Bureau Internet
Julien Pain Responsable du Bureau Internet et libertés Reporters sans frontières Discours préparé pour la conférence de l'Unesco des 3 et 4 février 2005 sur la liberté d'expression dans le cyberespace. Reporters sans frontières se bat depuis près de 20 ans pour la liberté de la presse et pour le droit de tous à être informés. Nous avons créé il y a cinq ans un bureau spécialisé dans la liberté d'expression sur Internet. Nous avons mis en place ce bureau après avoir fait quelques constats très simples. Nous nous sommes aperçus que l'avènement d'Internet avait bouleversé l'univers médiatique. Les médias traditionnels ne sont plus les dépositaires uniques de l'information. Bien sûr, ils ont tous cherché à prendre position sur le Net en créant leurs propres sites. Mais ils ont dû faire face à de nouveaux challengers. Et ces nouveaux challengers ce sont leurs clients, leurs lecteurs, ceux qui traditionnellement ne faisaient que recevoir l'information. Sur Internet en effet, tout le monde peut être producteur de contenu. L'essor des weblogs est là pour confirmer cette tendance. Lors du récent Tsunami qui a dévasté le SudEst asiatique, ce sont les webloggers qui les premiers ont été les yeux et les oreilles de la planète. Ils ont été plus rapides que les médias traditionnels et ont souvent fourni des informations que nul autre média n'était en mesure d'obtenir. Bien sûr, avec l'essor de ces weblogs, se pose le problème de la crédibilité de l'information. Ils sont en effet mis à jour par des personnes qui ne sont pas des journalistes professionnels. Il est donc difficile de faire le tri entre le commentaire, l'info bidon, et la véritable information. Pourtant, on ne peut plus nier le rôle pris par ces nouveaux médias. Or, ces publications en ligne exercent souvent leur activité dans un flou juridique inquiétant, et cela un peu partout dans le monde. La presse en ligne bénéficie en général des mêmes protections que la presse traditionnelle. Un journaliste du Financial Times ou du Monde sera protégé de la même façon s'il écrit sur le site de son quotidien ou dans sa version papier (Il y a des contreexemples, comme l'a démontré l'affaire Gutnick en Australie, mais en général la presse et la presse en ligne exercent leur activité sous un même régime de responsabilité). Je voudrais insister ici sur le fait que ces non-professionnels - les responsables de sites personnels, les webloggers - ne jouissent pas du tout des même droits que les journalistes. Et c'est un constat valable aussi bien dans les démocraties que dans les régimes autoritaires. Fermer un weblog, censurer une page web, est malheureusement très facile. Il suffit aux autorités de contacter l'hébergeur de la publication - si celui-ci est sur leur territoire - et de faire pression sur l'entreprise pour qu'elle ferme le site. Si l'hébergeur est à l'étranger, on peut toujours le rendre inaccessible dans le pays en bloquant son nom de domaine ou son adresse IP. Un exemple: il y a quelques mois, les serveurs du site d'Indymédia, un site d'informations alternatif, ont été saisis par les autorités américaines, sans qu'aucune forme de justification ait été donnée aux responsables de la publication. Ce type de censure aurait été impensable, au Royaume-Uni, dans le cas d'un média traditionnel - une télévision, une radio ou un magazine. S'agissant d'une publication électronique, cela n'a semblé poser aucun problème. Cette affaire a d'ailleurs été très peu relayée par les médias classiques. Si ce type de mesure est pris dans les pays démocratiques, il devient difficile de critiquer les régimes autoritaires pour leur politique de censure du Net. Les démocraties devraient montrer l'exemple et traiter les publications en ligne avec les mêmes égards que les autres médias. Car si, au Royaume-Uni, on parle de serveurs saisis et d'un site fermé durant quelques jours, en Iran, en Chine ou en Syrie, s'exprimer librement sur le Réseau peut avoir des conséquences bien plus graves. Dans les 4 derniers mois en Iran, une vingtaine de personnes, cyberjournalistes et webloggers, ont été arrêtées, emprisonnées, et parfois torturées pour avoir simplement publié sur Internet des textes (relativement) critiques de leur gouvernement. En Chine 61 personnes croupissent en prison pour avoir prôné la démocratie sur des sites Internet ou des forums de discussion. Des centaines de milliers de sites sont censurés, les e-mails sont surveillés et les forums de discussion expurgés de toute discussion "subversive". En Syrie, un étudiant en journalisme est toujours emprisonné pour avoir simplement posté sur Internet les photos d'une manifestation prokurde. En Tunisie enfin, où va se dérouler le prochain sommet sur la société de l'information, l'Internet est abusivement censuré et les internautes sont étroitement surveillés. Dans ce pays où se décidera bientôt l'avenir du Réseau, critiquer le président Ben Ali sur un site Internet mène droit en prison. Pour finir je dirai simplement que tous les Etats ont leur part de responsabilité quant il s'agit de liberté d'expression sur Internet. Et je tiens à insister sur la responsabilité qu'on les démocraties dans ce domaine. La première n'est pas compliquée : c'est de nous aider à libérer les 70 cyberdissidents et webloggers emprisonnés de par le monde, en faisant pression sur les régimes répressifs de la liberté d'expression. Le deuxième changement à réaliser touche aux mentalités : les démocraties doivent montrer qu'elles considèrent désormais les publications en ligne comme des médias à part entière. Car aujourd'hui, c'est souvent sur Internet, par des cyberjournalistes et des webloggers, que se mène le combat pour la liberté d'expression.