La fabrication du Lambic Il fut un temps où, certes

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La fabrication du Lambic Il fut un temps où, certes
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LE PETIT
La fabrication
JOURNAL
du Lambic
(Etude de PAUL VAN CAUWENBERGE, Ing. I. F. ~.
Reproduction
interdite
Il fut un temps où, certes, toutes les bières
résultaient de fermentation plus ou moins
spontanée d'un moût houblonné ou aromatisé
provenant de l'infusion chaude de céréales
préparées.
Si l'on fait exception des boissons confectionnées de façon grossière par les indigènes
de certaines peuplades primitives, la fabrication de la bière de fermentation dite « spontanée» n'est plus guère florissante qu'à Bruxelles et dans ses environs immédiats, où le
lambic et ses dérivés le faro et la mars sont
restés appréciés par toute une clientèle de fidèles amateurs.
Rappelons qu'avant l'introduction des bières de fermentation haute par la Brasserie
Lannoy lors de la dernière épidémie de choléra (vers 1870), il n'existait pas d'autre bière
à Bruxelles, Le lambic a survécu grâce à sa
densité, grâce aussi au capiteux et à la finesse
de son arome qui ont fait dire de lui qu'il était
le Bourgogne du peuple bruxellois.
De la capitale, la renommée du lambic s'est
d'ailleurs répandue vers les plus petites localités du pays.
Pour les amateurs de folklore, il semble
bien que le lambic doive son nom au village
de Lombeek situé près de Bruxelles et qui,
jadis, devait être renommé pour la qualité des
bières qu'on y fabriquait, d'où le nom de
Lombeek, appellation d'origine qui, par déformation, est devenue bière de Lambic.
L'origine du mot faro est trop douteuse et
nous amènerait à donner des explications trop
fantaisistes, nous nous abstiendrons donc de
les mentionner.
L'histoire cependant attribue, sans contestation possible, au lambic une origine royale.
Son créateur fut Jean IV, duc de Brabant en
1428. Godefroid Kurth, le grand historien belge, s'exprime en termes fort peu laudatifs au
sujet de ce prince.
Voici ce qu'il écrit:
« Le fils d'Antoine
de Bourgogne, Jean IV, par
son mariage avec Jacqueline de Bavière, réunit au
duché que lui avait légué son père les comtés de
Hainaut, de Hollande et de Zélande avec la seigneurie de Frise. Il pouvait sembler que ce serait le privilège de la Maison de Bourgogne de réaliser l'unification de la Belgique; il n'en fut rien.
A la tête du plus fort domaine que jamais prince
helge eût possédé, Jean IV se montra d'une incapacité flagrante. Il se brouilla avec sa femme qui finit
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DU BRASSEUR
par le quitfer, et son règne ne vaudrait pas même
d'être mentionné dans l'histoire s'il n'avait pas <lU
le mérite de fonder la célèbre Université de Louvain. Le fondateur de l'Alma Mater fut en même
temps l'inventeur de notre bière nationale. Sans
doute, ce prince aux idées bourgeoise~ n'avait-il pas
de hautes visées politiques et préférait-il les plaisirs
jonlaenesques aux passe-temps héroïques. Toujours
est-il que, fatigué de boire perpétuellement de la
cervoise, il lui vint un jour l'idée de faire macérer et
bouillir de l'orge et du houblon dans un alambic:
l'expérience réussit et cette bière nouveaU système
en souvenir du récipient
fut baptisée « lambic"
dans lequel on avait fait la première cuvée.
La bonne ville de Bruxelles a consacré la réputation
du créateur du lambic en le représentant, un fourquet à la main, sur un panneau décorant la Salle
des Milices à l 'Hôtel de Ville.
Ce n'est pas tout: les vieux cabarets à Bruxelles
ont pris comme enseigne « Au duc Jean» ou « Au
duc de Brabant ", ce qui prouve que la brasserie,
outre qu'elle enrichit son homme, lui procure, par
dessus le marché, une gloire impérissable.
»
Sans vouloir commenter la version de
Kurth, nouS avouerons que sa conclusion
quant à l'enrichissement de celui qui s'occupe
de brasserie fera bien des sceptiques.
Ajoutons que r origine du mot « Gueuse i)
dont on baptisa les meilleures bières de lambic a échappé à nos investigations. On ne désigne généralement sous ce nom que le lambic
en bouteille ou de qualité destinée à l'embouteillage. La pratique de la mise en bouteille
du lambic-gueuse est fort récente puisqu'eUe
ne date que de 35 ans environ. Vers 1890,
certains brasseurs ayant obtenu des brassins
de qualité extra tentèrent l'expérience d'en
soutirer une petite partie dans des bouteilles à
champagne, et leur essai fut concluant puisqu'un succès inespéré fut réservé par le public
à la Gueuse pétillante, claire et mousseuse.
***
Les brasseries de lambic les plus anciennes
se sont localisées le long des méçtndres de la
Senne depuis Hal jusqu'à Vilvorde.
Au bon temps de jadis, les brasseurs bruxeflois employaient l'eau de la Senne pour brasser, mais hâtons-nous d'ajouter qu'à cette époque elle étr.it claire et limpide. Actuellement,
la rivière ne leur sert plus que d'égoût malodorant, inondant parfois les caves les plus basses mais contribuant peut-être, en revanche, à
enrichir la flore microscopique si nécessaire à
provoquer les belles fermentations spontanées
donnant au lambic son bouquet.
De l'avis de gens se disant connaisseurs, il
n'y aurait que les brasseries établies aux
abords de cette rivière qui feraient du bon
lambic et il serait totalement impossible de
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LE PETIT JOURNAL DU BRASSEUR
faire un bon type de cette bière dans les Flandres ou ailleurs.
Cet avis paraissant discutable, nous le commenterons au cours de cette étude.
La corporation des brasseurs Bruxellois devait être plus puissante jadis que de nos jours
à en juger par la superbe Maison des Brasseurs située à droite de l'Hôtel de Ville, et qui
se trouve être maintenant la propriété d'uile
grande banque de la place qui l'acheta à bon
compte après l'armistice. Déplorons en passant que cet immeuble témoin des débats brassicoles de nos aïeux n'ait pu redevenir la propriété de la Fédération Générale des Brasseurs
Belges ou de la Société des Brasseurs de l' Arrondissement de Bruxelles, acquisition qui eût
relevé le prestige décadent de la Corporation
et qui de plus eût constitué une excellent,~
affaire.
A la fin du 17e siècle, il existait à BruxeHes
une cinquantaine de brasseries. Nous citerons
leurs noms d'après un tableau de l'époque indiqu::mt les marques que ces brasseries étaient
autorisées. à porter sur leurs tonnes afin de les
distinguer de celles de leurs confrères: L'éléphant, le Lion d'or, la Coupe d'or, le Faucon,
le Cornet de Poste doré, le Château d'Or, ~e
Poisson d'Or, Goffin, Vandenbruggen, De
Cuyper, De 'Walsche, L'Etoile, Le Saint-Esprit,
la Fontaine, Le Baudet, le Cygne, le Chapeau, la Porte haute, le Cornet, Puttaert, Annaset, 'Wyns, Jacquemans, la Clé, la Sirène,
le Fouet d'Or, le Chapeau des Roses, le PontNeuf, l'Empereur, la Nouvelle Brasserie,
Saint-Michel, le Singe, Jean-François Jacquemans, les trois étrilles, la Porte verte, la Maison des Pucelles, la Barbe, le Moulin à vent,
les trois Coupes, les Armes d'Angleterre, la
Pieuvre, l'Archiduc Léopold, la Cave, Stilb
mans, Pletinckx, Bomely, Amérique, Versteylen.
Quelques-unes de ces enseignes' existent encore.
n y a quelques années à peine, le lambic se
fabricuait en Brabant dans plus de 80 brasseseries dont beaucoup, notamment dans l'agglomération bruxelloise, en faisaient leur fabrication exclusive..
Plus d'une dizaine de ces brasseries produisaient avant guerre chacune 200 brassins de
125 à 150 hectolitres par saison de brassage,
soit au moins 10.000 tonnes de 250 litres par
an.
Quoique le versement total de farines pouvant être attribué à la brasserie de lambic ait
atteint près de 18 millions de kilos en 1920,
année pendant laquelle se reconstituaient les
stocks épuisés pendant la guerre, on peut évaluer bon an mal an à 12 millions de kilos les
déclarations de farines des brasseries Je lambic, quantité qui représente, si r on veut bien
négliger les petites quantités de bières de fermentation haute fabriquées par certains brasseurs, 467.000 hectos de bière à 6° de densité.
Si les conditions de débit d'avant-guerre
s'étaient maintenues, cette fabrication eût exigé un stock permanent de plus d'un million
d'hectos, alors que le stock actuel pourrait être
évalué à 700.000 hectos au maximum, d'une
valeur moyenne de 70 millions de francs, logé
dans 200.000 tonnes et 33.000 pipes (représen..
tant une futaille de 18 à 20 millions de francs) .
La brasserie de lambic occupe environ 1200
ouvriers dont beaucoup ne restent attachés à
la brasserie que pendant les mois d'hiver, la
force motrice utilisée par elle est d'environ
1500 C. V.
Le stock de bouteilles champenoises en possession des br,asseurs de lambic doit être fantastique. On n'irait pas au-dessus de la vérité
en l'estimant à une dizaine de millions de
verres, représentant une valeur de huit millions de francs.
On se rend compte par ces chiffres que la
brasserie de lambic occupe dans l'économie
brassicole une place remarquable.
La consommation de lambic en bouteille a
fortement augmenté par rapport à celle
d'avant-guerre, progression qui s'est faite au
détriment du lambic doux et du faro en tonneau, bières qui semblent disparues à jamais
des cafés bruxellois. Leur disparition semble
due en ordre princip.al au snobisme des consommateurs, à remploi de la saccharine substituant le bon sucre de canne pendant la période de tolérance d'après guerre et au fait
que le brasseur ne disposait plus, pour la
préparation du faro, que de bières trop jeunes,
malades ou de second choix; toutes les autres
étant utilisées pour la gueuse en bouteilles.
Depuis 1920, il semble cependant que la
fabrication de la Gueuse soit en recul. NOlJs
l'expliquerons par la concurrenCe des bières
spéciales de forte densité de fermentation
haute ou basse vendues en bouteilles, bières
que d'importants brasseurs de Lambic se sont
eux mêmes mis à fabriquer.
La diminution de la consommation de la
Gueuse provient également de ce que la demande ayant été trop forte, on a envoyé en
province des Gueuse de second choix ou saturées artificiellement.
LE PETIT JOURN
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DU BRASSEUR
Enfin la dépréciation du franc a mis le bras~ tain temps d'emploi, qu'il se dépose du bierseur de lambic dans un état de crise, car on stein StlTles parois et que la levure trouve
conçoit aisément combien grande doit être ainsi toute facilité pour se déposer. On voit
l'immobilisation des capitaux pour tenir en déjà ici quel rôle jouent dans cette affaire de
minimes détails.
garde des bières de telle densité.
L 'historique de l'importance des Brasseries
N' est~il pas évident qu'il faut faire quelque
de Lambic ayant été suffisamment dévelop- chose pour faciliter le dépôt de la levure? On,
pé, nous examinerons successivement, pour se rappelle alors les copeaux, qui jadis étaient
faire un exposé complet, la question des ma- considérés comme indispensables. Seulement
tières premières, celles du matériel employé et tous ceux qui, comme moi, ont employé autrede la fabrication proprement dite, pour passer fois Ce dangereux m,atériel n'étaient nullement
ensuite aux questions pratiques, théoriques et tentés de le reprendre tant qu'il n'y aurait pas
sClentifiques de la fermentation et de la pré. quelque chose de changé. Je me rappelle enparation des bières.
core avoir vu, quand j'étais apprenti dans la
(à suivre.)
brasserie familiale, la joie avec laquelle mon
père se débarrassa des copeaux, devenus en-'
fin inutiles, après avoir acheté le premier filtre
Stockheim, considéré alors comme une mer~
Le filtre et les copeaux.
veille. Tous les brasseurs ne pur'ent pas se dé~
La T ageszeitung a publié dans son numéro cider si vite, dans ce temps-là, à adopter la
du 29 janvier un nouvel article sur ce ellljet, même mesure. Beaucoup continuèrent encore
dû à la plume d'un brasseur, M. Bertrand Si- bien des années à recourir aux coupeaux tout
mon, de Bitburg. En voici la traduction.
en se servant de filtre; puis la guerre et ses
L'article que vous avez publié sous la signa- suites firent définitivement disparaître les co~
ture d'un vieux praticien éveillera beaucoup peaux.
d'écho. (1)
.
Les choses, cependant, n'en restèrent pas
Rappelant les avis formulés à plusieurs re~ là. Aujourd'hui l'on cherche tous les moyens
prises par notre vénéré professeur Windisch,
possibles J'améliorer la qualité de la bière,
l'auteur parle, avec sa vieille expérience, des et c'e~t fort bien. L'« empirisme)) est maître
copeaux qu'on croyait morts depuis long- de l'heure, et non seulement on le met à côté
temps, mais qui fêteront bientôt leur résurrec- de la science n, mais on lui donne le dessus.
tion, sous une forme moderne il est vrai.
Et avec les bacs refroidissoirs, avec la fermenn est surprenant qu'on n'ait pas songé de- tation à basse température, les bières fortes,
puis longtemps à utiliser les grands avantages la conserve prolongée à froid, etc., voici qu'on
incontestés des copeaux tout en écartant leurs remet en honneur les copeaux.
grands inconvénients également incontestés.
Diverses usines, notamment une bien conLa surface disponible pour le dépôt de la le- nue de Westphalie, en dépit de, ou peut~être
vure devient toujours plus petite, car les réci- à cause de leurs vastes installations de tanks,
pients de garde s'agrandissent d'année en an- ont recommencé à faire grand usage de conée, bien qu'on paraisse renoncer maintenant
peaux, comme elles le faisaient il y a trente
aux grandeurs extraordinaires et qu'on ait ans. D'autres brasseurs hésitent; ils trouvent
adopté une capacité, normale en quelque sor- qu'il en résulte trop de main-d'œuvre et de
te, de 300 hectos environ.
danger d'infection. Et puis on n'a pas de pla~
Lorsqu'on discute s'il convient de donner la ce, les locaux sont trop étroits, les ouvriers
préférence à r aluminium ou à l'émail, il y a ont peur des infections, il y a l'augmentation
un argument dont il faut aussi tenir compte, de freinte, etc.
c'est que la levure Se dépose mieux sur l' alu- . Eh bien, voici de quoi rassurer nos confrèminium que sur l'émail lisse. Les partisans de res. Voici qu'on met sur le marché, bien à
l'émail ont fait valoir, là~contre, que les conditions ne sont plus les mêmes après un cer- propos, un appareil en aluminium, imaginé
par un praticien pour des praticiens, le Si.
mon~Spaner)) (clarificateur Simon) qui peut
(1) Nos abonnés ont pu lire la trnduction de cet
article, p. 240 de notre numéro, du 17 février. L'auêtre installé dans les foudres de garde ou les
tenr y examinait les avantages et les inconvénients
tanks pour remplacer les copeaux en quantité.
que présentait la reprise de l'emploi des copeaux
quelconque. Cet appareil breveté est construit
pour améliorer no's bières modernes, tandis que le
par la firme A. Ziemann, de Feuerbach~Stuttprésent article décrit un appareil pour remplacer les
copeaux. (N. d. 1. R. du P. J, du B.) .
gart. Sa construction spéciale n'entrave pas la
-
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