Les licenciements économiques au fil... des lois
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Les licenciements économiques au fil... des lois
281-282 première partie 26/07/05 10:13 Page 281 Les licenciements économiques au fil... des lois Le licenciement pour motif économique, qu'il soit collectif ou individuel, est la situation où le conflit entre les intérêts des employeurs et ceux des salariés se manifeste avec le plus d'acuité. Pour les premiers, l'opération se résume à agir sur l'un des facteurs du coût de production, facteur dont l'importance subira des variations en fonction des critères de l’employeur. Pour les seconds, elle consiste dans la perte de l'emploi c'est-à-dire la mise en cause de leur survie et celle de leur famille, s'ils ne retrouvent pas rapidement une nouvelle embauche avant la fin de leur droit aux prestations de l'assurance chômage. Pendant longtemps le licenciement pour motif économique n'a pas comporté un encadrement juridique qui lui soit propre. Le droit de rompre le contrat de travail s'exerçait librement, quel que soit le motif, seul l'abus de ce droit par l'employeur étant susceptible d'ouvrir droit à des dommages et intérêts. Abus dont la charge de la preuve reposait sur le salarié, dans des conditions difficiles lorsque le motif était économique, dès lors que les juges refusaient d'exercer un contrôle conséquent sur la gestion de l'entreprise dont l'employeur était seul maître. Le licenciement économique apparaissait comme un aléa inévitable, voire normal, de la vie de l'entreprise. Cela ne présentait pas de trop grands inconvénients si la conjoncture permettait aux salariés de retrouver facilement un emploi. Mais cette possibilité s'est révélée de plus en plus restreinte par la transformation d'un environnement marqué par le développement de la précarité de l'emploi dans une économie de marché mondialisée. Il a fallu attendre le dernier quart du vingtième siècle pour que s'ébauchent, en faveur des salariés victimes d'une compression de la main d'œuvre dans l'entreprise, des procédures tendant à limiter l'effet des initiatives patronales. Une partie de ping-pong entre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, le premier se bornant à apprécier la seule légalité formelle de l'autorisation, la seconde se refusant à juger de la validité au fond d'un motif, déjà jugé théoriquement valable par l'administration. Mais le contrôle administratif préalable lui-même était jugé cependant trop contraignant par le patronat qui obtenait sa suppression par les lois des 3 juillet et 30 décembre 1986. Toutefois, on ne revenait pas au régime de liberté antérieur, l'encadrement des mesures de compression d'effectif par l'instauration de procédures permettait au personnel de l'entreprise d'en être informé à l'avance pour éventuellement en débattre et en modifier les effets. La consultation des institutions représentatives a été voulue plus efficace quant à son contenu et à ses délais. Par ailleurs on a tenté de réduire le nombre et les conséquences des Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 La loi du 3 janvier 1975 est venue subordonner le licenciement pour motif économique à une autorisation préalable de l'Inspection du travail qui pouvait être implicite en cas de silence de l'administration à l'expiration d'un court délai. 281 281-282 première partie 26/07/05 10:13 Page 282 licenciements en imposant à l'entreprise des mesures d'accompagnement à cet effet, l'obligeant à prévoir un "plan social" devenu par la suite "un plan de sauvegarde de l'emploi". Cela a été l'objet des lois du 2 août 1989 et du 27 janvier 1993. Cette dernière devait expressément sanctionner par la nullité des procédures de licenciements dans lesquelles un plan de reclassement des salariés n'aurait pas été présenté aux représentants du personnel, dans le cadre plus général du plan de sauvegarde de l'emploi. Ces dispositions procédurales ont fait l'objet d'un contrôle judiciaire qui veillait strictement à leur application. Cette orientation avait été accentuée par la loi du 17 janvier 2002 dite de "modernisation sociale". Ce texte augmentait le rôle des institutions représentatives du personnel (droit de veto du comité d'entreprise, possibilité de contre-proposition avec obligation de réponse pour l'employeur, possibilité d'expertise aux frais de l'entreprise, etc.). Tout cela a été rayé d'un trait de plume par la loi provisoire du 3 janvier 2003 et la loi dite de "cohésion sociale" du 18 janvier 2005. C'est ce dernier texte, constituant aujourd'hui le droit positif en la matière, qui sera examiné ci-après. Son objet est clair. Il répond aux attentes d'un patronat désireux de réduire au maximum la durée de la procédure obligatoire suivie en cas de licenciement, l'idéal étant d'aboutir à un effet quasi immédiat de la décision de rupture du contrat. Sans doute on n'a pas pu revenir à l'époque où le licenciement pour motif économique n'obéissait à aucune contrainte, mais on a accordé aux employeurs un allégement de la procédure et la possibilité de raccourcir sensiblement les délais nécessaires à sa réalisation. A cet effet par la voie d'accords collectifs dits "de méthode" il leur est loisible de substituer à la procédure légale une procédure conventionnelle. Quand on connaît la faiblesse de la syndicalisation dans certaines entreprises, cela revient pratiquement dans celles-ci à laisser à l'employeur le choix des dispositions applicables les plus favorables à ses intérêts. Au surplus les délais de recours contentieux éventuels ont été écourtés de façon à ce que le risque de remise en cause des décisions patronales soit rapidement éteint. Enfin, les possibilités de remise en état, c'est-à-dire de réintégration, en cas de nullité Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 de la procédure ont été limitées en la subordonnant à l'existence d'un emploi disponible au sein 282 de l'entreprise. Les dispositions de la loi du 18 janvier 2005 consacrent ainsi un recul regrettable des mesures protectrices de l'intérêt des salariés. On peut, sans doute espérer qu'une nouvelle majorité parlementaire adopte un jour une loi plus sensible à ceux-ci. En attendant les organisations syndicales auront à cœur de résister au forcing patronal dans les négociations des accords dits "de méthode" et en utilisant au maximum ce qui reste d'obligations de procédure que les chefs d'entreprise doivent respecter. Francis Saramito, Rédacteur en chef du Droit Ouvrier 283-287 Doctrine Lyon-Caen 26/07/05 10:14 Page 283 DOCTRI NE Justice et justification dans les réformes actuelles du droit du travail par Antoine LYON-CAEN, Professeur à l’Université de Paris X Nanterre, Directeur d’études à l’EHESS PLAN I. Aujourd’hui : le cantonnement des juges L’ époque est à la mise en cause du régime juridique de l’emploi. Les dispositions relatives au droit du licenciement qui prennent place dans la loi de programmation pour la cohérence sociale en offrent une illustration. Constituent-elles une étape significative ? Il est tôt pour trancher. Mais il y a lieu de se souvenir que des dispositions nouvelles sont parfois moins importantes à raison de leur teneur qu’à raison de leur inspiration. Aux avant-postes de la dénonciation, des économistes et certaines organisations qui reprennent à leur compte leurs discours et leurs conclusions. Cette dénonciation se présente sur un mode majeur lorsqu’elle s’efforce de disqualifier, dans son principe, un encadrement normatif spécifique des réorganisations et licenciements. L’effort de disqualification use aujourd’hui d’une rhétorique dont il ne faut ignorer ni les ressorts ni les succès historiques, la rhétorique dite des effets pervers. Elle consiste à opposer les conséquences sociales (ou économiques) que seraient supposés produire les dispositifs et la situation actuelle observable et, sur la considération de leurs écarts, à prétendre montrer que, conçus pour protéger l’emploi, les dispositifs constitutifs de son régime juridique contribueraient au chômage et à la précarité. Telle serait la perversité du droit du travail. La loi du 18 janvier 2005 ne contient pas de disposition qui se réclame ouvertement de cette rhétorique. Mais n’est-ce pas une prochaine étape qui en montrera l’influence ? Avec notamment l’ambition d’exonérer les entreprises qui procèdent à des réorganisations et à des licenciements des responsabilités qui, à ce jour, pèsent sur elles ? Parmi leurs obligations, l’exigence de justification du licenciement a été évoquée, sans être en fin de compte écornée, au cours des travaux parlementaires préparatoires à la loi du 18 janvier 2005. Elle est depuis lors sur la sellette avec le projet de contrat dit « nouvelle embauche ». Le moment est donc opportun pour commenter l’atteinte annoncée à l’exigence de justification du licenciement (II). La dénonciation du régime juridique de l’emploi revêt aussi des modes mineurs, plus tempérés, et, à leur manière, plus équivoques. De ces modes mineurs, il est une expression courante : les règles qui composent en particulier le droit du licenciement pour motif économique ne seraient pas claires. Une expression plus élaborée se pare de la sécurité à laquelle cet ensemble normatif ne répondrait pas (ou plus). C’est ce double souci de clarté et de sécurité qu’ont revendiqué les promoteurs de la réforme de 2005 et qui, à leurs yeux, commandent de revoir le rôle des juges (I). Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 II. Demain : la libre résiliation des contrats de travail ? 283 283-287 Doctrine Lyon-Caen ■ 26/07/05 10:14 Page 284 I. Aujourd’hui : le cantonnement des juges ■ A lire les travaux préparatoires de la loi du 18 janvier 2005, les principaux facteurs d’insécurité, dans le régime des licenciements pour motif économique, se trouvent du côté des juges. Les juges contemporains seraient-ils de nouveaux fauteurs d’insécurité ? En tout cas, ils sont visés autant comme artisans du règlement de différends que comme interprètes, plus ou moins actifs, des dispositions applicables. A. Plusieurs dispositions issues de le loi nouvelle traduisent une volonté manifeste de cantonner les débats judiciaires que peuvent susciter des projets de licenciements pour motif économique et des initiatives qui peuvent les accompagner. Dans la France actuelle, il n’est guère concevable de tarir à la source les actions en justice et de priver les travailleurs et leurs représentants de protection juridictionnelle. Le droit communautaire d’une part et le droit de la Convention européenne des droits de l’Homme d’autre part, promettraient de vives contestations à un législateur qui poursuivrait une telle ambition ouverte. Pour cantonner les débats judiciaires, la voie choisie est autre : elle consiste à réduire les délais de recours (1). Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 C’est ainsi que dorénavant « l’action en référé portant sur la régularité de la procédure de consultation doit…être introduite dans un délai de 15 jours suivant chacune des réunions du comité d’entreprise » (2). C’est ainsi que l’action tendant à contester « la régularité ou la validité du licenciement » se prescrit par douze mois (3). C’est ainsi encore que l’action à contestation d’un accord de l’article L 320-3 Code du travail, accord de procédure appelé couramment accord de méthode, doit être introduite dans un délai qui, selon l’objet de l’accord, varie de trois à douze mois (4). 284 L’institution de délais abrégés a pour raison d’être d’assurer, au plus vite, l’immunité des projets et décisions susceptibles d’être contestés. Tel est, on le devine aisément, le sens de la sécurité juridique que recèlent ces dispositions. Sans doute, faute d’une réflexion d’ensemble sur les prescriptions et la terminologie utilisée pour circonscrire le domaine des nouvelles règles (1) Il s’agit d’« éviter le prolongement indéfini des actions contentieuses… » , dans lequel les promoteurs de la loi voient « une source d’insécurité juridique à la fois pour le salarié et l’employeur » (Rapport Ass. nat. n° 1930, I, p. 370) ; v. infra Christophe Baumgarten, Les garanties de procédure issues de la Loi Borloo : ordre du jour du comité d’entreprise et recours contentieux. (2) Art. L. 321-16 al. 1 nouveau. (3) Art. L. 321-16 al. 2 nouveau. (4) Art. L. 320-3 al. 4 nouveau. spéciales, ces textes sont riches d’une floraison d’hésitations et de controverses (5). Mais l’essentiel est ailleurs. Les dispositions nouvelles ne reposent pas sur une véritable évaluation de ce que représentent les actions en justice lors des réorganisations et des licenciements pour motif économique. Existe-t-il un contentieux abondant devant les juges des référés ? L’interprétation constructive qu’a retenue la Cour de cassation, dans son arrêt La Samaritaine, établissant que les licenciements consécutifs à un plan social nul, sont eux-mêmes nuls, at-elle stimulé les demandes tendant à pareille annulation ? Et puis, est-il raisonnable d’imaginer que la brièveté des délais décourage les plaideurs meurtris et les juges qui savent en cas de nécessité, ne point fermer le prétoire à qui doit y accéder ? Bref, les dispositions nouvelles n’ont qu’une portée limitée, et, au demeurant, incertaine. Elles n’en sont pas moins l’expression d’une politique restrictive, quoique sans fondations solides, à l’égard du droit d’agir des salariés et de leurs représentants. B. Que la loi contrarie la jurisprudence, voilà qui ne devrait pas surprendre. La loi du 18 janvier 2005 a ce dessein. Tout au plus, faudrait-il relever que s’il y avait là plus qu’un épisode, un mouvement, il fortifierait la loi au détriment de la jurisprudence, en un temps où il est de bon ton libéral de dénoncer le poids excessif de la première et de vanter les mérites de la seconde. Mais la contrariété n’est pas ici banale. Car il s’agit, dans deux cas emblématiques, dont l’un a été seulement envisagé sans être mentionné dans le texte soumis au Parlement, de contredire des interprétations mûrement réfléchies et porteuses, l’une et l’autre, d’une plus grande efficacité des garanties procédurales instituées par la loi. Le premier cas, évoqué puis abandonné, correspond à ce qu’il est convenu d’appeler la jurisprudence La Samaritaine, en d’autres termes, la nullité des licenciements pour inexistence, ou insuffisance du plan social (aujourd’hui plan de sauvegarde de l’emploi) (6). La règle est donc maintenue. La discussion qu’elle a provoquée a néanmoins laissé des traces. Avec comme (5) Laissons à d’autres, plus inventifs, le soin d’établir une liste de questions. Bornons-nous à en mentionner quelques unes. Le licenciement au sens de l’article L. 321-16 al. 2 est sans nul doute le licenciement pour motif économique ; mais quid de l’accord amiable à l’abri d’une procédure de licenciement pour motif économique ? Et du départ en reclassement personnalisé ? Que recouvre le vocable de régularité de la procédure ? La mission de l’expert-comptable du comité ? (6) Cette nullité est, depuis la loi du 17 janvier 2002 dite de modernisation sociale , prévue dans l’article L.122-14-4 C. trav. 283-287 Doctrine Lyon-Caen 26/07/05 10:14 Page 285 arrière-plan la nullité des licenciements des salariés de la société Wolber, filiale de Michelin, la réintégration consécutive à la dite nullité a été aménagée par la loi, de telle sorte qu’elle soit exclue lorsqu’elle « est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture d’établissement ou du site ou de l’absence d’emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié » (7). Que traduit cet aménagement ? Un souci d’éviter que des règles prétoriennes marquent plus de rigueur à l’endroit des employeurs ? La récente décision rendue par la chambre sociale de la Cour de cassation dans l’un des contentieux relatifs à la société Wolber révèle plutôt des juges prudents (8). La formulation retenue permet-elle d’augurer un partage aisé – oserait-on dire sûr – entre les réintégrations possibles et les réintégrations impossibles ? Le doute est de mise, car le texte nouveau ne fait aucune allusion au périmètre – ou espace – d’appréciation des possibilités de réintégration et, dans son récent arrêt Wolber, la chambre sociale prend soin de ménager le futur, en notant que la réintégration était « demandée dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans cette entreprise avant les licenciements ». A vrai dire, il serait surprenant que le périmètre de la réintégration ne recouvre pas au moins le périmètre défini pour le reclassement (9). De la même façon, le texte nouveau observe un mutisme complet sur les modalités mêmes du retour dans un emploi, au prix, le cas échéant, d’une modification du contrat ou d’une adaptation. Le second cas de condamnation, cette fois prononcée par la loi, correspond à la célèbre jurisprudence La nouvelle loi a, sans ambages, entendu retarder l’élaboration d’un plan de sauvegarde jusqu’à la manifestation du refus d’au moins dix salariés et la décision de l’employeur de les licencier. Sans prévenir, la loi pourrait bien avoir, du même coup, changé la conception du plan, dont l’élaboration, à ce stade, n’a plus guère de fonction possible de sauvegarde (13). L’efficacité des garanties procédurales, instituées par la loi, risque fort d’être altérée. Etait-ce souhaité ? Etait-ce même prévu ? La méthode suivie pour réformer, la modification d’un texte, et l’indifférence à d’autres qui lui sont liés risquent de déstabiliser l’édifice normatif lentement construit par l’interprétation des juges et d’apporter ainsi de nouveaux germes d’insécurité. Les juges ont pour eux le temps, les moyens d’une réflexion ouverte et apaisée, des méthodes de préparation et de correction de leur œuvre. Le législateur, en tout cas celui de 2005, dans sa réforme du droit du licenciement pour motif économique, tout à sa volonté de corriger les juges, n’a fait montre ni de leur aptitude ni de leur sagesse. II. Demain : la libre résiliation des contrats de travail ? ■ Dans l’actuelle mise en cause du régime juridique de l’emploi, l’office du juge, ou plutôt son exercice en cas de contestation de licenciement pour motif économique est la cible privilégiée des critiques. Tour à tour, il est énoncé que les juges n’auraient pas les compétences techniques pour émettre une opinion sérieuse sur le gestion des entreprises ; que les mesures de leur appréciation seraient imprécises, et, donc, incertaines ; qu’ainsi les (7) Art. L. 122-14-4, sur lequel G. Couturier, L’impossibilité de réintégrer, Dr. soc. 2005-403 et infra p. 369 les obs. de M. Henry sous l’art. L. 321-4-1. (8) Soc. 15 juin 2005, SSL n° 1221 du 17 juin 2005, p. 5, rapport P. Bailly, JCP ed S 2005-1035, note P.-Y. Verkindt. (9) v. G. Couturier, art. cit. pp. 405 et 408. (10) v. infra p. 296, Isabelle Meyrat, Vers un affaiblissement de l’emprise des procédures de licenciement collectif : le cas des dirigeants d’entreprise subiraient, en sus des aléas des marchés, les aléas de l’intervention judiciaire. Dans cette logique, les propositions les plus radicales de révision du droit positif s’attaquent au contrôle judiciaire des licenciements, à la mise en œuvre de la cause réelle et sérieuse, bref à l’exigence de justification des licenciements, que ceux-ci obéissent à des considérations tenant à la personne ou non. Sans être propositions de modification du contrat de travail pour motif économique. (11) v. Y. Chagny, La jurisprudence Framatome-Majorette : les derniers feux ? Dr. soc. 2005-556 ; pour C. Radé, l’âtre est éteint, Feu la jurisprudence Framatome et Majorette, Dr. soc. 2005-386. (12) Y. Chagny, art. cit. (13) En ce sens, C. Radé, art. cit. p. 391. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 ■ Majorette-Framatome (10) à laquelle la chambre sociale a montré son attachement constant (11). En substance, selon cette jurisprudence, un plan social, devenu plan de sauvegarde de l’emploi, doit être élaboré et soumis aux représentants du personnel dès lors qu’un employeur propose à plus de dix salariés une modification de leur contrat. Avec une telle initiative en effet, des licenciements sont envisagés, ou en tout cas doivent l’être. Il est juste de dire (12) que cette solution assure plein effet à une exigence de gestion prévisionnelle, à laquelle doit donner consistance le projet de plan qui accompagne l’initiative. 285 283-287 Doctrine Lyon-Caen 26/07/05 10:14 Page 286 mentionnées de manière explicite, ces propositions ont constitué l’arrière-plan des débats parlementaires provoqués par la revendication d’une modification textuelle destinée à introduire une référence à la compétitivité des entreprises, comme si l’expression avait signifié, pour les uns, favorables, comme pour les autres, hostiles, l’annonce d’un fort affaiblissement du contrôle judiciaire. Gageons que cette exigence de justification, à laquelle les licenciements pour motif économique n’échappent pas, continuera d’alimenter les polémiques. Elle a pourtant sa grandeur. Elle correspond à l’obligation de rendre compte de ses actes qui pèse sur toute personne dont l’activité a des effets patents sur autrui. Elle montre l’enrichissement de notre système juridique qui instaure des droits et libertés diverses et doit, dès lors, en assurer la coexistence. L’exigence de justification constitue la voie par laquelle passe cette cohabitation. Elle rappelle que l’auteur d’une décision construit à travers elle sa crédibilité et, partant la confiance que les autres pensent avoir en lui. Malgré sa force, l’exigence n’a pas un destin paisible. Car c’est à elle que s’en prend, d’une manière contournée, le projet d’institution d’un contrat dit « nouvel embauche ». Que ce soit sous la qualification hérétique d’essai ou sous une autre forme, le projet consiste à soustraire les contrats de travail conclus dans certaines entreprises, pendant une période de deux ans, aux règles relatives au licenciement, et donc à l’exigence d’une justification. La soustraction annoncée est limitée dans le temps, même si le délai est long ; elle n’est pas limitée, de prime abord dans son intensité puisque la justification est paralysée, qu’elle tienne à la personne ou non. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Au nom de quoi ce recul du contrôle des licenciements est-il organisé ? Le projet, selon sa présentation officielle, a pour but d’ « encourager les entreprises à recruter du nouveau personnel ». Au cœur du projet, se trouve donc une hypothèse, à laquelle la loi conférera un singulier crédit : l’embauche croît lorsqu’on débauche plus aisément. 286 Les ressorts d’une telle politique du droit méritent de plus amples commentaires. Pour l’heure, il est sans doute utile de signaler que dans l’ordre juridique d’un pays civilisé, une telle politique est d’une extrême fragilité juridique. Le Royaume-Uni qui s’était engagé dans une expérience étrangement similaire à celle que le gouvernement actuel promeut, en a fait la preuve à ses dépens. Modifiant une loi de 1978, une ordonnance de 1985 subordonnait l’application de la protection contre les licenciements abusifs (injustifiés) à l’écoulement (14) CJCE 9 février 1999, C. 167/97, Seymour-Smith et Perez, Rec. I. p. 627, spec. att. n° 70. d’une période continue d’emploi de deux ans. Quelle était la thèse du gouvernement du Royaume-Uni ? Il faisait valoir que « le risque pour des employeurs d’être impliqués dans des procédures de licenciement abusif du fait de salariés récemment recrutés constitue un élément propre à dissuader l’embauche, en sorte que l’extension de la durée d’emploi requise pour le bénéfice de la protection contre le licenciement favoriserait le recrutement des travailleurs » (14). Belle convergence avec le discours gouvernemental français actuel ! La mesure prise par le gouvernement du Royaume-Uni fut soumise à l’épreuve des règles de non-discrimination entre les femmes et les hommes. Car une telle mesure est susceptible de constituer une discrimination indirecte, dès lors que la population des travailleurs atteinte par la contraction de la protection serait, dans une proportion significative, plus féminine que masculine. Arrêtons-nous un instant pour ajouter qu’en France, le raisonnement vaudrait pour tous les motifs illicites de discrimination, dont ceux qui composent la liste de l’article L.122-45 Code du travail. La condamnation des discriminations indirectes, c’est-à-dire, les discriminations portées par les effets des mesures, sans considération pour l’intention de leurs auteurs, a été, faut-il le rappeler, généralisée. Aussi la contraction de la protection contre le licenciement constitue une discrimination indirecte, si, parmi la population affectée, figure de manière significative un pourcentage plus élevé de l’une quelconque des catégories de personnes protégées contre la discrimination. Il est vrai que l’inégale affectation des travailleurs peut échapper à la condamnation si elle a une justification objective, ce qui exige que la mesure critiquée réponde à un but légitime de politique sociale, soit apte à atteindre l’objectif poursuivi par celle-ci et nécessaire à cet effet. La Cour de justice, examinant la réglementation du Royaume-Uni, n’a pas eu de mal à regarder la promotion de l’embauche comme un objectif légitime de politique sociale (15). Mais évoquant la thèse du gouvernement, elle ne craint pas de lui opposer que « de simples affirmations générales concernant l’aptitude d’une mesure déterminée à promouvoir l’embauche ne suffisent pas… à fournir des éléments permettant raisonnablement d’estimer que les moyens choisis étaient aptes à la réalisation de cet objectif » (16). D’autres, moins portés à la langue juridique diplomatique, auraient simplement dit : nous ne sommes pas dupes de propos d’arrière-café. Une contestation constitutionnelle ou communautaire d’une mesure de réduction de la protection en cas de (15) CJCE 9 février 1999, prec., att. n° 71. (16) CJCE 9 février 1999, prec., att. n° 76. 283-287 Doctrine Lyon-Caen 26/07/05 10:14 Page 287 licenciement pourrait donc réserver des surprises et (17), il incombera à l’employeur de prouver que sa montrer que le droit ne tolère pas le simplisme d’une décision était justifiée par des éléments objectifs. telle mesure. Mais c’est aussi dans les différends Chassée par la fenêtre, l’exigence de justification individuels que les surprises peuvent survenir. Car la rentrerait par la porte. cessation sans justification d’un contrat peut subir l’épreuve des règles de non-discrimination. Et si le salarié « présente des éléments de fait laissant supposer Est-il raisonnable de promettre la liberté de résiliation des contrats de travail ? l’existence d’une discrimination directe ou indirecte… » Antoine Lyon-Caen (17) Art. L.122-45. Délocalisations, restructurations, exaspérations, ripostes Rapport sur la situation économique et sociale 2004-2005 Elaboré sous la direction de Henri Jacot, professeur émérite à l'Université Lyon Il et de Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire de la CGT Ce rapport a été rédigé par Sophie Cunningham, Jean-Claude Delaunay, Denis Durand, Mariannick Le Bris, Fabrice Pruvost et Cathy Suarez 10 % de chômeurs, 1 million d'allocataires pour le AMI fin 2004. Et pourtant le gouvernement Raffarin poursuit, comme si de rien n'était, son action de « détricotage » des normes publiques et des garanties collectives. Le rapport de soumission au Medef est de plus en plus évident. Mais le passif s'accumule, car rien n'est réglé, au contraire, ni pour la question du travail et de sa valeur, ni pour la protection sociale, ni pour l'action publique, ni pour la reconnaissance citoyenne dans l'économie et dans la société. Malgré des divisions syndicales qui indéniablement pèsent, et en dépit d'un réel déficit de perspective politique transformatrice, le mouvement social n'est pas atone ; les résistances s'organisent, les mobilisations sont réelles, les ripostes s'esquissent. Au-delà des aléas, des avancées et des reculs, une phase nouvelle semble ainsi s'être ouverte désormais, de sortie progressive de la situation pesante dans laquelle se trouvait le monde du travail, et plus généralement la population, tout particulièrement depuis le printemps 2003 et la fin du conflit des retraites. C'est à une meilleure compréhension de cette période de reconstruction d'un rapport de force plus favorable aux salariés qu'est consacré ce Rapport 2004-2005 en développant six chapitres : les délocalisations et la désindustrialisation en France, les restructurations dans le mouvement plus global de mondialisation du capital, les contradictions de la construction européenne, la politique de l'emploi comme accompagnement social des restructurations, les mécomptes de la politique fiscale, le mouvement social. En définitive, c'est bien la question essentielle de la démocratie, dans l'économie et la société toute entière, comme entre organisations syndicales et au sein de chacune d'elles, qui est la clef d'un développement favorable au monde du travail. Prix : 14,50 € - Pour se procurer le rapport : Espace “Syndicalisme et société” 01 48 18 87 24 - [email protected] Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Dès lors, les exaspérations sont-elles croissantes, chez les agents du secteur public comme chez les salariés du secteur privé, chez les privés d'emploi « recalculés » comme chez les actifs « menacés de délocalisations », dans les entreprises ou dans les hôpitaux comme dans les écoles ou dans les centres de recherche. 287 288-295 Doctrine Tourniquet 26/07/05 15:11 Page 288 DOCTRI NE Les temps de l’appréciation des motifs par Hervé TOURNIQUET, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine PLAN I. Etat des lieux A. Les licenciements consécutifs à un plan de sauvegarde de l’emploi B. Les licenciements individuels C. Le cas des salariés protégés L e régime juridique des licenciements pour motif économique et, plus particulièrement, du contrôle dudit motif, a fait l’objet, au cours des 20 dernières années, de plusieurs modifications législatives et d’une production jurisprudentielle soutenue. On citera, pour mémoire, s’agissant de l’œuvre législative, les textes les plus importants : – la loi du 3 juillet 1986 abrogeant l’autorisation administrative de II. Exploiter les moyens existants A. Sur les licenciements précédés d’une consultation du comité d’entreprise B. Sur les licenciements individuels C. Sur les salariés protégés licenciement pour motif économique (1), dont le premier effet fut de transférer la compétence en matière de contrôle aux conseils des prud’hommes mal préparés et encore marqués par la célèbre jurisprudence de l’employeur « seul juge » ; – la loi du 2 août 1989 (2) introduisant dans le code du travail une définition du motif économique du licenciement ; – la loi du 27 janvier 1993 sanctionnant de nullité la procédure de licenciement non précédée de la consultation des représentants du personnel sur un plan social contenant notamment des mesures visant au reclassement de salariés (3) ; – la loi du 17 janvier 2002 (modernisation sociale) dont la nouvelle définition, plus restrictive, du motif économique (4), se trouvait “retoquée” par le Conseil constitutionnel (5) mais qui renforçait néanmoins les prérogatives des institutions représentatives du personnel ; – la loi du 3 janvier 2003 (loi Fillon) suspendant l’essentiel des apports de la loi précédente et encadrant les accords de méthode relatifs aux conditions de consultation des institutions représentatives du personnel (6) ; – la loi du 18 janvier 2005, par ailleurs largement commentée dans le présent numéro (6 bis) et qui poursuit l’œuvre engagée deux ans plus tôt en rendant plus difficile le contrôle par les représentants du personnel et en offrant aux employeurs, avec le nouveau régime des modifications de Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 contrat anéantissant l’avancée jurisprudentielle Framatome et Majorette (7), 288 un moyen de contourner l’obligation d’établissement d’un plan social. (1) “La rupture du contrat de travail”, Dr. Ouv. num. spec. mai-juin 1987 p. 183. (2) “Le droit du licenciement après la loi du 2 août 1989”, Dr. Ouv. num. spec. 1990 p.153. (3) P. Moussy “Brefs propos sur le mécanisme légal de sanction de l’absence de plan visant au reclassement des salariés concernés par un projet de licenciement économique collectif” Dr. Ouv. 1994 p. 333. (4) “La cause économique du licenciement (définition - contrôle sanction)” n° spéc. Dr. Ouv. avril 2002 p.137 ; “Le licenciement économique après la loi de modernisation sociale” RPDS 2002 p. 147. (5) Dr. Ouv. 2002 p.59 n. F. Saramito et B. Matthieu. (6) “Regards sur les accords de méthode et la loi Fillon” Dr. Ouv. sept. 2003 p. 358 ; “La loi suspensive Fillon-Raffarin, les comités d’entreprise et les licenciements économiques” RPDS 2003 p. 59 ; F. Signoretto “Les accors d’entreprise conclus en cas de difficultés économiques” RPDS 2003 p. 113. (6 bis) V. également “Licenciements économiques et droits des CE après la loi de cohésion sociale”, RPDS 2005 p. 79. (7) Sur ce sujet v. infra l’étude de I. Meyrat. 288-295 Doctrine Tourniquet 26/07/05 10:15 Page 289 Que conclure de ces incursions législatives et de leurs effets sur le droit de chaque salarié à contrôler le bien fondé du motif économique invoqué pour justifier son licenciement et à le faire sanctionner ? 1) Le système ainsi construit par strates successives demeure très inégalitaire selon la taille de l’entreprise et la présence ou non de représentants du personnel. Pour les salariés des entreprises dont les effectifs sont inférieurs à cinquante, le droit n’a pas évolué sur le terrain législatif depuis la loi de 1989 et les seules avancées sont jurisprudentielles. 2) Ce système, pour les autres salariés, c’est dire ceux qui sont employés dans les entreprises de plus de cinquante salariés dotées d’un comité d’entreprise, reste paradoxal et confine à l’absurde. En effet, en cas de grand licenciement collectif (plus de dix salariés sur une période de trente jours) l’insuffisance des mesures d’accompagnement au regard des exigences légales (article L 321-4-1) est sanctionnée plus sévèrement et lourdement – nullité du plan social, nullité subséquente des licenciements, droit à réintégration – que l’insuffisance, voire l’absence, de motif économique à l’origine du plan de licenciements – dommages et intérêts. 3) Enfin et surtout ce régime pêche par un autre paradoxe : les moyens d’un contrôle réel sur le bien fondé économique de la mesure de licenciement décidée par l’employeur restent conférés à l’instance, le comité d’entreprise, qui voit son action en justice limitée au seul contenu du plan de sauvegarde de l’emploi à l’exclusion du motif économique (8). Aussi n’est-il pas surprenant que la question du moment de l’appréciation des motifs ainsi que celle, indissociable, des moyens de ce contrôle, soient posées avec force à tout salarié ou toute instance représentative tentant, avec difficulté, d’obtenir la mise en œuvre effective des principe posés par la loi et éclairés par la jurisprudence. A cet égard, l’état des lieux n’est guère réjouissant mais les textes, pour abîmés qu’ils ressortent des deux dernières réformes de 2003 et 2005 n’en offrent pas moins quelques possibilités inexploitées. I. Etat des lieux ■ Trois cas de figure sont à envisager : des mois à venir sera donc de trouver les moyens – les licenciements consécutifs à un plan de juridiques pour que cette voie ainsi ouverte ne dévitalise sauvegarde de l’emploi ; – les licenciements individuels ; – les licenciements des salariés protégés. A. Les licenciements consécutifs à un plan de sauvegarde de l’emploi A titre préalable, on rappellera que l’un des articles de la loi Borloo dite de “cohésion sociale”, a pour objet de pas complètement l’obligation d’information-consultation du Comité d’entreprise sur un plan de sauvegarde de l’emploi. 1. Les moyens conférés par la procédure de consultation 1-1. La procédure légale “de base” L’information préalable dans le cadre des procédures réduire le champ du contrôle des représentants du livre IV (article L 432-1) et livre III (articles L 321-1 et personnel en ne fixant le seuil de déclenchement de la suivants), venant s’ajouter à l’information périodique, procédure de consultation du comité d’entreprise qu’à permet un échange et un approfondissement de dix modifications de contrat refusées et non plus dix l’appréciation de la situation économique de l’entreprise. modifications proposées, sur une même période de En outre, le recours à un expert (articles L 321-7-1) aux trente jours, sans pour autant avoir prévu (et les débats frais de l’entreprise, offre aux représentants du personnel parlementaires montrent qu’il s’agit d’une omission le moyen d’une meilleure compréhension des éléments délibérée) de mécanisme permettant d’informer le chiffrés qui leur sont communiqués à la condition que comité de ce que ce seuil est atteint (9). Un des enjeux l’expert ne limite pas son analyse aux seuls éléments (8) Toutes les tentatives tendant à voir obtenir la nullité des licenciements à raison de l’insuffisance des motifs et, partant, de l’absence de justification du recours à un plan social, se sont, à ce jour, heurtées au refus des juges fondé sur le principe « pas de nullité sans texte ». Or le seul texte prévoyant une sanction de nullité est celui relatif au contenu obligatoire du plan de sauvegarde de l’emploi (L 321-4-1). (9) Art. L. 321-1-3. – « Lorsqu’au moins dix salariés ont refusé la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail proposée par leur employeur pour l’un des motifs énoncés à l’article L. 321-1 et que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique ». Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 ■ 289 288-295 Doctrine Tourniquet 26/07/05 10:15 Page 290 produits par l’employeur et pousse aussi loin que possible ses investigations. Mais, si l’on veut bien considérer : – que les représentants du personnel ne sont pas, par manque de formation, toujours aptes à appréhender l’information économique qui leur est ainsi donnée, – que leur qualité, précisément, de représentants du personnel doit les conduire à se tourner vers les salariés, leur communiquer et expliciter les informations et engager avec eux le nécessaire débat sans lequel il n’est point d’autre représentation que formelle, la question du temps devient cruciale et force est de constater que les délais fixés par la loi (article L 321-3alinéa 4) sont très souvent jugés insuffisants par les intéressés, a fortiori depuis que la loi nouvelle permet à nouveau une consultation concomitante sur la base des livres III et IV (9 bis). Encore n’envisage-t-on ici que l’hypothèse d’un employeur respectant scrupuleusement ses obligations d’information-consultation, aussi bien en ce qui concerne la nature des informations communiquées que la préparation et la tenue des réunions. Si tel n’est pas le cas, il reste certes le recours à l’intervention du juge des référés à la fois pour annuler une procédure non respectueuse des droits et prérogatives du comité et pour contraindre l’employeur à respecter ces droits. Mais la loi de cohésion sociale, au nom de la sécurisation des procédures, a enfermé ces actions dans un délai de quinze jours suivant chacune des réunions, ce qui, tout praticien du droit et de ce type de procédure le sait, est un délai beaucoup trop court (9 ter)… Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 1-2. La procédure conventionnelle : les accords de méthode 290 L’article L 320-3 tel que résultant de la loi de cohésion sociale, encadre le régime des accords dits “de méthode” lesquels « fixent les conditions dans lesquelles le comité d’entreprise est réuni et informé de la situation économique et financière de l’entreprise et peut formuler des propositions alternatives au projet économique à l’origine d’une restructuration ayant des incidences sur l’emploi et obtenir une réponse motivée de l’employeur à ses propositions ». Ce même article prévoit également que « ces accords peuvent aussi déterminer les conditions dans lesquelles l’établissement du plan de sauvegarde de l’emploi (…) fait l’objet d’un accord et anticiper le contenu de celui-ci » (10). (9 bis) A propos de la concomittance, v. infra p. 353 les obs. de Paul Bouaziz. (9 ter) Sur les délais de contestation, v. infra p. 365 les obs. de Pierre Bouaziz et p. 327 celles de C. Baumgarten. (10) Sur la portée des accords de méthode, v. infra p. 303 les études de S. Nadal et p. 311 P. Rennes. (11) Sur la portée des accords de méthode, v. infra p. 349 les obs. de E. Gayat sous art. L 320-3 C. Tr. Sous couvert de dialogue social, le régime légal des accords de méthode constitue en réalité un recul en subordonnant à un accord que l’employeur ne signera qu’en échange de contreparties (notamment sur le temps de la consultation) un débat sur les contre-propositions des salariés et de leurs représentants que la loi de modernisation sociale rendait obligatoire et que les dispositions actuelles de l’article L 431-5 du Code du travail rendent à notre avis possible (11). 1-3. Menaces sur le droit à l’information-consultation Pour qu’un débat sur le bien fondé du motif économique puisse être mené par les représentants du personnel, encore faut-il que ceux-ci disposent de l’information nécessaire et qu’ils puissent en discuter avec leurs mandants. A cet égard, la directive européenne du 11 mars 2002, relative aux procédures d’information et de consultation des institutions représentatives du personnel, et qui fixe aux Etats membres un délai de trois ans pour son insertion dans l’ordre normatif national, loin de répondre à cet objectif, est porteuse de règles pour le moins inquiétantes (12). Ainsi, s’agissant des informations confidentielles (tous les élus de comité d’entreprise ont eu, ont ou auront à connaître de ce problème de la qualification de confidentialité donnée par l’employeur aux informations qui leur sont communiquées) (13), l’article 6 de la Directive dispose : « Les Etats membres prévoient que, dans les conditions et limites fixées par les législations nationales, les représentants des travailleurs, ainsi que les experts qui les assistent éventuellement ne sont pas autorisés à révéler aux travailleurs ou à des tiers des informations qui, dans l’intérêt de l’entreprise ou de l’établissement, leur ont été communiquées à titre confidentiel. Cette obligation subsiste quel que soit le lieu où ils se trouvent, même après l’expiration de leur mandat ». Exception à cette règle : les Etats membres peuvent autoriser les représentants à communiquer ces informations mais uniquement à des personnes ellesmêmes tenues d’une obligation de confidentialité… Plus préoccupante encore est la reconnaissance, par cette même directive, d’un droit à la non-information : « Les Etats membres prévoient que, dans des cas spécifiques et dans les conditions et limites fixées par les législations nationales, l’employeur n’est pas obligé de communiquer des informations ou de procéder à des consultations lorsque leur nature est telle que, selon des critères objectifs, elles entraveraient gravement le (12) Directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et la consultation des travailleurs dans la Communauté européenne, JOCE n° L 80, 23 mars 2002, Dr. Ouv. 2002 p. 492 (13) v. par ex. CA Paris (18 ch. D) 3 fév. 2004, Dr. Ouv. 2005 p. 275 n. A. de S. 26/07/05 10:15 Page 291 fonctionnement de l’entreprise ou de l’établissement ou lui porteraient préjudice ». Il est difficile de ne pas établir une filiation entre le principe ainsi dégagé et l’introduction, par la loi de cohésion sociale, d’un nouvel article L 432-1 ter ainsi rédigé : « Par dérogation à l’article L. 431-5, le chef d’entreprise n’est pas tenu de consulter le comité d’entreprise avant le lancement d’une offre publique d’achat ou d’une offre publique d’échange portant sur le capital d’une entreprise. En revanche, il doit réunir le comité d’entreprise dans les deux jours ouvrables suivant la publication de l’offre en vue de lui transmettre des informations écrites et précises sur le contenu de l’offre et sur les conséquences en matière d’emploi qu’elle est susceptible d’entraîner ». Ce coup de canif au principe du caractère préalable de la consultation laisse mal augurer d’une évolution qui, aux antipodes d’un débat en amont, tend à transformer les institutions représentatives du personnel en chambres d’enregistrement, quand ce n’est pas en cautions. 2. La dissociation entre le temps de la collecte des informations et le temps de leur utilisation Il a été rappelé que le comité, bien que destinataire des informations relatives au motif économique invoqué pour justifier la restructuration et les licenciements subséquents, devra limiter son contrôle et son éventuelle action judiciaire en contestation au seul contenu du plan de sauvegarde de l’emploi. Le temps de l’appréciation du bien fondé du motif économique viendra ultérieurement, lorsque chaque salarié concerné, ayant reçu la notification de son licenciement, se verra ouvrir le droit à la contestation dudit motif devant son juge : le juge du contrat de travail, c’est-à-dire le Conseil des prud’hommes. Bien évidemment, à ce stade, le salarié qui vient d’être licencié ne dispose que de la lettre de licenciement dont les termes cernent le litige. C’est à ce moment que les informations recueillies lors de la procédure d’information-consultation, de l’expertise et du débat auxquels elle a donné lieu, recouvrent leur utilité pratique quant à l’appréciation et la sanction du motif économique. Or, se pose, ici et à nouveau, le problème du temps. En effet, l’employeur peut procéder aux notifications des licenciements une fois l’avis du comité recueilli. L’individualisation des procédures, s’accompagnant de la dispense d’effectuer le préavis, aboutit à la dispersion des salariés concernés, souvent à la perte de contact, au champ libre laissé aux règlements individuels sous forme transactionnelle, et les informations et débats, aussi (14) préc. (15) Cass. Soc. 5 avr. 1995, TWR et Thomson-Vidéocolor, Bull. V n° 123, Dr. Ouv. 1995 p. 284 en annexe de A. Lyon-Caen “Le contrôle par le juge des licenciements pour motif riches et éclairants qu’ils aient pu être, ne parviennent que rarement à ceux qui, premiers concernés, devraient pourtant pouvoir en faire le meilleur usage. Le Code du travail prévoit certes (article L 122-14-3) que l’employeur doit communiquer au juge tous les éléments qu’il a fournis aux représentants du personnel dans le cadre de la consultation mais, précisément, il ne s’agit que des documents élaborés par l’employeur et ne reflétant donc rien du travail de contrôle, d’investigation, de contestation et de contre-proposition accompli par les représentants du personnel. Le passage du collectif à l’individuel ne se traduit pas seulement par un changement d’angle d’attaque possible sur la restructuration. Il s’accompagne également d’une perte d’informations précieuses qui ne peut que préjudicier au combat judiciaire engagé par chaque salarié à titre individuel. B. Les licenciements individuels 1. Des salariés en manque d’informations A la différence de la catégorie précédente, aucune consultation, aucune expertise, aucun débat, aucune possibilité de contre-proposition ne les a précédés hormis un entretien préalable peu adapté à ce type de controverse. Le salarié placé dans cette situation se trouve totalement démuni en matière d’information économique. Il ne peut compter que sur la conduite du procès prud’homal pour espérer pouvoir mener le débat sur la réalité et le sérieux du motif invoqué. Et c’est bien là que le bât blesse. Comment, en effet, seul, face à l’employeur qui dispose de tous les éléments et qui n’en a, dans la lettre de licenciement, présenté que ce qu’il souhaitait, obtenir une appréciation pertinente du motif invoqué ? Si le motif invoqué tient à des difficultés économiques ou à une mutation technologiques, on peut espérer que l’employeur sera en capacité de produire des justifications de cette situation et qu’à défaut, le juge du contrat de travail en tirera toutes les conséquences. Mais il en est tout autrement lorsque se trouve invoqué, par une entreprise qui ne connaît aucune difficulté économique particulière et qui ne fait l’objet d’aucune mutation technologique, la nécessité de sauvegarder sa compétitivité partant du principe qu’en économie concurrentielle toute entreprise peut être à tout moment tentée d’invoquer ce moyen… L’on se souvient que, par sa décision relative à la loi de modernisation sociale (14), le Conseil constitutionnel, après la chambre sociale de la Cour de cassation (15), avait admis ce motif comme un économique” ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du Droit du travail, Dalloz, 3e ed., 2004, arrêt n° 109. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 288-295 Doctrine Tourniquet 291 288-295 Doctrine Tourniquet 26/07/05 10:15 Page 292 motif autonome, distinct des difficultés économiques, en partant du principe qu’il serait absurde de ne permettre à une entreprise de se restructurer qu’en temps de crise, c’est à dire à un moment où le nombre de licenciements, et le coût social et humain en résultant, serait forcément plus important. Réflexion de bon sens, à ceci près que ce motif est rapidement devenu le “grand classique” d’entreprises performantes et rentables qui souhaitent, tout simplement, réduire le poids de la masse salariale pour dégager des profits plus importants à la satisfaction de l’actionnaire. Difficile d’établir une frontière claire entre le principe et son abus, a fortiori lorsque l’une des parties au débat est privée des éléments d’information les plus essentiels. A quel moment et avec quels moyens un tel débat peut-il être conduit afin d’apprécier la pertinence du motif ? 2. Une pratique de la procédure prud’homale totalement inadaptée Le débat sur la réalité et la portée du motif économique devant la juridiction prud’homale souffre de la conjonction de plusieurs éléments. En premier lieu, une lecture restrictive du principe posé par l’alinéa premier de l’article 1315 du Code civil (16) et une pratique routinière de l’échange de moyens et de pièces aboutissent à ce que le débat ne puisse se tenir que sur la seule foi des informations que l’employeur veut bien produire, ce qui revient à dire qu’aucun débat sérieux et approfondi sur le motif économique ne peut avoir lieu. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 En second lieu, l’avancée jurisprudentielle, ô combien salutaire, qui a conduit à assimiler l’insuffisance de recherche de reclassement à une absence de motif et à la sanctionner de la même manière (16 bis), aboutit très souvent à une réduction du débat à ce seul point, ce qui permet certes au final la réparation du préjudice subi dans des conditions juridiquement analogues mais, aussi et malheureusement, à éluder la discussion sur le motif lui-même. 292 Deux situations se présentent le plus souvent, étant rappelé que le débat judiciaire a lieu plusieurs mois après le licenciement. Première situation : l’entreprise connaissait, à l’époque du licenciement, de réelles difficultés. Aura-t-elle connu depuis lors une amélioration de sa situation et il sera alors aisé de venir soutenir que la ou les suppressions d’emploi étai(en)t bien un passage obligé. Sa situation aura-t-elle continué de se dégrader et l’on viendra soutenir que le présent justifie d’autant plus le passé. Dans un cas comme dans l’autre, il paraîtra presque incongru de s’interroger sur la pertinence économique du licenciement, de demander (16) « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. » s’il n’existait pas d’autres solutions. Seconde situation, l’entreprise ne connaissait pas de difficulté et avait invoqué la nécessité de sauvegarder sa compétitivité. Aura-t-elle connu depuis lors une dégradation de sa situation et elle viendra soutenir que ce ou ces licenciements étaient indispensables et n’ont malheureusement pas été suffisants. Sera-t-elle toujours performante et exempte de toute difficulté et, comme il y a peu de chance pour que la concurrence ait entre temps disparu, l’on viendra soutenir que ce ou ces licenciements étaient indispensables pour la maintenir dans la course. Dans un cas comme dans l’autre, il semblera presque iconoclaste de faire observer qu’un tel raisonnement exclut par avance toute contestation et fait de la sauvegarde de la compétitivité un motif “automatique”. Le tout dans le peu de temps que permet la charge des audiences prud’homales. C. Le cas des salariés protégés On ne rappellera pas ici les éléments, connus, du contrôle auquel doit se livrer l’administration du travail saisie d’une demande d’autorisation de licenciement pour motif économique. On se bornera à constater qu’il s’agit d’une enquête, et non d’un débat, contradictoire (ainsi, par exemple, le salarié concerné n’est pas, de droit et automatiquement, destinataire de la demande d’autorisation motivée adressée par son employeur à l’inspecteur du travail). Le débat n’aura pas davantage lieu devant le juge de droit commun, le Conseil des prud’hommes, auquel le principe de séparation des pouvoirs interdit de statuer sur le bien fondé d’un licenciement autorisé par l’administration du travail. On observera également que la jurisprudence administrative tarde à intégrer les avancées opérées par la jurisprudence sociale (voir par exemple le peu de décisions rendues et publiées sur la notion de sauvegarde de la compétitivité). Enfin, dans le cas des salariés protégés non compris dans un licenciement collectif ayant donné lieu à un plan social, ceux-ci se trouvent, en matière d’information, tout aussi démunis que leurs collègues non protégés et tout dépendra de la persévérance de l’inspecteur du travail et de sa détermination à obtenir les informations indispensables à son contrôle. Cet état des lieux sur la rareté des moments de vrai débat sur l’appréciation de la pertinence du motif économique, pour peu enthousiasmant qu’il soit, ne doit pas faire oublier les quelques possibilités d’amélioration susceptibles d’être recherchées dans l’état actuel du droit et des procédures. (16 bis) v. infra p. 365 A. Chirez et p. 347 E. Gayat. ■ 26/07/05 10:15 Page 293 II. Exploiter les moyens existants ■ A. Sur les licenciements précédés d’une consultation du comité d’entreprise 1-1. Etendre le contrôle, et, par voie de conséquence, le débat, dans l’espace et dans le temps Agir sur les terrains évoqués ci-dessus comme des points de faiblesse limitant les possibilités de débat sur le bien fondé du motif économique nécessite en effet d’utiliser à plein les prérogatives parfois inutilisées. Ici encore, la vérification des difficultés économiques ou des mutations économiques invoquées ne soulève pas de problème particulier pour peu que les élus et leurs experts mènent le travail d’investigation et de questionnement que la loi leur confie. Encore faut-il que cette étude ne se laisse pas enfermer dans l’espace et dans le temps. Ainsi l’examen de la situation de la seule entreprise concernée par la restructuration s’avère-t-il insuffisant lorsque ladite entreprise appartient à un groupe et obéit à des stratégies décidées au niveau dudit groupe. Exiger, au stade du débat livre IV-livre III, que les informations communiquées soient mises en perspective avec celles qui concernent le groupe, les confronter avec les informations recueillies par les instances de représentation instituées au niveau du groupe ou de l’UES, permet un éclairage différent et très souvent instructif sur les informations brutes délivrées au comité d’entreprise. Mais bien évidemment, un tel travail de recherche, d’analyse et de confrontation nécessite du temps et les employeurs l’ont bien compris qui, le plus souvent, transforment la négociation d’un accord de méthode en un moyen de pression pour réduire le temps de la consultation. La fermeté des organisations syndicales lors de la négociation de ces accords est alors un élément déterminant. Lorsque le motif invoqué est celui de la sauvegarde de la compétitivité, le critère temps revêt une particulière importance. En effet, il n’est pas inutile de rappeler que ce motif n’est admis que pour autant que l’employeur rapporte la preuve, qui lui incombe, de l’existence d’une menace sur sa compétitivité et l’existence d’entreprises concurrentes ne saurait, à l’évidence, suffire à constituer cette preuve : « Mais attendu que la Cour d’appel, qui s’en est tenue aux motifs énoncés dans la lettre de (17) Cass. soc., 24 oct. 2000, n° 97-43.065, SA TRW REPA c/ Mabon et a. ; voir dans le même sens, Cass. soc., 29 mai 2001, n° 99-41.930, Derouette c/ Derouette, 5 oct. 1999, n° 98-41.384 : Bull. civ. V, n° 366, 29 janvier 2003 n° 00-44962 Sté Logidis c/ Tomas et autres, CA Poitiers licenciement invoquant la position de l’entreprise dans un secteur concurrentiel, après avoir constaté que les difficultés rencontrées par la société TRW Repa ne résultaient pas du niveau des rémunérations, a fait ressortir que la réorganisation à laquelle elle avait procédé n’était pas justifiée par la sauvegarde de la compétitivité du secteur d’activité que par ces seuls motifs elle a légalement justifié sa décision ; que les moyens ne sont pas fondés » (17). En pareil cas, l’examen du contexte concurrentiel dans lequel évolue l’entreprise est un élément clé du débat et de l’appréciation du motif précisément pour faire pièce à la tendance à considérer la sauvegarde de la compétitivité comme un moyen aussi permanent qu’incontestable. Cet examen ne saurait se limiter aux seules informations communiquées par l’employeur dans le cadre de son obligation d’information. Il pourra également s’enrichir de la collecte des informations que l’on peut trouver dans la presse spécialisée ou, pour les entreprises cotées en bourse, dans la communication en direction des marchés financiers. L’on est très souvent surpris, en effet, par le fossé, voire la contradiction pure et simple, entre les informations délibérément alarmistes communiquées aux représentants du personnel pour justifier les licenciements et les informations délibérément dithyrambiques distillées en direction des marchés pour soutenir le cours ou préparer une entrée en cotation. Enfin, le contrôle, et donc le débat, sur la sauvegarde de la compétitivité ne se réduit pas au moment de la procédure de licenciement et nécessite un suivi de l’évolution de la situation de l’entreprise. C’est l’enseignement que l’on peut tirer de la jurisprudence Bardonneau, de la Cour de cassation : par cet arrêt du 26 mars 2002 (18), la Chambre sociale de la Cour de cassation retient que, lorsque le motif de la sauvegarde de la compétitivité est invoqué, le juge du fond doit non seulement s’attacher à examiner les preuves qui lui sont fournies de l’existence d’une menace mais également prendre en considération l’évolution de la situation de l’entreprise depuis le licenciement afin de vérifier si celleci confirme, ou infirme, les prévisions alléguées par la société : « Mais attendu que la Cour d’appel a rappelé que le licenciement économique de la salariée était motivé dans la lettre de licenciement non par des difficultés économiques mais par une réorganisation de 13 avril 2004 n° 02-03760 cité in Semaine sociale Lamy 3/5/2004 n° 1167. (18) N° 00-40.898 – Bardonneau c/ Fmc Europe Jurisprudence sociale Lamy n° 100 25/4/2002. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 288-295 Doctrine Tourniquet 293 288-295 Doctrine Tourniquet 26/07/05 10:15 Page 294 l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité ; et attendu qu’ayant justement énoncé que si le motif économique de licenciement devait s’apprécier à la date du licenciement il pouvait être tenu compte d’éléments postérieurs pour cette appréciation, la Cour d’appel, qui a relevé au vus des résultats déficitaires de 1994 et 1995 que les prévisions en 1993 d’une dégradation de sa situation économique dans les années à venir s’étaient révélées exactes, a pu décider que la réorganisation entreprise en 1993 était indispensable à la sauvegarde de sa compétitivité ». En l’occurrence, la dégradation de la situation de la société avait, aux yeux de la Cour d’appel puis de la Cour de cassation, justifié, a posteriori, que la compétitivité de la société concernée devait effectivement être sauvegardée. Le raisonnement par a contrario semble pouvoir être retenu et le temps de l’appréciation des motifs s’allonger d’autant, la durée de la procédure judiciaire devenant, une fois n’est pas coutume, un atout dans le jeu du ou des salariés contestant leur licenciement. Enfin, partant du principe que l’insuffisance de l’effort individuel de reclassement est traité par le juge du contrat de travail comme l’absence de motif, un autre contrôle ne peut être opéré par les représentants du personnel que dans le temps post-procédure de consultation : celui de la réalité et du contenu du travail des cellules et autres cabinets spécialisés de reclassement sur lesquels l’employeur se décharge, à un coût souvent très important, de ses responsabilités en la matière. La jurisprudence relative au reclassement a provoqué l’émergence d’un véritable marché que se disputent des cabinets dont il reste à examiner, à moyen et long terme, les résultats et le rapport “qualité-prix”. Les exemples sont nombreux de résultats très décevants et de proportions infimes de salariés effectivement reclassés. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Ici encore, une fois passé l’effet d’annonce du plan de sauvegarde de l’emploi, c’est dans le temps que les représentants du personnel peuvent juger, sur pièces, de l’effort réel de reclassement opéré par l’employeur ou le cabinet qui en a reçu la charge. 294 Les réunions du comité d’entreprise qui se tiendront pendant les mois suivant la mise en œuvre du plan social, doivent également permettre de questionner l’employeur sur les résultats en la matière au regard des moyens financiers consentis. L’article L 321-4 du Code du travail dispose en effet notamment : « Le plan de sauvegarde de l’emploi doit déterminer les modalités de suivi de la mise en œuvre effective des mesures contenues dans le plan de reclassement prévu à l’article (19) cf. jurisprudence Bardonneau. L. 321-4-1. Ce suivi fait l’objet d’une consultation régulière et approfondie du comité d’entreprise ou des délégués du personnel. L’autorité administrative compétente est associée au suivi de ces mesures ». 1.2. Transmettre ces informations aux acteurs du débat judiciaire sur l’appréciation du motif Une fois les précieuses informations ainsi collectées, reste le problème de leur mise à disposition des salariés qui en auront besoin pour conduire leur procédure en contestation du bien fondé du motif. En dehors de l’affichage des comptes-rendus des réunions du comité (avec le décalage lié au délai de rédaction et d’adoption aboutissant à ce que les salariés licenciés et dispensés d’effectuer leur préavis ne pourront en prendre connaissance) et de la diffusion des tracts syndicaux (qui ne peut concerner que les salariés encore présents dans l’entreprise) le Code du travail ne prévoit pas de moyen particulier. Comment permettre aux membres du comité et aux organisations syndicales qui y sont représentées, de faire bénéficier les salariés concernés des informations et réponses complémentaires qu’ils auront pu obtenir ? En dehors de l’invite faite aux salariés licenciés de garder le contact avec leurs représentants, on peut suggérer : – dans le cadre des commissions de suivi prévues par les plans de sauvegarde de l’emploi, le maintien du contact avec les salariés visés par ledit plan et la transmission à ceux-ci de l’intégralité des débats qui se sont tenus au sein du comité, pendant la procédure de consultation et après (19) le tout sous la surveillance des représentants du personnel siégeant dans ces commissions ; – dans le cadre de l’accord de méthode, lorsqu’il en existe un, la mise en place d’un système analogue. Il ne s’agit pas de chausser des lunettes roses tant il est vrai que la communication aux représentants du personnel des noms et coordonnées des salariés licenciés reste, pour des raisons évidentes, l’enjeu d’une bataille qui est loin d’être gagnée. Mais il s’agit, y compris en n’hésitant pas à solliciter l’arbitrage du juge, de prendre les employeurs au mot de leurs affichages en matière de dialogue social et de transformer des commissions conçues comme des chambres d’enregistrement en véritables outils d’un «droit de suite» qui reste à construire et à faire vivre. 26/07/05 15:11 Page 295 B. Sur les licenciements individuels On a vu ci-dessus que le salarié licencié pour motif économique dans un cadre non collectif ne peut bénéficier de tout le travail de contrôle et de confrontation en amont et s’en trouve d’autant plus démuni. En dehors de la documentation qu’il aura pu glaner, il reste pour l’essentiel tributaire de l’exercice, par le juge du contrat de travail, de l’ensemble des prérogatives prévues par la loi. Or, il faut bien constater que la mise en œuvre de ces prérogatives reste l’enjeu d’une bataille quotidienne. Partant du principe qu’il appartient au demandeur de produire en premier ses moyens de contestation, oubliant au passage que le demandeur à l’instance est, avant tout et chronologiquement, d’abord défendeur à une mesure de licenciement, et face à des employeurs qui ne se privent pas de rappeler que le juge ne saurait, en matière de preuve, suppléer aux carences du demandeur, les conseils de prud’hommes restent en cette matière d’une frilosité d’autant plus incompréhensible que les textes leur donnent les moyens d’agir. Faut-il rappeler que l’article R 516-18 du Code du travail confère au bureau de conciliation le pouvoir d’ordonner toutes mesures d’instruction, même d’office ; que l’article R 516-21 prévoit qu’afin de mettre l’affaire en état d’être jugée, le bureau de conciliation ou le bureau de jugement peut, par décision qui n’est pas susceptible de recours, désigner un ou deux conseillers rapporteurs en vue de réunir sur cette affaire les éléments d’information nécessaires au Conseil des prud’hommes pour statuer ? Faut-il rappeler que les décisions du bureau de conciliation statuant sur des demandes d’instruction ou de désignation de conseillers rapporteurs, si elles ne peuvent être contestées qu’en même temps que la décision au fond, n’en sont pas moins des décisions juridictionnelles et, à ce titre, obligatoirement motivées ? l’attitude de blocage adoptée par les conseillers employeurs et que l’on hésite à «partir en départage» dès le bureau de conciliation et sur une simple question de méthode. Mais l’enjeu ne le justifie-t-il pas et faut-il accepter de voir tomber en désuétude des moyens procéduraux essentiels au contrôle des motifs et qui ne s’usent que si l’on ne s’en sert pas ? C. Sur les salariés protégés L’intégration par la jurisprudence administrative des avancées auxquelles a procédé depuis plusieurs années la juridiction sociale doit se poursuivre. Le Tribunal administratif de Paris a récemment jugé, par exemple, qu’une entreprise invoquant la réorganisation rendue nécessaire par la sauvegarde de sa compétitivité devait d’abord prouver que sa compétitivité se trouvait menacée et qu’à défaut, la réorganisation et, par voie de conséquence, les licenciements subséquents n’étaient pas justifiés (20). Cette jurisprudence fait pièce aux motivations souvent lapidaires des décisions ministérielles en la matière et incite l’administration du travail à ne pas se contenter de la présentation de la situation faite par l’employeur et à utiliser les moyens dont elle dispose dans le cadre de l’enquête contradictoire. Enquête contradictoire, justement. A cet égard, aucun texte n’interdit à l’inspecteur du travail de donner connaissance au salarié protégé concerné de l’argumentaire développé par l’employeur et, à cette fin, de lui transmettre la copie de la demande d’autorisation avant de recevoir le salarié afin de permettre à ce dernier de préparer sa contre-argumentation et d’éclairer l’inspecteur sur la direction à donner à ses investigations. En guise de conclusion, même si de nombreuses possibilités existantes restent inexploitées, il n’en demeure pas moins que les deux dernières interventions du législateur ont considérablement amoindri les moyens Faut-il rappeler que devant un refus manifeste de l’employeur de produire les éléments indispensables à l’appréciation des motifs par lui invoqués, l’opacité ainsi entretenue dégénère en doute qui doit, en tout état de cause, bénéficier au salarié (article L 122-14-3) ? et délais de contrôle sur la réalité et la pertinence du Certes, l’auteur de ces lignes n’ignore pas que le refus d’utiliser ces prérogatives résulte le plus souvent de nouvelle intervention législative. (20) « que c’est à bon droit que M Torres fait valoir que la société Pages Jaunes n’établit pas que sa compétitivité n’est pas menacée par l’évolution de la concurrence et l’introduction de nouvelles technologies dans son secteur d’activité, dès lors qu’elle n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, ni que les mesures de réorganisation de l’entreprise auraient été décidées dans le but exclusif d’assurer la sauvegarde de la motif économique invoqué. Le temps du contrôle, du débat, de la contradiction et de la contre-proposition est une denrée rare. C’est bien cet étau qu’il s’agit de desserrer et cela passe, nécessairement, par une Hervé Tourniquet compétitivité de ce secteur d’activité, ni, au demeurant, que cette compétitivité était effectivement menacée ; qu’il suit de là que ces mesures de réorganisation sont insusceptibles de constituer une cause économique de licenciement » (TA Paris 18 mai 2005 - Torres c/ Ministre des Affaires sociales, du travail et de la solidarité, n° 0412123/3). Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 288-295 Doctrine Tourniquet 295 296-302 Doctrine Meyrat 26/07/05 15:11 Page 296 DOCTRI NE Vers un affaiblissement de l’emprise des procédures de licenciement collectif : le cas des propositions de modification du contrat de travail pour motif économique (1) par Isabelle MEYRAT, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise P lus qu’une simple étape, la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005, PLAN I. Le domaine de la procédure de traitement du projet de licenciement collectif : une question controversée dans son volet “emploi”, pourrait bien incarner un point de rupture avec la A. Retour sur la lecture FramatomeMajorette de l'article L. 321-1-3 issu de la loi du 29 juillet 1992 orientée tout à la fois vers un rayonnement anticipé de la procédure dite du B. Une solution circonscrite à l'hypothèse de la proposition de modification du contrat de travail pour motif économique conception du droit du licenciement économique que la loi et les juges se sont efforcés de promouvoir depuis une dizaine d’années. Une conception Livre III du Code du travail et la soumission à des règles identiques d’opérations obéissant à une même logique. Or, pour la première fois, la loi tend à réduire le champ d’application du régime du licenciement économique à travers la soustraction des propositions de modification des contrats de travail à la procédure de II. L'éloignement de la conception judiciaire du droit du licenciement économique traitement du projet de grand licenciement collectif (I). La mise à néant de la solution dégagée par la Cour de cassation dans ses fameux arrêts A. L'anéantissement des exigences attachées au déclenchement anticipé de la procédure du Livre III Framatome-Majorette du 3 décembre 1996 (2), combinée à d’autres B. L'office du juge en question possible par un dialogue constant entre le législateur et les juges (II). ■ dispositions de la présente loi, rompt subrepticement avec une compréhension enrichie du droit du licenciement économique rendue I. Le domaine de la procédure de traitement du projet ■ de licenciement collectif : une question controversée La réécriture de l’article L. 321-1-3 (3) du Code du travail met un terme, avec une netteté toute particulière, à l’interprétation par la Cour de cassation de ce texte Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 1992 (A). 296 En dépit des critiques sévères dont elle a fait l’objet, le champ d’application de la règle découverte par la Chambre sociale demeurait pourtant circonscrit à l’hypothèse de la proposition de modification d’un élément essentiel du contrat pour motif économique (B). (1) Cet article reprend une communication présentée le 18 février 2005 à une réunion de l’Association française de droit du travail (AFDT) sur le nouveau régime du licenciement économique. (2) Cass. soc. 3 décembre 1996, Bull. civ. V. n° 411, RJS 1/97, concl. P. Lyon-Caen, p. 12. Dr. social 1997, p. 18, rapport Ph. Waquet. (3) “Lorsqu’au moins dix salariés ont refusé la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail proposée par A. Retour sur la lecture Framatome-Majorette de l’article L. 321-1-3 issu de la loi du 29 juillet 1992 Il faut remonter à l’arrêt Petit Bateau du 9 octobre 1991 (4) pour comprendre le sens de l’évolution du droit du licenciement économique. La Cour de cassation y énonçait deux propositions peu compatibles. D’un côté, elle qualifiait d’économiques les licenciements faisant suite au refus des salariés d’accepter la modification de leur contrat de travail pour une telle cause. De l’autre, elle l’employeur pour l’un des motifs énoncés à l’article L. 321-1 et que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique”. (4) Cass. soc. 9 octobre 1991, Bull. civ. V. n° 399, D. 1992, p. 127, note N. Decoopman, Dr. Ouv. 1992 p. 222. 26/07/05 10:15 Page 297 analysait ces ruptures comme une juxtaposition de licenciements individuels. Cette solution reposait sur la volonté de l’employeur de ne pas “supprimer des emplois”. La distinction entre suppression ou transformation d’emplois et modification des contrats de travail générait une tension entre la qualification de la rupture et son régime et s’accordait mal avec l’énumération des mesures mettant également en cause l’emploi ou le contrat par l’article L. 321-1 issu de la loi du 2 août 1989. En outre, elle réduisait significativement la notion d’emploi et sa mise en cause à un “contenu d’activité” (5), c’est-à-dire à un ensemble de tâches prescrites ou d’attributions. Autrement dit, en limitant l’application des dispositions relatives aux licenciements collectifs aux seules hypothèses de suppression d’emploi ou d’altération de ses caractéristiques, la Cour de cassation déniait au contrat sa capacité à façonner les modalités d’exercice du rapport d’emploi (6). Dans le même temps, un arrêt CEPME du 10 avril 1991 (7) affirmait l’unité de la procédure applicable, en l’occurrence celle dite du Livre III, à l’ensemble des opérations se traduisant par des suppressions d’emplois indépendamment de la “différenciation des formes juridiques de rupture” (8). La loi du 29 juillet 1992 allait mettre un terme à l’interprétation restrictive de l’empire de la procédure de traitement des grands licenciements collectifs consacrée par l’arrêt Petit-Bateau en insérant le fameux article L. 321-1-3 (9). Par ailleurs, la formule introduite à l’article L. 321-1 (10) entérinait la solution consacrée dans l’arrêt CEPME visant à assurer l’application du régime du licenciement économique à des opérations qui, tout en se traduisant par des résiliations conventionnelles, obéissent à une logique identique. En dépit de l’extension de la catégorie licenciement économique et du régime des licenciements collectifs, la question de l’emprise temporelle et, précisément de la décision donnant lieu à l’application des dispositions dites du Livre III en cas de modification collective des contrats de travail, restait âprement débattue (11). La question, bien connue, était de savoir si l’obligation de consulter les représentants du personnel selon les dispositions du Livre III naissait de la notification des propositions de modification des contrats de travail ou bien du refus des salariés d’accepter cette modification. Dans ses arrêts du 3 décembre 1996, la Chambre sociale allait décider que le projet de restructuration conduisant à “proposer à plus de dix salariés la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail et, par conséquent, à envisager le licenciement de ces salariés ou à tout le moins la rupture de leurs contrats de travail pour motif économique impose à l’employeur d’établir et de mettre en œuvre un plan social”. Ni l’interprétation littérale du texte de l’article L. 321-1-3, ni celle qu’en livrait la circulaire du 29 décembre 1992 (12) n’autorisaient à situer le moment déclenchant l’application des dispositions du Livre III au stade des propositions de modifications des contrats de travail. Certains auteurs (13) ont pu considérer que la solution adoptée par la Cour de cassation consistant à imposer à l’employeur de réunir le comité d’entreprise et d’établir un plan social avant de notifier aux salariés les propositions de modifications de leur contrat de travail relevait d’un raisonnement “téléologique”. A tout le moins, la méthode de la Cour de cassation traduisait-elle une sollicitation intensive des textes régissant le licenciement économique afin de leur faire produire un effet utile, c’està-dire la recherche d’une “authentique consultation” (14) avec les représentants du personnel sur la teneur du projet de réorganisation et le sort des salariés concernés (15). B. Une solution circonscrite à l’hypothèse de la proposition de modification du contrat de travail pour motif économique La lecture Framatome-Majorette de l’article L. 321-1-3 dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 janvier 2005 par la Cour de cassation n’a cessé d’irriter (16). (5) A. Lyon-Caen, “Actualité de la modification”, Dr. Ouv., février 1996, p. 88. (12) Circ. DE/DRT n° 92-26 du 29 décembre 1992, Dr. Ouv. 1993 p. 409. (6) A. Jeammaud, M. Le Friant, A. Lyon-Caen, “L’ordonnancement des relations du travail”, D. 1998, chron. p. 359. (13) G. Bélier, “Modifications substantielles de contrats de travail et procédures de licenciement collectif pour motif économique”, Liaisons sociales, législation sociale n° 7598. (7) Cass. soc. 10 avril 1991, Bull. civ. n° 179, D. 1992, som. com. p. 290, obs. M.-A. Rotschild-Souriac, Dr. Ouv. 1991 p. 208 n. P. Moussy. (8) M.-A. Rotschild-Souriac, obs. sous Cass. soc. 10 avril 1991 prec. (9) “Lorsque, pour un des motifs énoncés à l’article L. 321-1, l’employeur envisage le licenciement de plusieurs salariés ayant refusé une modification substantielle de leur contrat de travail, ces licenciements sont soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif”. (10) “Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes énoncées à l’alinéa précédent”. (11) H.-J. Legrand, “Modification collective des contrats de travail et licenciement collectif”, Dr. Ouv. 1996, p. 404 ; A. Lyon-Caen, “Actualité de la modification”, op. cit. p. 88. (14) A. Jeammaud, Le licenciement, Dalloz 1993, p. 105. L’expression restitue les efforts entrepris par la Cour de cassation pour fixer les obligations de l’employeur en matière d’information et de consultation du comité d’entreprise sur le fondement des Livres III et IV du Code du travail. (15) V. J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du droit du droit du travail, Dalloz, 3e édition, n° 103-106. (16) J.-E. Ray, “Avant-propos - La loi du 18 janvier 2005 : continuités et contournements” et C. Radé, “Feu la jurisprudence Framatome et Majorette (à propos de l’article 73 de la loi du 18 janvier 2005)”, Dr. soc. avril 2005. V. également B. Gauriau, “La jurisprudence Majorette-Framatome ne doit-elle pas être abandonnée ?”, Dr. soc. octobre 2004, p. 381. Ph. Langlois, “La Cour de cassation et le respect de la loi en droit du travail”, D. 1997, ch. p. 45. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 296-302 Doctrine Meyrat 297 296-302 Doctrine Meyrat 26/07/05 10:15 Page 298 Par-delà l’argument tiré du traumatisme que pouvait provoquer, chez les salariés, l’établissement d’un plan de sauvegarde de l’emploi, les critiques soulignaient principalement le risque de banalisation du plan de sauvegarde de l’emploi et l’indifférence que cette interprétation aurait manifesté à l’égard de la volonté des parties au contrat de travail. modification des contrats de travail, n’en demeurent pas A n’en pas douter, la question de l’équilibre entre, d’un côté, une emprise prématurée des dispositions du Livre III, de l’autre, les actions nécessaires pour permettre “l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi” est cardinale. Or, la distinction entre les initiatives commandant l’application du régime du licenciement économique et les mesures dites de gestion prévisionnelle de l’emploi ne requérant l’information et la consultation du comité d’entreprise qu’au titre du Livre IV du Code du travail n’est pas d’une parfaite netteté. D’autant que des actions de mobilité géographique et fonctionnelle peuvent trouver à s’inscrire dans cette gestion prévisionnelle de l’emploi (17), ce que suggère d’ailleurs désormais très explicitement le nouvel article L. 320-2 du Code du travail (18). Pour autant, la lecture Framatome-Majorette, loin d’absorber la gestion courante ou prévisionnelle de l’emploi, avait conduit la Cour de cassation à instaurer une ligne de partage. Celle-ci se logeait dans la “proposition de modification des contrats de travail au sens de l’article L. 321-1-2 du Code du travail”. Telle est du moins la directive de solution livrée dans l’arrêt IBM du 12 janvier 1999 (19). La Cour de cassation excluait donc l’applicabilité de la procédure de licenciement économique au projet consistant en un appel au volontariat des salariés qui se porteraient candidats à des mesures n’entraînant pas la rupture du contrat de travail, telles “temps partiel indemnisé, congé sans solde indemnisé, préretraite progressive”. A son tour, cette décision a été vivement critiquée en raison du déplacement vers l’espace de la gestion prévisionnelle de l’emploi de mesures qui, pour ne pas se traduire immédiatement par des propositions de perspective de rupture des contrats de travail, en dépit Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 (17) Sur ce point V. G. Bélier, “Modifications substantielles de contrats de travail et procédures de licenciement”, op. cit. p. 3. 298 (18) Aux termes de ce texte, la négociation triennale qui doit être engagée à l’initiative de l’employeur porte notamment “sur la mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que sur les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation... ainsi que d’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés”. A propos de cette gestion prévisionnelle v. infra p. 322 T. Katz et p. 343 M.-F. BiedCharreton. (19) Cass. soc. 12 janvier 1999, Dr. Ouv. 1999 p. 427, Y. Chauvy “La consultation du comité d’entreprise sur la modification collective des contrats de travail” ; F. Favennec-Héry, Dr. soc. 1999, p. 297. (20) V. en ce sens Y. Chauvy, op. cit. spec. p. 430 ; M.-F. BiedCharreton préc. (21) V. A. Lyon-Caen, “Actualité de la modification”, Dr. Ouv. 1996, p. 88. Ainsi, peut-on sérieusement envisager que sur une année, un employeur se livre à une opération de “compression des effectifs”, selon les termes mêmes de l’article L. 432-1, pouvant moins proches d’un bouleversement de la sphère contractuelle (20). Ainsi, le déclenchement de la procédure de licenciement économique et l’obligation corrélative pour l’employeur d’établir et de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi n’ont-ils jamais été dissociés d’une d’une tendance certaine à l’emprise précoce de la procédure du Livre III. Par ailleurs, la critique adressée à la lecture Framatome-Majorette sous l’angle du risque de dilution des mesures de gestion prévisionnelles de l’emploi dans le droit du licenciement est parfaitement réversible. En effet, la soustraction des propositions de modification des contrats à la procédure des grands licenciements collectifs conduit à une différenciation des procédures applicables selon les modalités d’exécution du projet de réorganisation : suppression ou altération des spécifications de l’emploi ou bien encore modification d’un élément essentiel du contrat. Cela revient, dans une certaine mesure, à conférer à l’employeur toute latitude dans le choix du registre sur lequel il entend régler un projet de réorganisation mettant en cause l’emploi, registre de “crise” ou registre de la gestion ordinaire du personnel (21). Cette disponibilité accrue des régimes de gestion de l’emploi pourrait être encore favorisée par les difficultés d’interprétation qui pourraient surgir de l’incertaine distinction entre “transformation d’emploi” et “modification d’un élément essentiel du contrat de travail” (22). Au nombre des arguments au soutien de l’abandon de la jurisprudence Framatome-Majorette, l’affirmation selon laquelle l’employeur qui propose une modification du travail n’entend pas rompre celui-ci a fait preuve d’une remarquable endurance. Il était déjà au cœur de la justification de la solution consacrée par l’arrêt Petit-Bateau de 1991. De savantes études ont mis en lumière le caractère artificiel de cette argumentation (23). Par-delà la aller jusqu’à 108 ruptures de contrats sans être tenu d’élaborer un plan de sauvegarde de l’emploi ? C’est pourtant cette voie que semble suggérer le nouvel article L. 321-1-3, à la lumière de l’explication de texte fournie par l’un des rapporteurs de la loi à l’Assemblée Nationale : “ne serait-il pas un peu fort de compter des salariés ayant librement accepté une modification de leur contrat au nombre de ceux qui seraient visés par une procédure de licenciement économique et serait-on fonder à déclencher un effet collectif à travers le plan de sauvegarde de l’emploi ?” (22) L’introduction de la formule “élément essentiel”, par delà le trouble qu’elle jette sur la notion même de modification du contrat de travail, pourrait déboucher sur de redoutables difficultés à distinguer les évolutions du rapport d’emploi se rattachant à une transformation d’emploi ou une modification d’un élément essentiel du contrat de travail. Emprunt est ici fait aux propos de Me Ph. Clément lors de la journée AFDT du 18 février 2005. (23) E. Lafuma, Des procédures internes, Contribution à l’étude de la décision de l’employeur en droit du travail, Thèse Paris X Nanterre, octobre 2003, p. 340 et s. ; H.-J. Legrand, “Modification collective des contrats de travail et licenciement collectif”, op. cit. p. 404. 296-302 Doctrine Meyrat 26/07/05 10:15 Page 299 réhabilitation de la force obligatoire du contrat de travail, le processus de sa modification ne saurait s’affranchir totalement du “pouvoir de direction des personnes qui habilite à recruter ou non, à affecter à une tâche ou un poste de travail, à fixer la rémunération” (24). En ce sens, la proposition de modification s’analyse bien en une “initiative exclusivement patronale” (25). L’expression la plus manifeste du lien entre modification du contrat et pouvoir réside dans la faculté pour l’employeur de rompre celui-ci face au refus du salarié de consentir à une telle modification. Ainsi, la proposition de modification du contrat implique-t-elle l’éventualité d’un licenciement (26). C’est pourquoi, il est regrettable que l’article L. 321-1-2 (27), revisité par la loi du 18 janvier 2005, ne soumette toujours pas la proposition de modification du contrat à une exigence de motivation. durée du travail peuvent avoir des répercussions sur la vie Il convient d’ajouter que l’acceptation de la modification par le salarié peut conduire à une profonde altération des conditions de son emploi (28). Les transferts de lieu de travail ainsi que les modifications affectant les horaires et la des propositions de modifications des contrats de travail ■ personnelle du salarié. De fait, l’inscription de la modification dans un registre purement contractuel est impuissante à restituer les contextes et les exigences découlant de l’essor de la référence aux droits fondamentaux dans les relations de travail (29). Enfin, le parti pris en faveur du décalage du cadre temporel pour l’établissement du plan de sauvegarde de l’emploi, nourri par une lecture excessivement contractuelle de la modification et par une dissociation quelque peu factice entre suppression ou transformation d’emploi et modification d’un élément essentiel du contrat de travail, contribue à soustraire le licenciement économique à l’emprise des relations collectives de travail. Or, faut-il le rappeler, “le régime de l’emploi relève bien du droit collectif du travail” (30). Est-ce à dire que la soustraction pour motif économique peut se lire comme un signe tangible d’”individualisation du droit du licenciement” (31) ? II. L’éloignement de la conception judiciaire ■ La condamnation de la jurisprudence Framatome- à la mise en mouvement de la procédure dite du Livre III, Majorette scelle la rupture avec une compréhension à l’édification d’une véritable procédure (33) (A). Plus enrichie du droit du licenciement économique. En effet, généralement, la réduction du domaine du régime du la solution retenue par la Cour dans ses arrêts du licenciement économique, ainsi d’ailleurs que d’autres 3 décembre 1996, réaffirmée avec fermeté à plusieurs dispositions issues de la présente loi, traduisent la reprises (32), contribuait, à travers les garanties attachées méfiance à l’égard de l’intervention judiciaire, voire à (24) A. Jeammaud, “Justice et économie : et le social ?”, Justices, 1995, n° 1, p. 107. (25) E. Lafuma, thèse précitée, p. 343. (26) V. H-J. Legrand, “Modification collective des contrats de travail et licenciement collectif”, op. cit. spec. p. 406-407. (27) “Lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément essentiel du contrat de travail, il en fait la proposition au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception”. (28) Sur les notions de suppression, transformation d’emploi et l’éventuelle redondance de cette dernière avec la modification du contrat, v. M. Henry, “La notion de motif économique”, Dr. soc. juin 1995, p. 551. (29) V. Droits fondamentaux et droit social, sous la direction de A. Lyon-Caen et P. Lokiec, Thèmes et commentaires, Dalloz 2005. (30) G. Lyon-Caen, “Les pochettes-surprises de la Chambre sociale: l’arrêt Aventis Pharma”, Semaine sociale Lamy, 2 février 2004, n° 1154. Pour une analyse du droit du licenciement économique sous l’angle des garanties collectives, v. CA Versailles, 30 novembre 2004, à paraître au Dr. Ouv., affirmant que “la stipulation d’une clause de mobilité dans un contrat de travail individuel ne peut porter atteinte aux droits collectifs que le salarié tient de la loi à l’occasion d’une mesure collective sur l’emploi régie par les dispositions de l’article L. 321-4-1”. (31) P. Adam, L’individualisation du droit du travail. Essai sur la réhabilitation juridique du salarié-individu, LGDJ 2005, p. 116. L’auteur, à qui nous empruntons la formule “individualisation du droit du licenciement”, analyse l’essor de ce mouvement d’individualisation à la lumières des différentes obligations de reclassement et d’adaptation mises à la charge de l’employeur ainsi que de la reconnaissance d’une action individuelle en contestation du plan de sauvegarde de l’emploi. Selon lui, cette individualisation n’a pas pour effet d’exclure les garanties et les modes collectifs de représentation des salariés dont l’emploi est menacé. Bien au contraire, l’individuel et le collectif agissent dans une sorte de dialectique pour consolider le droit au reclassement. Si nous partageons pleinement cette analyse, la soustraction des propositions de modification des contrats de travail à la procédure du Livre III par la loi du 18 janvier 2005 nous paraît davantage relever d’un phénomène d’individualisation déconnecté du collectif. Ainsi, les représentants du personnel n’ont-ils aucun moyen de connaître avec précision ni le nombre de salariés concernés par une modification de leur contrat de travail, ni le nombre de ceux-là même ayant accepté ou refusé une telle modification. (32) Cass. soc. 25 juin 2003, RJS 10/03 n° 1146. En ce sens, v. également l’arrêt du 26 janvier 2005 et le vigoureux commentaire de M. Y. Chagny “La jurisprudence FramatomeMajorette : les derniers feux?”, Dr. soc. 2005, p. 556. (33) A. Lyon-Caen, “La procédure au cœur du droit licenciement économique”, Dr. Ouv., avril 2002, p. 159. V. E. Lafuma, Thèse prec. A cet effort judiciaire de rationalisation de l’exercice du pouvoir, doivent être reliés les arrêts dits Samaritaine : Cass. soc. 13 février 1997, D. 1997, J. p. 171, note A. Lyon-Caen, Dr. Ouv. 1997 p. 94 n. P. Moussy. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 du droit du licenciement économique 299 296-302 Doctrine Meyrat 26/07/05 10:15 Page 300 l’égard de la présence même d’un corps de règles hétéronomes, gouvernant les procédures de licenciement (34) (B). A. L’anéantissement des exigences attachées au déclenchement anticipé de la procédure du Livre III La nouvelle rédaction de l’article L. 321-1-3 inverse clairement l’ordre des étapes du déroulement de la procédure de licenciement économique dans l’hypothèse d’une réorganisation où l’employeur procède par voie de modification collective des contrats de travail (35) : “Lorsqu’au moins dix salariés ont refusé la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail proposée par l’employeur pour l’un motifs énoncés à l’article L. 321-1 et que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique”. C’est désormais le refus d’au moins dix salariés d’accepter la modification de leur contrat de travail qui constitue l’élément déclenchant l’application des dispositions du Livre III. Cette inversion de la chronologie a pour principal effet de restreindre la portée des exigences ou garanties attachées à la procédure du Livre III. Le déclenchement en amont de la procédure propre aux licenciements économiques permettait aux salariés et de leurs représentants d’exercer trois séries de prérogatives (36), que ne confèrent pas l’information et la consultation au titre du seul Livre IV. Outre l’obligation pour l’employeur d’établir et de mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l’emploi, la faculté pour le comité d’entreprise de se faire assister par un expert-comptable pour l’examen du projet de licenciement ainsi que le contrôle de la sélection des salariés dont l’emploi est menacé (37), ne découlent que de la mise en mouvement de la Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 procédure de licenciement pour motif économique. 300 En premier lieu, l’information et la consultation préalables sont censées favoriser une discussion sur les alternatives aux licenciements prévues par le plan de sauvegarde de l’emploi, et notamment sur les mesures d’accompagnement des modifications des contrats de travail. C’est pourquoi, l’information des salariés sur le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi au moment de la proposition de modification de leur contrat constitue une donnée essentielle afin qu’ils puissent prendre leur décision en toute connaissance de cause (38). De plus, l’article L. 321-1-3, dans sa rédaction issue de la loi du 18 janvier 2005, pourrait altérer la conception que la loi et les juges, dans le sillage des partenaires sociaux, se sont progressivement efforcés d’imprimer au plan de sauvegarde de l’emploi. Ce dernier, loin de se réduire à un ensemble de contreparties d’ordre pécuniaire, a été progressivement érigé en “pièce maîtresse du droit des licenciements économiques” (39). Sur ce point, le changement de dénomination opéré par la loi du 17 janvier 2002 – “plan de sauvegarde de l’emploi” (40) – a signalé, dans le langage législatif, l’évolution d’une conception résolument dynamique de celui-ci, certes abritée par la définition légale et conventionnelle de ses objectifs : “éviter les licenciements ou en limiter le nombre et faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité”. De cette formule, il ressort que le licenciement, acte de rupture du contrat de travail, ne peut intervenir que comme “issue ultime” (41). Or, la présentation du projet de plan au comité d’entreprise au lendemain du refus d’au moins dix salariés d’accepter la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail met en sourdine sa fonction cardinale, éviter les licenciements et le réduit à “l’aménagement des suites d’une rupture déjà consommée” (42). En second lieu, le recours à l’expertise est un facteur déterminant de la qualité de la concertation (43). Selon (34) V. dans ce même numéro la contribution de S. Nadal relative aux accords dits de méthode. Dans cet esprit, la loi enserre désormais dans des délais extrêmement brefs la contestation judiciaire de la régularité de la procédure de consultation des représentants du personnel et prive en partie de son effet utile la nullité de la procédure et des licenciements qui s’ensuivent en cas d’absence ou d’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi. (37) H.-J. Legrand, “L’ordre des licenciements ou l’identification du salarié atteint par un suppression d’emploi”, Dr. soc. 1995, p. 243 ; v. infra p. 362 M.-F. Bied-Charreton. (35) “Lorsqu’au moins dix salariés ont refusé la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail proposée par l’employeur pour l’un des motifs énoncés à l’article L. 321-1 et que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique”. Il convient de souligner l’évolution dont ce texte a fait l’objet dans sa rédaction même entre la lettre rectificative au projet loi et l’examen de ce dernier par le Sénat qui a préféré l’emploi du passé composé à celui du présent de l’indicatif (“lorsqu’au moins dix salariés refusent...) le passé composé (“lorsqu’au moins dix salariés ont refusé). (40) G. Couturier, “Du plan social au plan de sauvegarde de l’emploi”, Dr. soc. mars 2002, p. 279. (36) H.-J. Legrand, “Modification collective des contrats de travail et licenciement collectif”, op. cit. p. 404-405. (38) J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du droit du travail, Dalloz, 2004, p. 397. (39) A. Lyon-Caen, note sous. Cass. soc. 13 février 1997, op. cit. p. 171. (41) G. Couturier, Droit du travail, les relations individuelles de travail, p. 307. (42) H.-J. Legrand, “Modification collective des contrats de travail et licenciement collectif”, op. cit. p. 404. (43) Sur le sens de l’intervention de l’expert auprès du comité d’entreprise, et notamment sa vocation à nourrir la phase de consultation et, dans certains cas, à conduire à une reconfiguration du projet initial, ou du moins de ses modalités de mise en œuvre, v. F. Bruggemann et D. Paucard, “Restructurations, pratiques françaises, dispositif d’accompagnement et rôle de l’expert”, Regards, Cahiers de Syndex, n° 2, p. 6. 26/07/05 10:15 Page 301 les termes de l’article L. 434-6 du Code du travail, la mission de l’expert “porte sur tous les éléments d’ordre économique, financier ou social nécessaires à l’intelligence des comptes et à l’appréciation de la situation de l’entreprise”. C’est donc d’abord “un rôle pédagogique” (44) qui lui est dévolu. Cette mission générale appliquée à la procédure de consultation du Livre III suppose, d’une part, une assistance du comité d’entreprise dans la compréhension et l’appréciation de la teneur de la décision économique présidant à la réorganisation, d’autre part, une évaluation de la “qualité des mesures prévues par le plan de sauvegarde de l’emploi” (45). Enfin, si la procédure de licenciement économique n’est engagée qu’à l’issue du refus d’au moins dix salariés d’accepter la modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail, le choix préalable des salariés se voyant proposer une telle modification risque de revêtir un caractère discrétionnaire. Autrement dit, “l’ordre des licenciements”, en tant qu’il opère une certaine “dissociation conceptuelle entre l’emploi visé et la personne atteinte”, soumet le pouvoir de sélection de l’employeur à une exigence de justification de son choix (46). Ainsi, le déclenchement précoce de la procédure du Livre III permet-il au comité d’entreprise de disposer d’une information pertinente et globale sur le projet de licenciement économique afin de “peser en temps utile sur le processus de décision” (47). La jurisprudence Framatome-Majorette avait donc pour mérite principal d’inviter l’employeur à conduire une “authentique consultation” (48) avec le comité d’entreprise sur la teneur d’une décision économique directement à l’origine de la mise en cause de l’emploi. Pour s’en convaincre, il faut admettre que l’essor et la valorisation des règles de procédure a partie liée avec la rationalisation de l’exercice du pouvoir patronal (49) et l’affirmation de contraintes argumentatives pesant sur l’employeur. En d’autres termes, prescrire le déclenchement de la procédure de traitement des (44) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz 2004, 22e édition, n° 741. (45) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, op. cit. n° 741. (46) V. H.-J. Legrand, “L’ordre des licenciements…”, prec. p. 243. (47) M.-A. Souriac-Rotschild, obs. sous. Cass. soc. 10 avril 1991, op. cit. p. 290. (48) A. Jeammaud, Le licenciement, op. cit. p. 105. (49) E. Lafuma, thèse précitée, p. 18 et s. (50) L’article L. 321-4 dispose sur ce point que “l’employeur est tenu d’adresser tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif. Il doit, en tout cas, indiquer la ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement”. (51) Selon les termes mêmes de la lettre rectificative, l’article 37-3 du projet de loi, modifiant la rédaction de l’article L. 321-1-3 du Code du travail, “clarifie et sécurise les principales dispositions grands licenciements collectifs en amont, en l’occurrence préalablement aux propositions de modification des contrats de travail, devait permettre un échange de vues sur le projet de réorganisation mettant en cause les emplois et/ou les contrats (50) ainsi que sur les modalités et les suites de sa réalisation. B. L’office du juge en question Dans l’exposé des motifs de la lettre rectificative au projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, la nouvelle rédaction de l’article L. 321-1-3 a été placée sous le signe de la clarification et la sécurisation des règles gouvernant les procédures de licenciement (51). Ces vocables retiennent l’attention par la fréquence de leur usage dans des contextes législatifs (52) et dans les discours experts, prompts à dénoncer les rigidités institutionnelles engendrées par le droit du travail et entravant “l’efficience économique des formes de relations professionnelles” (53). La clarification prétend remédier à l’obscurité et à la complexité des textes juridiques. Le terme renvoie à une exigence naïve de clarté des énoncés juridiques, censée favoriser une meilleure connaissance de la règle de droit par ses destinataires, et en conséquence, l’adaptation de leurs conduites à ses prévisions. Une telle prétention ignore que toute règle de droit recèle une part d’indétermination de son exacte configuration et que sa signification est tributaire des conflits d’intérêts, parfois portés à la connaissance des juges. En un mot, “la simplicité structurelle de l’instrument-norme ne signifie pas pour autant qu’il soit doté d’un sens clair, précis, univoque” (54). La “sécurisation” s’entend de l’aspiration à contourner l’intervention du juge, source d’insécurité juridique. Ces vocables sont d’ailleurs indissociables, la clarté d’un texte étant conçue comme le moyen d’éviter que surgisse un contentieux. Par delà le syncrétisme qui caractérise cette perception du texte à signification normative, il est frappant que les discours qui entourent et justifient les réformes récentes du droit du travail (55) qui régissent le déroulement de la procédure de licenciement économique”. Il convient de souligner que la finalité même des accords dits de méthode réside dans cette recherche tous azimuts de contournement de l’intervention judiciaire. (52) V. l’analyse de l’art. 45 de la loi du 4 mai 2004 par Mme M.-A. Souriac, in “L’articulation des niveaux de négociation”, Dr. soc. 2004, p. 580, spec. p. 588. (53) A. Jeammaud et A. Lyon-Caen, in Droit du travail, démocratie et crise, Actes sud 1986. (54) A. Jeammaud, “La règle de droit comme modèle”, D. 1990, ch. p. 200, spec. p. 204-206. (55) “Pour un Code du travail plus efficace”, Rapport de la commission présidée par Michel de Virville au ministre du travail. V. l’approche critique d’A. Lyon-Caen et H. MasseDessen, “Droit du travail: la sécurité change de camp”, Le Monde, vendredi 13 février 2004 ainsi que M.-F. BiedCharreton et P. Rennes Dr. Ouv. 2004 p. 161. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 296-302 Doctrine Meyrat 301 296-302 Doctrine Meyrat 26/07/05 10:15 Page 302 soient marqués à ce point du sceau de la dénonciation de l’insécurité juridique (56). La question qui se pose est évidemment de savoir ce que recouvre l’insécurité juridique à laquelle rapports et experts imputent les multiples dysfonctionnements du droit du travail et “l’insatisfaction de ses utilisateurs” (57). Le Rapport présenté par la Commission de Virville insiste sur deux points. D’abord “les effets déstabilisateurs des revirements de jurisprudence” (58), ensuite le risque de voir remises en cause des décisions prises ou des situations constituées de longue date (59). La question des revirements de jurisprudence a donné lieu, à l’initiative du Premier Président de la Cour de cassation (60), à une étude récente dépassant le cadre du seul droit du travail. Celle-ci préconise la construction d’un “droit transitoire des revirements de jurisprudence” à travers la reconnaissance aux formations plénières de la Cour de cassation d’un pouvoir de décider de la modulation des effets dans le temps des revirements de jurisprudence. S’agissant du risque de mise en cause de décisions ou de situations, les experts de la Commission de Virville suggéraient de le surmonter par l’instauration de délais de forclusion et la réduction de délais de prescription. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Ainsi, cette insécurité, dont il est tant question n’est autre que celle résultant de l’intervention du juge en tant que tel, toujours susceptible de contrarier les prévisions des agents économiques. Cette défiance latente à l’égard du juge n’est pas sans rapport avec “le thème de l’efficacité économique du droit du travail” (61). Si l’on prête attention à la réflexion qui se déploie dans certains milieux économiques, force est de constater la réprobation dont, pêle-mêle, les règles de droit et le juge 302 (56) V. Les observations d’A. Jeammaud sous Cass. soc. 26 janvier 2005, Dr. soc. 2005, p. 567. (57) La formule est empruntée au Rapport de Virville. (58) Il s’agirait de permettre aux juridictions de moduler les effets de leurs décisions dans le temps. (59) D’où les propositions destinées à réduire les délais pour agir en annulation d’un accord collectif et à substituer à la prescription trentenaire applicable aux actions en dommages-intérêts pour rupture abusive, en réclamation des indemnités de licenciements... une prescription décennale. (60) Les revirements de jurisprudence, Rapport remis à M. le Premier Président Guy Canivet, groupe de travail présidé par Nicolas Molfessis, Litec 2005 ; v. “Sécurité juridique, revirements de jurisprudence, pouvoirs des juges, beaucoup de bruit pour peu de choses ?”, Dr. Ouv., avril 2005. (61) A. Jeammaud et A. Lyon-Caen, in Droit du travail, démocratie et crise, Actes Sud 1986, p. 19. sont l’objet, précisément dans le domaine de l’emploi et du licenciement économique. Dans un rapport pour le Conseil d’Analyse économique intitulé Protection de l’emploi et procédures de licenciement (62), MM. O. Blanchard et J. Tirole dénoncent, avec une virulence tournant parfois à la caricature, le rôle du juge ainsi que le flou des règles dont celui-ci fait application lors du contrôle des licenciements économiques (63). Outre les approximations concernant la portée du contrôle judiciaire des différentes phases de l’opération de licenciement, les auteurs ne craignent pas de souligner que “les juges ne disposent ni de la compétence, ni de l’information nécessaire” et de faire état du “manque de critères précis guidant leur intervention” (64). Ils préconisent donc de circonscrire le champ du contrôle judiciaire à la vérification du caractère non discriminatoire du licenciement et à l’exactitude du motif de rupture du contrat (65) et de développer des mécanismes d’incitation financière des entreprises à ne pas licencier. Ces conclusions méritent d’être prises au sérieux dans un contexte propice à une certaine flexibilisation des conditions d’emploi et où pourrait se faire jour la tentation de résorber la part du droit étatique du travail dans des règles de non-discrimination. La soustraction des propositions de modification des contrats de travail à la procédure des grands licenciement collectifs illustre l’œuvre conjointe du législateur et des juges tendant à conférer au régime légal du licenciement économique une intelligibilité conforme à l’exigence fondamentale de maintien de l’emploi (66) se voit donc passablement écornée par la loi du 18 janvier 2005. Isabelle Meyrat (62) Protection de l’emploi et procédures de licenciement, La Documentation française, 2003. V. L’analyse critique de F. Eymard-Duvernay, “Le droit du travail est-il soluble dans les incitations?”, Dr. soc. 2004, p. 812. (63) “Les entreprises qui veulent licencier sont sujettes à un contrôle administratif et judiciaire lourd. Leurs décisions, que ce soit en matière de licenciements individuels ou collectifs, peuvent être et sont souvent contestées”. (64) V. notamment. p. 66 du Rapport. (65) Il s’agit de s’assurer qu’une rupture qualifiée de licenciement par les parties ne dissimule pas une démission ou qu’un licenciement pour faute n’abrite un licenciement économique. (66) Sur les sens de la référence au maintien de l’emploi dans les discours juridiques, A. Lyon-Caen, “Le maintien de l’emploi”, Dr. soc. 1996, p. 655. 303-310 Doctrine Nadal 26/07/05 15:10 Page 303 DOCTRI NE Négociation collective et licenciement économique : propos introductifs sur le nouvel article L. 320-3 du Code du travail (1) par Sophie NADAL, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise, Centre de recherches en droit économique (CRDE) PLAN I. La promotion de la démarche négociée en matière de licenciement économique A. Négociation de branche et accès à la démarche négociée B. Validité des accords et assouplissement des garanties d'adhésion à la démarche négociée II. La diversification des thèmes de négociation en matière de licenciement économique A. Accords de méthode : une expression devenue pour partie inadéquate B. Programmation négociée du licenciement et nouveaux types d'accords 1 - “La législation n’est pas l’alpha et l’oméga des droits des salariés” (2) : tel est l’un des arguments avancés par les rapporteurs à l’Assemblée nationale pour inciter le législateur à élargir les horizons ouverts à la négociation collective en matière de licenciement économique. Certes, les accords de méthode de la seconde génération seront peut-être l’occasion pour les organisations syndicales d’agir plus significativement sur l’emploi (3). Mais ils abritent plus fondamentalement une autre ambition : tarir la jurisprudence et écarter la loi. En effet, c’est bien la diffusion d’un nouveau modèle du droit social (4) qui se poursuit implacablement au travers des dispositions introduites par la loi du 18 janvier 2005. 2 - Les négociations de procédure – inventées par la pratique – ont été initialement forgées en vue de faire face à l’œuvre créatrice de la chambre sociale. A plusieurs reprises – et parfois de façon spectaculaire – les juges avaient en effet dû rappeler l’importance de l’information et de la consultation des représentants du personnel à l’occasion des grands licenciements pour motif économique (5). L’insécurité engendrée par la jurisprudence (6) et la rigidité de la législation sur le licenciement économique ont alors été simultanément stigmatisées. La négociation collective fut donc courtisée pour détacher ostensiblement les règles du (2) F. de Panafieu et D. Dord, Rapport sur le projet de loi pour la cohésion sociale, Ass. Nat., n° 1930 déposé le 22/11/04, T. I., p. 59. (3) T. Grumbach, Redonner aux syndicats le pilotage de la négociation sur l’emploi, in “Les accords de méthode”, SSL, supplément n°1152 du 19 janvier 2004, p. 17. (4) V. par exemple J. Barthélémy, La contribution de l’accord de méthode à l’édification d’un droit social plus contractuel in “Les accords de méthode”, SSL, supplément n° 1152 du 19 janvier 2004, p. 10. (5) Pour une analyse de cette jurisprudence : V. les observations consacrées à la procédure de licenciement et au plan de sauvegarde in Les grands arrêts du droit du travail, 3e éd., J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud et E. Dockès, p. 395. Plus fondamentalement sur cette question : v. A. Lyon-Caen, “Procéduralisation et droit du travail”, in “L’avenir de la concertation sociale en Europe”, Tome II, Centre de philosophie du droit, Université catholique de Louvain, mars 1995, p. 183 ; du même auteur “La procédure au cœur du droit du licenciement pour motif économique” Dr. Ouv. 2002, p. 161 ; v. également E. Lafuma, “Des procédures internes : contribution à l’étude de la décision de l’employeur en droit du travail”, thèse Paris X, 2003 ; F. Guiomard, “La justification des mesures de gestion du personnel. Essai sur le contrôle du pouvoir de l’employeur”, thèse Paris X, 2000. Pour une appréhension sensiblement différente de la question : v. X. Lagarde, Réflexions de civiliste sur la motivation et autres aspects de la procédure de licenciement, Droit social, 1998, p. 908. (6) A ce propos, v. les observations d’A. Jeammaud sous Soc. 26 janv. 2005, Droit Social 2005, p. 567, spéc. p. 568. L’auteur observe notamment que la sécurité juridique qu’il s’agit de promouvoir “semble surtout être celle des employeurs”. Les enjeux et la teneur du débat particulièrement vigoureux relatif à la sécurité juridique dépassent très sensiblement le propos de cette étude. Son évocation permet toutefois d’éclairer l’importance des glissements conceptuels qu’abritent actuellement les nombreuses réformes dont le droit du travail est l’objet, et qui – pour partie – traversent les dispositions de la loi du 18/01/2005 ici partiellement commentée. La réflexion critique est aujourd’hui largement nourrie, notamment depuis le rapport sur les revirements de jurisprudence, remis par le groupe de travail présidé par N. Molfessis (Litec, 2005). A ce propos, en plus des analyses d’A. Jeammaud déjà évoquées, v. R. Encinas de Munagorri et P. Deumier, RTD Civ. 2005 chron. n° 1 ; P. Waquet, SSL n° 119 du 20/12/2004 p. 5 ; v. également les développements d’I. Meyrat sur ce point dans sa contribution au présent numéro ainsi que les études consacrées à cette question dans le Dr. Ouv. d’avril 2005. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 (1) Cette contribution s’inscrit dans le prolongement des travaux de la table ronde – organisée sous l’égide l’AFDT et présidée par M. P. Tillie – consacrée aux négociations de procédure, et qui s’est tenue dans le cadre plus général des journées d’études sur la réforme du droit du licenciement économique du 18 février 2005. M. R. Brihi et M. E. Dockès ont contribué aux débats menés sur ce thème. 303 303-310 Doctrine Nadal 26/07/05 10:16 Page 304 licenciement économique des prescriptions de la loi, et prémunir les employeurs de l’intervention du juge grâce au consensus réalisé par l’accord sur la procédure (7). L’ingénierie des accords de méthode est ensuite devenue plus attractive encore après l’adoption de la loi de modernisation sociale qui, on s’en souvient, donnait des pouvoirs accrus au comité d’entreprise. Cette nouvelle figure d’accord collectif s’est alors déployée en l’absence de toute disposition législative sur ce point. Avec la loi du 3 janvier 2003, l’aménagement par voie négociée des procédures légales d’information et de consultation a finalement été admis à titre expérimental par le législateur (8). 3 - C’est ce dispositif que le législateur a entendu affermir avec le nouvel article L. 320-3 (8 bis). Ce faisant, il enrichit le rôle confié à la négociation collective en matière de licenciement économique. D’un point de vue quantitatif, l’article L. 320-3 crée en effet les conditions pour que se développe sensiblement le traitement négocié du licenciement économique (I). D’un point de vue qualitatif, de nouveaux thèmes sont ouverts à la négociation, si bien que la négociation collective pourra désormais agir sur le fond du licenciement. Les nouvelles dispositions légales diversifient de la sorte les figures conventionnelles concevables à l’avenir en matière de licenciement économique (II). ■ I. La promotion de la démarche négociée ■ en matière de licenciement économique Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 4 - Circonscrite à l’entreprise par la loi du 3 janvier 2003, la négociation en matière de licenciement collectif pour motif économique peut désormais se tenir en d’autres lieux. Le premier alinéa permet ainsi à la branche et au groupe – aux côtés de l’entreprise – d’accueillir une négociation lorsqu’un licenciement collectif pour motif économique est envisagé. Sans mésestimer les implications de l’ouverture de la négociation au niveau du groupe (9), c’est pourtant la possibilité de négocier au niveau de la branche qui retiendra notre attention. Le choix de faire figurer ce niveau parmi les dispositions du nouvel article L. 320-3 révèle en effet la volonté de favoriser l’accès des entreprises au droit négocié du licenciement économique (A). De la même manière, les nouvelles conditions de validité des accords de méthode illustrent cette détermination du législateur à promouvoir la négociation collective à l’occasion des licenciements économiques. Le silence de l’article L. 320-3 place en effet les accords sous le régime du droit commun des conventions et accords collectifs. Il s’agit d’une volonté et 304 (7) V. J. Grangé, L’accord de méthode en pratique, in “Les accords de méthode”, SSL, op. cit., p. 14. (8) V. G. Couturier, “Le choix de la procéduralisation conventionnelle” in “Les accords de méthode”, SSL, op. cit., p. 6. Add. les “Réflexions autour des accords de méthode et de la loi Fillon”, Dr. Ouv. 2003 p. 358. (8 bis) A ce propos, v. également la contribution de E. Gayat, infra p. 349. (9) L’introduction de la référence au groupe s’explique essentiellement par la consécration des accords de groupe par la loi du 4 mai 2004. Cette possibilité n’en soulève pourtant pas moins quelques questions nouvelles, si l’on songe à l’articulation des dispositions conventionnelles. Ainsi, si le silence de l’accord de branche implique qu’il s’écarte devant l’accord d’entreprise, tel ne sera pas le cas devant un accord de groupe. En ce cas, faute de disposition expresse, l’application de la règle la plus favorable devrait recevoir application. L’enjeu peut toutefois paraître non d’un oubli, et le traitement négocié du licenciement est de la sorte facilité (B). A. Négociation de branche et accès à la démarche négociée 5 - La lettre rectificative au projet de loi de programmation pour la cohésion sociale ne faisait aucunement mention de la branche (10). C’est lors des débats au Sénat que la question de la négociation à ce niveau a été évoquée. Selon M. le sénateur Seiller, envisager l’éventualité de la conclusion d’accords de méthode au niveau de la branche devait permettre aux entreprises où la conclusion d’un accord n’est pas possible, de pouvoir néanmoins accéder aux souplesses offertes par ce type de négociation (11). C’est dans cet esprit que la suggestion a donc été retenue, bien que sa pertinence prête à discussion. Éloignée des particularismes de l’entreprise, la branche peut sembler inadéquate pour traiter de manière efficace les problèmes spécifiques soulevés par un projet de théorique, si l’on conçoit que les accords de branche risquent fort d’être a minima. Mais des difficultés inattendues pourraient néanmoins apparaître y compris si l’on envisage les rapports conventionnels entre entreprise et groupe : v. P.-H. Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005 : la “positive attitude”, Droit social 2005, p. 399, spéc. p. 400 n° 2. Plus largement sur cette disposition v. B. Teyssié, A propos d’une négociation triennale : commentaire de l’article L 320-2 du Code du travail, Droit social 2005, p. 377 ; v. aussi les contributions dans le présent numéro de T. Katz p. 322 et M.-F. Bied-Charreton p. 343. (10) Pour consulter ce texte : V. doc. Sénat, 2004-2005, n° 31. (11) Sénat, séance du 5 novembre 2004, Discussion sur l’amendement n° 585. Sur l’accès des TPE aux mécanismes instaurés par la loi du 18 janvier et les vertus prêtées à la branche en ce cas : v. Le préalable à la procédure, in A. J. CFDT n° 171, mars/avril 2005, dossier “Réforme du licenciement économique”, p. 8, spéc. p. 10. 26/07/05 10:16 Page 305 licenciement économique, si bien que leur contenu risque fort d’être peu innovant (12). Toutefois, sans même anticiper les résultats possibles d’une telle négociation, il reste permis d’interroger la rationalité du choix de la branche à l’aune du droit commun des conventions collectives. En effet, si la finalité voulue pour l’accord de branche était de permettre l’accessibilité des accords de méthode à toutes les entreprises relevant de son champ d’application, il aurait été judicieux d’en prévoir l’extension. Ainsi donc, les employeurs souhaitant bénéficier des dispositions conventionnelles de branche devront-ils remplir les conditions posées à l’application des conventions collectives ordinaires. Ici, en faisant nôtre une observation concernant le projet de loi relatif au dialogue social, il est tentant d’observer que le législateur met ainsi étrangement en place un moyen de “renforcer le syndicalisme patronal” (13). Sans doute n’est-ce pas là l’intention du législateur, ce qui fait ressortir – une fois encore (14) – les situations singulières auxquelles des modifications législatives en opportunité, sans que soit pris en compte l’environnement juridique du droit des conventions collectives en son entier, peuvent parfois donner naissance. 6 - L’absence de condition relative à l’extension interroge de la même manière si l’on envisage la sanction pénale en cas de manquement de l’employeur à ses obligations. Pour cela, il convient d’imaginer l’hypothèse d’une entreprise dotée d’un comité d’entreprise mais dépourvue de délégué syndical. Imaginons ensuite qu’elle ne soit pas en mesure d’utiliser les formes dérogatoires de négociation en l’absence d’accord de branche étendu sur ce point. Supposons enfin qu’elle soit soumise à un accord de branche ordinaire prévu par le nouvel article L 320-3, lequel fixerait la procédure d’information et de consultation du comité d’entreprise. En ce cas, il pourrait être soutenu que l’inobservation des procédures d’information et de consultation prévues par la branche en cas de licenciement collectif ne sera pas constitutive du délit d’entrave. En effet – on l’a évoqué – l’extension n’est pas requise par le nouvel article L. 320-3 : dans ces conditions, les dispositions de l’article L. 153-1 ne sont donc pas (12) En ce sens : v. P.-H. Antonmattéi, Accords de méthode, génération 2005 : la “positive attitude”, Droit social 2005, p. 399, spéc. p. 400. (13) V. P. Langlois, Dialogue social : approche critique des principales dispositions du projet de loi (I), SSL, n° 1152 du 19 janvier 2004, p. 6, spéc. p.10. (14) On rappellera ici les réflexions de M. A. Souriac qui, à propos de la loi du 4 mai 2004, observait déjà que “Le droit des négociations et accords collectifs n’a jamais brillé par sa limpidité, mais s’il requiert de longue date patience et nuances, il a atteint progressivement une certaine maturité technique et de fond. Or le législateur en 2004 pourrait bien évoquer l’image connue de l’éléphant lâché dans un magasin de porcelaine, si ce n’était pas très injuste pour les éléphants” : V. Quelle autonomie pour la négociation d’entreprise ? in “La négociation collective à l’heure des révisions”, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2005, p.89. spéc. p. 92. applicables. Certes, l’article L. 483-1 pourrait inciter à soutenir une toute autre analyse, mais le principe de la légalité des délits et des peines affaiblit sensiblement la position. In fine, le mécanisme permettrait ainsi à l’employeur d’éluder une sanction pénale à laquelle il s’exposerait en l’absence d’accord de branche. On objectera qu’il en sera de même en cas d’inobservation des procédures de licenciement organisées par la voie conventionnelle au niveau de l’entreprise (15). Il n’en reste pas moins que le degré de la contrainte attachée aux règles de procédure est à nouveau affaibli par le recours élargi à la négociation collective en matière de licenciement économique. 7 - Placés sous l’égide de la loi du 4 mai 2004, les rapports à venir entre les dispositions conventionnelles de niveaux différents pourraient susciter – théoriquement en tout cas – quelques difficultés. En effet, la loi étant silencieuse sur ce point, les accords de branche visés par le nouvel article L. 320-3 ne sont pas nécessairement cantonnés à l’hypothèse des entreprises dépourvues de la possibilité de négocier. Le point n’a d’ailleurs pas manqué d’être relevé (16). Si bien qu’une entreprise peut être soumise à un accord de branche – conclu selon les prévisions de l’article L. 320-3 – qui écarte la dérogation sur certaines de ses dispositions. Dans ce cas, la négociation d’entreprise ne pourra donc pas s’émanciper pleinement. En revanche, dans l’hypothèse où l’accord de branche est silencieux, le mécanisme de la supplétivité conduira à d’évidentes inégalités face au licenciement économique entre salariés relevant de la même branche (17). En outre, le point est connu, le rattachement d’une entreprise au domaine professionnel d’un accord de branche n’est pas toujours aisé : les clauses d’option permettraient – le cas échéant – de répondre à la difficulté. En tout état de cause, il est permis de s’interroger sur le sort des mesures qui auraient été prises en vertu d’un accord de branche, alors que l’entreprise n’était pas comprise dans son champ d’application professionnel (18). (15) V. sur ce point l’avis de J. Barthélémy in “Les accords de méthode”, SSL, supplément n° 1152 du 19 janvier 2004, p. 36. (16) V. P-H Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005 : la “positive attitude”, op.cit, p. 400. (17) Plus largement d’ailleurs, on peut actuellement constater le déclin de l’action unifiante traditionnellement confiée aux accords et conventions de branche : V. notre contribution “Le destin de la négociation de branche” in “La négociation collective à l’heure des révisions”, Dalloz coll. Thèmes et commentaires, 2005, op. cit. p. 59. (18) L’affiliation syndicale de l’employeur n’est pas suffisante : “encore faut-il que l’entreprise considérée entre bien, de part ses activités économiques, dans les prévisions de l’accord” : v. M. Despax, Négociations, conventions et accords collectifs, Dalloz, 2e éd, p. 381/385. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 303-310 Doctrine Nadal 305 303-310 Doctrine Nadal 26/07/05 10:16 Page 306 Sans évidemment pouvoir prétendre à l’exhaustivité quant aux difficultés susceptibles d’apparaître, il n’est guère contestable que le jeu des règles applicables à la négociation collective pourrait sensiblement gripper l’intelligibilité des conditions de mise en œuvre de l’article L. 320-3. Il est donc probable que l’application du droit commun des accords collectifs obscurcisse la destinée de la négociation de branche en matière de licenciement économique. B. Validité des accords et assouplissement des garanties d’adhésion à la démarche négociée Le dispositif particulier relatif à la validité des accords prévus par la loi du 3 janvier 2003 avait été repris – au moins dans son esprit – par la lettre rectificative. S’agissant des exigences tenant à la signature syndicale, l’alinéa 4 de l’article L. 320-3 en sa rédaction initialement proposée subordonnait en effet la validité des accords au respect des conditions de conclusion prévues au 1er du III de l’article L. 132-2-2 (23). De la sorte, si les organisations signataires ne satisfaisaient pas à la condition majoritaire en contemplation des résultats obtenus aux élections professionnelles, le texte conventionnel aurait été soumis à l’approbation du personnel. La recherche d’une adhésion 8 - On se souvient que la loi du 3 janvier 2003 soumettait la validité des accords de méthode à l’exigence d’approbation majoritaire et à la consultation du comité d’entreprise. Dans son rapport, M. Dord avait ainsi fait valoir que ces garanties avaient été introduites car les accords peuvent “prévoir des modalités d’organisation du dialogue social un peu différentes de celles prévues par la loi” (19). Les conditions posées à la validité de ce nouveau type d’accord était ainsi envisagées comme “un gage d’adhésion des salariés à une démarche négociée, de recherche d’un compromis et de sécurité pour l’entreprise” (20). Déjà, on avait pu remarquer que la finalité voulue pour les accords de méthode aurait pu également impliquer “un accord du comité d’entreprise lui-même” (21). L’effet “quasi-transactionnel” (22) recherché à travers ces accords aurait ainsi été plus complet, étant rappelé que ce sont les prérogatives des élus du personnel qui étaient alors essentiellement en cause. (19) D. Dord, rapport sur le projet de loi relatif à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l’emploi, 20 novembre 2002, disponible sur www.legifrance.gouv.fr, p. 19. (20) D. Dord, rapport op. cit., p. 20. (21) G. Couturier, Le choix de la procéduralisation conventionnelle, in “les accords de méthode”, SSL Supplément n° 1152, op.cit., p. 6, spéc. p. 9. (22) L’expression est de G. Couturier. (23) Article 37-2 de la lettre rectificative. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 (24) Des difficultés pourraient d’ailleurs surgir dans le cas où s’appliqueraient à une même entreprise à activités multiples deux accords de branche étendus ne prévoyant pas des conditions identiques de validité des accords collectifs. 306 (25) Cass. soc. 5 mai 1998 : Bull. civ., V, n° 219 ; Droit social 1998, p. 579, rapp. J.-Y. Frouin, et p. 764 les observations de J.-E. Ray ; Dr. Ouv. 1998 p.350 n. D. Boulmier ; D. 1998, p. 608, note G. Auzero ; RJS 98, n° 750, comm., M. Cohen, p. 435 ; CSBP 1998 A 34 ; Jurisp. UIMM. n° 98-618, p. 244. V. également P.-H. Antonmattéi, Comité d’entreprise et négociation collective : le courant passe, RJS 98, p. 611 ; P.-Y. Verkindt, De la consultation à la négociation..., Droit social 1998, p. 321. Sur l’apport de cette jurisprudence à la qualité de la négociation dans le cadre d’une vaste réflexion sur les transformations à l’œuvre en droit de la négociation collective : v. M.-A. Souriac et G. Borenfreund, “La négociation collective entre désillusion et illusions”, in “Droit syndical et droits de l’homme à l’aube du XIXe siècle”, Mélanges en l’honneur de J.M. Verdier, Dalloz, 2001, p. 181, spéc. p. 224. Sur les prolongements de cette jurisprudence, et notamment sur l’arrêt Cervac du 19/03/03, v. la note de G. Couturier in Droit social 2003, p. 552 ; des salariés à la démarche négociée en matière de licenciement était donc perceptible. En revanche, la condition de validité relative à la consultation du comité d’entreprise n’était pas évoquée. On perçoit alors l’importance du choix des parlementaires, qui ont finalement préféré biffer toute référence à la validité des accords dans le nouvel article L. 320-3. 9 - En l’absence d’accord de branche étendu sur ce point (24), c’est donc le droit d’opposition qui prévaut à l’avenir. Quant au comité d’entreprise, il semble qu’il devra se contenter de la jurisprudence EDF-GDF (25) sans pouvoir atteindre le fond de l’accord (26). Si bien que ces accords pourraient abriter la soumission à la fois des élus (27) et des salariés à des dispositions ayant bénéficié de la passivité des organisations majoritaires non-signataires. Certes, on peut penser que les parties à l’accord de méthode stricto sensu (28) se seront assurées de l’approbation informelle du comité d’entreprise (29). v. également les développements consacrés à l’obligation d’informer et consulter les représentants du personnel in “Les grands arrêts du droit du travail”, 3e éd. avant-propos de G. Lyon-Caen, par J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud et E. Dockès, p. 590, spéc. p. 591. (26) En ce sens, P-H Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005..., op. cit., p. 400. Comp. J. M. Mir, Restructurations et consultation du comité d’entreprise, in “La loi de programmation pour la cohésion sociale”, Les petites affiches, 31 mars 2005, n° 64, p. 31, spéc. p. 38. (27) Ici, signalons toutefois un cas singulier. De nouvelles situations pourraient – théoriquement en tout cas – être concernées par les nouveaux mécanismes de la négociation des accords de méthode. En effet, la conclusion des accords visés par l’article L. 320-3 étant placée sous l’égide de la loi du 4 mai 2004, une entreprise pourvue d’un comité d’entreprise, mais dépourvue de délégué syndical, pourrait-elle – dès lors qu’elle est soumise à un accord de branche étendu organisant les formes dérogatoires de négociation – engager la négociation visée par l’article L. 320-3 ? En supposant que le thème soit ouvert à cette forme de négociation, cette dernière pourrait – dans l’affirmative – être conduite avec le comité d’entreprise. L’acquisition par le texte négocié dans de telles circonstances de la qualité d’accord collectif dépendra ensuite de la commission paritaire de branche. On perçoit alors le paradoxe puisqu’il s’agit ici d’une approbation extérieure à l’entreprise du contenu d’un accord négocié et conclu par un comité d’entreprise... sur lui même! (28) Sur les autres objets de négociation possibles : v. nos développements infra. (29) C’est ce que fait ressortir un extrait du bilan d’étape de la DGEFP cité par P-H. Antonmattéi in “Accords de méthode, génération 2005 : la “positive attitude”, op. cit., p. 400. 303-310 Doctrine Nadal 26/07/05 10:16 Page 307 Quant aux accords susceptibles d’agir sur le fond du licenciement, on peut espérer une vigilance accrue de la part d’organisations syndicales qui ne sauraient demeurer contemplatives sur un sujet tel que le licenciement économique. Il n’en reste pas moins que l’assise majoritaire de l’engagement syndical sur le devenir des prérogatives des élus voire même des droits des salariés (30) sort singulièrement affaiblie de la loi du 18 janvier 2005. Il convient d’ailleurs sur ce point d’évoquer l’avenir réservé aux actions en contestation par le dernier alinéa de l’article L. 320-3 (30 bis). L’action intentée à l’encontre d’un accord de méthode proprement dit devra être engagée dans les trois mois suivant la date d’accomplissement des formalités de dépôt prévues par l’article L. 132-10. Le délai est porté à douze mois lorsque les accords ont trait au plan de sauvegarde de l’emploi (31). L’objectif recherché – pour reprendre l’expression passée dans le langage commun – est de “sécuriser” les accords (32). Mais l’instauration de ces délais dérogatoires pourrait également être interprétée ■ comme un aveu de la fragilité des garanties offertes par l’accord en vue de prévenir les contentieux. En effet, il est permis d’espérer que les litiges sont d’autant moins nombreux que le consensus réalisé par l’accord est large (33), et que ses dispositions sont réellement considérées par leurs destinataires comme une “loi commune” (34). Il est donc tentant de suggérer que le dispositif de réduction des délais de recours sert à corriger en aval le déficit potentiel de légitimité des accords en amont (35). Plus généralement, il convient finalement d’observer qu’il sera plus difficile de voir à l’avenir dans ce type d’accord, le gage d’adhésion qui servit en son temps à justifier le recours à l’accord collectif sur un sujet aussi sensible que celui du licenciement. Le point est d’importance, une fois précisé que les accords envisagés par le nouvel article L. 320-3 pourront désormais porter sur des thèmes qui dépassent largement la seule hypothèse des procédures d’information et de consultation des représentants du personnel. II. La diversification des thèmes de négociation ■ en matière de licenciement économique (30) Pour une plus large réflexion sur la condition majoritaire, v. G. Borenfreund, Les syndicats et l’exigence majoritaire dans la loi Fillon du 4 mai 2004, in “La négociation collective à l’heure des révisions”, op. cit., p. 7. (30 bis) Sur ce point, v. P. Bouaziz p. 368. (31) V. P-H. Antonmattéi, “Accords de méthode, génération 2005 : la “positive attitude”, op. cit., p. 402. (32) On peut d’ailleurs y lire une nouvelle manifestation de la volonté de limiter à l’avenir l’intervention du juge dans les rapports sociaux : v. F. Guiomard, “L’intervention des juges dans la vie conventionnelle”, in “La négociation collective à l’heure des révisions”, op. cit., p. 33, voir également les analyses d’A. Lyon-Caen et de C. Baumgarten dans le présent numéro. (33) V. G. Couturier, Le choix conventionnelle, op. cit., p. 9. de la procéduralisation (34) L’expression est empruntée à J. Barthélémy qui, sous un autre rapport, envisage le consensus réalisé par l’accord comme un A. Accords de méthode : une expression devenue pour partie inadéquate 11 - Avec la loi du 3 janvier 2003, le législateur avait admis – à titre expérimental – l’aménagement par voie négociée des procédures légales d’information et de consultation des comités d’entreprise. C’est ce dispositif que le législateur a entendu pérenniser grâce au nouvel article L. 320-3. A cette occasion, il modifie sensiblement le rôle des accords collectifs en matière de licenciement économique. Dès la première lecture, il apparaît clairement que le thème de la négociation des accords de méthode n’est plus seulement cantonné aux procédures d’information et de consultation. Certes, non sans quelques maladresses rédactionnelles, le législateur envisage cet objet initial de négociation et introduit d’ailleurs quelques nouveautés à cet égard (36). Mais le facteur sensible de réduction du nombre des litiges : “La contribution de l’accord de méthode à l’édification d’un droit social plus contractuel” in “Les accords de méthode”, SSL, supplément op. cit., p. 10, spéc. p. 12. (35) D’autres soutiendront qu’il incombe justement aux organisations syndicales et au comité d’entreprise d’emprunter la voie contentieuse aussitôt que le respect des règles de droit leur paraît contestable. L’attentisme procéderait alors d’une stratégie consistant à s’emparer de l’enceinte judiciaire pour en faire “une source de création de nouveaux droits, ce qui n’est pas de la compétence naturelle des juges” : v. “Moderniser le code du travail : les 44 propositions du MEDEF”, Direction des relations sociales, 4 mars 2004, p. 3. Ce document fait suite au rapport de Virville, qui abrite également une réflexion comparable : “Pour un code du travail plus efficace”, La Documentation française, 2004. (36) Sur ce point v. P-H. Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005..., op. cit., p. 400/401. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 10 - Une brève évocation des nouvelles dispositions législatives laisse aisément percevoir que les accords envisagés par la réforme sont loin d’être réductibles à la seule conception qui se dégageait de la loi du 3 janvier 2003. Aussi l’expression “accords de méthode” ne restituet-elle plus pleinement le sens et la finalité des accords collectifs tels que le législateur vient de les introduire dans notre droit (A). Sans pouvoir envisager l’intégralité des types d’accords qui naîtront de pratiques fatalement imprimées par la singularité de chaque entreprise, quelques cas de figure semblent pouvoir être imaginés lorsque la négociation portera sur la sauvegarde de l’emploi (B). 307 303-310 Doctrine Nadal 26/07/05 10:16 Page 308 second alinéa du nouvel article L. 320-3 prévoit en outre que les accords peuvent désormais organiser la mise en œuvre d’actions de mobilité professionnelle et géographique au sein de l’entreprise ou du groupe. Ces nouvelles dispositions laissent donc entrevoir que les accords à venir pourraient agir sur la sphère contractuelle, ne serait-ce qu’au travers des actions de mobilité (37). Sans aller plus avant sur ce point, il s’agit de se borner ici à observer que les accords dits “de méthode” ne sont plus exclusivement... de méthode ! Le point a déjà été souligné : “voilà l’accord de méthode qui se mue partiellement en accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences” (38). Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 12 - Mais la mutation est bien plus spectaculaire si l’on évoque l’hypothèse du plan de sauvegarde. En effet, le troisième alinéa du nouvel article L. 320-3 prévoit que les accords peuvent aussi déterminer les conditions dans lesquelles l’établissement du plan de sauvegarde de l’emploi fait l’objet d’un accord et anticiper sur le contenu de celui-ci. Le plan de sauvegarde fait ici son entrée parmi les thèmes de la négociation collective ce qui, pour avoir été suggéré depuis plusieurs années déjà, n’était pas clairement envisagé par la loi. Rappelons en effet que s’il n’a jamais été contesté que le licenciement collectif doive faire l’objet d’une concertation, il n’a jamais été question pendant longtemps d’envisager qu’il soit l’occasion d’engager de véritables négociations. Jusqu’alors, l’idée de la possible négociation du plan de sauvegarde figurait tout au plus dans l’article L. 321-6 qui en mentionnait l’éventualité (39). Le législateur était d’ailleurs demeuré très prudent à cet égard en 2003. L’importance de la mesure ne saurait donc être mésestimée. Il est vrai que des négociations relatives au contenu du plan de sauvegarde ont déjà eu lieu en pratique, mais les avis demeuraient partagés tant une telle évolution portait en elle “un changement radical de logique” (40). Que les organisations syndicales soient, aux côtés de l’employeur, parties prenantes dans la rupture des contrats de travail constitue en effet une étape audacieuse, d’autant que l’équilibre du droit des licenciements a toujours été précaire (41). Ici toutefois, les transformations qui traversent le droit de la négociation collective – notamment depuis 1982 – expliquent pour partie que le 308 cap soit aujourd’hui plus résolument franchi. L’évolution s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement plus général où la négociation consiste de plus à plus à rechercher “une gestion optimale des ressources humaines” (42). En ce sens, les implications symboliques des dispositions introduites par l’article L. 320-3 ne peuvent être minimisées. En tout état de cause, les accords de méthode n’ont plus pour caractéristique essentielle “de ne pas (...) porter sur le fond des problèmes” (43). La loi convie à l’avenir la négociation à orienter et à prédéterminer l’intégralité du processus du licenciement économique, visant à la fois la phase de formation du plan et les mesures qui devront être envisagées à cette occasion. En d’autres termes, les négociateurs sont invités à fixer avec le plus grand degré de prévisibilité possible les allures du licenciement lorsque le risque se réalisera. Les accords conclus dans de telles conditions ont finalement pour objet de déterminer à l’avance les mesures et les opérations qui seront mises en œuvre lorsque le projet de licenciement se concrétisera. C’est en quelque sorte à des négociations de programmation du licenciement auxquelles le troisième alinéa donne finalement naissance. B. Programmation négociée du licenciement et nouveaux types d’accords 13 - La négociation peut certes être engagée “à chaud”, mais elle peut également se tenir en dehors de tout projet précis de licenciement. La circulaire du 26 février 2003 relative à la loi du 3 janvier 2003 incitait déjà à le penser (44), et l’absence de toute limitation de durée pour les accords à venir (45) corrobore l’analyse. Voici donc une négociation dont la finalité est bien de prévoir, de programmer le licenciement et les mesures qui seront mises en place à cette occasion. L’expression ”accord-programme” pourrait ainsi servir à caractériser de manière générique le fruit d’une telle négociation. Quelques types d’accords appartenant à cette nouvelle catégorie sont alors susceptibles d’être envisagés. On peut imaginer la conclusion d’un accord faisant naître une obligation de négocier les mesures d’accompagnement, et qui détermine la procédure et les thèmes de la négociation sans que les données précises (37) Plus largement sur ce point, v. F. Favennec-Héry, Loi Borloo : une nouvelle approche de la modification, SSL, n° 1198, 17/01/05, p. 9 ; v. également la contribution d’I. Meyrat au présent numéro p. 296. (42) M.-A. Souriac et G. Borenfreund : “La négociation collective entre désillusion et illusions”, op. cit., p. 222. (38) P.-H. Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005..., op. cit., p. 401. Plus vastement, les accords de GPEC pourraient bien, selon certains auteurs, absorber les PSE anticipés : v. F. Favennec-Héry, Loi Borloo : une nouvelle approche de la modification, op. cit., spéc. p. 11. (44) Selon l’administration “l’engagement d’une procédure de licenciement collectif pour motif économique n’est pas un préalable à la négociation et à la conclusion d’un accord de méthode” ; le texte est reproduit dans l’étude consacrée par la Semaine Sociale Lamy aux accords de méthode : V. supplément n° 1152, op. cit., p. 74, spéc. p. 75/77. (39) V. G. Couturier, Le choix conventionnelle, op. cit., p. 8. de la procéduralisation (40) P. Lokiec, Contrat et pouvoir, LGDJ 2004, p. 260/262. (41) G. Lyon-Caen, Le droit du travail une technique réversible, Dalloz, coll. Connaissance du droit, 1995, p. 51 et s. (43) G. Couturier, “Le choix conventionnelle”, op. cit., p. 6. de la procéduralisation (45) V. P.-H. Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005..., op. cit., p. 401. 26/07/05 10:16 Page 309 du licenciement ne soient encore précisément connues. Ces accords – pour employer des vocables déjà usités en d’autres domaines (46) – pourraient être désignés sous les appellations “accords préparatoires” du licenciement ou bien encore “accords de principe”. Il s’agirait de les définir comme l’engagement conventionnel d’ouvrir une négociation et de la poursuivre en vue d’aboutir à la conclusion d’un accord de sauvegarde de l’emploi, dont l’objet n’est encore déterminé que de façon partielle ou en tout cas insuffisante pour que l’accord soit définitivement formé (47). Ici, l’expression “accord de sauvegarde” – qui fait écho à celle de “plan de sauvegarde” reflétant quant à elle le caractère unilatéral de l’acte – nous semble susceptible de restituer l’origine négociée des mesures d’accompagnement du licenciement (48). Cependant, la négociation n’affecte pas nécessairement la nature juridique du plan. Elle peut aussi consister – en dehors de tout projet précis de licenciement – à esquisser par voie d’accord les mesures d’accompagnement que l’employeur devra soumettre au comité d’entreprise lorsque le projet de licenciement se précisera. En ce cas, c’est en quelque sorte “un accord partiel” qu’il s’agit ici de conclure. Une définition peut également en être proposée : c’est l’accord par lequel l’employeur s’oblige à proposer des mesures d’accompagnement avant même que les conditions précises du licenciement ne soient connues. Quelles que soient les dénominations choisies, quelques questions peuvent en tout état de cause être brièvement évoquées. 14 - Lorsque le projet de licenciement se précise, quel est le sort des prérogatives du comité d’entreprise quand a été conclu un accord posant le principe de la négociation des mesures d’accompagnement ? On pressent que la procédure d’information et de consultation pourrait être absorbée par la négociation (49). De manière plus prosaïque, la question de la sanction en cas de violation d’un tel accord peut aussi être posée. Ici, le fondement de l’obligation de négocier étant conventionnel, une condamnation à des dommages et intérêts est envisageable. On peut également imaginer l’hypothèse dans laquelle un accord de sauvegarde de l’emploi a été conclu sans que les (46) Plus largement sur la période précontractuelle : v. F. Terré, P. Simler et Y. Lequette, Droit des obligations, précis Dalloz, 7e éd., p. 167 et s. (47) D’après I. Naajar, L’accord de principe, D. 1991, chron. XIII, p. 57. (48) P. Morvan évoque l’idée de “plan de sauvegarde de l’emploi conventionnel” in “Le droit du licenciement pour motif économique après la loi de cohésion sociale”, Travail et Protection sociale, février 2005, n° 2, p. 8, spéc. p. 11. (49) Plus vastement sur cette question, v. la contribution de P. Rennes dans ce numéro p. 311 ; comp. E. Gayat p. 349 spéc. p. 352. (50) Soc. 27 oct. 2004, RJS 1/05 et l’avis de J. Duplat p. 19. ; v. aussi nos observations in Dr. Ouv. mai 2005 p. 10. garanties conventionnelles prévues par l’accord de principe concernant le déroulement de la négociation n’aient été respectées. En d’autres termes, c’est la régularité de l’accord de sauvegarde qui serait ici en cause. En ce cas, il n’est pas interdit de soutenir que la sanction pourrait être la nullité. En effet, la chambre sociale – en matière de révision – n’a t’elle pas récemment admis l’anéantissement d’un avenant conclu en violation du préavis conventionnel (50) ? Les implications d’une telle solution sur les licenciements prononcés en application d’un accord irrégulier devront alors être envisagées. De plus en ce cas, la contestation ne porterait pas sur l’accord de principe lui-même mais sur l’accord précisément conclu en violation de cet accord de principe. Si bien qu’il n’est pas certain que les délais d’action en contestation des accords visés par le troisième alinéa de l’article L. 320-3 puissent être invoqués pour contenir cette hypothèse de contentieux (51). Bien d’autres questions peuvent encore être posées. Ainsi, les mesures d’accompagnement du licenciement étant susceptibles de figurer dans un accord collectif, ses rapports avec des règles conventionnelles conclues au niveau de la branche – virtuellement supplétive – devront être précisés. On songe par exemple aux indemnités conventionnelles de licenciement. De même, la question du rôle des organisations syndicales signataires dans l’exécution des mesures pourrait également soulever des difficultés, tout comme d’ailleurs celle de la recevabilité de l’action en inexécution formée par une organisation syndicale non-signataire de l’accord. Plus généralement, il n’est donc pas certain que la fixation négociée des mesures d’accompagnement aide la sécurité juridique recherchée par le législateur (52). 15 - D’ailleurs dans l’hypothèse plus classique où les mesures sociales siègeront dans l’acte unilatéral de l’employeur, des questions sont également susceptibles d’être posées. En effet, si l’on envisage l’hypothèse de l’”accord partiel” – au sens où nous l’avons entendu plus haut – des difficultés pourraient bien apparaître. Dans cette hypothèse, l’accord fixe les mesures d’accompagnement que l’employeur doit soumettre au comité d’entreprise (51) Plus généralement, sur le flou qui entoure les hypothèses dans lesquelles les dispositions relatives aux différents délais des actions en contestation sont ou non applicables ; v. P.-H. Antonmattéi, Accords de méthode, génération 2005 : la “positive attitude”, op. cit., spéc. p. 402. V. également les réflexions de P. Bouaziz dans ce numéro p. 368. (52) Il est tentant de transposer ici une observation déjà formulée à propos de la loi du 4 mai 2004 : “la complexité, les hésitations et incertitudes qui traversent les dispositions nouvelles n’annoncent en tout cas aucun recul des juges et de leur rôle, en une époque où pourtant il est devenu courant de le réclamer” : v. A. Lyon-Caen, “La révision du droit de la négociation collective. Observations de méthode” in “La négociation collective à ‘heure des révisions” ; op. cit., p. 1, spéc. p. 6. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 303-310 Doctrine Nadal 309 303-310 Doctrine Nadal 26/07/05 10:16 Page 310 lorsque le projet de licenciement s’est précisé. Quelle est sa force contraignante ? Il est en effet permis de s’interroger en cas d’inobservation par l’employeur de ses obligations en raison de la transformation inattendue et sensible du contexte dans lequel intervient finalement la procédure de licenciement. En d’autres termes, quel est le sort des licenciements prononcés en application d’un plan de sauvegarde qui ne comporte pas tout ou partie des mesures prévues initialement par l’accord collectif ? Ce dernier est-il coercitif ou seulement indicatif ? Le problème ne manquera pas d’être soulevé. A prolonger l’analyse qui se dégage d’un arrêt relativement récent de la chambre sociale, il n’est en effet pas certain que la validité du plan puisse être mise en cause (53). Plus généralement d’ailleurs, on reste dubitatif sur la myopie de telles négociations, puisqu’elles se tiennent dans l’ignorance des conditions précises dans lesquelles le licenciement sera effectivement projeté par l’employeur (54). Aussi, il peut être souhaitable que les conditions de la révision de l’accord soient précisément déterminées, de sorte à encadrer les modifications qui pourraient intervenir lorsque l’élaboration du plan sera effectivement engagée. La régularité de la modification des mesures initialement prévues n’est en effet pas détachable du bien-fondé des licenciements qui seront finalement prononcés (55). 16 - Plus vastement, le point de savoir si la dérogation à l’article L. 321-4-1 est possible doit également être évoqué. On peut soutenir qu’en dépit du silence du Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 (53) L’allusion concerne l’hypothèse de la violation d’un engagement sur l’emploi pris dans le cadre d’une première restructuration et ses incidences sur le plan de sauvegarde arrêté à l’occasion d’une seconde restructuration : v. les observations de O. Leclerc sous Soc., 25 nov. 2003, D. 2004, somm. comm., p. 389 ; J. Savatier in Droit Social, 2004, p. 166 ; I. Omarjee, La violation d’un engagement unilatéral en matière d’emploi, D. 2004, comm., p. 2395 ; RJS 2/04, n° 196 ; Dr. Ouv. 2005 p. 41 n. M.-F. Bied-Charreton. 310 (54) “Voilà une raison de plus d’appeler les négociateurs à la vigilance” : v. M. Cohen, Le fonctionnement du comité d’entreprise et les licenciements économiques après la loi du 18 janvier 2005, Droit Social 2005, p. 394, spéc. p. 396. (55) Pour une étude synthétique des solutions dégagées par la jurisprudence en cas de modification du plan de sauvegarde : v. S. Béal et A. Giroud, Modification du plan de sauvegarde de l’emploi, JCP, Entreprise et affaires, n° 9 du 3/03/05, Pratique, n° 356, p. 361. (56) Circ. DGEFP 2003/03 du 26 février 2003, Bull. off. min. trav. 2003/6, p. 73. (57) En ce sens, V. P-H Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005..., op. cit., p. 401. (58) Il était en effet indiqué dans la circulaire que lorsque les dispositions de l’accord de méthode prévoyaient des réunions quatrième alinéa de l’article L. 320-3, la dérogation aux dispositions légales sur le plan de sauvegarde est prohibée, comme l’indiquait d’ailleurs la circulaire (56) relative à la loi du 3 janvier 2003 (57). Toutefois, il est utile de rappeler que sur d’autres questions, les préconisations administratives n’ont pas toujours emporté l’adhésion des juges du fond (58). Si bien que les négociations sont désormais en capacité d’agir sur la substance du droit du licenciement, et l’étendue de la dérogation aux normes légales relatives à la teneur du plan demeure incertaine (59). Or, la mesure de la dérogation à l’article L. 321-4-1 n’est pas sans conséquences sur le sort des licenciements (60). On pressent ainsi que le contentieux de la nullité risque fort d’être sensiblement affecté par les nouvelles dispositions. 17 - Certes, les hypothèses que nous avons envisagées sont susceptibles de n’en rester qu’au stade de la pure fiction. La pratique pourrait – quant à elle – s’avérer féconde. Mais ce nouvel élargissement du domaine du négociable (61) n’en comporte pas moins le risque d’une détérioration sensible de la protection des salariés en cas de licenciement collectif. “Mauvais arrangements mieux vaut que bon procès” : appelées – sans s’asservir – à œuvrer dans les relations de travail pour la conciliation des intérêts plutôt qu’à soutenir leur confrontation judiciaire, les organisations syndicales sont donc une nouvelle fois chargées d’une tâche bien difficile. Sophie Nadal en nombre supérieur par rapport aux dispositions légales, les conditions de validité étaient alors celles du droit commun. Pour les magistrats de Nanterre toutefois, la double condition de validité est applicable lorsque l’accord est plus favorable que la loi : TGI Nanterre, 19 décembre 2003, RJS 6/04, n° 674. (59) Pour une analyse de la question dont il ressort que “le contenu du plan est ouvert à la négociation mais avec un objet qui reste encadré” : v. F. Favennec-Héry, Le PSE dans la loi Borloo : prévention, négociation, “sécurisation”, in La loi de programmation pour la cohésion sociale, Les petites affiches, 31 mars 2005, n° 64, p. 39, spéc. p. 42. (60) F. Favennec-Héry s’interroge : “La nullité de la procédure et du licenciement subséquent telle que prévue à l’article L 321-4-1 du code du travail s’applique-t-elle à un plan de sauvegarde de l’emploi négocié ? N’est-ce pas remettre en cause la finalité première des accords de méthode qui est de sécuriser la procédure?” in Le PSE dans la loi Borloo : prévention, négociation, “sécurisation”, op. cit., p. 42. (61) Sur les ambiguïtés du rôle de la négociation collective qui, plus qu’elle ne corrige le déséquilibre des relations de travail, semble de plus en plus contribuer à l’affermissement des pouvoirs de l’employeur, v. M.-A. Souriac, Pouvoir et convention collective, in “Le pouvoir du chef d’entreprise”, sous la direction de J. Pélissier, coll. Thèmes et commentaires, Dalloz, 2001, p. 53. 311-321 Doctrine Rennes 26/07/05 10:17 Page 311 DOCTRI NE D’un débat majeur à un accord mineur (à propos de l’article L. 320-3 du Code du travail) par Pascal RENNES, Directeur honoraire du travail “On dit souvent d’un fleuve qui emporte tout qu’il est violent mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent” B. BRECHT PLAN “Hecha la ley, hecha la trampa” (la loi à peine faite, voilà qu’on la I. Les comités d’entreprise en question tourne), ce dicton espagnol s’applique souvent en droit du travail. Les A. La montée en puissance des comités d’entreprise... de la loi du 17 janvier 2002 et la jurisprudence qui l’avait précédée par deux B. Une pente glissante en vue directions d’entreprise ont ainsi manœuvré pour contourner les dispositions moyens principaux : – elles ont massivement déguisé des suppressions d’emploi en II. De l’unilatéral discuté au déguisement contractuel étouffant licenciements individuels (1) ou en modes de rupture divers et variés (2) ; – elles ont en même temps cherché à neutraliser les moyens A. L’accord sur des libertés collectives d’intervention des comités d’entreprise en obtenant des accords sécurisant B. Les effets indirects des accords type L. 320-3 d’accord de méthode, d’une promotion médiatique considérable. les opérations de restructuration, accords qui ont fait l’objet, sous le nom On le rappelle (3) simplement, la nouvelle majorité s’est empressée de suspendre ou abroger les principales avancées de la loi de modernisation sociale et de légaliser ces pratiques patronales (la trampa) en poussant à l’expérimentation pour tenter d’influer sur le contenu de la négociation interprofessionnelle programmée pendant cette période transitoire. Sans tenir compte des raisons de l’échec des négociations ni des positions de l’ensemble des confédérations syndicales, la loi du 18 janvier 2005 entérine cette fois “définitivement” (4) la plupart des exigences du MEDEF et certaines propositions du rapport De Virville (5). Aucune évaluation du contentieux sur les restructurations et les procédures d’information consultation des comités d’entreprise n’est produite (et pour cause) pour justifier la loi (6), comme si le législateur, fébrile, s’emparait de la moindre jurisprudence pour en anéantir les effets. concernant la fixation de l’ordre du jour des différentes réunions du comité : un contentieux réduit à quelques décisions isolées et pourtant une réforme source de difficultés nouvelles (7). (1) Les nouveaux usages du licenciement pour motif personnel, DARES, premières synthèses, Dr. Ouv. 2003, p. 511. (2) A. Chirez, “Ruptures déviantes”, Dr. Ouv. 2004 p. 2001 ; M. Bonnechère, “Licenciements économiques : la procédure, garantie fondamentale des droits des salariés”, Dr. Ouv. 2004, p. 493. (3) Voir notamment à propos de la loi du 3 janvier 2003 et des accords de méthode, Dr. Ouv., 2003 p. 358. (4) Et jusqu’à nouvel ordre ! (5) M.-F. Bied-Charreton, “A propos du rapport De Virville : Un projet de réfection du droit du travail libéral”, Dr. Ouv. 2004, p. 161 ; P. Rennes, “Sécurité pour les uns, risques pour les autres”, Dr. Ouv., 2004, p. 164. (6) cf. l’étude statistique sur dix ans de contentieux social d’E. Serverin et B. Munoz Perez à paraître. (7) cf. C. Baumgarten p. 327 et L. Milet p. 355 dans ce numéro. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 L’exemple le plus caricatural est celui de la modification des règles 311 311-321 Doctrine Rennes 26/07/05 10:17 Page 312 Aucune analyse sérieuse (8) des accords de méthode n’est entreprise pour légitimer leur pérennisation. C’est donc le nouvel article L.320-3 du Code du travail déjà analysé dans son ensemble par la contribution de Sophie Nadal (9) qui sera à nouveau ici examiné mais sous deux angles particuliers : la mise à l’écart des attributions des comités d’entreprise et de l’institution elle-même qui a été assez fréquemment relevée par de nombreux auteurs (10) mérite qu’on en mesure la portée (I). Au-delà et s’agissant particulièrement des restructurations on s’interrogera sur ce nouveau type de contractualisation combinée des droits de représentation collective des travailleurs et de l’emploi (II). La préoccupation qui est ressortie assez fortement de la journée organisée en hommage à Gérard Lyon-Caen (11) irriguera ces réflexions : le droit du travail devrait garantir les conditions d’un débat contradictoire et équilibré au sein de l’entreprise comprise comme lieu de pouvoirs et d’intérêts divergents entre personnes morales ou physiques fort diverses et inégales. Cette inégalité reconnue impose que l’État prescrive des règles impératives dont le juge puisse contrôler l’effectivité ou sanctionner l’inapplication. Pour mobiliser ces règles et ces arbitres, la forme de représentation des travailleurs et la nature de leurs droits d’intervention sont essentielles (12) à un équilibre créateur (13). ■ I. Les comités d’entreprise en question ■ Il n’est certes pas aisé d’apprécier correctement Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 l’évolution des modes de représentation et d’intervention 312 préoccupe que très peu d’analyser l’évolution de chaque institution et encore moins celle de leur place relative. collective dans l’entreprise. La représentation des salariés La lente éviction des délégués du personnel est est partielle (14), elle passe par différents canaux ou nettement perceptible. Les directions d’entreprise se sont institutions dont il faut mesurer l’implantation, la place et ingéniées à déconsidérer leur rôle en renvoyant l’efficacité relatives, les rapports entretenus avec les systématiquement leurs réclamations vers la négociation travailleurs, les directions... Quelques juristes à l’occasion annuelle obligatoire avec les délégués syndicaux (17). La de réformes et notamment autour des lois Auroux de loi dite quinquennale pour l’emploi (18) a autorisé les 1982, ont relevé les modifications dans le système patrons d’entreprise de moins de 200 salariés à imposer français de représentation collective, représentant élus avec des moyens réduits le cumul des mandats d’élu d’un côté et représentants syndicaux désignés dans comités d’entreprise et de délégué du personnel ; et l’entreprise depuis 1968. Ce n’est que très récemment dans toutes les entreprises les délégués du personnel seulement que la DARES a entamé un travail conséquent sont maintenant élus pour deux ans à la même date que d’appréciation du fonctionnement de ce système dual les élections du comité d’entreprise. Ainsi, les délégués (15). du personnel pourtant fort prisés par les salariés comme L’approche historique de Jean-Pierre Le Crom apporte moyen de recours de proximité sont très nettement mis une mine de renseignements (16), mais ne se de côté. Seule réforme positive pour eux en vingt ans, le (8) Le constat de la DGEFP-FNE de septembre 2004 intitulé : “Accords de méthode, bilan d’étape” est une description aseptisée énumérant les rubriques figurant dans les accords ; pour une analyse critique, cf. A. Macudzinski, “Examen critique de huit accords de méthode”, SSL, 19 janvier 2004, n° 1152 p. 26. (9) supra p. 303 ; add. E. Gayat infra p. 349. (10) M. Cohen, “Le fonctionnement des comités d’entreprise et les licenciements économiques après la loi du 18 janvier 2005”, Droit social, p. 394. (11) Les actes de cette journée, 13 mai 2005, organisée par l’AFDT, seront publiés prochainement aux éditions Dalloz. (12) G. Lyon-Caen, “A la recherche des concepts de base du livre IV du Code du travail (réalités et illusions)”, études offertes à J.-M. Verdier p. 85. (13) S. Jamy a réalisé fin 2004 (avant l’adoption de la loi du 18 janvier 2005) un gros travail de réflexion sur les accords de méthode dans le cadre d’un mémoire de DEA sous la direction de G. Borenfreund à Paris X. Qu’elle soit remerciée ici d’avoir bien voulu m’en donner connaissance. (14) G. Lyon-Caen, précité. (15) Direction de l’Administration de la recherche des études et de la statistique du ministère du Travail. L’enquête “Réponse”portant sur les relations sociales dans 3000 entreprises ou établissements (1997-2002) a apporté des renseignements précieux pour les juristes souvent trop marqués par le reflet parcellaire de la jurisprudence. Cette enquête “Réponse” redémarre en 2005 de façon plus ambitieuse et moins dépendante des seuls employeurs. Les salariés vont cette fois être interrogés. (16) J.-P. Le Crom, L’introuvable démocratie salariée. Le droit de la représentation du personnel dans l’entreprise (1890-2002), 2003, Ed. Syllepse. (17) G. Borenfreund, L’action revendicative au niveau de l’entreprise, le rôle des délégués du personnel et des délégués syndicaux, thèse Paris X, Nanterre. (18) Loi du 20 décembre 1993 dite loi quinquennale pour l’emploi. P. Rennes, “La représentation et l’intervention des salariés entravées par la loi quinquennale”, Dr. Ouv., 1995, p. 1. 26/07/05 10:17 Page 313 droit d’alerte qui en fait des défenseurs des libertés et de la dignité des travailleurs (19). Par contre chacun a pu constater un essor certain des pouvoirs et du poids que peuvent représenter les comités d’entreprise actifs. Ce n’est qu’assez récemment (20) que leurs attributions, leur fonctionnement sont ouvertement remis en cause, mais c’est bien sûr au moment où ils arrivent à une certaine maturité, où leur expérience, leur influence pouvaient déjà se faire sentir sur les comités de groupe ou même les comités d’entreprise européens en mal d’attributions efficaces et de modèle. gestions patronales et la réflexion patronale” (24) avec l’obligation faite aux employeurs de penser leurs actions. C’est lors de la suppression du contrôle administratif préalable des licenciements économiques que des “garanties de procédures de substitution” (25) ont été instaurées faisant des comités d’entreprise une sorte de moyen de recours qui les contraindra assez souvent d’agir en justice pour tenter d’influer sur les choix patronaux, de les faire modifier. A partir de là effectivement, ces procédures d’informations et de consultations vont devenir des moyens d’intervention, imposer leur respect constituera directement ou indirectement un élément non On rappellera d’abord rapidement comment s’est progressivement construite cette compétence des comités avant d’aborder la tentative de phagocytage de cette institution représentative du personnel. négligeable du rapport de force pour obtenir la prise en A. La montée en puissance des comités d’entreprise... s’apparentent à un certain contrôle du pouvoir patronal. “Les comités d’entreprise ont vite pris une sorte de caractère représentatif unilatéral et de ce point de vue ont fonctionné en marge des textes qui les régissaient” (21). Conçu comme organe de participation, de coopération dans l’entreprise par l’ordonnance du 22 février 1945, qui prévoyait seulement l’information sur la marche de l’entreprise, le comité d’entreprise se voit attribuer un droit d’être consulté par la loi du 16 mai 1945, et donc celui de donner un avis exprimant les besoins des travailleurs, avis différent, voire opposé à celui de l’employeur dont les tribunaux ont mis fort longtemps à admettre qu’il ne pouvait se consulter lui-même et encore moins voter à cette occasion (22). C’est l’article L. 431-4 issu de la loi du 28 octobre 1982 qui va entériner cette mission “d’assurer l’expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans la gestion de l’entreprise” (23). Jean-Marc Béraud souligne que le comité d’entreprise “permet de relever le niveau des (19) L’article L.422-1-1 issu de la loi du 31 décembre 1991 adoptée à la suite du rapport de G. Lyon-Caen sur les libertés dans l’entreprise, leur permet de saisir directement le bureau de jugement du Conseil des prud’hommes. Voir notamment M. Keller, note sous CPH Créteil 28 novembre 2003, Dr. Ouv. 2004, p. 292. (20) On notera pourtant que des accords sur les droits syndicaux ou les “relations sociales” dans des grandes entreprises, accords passés il y a quinze ans maintenant, instauraient des organismes conventionnels nettement concurrents des comités d’entreprise du type “cellule de veille économique”, “groupe de concertation permanente”. P. Rennes, “Accords, droits et pratiques en matière syndicale”, Analyses et documents économiques, nos 50, p. 67 et 51, p. 19. (21) J.-M. Béraud, “Autour de l’idée de constitution sociale de l’entreprise” in Analyse juridique et valeurs en droit social, Etudes offertes à J. Pélissier, Dalloz, 2004, p. 59. (22) Soc. 2 février 1978, D. 1978 IR 383, observations de J. Pélissier. (23) A propos de cet article L.431-4 sur la personnalité juridique des comités d’entreprise représentant les intérêts des salariés (et non compte des intérêts des salariés, quelques fois une négociation refusée jusque-là. Ces attributions d’information et de consultation L’acte unilatéral de décision est encadré de procédures, d’obligation de transparence pour les mesures envisagées, d’explication des motifs. Les règles de procédures saisissent le pouvoir en tant que tel, l’unilatéralisme des décisions qui doivent être “raisonnées”, dont le motif doit être examiné avec le respect du “contradictoire” (26) d’une consultation efficace, influente. Elles visent à organiser un débat et à en assurer l’effectivité (27). Ainsi la jurisprudence et les réformes successives ont renforcé les possibilités de contrôle en temps utile, d’examen avant la réorganisation, de la réalité et de la faisabilité des plans sociaux (28), de la prise en compte des propositions alternatives, par exemple en matière d’adaptation reclassement, création d’activités nouvelles (29). Phases de consultation (30), ordre des consultations (comité d’établissement – comité central), délais, etc. ont été précisés pour rendre compréhensibles les informations, efficaces, utiles les débats internes. Il faut donc du temps pour que les membres du comité d’entreprise puissent appréhender “l’intelligence de la les salariés eux-mêmes) : Antoine Lyon-Caen, “Le comité d’entreprise, institution de représentation du personnel”, Dr. Ouv. 1986, p. 355. (24) précité. (25) C’est le terme utilisé dans l’accord interprofessionnel du 20 octobre 1986 (non signé par la CGT), accord repris et amélioré par la loi du 30 décembre 1986. (26) P. Lokiec, Contrat et pouvoir, Bibl. de droit privé, 2004, LGDJ. (27) E. Lafuma, Des procédures internes. Contribution à l’étude de la décision de l’employeur en droit du travail, thèse Paris X, Nanterre 2003, p. 115. (28) A. Lyon-Caen, “Note sur le pouvoir de direction et son contrôle”, Mélanges dédiés au président M. Despax, PU de Toulouse, 2002, p. 95. (29) Soc. 28 novembre 2000, Bull. civ. V n° 131. (30) Délais souples pour avoir un effet utile pour les informations et consultation de L. 432-1 ou le débat alternatif de L. 431-5, délais plus étroits et stricts pour le livre III, L. 321-3. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 311-321 Doctrine Rennes 313 311-321 Doctrine Rennes 26/07/05 10:17 Page 314 restructuration” (31), formuler avis et propositions alternatives et obtenir des réponses motivées. C’est pourquoi le juge ne sera, peut être pas si souvent que cela (32), mais en tout cas de façon sensible, saisi pour suspendre une procédure, ordonner de recommencer telle ou telle phase, voire annuler une procédure (33). Pour caractériser cette montée relative en puissance des comités d’entreprise dans leur intervention en amont en matière de licenciement économique Antoine Lyon-Caen écrivait : “Le droit du licenciement économique ne saisit pas un acte juridique, le licenciement, il saisit le processus qui peut conduire à un tel acte” (34). Au moment où les comités d’entreprise, institutions représentatives des intérêts des salariés, acquièrent une “forte personnalité” et mettent en œuvre leurs attributions d’intervention dans les choix de gestion, ils trouvent moins grâce aux yeux des directions. Cette instance élue, qui a des comptes à rendre tous les deux ans au moins devant les salariés devient trop incertaine, procédurière. Ainsi les yeux des Chimène patronales se tournent-ils depuis une dizaine d’années au moins vers les délégués syndicaux plus isolés et divisés, plus centralisés souvent (35). La formule “L’accord dessaisit le comité d’entreprise et lie le juge”, revendication brutale du Medef lors des débats sur la “refondation sociale”, n’a pas été reprise dans la position commune du 16 juillet 2001 ni reproduite sous cette forme ramassée dans le rapport de la commission De Virville, ou dans les quarante-quatre réclamations du Medef du printemps 2004, mais ces deux catalogues patronaux se sont ingéniés à en répartir la teneur dans plusieurs propositions d’apparence moins grossière (36). Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 L’échec des négociations prévues par la loi provisoire du 3 janvier 2003 n’empêche pas la reprise du dispositif par la loi du 18 janvier 2005 qui accentue la domestication des comités d’entreprise par la voie d’accords d’entreprise. Cette mise sous tutelle réclamée largement par les juristes 314 patronaux (37) est perçue (ou rêvée) par d’autres comme une chance de pilotage syndical (38) des restructurations. B. Une pente glissante en vue “Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps utile, à des consultations avec les représentants des travailleurs en vue d’aboutir à un accord” (39). Cette formulation de “consultations, en temps utile en vue d’aboutir à un accord” paraît avoir été renversée (40) par le législateur français de 2005 avec cet article L. 320-3. L’accord peut porter d’emblée sur les conséquences, le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi et faire abstraction des procédures d’information et de consultation qui n’ont pas encore été mises en œuvre et n’ont pu produire d’influence utile (40 bis). Alors l’impasse est implicitement faite sur la discussion des motifs, sur les justifications des projets de restructuration ou de réorganisation et donc aussi sur la discussion de propositions alternatives et la modification (l’effet utile) des projets qu’on pourrait en attendre (41). Le comité d’entreprise se voit imposer une feuille de route, un téléguidage sans tenants mais avec aboutissants. Sa “personnalité” est ainsi fortement atteinte, puisque lui sont assignés tant les fins, qu’une apparence de moyens, mais aussi les dates, les délais, les ordres du jour (42). On connaît l’importance des délais dont le respect est souvent une source de conflits qualifiés par la presse propatronale de procédures dilatoires, aggravant la situation de l’entreprise, etc. Or, les délais ont un impact sur la qualité des expertises, sur la pertinence des propositions alternatives et leur prise en compte appuyée par la mobilisation des travailleurs (43). En fait, les accords passés sous le couvert de L. 320-3 intitulés accords de méthode dans le langage courant (44) reposent sur un présupposé. Une campagne (31) A. Lyon-Caen, “Le comité d’entreprise et les restructurations”, Droit social, 2004, p. 287, v. les obs. de H. Tourniquet supra p. 288. (40) G. Lyon-Caen, Le droit du travail : une technique réversible, Dalloz Connaissances du droit, 1995. Le ministre du Travail, G. Larcher l’a-t-il lu ? (32) E. Serverin, précité. (40 bis) En matière d’effet utile, v. TGI Paris 10 oct. 2003 et TGI Nanterre 1er août 2003, Dr. Ouv. 2004 p. 390 n. M. Bonnechère. (33) M.-F. Bied-Charreton, “Quand le plan social devient l’accompagnement d’une violation par l’employeur d’un engagement de limiter le nombre des licenciements économiques…”, Dr. Ouv. 2005, p. 41 et Soc. 25 novembre 2003, Dr. Ouv. 2005, p. 43. (34) A. Lyon-Caen, “La procédure au cœur des licenciements économiques”, Dr. Ouv. 2002, p. 161. (35) P. Rennes, “Accords et pratiques en matière de droit syndicaux”, préc. ; add. C. Sachs-Durand “La légitimité syndicale dans l’entreprise”, Dr. Ouv. 1993 p. 39. (36) Sur le rapport De Virville, voir note 5. (37) J. Barthélémy, H. Landier “La réforme de la négociation collective”, Les petites affiches, novembre 2003, p. 20. (38) T. Grumbach, “Redonner aux syndicats le pilotage de la négociation sur l’emploi”, SSL n° 1152, p. 17. (39) Article 2-1 de la directive de 98/59 CE du 28 juillet 1998. On retrouve cette chronologie par exemple dans la directive transfert d’entreprise : consultation, puis éventuel accord ou dans celle du 11 mars 2002 art. 4 § 4e. (41) “La prise en compte permanente de leurs intérêts (article L. 4314) suppose un effet sinon décisionnel du moins influent” ; A. Lyon-Caen, “Le comité d’entreprise, institution de représentation du personnel”, préc. (42) La nouvelle formulation de l’alinéa 2 de l’article L. 434-3 permet à un président de comité d’entreprise d’invoquer un accord prévu par l’article L.320-3 pour imposer unilatéralement l’ordre du jour de réunion. Cf. C. Baumgarten p. 327 et L. Milet p. 355 dans le présent numéro. (43) Pour avoir participé aux négociations précédant l’accord du 20 octobre 1986, je me souviens du temps passé à marchander sur les délais. Entre 1986 et 1989, les tribunaux ont par ailleurs fixé des délais efficaces, supplémentaires en cas de recours aux expertises. La loi du 2 août 1989 a admis le principe mais encadré très strictement ces avancées jurisprudentielles. (44) Cf. S. Nadal dans le présent numéro p. 303 spéc. p. 307 sur l’adéquation de cette appellation. 26/07/05 10:17 Page 315 patronale relayée par divers porte voix s’est évertuée à judiciaire. Les insuffisances des droits des comités qualifier les droits d’intervention des comités d’entreprise d’entreprise pouvaient expliquer et accentuer le recours à de procédures tatillonnes, de chemin de croix ubuesque. l’arbitrage des juges (50) ; là, la mise sous tutelle des Ces formalités paralysantes, obligeraient les employeurs comités d’entreprise ampute leur capacité réelle à agir en qui ont arrêté en catastrophe leurs projets de les habiller justice (51). des formes requises par les livres IV et III pour tenter de rendre leur opération inattaquable (45). Il a été soutenu ici ou là qu’il pouvait y avoir une contrepartie à cette mise à l’écart des comités Alors, il est aisé pour le ministre Fillon ou son d’entreprise (52). Les droits des comités d’entreprise successeur Larcher de soutenir qu’en fait ces accords (de seraient monnayés contre une amélioration des mesures méthode) ne toucheront pas aux droits des comités et indemnités accompagnant les suppressions d’emploi, d’entreprise mais aménageront la forme, la procédure les départs volontaires. Ce marché est conclu avant tout (46). Il s’agit d’une supercherie. On minimise la portée début de procédure. L’aveu est de taille et correspondrait des droits en vigueur pour imposer un système illusoire au souci de syndicats peu combatifs d’être d’une certaine de substitution. façon reconnus en croyant être partie prenante d’une Après la patiente construction des droits des comités d’entreprise, leur utilisation concrète, leur respect précisé négociation de restructuration améliorant l’indemnisation des salariés licenciés. et sanctionné par le juge, personne ne peut soutenir que La loi du 18 janvier 2005 accentue la mise sur le bas l’on peut séparer les modes d’intervention des comités côté des comités d’entreprise par plusieurs dispositions. d’entreprise de leur attribution puisqu’il n’y a ni La plus remarquée parce c’est une suppression sans codécision, ni veto, ni même avis conforme. En débat ni motif d’un petit verrou qui figurait dans la loi du organisant une sorte de pilotage automatique (47) 3 janvier 2003 et qui avait déjà fait l’objet de discussions l’accord autorisé par l’article L.320-3 place le comité dans l’avant projet de fin 2002, c’est la consultation du d’entreprise sur un fauteuil roulant qui ne maîtrisera ni comité d’entreprise préalable à la conclusion d’un accord vitesse, ni direction, ni temps d’arrêt. (de méthode). L’avant projet de loi de 2002 comportait Le comité d’entreprise peut ainsi être contraint de même la condition de l’avis conforme du comité suivre la feuille de route initiale quels que soient les d’entreprise (53). Malgré cette suppression, personne ne contestations, les découvertes, les solutions, les aléas soutient que le comité d’entreprise ne doit plus être rencontrés accéléré. consulté : “Dommage de marginaliser ainsi le rôle du Anne Macudzinski souligne qu’il y a systématiquement comité d’entreprise dans une situation où la négociation dans les accords, mise en place d’institutions, de porte essentiellement sur les modalités d’information et commissions ad hoc et “paritaire” mâchant les livres IV et de consultation de ce dernier” s’apitoie P.-H. Antonmattei III sous une forme que le comité d’entreprise est appelé (54). sur le parcours lui-même à déglutir dans des délais records (48). L’absence de précision sur les modalités de Le travail efficace que peut faire un comité d’entreprise négociation des accords dans l’article L. 320-3 renvoie au est ainsi neutralisé par ces méthodes, mais au-delà ce droit commun des accords (55). Là encore on n’entoure sont les conditions de la saisine du juge qui sont visées d’aucune garantie spéciale la conclusion de tels accords (49) : le comité d’entreprise n’aura pas pu préparer portant sur les droits des comités d’entreprise, exit la sérieusement les moyens de l’éclairage du débat condition de majorité “d’acquisition” de la rédaction (45) B. Brunhes, “Le droit du licenciement collectif : les humeurs d’un praticien”, Dr. soc. 2005, p. 41. (46) S. Jamy, mémoire de DEA, p. 34 sous le titre : l’assimilation des règles de procédure à des règles de forme par l’employeur. (47) T. Grumbach, art. préc. (48) Précité note 8. (49) cf. C. Baumgarten p. 327, H. Tourniquet p. 288 et P. Bouaziz p. 368 dans le même numéro. (50) Rappelons que le contentieux est pourtant beaucoup moins important en quantité que les retentissements qu’il entraîne. E. Serverin, précité. (51) La sécurisation est bien une voie unique réservée aux employeurs. Le problème a largement été évoqué dans “Sécurité juridique, revirements de jurisprudence, pouvoirs des juges, beaucoup de bruit pour peu de choses ?” Dr. Ouv. 2005, p. 137 et P. Rennes, “Sécurité pour les uns, risques pour les autres”, Dr. Ouv. 2004, p. 164. (52) De nombreux accords comportent des clauses d’interdiction de dénonciation anticipée ou d’engagement à ne pas agir en justice pendant la durée de l’accord, ces clauses douteuses sont proposées par les cabinets de consultants pour mieux vendre les accords. (53) Ce verrou selon de mauvaises langues aurait été retiré sur demande de la CFDT. On va se mettre à regretter les formulations de la loi du 3 janvier 2003 et pourtant cf. P. Rennes, “L’emploi hors la loi”, Dr. Ouv. 2003, p. 363. (54) P.H. Antonmattei, “Accord de méthode, génération 2005 : la positive attitude”, Dr. soc. 2005, p. 400. Ces larmes de crocodile sont aussitôt suivies d’un réconfort : la pratique montre que des CE sont associés aux négociations où on leur propose de se faire hara-kiri et plus de 10 % cosignent (sic) ces accords selon le bilan d’étape DGEFP-FNE, préc. (55) Cf. S. Nadal dans le présent numéro p. 303. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 311-321 Doctrine Rennes 315 311-321 Doctrine Rennes 26/07/05 10:17 Page 316 précédente. Il faudra pour les syndicats combatifs trouver une majorité d’opposition. Le mode d’adoption des accords d’entreprise est, depuis la loi du 4 mai confié aux négociateurs de branche. A notre connaissance, un an après la loi, c’est le statu quo. L’absence d’accord de branche perpétue l’accord minoritaire et dérogatoire s’agissant même des prérogatives d’ordre public des comités d’entreprise (56). Un ajout cette fois, les syndicats d’entreprise probablement trop liés aux comités d’entreprise vont se voir coiffés par des accords de groupe fixant au-dessus des comités d’entreprise et même des comités centraux d’entreprises, des entreprises du groupe (ou du champ d’application retenu par les négociateurs de groupe) les modalités de consultations, etc. Le niveau du groupe paraît, là, devenir un niveau hiérarchique nouveau contrairement à ce qui était indiqué dans la loi du 4 mai 2004 (57). Enfin des dispositions des plus ambiguës peuvent fragiliser les comités d’entreprise, mais aussi leur permettre de résister. En effet, l’alinéa 2 de l’article L. 320-3 mérite certainement un examen attentif quand il indique ce que doit fixer l’accord : les conditions dans lesquelles le comité d’entreprise est informé et réuni alors que l’alinéa 1 évoque les modalités d’information et de consultations applicables seulement en cas de licenciement économique de plus de dix salariés. Et puis à l’alinéa 4 figure une liste limitative de dérogations (in pejus) interdites dans laquelle est mentionné l’article L. 431-5 qui lui, ne concerne pas spécialement un projet de licenciement de plus de dix salariés (58). Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Ainsi, l’on se trouve en face de larges possibilités de dérogations, mais liées à l’existence d’un projet de licenciement économique et d’une liste d’interdictions de déroger très restreinte. Il va falloir redoubler de vigilance pour combattre toutes dispositions dérogatoires non liées directement à un licenciement projeté de plus de dix salariés, et pour empêcher qu’il soit dérogé à l’occasion d’un projet de licenciement de plus de dix à des 316 (56) G. Borenfreund, “Les syndicats et l’exigence majoritaire dans la loi Fillon du 4 mai 2004” in la négociation collective à l’heure des révisions, Dalloz 2005 (Thèmes et commentaires). (57) M.-A. Souriac, “L’articulation des niveaux de négociation”, Dr. soc. 2004, p. 569. (58) Ainsi les accords triennaux obligatoires prévus par l’art. L. 320-2 ne devraient pas comporter de dispositions dérogatoires. Cf. dans ce numéro l’étude p. 322 de T. Katz et p. 343 celle de M.-F. Bied-Charreton. dispositions qui ne concernent pas, notamment dans le livre IV, les licenciements proprement dit et bien au-delà du seul article L.431-5. La vigilance s’impose aussi en ce qui concerne les accords sur les droits syndicaux ou plus généralement sur le dialogue social et les institutions représentatives du personnel. En effet des dérogations “autorisées” ne doivent pas indirectement porter au-delà de leur objet strict. Par exemple, la modification des délais séparant des réunions ne peut pas conduire à réduire les délais dont dispose l’administration pour formuler des observations, ou des délais dont l’expert doit pouvoir disposer (59). Au terme de cet examen rapide de la mise à l’écart des comités d’entreprise on n’aperçoit pas de rééquilibrage, ni même de renforcement des prérogatives syndicales (60) pour faire face aux projets patronaux de restructuration. On n’aperçoit pas de déplacement des attributions des comités d’entreprise vers la représentation syndicale désignée. On donne seulement aux syndicats le pouvoir de neutraliser les comités d’entreprise. Alors dans cette réforme, il s’agit probablement d’autre chose. Le patronat a pris conscience qu’il ne pouvait pas aussi facilement que cela instrumentaliser les comités d’entreprise sensibles à la mobilisation des salariés. Même des comités d’entreprise peu combatifs peuvent, poussés par les événements, se “réveiller” à chaud et utiliser leurs prérogatives légales à un moment où la procédure semblait se dérouler tranquillement (61). Les employeurs, les dirigeants de grands groupes se tournent vers leurs interlocuteurs syndicaux pour instaurer une espèce de droit “interne” à l’entreprise ou au groupe. Les interlocuteurs en question n’ont pas plus de poids, ne sont pas moins isolés, ou plus représentatifs (ou légitime qu’avant) ou moins divisés. C’est donc à “droits constants” qu’une certaine mutation est opérée, même mesure de représentativité, même règles faibles de la négociation collective pour les conclusions d’accords, etc. (59) Cf. E. Gayat infra p. 349. (60) On est à l’opposé même des souhaits exprimés il y a longtemps par G. Lyon-Caen, “Critique de la négociation collective”, Dr. soc. 1979, p. 350 et plus récemment note 11 supra. (61) Les petites explosions sociales, très médiatisées, proviennent souvent d’entreprises qui ont tablé sur la léthargie des représentants du personnel pour restructurer ou délocaliser assez brutalement. La surprise du recours à la loi, à l’action judiciaire, notamment en référé est d’autant plus grande. 311-321 Doctrine Rennes 10:17 Page 317 II. De l’unilatéral discuté au déguisement contractuel étouffant ■ La négociation collective même et peut être surtout après la loi du 4 mai reste un droit très peu réglementé. Pour le niveau de l’entreprise notamment, le législateur a généreusement délégué aux négociateurs de branche le pouvoir d’ouvrir ou non le champ de la dérogation aux conventions collectives et de fixer le mode d’adoption des accords d’entreprise (62). Toute autre est (était ?) la rigueur avec laquelle la loi et la jurisprudence ont précisé les règles de fonctionnement et du débat au sein des comités d’entreprise (63). niveau de la branche. Le Conseil constitutionnel n’y a vu qu’une façon de faciliter des modalités d’application de la loi (67). Dans la plupart des cas auparavant, il fallait pourtant que ces accords de branche soient eux-mêmes étendus pour que la dérogation soit autorisée. L’article L. 320-3 autorise les négociateurs à conclure directement au niveau de l’entreprise des accords dérogatoires portant non plus sur la réglementation du travail, les conditions de travail mais sur les droits de représentation collective et sur l’emploi. Au fil des ans ces garanties de procédure (64) sont venues compenser à la fois la suppression du contrôle administratif préalable des licenciements économiques et l’absence de pouvoir de codécision du comité d’entreprise. En fait, le législateur permet aux représentants syndicaux (au niveau où ils sont le plus faible) de modifier attributions et droits d’intervention de représentants du personnel élus. Autrement dit, il s’agit pour le législateur de déléguer à la négociation collective la mise en œuvre de ce qu’il est convenu d’appeler le principe de participation. Avec les lois des 3 janvier 2003 et 18 janvier 2005 un glissement rapide s’opère : le contournement des dispositions légales et souvent d’ordre public régissant une institution représentative élue est organisé et sa mise en œuvre est confiée aux négociateurs syndicaux d’entreprise ou de groupe. D’un semi-contrôle indépendant de décisions unilatérales et des obligations qui en découlent, on passerait à l’association des représentants des salariés à des décisions prises en dehors d’eux (65), ou à une certaine forme de codécision très en aval des opérations de restructuration. Plutôt que refondre ouvertement les droits des comités d’entreprise, opération à gros risque politique, le législateur a préféré avancer masqué et livrer, déléguer aux syndicats et aux employeurs au plus bas niveau (celui de l’entreprise) (66) le soin de copiloter une institution représentative. C’est après avoir examiné la portée de cette conventionnalisation des droits de représentation du personnel (A) que l’on tâchera de caractériser ces nouveaux accords (B). A. L’accord sur des libertés collectives On sait que la loi du 4 mai 2004 a “descendu” au niveau de l’entreprise l’autorisation de déroger à la loi dans les matières qui étaient réservées avant au seul (62) G. Lyon-Caen, “A propos d’une négociation sur la négociation”, Dr. Ouv. 2001, p. 1 ; F. Saramito, “Le nouveau visage de la négociation collective”, Dr. Ouv. 2004, p. 445. (63) M.-A. Souriac, “Négociation collective et consultation du comité d’entreprise”, Action juridique CFDT, n° 119, p. 3. (64) A. Lyon-Caen, “La procédure au cœur du licenciement pour motif économique”, Dr. Ouv. 2002, p. 161. (65) J.-M. Béraud, “Autour de l’idée de constitution sociale de l’entreprise“, préc. p. 55. (66) Ou aussi au niveau stratégique (pour les directions) du groupe comme on l’a vu en première partie. Le niveau de la branche est aussi mentionné à l’alinéa 1 de l’article L. 320-3, mais peut-être dans le but d’imposer des modalités dérogatoires dans les Pourtant les deux principes fondamentaux “de droit des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail et d’emploi et de participation à la gestion par l’intermédiaire de leur délégué” (68) sont d’égale valeur constitutionnelle et leur mise en œuvre relève pour l’un et l’autre de l’article 34, c’est-à-dire du domaine de la loi. De nombreux auteurs déjà cités ont pressenti ou souligné les risques d’émiettement, d’anarchie, d’inégalités considérables entre travailleurs que comportait la loi du 4 mai 2004 en matière de droit de la négociation collective qui dépend maintenant essentiellement des négociateurs de branche (69). Avec la loi du 18 janvier 2005 c’est une liberté publique, le droit de représenter les intérêts du personnel, qui est livrée à la négociation. Au-delà, une institution représentative disposant de la personnalité juridique, une personne morale exprimant une certaine homogénéité des intérêts (70) voit son autonomie, sa liberté subordonnées, conditionnées, modifiables par un accord passé entre des contractants qui sont des tiers par rapport à elle. Que le législateur se décharge sur l’autonomie collective de la responsabilité d’élaborer un système entreprises pourvues de comités d’entreprise mais inhabitées syndicalement. (67) Sur l’article 43 et la nouvelle donne pour les accords d’entreprise, cf. M.-A. Souriac, “Quelle autonomie pour la négociation collective à l’heure des révisions”, in La négociation collective à l’heure des révisions, Dalloz 2005 (Thèmes et commentaires) p. 98. (68) Alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946. (69) Notamment M.A Souriac, G. Lyon-Caen, F. Saramito précités ; voir aussi M. Bonnechère, “La loi, la négociation et l’ordre public en droit du travail, quelques repères”, Dr. Ouv. 2001, p. 411. (70) A. Lyon-Caen, “Le comité d’entreprise, institution de représentation du personnel”, préc. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 ■ 26/07/05 317 311-321 Doctrine Rennes 26/07/05 10:17 Page 318 favorisant un équilibre des pouvoirs est plutôt préoccupant (71). Que cela puisse se produire, notamment à propos des procédures d’information et de consultation lors de restructurations et de menaces pour l’emploi paraît encore plus grave. Cette disponibilité de libertés collectives et les risques d’émiettement du droit de participation et d’inégalité entre les salariés n’ont pas été soulevés dans les saisines du Conseil constitutionnel ni pour la loi du 4 mai 2004 ni pour celle du 18 janvier 2005. Si bien que les recours muets sur la question et formés à la légère servent plutôt à valider sans contrôle constitutionnel ces deux lois. Le juge judiciaire permettrat-il aux comités d’entreprise, titulaires en somme du principe de participation de résister à leur mise sous tutelle ? D’autant plus que le Conseil constitutionnel avait seulement admis à propos de la loi du 3 janvier 2003 une possibilité pour les partenaires sociaux d’expérimentation des modalités du principe de participation (72). Ainsi le comité d’entreprise risque de subir un accord formé entre des tiers. Ni les délégués syndicaux, ni même et encore moins les employeurs ne représentent le comité d’entreprise. Ils ne devraient pas pouvoir imposer des modes de fonctionnement à une institution représentative majeure, sauf bien sûr s’il s’agissait de pouvoirs plus importants ou plus favorables (73) pour les salariés représentés sinon pour le comité d’entreprise luimême. Certains auteurs, à propos des accords sur les droits syndicaux évoquent les questions soulevées par l’effet relatif des contrats et les limites de la stipulation pour autrui (74). Ici, dans les accords passés en fonction de L. 320-3, accords dérogatoires, le comité d’entreprise n’est pas un tiers “bénéficiaire” de la stipulation pour autrui (75), il n’est même plus consulté. L’accord ne fait pas naître un droit mais des obligations, des contraintes, des limites à l’autonomie. L’avis conforme du comité d’entreprise n’est pas requis, son acceptation de la stipulation, de l’obligation est indifférente. Il y a là Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 (71) C’est déjà une inquiétude exprimée par G. Borenfreund, “La licéité des accords collectifs relatifs au droit syndical et à la représentation du personnel”, Dr. soc. 1992, p. 893. 318 (72) Dans sa décision du 6 novembre 1996, le Conseil constitutionnel avait admis une telle latitude si les modalités négociées étaient au moins égales à la loi. (73) Depuis longtemps, la loi pour chacune des IRP a autorisé l’adoption de clauses plus favorables aux salariés. L. 426-1 ; L. 434-12 ; L. 412-21 du Code du travail. (74) G. Auzero, Les accords d’entreprise relatifs aux droits syndicaux et à la représentation du personnel, Thèse Université Montesquieu Bordeaux IV, notamment la deuxième partie p. 248-255. Peut-être qu’à l’époque de cette étude (1997) les accords ne portaient pas sur les institutions représentatives du personnel, mais plutôt sur les crédits d’heures, les conditions de déplacement des élus. Toujours est-il que l’auteur effleure la question de la stipulation pour autrui sans considérer qu’un CE est un tiers, une personne morale distincte. (75) Sauf à considérer qu’il se trouve déchargé de ses responsabilités. exception à l’effet relatif des contrats et l’acceptation par le bénéficiaire, condition indispensable à la validité de la stipulation pour autrui, disparaît en fait de façon fort discutable (76). Sans la mentionner, d’autres auteurs perçoivent cette difficulté quand ils écrivent qu’à défaut d’accord passé au sein des comités d’entreprise, un accord de méthode comportant des assouplissements procéduraux et des contreparties indemnitaires dépouillera le comité d’entreprise de l’objet même de sa consultation (77). Mais ici, aucun doute, les dérogations sont considérées comme défavorables sans contrepartie. Le législateur de 2003 avait requis une condition de majorité “d’acquisition” comme forme de garantie. Cette garantie minimale, on l’a vu, a été abandonnée au profit jusqu’à nouvel ordre d’une éventuelle mise en œuvre du droit d’opposition (78). La distinction des règles de forme et des garanties des salariés lors des débats parlementaires ou dans les circulaires ministérielles permet de minimiser l’atteinte ainsi portée aux droits collectifs, en fait aux droits de se défendre. La loi ne mentionne plus la nécessaire consultation du comité d’entreprise sur l’accord. La jurisprudence EDF (79) et les arrêts dans le même sens (80) accentuant l’autonomie des accords qui “vivraient leur propre vie” contribuent à marginaliser les comités d’entreprise. S’agissant d’accords portant sur des droits d’intervention des comités d’entreprise et sur des matières au cœur même des compétences du comité d’entreprise, s’agissant le plus souvent de décisions unilatérales “habillées” sous forme d’accord, on conçoit mal que le juge appelé à vérifier quelques principes d’information et de consultation un tant soit peu efficaces, ne persiste pas à ordonner des mesures provisoires ou des remises en l’état nécessaires ; à moins que décidément se mette en place subrepticement un système de suprématie de l’accord d’entreprise en matière de droits collectifs qui (76) Cass. civ. Ire 8 décembre 1987, Bull. civ. n° 343, p. 246, D. 1989, Som. com. p. 233, obs. J.-L. Aubert. (77) F. Favennec-Héry, “Restructuration : le rôle de la négociation collective”, Dr. soc. 2004, p. 282. (78) Dont les difficultés et l’aspect négatif sont soulignés de façon concise par M. Dumas, “Droit d’opposition et application de l’accord majoritaire”, NVO 8 octobre 2004, p. 9. (79) D. Boulmier, “La navette sociale”, Droit Ouv. 1998, p. 350 avec en annexe p. 353 l’arrêt Soc. 5 mai 1998. Cf. aussi D. 1998 jur. p. 608, obs de G. Auzero. (80) Soc. 19 mars 2003 Cervac Bull. n° 105. On ne feindra pas d’ignorer l’intérêt que nombre de commentateurs ont accordé à cet arrêt de la Chambre sociale. Cette tendance perceptible de la Chambre sociale à la “sécurisation” des accords si chère au Medef réjouit beaucoup d’entre eux. Un commentaire plus nuancé de Laurent Gamet et cet arrêt sur la validité des accords au regard des attributions légales des comités d’entreprise figurent dans le bulletin Joly Sociétés de juin 2003, p. 676 et suivantes. 26/07/05 10:17 Page 319 “dessaisirait le comité d’entreprise et lierait le juge”. Le risque est réel, mais est-il limité à ce rapport inégalitaire entre représentation syndicale et institution représentative du personnel élue ? Les accords dérogatoires de l’article L. 320-3 ont d’autres significations pour les syndicats eux-mêmes et pour les salariés. B. Les effets indirects des accords type L. 320-3 On s’accorde à relever que, surtout depuis la loi du 18 janvier les accords passés sous couvert de l’article L. 320-3 ne peuvent plus porter l’appellation usuelle d’accord de “méthode” (81) puisqu’ils peuvent aussi concerner l’emploi en précisant dès leur signature des mesures de mobilité professionnelle et géographique, et en déterminant les conditions de négociation d’un plan de sauvegarde de l’emploi et même le contenu. Ces accords peuvent donc contenir, on l’a vu (82), un plan de vol rigoureux pour les comités d’entreprise, c’est-à-dire des dispositifs contraignants pour les comités d’entreprise mais aussi des dispositions concernant directement les salariés (83). Ces accords sont donc hybrides portant à la fois sur le droit collectif et sur les situations individuelles des salariés, les conditions de leurs départs de l’entreprise et même de l’indemnisation accompagnant leur départ. Ainsi la négociation va pouvoir mélanger les décisions de restructuration ou de réorganisation, les obligations en matière d’information consultation des comités d’entreprise et les mesures individuelles. Mais la grande nouveauté va résider dans le fait que les représentants des travailleurs ne vont plus être membres d’une instance élue, majeure, ayant ses attributions de “contrôle” spécifique des décisions unilatérales (84) de l’employeur en matière de restructuration. Dorénavant et de façon brutale, sans droits nouveaux, les délégués syndicaux vont passer à une “négociation intégrative dans l’ordre du pouvoir” (85) en lieu et place d’une négociation acquisitive apportant des améliorations aux conditions de travail individuelles des salariés. Cette négociation décolle pour une élévation vers le pouvoir (86) en matière de réorganisation, de technologie, du (81) Cf. S. Nadal p. 307. (82) Voir supra. (83) Les mesures de mobilité, d’adaptation, de flexibilité, etc. impliquent souvent des modifications de conditions essentielles du contrat de travail entraînant des propositions d’avenants. Cf. I. Meyrat dans le présent numéro p. 296. (84) Même enrobées sous forme d’accord. (85) La formule de J.-M. Béraud, préc. est particulièrement évocatrice. (86) Ibid. (87) Cf. T. Katz p. 322 et M.-F. Bied-Charreton p. 343 dans le présent numéro. (88) T. Grumbach, “Redonner aux syndicats le pilotage de la négociation sur l’emploi”, SSL n° 1152, p. 17. Malgré de nouveaux efforts de lecture on ne parvient pas à saisir en quoi temps de travail, de gestion prévisionnelle de l’emploi (87) sans qu’il s’agisse d’un pouvoir de codécision un tant soit peu situé en amont. En somme les syndicats risquent fort d’être instrumentés pour à la fois phagocyter les comités d’entreprise qui ont montré quelques capacités de résistance et d’autonomie et pour servir de vecteur avalisant les décisions patronales dans des accords collectifs. Une concurrence entre délégués syndicaux et comités d’entreprise est instaurée sans pour autant qu’on ne perçoive en rien les contreparties sérieuses améliorant l’efficacité, le poids des syndicats (88). Les contreparties de ces accords qualifiés de donnantdonnant (89) sont à chercher à la loupe en matière d’emploi, de reclassement, d’indemnisation. De façon sommaire on pourrait considérer que l’opération consiste pour les syndicats à échanger garanties de procédures, délais, droits d’intervention des comités d’entreprise contre la négociation d’un plan de sauvegarde peut-être amélioré. Il s’agirait en quelque sorte de troquer des droits qui permettent d’établir un certain rapport de force contre un accord sur des mesures de reclassement qui elles relèvent d’une obligation sérieuse de moyens à la charge des employeurs, obligation dont le non-respect peut être sanctionné efficacement (90). La contrepartie serait donc la contractualisation d’une obligation légale maintenant bien établie. Ainsi sans vérification préalable puisque ni information ni consultation et expertise n’ont eu lieu, les employeurs peuvent obtenir en gonflant leur projet de suppression d’emplois ou en dramatisant la restructuration décidée, obtenir des concessions en délais, procédures, etc. plusieurs exemples récents illustrent cette technique de chantage, de contrainte forçant la signature (91). Alors l’on perçoit ici ou là des clauses qui, à première vue, apparaissent comme des contreparties pour certains négociateurs syndicaux et les auteurs du bilan établi par la DGEFP (92). Pêle-mêle on trouve l’appel à des prestataires de services en reclassement, des consultants, l’expertise économique payée dès les consultations du Livre IV, des crédits d’heures supplémentaires (93), des échanger du temps contre un coût supérieur pour l’emploi à la charge de l’employeur serait une contrepartie pour qui que ce soit. Les salariés seront licenciés plus vite et donc moins longtemps bénéficiaires d’un salaire. (89) Ce qualificatif existe dans de nombreux accords. (90) F. Héas, Le reclassement du salarié en droit du travail, LGDJ 2000. (91) L’accord de méthode de Bosch France SA est de ce point de vue caractéristique, mais les péripéties Nestlé Perrier sont, elles aussi, caractéristiques. Il ne suffit pas qu’un syndicat majoritaire ne s’oppose pas, il faut qu’il adhère, même si l’accord initial toujours minoritaire, certes, retrouvait sa validité. (92) Préc. (93) En matière de crédits d’heures, par exemple il était couramment admis qu’un projet de restructuration constituait une circonstance exceptionnelle permettant les dépassements. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 311-321 Doctrine Rennes 319 311-321 Doctrine Rennes 26/07/05 10:17 Page 320 systèmes d’information des salariés. Le tout est agencé et utilisé par de nouvelles institutions ou commissions souvent paritaires ad hoc aux noms des plus séduisants. S’agit-il de contreparties, de moyens nouveaux accordés aux syndicats ou bien d’un déplacement des moyens et droits des comités d’entreprise édulcorés vers une institution d’un type nouveau convenu, non issue de l’élection mais qui va pré-digérer dans des délais imposés et records le travail des membres élus des comités d’entreprise. Cette création d’un droit interne (internalisé) adapté, donc a priori efficace pour ses promoteurs (94), modifie la donne. L’accord d’entreprise devient une source officielle du droit, la généralisation de ce qui est présenté au départ comme expérimental pousse à rendre ineffectives, fictives les normes légales, en l’occurrence ici les comités d’entreprise. Alors, la loi devient adaptable, modifiable, contestable. Les grandes entreprises, avec leur puissance, développent cette décentralisation inégalitaire du droit. Leur émancipation par rapport à la loi et aux conventions collectives pose d’autant plus de problème qu’elle est maintenant autorisée au niveau flou des groupes à périmètre flexible (95) très mal maîtrisé par les organisations syndicales (96). L’autorégulation conventionnelle interne aux entreprises cache en fait le développement de décisions autoritaires accompagnées de “compensations” indemnitaires. Dans ce contexte de restructurations, les directions recherchent des interlocuteurs syndicaux qu’elles vont reconnaître, dont elles ont besoin, pour qu’ils apposent leurs signatures, légitimant des décisions contraignantes pour les salariés (97), garantissant ainsi une certaine paix sociale. Les syndicats qui ont négocié ces accords et signé se retrouvent souvent dans la position de défenseurs du processus engagé, y compris lors de contentieux. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Voilà que des contraintes conventionnelles vont pouvoir peser à la fois sur les salariés et une instance de 320 (94) Les petites affiches n° spécial sur les accords de méthode, J. Barthélemy, H. Landier, précité et l’idée n’est pas neuve elle était déjà reprise par J. Barthélemy, “La négociation collective, outil de gestion de l’entreprise”, Dr. soc. 1990, n° 7-8, p. 580. leur représentation majeure, le comité d’entreprise. Les salariés sont en quelque sorte cantonnés dans le système décidé dans l’entreprise, tenus de ne plus en sortir, de ne plus recourir à des arbitrages ou à des contrôles de légalité extérieurs. Les accords on le sait ont vocation à assurer la sécurité juridique des opérations de restructuration. Pour autant l’on peut espérer qu’un accord illégal pourra être annulé et ne produire aucun effet et que la procédure ellemême sera nulle et pas simplement irrégulière (98) et les licenciements eux même annulés, la réintégration ordonnée. Dans le cas contraire, plus les accords sont illégaux, les procédures accélérées, les licenciements rapidement notifiés, la fraude manifeste, moindre serait la sanction. Pour reprendre une expression de M.-A. Souriac, à propos de la loi du 4 mai 2004 (99) “le droit à la négociation en viendra t-il à prendre la forme paradoxale d’un droit à ne pas négocier, à ne pas conclure” (100). La formule est particulièrement adaptée aux dérogations autorisées par l’article L. 320-3, d’autant qu’il est observé que dans l’immense majorité des cas c’est la direction de l’entreprise qui prend l’initiative des accords en question en présentant un projet détaillé soumis aux organisations syndicales. Le souci patronal de paix sociale et judiciaire apparaît comme évident dans de nombreux accords contenant des clauses appuyées sur leur durée. Bien sûr, il est mentionné une obligation d’exécution loyale assortie d’un renoncement à des dénonciations anticipées et à agir en justice pendant la durée de l’accord. De façon plus subtile des mécanismes de conciliation préalable sont instaurés. Comme l’accord porte essentiellement sur les droits d’intervention des comités d’entreprise, ces accords semblent leur imposer le respect de ces clauses. Ces renoncements contractualisés ne sont pas opposables aux syndicats non-signataires (100 bis) et encore moins aux comités eux-mêmes (101). Mais l’effet pour des comités d’entreprise qui voudraient par (95) B. Teyssié, “Les conventions et accords collectifs de groupe”, Les Petites affiches n° 97, p. 59. si l’employeur a obtenu un accord expéditif, les licenciements ouvriraient seulement droit à des dommages-intérêts au titre de l’article L. 122-14-4, alinéa 3. Alors qu’en réponse à des questions J. Barthélemy, sans faire autant de manières, estime qu’ils doivent être annulés purement et simplement. Interview SSL 2004 n° 1152, p. 36. (96) Les comités de groupes aux compétences et droits embryonnaires et lents ne représentent pas une force complémentaire alors que le couple syndicat-CE bien organisé peut être pertinent. D. Boulmier, “La navette sociale”, précité. (99) Et notamment au regard de l’article L. 132-23 alinéa 4 qui autorise les négociateurs d’entreprise à déroger aux accords de branche si ceux-ci ne l’interdisent pas. P. Rennes, “Alertez les fédérations”, Options, magazine de l’UGICT-CGT, n° 465, p. 9. (97) Les revues spécialisées de management se sont fait l’écho des difficultés créées par la restructuration, y compris pour les salariés non visés encore par les mesures de mobilité, etc. (100) M.-A. Souriac, “L’articulation des niveaux de négociation”, Dr. soc. 2004, p. 589. (98) P.-H. Antonmattéi (précité) n’est pas très sûr de lui et tente de distinguer selon que le processus est encore en cours ou achevé. Selon lui, dans le premier cas, la procédure et les projets de licenciement pourraient être seulement suspendus et (100 bis) F. Saramito “Les droits des organisations syndicales non signataires”, Dr. Ouv. 2003 p. 1. (101) Cf. note 70 et les limites de la stipulation pour autrui. 26/07/05 10:17 Page 321 exemple contester les irrégularités de consultation, de réunion, peut être désastreux compte tenu des délais très courts que la loi fixe pour exercer ces recours. contractuel au débat organisé. Il y a une différence aussi entre une pseudo codécision et une confrontation productive. Les mesures de mobilité géographique et professionnelle décidées dès le début (avant la procédure des Livres IV et III), couplées avec l’individualisation des propositions de modifications des contrats (102) et les divers modes de rupture négociée (103), analysés dans de nombreux accords couvrent en fait toutes sortes de manœuvres et de pressions individuelles désarmant chaque salarié peu en capacité d’évaluer à l’avance le sort qu’il ne découvrira que plus tard (104). Le comité d’entreprise peut éclairer, informer, améliorer l’action des syndicats pour la négociation et en vérifier les effets pour les salariés. L’action revendicative, syndicale peut vivifier, enrichir l’intervention des comités (109). Ce système dual syndicat-comité d’entreprise mérite un renforcement sérieux, mais avec les délégués du personnel et le CHSCT il constitue, garantie par la loi, une chance pour une intervention diversifiée des salariés. Accords de sécurisation juridique et de paix sociale vont paradoxalement peut-être amener les entreprises à retrouver le chemin du Livre III qu’elles ont contourné massivement depuis dix ans (105) pour ainsi éviter les requalifications et les réintégrations efficaces de salariés victimes de ruptures en tous genres cachant des suppressions d’emplois sans plan de sauvegarde de l’emploi (106). On sait maintenant que la confusion des genres dans le système dual de représentation des salariés est le lot habituel des représentants fragiles et peu syndiqués (107). Représenter les intérêts des travailleurs ne veut pas dire engager les membres de groupe dont les intérêts ont été exprimés (108). Il y a une grosse différence entre les passerelles, la complémentarité syndicat-comité d’entreprise instaurées au fil des temps par les syndicats combatifs, la jurisprudence, la loi, et la substitution de l’accord La substitution des genres amorcée par la loi du 18 janvier, expérimentée dans des situations de faiblesse syndicale, est conceptualisée dans les propositions de conseil d’entreprise du rapport De Virville ou dans les nombreux écrits de J. Barthélemy et autres (110) prônant un contrat collectif. Les droits des comités d’entreprise ont connu une évolution lente, mais certaine, appuyée sur les besoins, façonnée par les luttes, la jurisprudence et la loi à plusieurs reprises. La loi de modernisation sociale avait apporté quelques précisions utiles et un certain pouvoir contraignant au débat alternatif (111) assorti d’un arbitrage extérieur possible au moins pour les grands licenciements. Des recours nouveaux étaient peut-être à la portée des salariés. Ne pas le rappeler laisserait entendre qu’il faudrait s’adapter à l’air du temps (112), renoncer à contrebalancer le pouvoir patronal et donc consentir à accompagner les restructurations. Pascal Rennes (102) I. Meyrat dans ce numéro p. 296. (107) C’est un constat de l’enquête Réponse DARES, précitée. (103) Soc. 2 décembre 2003, Dr. Ouv. 2004, p. 237, note F. Héas dans l’arrêt Crédit Lyonnais, l’accord collectif mentionnant ces départs paraît avoir “moralisé” la négociation individuelle de la rupture. (108) A. Lyon-Caen, article Dr. Ouv. 1986, préc. (104) Le délai de douze mois de l’alinéa 2 de l’article L. 321-16 oblige à une réaction d’autant plus rapide que beaucoup de salariés vont être pris dans le circuit transitoire des conventions “personnalisées” de reclassement pendant un certain temps, alors que ce délai court depuis la notification du licenciement. Cf. H. Tourniquet supra. (105) Cf. note 1. (106) CA Versailles (6e Chambre), 9 novembre 2004, Dr. Ouv. 2004, p. 497 n. M. Bonnechère. Alcatel et ses filiales ont pratiqué des plans sociaux “au black” tolérés par certains syndicats. Mais les limites semblent avoir été atteintes. (109) G. Lyon-Caen est revenu à maintes reprises sur le potentiel d’efficacité de ce couple et les spécificités de chacune des institutions et cela déjà dans l’article “Critiques de la négociation collective”, précité. (110) Le numéro de novembre 2003 des Petites affiches est particulièrement parlant. L’on perçoit même une défiance avec l’idée de négociation au sein d’une instance élue, les auteurs cherchent une représentation ad hoc de la communauté des travailleurs capables de passer des contrats synallagmatiques. (111) A. Lyon-Caen, “Le comité d’entreprise et les restructurations”, Dr. soc. 2004, p. 289. (112) L’air du temps annoncé pour les 100 jours est lourd de nouvelles menaces pour le droit du travail. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 311-321 Doctrine Rennes 321 322-326 Doctrine Katz 26/07/05 15:15 Page 322 DOCTRI NE La négociation sur l'emploi à l’épreuve du nouvel article L. 320-2 du Code du travail par Tamar KATZ, Docteur en droit, Avocate au Barreau de Paris PLAN I. Bref retour sur la GPEC et sur la contribution de la négociation collective A. La "gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences", précision terminologique B. La contribution de la négociation collective à la mise en place d'une GPEC L ogé au cœur d’un chapitre préliminaire du titre II, livre III du Code du travail intitulé “Gestion de l’emploi et des compétences. Prévention des conséquences des mutations économiques”, entre des dispositions relatives à des formalités administratives et celles pérennisant les accords dits de méthodes, le nouvel article L 320-2 institue une obligation triennale de négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Désormais, les entreprises et les groupes d’entreprises (1) (au sens de l’article L 439-1 du Code du travail) occupant au moins 300 salariés ainsi que dans les entreprises ou groupes de dimension communautaire (au sens II. Négociation sur la GPEC et négociation du contenu du plan de sauvegarde de l'emploi : quelle construction conventionnelle de la notion d'emploi ? A. Vers une porosité de la ligne de partage entre gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences et plan de sauvegarde de l'emploi ? B. D'une définition qualitative de l'emploi à une définition quantitative de l'emploi de l’article L 439-6 al. 2 et 3 du Code du travail) occupant au moins 150 salariés en France, devront négocier tous les trois ans : – sur les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise, sur la stratégie (2) de l’entreprise et ses effets prévisibles sur l’emploi ainsi que sur les salaires ; – sur la mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que sur les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées (la formation, la validation des acquis de l’expérience, le bilan de compétence ainsi que l’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés). Cette négociation pourra également porter sur les matières mentionnées à l’article L 320-3 du Code du travail notamment, sur les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise applicables lorsque l’employeur envisage un licenciement économique de plus de dix salariés ainsi que sur l’anticipation du contenu du plan de sauvegarde de l’emploi. Pourquoi le nouvel article L 320-2 du Code du travail ? Cette interrogation, formulée en des termes radicaux, mérite d’être posée tant au regard du positionnement légal (3) de cette disposition, que de son contenu. En effet, que signifie l’emplacement d’une obligation de négocier sur la Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences entre déclaration 322 préalable à l’embauche, information des résiliations de contrats à l’administration du travail et négociation d’accords de méthodes ? Quant au contenu de cet article, il est tout aussi disparate. Outre le fait que la négociation collective s’empare dorénavant des procédures d’information et (1) Une obligation triennale de négociation sur la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences est également prévue au niveau de la branche par l’article L 132-12-2 du Code du travail. Voir le commentaire de l’article L 320-2, B. Teyssié, “A propos d’une négociation triennale : commentaire de l’article L 320-2 du Code du travail”, Dr. soc. 2005 p. 377. pas illogique. La gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences est étroitement liée aux objectifs de l’entreprise. V. les développements à ce sujet de P. Le Cohu, “Une nouvelle obligation de négocier au niveau de l’entreprise : la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences”, Les Petites Affiches 31 mars 2005, p. 24 plus spécialement, p. 25 et 26. (2) Dans le projet de loi initial, c’était la stratégie elle-même de l’entreprise qui était l’objet de la négociation, ce qui ne paraît (3) Ce positionnement légal n’a pas manqué d’interroger, P. Le Cohu, loc. cit. 322-326 Doctrine Katz 26/07/05 10:18 Page 323 de consultation du comité d’entreprise (4), c’est la possibilité offerte à une négociation unique de porter tout à la fois sur la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), et sur l’anticipation du contenu du plan de sauvegarde de l’emploi qui interroge. La négociation sur la GPEC et celle portant sur le contenu du plan de sauvegarde d’emploi paraissent renfermer deux logiques distinctes de négociation sur l’emploi : l’une qualitative, l’autre quantitative. Tisser un lien entre ces deux logiques ne saurait dès lors être anodin et il semble que soit en jeu, la construction conventionnelle de la notion d’emploi (II). Pour comprendre ce passage d’une logique à une autre, voire ce détournement de logiques, il semble nécessaire de revenir sur la signification de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences ainsi que sur la contribution de la négociation collective en ce domaine (I). ■ I. Bref retour sur la GPEC ■ et sur la contribution de la négociation collective Aussi curieux que cela puisse paraître, ces chose nouvelle. Avant-gardiste, la contribution de la consécrations législatives successives n’avancent aucune négociation collective en ce domaine est décisive. En définition de la GPEC et une précision terminologique effet, l’Accord national interprofessionnel du 10 février s’impose (A). Reste à savoir si la contribution historique 1969 relatif à la “sécurité de l’emploi” reconnaissait déjà de la négociation collective dans ce domaine pourrait la nécessité d’un effort de prévision (5). Ce n’est que être renforcée à l’aune de la nouvelle obligation triennale vingt ans plus tard que l’idée d’une gestion prévisionnelle de négocier (B). de l’emploi intègre le Code du travail avec la loi du 2 août 1989 relative à la prévention économique et sociale des licenciements économiques. Aux termes de l’article A. La “gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences”, précision terminologique L 431-1-1, le comité d’entreprise doit être régulièrement Consacrée par de nombreuses dispositions éparpillées informé de l’évolution des effectifs. Chaque année, dans le Code du travail, la gestion prévisionnelle des l’employeur doit lui communiquer ses objectifs et ses emplois et des compétences n’en demeure pas moins prévisions en termes d’emploi et de qualifications et un “objet largement polysémique” (6), nécessitant une préciser les mesures qu’il compte prendre pour faciliter clarification terminologique (6 bis). l’adaptation des salariés aux nouvelles technologies. Les prévisions d’emploi figurent également parmi les C’est sans doute aux gestionnaires que revient la définition la plus aboutie (7). informations qui doivent être fournies aux délégués Une distinction s’impose d’emblée. La GPEC n’est pas syndicaux lors de la négociation annuelle obligatoire réductible à une gestion prévisionnelle des effectifs. Cette (article L 132-27). Plus récemment, l’article L 934-1 sur dernière, se limite à adapter à l’avance le volume les orientations de la formation professionnelle et l’article d’emploi aux évolutions du marché. Aussi, l’entreprise L 930-1 sur l’adaptation du salarié à son poste de travail, cherche-t-elle à prévoir les effectifs qui lui seront se réfèrent tous deux à la GPEC. nécessaires à court terme et partant, à réajuster le (4) Voir les contributions dans ce numéro de S. Nadal p. 303 et P. Rennes p. 311 ainsi que les observations de E. Gayat sous l’art. L. 320-3 dans la deuxième partie de ce numéro p. 349. (5) Accord national interprofessionnel du 10 février 1969 relatif à la sécurité de l’emploi, Dr. soc., 1969, p. 246. Selon le Préambule de l’accord, “les entreprises doivent jouer leur rôle dans cette politique de sécurité de l’emploi. Dans tous les cas, elles doivent s’efforcer de faire des prévisions de façon à établir les bases d’une politique de l’emploi. Lorsqu’elles entreprennent des opérations de fusion, de concentration (…), elles doivent intégrer dans leurs études préliminaires les incidences prévisibles en ce qui concerne l’emploi et préparer les solutions permettant de réduire les éventuels licenciements notamment par un effort de formation facilitant les mutations internes” ; voir également Y. Delamotte, “L’Accord interprofessionnel sur la sécurité de l’emploi du 10 févier 1969”, Dr. soc. 1969, p. 498. Cet accord a été modifié par un avenant du 21 novembre 1974. (6) C. Gavini, Vers une régulation juridique de l’emploi ? La négociation et l’application des accords de gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences, Thèse Université de Marne La Vallée-Ecole Normale Supérieure de Cachan du 9 janvier 1995, p. 27. Cette thèse a été publiée, sous une forme remaniée, sous le titre Emploi et régulation – Les nouvelles pratiques de l’entreprise, CNRS Ed., 1998. (6 bis) Sur la signification de cette notion, v. infra M.-F. BiedCharreton p. 343. (7) L. Mallet, Gestion prévisionnelle de l’emploi, éd. Liaisons 1994. Voir également, Association “Développement et Emploi”, D. Thierry, Le gestion prévisionnelle et préventive des emplois et des compétences, éd. L’Harmattan 1990 et C. Sauret, “La gestion de l’emploi et des compétences”, Personnel n° 331 mars-avril 1992. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 L’approche préventive en matière d’emploi n’est pas 323 322-326 Doctrine Katz 26/07/05 10:18 Page 324 volume d’emploi par le recours aux licenciements ou aux embauches. B. La contribution de la négociation collective à la mise en place d’une GPEC En revanche, la gestion prévisionnelle et préventive – Si l’Accord national interprofessionnel de 1969 sur la terme qui n’a pas été repris par le législateur – des “sécurité de l’emploi” n’a eu qu’un faible impact, la emplois et des compétences tend à prendre en compte véritable contribution de la négociation collective à la l’ensemble des aspects de la gestion des ressources mise en place d’une GPEC au sein des entreprises humaines : l’emploi, la qualification, le développement remonte aux années quatre-vingt dix. Sous le vocable personnel du salarié, la motivation, la mobilité etc. Il s’agit “accords collectifs relatifs à la gestion prévisionnelle des de prévoir les évolutions de l’ensemble de ces données emplois et des compétences”, la négociation collective afin d’assurer une gestion efficace du facteur travail (8). Ainsi, les entreprises chercheront à anticiper quels s’est en effet emparée de la logique des compétences (10). effectifs devront être mobilisés pour répondre aux Comme cela a pu être remarqué, l’originalité la plus évolutions de la demande, mais aussi la nature des notable de cette négociation résidait dans le fait de emplois nécessaires. La GPEC suppose donc d’adapter les salariés présents dans l’entreprise plutôt que de leur substituer d’autres salariés (9). Il résulte de cette définition que la GPEC invite à distinguer plusieurs étapes successives. La première consiste à dresser un inventaire des emplois existants favoriser “l’émergence d’une articulation entre l’emploi, la formation et la mobilité professionnelle” alors que le cadre légal manquait cruellement de cohérence (11). Ainsi, nombreux étaient les accords qui visaient à appréhender le plus justement possible les évolutions des emplois et des compétences pour favoriser l’adaptation des salariés auxdites évolutions (12). Un exemple topique dans l’entreprise. La seconde tend à identifier les besoins peut être donné avec l’accord Electricité de Strasbourg futurs pour chaque catégorie d’emplois, l’évaluation de pour le développement de l’emploi et une nouvelle ces besoins se faisant non seulement en termes de dynamique sociale (13). Au terme de cet accord, une postes mais également en termes de compétences. Les étude relative à une meilleure connaissance des emplois écarts constatés entre les ressources existantes et les et des métiers actuels ainsi que des évolutions prévisibles besoins futurs seront comblés par des mesures tendant à en fonction des changements techniques et socio- la mobilité et à la formation. culturels devait être entreprise, notamment à travers Retenons ainsi que l’objectif de la GPEC est avant tout préventif. La prévision porte à la fois sur le contenu de l’emploi (nature de l’emploi, évolution des qualifications requises) et sur les compétences des salariés présents dans l’entreprise et occupant les emplois identifiés comme devant évoluer. A cet objectif la négociation collective a fortement contribué. l’élaboration d’un “catalogue des métiers” dans lequel seront décrits les différents métiers et postes. L’entreprise s’engageait également à développer ses connaissances relatives au “portefeuille de compétences parallèlement à l’inventaire des emplois”. Ces dernières années cependant, le nombre d’accords relatifs à la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences conclus est en baisse, ce thème étant à la marge des négociations en faveur de l’emploi (14) qui Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 privilégient la finalité d’emploi (15). 324 (8) Selon l’Association “Développement et Emploi”, la gestion prévisionnelle et préventive de l’emploi et des compétences signifie “la conception, la mise en œuvre et le suivi de politiques et de plans d’actions cohérents visant à réduire de façon anticipée les écarts entre les besoins et les ressources humaines de l’entreprise (en termes d’effectifs et de compétences) en fonction de plans stratégiques et impliquant le salarié dans le cadre d’un projet d’évolutions prévisionnelles”, D. Thierry, op. cit. (9) C. Gavini, op. cit. p. 31. (10) A. Lyon-Caen, “Le droit et la gestion des compétences”, Dr. soc. p. 577, n° 14. Voir également le Bilan de la négociation collective 1992. (11) C. Gavini, op. cit. p. 33. (12) Accord sur l’emploi, la formation et la mobilité du GAN du 23 avril 1990, Liaisons sociales, C3, n° 6377. Dans le même esprit, voir l’Accord du groupe CIC sur l’emploi, la formation et la mobilité du 3 mai 1990, Liaisons sociales, C3, n° 6380 et l’accord sur la gestion prévisionnelle et préventive de l’emploi et des compétences à Groupama Central du 14 avril 1992, Liaisons sociales, C3, n° 6686. (13) Electricité de Strasbourg : Accord du 4 mai 1995 pour le développement de l’emploi et une nouvelle dynamique sociale, Liaison sociales, C3, n° 7342. (14) Selon le Bilan de la négociation collective de 1999, “au fil des ans, [on constate] la faiblesse des dispositions relatives à la reconnaissance des compétences acquises du fait d’actions de formation ainsi que celles relatives à la validation des acquis”, tome II, p. 130. A signaler tout de même, l’accord Philips France signé le 13 avril 1999, Accord-cadre portant sur l’organisation, la durée du travail, la formation et l’emploi, Liaisons sociales, C3, n° 55. (15) A. Lyon-Caen, “L’emploi comme objet de la négociation collective”, Dr. soc. 1998 p. 316. 322-326 Doctrine Katz 26/07/05 10:18 Page 325 Doit-on dès lors voir dans le nouvel article L 320-2 du Code du travail un signe annonciateur du renouveau de l’emploi pourrait engendrer le risque d’une confusion de logiques réduisant la GPEC à une simple gestion des d’une négociation qualitative de l’emploi ? Il est permis d’en douter. Le lien (16) établi par le effectifs. législateur entre GPEC et contenu du plan de sauvegarde ■ II. Négociation sur la GPEC ■ et négociation du contenu du plan de sauvegarde de l’emploi : quelle construction conventionnelle de la notion d’emploi ? La réponse à cette question suppose de revenir sur la La possibilité ouverte par l’article L 320-2 du Code du ligne de partage entre gestion prévisionnelle de l’emploi travail de négocier toute à la fois sur la GPEC ainsi que et plan de sauvegarde de l’emploi (17). Le nouvel article sur le contenu de plan de sauvegarde de l’emploi L 320-2 du Code du travail pourrait bien contribuer à la viendrait ainsi brouiller une ligne de partage déjà brouiller (A). Partant, la construction conventionnelle de malmenée. A. Vers une porosité de la ligne de partage Ces difficultés proviennent sans doute du fait que la GPEC, comme le plan de sauvegarde de l’emploi entre gestion prévisionnelle de l’emploi et s’apparentent à des actes de gestion de l’emploi. Ils ont des compétences et plan de sauvegarde de tous deux pour origine – ou pour cause – la “mise en l’emploi ? cause de l’emploi” (20). Du célèbre arrêt IBM du 12 janvier 1999 (18) on pouvait déduire que la ligne de partage entre plan social (selon la terminologie antérieure) et GPEC était la Néanmoins, alors que la GPEC concerne essentiellement une mise en cause du contenu (21) (transformation) de l’emploi, le plan de sauvegarde de rupture du contrat de travail. La Chambre sociale avait en l’emploi est plus directement la conséquence d’une mise effet considéré que “le projet consistant à rechercher en cause de l’existence (22) de l’emploi (suppression parmi les salariés ceux qui seraient candidats à des d’emplois). mesures n’entraînant pas la rupture du contrat de travail Aussi ne s’agît-il pas d’une gestion identique de (…) constitue une mesure de gestion prévisionnelle du l’emploi. Ce qui est recherché dans la GPEC est le personnel qui ne donne lieu qu’à la consultation prévue maintien du lien d’emploi et, dans cette logique, la mise à l’article L 432-1 du Code du travail”. en cause du contenu de l’emploi se fait de manière Cette solution est pourtant loin d’emporter la préventive et progressive. Elle s’inscrit dans une certaine conviction. En réalité, les incertitudes qui caractérisent la temporalité. En revanche, ce qui est davantage à l’œuvre délimitation des champs respectifs de la GPEC et du plan dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi – de sauvegarde de l’emploi sont anciennes. Et les nonobstant cette appellation – est une gestion de la tentatives de distinction qui ont été entreprises (19), ne perte d’emploi et la mise en cause de l’emploi se fait sont jamais parvenues à totalement les dissiper. habituellement de manière plus brusque. (16) Signe de l’établissement d’un lien fort entre l’obligation triennale de négocier sur la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences et la consécration des accords de méthodes sur le contenu du Plan de sauvegarde de l’emploi est leur regroupement sous un article unique (article 72 devenu l’article 37-2). Les débats parlementaires portent d’ailleurs pour l’essentiel sur les accords de méthodes et leur contenu. Débats Assemblée Nationale J.O. 3ème séance du 2 décembre 2004 p. 10457 et suivantes. (17) V. également la contribution dans ce numéro d’I. Meyrat p. 296. (18) Cass. soc. 12 janvier 1999, Bull. civ. V n° 17. V. Y. Chauvy, “La consultation du comité d’entreprise sur la modification collective des contrats de travail avant licenciement économique”, Dr. Ouv. 1999 p. 427 (19) H.-J. Legrand, “La pertinence du projet de licenciement collectif”, Dr. Ouv. 1994 p. 4. (20) Cette expression est empruntée à H.-J. Legrand, loc. cit., Dr. Ouv. 1994 p. 4 et s. (21) Le contenu de l’emploi signifie une définition des caractéristiques ou propriétés de l’emploi (principales tâches ou fonctions) au sein d’une organisation ou une hiérarchie d’emplois. Ce sont les grilles conventionnelles de classification qui offrent traditionnellement les définitions les plus abouties du contenu de l’emploi ; voir également infra II B. (22) H.-J. Legrand, loc. cit. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 l’emploi n’en serait que plus énigmatique encore (B). 325 322-326 Doctrine Katz 26/07/05 10:18 Page 326 Le nouvel article L 320-2 du Code du travail voudrait pourtant réunir ces deux logiques et ces deux l’élasticité, correspond à l’extension que peut prendre l’emploi selon la façon dont le titulaire occupe celui-ci. temporalités en une seule négociation. Et l’on peut La notion d’emploi gagne ainsi en plasticité, elle légitiment s’interroger sur cette confusion des genres. s’apparente à un “champ de permutabilité” (29) ou Alors que certains pourraient y voir le renforcement de l’objectif de “sauvegarde de l’emploi” (22 bis), faire de la GPEC un prélude (23) aux licenciements pour motif économique s’apparente à un détournement majeur (24) et regrettable de celle-ci. Comme cela a été encore à une “aire de mobilité”. Et, cette malléabilité devrait contribuer à l’objectif du maintien du lien d’emploi. Cette première conception de l’emploi semble, en souligné, si la GPEC contribue sans doute à éviter les revanche, occuper une place résiduelle dans le cadre licenciements, elle ne saurait servir à les préparer (25). d’une négociation portant sur le contenu du plan de Alors qu’une réhabilitation d’une ligne de partage entre GPEC et plan de sauvegarde l’emploi semble possible, c’est la tendance vers une plus grande porosité qui s’affirme. Cette dernière n’est pas sans incidence sur la construction conventionnelle de l’emploi. sauvegarde de l’emploi. Ce n’est plus tant le contenu de l’emploi – à savoir, ses principales propriétés – qui est en cause mais son existence. La négociation ne vise plus, en effet, l’évolution prévisible des caractéristiques des emplois mais identifie les emplois amenés à disparaître. C’est ainsi davantage une conception comptable et B. D’une définition qualitative de l’emploi à une définition quantitative de l’emploi quantitative de l’emploi qui est privilégiée. Certes, l’accord anticipant le contenu du plan de Si l’on admet que la négociation collective contribue à sauvegarde de l’emploi comportera des mesures la construction de la notion juridique d’emploi, celle-ci relatives au reclassement des salariés et pourra même n’est pas toujours conçue de la même manière. “organiser la mise en œuvre d’actions de mobilité L’emploi peut être conçu dans sa teneur. C’est alors professionnelle et géographique au sein de l’entreprise une définition de ses principales propriétés qui sera ou du groupe” (nouvel article L 320-3 du Code du privilégiée. La particularité de la négociation collective sur travail) mais il apparaît que, le succès de ces mesures est la GPEC est d’appréhender l’emploi tout à la fois sous “le étroitement registre des postes” et sous celui des “qualités” (26). Le conceptions de l’emploi qui auraient été retenues dans le registre des postes renvoie aux caractéristiques ou aux cadre négocié de la GPEC. dépendant des définitions et des spécifications des emplois de l’entreprise. Ceux-ci peuvent être définis en référence à un poste singulier de travail décrit en termes de tâches précises ou encore en * * * référence à une “catégorie d’emploi” qui s’apparente à une “agrégations de postes proches” (27). Le registre des qualités, quant à lui, prend en compte les compétences individuelles des salariés, leurs connaissances ainsi que leur expérience. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 comme la différence de chacune des logiques de négociation sur l’emploi. A défaut, l’approche quantitative Cette approche globale permet d’envisager l’emploi de l’emploi risquerait de l’emporter sur l’approche aussi bien dans sa “variabilité” que dans son “élasticité” qualitative, réduisant les partenaires sociaux à de simples (28). La variabilité de l’emploi reflète l’incidence de gestionnaires des effectifs. facteurs liés à l’environnement sur son évolution ; 326 Mieux vaut donc respecter la temporalité intrinsèque (22 bis) C. Radé, “Feu la jurisprudence Framatome et Majorette (à propos de l’article 73 de la loi du 18 janvier 2005)”, publié dans Dr. soc. 2005 p. 386. (23) P. Le Cohu, loc. cit., Les Petites Affiches 31 mars 2005, p. 24. (24) H.-J. Legrand, Intervention en date du 14 avril 2005 à la Commission ouverte de droit social du Barreau de Paris. (25) P. Le Cohu, loc. cit. ; M.-F. Bied-Charreton préc. (26) A. Lyon-Caen, loc. cit. Dr. soc. 1992 p. 573. (27) M.-L. Morin et L. Mallet, “La détermination de l’emploi occupé”, Dr. soc. 1996, p. 660. (28) A cet égard, voir les intéressantes études relatives à “l’emploitype étudié dans sa dynamique (ETED)”. Il s’agit d’une Tamar Katz méthode de gestion susceptible d’ouvrir la voie à une anticipation dans la gestion de l’emploi en même temps qu’à une analyse des liens entre les travailleurs et l’organisation de manière à faciliter la mobilité, v. notamment, “Les analyses du travail : enjeux et formes”, CÉREQ Collection des Etudes, n° 54, mars 1990 ; “La gestion prévisionnelle des compétences : La méthode emploi-type étudié dans sa dynamique (ETED),”, CÉREQ Collection des Etudes, n° 57, décembre 1990, p. 24 et “Questions ouvertes à propos des méthodes d’analyse des emplois et des compétences”, CÉREQ Document n° 126, Cahier ETED n° 1, juillet 1997. (29) H.-J. Legrand, “L’ordre des licenciements ou l’identification du salarié atteint par une suppression d’emploi”, Dr. soc. 1995 p. 243. 327-334 Doctrine Baumgarten 26/07/05 15:16 Page 327 DOCTRI NE Les garanties de procédure issues de la loi Borloo : ordre du jour du comité d’entreprise et délais de recours contentieux par Christophe BAUMGARTEN, Avocat au Barreau de Bobigny PLAN I. De l’écart entre la représentation des employeurs de leur insécurité juridique et la réalité A. L’affaire Euridep B. Les causes légitimes de refus du secrétaire de signer l’ordre du jour C haque décision de la Cour de cassation qui remet en cause la validité d’une procédure de licenciement, avec pour effet d’ouvrir un droit à réintégration aux salariés licenciés, mobilise le patronat pour réclamer la “sécurisation” des décisions de licenciement des employeurs. Les arguments avancés tiennent en quelques formules : règles de procédure trop nombreuses et trop complexes exploitées de façon dilatoire par les représentants du personnel, incertitudes du droit applicable, compte tenu des revirements de jurisprudence, et enfin lenteur des procédures, qui, quand l’employeur succombe au procès, impose des mesures de remise en II. Des dispositions peu claires, sources de contentieux, qui laissent en suspend plus de questions qu’elles n’apportent de réponses A. Sécurité juridique et ordre du jour B. Sécurité juridique par la prescription état d’autant plus coûteuses et complexes à mettre en œuvre, qu’un fort laps de temps s’est écoulé depuis la décision annulée. Dans cette quête de la sécurité juridique, une première brèche a été ouverte en permettant aux entreprises de signer avec les organisations syndicales des accords dérogeant à certaines dispositions légales relatives à la procédure de consultation des instances représentatives du personnel, dits “accords de méthode” (1). Seuls 15 % de ces accords comportent des clauses de renonciation à d’éventuels recours, sans doute parce que les employeurs ne proposent pas grand chose en contrepartie. Egalement des voix se sont élevées contre les effets des revirements de jurisprudence, notamment à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation décidant qu’une clause de non concurrence insérée dans un contrat de travail ne doit pas produire effet si l’entrave à la liberté du travail qu’elle impose au salarié est dépourvue de contrepartie financière (2). Le rapport remis le 30 novembre 2004 au Premier président de la Cour de cassation préconisait que la Haute juridiction, lorsqu’elle modifie sa jurisprudence antérieure, puisse moduler dans le temps les effets de sa décision et s’abstenir d’appliquer aux litiges dont elle est saisie la règle nouvelle qu’elle entend substituer à celle qu’elle suivait précédemment (3). 18 janvier 2005 a introduit dans le Code du Travail deux séries de dispositions destinées à “sécuriser” les employeurs dans leurs décisions. Il s’agit en premier lieu, selon les auteurs du texte, de faire obstacle, en amont de la consultation, au refus dilatoire du secrétaire du comité (1) Sur “l’expérimentation” des accords de méthode par la loi du 3 janvier 2003 v. les “Réflexions autour des accords de méthode et de la loi Fillon”, Dr. Ouv. 2003 p. 358 ; sur le nouveau dispositif inséré à l’art. L. 320-3 v. les contributions dans le présent numéro de S. Nadal p. 303, P. Rennes p. 311 et E. Gayat p. 349. (2) Cass. Soc. 10 juil. 2002 Dr. Ouv. 2002 p.533 n. D. Taté, rapp. C. Cass. 2002 Dr. Ouv. 2003 p. 321, RPDS 2002 p. 350 n. M. Carles. (3) Sur ce rapport et les conséquences qui découleraient de l’adoption de ses propositions v. les différentes contributions contenues dans le Dr. Ouv. d’avril 2005. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Si ni cette proposition, ni comme nous l’avons vu, les négociations dans les entreprises, n’ont abouti ou produit les effets escomptés, la loi du 327 327-334 Doctrine Baumgarten 26/07/05 10:19 Page 328 d’entreprise de signer l’ordre du jour, refus qui aurait pour but et pour effet de retarder la consultation du comité d’entreprise en imposant à l’employeur de saisir le Juge des référés pour faire fixer cet ordre du jour. Dès lors, si comme auparavant, “l’ordre du jour est arrêté par le chef d’entreprise et le secrétaire”, le deuxième alinéa de l’article L 434-3 est complété de la façon suivante : “toutefois, lorsque sont en cause des consultations rendues obligatoires par une disposition législative, réglementaire ou par un accord collectif de travail, elles y sont inscrites de plein droit par l’un ou par l’autre…”. S’agissant du comité central d’entreprise, l’avant dernier alinéa de l’article L 435-4 est complété de la même façon. En second lieu, il s’est agit, toujours selon les auteurs du texte, d’éviter que les décisions de l’employeur ne soient remises en cause longtemps après qu’elles aient été prises, et que l’entreprise se voit contrainte de mettre en œuvre des mesures de remise en état tardives et pénalisantes financièrement. A cette fin, le nouvel article L 321-16 du Code du travail prévoit que “toute action en référé portant sur la régularité de la procédure de consultation doit, à peine d’irrecevabilité, être introduite dans un délai de quinze jours suivant chacune des réunions du comité d’entreprise. Toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d’entreprise ou, dans le cadre de l’exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci. Ce délai n’est opposable au salarié que s’il en a été fait mention dans la lettre de licenciement.” Les exemples dont sont partis les tenants de ces réformes pour illustrer l’insécurité à laquelle font face les employeurs quand ils licencient sont mal choisis ou mal analysés (I). C’est sans doute pourquoi les remèdes de la loi du 18 janvier 2005 s’avèrent inefficaces au regard de l’objectif fixé, voire quelquefois pires que le mal allégué (II). ■ I. De l’écart entre la représentation des employeurs ■ Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 de leur insécurité juridique et la réalité 328 Le risque et l’incertitude juridiques sont inhérents aux décisions du chef d’entreprise, que ce soit face au droit du travail, au droit commercial, au droit des sociétés ou au droit fiscal. Pourtant, pour ne prendre qu’un seul exemple, quand des décisions de la commission européenne en matière de concurrence remettent en cause des opérations de fusion plusieurs mois après leur réalisation, aucune voix ne s’élève pour réclamer une quelconque « sécurisation ». Il faut dire que, dans ces hypothèses, comme ce fut le cas par exemple à l’occasion de l’achat de Legrand par Schneider, les actionnaires conservent leur mise, alors que les salariés ne voient pas remettre en cause les mesures de réorganisation consécutives à ces opérations, encore moins leurs conséquences sur l’emploi, et assistent impuissants à la vente par lots de leur entreprise Le sentiment d’insécurité juridique des entreprises, ou tout du moins son expression, est en fait essentiellement limité au droit du licenciement. Ainsi, tout au long des débats parlementaires, qui ont précédé l’adoption de la loi du 18 janvier 2005, a plané l’ombre des décisions rendues par le Conseil de prud’hommes de Soissons dans l’affaire Wolber et par la Cour de cassation dans l’affaire Euridep (A). Beaucoup également a été dit sur ces Secrétaires de comités d’entreprise qui, pour retarder la procédure en obligeant l’entreprise à saisir le juge des référés, refusaient de signer l’ordre du jour proposé par le Président du comité d’entreprise (B). Ces situations, à y regarder de près, n’alimentent pas la thèse d’une insécurité qui pourrait être limitée voire réglée par le législateur, car d’une part, le nombre de contentieux judiciaires est très faible au regard du nombre de consultations dont les comités d’entreprise font l’objet, et d’autre part, elles ne révèlent pas une faiblesse des textes, mais mettent plutôt en cause la manière de faire des employeurs. A. L’affaire Euridep Dans cette affaire, l’employeur ayant présenté au mois d’octobre 1995 à son comité central d’entreprise un plan de restructuration entraînant des conséquences importantes sur l’emploi, et cette première consultation ayant été annulée par le Tribunal, la société avait de nouveau procédé à une consultation, qui s’était déroulée au cours de trois réunions. La première réunion avait été convoquée sur un ordre du jour établi conjointement entre le président et le secrétaire du comité d’entreprise. 26/07/05 10:19 Page 329 Par contre, le président du comité d’entreprise avait fixé Tout d’abord, parce qu’en l’espèce, ce n’est pas unilatéralement l’ordre du jour des deux réunions l’obligation d’établir l’ordre du jour conjointement, ou le suivantes, alors que la règle de l’article L 434-3 du code refus dilatoire du secrétaire de le signer, qui a “insécurisé” du travail selon laquelle « l’ordre du jour est arrêté l’employeur, mais bien plutôt la violation délibérée par ce conjointement par le chef d’entreprise et le Secrétaire » dernier d’une disposition claire de la loi, qui a exposé sa signifie clairement que ni le président, ni le secrétaire décision à un risque d’annulation. En second lieu, le n’est en droit de fixer unilatéralement l’ordre du jour comité d’entreprise avait saisi très rapidement le juge du d’une réunion. fond à jour fixe, de telle sorte que si l’irrégularité avait été Sans attendre la fin de la procédure de consultation, le sanctionnée par le juge, l’employeur pouvait la réparer comité central d’entreprise avait saisi le Tribunal de par une nouvelle procédure de consultation, en l’espace grande instance pour faire sanctionner cette irrégularité de deux à trois mois, et non sept ans après. par la nullité des réunions et, par voie de conséquence, de cette nouvelle procédure de consultation. Tant le Tribunal de grande instance de Nanterre, que la Cour d’appel avaient débouté le comité d’entreprise de ses demandes. Par arrêt en date du 23 juin 1999 (4) la Cour de cassation a par contre estimé que le comité d’entreprise Que le comité d’entreprise ne dispose pour saisir le juge des référés que d’un délai de quinze jours à compter de chaque réunion, et non d’un délai expirant « au terme de la procédure », comme le décidait la Cour de cassation, ne change rien en terme de sécurité et de rapidité de la procédure. «ne pouvait valablement se réunir et délibérer sur un Par ailleurs, si cette décision, en ce qu’elle sanctionne ordre du jour fixé unilatéralement par le chef les irrégularités de la procédure de consultation par la d’entreprise». La Cour d’appel de renvoi a tiré toutes les nullité de la procédure de licenciement, constitue bien un conséquences de cette décision en déclarant nulle et de revirement, la solution selon laquelle le Président n’est nul effet la nouvelle procédure de licenciement, ainsi que pas en droit d’établir unilatéralement l’ordre du jour le plan social présenté au comité d’entreprise dans le s’évinçait de la seule lecture du texte. L’employeur n’avait cadre de cette procédure (5). donc aucune incertitude sur la règle applicable, et la Par arrêt en date du 14 janvier 2003 (6), la Cour de cassation confirmait cette décision, en précisant que « si rétroactivité des arrêts de cassation n’était pas non plus à cet égard en cause. l’absence d’un plan social ou la nullité de celui-ci Enfin, l’écoulement des sept années n’est pas du à la entraîne la nullité de la procédure de licenciement, la longueur des délais de prescription, pas même d’ailleurs nullité est également encourue lorsque, le comité seulement à la lenteur de la justice, mais aux irrégularités d’entreprise successives commises par l’employeur, à sa fuite en n’ayant pas été valablement saisi, l’irrégularité a été soulevée avant le terme de la procédure à un moment où elle pouvait encore être suspendue et reprise et que l’employeur a néanmoins notifié les licenciements ». La société Euridep a donc dû, sept ans après avoir présenté pour la première fois son projet de restructuration, réintégrer les salariés licenciés ou les indemniser. Fallait-il pour autant légiférer pour sécuriser les employeurs placés face à de telles situations ? Plus avant devant les irrégularités dénoncées, et peut-être aussi à la réticence de certains juges du fond, pour des motifs d’opportunité, à condamner un employeur malgré la violation de dispositions claires de la loi. Une décision d’annulation rendue en première instance ou en cause d’appel était de nature à lever toute incertitude en invitant l’employeur à mettre en oeuvre sans attendre une procédure régulière. précisément, permettre à l’employeur de porter de plein Pour conclure, quand une entreprise viole des droit une question à l’ordre du jour, malgré l’opposition dispositions de la loi commerciale ou fiscale et que cette du secrétaire, ou bien enfermer l’action en référé portant violation entraîne des conséquences dommageables sur la régularité des réunions dans un délai de quinze pour l’entreprise, personne n’en vient à penser et encore jours à compter de chaque réunion, ou enfermer dans le moins à soutenir qu’il faudrait sécuriser l’entreprise en délai de douze mois l’action au fond portant sur la infraction, et au nom de la sécurité, lui offrir l’impunité. régularité ou la validité des licenciements, répond-il à la C’est pourtant ce que les employeurs ont demandé et question posée par les arrêts Euridep ? A l’évidence non. obtenu. (4) Pourvoi n° 97-17860 Dr. Ouv. 1999 p. 453 n. M. Cohen. (5) Cour d’appel de Paris 14 février 2001, RPDS 2002 p. 55. (6) Cass. Soc. 14 janvier 2003, SA Euridep c/ Comité d’entreprise UES Kalon France, Bull. civ. V n° 5, Dr. Ouv. 2003 p.152 n. M. Cohen. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 327-334 Doctrine Baumgarten 329 327-334 Doctrine Baumgarten 26/07/05 10:19 Page 330 B. Les causes légitimes de refus du secrétaire de signer l’ordre du jour Mais surtout, les juges sont souvent amenés à constater que le refus du Secrétaire de signer l’ordre du Il est inexact de présenter comme systématique et dilatoire le refus de Secrétaires de comités d’entreprise de signer l’ordre du jour proposé par l’employeur, dans des hypothèses où il entendait consulter le comité d’entreprise dans le cadre d’obligations légales ou réglementaires jour était justifié, soit que la question proposée était insuffisamment précise, soit qu’en violation de l’article L 431-5 du Code du travail l’information remise préalablement était insuffisante pour qu’un débat puisse s’engager et permette au comité d’entreprise de rendre un avis éclairé et motivé, ou bien encore que les délais Tout d’abord, au regard des très nombreuses d’examen de ces informations n’étaient pas suffisants, ou consultations qu’engagent les entreprises sur des qu’un litige avait surgi quant à l’ordre de présentation des décisions entraînant des conséquences sur l’emploi, le questions figurant à l’ordre du jour, soit enfin que nombre de contentieux consécutifs au refus du secrétaire l’employeur avait refusé l’inscription par le secrétaire de signer l’ordre du jour proposé par le président est d’une question qui lui paraissait devoir être examinée extrêmement faible. Face à de telles situations, il est préalablement. depuis longtemps constant que le juge des référés Nous allons le voir, la nouvelle formulation de l’article dispose des pouvoirs pour statuer et fixer un ordre du L 434-3 et le nouvel article L 321-16 du Code du travail jour (7). Statuant le plus souvent selon la procédure du non seulement ne sécurisent pas les décisions des référé d’heure à heure, la réunion du comité d’entreprise employeurs, mais posent de nouvelles questions, n’est différée que de quelques jours. sources de contentieux. ■ II. Des dispositions peu claires, sources de contentieux, ■ qui laissent en suspend plus de questions qu’elles n’apportent de réponses Rappelons les gouvernement : objectifs que s’était fixé le – en amont de chaque réunion, faire obstacle au contentieux portant sur l’ordre du jour ; – enfermer le contentieux relatif à la régularité des réunions dans un délai de quinze jours courant à compter de chaque réunion ; A. Sécurité juridique et ordre du jour 1. Que doit-on comprendre par « consultations rendues obligatoires par une disposition législative, réglementaire ou par un accord collectif de travail » ? Ou plutôt, quelles consultations échappent à la règle posée à l’article L 4343 du Code du travail ? En effet, pour ne parler que des consultations « rendues obligatoires par les dispositions législatives », rappelons que l’article L 432-1 du Code du travail prévoit que “dans l’ordre économique, le comité entreprise est obligatoirement informé et consulté sur les questions intéressant l’organisation, la gestion et la marche générale de l’entreprise...”. Les premiers contentieux relatifs à l’application de ces nouvelles dispositions n’ont pas tardé : le TGI d’Angers a récemment décidé (8) que les nouvelles dispositions de l’article L 434-3 du Code du travail ne dispensent pas le Président du comité de rechercher un accord avec le Secrétaire (8 bis). Ce n’est qu’en cas d’échec dans la recherche de cet accord que « lorsque sont en cause des consultations rendues obligatoires par une disposition législative, réglementaire ou par un accord collectif de travail » (A), « elles y sont inscrites de plein droit » par le Cette formulation très large englobe le périmètre des prérogatives du comité d’entreprise en matière économique. C’est ce qu’avait d’ailleurs relevé le rapporteur de la commission des affaires culturelles à l’assemblée nationale, en déclarant que « toutes les consultations du comité d’entreprise pouvant à la limite être considérées comme obligatoires (puisque énumérées dans la loi…), la faculté d’inscrire “de plein droit” à l’ordre du jour les consultations obligatoires qui est offerte au Secrétaire du comité par le présent article – enfermer celui relatif à la régularité et à la validité des licenciements dans le délai d’un an courant à compter de la fin de la procédure ou, s’agissant de l’action individuelle du salarié, de la lettre de licenciement. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 C’est au regard de ces objectifs qu’il faut analyser et apprécier les nouvelles dispositions. 330 chef d’entreprise ou le secrétaire (B). Nous examinerons successivement les difficultés que soulèvent les deux termes de cette disposition. (7) La reconnaissance, par l’arrêt Plasco (Cass. Soc. 8 juil. 1997, Dr. Ouv. 1998 p. 369 n. de Senga), de ce pouvoir ne fait que confirmer une intervention fort ancienne du juge des référés en la matière (TGI Paris, 15 et 16 fév. 1979, Dr. Ouv. 1979 p. 383). (8) Référé 3 mars 2005, Comité d’entreprise de l’UES NEC Angers c/ NEC Computers Angers, à paraître au Dr. Ouv. n. F.S. (8 bis) v. infra p. 355 les développements de L. Milet relatifs à l’obligation d’élaboration conjointe. 327-334 Doctrine Baumgarten 26/07/05 10:19 Page 331 peut aussi être vue comme très favorable aux intérêts des représentants du personnel ». Dès lors, chaque réunion peut faire l’objet d’une inscription à l’ordre du jour d’un nombre illimité de questions... sauf à ce que le juge, à la demande du Président ou du Secrétaire, vienne à en restreindre le nombre. La saisine du juge des référés sera alors d’autant plus inutile que sa compétence suppose l’existence d’un différend, c’est-à-dire en l’occurrence « d’une difficulté résultant du désaccord sur les questions à porter à l’ordre du jour » (12) : dès lors que la question est inscrite à l’ordre du jour par le simple effet de la loi, il n’existe aucun différend possible. C’est ce qui d’ailleurs résulte des débats parlementaires, à l’issue desquels les Nous ne partageons pas ce point de vue, car l’expression “de plein droit”, signifie « par le seul effet de la loi, dès lors que le Président ou le Secrétaire en exprime la volonté », sans obéir à un quelconque formalisme (de la même façon qu’en cas de cession d’une entité économique autonome, le transfert des contrats de travail s’opère de plein droit, sans formalisme et sans que les parties au contrat de travail ne puissent s’y opposer). Bien sûr le comité d’entreprise ne peut valablement délibérer que sur des questions formellement portées à l’ordre du jour (9), qui doit être adressé aux membres du comité d’entreprise au moins trois jours avant la réunion. Cependant, la loi ne prévoit pas que la prérogative et la charge de l’envoi de l’ordre du jour revienne au Président, puisque la loi ne traite que de son obligation d’envoyer les convocations. amendements tendant à ce que soit reconnue la prééminence du président du comité d’entreprise dans la fixation de l’ordre du jour ont été rejetés. De la même façon, le rapport de la Commission des affaires sociales, déposé le 18 novembre 2004 à l’assemblée nationale, après avoir rappelé l’économie du texte, précise que « cette rédaction a pour objet d’assurer la validité juridique de l’ordre du jour fixé unilatéralement, notamment par l’employeur et donc la validité des réunions du comité effectué sur la base de ces ordres du jour, sans que le juge des référés ait été saisi, dès lors qu’il concerne des consultations obligatoires » (13). Le terme “notamment” confirme que le secrétaire du comité d’entreprise peut également fixer unilatéralement l’ordre du jour sans devoir recourir au juge des référés, dès lors qu’aucun accord n’a été trouvé avec l’employeur ou son représentant, et dans les matières visées à l’article L 434-3 du Code du travail. Ainsi, ce concours d’ordre du jour, qui résulte de l’inscription de plein droit et concomitamment de questions par le président et le secrétaire, fait surgir une autre difficulté : celle de l’ordre d’examen des questions posées. On peut ainsi envisager l’hypothèse qu’une réunion du comité débute sur deux ordres du jour, l’un et Jusqu’à présent, la question de l’envoi par le Secrétaire de l’ordre du jour aux membres du comité d’entreprise ne se posait pas, dans la mesure où l’établissement conjoint de cet ordre du jour privait le Secrétaire de toute initiative, et que pour des raisons de commodité, l’employeur envoyait lui même cet ordre du jour avec la convocation. l’autre conformes à la loi. Au litige, qui jusqu’à présent Mais il est admis que l’ordre du jour est détachable de la convocation et qu’il peut être envoyé séparément (10). Dès lors, en cas de refus de l’employeur de joindre les questions du secrétaire à la convocation du comité, il appartiendra à ce dernier de les adresser lui-même (10 bis). Il devra le faire au moins trois jours avant la séance, encore que ce délai n’est édicté que dans l’intérêt des membres du comité, qui peuvent renoncer à son bénéfice, même tacitement (11). prévisionnelle des emplois, avant que d’être consulté sur portaient sur l’opposition du président ou du secrétaire à l’inscription d’une question à l’ordre du jour, est substitué celui relatif à l’ordre dans lequel les questions devront être examinées. Que se passera-t-il par exemple si le secrétaire exige que le comité, conformément à l’ordre du jour qu’il a établi, soit consulté au titre de la gestion un projet restructuration emportant des conséquences sur l’emploi, comme le demandait l’employeur ? Probablement, si aucun accord n’est trouvé en réunion, il appartiendra à la partie qui y a le plus intérêt, sont doute l’employeur, de saisir le juge des référés pour que la procédure puisse se poursuivre. Un passage en force de sa part générera un contentieux de la validité de la réunion, qui ne sera pas source de sécurité. (9) Cass. Soc. 9 juillet 1996, n° 94-17628. (12) Cass. Soc. 4 juillet 2000, n° 98-10916. (10) Cass. Crim. 4 janvier 1983, Benyahia / Perrin. (13) F. de Panafieu et D. Dord, Rapport sur le projet de loi pour la cohésion sociale, Ass. Nat., n° 1930, T. I., p. 379, disp. sur www.assemblee-nationale.fr (10 bis) contra v. L. Milet préc. spéc. p. 357. (11) Cass. Soc. 2 juillet 1969, Société de transports de la région dijonnaise, Bull. civ. V n° 458. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 2. Elles y sont inscrites de plein droit par le chef d’entreprise ou le Secrétaire. Certains avaient pu craindre que Président et Secrétaire ne soient pas sur un pied d’égalité, pour ce qui concerne l’inscription des questions à l’ordre du jour, dans la mesure où le Président qui envoie les convocations peut y inscrire sans contrôle les siennes et omettre les questions posées par le Secrétaire, sauf à ce dernier à saisir le juge des référés. 331 327-334 Doctrine Baumgarten 26/07/05 10:19 Page 332 B. Sécurité juridique par la prescription Les dispositions de l’article L 321-16 du Code du travail qui instaurent des délais de prescription pour les actions dirigées contre les irrégularités affectant la procédure de consultation (alinéa 1) ou pour celles portant sur “la régularité ou la validité du licenciement” (alinéa 2) laissent également perplexe. 1. Le premier alinéa de l’article L 321-16 du Code du travail dispose qu’à peine d’irrecevabilité “toute action en référé portant sur la régularité de la procédure de consultation” doit être introduite dans le délai de quinze jours suivant chacune des réunions du comité d’entreprise. Si cette disposition était, comme l’a probablement souhaité le gouvernement, de nature à purger de tout vice chaque réunion du comité d’entreprise, passé un délai de quinze jours, elle ne manquerait pas de soulever des difficultés pratiques insurmontables. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Tout d’abord, l’action judiciaire supposerait que le comité ait décidé de la saisine du juge dès la réunion litigieuse, car le délai de quinze jours ne permettrait pas l’organisation d’une nouvelle réunion destinée à voter une résolution en ce sens. Les comités d’entreprise seraient enclins à adopter systématiquement une résolution en vue d’agir en justice, à l’issue de chacune de leurs réunions, et ce afin de préserver leurs droits. Mais encore faudrait-il également saisir systématiquement le juge des référés à titre conservatoire, car l’irrégularité apparaît souvent après la réunion au cours de laquelle elle a été commise, quand les experts du comité analysent les convocations, les documents remis, les interventions des élus et les réponses de l’employeur. De quoi alimenter un contentieux préventif jusqu’alors inconnu. 332 Mais, fort heureusement, au-delà des incertitudes et interrogations qu’il suscite, le texte voté ne paraît pas imposer aux comités d’entreprise des contraintes nouvelles. En effet, on peut tout d’abord s’interroger sur l’incidence de la place conférée à cet article dans le Code du travail : insérées dans le livre III, ces dispositions ne paraissent pas être une règle de procédure générale applicable à l’ensemble des consultations du comité d’entreprise, mais uniquement aux consultations ayant trait aux licenciements pour motif économique. Il n’a d’ailleurs jamais été question dans les débats parlementaires de “sécuriser” les consultations du comité d’entreprise sur la marche générale de l’entreprise, son organisation..., mais uniquement d’éviter que des licenciements puissent être remis en cause pour des motifs tenant seulement à la régularité de la saisine ou à (14) Jean-Yves Le Bouillonnec, séance du 3 déc. 2004, JO AN p. 10495. la consultation du comité d’entreprise. Si cette analyse se confirme, ces dispositions s’appliqueraient à la phase livre III et non à une consultation livre IV (combien même elle donnerait lieu concomitamment ou ultérieurement à une consultation au titre du livre III). En second lieu, ce délai de prescription porte sur la régularité de la procédure de consultation. Or, lorsque le comité d’entreprise ne rend pas d’avis, notamment parce qu’il s’estime insuffisamment informé, ce n’est pas la régularité de la consultation qui est en cause, mais son achèvement. Dès lors, on peut se demander si le comité d’entreprise qui justifierait d’un motif légitime pour ne pas avoir rendu d’avis et demanderait au juge de constater que la procédure n’est pas achevée, et d’en ordonner la poursuite, serait ou non soumis au délai de prescription de l’article L 321-16. En troisième lieu, si “toute action en référé” est enfermée dans un délai quinze jours, les actions au fond ne sont, quant à elles, enfermées dans aucun délai. En effet, la disposition nouvelle n’est pas une disposition attributive de compétence au Juge des référés des litiges relatifs à la procédure de consultation du comité d’entreprise. D’abord parce que le texte ne le dit pas. Ensuite, parce que le texte ne pourrait pas le dire, puisque la compétence d’attribution du Juge des référés est articulée sur celle de la juridiction du fond à laquelle il est rattaché. Le contentieux au fond de la régularité de la procédure de consultation reste donc ouvert dans le délai de prescription de droit commun. De surcroît, si le juge des référés rejette la demande du comité, cette décision, qui n’a que l’autorité provisoire de la chose jugée, ne fait pas obstacle à une instance ultérieure au fond. Un parlementaire avait lors des débats sur le texte relevé les effets pervers de cette disposition, qui incite à ne pas régler les différents devant le juge des référés : « au lieu d’être réglée rapidement par la voie du référé, la contestation… ne le sera que cinq ans plus tard, lorsque le tribunal, en appel aura annulé toute la procédure de consultation… Un délai de référé plus long est au contraire un moyen de bétonner la procédure, pour l’employeur autant que pour le salarié : il évite que celle ci soit examinée au fond, aggravant encore la désorganisation » (14). Cette disposition paraît donc emporter l’effet contraire à celui escompté. 2. La rédaction du deuxième alinéa de l’article L 321-16 du Code du travail est également très curieuse. Elle vise deux cas de figure : – l’action du comité d’entreprise ou d’une organisation syndicale, qui se prescrit désormais par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d’entreprise ; 26/07/05 10:19 Page 333 – l’action du salarié visant à contester la régularité ou la validité de son licenciement et qui se prescrit par douze mois à compter de la notification du licenciement. contre la décision de l’employeur, pour finalement Doit-on comprendre que, si l’employeur met en œuvre les licenciements plus de douze mois après la dernière réunion du comité d’entreprise, ce dernier n’est plus recevable à agir pour contester la validité des licenciements qui pouvaient paraître ne pas devoir être mis en œuvre ? d’entreprise « pourra formuler des propositions Inversement, si le comité d’entreprise ou les organisations syndicales agissent en annulation du plan de sauvegarde de l’emploi et des licenciements subséquents, et qu’une décision définitive est rendue audelà du délai de douze mois après la notification des licenciements, le salarié perd son droit d’agir à titre individuel s’il ne l’a pas mis en œuvre dans le délai. Les comités vont devoir informer de façon plus étroites les salariés licenciés de leurs actions, par exemple en créant des collectifs de salariés licenciés, de façon à ce que des saisines conservatoires soient déposées au Conseil des prud’hommes, auquel il sera demandé de surseoire à statuer jusqu’à l’issue de la procédure du comité. En fait de sécurisation, ces dispositions vont encore alimenter un contentieux préventif. consultation, le juge ne pourra apprécier la régularité de Mais surtout, et là encore, ces dispositions passent à côté de l’objectif fixé au départ : ce ne sont pas des délais de prescription d’un an au lieu de cinq qui seront de nature à hâter l’issue des procédures judiciaires. Dans la quasi totalité des cas, comités d’entreprise ou salariés saisissent les tribunaux dans un temps proche de la fin de la consultation ou de la mise en œuvre des licenciements. Réduire les délais de prescription est une façon de réduire les droits des salariés, sans permettre que les décisions de justice soient rendues plus rapidement. Il faudrait pour cela des moyens nouveaux au bénéfice de la justice, notamment prud’homale. sont les seules qu’ils estiment pouvoir sanctionner, pour En conclusion, ces textes ne répondent pas aux objectifs affichés, sans doute parce que leurs auteurs s’en sont tenus aux seules déclarations du patronat, sans les vérifier et les analyser. ordres du jour et de la tenue de ses réunions ? Mais peut être est-ce l’occasion de se demander s’il est tout simplement possible de sécuriser les employeurs par la seule modification des règles portant sur l’organisation des comités d’entreprise et de leur droit d’agir en justice. La solution ne viendrait-elle pas plutôt d’une redéfinition du rôle des comités d’entreprise et d’un élargissement de leurs prérogatives ? En effet, et notamment quand il est consulté sur des décisions de l’employeur qui ont des conséquences sur l’emploi, le comité doit se contenter d’écouter et de comprendre les explications de l’entreprise, de protester (15) Cass. Crim. 4 novembre 1997, Bull. crim. n° 371. négocier les modalités de suppression des emplois. Certes, si un accord de méthode le prévoit, le comité alternatives » et « obtenir une réponse motivée de l’employeur à ses propositions », mais sans qu’il ne soit imposé à ce dernier de prendre en compte ces propositions, même justifiées par l’intérêt de l’entreprise. En l’état actuel de la jurisprudence, au stade de la la procédure, ni au regard de l’existence ou non d’un motif économique réel et sérieux, ni au regard du caractère justifié ou non de la décision prise par l’employeur pour faire face aux difficultés économiques. Au final, la consultation du comité est de plus en plus considéré par les employeurs comme une étape formelle du processus de licenciement. Tant que les élus n’auront de mot à dire que sur les conséquences des mesures de restructuration, et pas sur leurs causes, ils seront tentés de mener des guerres de tranchée autour de questions formelles, les seules sur lesquelles ils ont prise. Et sans doute les magistrats serontils d’autant plus sévères sur les règles de formes, que ce rétablir un équilibre qui penche bien trop en faveur de l’employeur. La reconnaissance du droit des comités à contester le fond des décisions de l’employeur ne seraient-elles pas la meilleure façon de restituer aux débats leur véritable dimension et leurs véritables enjeux, et faire ainsi l’économie de débats judiciaires autour de questions de pure procédure ? Le renforcement du rôle du comité ne doit-il pas également être accompagné d’une réflexion sur ce que devrait être une véritable assemblée délibérante, expression collective des salariés, ayant la maîtrise de ses En attendant, restons sur quelques aspects positifs de ces textes. Il faut bien reconnaître que la position du secrétaire était jusqu’à présent inconfortable : quand il refusait de porter à l’ordre du jour une question posée par l’employeur et même quand il était soutenu dans cette démarche par la majorité des membres du comité d’entreprise, il se retrouvait seul devant le juge, se voyant reprocher d’avoir pris une initiative personnelle faisant obstacle aux droits du comité d’entreprise. Certains secrétaires de comité, même si finalement relaxés, ont eu le désagrément d’être poursuivis devant le Tribunal correctionnel pour délit d’entrave (15). Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 327-334 Doctrine Baumgarten 333 327-334 Doctrine Baumgarten 26/07/05 10:19 Page 334 Les nouvelles dispositions ont le mérite de restituer au contentieux sa véritable dimension : celle d’un litige entre le représentant de l’entreprise et le comité d’entreprise. Par ailleurs, si les nouvelles dispositions ne règlent probablement rien quant à la sécurisation des procédures de consultations, elles restituent un peu plus au secrétaire sa véritable place dans le comité : celui de représentant de la délégation salariale. En effet, si jusqu’à présent le caractère conjoint de la fixation de l’ordre du jour pouvait prêter au secrétaire le rôle d’un organe du comité, que la jurisprudence admettait que le président puisse prendre part au vote en vue de son élection. On connaissait les conséquences pratiques désastreuses d’une telle jurisprudence, qui permettait à bon nombre d’employeurs, au mépris des règles de prudences et de neutralité à l’égard des organisations syndicales, de se jeter dans la bataille pour favoriser le candidat d’une organisation syndicale au détriment d’une autre. agi comme représentant de la délégation salariale. C’est Le temps n’est-il pas venu d’interroger de nouveau la Cour de cassation afin qu’elle réexamine sa jurisprudence désormais constante, bien que très critiquée (16), au vu du nouveau rôle qu’occupe le secrétaire dans le fonctionnement du comité ? au regard de cette vision d’un secrétaire, organe neutre Christophe Baumgarten neutre du comité, chargé de rechercher un consensus avec l’employeur, la situation est désormais plus claire : l’ordre du jour, à défaut d’accord, a deux sources, le président qui représente l’entreprise, et le secrétaire qui (16) Par ex. TGI Saverne, 19 janvier 2000, Dr. Ouv. 2000 p.492 n. L. Milet. Association Française de Droit du Travail et de la Sécurité Sociale Palais de Justice de Paris - Salle des Criées (entrée libre) PROGRAMME Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Vendredi 21 octobre 2005 à 17 h 30 : La méthode de la Chambre sociale de la Cour de cassation avec Pierre SARGOS, Président de la Chambre sociale de la Cour de Cassation 334 Vendredi 25 novembre 2005 à 17 h 30 : La réforme des procédures collectives et le droit social, avec Yves CHAGNY, Conseiller doyen de la Chambre sociale de la Cour de cassation, Vice-président de l’AFDT et Antoine MAZEAUD, Professeur à l’Université Paris II, ancien vice-président de l’AFDT Egalement : Vendredi 9 décembre 2005 : Discrimination et harcèlement dans les rapports de travail : mérites et périls de deux qualifications, Journée des juristes du travail (AFDT, ENM, INTEFP) au Ministère chargé du Travail, ASIEM, 6 rue Albert de Lapparent, Paris 7e (attention : inscription obligatoire) 335-341 Doctrine CHIREZ 26/07/05 15:18 Page 335 DOCTRI NE Propriété de l'emploi, indemnisation et reclassement par Alain CHIREZ, Professeur à l'Université de Polynésie Française, Credeco Nice, Avocat au Barreau de Grasse PLAN I. L'absence persistante de droit subjectif à la stabilité de l'emploi L e droit de la relation de travail se situe au confluent du droit des personnes et du droit des biens (1). L’activité salariée s’inscrit d’abord dans le contexte d’une relation de A. Précarisation subordination qui permet l’exercice d’un pouvoir finalisé d’un homme sur B. L’employeur encore seul juge un autre. C’est effectivement la dimension subjective qui retient le plus souvent l’attention du juriste : même s’il n’en finit pas d’échapper à son II. Emergence de la valeur emploi déclin (2), le contrat, omniprésent, défraye les chroniques par le contentieux des clauses qui s’y trouvent accrochées (3). La même observation vaut pour A. Patrimonialisation du nonemploi et de la perte d'emploi les manifestations unilatérales de pouvoir comme le règlement intérieur. La B. Le droit au reclassement : conséquences du droit à l'emploi mails ou le refus par le travailleur de se soumettre à un contrôle liberté vestimentaire du salarié dans l’entreprise, le droit d’y recevoir ses ed’alcoolémie relèvent d’un très actif droit des personnes au travail. Cependant, le travail est aussi un emploi. Si l’entreprise se transforme, l’emploi subsiste (art. L 122-12) (4). Si celui-ci vient à disparaître, il y a manque à gagner qui appelle indemnisation. Cette dimension patrimoniale n’a jamais été occultée, qu’on dénie au travail la valeur d’un bien (on se souvient des propos de G. Lyon-Caen dans un article célèbre) (5) ou qu’on soutienne que le salarié “acquiert une titularité sur l’emploi, lui conférant des prérogatives proches de celles d’un propriétaire…” (6). Que la créance naisse d’un contrat ou de la loi, ce droit sur l’emploi apparaît certainement sinon comme un droit subjectif conférant un pouvoir d’action et même “d’agression” (7) à son titulaire, du moins comme un droit-créance destiné à devenir un droit subjectif (8). On sait depuis les pénétrants travaux de M. Thierry Revet que la force de travail constitue une quasi-propriété, une sorte de bien grâce auquel on (1) La pensée juridique italienne est, d’après M. Supiot, celle qui a appréhendé avec le plus de pertinence cette ambivalence (v. Critique du droit du travail, PUF/Quadrige, 2000, p. 20). (2) La formule est de A. Jeammaud (3) Pour adopter une terminologie chère à Mme M.-A. FrisonRoche. (4) La Cour de Cassation, suivant en cela la jurisprudence de la CJCE, décide depuis les arrêts Clinique de l’Espérance du 25 juin 2002 (Dr. Ouv. 2002 p. 507 n. M. Carles) et Commune de Théoule-sur-Mer du 14 janvier 2003 (Dr. Ouv. 2003 p. 253 n. Y. Saint-Jours), que l’obligation pour le nouvel employeur de reprendre à son service les salariés de l’entité transférée s’applique aussi lorsque le transfert d’activité se fait vers un établissement public à caractère administratif. La subsistance de l’emploi est d’autant plus caractérisée que le Tribunal de conflits décide que l’application de l’article L 122-12 n’a pas pour effet de transformer la nature juridique des contrats de travail qui demeure de droit privé tant que le nouvel employeur public n’a pas placé les salariés dans un régime de droit public. (T. Confl. 29 déc. 2004 D. 2005 IR 168 ; T. Confl. 19 janv. 2004, Devun, Dr. Ouv. 2004 p. 146 concl. J. Duplat, n. C. Verdin ; add. CE 4 avr. 2005,Commune de Reichshoffen, req. n° 258543, AJDA 2005 p.1141). (5) “le travail n’est pas un bien car il n’y a pas louage d’un corps avec jouissance reconnue au locataire…” Archives de philosophie du droit, tome XIII, Sirey 1968 p. 59 et s. (6) Xavier Lagarde, Aspects civilistes des relations individuelles de travail, RTD Civ. juil.-sept. 2002 p. 435 et svtes, et spéc. p. 450. (7) La formule est de M. Ghestin. (8) En ce sens, T. Revet, La liberté du travail, in R. Cabrillac, M.A. Frison-Roche et T. Revet, Libertés et droits fondamentaux, Dalloz 8e ed. 2002 p. 751 qui parle de l’évolution d’un droitcréance vers droit de créance. (9) Thierry Revet, La force de travail (Etude juridique), préface de M. Frédéric Zenati, Litec 1992. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 peut acquérir d’autres biens (9). Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce 335 335-341 Doctrine CHIREZ 26/07/05 10:29 Page 336 que l’emploi lui-même puisse être objet de propriété. Pour se calquer sur la formule de Monsieur Pirovano qui décèle “une infiltration du droit social par la logique concurrentielle” (10), il y a une infiltration du droit des personnes au travail par la logique patrimoniale. L’idée n’est pas nouvelle (11). Les analyses doctrinales récentes, particulièrement autorisées (12), les décisions contemporaines sur la contrepartie financière de la clause de non concurrence, mais aussi les dispositions légales de la loi 2005-32 du 18 janvier 2005 dite de programmation pour la cohésion sociale, sur le reclassement redonnent manifestement du lustre à ce concept. Le principe de la négation persistante d’un droit subjectif à la stabilité de l’emploi (I) ne saurait masquer l’émergence actuelle de la valeur emploi (II). ■ I. L’absence persistante de droit subjectif à la stabilité de l’emploi ■ L’emploi a beau être cerné juridiquement par le devoir qui pèse sur le salarié de le rechercher quand il en est privé et par l’obligation de l’employeur qui doit le maintenir quand il le peut : il n’existe toujours que des lignes de force, qu’une tendance, et aucun droit à la stabilité. Bien plus, l’emploi est précarisé et, pour certaines décisions de gestion, l’employeur reste seul juge. A. Précarisation (12 bis) Il n’existe pas d’emploi garanti. Les 2,6 millions de chômeurs ne supporteraient pas d’entendre le contraire. L’emploi traditionnel qui se confondait volontiers avec le contrat de travail à durée indéterminée (13), c’est-à-dire qui reposait précisément sur une certaine stabilité, a vécu. Comme le souligne Madame D. Asquinazi-Bailleux, aujourd’hui existe “une société duale où désormais se côtoient ceux qui ont un “véritable” emploi, et ceux qui, peu qualifiés, pré-exclus, ou encore “sur-diplômés”, vont bénéficier d’un contrat à durée limitée, à temps partiel et peu rémunéré…” (14). On peut paradoxalement tenir le CDI pour l’exception, contrairement à la norme juridique codifiée depuis plus de vingt ans qui énonce que “le contrat de travail est conclu sans détermination de durée” (art. L 121-5) et qui surenchérit avec la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 (14 bis) précisant que le CDD, « quel que soit son motif », ne Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 peut pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité 336 normale et permanente de l’entreprise. L’emploi “périphérique” (15) fleurit. On est avec l’emploi précaire, (10) Droit de la concurrence et progrès social (après la loi NRE du 15 mai 2001), D. 2002 chr. 62, à la suite de Gérard Lyon-Caen dénonçant ‘“L’infiltration du droit du travail par le droit de la concurrence” Dr. Ouv. 1992 p. 313. (11) Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ 1951 n° 137. (12) Xavier Lagarde, n. précitée. (12 bis) Il existe certes des incitations plus ou moins contraignantes ; cf. par exemple l'article L. 323-3 du Code du travail relatif aux nouvelles catégories de bénéficiaires de l'obligation d'emploi pour les personnes handicapées. en présence de quasi-emploi, qui, par essence, ne comporte pas d’espoir de stabilité. Du point de vue collectif, l’emploi s’est précarisé ; il s’est dévalorisé. Au regard de la relation individuelle, le contrat de travail à durée indéterminée, celui qui permet l’accès à un emploi véritable, ne contient pas pour autant de garantie de stabilité. La preuve en est qu’il faut le secours d’une clause contractuelle pour parvenir à instaurer une telle pérennité. Seule la clause de garantie d’emploi permet en effet au salarié de s’assurer d’une relative persistance de la relation de travail à durée indéterminée. Celles-là seules sont “plus qu’un contrat à durée indéterminée puisque le droit de résiliation unilatérale de l’employeur s’y trouve restreint, mais moins qu’un contrat à durée déterminée puisque ce droit même limité subsiste” (16). Sauf force majeure, faute grave ou lourde, la force obligatoire intense d’une telle clause confère indéniablement une stabilité de l’emploi. Tout au plus – fort logiquement d’ailleurs – cet avantage ainsi conféré ne se cumule-t-il pas avec le revenu de remplacement servi par les Assedic (17). Le célèbre arrêt Brinon resterait donc, depuis cinquante ans, la norme dans le contrat de travail ordinaire : “l’employeur qui porte la responsabilité de l’entreprise est seul juge des circonstances qui les déterminent à cesser son exploitation et aucune disposition légale ne lui fait obligation de maintenir son activité à seule fin d’assurer à son personnel la stabilité de son emploi, pourvu qu’il observe, à l’égard de ceux (13) F. Gaudu “Les notions d’emploi en droit”, Dr. soc. 1996 p. 569. (14) Dominique Asquinazy-Bailleux, Droit à l’emploi et dignité in Ethique, droit et dignité de la personne. Mélanges C. Bolze, Ed. Economica 1999, p. 127. (14 bis) Art. 124 LMS modifiant L. 122-1 C. Tr. (15) A. Jeammaud, L’emploi périphérique, in Les sans emploi et la loi, Calligrammes, Quimper 1988, 153. (16) J. Mouly, n. sous Cass. Soc. 6 mai 1997, JCP 1997, Jurisp. 1023. (17) Cass. Soc. 13 déc. 2002, Semaine Sociale Lamy n° 103. 26/07/05 10:29 Page 337 qu’il emploie, les règles édictées par le Code du travail” (18). Certains tempéraments ont été ultérieurement apportés sous forme “d’assurance”, d’abord par la jurisprudence : “l’employeur tenu d’exécuter de bonne foi le contrat de travail, a le devoir d’assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi” (19). Cette solution a ensuite été relayée par la loi 2000-37 du 19 janvier 2000 (19 bis). Certes, assurer l’adaptation, ce n’est pas encore assurer la stabilité, mais c’est déjà s’engager dans la voie plus sécurisante d’une relative non précarité ; c’est “tendre” vers la stabilité (20). Cette tendance apparaît d’ailleurs plus marquée dans le secteur “non économique” du droit du travail. Ainsi, lorsque la Cour de Cassation s’attache à déjouer la fraude consistant à instaurer des périodes d’essai dans des contrats successifs, ces périodes d’essai ne peuvent valablement être opposées à un salarié d’abord embauché sous CDD dont l’employeur a pu apprécier les capacités professionnelles (21). Jusqu’à une date récente, la Cour de cassation estimait qu’en cas de contrats successifs entre les mêmes parties, la période d’essai n’était licite, dans le second contrat que si celui-ci visait à pourvoir un emploi différent de celui objet du premier contrat (22). Dans ses décisions du 30 mars 2005, la haute juridiction est d’ailleurs allée plus loin : la période d’essai stipulée dans le second contrat ou l’avenant ne peut être qu’une période probatoire dont la rupture a pour effet de replacer le salarié dans ses fonctions antérieures (23). On connaît en effet les réserves du juge lorsqu’il s’agit d’apprécier les choix possibles de l’employeur entre diverses solutions de réorganisation pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. La fameuse décision SAT (25) a depuis lors été relayée et confortée par la décision du Conseil Constitutionnel du 12 janvier 2002 (26) selon laquelle “le juge n’a pas à substituer son appréciation à celle du chef d’entreprise quant au choix entre différentes solutions possibles”. Le juge social n’a donc pas à se prononcer sur l’opportunité d’une décision de l’employeur au regard notamment des différents projets qui ont précédé cette décision et dont certains étaient manifestement moins lourds en perte d’emplois. La décision Valéo-Vision du 17 décembre 2002 (27) se situe-t-elle aussi dans la ligne de l’arrêt SAT ? L’employeur qui dirige les personnes est contrôlé par le juge, tandis que l’employeur “politique” lui échappe. Ce domaine du choix de gestion est l’un des rares endroits où la théorie de l’employeur seul juge possède encore droit de cité. Le droit à l’emploi, confronté ici à la liberté d’entreprendre, apparaît démuni, affaibli, dépourvu qu’il est de la possibilité d’appréciation des tribunaux. L’absence persistante de droit subjectif à la stabilité de l’emploi rendrait alors celui-ci difficilement identifiable à un bien et peut-être, alors, faudrait-il à propos de l’emploi suivre le doyen Roubier et classer celui-ci parmi les situations juridiques qui “répugnent franchement à être classées et cataloguées sous la rubrique des droits proprement Dans le contentieux de la rupture pour motif personnel, le contrôle du juge, déterminé à éviter la précarité programmée, rétablit en quelques circonstances, dans une certaine mesure, une relative stabilité de la relation. dits… alors qu’elles ont une valeur juridique indéniable, En matière économique, malgré une jurisprudence parfois audacieuse (arrêt Miko) (24), les principes posés par la décision Brinon restent toujours actuels. non pas pour le service d’intérêts individuels“ (28). B. L’employeur encore seul juge Il n’y a pas que les délocalisations qui détruisent l’emploi. L’absence de contrôle judiciaire est une autre forme d’exil. elles commandent nos relations sociales, elles sont source de prérogatives et de charges ; mais on ne peut les appeler “des droits” parce qu’elles ont la figure de situations établies, d’autorité en vue du bien commun, et L’emploi serait-il – sans jouer sur les mots – une “situation” et non un “droit” ? C’est pourtant dans ce même domaine économique que, via le droit de reclassement, surgit ou ressurgit l’appartenance de l’emploi à la rubrique des valeurs, sinon au droit des biens. (18) Cass. Soc. 31 mai 1956, Dr. Ouv. 1956 p. 340 et note G. Lyon-Caen Dr. Ouv. 1957 p. 1. (23) F.R. Lefevre, 25-05 T4. (19) Arrêt Expovit : Cass. Soc. 25 fév. 1992, Bull. Civ. V n° 122, Dr. Soc. 1992, 379. (25) Cour de cassation, Assemblée plénière, 8 déc. 2000, Dr. Soc. 2001, p. 120, concl. de Caigny, note A. Cristau, Dr. Ouv. 2001 p. 357 n. M. Henry et F. Saramito, JCP 2001, 2e partie, 10498, Liaisons Sociales JP n° 675. (19 bis) Ancien art. L. 932-2, l’obligation figurant désormais dans l’art. L. 321-1. (20) Marc Azoulai “La tendance à la stabilité du rapport contractuel : études de droit privé” sous la direction et avec une préface de Paul Durand, LGDJ, 1960. (21) Cass. Soc. 26 fév. 2002, Dr. Ouv. 2002 p. 404, n. Boulmier. (22) Cass. Soc. 30 oct. 2000, RJS 1/01 n° 3 ; 11 déc. 2002 n° 3633, F-D. (24) 17 déc. 2002, Bull. civ. V n° 392. (26) Dr. Ouv. 2002 p.59 n. F. Saramito et B. Mathieu. (27) Droit social 2003 p. 342, n. G. Couturier. (28) P. Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz 1963 n° 2 p. 10. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 335-341 Doctrine CHIREZ 337 335-341 Doctrine CHIREZ 26/07/05 ■ 10:29 Page 338 II. Emergence de la valeur emploi ■ Les choses ne sont pas une notion claire. C’est, dit-on ordinairement, le terme le plus vague de la langue française. L’emploi est-il une chose ? Il a bien été récemment jugé que le produit de l’activité humaine intellectuelle constitue un bien (29), mais l’emploi n’est pas un produit de l’activité humaine ; il est état du marché du travail ou place dans l’organisation de l’entreprise (30). rétroactif, a choqué est édifiante : le salarié ne peut Il n’importe : “Que l’emploi soit progressivement élevé au rang de choses appropriables, ne fait guère de doute. Les priorités de réembauchage (….) qui sont difficilement explicables au regard du droit commun, en sont une excellente illustration”… écrit M. Xavier Lagarde (31) qui compare l’emploi à “l’étang de Napoléon” qui, “lorsqu’il réapparaît est de nouveau susceptible d’appropriation”. comme le souligne M. Antoine Jeammaud (34), ce qui, On pourrait ajouter que la corrélation est vraie aussi dans le sens de la disparition définitive de l’étang : il a été récemment jugé que le licenciement du salarié remplacé qui emporte sa cessation définitive d’activité, entraîne de plein droit la fin du CDD conclu pour son remplacement. patrimonial de l’emploi réifié en valeur d’échange. La On peut effectivement, après d’autres, dire de l’emploi qu’il est un bien dès lors que la patrimonialisation de sa perte est manifeste (A) et que le droit de reclassement, droit concret, est aujourd’hui consacré comme une conséquence du droit à l’emploi (B). renoncer à travailler dans le domaine de ses compétences que s’il est indemnisé par l’employeur. La possibilité d’exercer son métier doit subsister ou, en tout cas, lui permettre d’exercer une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle. Cette règle participe d’ailleurs “comme tant d’autres en droit du travail, à la régulation de l’ordre concurrentiel” d’une certaine manière, la situe déjà dans l’ordre du droit des biens. Mais surtout, la contrepartie conditionne l’efficacité de la clause elle-même, c’est à dire que la privation contractuelle d’activité jusque-là exercée, a nécessairement un prix, même si les parties ne le disent pas. Cette solution, comme depuis longtemps déjà la nature de salaire de l’indemnité, confirme l’aspect Cour de cassation vient même d’insister sur ce point en ouvrant des possibilités d’actions judiciaires qui laissent songeur… : le salarié qui a respecté une clause de non concurrence illicite en l’absence de contrepartie financière, peut prétendre à des dommages et intérêts (35). 2 – L’indemnisation du salarié licencié s’inscrit dans la même logique. La liaison emploi-indemnisation est de plus en plus avérée lorsqu’on envisage le problème sous Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 l’angle du marché de l’emploi. Le bénéfice d’un revenu de 338 A. Patrimonialisation du non-emploi et de la perte d’emploi remplacement suppose que le demandeur d’emploi Que le salarié se soit contractuellement interdit de travailler, ou qu’il se voie notifier son licenciement, la contrepartie financière ou l’indemnisation constitue le signe tangible de cette patrimonialisation. raison légitime, un emploi conforme à ses aptitudes (36). 1 – Les arrêts du 10 juillet 2002 (32) qui font de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence une condition de validité de celle-ci, sont démonstratifs de la corrélation très nette existant entre l’argent et l’emploi. C’est bien d’emploi et non seulement de travail (33) qu’il s’agit car le salarié, astreint contractuellement à la non concurrence, peut travailler, mais précisément pas, le plus souvent, dans l’emploi qu’il occupait auparavant. Cette jurisprudence, dont le caractère, par essence, l’employeur s’est depuis longtemps évadée des règles de recherche effectivement un emploi et ne refuse pas, sans Si on délaisse la logique “assurancielle”, on retrouve la même idée dans les relations entre le salarié et son employeur. La rupture du contrat de travail à l’initiative de la responsabilité contractuelle. Ce n’est pas la faute contractuelle ou l’abus de droit de rompre que l’on sanctionne à titre principal chez l’employeur, mais le licenciement sans cause réelle ni sérieuse, c’est-à-dire, au fond, l’atteinte illégitime portée à une situation sur laquelle le salarié devait pouvoir compter. Cette réparation d’un coup porté à l’emploi se vérifie à plusieurs titres. (29) Cass. Crim. 22 sept. 2004, Dalloz 2005, 411, n. B. de Lamy, RTD civ. 2005 p. 164, n. T. Revet. Anne-Chantal Hardy-Dubernet (dir.), La subordination dans le travail, La documentation française 2003. (30) J. Pélissier, A. Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, Précis Dalloz, 20e ed. p. 3 n° 4. (31) Article précité page 450. (34) La condition du travailleur dans l’ordre concurrentiel, in L’ordre concurrentiel, Mélanges en l’honneur d’Antoine Pirovano, Ed. Frison-Roche p. 381. (32) Cass. Soc. 10 juil. 2002, Dalloz 2002, 2491, n. Y. Serra ; som. 3111, obs. Pélissier ; Dr. Ouv. 2002 p. 533 n. D. Taté. (35) Cass. Soc. 20 avril 2005 n° 03-40.734 D ; Semaine Sociale Lamy 9 mai 2005 p. 15. (33) Pour une distinction entre la subordination dans le travail et la subordination dans l’emploi, cf. J.-P. Chauchard et (36) cf. sur ce point A. Arseguel et B. Reynès, Le refus d’occuper un emploi, in Analyse juridique et valeurs en droit social, Etudes offertes à J. Pélissier, Dalloz, 2004, p. 1 et s. 26/07/05 10:29 Page 339 Tout d’abord, le droit à l’indemnisation du licenciement non ou mal causé, varie indéniablement dans sa quotité en fonction de données qui sont précisément étroitement liées à l’emploi du salarié et non à la gravité objective du manquement de l’employeur. Les dommages et intérêts sont plus élevés si l’ancienneté du salarié est importante, et s’il risque d’avoir des difficultés à retrouver un emploi. C’est la perte de l’emploi qu’on indemnise. A cet égard, la pratique qui consiste à ne pas déduire le revenu de remplacement versé par les Assedic est assez démonstrative du fait que c’est bien l’emploi perdu qui est central, c’est à dire le bien et non ses fruits eux-mêmes, c’est à dire les revenus qu’il procure. Ensuite, certaines solutions du droit positif s’expliquent assez bien par cette idée d’atteinte frontale à l’emploi. Ainsi, ce sont des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse, et non une simple indemnité pour non respect de la procédure qui peuvent être demandés en cas d’inobservation par l’employeur, de la procédure conventionnelle ou statutaire de licenciement (37). La Cour de cassation y voit la violation d’une règle de fond et non de forme car ces procédures extra légales sont précisément instaurées dans le but de protéger l’emploi, qu’il s’agisse de l’existence de commissions paritaires ou de règles limitant les causes de licenciement. Le doublement du montant de l’indemnité de licenciement (L 122-9 et décret 2002-785 du 3 mai 2002) en cas de licenciement économique, comme l’indemnité non inférieure au salaire des douze derniers mois en cas de nullité du licenciement intervenu en application de l’article L 321-4-1 alinéa 5 du Code du travail L. 122-14-4), c’est-à-dire en cas de plan de sauvegarde de l’emploi insuffisant s’inscrivent dans cette logique. Par ailleurs, lorsque c’est du fait de l’employeur que le salarié est privé d’activité et ne peut bénéficier de certains avantages liés à sa présence dans l’entreprise, comme certaines primes ou la possibilité de lever des options, il peut obtenir la réparation du préjudice ainsi causé (38). Enfin, certaines irrégularités “qui causent nécessairement au salarié un préjudice” relatives (37) Cass. Soc. 23 mars 1999, Bull. V civ. n° 134 ; Cass. Soc. 28 mars 2000, bull. civ. n° 136, Dr. Ouv. 2000 p. 453 n. A. de Senga. (38) Pour la possibilité d’obtenir la réparation du préjudice né de la perte du droit de lever les stock-options, sans que puisse être opposée l’impossibilité de cette levée en raison du licenciement, cf. Cass. Soc. 29 sept. 2004, Sem. Soc. Lamy n° 1185 p. 10 ; Cass. soc. 16 mars 2005, J.S. Lamy, 11 mai 2005 p. 21. (39) Cass. Soc. 16 déc. 1997, Bull. civ. V n° 442 notamment au défaut de mention de la priorité de réembauchage (39) constituent des réparations d’atteinte à une variété de droit au reclassement qui découlent directement d’un droit à l’emploi. B. Le droit au reclassement : conséquences du droit à l’emploi 1. Constitutionnalisation du droit au reclassement On sait toute la force (40) donnée à l’obligation de reclassement du salarié inapte par la Cour de cassation qui dit et rappelle (41) que l’avis d’inaptitude à tout emploi ne dispense pas l’employeur de tenter de reclasser le salarié, au besoin par mutation, transformation du poste ou aménagement du temps de travail. Cette mission imposée par la jurisprudence relève parfois de l’impossible mais constitue un message appuyé quant à la mobilisation attendue de l’employeur dans la mise en œuvre de ce droit. De son côté, la loi de programmation pour la cohésion sociale poursuit l’édification du droit au reclassement dégagé par la jurisprudence et les textes antérieurs. Comme le souligne un auteur (42), “en inscrivant un droit au reclassement à l’article L 321-1 du Code du travail et en instaurant un congé de reclassement à l’article L 321-4-3 du même code, pour les entreprises de plus de mille salariés, la loi de modernisation sociale avait déjà institué dans le Code du travail, des mécanismes de reclassement individuel. De ce point de vue, la loi (nouvelle) s’inscrit dans une tendance similaire. En effet, le texte de janvier 2005 reconnaît des prérogatives supplémentaires en matière de reclassement individuel au bénéfice du salarié licencié pour motif économique”. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 janvier 2005 fait découler “directement” ce droit au reclassement des salariés licenciés, du droit de chacun d’obtenir un emploi. Cette dernière prérogative est l’un des principes économiques et sociaux figurant à l’alinéa 5 du préambule de 1946. La constitutionnalisation de ce droit au reclassement dont le fondement est ici précisé, hisse ainsi au plus haut niveau un droit découvert par la (40) Pour une analyse plus approfondie de l’obligation de reclassement, cf. F. Héas, Le reclassement du salarié en droit du travail, LGDJ 2000 ; cf. également “Approche de la notion de reclassement”, Dr. Ouv. 2001 p. 505. (41) Cass. Soc. 10 mars 2004, n° 03-42.744 ; 19 mai 2004, n° 02.45.166 ; 7 juil. 2004, 02-43.141 P + B, Dr. Ouv. 2004 p. 545 n. F. Héas ; v. infra les développements de E. Gayat p. 347. (42) Franck Héas, Les principaux apports de la loi de programmation pour la cohésion sociale en matière ce licenciement pour motif économique, JCP Ed. Entreprise et Affaires, 2005 p. 270 n° 275. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 335-341 Doctrine CHIREZ 339 335-341 Doctrine CHIREZ 26/07/05 10:29 Page 340 jurisprudence (43) puis inscrit dans la loi (article L 321-1) sous l’angle de l’obligation. La jurisprudence analyse en effet habituellement ce concept de reclassement sous l’angle de l’obligation qui pèse sur l’employeur, plus que sous l’optique d’un droit du salarié ; il en va notamment ainsi lorsqu’elle en fait une obligation de moyens renforcée (44). C’est d’ailleurs parce que jurisprudence et doctrine se sont intéressées au devoir de reclassement, que la question du refus du salarié avait peu suscité l’attention des auteurs jusqu’à une date récente (45). La consécration ainsi donnée au droit au reclassement va-t-elle “en faire le concept phare du droit du licenciement pour motif économique” s’interroge M. Héas (46) ? Les droits sociaux étant pour M. Molfessis (47) “les droits constitutionnels les moins protégés”, la valeur constitutionnelle accordée n’apporterait peut-être pas grand chose. Pourtant, la loi du 18 janvier 2005 n’ayant pas repris dans sa “nouvelle” définition du licenciement pour motif économique, la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise, ni la cessation de son exploitation, on peut se demander si ce droit au reclassement, fils du droit au travail, ne peut pas constituer le cheval de Troie qui permettrait de faire du maintien de l’emploi un objectif prioritaire par rapport à cette sauvegarde de compétitivité. Cependant, rien ne permet d’augurer un changement de direction puisque, précisément, la définition du licenciement économique, reste à peu près inchangée. L'acquisition par la charte des droits fondamentaux, de l'Union européenne d'une valeur normative telle que résultant du projet de constitution européenne pouvaitelle aller dans une direction identique ? La question se pose d'autant plus que cette charte, signée lors du Conseil européen de Nice en 2000 (47 bis), fait référence, dans son préambule, à la charte sociale européenne élaborée par le Conseil de l'Europe en 1961 (47 ter). Le droit au travail est précisément visé à l'article 1er de la charte sociale européenne ; comme le Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 (43) Cass. Soc. 8 avril 1992, Bull. civ. V n° 258 ; 9 avril 1992, Dr. Ouv. 1992 p. 311. 340 (44) Cf. sur cette idée de moyen renforcé, Franck Héas, n. sous CA Grenoble, 10 sept. 2001, Dr. Ouv. oct. 2002 p. 504 et s. et spéc. p. 506 : “Le renforcement ou l’aggravation tiendrait au fait que c’est à l’employeur de prouver qu’il n’a pas procédé au reclassement…” (45) Le refus d’occuper un emploi, A. Arseguel et B. Reynel, Analyse juridique et valeurs en droit social, Etudes offertes à J. Pélissier, Dalloz, 2004 p. 1 et s. et spéc. p. 17. (46) JCP 2005, Ed. Entreprise précitée p. 273. (47) Nicolas Molfessis, Le Conseil constitutionnel et le droit privé, LGDJ 1997, spéc. p. 127. (47 bis) Reproduite au Dr. Ouv. 2001 p. 105. (47 ter) Révisée en 1996, reproduite au Dr. Ouv. 2004 p. 63. (48) “Droits fondamentaux : vers un droit commun pour l’Europe”, Semaine Sociale Lamy, 25 oct. 2004, n° 1187 p. 5 et s. et spéc. p. 9. souligne Mme Bonnechère “selon la charte sociale européenne, l’exercice effectif du droit au travail conduit à imposer aux parties de “reconnaître” comme objectif la réalisation du plein emploi” (48). Le juge ne pourraitil alors se donner le pouvoir de contrôler les choix de gestion dont la légitimité reposerait aussi sur le moindre coût en terme d’emplois ? Le droit au travail se verrait alors ajouter une composante contredisant ouvertement l’arrêt Brinon, avec l’existence d’un droit subjectif à la stabilité de l’emploi. On peut cependant douter d’un secours de ce côté là ; au contraire. Les dispositions de l’article III-203 du projet avorté constitutionnalisaient, selon M. Supiot, l’objectif consistant à adapter les hommes au besoin du marché, et non l’inverse. “Ces dispositions opèrent un renversement des priorités fixées par les grands textes adoptés par la communauté internationale au sortir de la seconde guerre mondiale. A l’époque, il s’agissait de mettre l’économie et la finance au service des hommes et non pas l’inverse… On cherche vainement dans le traité constitutionnel, une disposition qui obligerait ainsi à indexer les politiques économiques et monétaires sur l’amélioration des conditions réelles de vie et de travail. La sécurité qui est un besoin fondamental des êtres humains y est consacrée quand il s’agit de leur argent mais pas de leur travail” (49). 2. Incidence de la convention de reclassement personnalisé Qualifiée de “première grande étape vers une généralisation de l’aide au reclassement” (50), la CRP est une convention (et non un contrat) (51) permettant “à compter du 1er juin 2005 à tout licencié économique de bénéficier d’un droit au reclassement” (52). En réalité, ce droit au reclassement existe depuis longtemps. Ce sont les modalités d’aide qui sont précisées par l’accord signé le 5 avril 2005 qui le rendent plus effectif, moins programmatique. Le salarié, qui fait l'objet d'une rupture de son contrat de travail à caractère économique (53) dans une entreprise (49) A. Supiot, in “Trois points de vue sur le traité établissant une constitution pour l’Europe”, Semaine Sociale Lamy 9 mai 2005 n° 1214, p. 6 et s. et spéc. p. 7. (50) Entretien du Ministre de la cohésion sociale, Journal Les Echos, 3 mai 2005 p. 3 (51) cf. sur ce point, obs. Héas, précitées. Les principaux apports de la loi de programmation pour la cohésion sociale en matière de licenciement pour raison économique, loc. cit. (52) J.L. Borloo, entretien précité. (53) La circulaire Unedic n° 05-12 du 13 juin 2005 en précise le domaine d'application : “Toutes les ruptures à caractère économique telles que les départs négociés ou les départs volontaires" , les salariés licenciés "à la suite d'une cessation totale d'activité de l'entreprise" ou encore à ceux dont le contrat de travail vient à expiration "à la suite d'une fin de chantier selon les usages de la profession dès lors que les conventions ou accords collectifs le prévoient". 26/07/05 10:29 Page 341 de moins de mille salariés, bénéficie à présent, aux termes du nouvel article L 321-4-2, I alinéa 1 nouveau, d’une convention de reclassement personnalisé qui lui permet de disposer de diverses actions de soutien, d’évaluation et de formation destinées à favoriser son reclassement. Si le salarié décline cette proposition de convention, il est licencié ; s’il l’accepte, il devient stagiaire de la formation professionnelle. Pendant cette convention, ainsi qu’il résulte de l’accord conclu le 5 avril 2005 entre le patronat et certains syndicats (54), le salarié en formation percevra 84 % de son salaire brut antérieur pendant trois mois, puis 70 % pendant les cinq mois suivants. Une indemnité différentielle est prévue s’il retrouve une activité moins bien rémunérée pendant les huit mois suivants. S’il n’a pas retrouvé d’emploi à l’issue de la convention de reclassement, le salarié réintègre le système de l’assurance chômage. C’est l’Unedic qui finance le dispositif conjointement avec l’Etat. Cette rupture, dite d’un commun accord, évite à l’employeur le paiement de l’indemnité de préavis ; l’indemnité (légale au moins) de licenciement est due quant à elle, cette charge étant, en définitive, transférée à la collectivité (54). Par delà les relatives prérogatives conférées par ce droit au reclassement, on peut s’interroger sur la nature véritablement consensuelle de cette convention qui l’organise. La jurisprudence sur la convention de conversion ne s’y est pas trompée, qui a, en son temps, pour ce qui la concerne, adopté le régime juridique du licenciement en permettant notamment de contester l’ordre de ceux-ci, ou encore de demander des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse. Le commun accord est douteux en (54) NDLR : sur la décision de la CGT de ne pas signer l’accord v. La lettre de l’administrateur, p. 12, supplément au n° 1614 du journal Le Peuple, 22 juin 2005. présence de cette quasi violence légale inhérente à la contrainte économique qui invite le salarié à opter entre un licenciement “sec” qu’il n’a évidemment pas choisi et cette convention qui, si elle lui évite pendant un temps d’être formellement chômeur, ne lui garantit évidemment aucun reclassement. C’est d’un “accompagnement” vers l’emploi dont il s’agit (56). Il n’y a pas ici d’obligation de moyens renforcée. La dette d’emploi en glissant de l’employeur (57) vers la collectivité, perd de l’énergie. Le nouvel article L. 321-4-2 prévoit le versement par l’employeur d’une contribution de deux mois de salaire au titre du financement de l’allocation, mais il prévoit également dans un grand II le versement aux mêmes organismes de ces deux mois de salaire en cas de nonrespect, par l’employeur, de son obligation de proposer le bénéfice d’une convention de reclassement personnalisé. L’obligation, certes de moyens, mais centrale, pesant sur l’employeur, pourrait presque rejoindre le catalogue des devoirs dont on peut se dispenser par le paiement d’une contribution fixe et connue à l’avance. Certes, plus les aides au reclassement seront effectives, plus on tendra vers un résultat, et plus le droit à l’emploi deviendra tangible. Pour l’heure, “le droit à l’emploi” reste loin “d’assurer une protection de l’accès et du maintien d’un travail comparable à celle qu’offre une véritable prérogative” (58). On peut même se demander si, en attendant, cette ombre fantomatique du “bien” emploi que constitue le droit au reclassement, n’a pas pour vertu essentielle, celle d’atténuer le sentiment irrémédiable de sa perte. Alain Chirez de son inscription auprès de l’ANPE (art. L 311-5 du Code du travail) comme de son droit au revenu de remplacement (art. L 351-1 du Code du travail) ; cf. sur ce point, Le refus d’occuper un emploi, prec. (54) Même si, selon l’évaluation de l’Unedic, la mesure doit permettre d’économiser 2 millions d’euros. (57) Dont elle ne modifie pas la mobilisation attendue (55) Parallèlement, la recherché d’un emploi, de la part du demandeur d’emploi, est, on le sait, la condition sine qua non (58) T. Revet, art. précité, in Libertés et droits fondamentaux, op. cit. ; spéc. p. 751. l spécia o r é m Nu araître à p bre 2005 tem fin sep RPDS n° 724-725 août-septembre 2005 Le licenciement économique après la loi du 18 janvier 2005 • Le motif économique de licenciement • L’obligation de reclassement • Les procédures • L’ordre des licenciements • Les accords de méthode Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 335-341 Doctrine CHIREZ 341 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 342 > Présentation de quelques articles anciens, modifiés et nouveaux du Code du travail, suivis de notes critiques et pratiques Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 sous la direction de Paul Bouaziz 342 p. 343 Première partie : Mesures de prévention p. 343 Section 1 : Gestion prévisionnelle des emplois par Marie-France Bied-Charreton p. 347 Section 2 : Reclassement avant licenciement par Emmanuel Gayat p. 349 Deuxième partie : Processus des licenciements p. 349 Section 1 : Le rôle du Comité d'entreprise p. 349 Sous-section 1 : Accords de méthode par Emmanuel Gayat p. 353 Sous-section 2 : La concomitance du Livre IV et du Livre III par Paul Bouaziz p. 355 Sous-section 3 : La fixation de l'ordre du jour du CE par Laurent Milet p. 360 Section 2 : Entrée en vigueur des dispositions nouvelles par Pierre Bouaziz p. 362 Troisième partie : L'ordre des licenciements par Marie France Bied-Charreton p. 365 Quatrième partie : Le rôle du juge et les sanctions p. 365 Section 1 : Le juge des référés et le juge du fond par Pierre Bouaziz p. 369 Section 2 : Nullité et poursuite du contrat de travail par Michel Henry p. 372 Section 3 : Sanctions pénales par Marc Richevaux 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 343 Première partie : Mesures de prévention > Section 1 : Gestion prévisionnelle des emplois (GPE) Article L. 320-2 « Dans les entreprises et les groupes d'entreprises au sens du II de l'article L. 439-1 qui occupent au moins trois cents salariés, ainsi que dans les entreprises et groupes de dimension communautaire au sens des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 439-6 comportant au moins un établissement ou une entreprise de cent cinquante salariés en France, l'employeur est tenu d'engager tous les trois ans une négociation portant sur les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise sur la stratégie de l'entreprise et ses effets prévisibles sur l'emploi ainsi que sur les salaires. La négociation porte également sur la mise en place d'un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que sur les mesures d'accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de validation des acquis de l'expérience, de bilan de compétences ainsi que d'accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés. Elle peut porter également, selon les modalités prévues à l'article L. 320-3, sur les matières mentionnées à cet article. « Si un accord de groupe est conclu sur les thèmes inclus dans le champ de la négociation triennale visée à l'alinéa précédent, les entreprises comprises dans le périmètre de l'accord de groupe sont réputées avoir satisfait aux obligations du même alinéa. » Commentaire Aujourd’hui, comme on va le voir, ces dispositions ont été précisées et renforcées. Mais quel employeur a, par le passé, sérieusement envisagé de les mettre en œuvre ? On peut se le demander. Quel employeur a seulement, par le passé, utilisé ce terme de “gestion prévisionnelle des emplois” ? On peut se le demander également. Les entreprises n’étaient à l’évidence, jusqu’à une date récente, pas intéressées par ce type de dialogue avec les représentants du personnel qui avait pour but d’éviter, par une politique anticipatrice et préventive, (1) Voir aussi pour l’information des comités de groupe en la matière l’article L 439-2. les compressions d’effectifs et la précarisation des emplois, et même de créer une dynamique de création d’emplois. Ce dispositif légal a en effet été institué dans l’intérêt, et dans le seul intérêt des salariés, ainsi que le révèle au demeurant le texte même de cet article L 432-1-1 qui précise que les actions de prévention ou de formation doivent concerner plus particulièrement “les salariés âgés ou présentant des caractéristiques sociales ou de qualification qui les exposent plus que d’autres aux conséquences de l’évolution économique ou technologique”. Il s’agissait là – et il s’agit encore aujourd’hui – pour les employeurs, déjà habitués à effectuer des prévisions économiques et financières, d’élaborer aussi des prévisions dans le domaine de l’emploi et de la qualification, en fonction de l’évolution prévisible des marchés et des techniques. Le but de ce dispositif est dès lors notamment d’éviter les licenciements, mais non pas comme à l’habitude à la dernière minute et en catastrophe au sens des dispositions légales relatives au plan de sauvegarde de l’emploi (par ailleurs bien sûr nécessaires), mais par un processus de longue haleine se décomposant, d’une Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 1 - La notion de gestion prévisionnelle des emplois existe dans le Code du travail depuis la loi du 2 août 1989 qui a institué un article L 432-1-1 imposant à l’employeur de consulter le comité d’entreprise sur “les prévisions annuelles et pluriannuelles et les actions, notamment de prévention et de formation, que l’employeur envisage de mettre en œuvre compte tenu de ces prévisions”. Cette disposition l’oblige également à apporter “toutes explications sur les écarts éventuellement constatés entre les prévisions et l’évolution effective de l’emploi, ainsi que sur les conditions d’exécution des actions prévues au titre de l’année écoulée” (1). 343 342-375 Deuxième partie > P re m i è re p a r t i e 26/07/05 10:21 Page 344 Mesures de prévention part, en une phase d’études, d’autre part, en une phase d’actions notamment de prévention et de formation, avec ultérieurement des bilans périodiques sur les écarts entre les prévisions et la réalité et sur les actions réalisées. En clair, le législateur demande aux employeurs de gérer les emplois en voyant l’avenir de ces emplois, ce qui implique un pilotage de l’entreprise ne reposant plus uniquement sur des critères de compétitivité et de rentabilité, mais aussi sur des critères sociaux, l’entreprise étant dès lors prise, non pas tant comme un instrument pour dégager des bénéfices que d’abord et avant tout, comme une communauté de travailleurs. Une telle orientation, ainsi inscrite dans les textes, qui rime avec la notion parallèle de citoyenneté des salariés dans l’entreprise, n’a en réalité jamais été acceptée par les chefs d’entreprise. 2 - En outre, la Cour de cassation n’a, de son côté, fait que renforcer cette indifférence à ce dispositif par une jurisprudence, certes peu fournie mais hautement critiquable, sur cette question. Dans son tristement célèbre arrêt IBM du 12 janvier 1999 (2), la Cour suprême a ainsi utilisé le concept de gestion prévisionnelle des emplois dans un contexte dans lequel il n’avait en réalité rien à faire, celui de l’établissement par l’entreprise d’un projet “emploi pour 1996” : celui-ci visait en effet ni plus ni moins à réduire les effectifs, non pas frontalement par des licenciements, mais par le biais détourné, mais oh combien efficace, d’appel à candidatures en direction des salariés pour des formules de travail à temps partiel, de congé sans solde, de préretraite progressive et de mise en disponibilité. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Il était évident que, par ces mesures, les salariés perdaient, peu ou prou, leur emploi. Pourtant la Cour de cassation a qualifié cette opération de “mesure de gestion prévisionnelle du personnel”, utilisant ainsi pour la première fois cette expression, et ce pour… dispenser l’employeur de diligenter à la procédure consultative en matière de licenciement collectif. 344 Or on le voit, le terme de “gestion prévisionnelle du personnel” était ici inadapté puisqu’il ne s’agissait pas de prévenir des réductions d’effectifs aux termes d’études projectives et d’élaborations subséquentes de prévisions sur l’évolution de l’emploi (études et élaborations qui n’étaient jamais intervenues), mais (2) Bull. n° 17, étude Y. Chauvy in Dr. Ouv. 1999 p. 427 et s. (3 et 4) Voir aussi : Soc. 12 juillet 2004 pourvoi n° 02-19.175 : compression d’effectifs par le biais de propositions de dispense d’activité jusqu’à la date de la retraite s’inscrivant par conséquent “dans le cadre d’une gestion prévisionnelle des emplois” ou : Soc. 23 octobre 2002 pourvoi n° 00-41.996 : des au contraire de définir des modalités d’une réduction d’effectif. La solution à laquelle a ainsi abouti la Cour de cassation est certes compréhensible en ce sens qu’il s’agissait pour elle de délimiter le champ d’application de la procédure consultative pour les licenciements économiques, lequel ne doit dès lors comprendre que les ruptures de contrats de travail (3 et 4). Cependant point n’était besoin d’utiliser ce terme de gestion prévisionnelle des emplois qui ne se caractérise en rien par des mesures, fussent-elles “douces” et sur une longue durée, de compressions d’effectifs. Il suffisait de dire, pour aboutir à la même solution, que l’employeur était tenu de respecter la seule procédure du Livre IV du Code du travail relatives aux “mesures de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs” (cf. article L 432-1 alinéa 1 du Code du travail). Le législateur n’a pas prévu le dispositif de la gestion prévisionnelle des emplois dans le but de délimiter ce qui entre ou n’entre pas dans le champ d’application des dispositions d’ordre public relatives à la procédure consultative en matière de licenciements économiques collectifs. Le détournement de sens de la loi, de la part de la Cour de cassation, était certain. 3 - Cette jurisprudence a eu par la suite des effets pervers redoutables, les employeurs étant désormais encouragés, non à mettre en œuvre une véritable politique d’anticipation sur l’évolution des emplois, mais au contraire à réduire de plus fort les effectifs puisqu’on leur avait donné la solution pour éviter cette procédure de licenciements collectifs qui les gênaient tant, du fait de la prise de parole éclairée des représentants du personnel et des dépenses qu’elle entraîne (4 bis). Dans certaines entreprises (en particulier celles de taille importante), on s’est ainsi mis à confondre allègrement “réduction des effectifs” avec “gestion prévisionnelle des emplois”, ou avec “mobilité interne dans l’entreprise ou dans le groupe”, ou même avec “mobilité externe”, dans le seul but d’éviter cette prise de parole, ainsi que les interventions d’experts et les plans de reclassement. Le concept de gestion prévisionnelle des emplois, guère utilisé auparavant, est ainsi devenu soudain la panacée universelle pour les employeurs, mais dans un sens bien différent de celui voulu par le législateur. propositions de modification de contrat de travail qui, refusées, entraînent la rupture, ne constituent pas “une simple mesure de gestion prévisionnelle des emplois”, ce qui rend obligatoire la procédure consultative en matière de licenciements collectifs). (4 bis) M. Bonnechère “La procédure, garantie fondamentale des droits des salariés”, Dr. Ouv. 2004 p. 493. 26/07/05 10:21 Page 345 4 - Contrairement à ce que d’aucuns prétendent dans les milieux patronaux, l’orientation donnée postérieurement à la loi de 1989 par les pouvoirs publics à la gestion prévisionnelle des emplois s’est d’ailleurs avérée radicalement contraire à ces dérives, s’agissant de conforter et même de garantir financièrement cette gestion dans un sens protecteur des emplois. Dans l’ordre chronologique, on a ainsi d’abord vu la loi du 17 janvier 2002 qui, dans le cadre de l’article L 322-7 alinéa 6 du Code du travail, prévoit un dispositif d’appui permettant la prise en charge par l’Etat d’une partie des frais liés aux études préalables à la conception du plan de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, comprenant notamment des actions de formation destinées à assurer l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois. Ensuite, au niveau européen, la directive du 11 mars 2002 “établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs dans la communauté européenne” (5) insiste longuement, à la différence de la précédente directive du 20 juillet 1998, sur la nécessité “de promouvoir et de renforcer l’information et la consultation sur la situation et l’évolution probable de l’emploi au sein de l’entreprise, et lorsqu’il ressort de l’évaluation faite par l’employeur que l’emploi au sein de l’entreprise risque d’être menacé, les éventuelles mesures d’anticipation envisagées, notamment en terme de formation et de développement des compétences des travailleurs, en vue de contrebalancer l’évolution négative ou ses conséquences, et de renforcer la capacité d’insertion professionnelle et l’adaptabilité des travailleurs d’être affecté” (§ 8 du Préambule). Elle rappelle ainsi que “la Communauté a défini et mis en œuvre une stratégie pour l’emploi, axée sur les notions “d’anticipation”, de “prévention”, de “capacité d’insertion professionnelle” qui doivent constituer des éléments-clés de toutes les politiques publiques susceptibles de favoriser l’emploi, y compris des politiques des entreprises, à travers l’intensification du dialogue social en vue de faciliter des changements compatibles avec la préservation de l’objectif prioritaire de l’emploi” (§ 10 du Préambule). Enfin ce même Préambule déplore, dans ce même esprit, que “les cadres juridiques en matière d’information et de consultation des travailleurs qui existent aux niveaux communautaire et national (soient) souvent excessivement orientés vers le traitement a posteriori des processus de changement, (…) et ne favorisent pas une réelle anticipation de l’évolution de l’emploi au sein de l’entreprise et la prévention des risques” (§ 13 du Préambule). (5) reproduite au Dr. Ouv. 2002 p.492. (6) cf. supra p. 322 l’étude de T. Katz. Il est clair, déjà au vu de ces textes, que la gestion prévisionnelle de l’emploi est étrangère à une simple mobilité dans le groupe et l’entreprise, ou à des mesures de temps partiel ou congé de fin de carrière prises à la dernière minute, substitutives en réalité à des mesures de licenciements secs. > 5 - Plus clairs encore sont les textes sortis récemment en droit interne. Dans ce contexte européen, est en effet intervenu, en premier lieu, un décret du 24 juillet 2002 “relatif au dispositif d’aide au conseil aux entreprises pour l’élaboration de plans de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences”, qui prévoit la prise en charge dans une limite de 50 % par l’Etat des coûts de conseil externe supportés par les entreprises en la matière dans le cadre de conventions conclues avec le Préfet, après consultation préalable du comité d’entreprise. Ce même décret prévoit également la conclusion de conventions entre le ministre de l’emploi et des organismes professionnels et interprofessionnels “en vue de leur confier la mission de sensibiliser les entreprises aux enjeux de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences”. Puis en second lieu, sont intervenus les articles L 320-2 et L 320-3 du Code du travail issus de la loi de programmation de la cohésion sociale du 18 janvier 2005, particulièrement éclairants quant à la nécessité de distinguer la gestion prévisionnelle des emplois de toute action visant à éviter les licenciements dans le cadre même d’une procédure de compressions d’effectifs. D’un côté en effet, l’article L 320-2 prévoit la négociation obligatoire dans les entreprises et les groupes d’une certaine dimension, “portant sur les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise sur la stratégie de l’entreprise et ses effets prévisibles sur l’emploi ainsi que sur les salaires. La négociation porte également sur la mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que sur les mesures d’accompagnement susceptibles de lui être associées en particulier en matière de formation, de validation des acquis de l’expérience, de bilan de compétences ainsi que d’accompagnement de la mobilité professionnelle et géographique des salariés” (6). De l’autre, l’article L 320-3 permet la négociation d’accords collectifs de méthode “lorsque l’employeur projette de prononcer le licenciement économique d’au moins dix salariés sur une même période de trente jours” (7). Ces accords fixent, selon cette disposition, les conditions d’information et de consultation sur le projet de licenciement et le plan de sauvegarde de l’emploi, et peuvent anticiper sur le contenu de ce dernier. (7) sur cet aspect v. supra p. 303l’étude de S. Nadal et p. 296 I. Meyrat (spéc. p. 298). Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 342-375 Deuxième partie 345 342-375 Deuxième partie > P re m i è re p a r t i e 26/07/05 10:21 Page 346 Mesures de prévention Ainsi les choses sont-elles claires : les mesures de gestion prévisionnelle de l’emploi ne peuvent en aucun cas être prises “à chaud” à l’occasion d’une opération de compression d’effectifs. Les deux procédures sont distinctes l’une de l’autre, comme se situant sur deux plans radicalement différents. Les mesures de gestion prévisionnelles de l’emploi doivent être longuement mûries, en concertation avec les élus du personnel et avec l’appui, au besoin, d’un cabinet conseil ad hoc. Elles s’inscrivent en réalité dans la même démarche que celle adoptée pour l’élaboration d’autres prévisions de l’entreprise qui, dans d’autres domaines, doivent être également soumises au comité d’entreprise, telles que les perspectives économiques de l’entreprise pouvant être envisagées (8) ou, pour les entreprises de taille importante, le compte de résultat prévisionnel et le plan de financement prévisionnel (9). Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Les mesures de compression d’effectifs sont d’une toute autre nature juridique. Elles sont régies, soit par la procédure de licenciement collectif lorsqu’il y a ruptures de contrats de travail, soit par la procédure de consultation de droit commun au titre des réductions d’effectifs lorsqu’il n’y a pas de ruptures. 346 Il est ainsi par exemple erroné d’affirmer, comme le font nombre d’employeurs, que des propositions de modification des contrats de travail constitueraient des mesures de GPE, quand chacun sait qu’en cas de refus du salarié, le licenciement économique sera de toute façon décidé. Il est à cet égard regrettable que la loi du 18 janvier 2005 ait prévu, par les nouveaux articles L 321-1-2 et L 321-1-3 du Code du travail, que ce n’est qu’en cas de refus par au moins dix salariés d’une modification de leur contrat de travail que ceux-ci sont alors soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour motif économique, mettant ainsi en cause la jurisprudence Majorette et Framatome (10) (11). Cette disposition instaure en effet une confusion quant à la nature juridique d’une proposition de modification, qui pourrait ainsi être considérée comme une crypto-mesure de GPE pendant la période antérieure au refus du salarié, comme si le licenciement n’était, pendant cette courte période, aucunement envisageable ni envisagé. Dans le même esprit, il est également regrettable que l’article L 320-2 alinéa 1 prévoit in fine que la négociation sur la GPE puisse “porter également, selon les modalités prévues à l’article L 320-3, sur les matières mentionnées à cet article”. A prendre ce texte à la lettre, il semblerait (8) article L 432-4 alinéa 3 du Code du travail. (9) article L 432-4 alinéa 14 du Code du travail se référant à l’article L 232-2 du Code de commerce. (10) cf. par ex. sur cette jurisprudence : Soc. 23 octobre 2002 précité. (11) Sur cette question cf. supra p. 296 I. Meyrat. qu’il soit possible de mettre une entreprise en plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) permanent, dans le cadre d’une prétendue GPE, avec la “désécurisation” permanente de l’emploi qu’une telle formule entraînerait. Il convient de rappeler qu’une telle interprétation serait erronée compte tenu de l’article L 321-4-1 dont il résulte qu’un plan de sauvegarde de l’emploi ne peut être mis en place que lorsque des licenciements économiques collectifs sont envisagés. 6 - N’en déplaise à ceux qui préfèrent que les entreprises soient gérées à coup de réduction d’effectifs parce que les salariés coûteraient trop cher à leurs yeux, celles-ci doivent donc être gérées en tenant compte du ratio emploi dans les prévisions annuelles et pluriannuelles. Reste à savoir, avec ces nouveaux textes, comment vont se combiner la consultation du comité d’entreprise et la négociation des accords collectifs de gestion prévisionnelle des emplois : le comité devra en tout cas être consulté, d’une part, annuellement au sens des textes initiaux et, d’autre part, avant la signature des nouveaux accords collectifs, la matière relevant de sa compétence consultative (12). Il appartiendra dès lors aux représentants du personnel et aux organisations syndicales d’être particulièrement vigilants quant au respect de l’ensemble de ces dispositions. Pour ce faire, ne doivent-ils pas prendre du recul par rapport aux combats quotidiens qu’ils mènent, la plupart du temps le dos au mur, ce qui leur permettrait d’imposer aux employeurs, sur une grande échelle, la mise en œuvre, sous leur contrôle, d’une politique audacieuse de gestion prévisionnelle des emplois ? Ne pourraient-ils pas, en conséquence par exemple, émettre un avis négatif chaque fois que leur sera présenté un projet de licenciement collectif pour motif économique qui n’aura pas été précédé d’une gestion prévisionnelle des emplois sérieuse, efficace et continue pendant plusieurs années ? L’avenir d’une loi dépend de ce que l’on en fait sur le terrain, que ce soit du côté des employeurs ou du côté des salariés. L’évolution qu’a suivi jusqu’ici le concept de GPE ne l’a, hélas, que trop bien montré, et ce, aux dépens des travailleurs. Gageons qu’il en ira différemment à l’avenir. Marie-France Bied-Charreton, Avocat au Barreau de Paris (12) Soc. 5 mai 1998, EDF, Bull. n° 219, Dr. Ouv. 1998 p. 350 n. D. Boulmier et 19 mars 2003, Cervac, Bull. n° 105 : l’absence de consultation sur le projet de négociation entraîne, non pas la nullité de l’accord, ni même sa suspension en référé, mais seulement la réparation du préjudice subi par le comité d’entreprise. 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 347 Section 2 : Reclassement avant licenciement > Article L. 321-1 troisième alinéa « Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient. Les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises. » Commentaire L’obligation de la recherche d’un reclassement préalable au licenciement est sortie encore renforcée du processus législatif amorcé par la loi du 17 janvier 2002, poursuivi par la loi du 3 janvier 2003 et achevé, du moins temporairement, par la loi du 18 janvier 2005. Ce qu’écrivait le Conseiller Boubli en 1996 est aujourd’hui encore plus d’actualité : “L’obligation de reclassement est en passe de devenir l’obligation majeure du chef d’entreprise confronté à une impossibilité de maintenir le salarié à son poste de travail” (13). Les règles découvertes par la Cour de cassation dans ses arrêts de 1992 (14), et qu’elle a précisées par la suite ont été consacrées par la loi de modernisation sociale en 2002. Ces dispositions ne furent pas suspendues par la loi du 3 janvier 2003 à l’inverse de la majeure partie de la loi de modernisation sociale. Ces dispositions ne furent pas plus abrogées par la loi du 18 janvier 2005. Cette consécration législative sera encore renforcée par le Conseil constitutionnel qui dans sa décision du 13 janvier 2005, relative à la loi de programmation pour la cohésion sociale, dans son considérant 28, a estimé que le droit au reclassement des salariés licenciés découlait directement du droit de chacun d’obtenir un emploi, garanti par le cinquième alinéa du préambule de la constitution de 1946 (15). L’obligation de reclassement a donc pris une importance considérable dans la hiérarchie des normes. Dans les éléments constitutifs du licenciement, il est le plus légitimé. En effet alors que le contrôle des choix de l’employeur en matière de réorganisation est limité (16) et que les faits justificatifs de la décision de licencier sont appréciés largement par les juridictions (17), il apparaît que l’obligation de reclassement n’a cessé d’être renforcée dans sa dimension individuelle et dans sa dimension collective. La nature, l’étendu et les sanctions de l’obligation de reclassement sont aujourd’hui très clairement définies. Les modalités du débat judiciaire autour de l’obligation également. La recherche de reclassement, préalable au prononcé du licenciement, est une des conditions de la validité de la rupture pour motif économique. La Cour de cassation, dès 1992, précisait que : “le licenciement économique d’un salarié ne peut intervenir, en cas de suppression d’emploi, que si le reclassement de l’intéressé n’est pas possible” (18). Lorsqu’un poste de travail est supprimé ou modifié et que la modification a été refusée par le salarié, l’employeur doit procéder à une recherche effective (13) Bernard Boubli, “Réflexions sur l’obligation de reclassement en matière de licenciement pour motif économique”, RJS 1996, p. 131 ; cf. également Daniel Boulmier “L’appréciation de la cause réelle et sérieuse d’un licenciement pour motif économique”, Dr. Ouv. 1997, p. 406. (16) Cass. Ass. plén. 8 déc. 2000 SAT Dr. Ouv. 2001 p. 357 n. M. Henry et F. Saramito ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du Droit du travail, Dalloz, 3e ed., 2004, arrêt n° 110 ; v. supra p. 335 A. Chirez (spéc. p. 337). (14) Soc. 1er avril 1992, Bull civ. V n° 228. (17) Cass. Soc. 5 avr. 1995, TWR et Thomson-Vidéocolor, Bull. V n° 123, Dr. Ouv. 1995 p. 284 en annexe de A. Lyon-Caen “Le contrôle par le juge des licenciements pour motif économique” ; Les grands arrêts du Droit du travail, prec. arrêt n° 109 ; v. supra p. 288 H. Tourniquet (spéc. p. 291 et 293). (15) Déc. 2004-509 disp. sur www.conseil-constitutionnel.fr ; cf. Xavier Prétot, “De la liberté d’entreprendre au droit à un emploi ou les bases constitutionnelles du droit de licenciement” Dr. Soc. 2005, p. 371 ; à noter également la consécration de l’obligation de reclassement des agents publics en un principe général du droit par le Conseil d’Etat (2 oct. 2002, Dr. Ouv. 2003 p. 23 n. F. Héas). (18) Soc. 1er avril 1992, précité. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 I. La nature de l’obligation de reclassement 347 342-375 Deuxième partie > P re m i è re p a r t i e 26/07/05 15:25 Page 348 Mesures de prévention et, pour reprendre une terminologie réservé habituellement aux demandeurs d’emploi, active de reclassement (19). De ce point de vue, la proposition de modification elle-même ne peut constituer l’exécution de l’obligation de reclassement et le refus de cette proposition par le salarié ne dispense pas l’employeur de son obligation (20). Il est ainsi parfaitement clair que l’obligation de recherche préalable de reclassement est un élément constitutif de la cause économique réelle et sérieuse au coté de la cause justificative (difficultés économiques, mutations technologiques etc.) et de sa conséquence sur l’emploi (suppression, transformation). Quelle que soit la nature de la cause justificative et quelle que soit la conséquence sur l’emploi du salarié, l’obligation de recherche reclassement préalable s’impose. La recherche d’un reclassement est une obligation de moyen renforcée (21). L’employeur a une obligation de rechercher un poste pour le salarié dont l’emploi est affecté, pas d’en trouver un. Néanmoins, de simples diligences ne suffisent pas à remplir l’obligation. L’employeur doit démontrer qu’il se trouve dans l’impossibilité de proposer un poste de reclassement (22). II. Le cadre de la recherche Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Cette recherche de reclassement, selon le texte cidessus reproduit, doit être menée dans l’entreprise et le groupe de société auquel appartient l’entreprise. Ce cadre est clairement établi depuis l’arrêt Vidéocolor (23). Ce cadre a été étendu aux entreprises du groupe situé à l’étranger (24). 348 On peut s’interroger sur le caractère exhaustif de ce cadre. En effet, l’employeur tenu à une obligation de loyauté envers le salarié doit sans doute entreprendre, au-delà de ce cadre des recherches de reclassements externes. Cette recherche hors du cadre du groupe est expressément visée comme une des mesures devant être intégré dans le plan de sauvegarde de l’emploi. Le plan doit en effet, en application des dispositions de l’article L 321-4 du Code du travail contenir des mesures devant “faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité”. Cette obligation de recherche d’un reclassement externe du salarié dont le licenciement économique ne pourrait être évité du fait de l’échec de la recherche de reclassement interne est sans aucun doute une (19) Pour une inexécution de l’obligation censurée au visa de l’art. 1134 C. civ., Cass. Soc. 7 avr. 2004 Dr. Ouv. 2005 p. 122. obligation générale qui dépasse, comme l’obligation de reclassement interne, les cas où l’élaboration d’un plan de sauvegarde est obligatoire. Chaque employeur est intégré dans un milieu professionnel constitué de ses fournisseurs, clients, concurrents etc. La loyauté doit conduire, si véritablement le licenciement projeté est non inhérent à la personne du salarié, à ce que ce réseau d’influence soit mis à contribution pour le reclassement (25). Ce cadre, très subsidiaire du précédent, n’a pas pour objet d’éviter le licenciement mais de préserver le droit d’obtenir un emploi du salarié. Cette recherche de reclassement externe est donc bien une partie de l’obligation visée par le Conseil constitutionnel dans sa décision. Il est de ce fait, sans aucun doute, un élément de validité de la mesure de licenciement et doit donc à ce titre être entrepris avant celui-ci. III. L’objet de la recherche Le texte de l’article L 321-1 est précis, la recherche d’un poste de reclassement doit porter sur des emplois disponibles de même catégorie et subsidiairement de catégorie inférieure. L’employeur doit d’abord rechercher, dans le cadre qui vient d’être défini, les emplois les plus proches de ceux qui sont occupés par les salariés affectés par les mesures (du point de vue du contenu, de la qualification et de la localisation). L’employeur doit ensuite, si cette première recherche a échoué, étendre ses recherches. Ce caractère loyal de la recherche d’un poste susceptible de convenir au salarié est essentiel (26). Quand bien même l’employeur propose des postes à un salarié qui les refuse, il n’a pas rempli son obligation loyalement si des postes plus proches de celui précédemment occupé existent. Dans le cadre d’une recherche d’un poste de reclassement, l’employeur peut proposer des modifications des contrats de travail (27). Il doit également remplir son obligation d’adaptation du salarié à son emploi et ne pas se contenter des postes que le salarié peut immédiatement occuper mais étendre sa recherche à tous les postes que le salarié pourrait se voir attribuer après une formation professionnelle entrant dans le cadre de l’obligation d’adaptation. (24) Soc. 7 octobre 1998 Bull civ. V n° 407. (21) cf. supra p. 335 l’étude de A. Chirez. (25) Pour un reclassement chez le client unique détenant une participation dans la société : CA Limoges, 13 déc. 2000 Dr. Ouv. 2002 p. 29 n. F. Héas. (22) Soc. 19 novembre 1992, RJS 1993 n° 19. (26) Soc. 27 octobre 1998 RJS 1998 n° 1457. (23) précité. (27) Soc. 8 avril 1992, RJS 592, n° 598. (20) Soc. 30 septembre 1997, RJS 1997 n° 1222. 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 349 Cette loyauté dans la recherche d’un poste de reclassement impose également un certain formalisme aux propositions qui sont faites aux salariés. Le texte prévoit explicitement que les propositions doivent être écrites et précises. La jurisprudence a également précisé que la recherche ainsi que les offres faites aux salariés devaient être individualisées. La pratique très répandue de propositions collectives de postes ou de renvoi des salariés à une liste de poste disponible, à charge pour eux de se porter candidat, est rigoureusement illicite (28). > Emmanuel Gayat, Avocat au Barreau de Paris Deuxième partie : Processus des licenciements Section 1 : Le rôle du Comité d'entreprise Sous-section 1 : Accords de méthode Article L. 320-3 « Des accords d'entreprise, de groupe ou de branche peuvent fixer, par dérogation aux dispositions du présent livre et du livre IV, les modalités d'information et de consultation du comité d'entreprise applicables lorsque l'employeur projette de prononcer le licenciement économique d'au moins dix salariés sur une même période de trente jours. « Ces accords fixent les conditions dans lesquelles le comité d'entreprise est réuni et informé de la situation économique et financière de l'entreprise, et peut formuler des propositions alternatives au projet économique à l'origine d'une restructuration ayant des incidences sur l'emploi et obtenir une réponse motivée de l'employeur à ses propositions. Ils peuvent organiser la mise en oeuvre d'actions de mobilité professionnelle et géographique au sein de l'entreprise et du groupe. « Les accords prévus au présent article ne peuvent déroger aux dispositions du troisième alinéa de l'article L. 321-1, à celles des onze premiers alinéas de l'article L. 321-4, ni à celles des articles L. 321-9 et L. 431-5. « Toute action en contestation visant tout ou partie de ces accords doit être formée, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date d'accomplissement de la formalité prévue au premier alinéa de l'article L. 132-10. Toutefois, ce délai est porté à douze mois pour les accords qui déterminent ou anticipent le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné à l'article L. 321-4-1. » (28) cf. not : CE 15 novembre 1996, RJS 1997 n° 61 ; rappr. les exigences en matière de propositions de postes aux salariés à temps partiel souhaitant passer à temps plein : Cass. Soc. 20 avril 2005 à paraître au Dr. Ouv. n. M. Coupillaud. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 « Ces accords peuvent aussi déterminer les conditions dans lesquelles l'établissement du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné à l'article L. 321-4-1 fait l'objet d'un accord, et anticiper le contenu de celui-ci. 349 342-375 Deuxième partie > Deuxièmé partie 26/07/05 10:21 Page 350 Processus des licenciements Article L. 320-2 extrait* « Dans les entreprises et les groupes d'entreprises au sens du II de l'article L. 439-1 qui occupent au moins trois cents salariés, ainsi que dans les entreprises et groupes de dimension communautaire au sens des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 439-6 comportant au moins un établissement ou une entreprise de cent cinquante salariés en France, l'employeur est tenu d'engager tous les trois ans une négociation (...) [qui] peut porter également, selon les modalités prévues à l'article L. 320-3, sur les matières mentionnées à cet article. » Commentaire Depuis de très nombreuses années, et sans doute depuis l’instauration de l’obligation de présenter un plan social aux institutions représentatives du personnel, il existe une “négociation sur les restructurations destructrices d’emploi” (29). Une négociation existe nécessairement lorsqu’un projet, susceptible d’évolution, est présenté aux élus du personnel qui en discutent et qui n’ont pas attendu la permission de la loi pour présenter des contrepropositions aux employeurs. Cette négociation était et reste, selon un qualificatif traditionnel, atypique. Elle ne l’était pas seulement parce qu’elle se déroulait entre l’employeur et des élus. L’objet de la négociation est lui-même atypique. C’est bien sur le contenu de la décision patronale de restructuration que les représentants du personnel veulent peser. La procédure de consultation, la “méthode” d’information des institutions, n’ont aucun intérêt si elles ne permettent pas d’infléchir le contenu de la décision. Partant de ces constats, il a toujours été débattu des conditions de l’information et de la consultation au regard de cet objectif. Les élus peuvent ainsi renoncer à l’exercice de certaines de leurs prérogatives ou au contraire les exercer avec un zèle tout particulier, en considération des concessions de l’employeur sur le contenu de la décision de restructuration et sur le contenu des mesures d’accompagnement. A l’inverse, certains employeurs sont prêts à octroyer aux élus des prérogatives supplémentaires à celles qui sont prévues par la loi, et à fournir toutes les informations souhaitées, tant que le contenu des mesures ne subit aucune modification du fait de la procédure d’information et de consultation. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 A ces phénomènes inhérents à la discussion des projets de l’employeur, s’est ajoutée la conduite de négociation collective d’entreprise, cette fois-ci entre les organisations syndicales et les employeurs. Certaines organisations syndicales ont ainsi accepté de prendre une responsabilité dans l’élaboration des décisions de restructurations. Cette participation portait essentiellement sur le contenu des plans sociaux puis des plans de sauvegarde de l’emploi. 350 Alors que ces phénomènes se développaient, sans intervention particulière du législateur, et souvent en marge de la loi et parfois de façon occulte, la loi du 3 janvier 2003 a instauré, à titre expérimental, une possibilité de négociation dérogatoire, d’accords collectifs de travail, soumise au livre I du Code du travail, portant sur les modalités de consultation des institutions représentatives du personnel sur les restructurations. L’instauration de cette négociation “d’accord de méthode” par la loi a fait l’objet d’importantes critiques (30). Ces critiques sont parfaitement fondées lorsqu’elles portent sur les principes mêmes mis à mal par les mécanismes mis en œuvre, principalement sur le recul de l’ordre public ou sur la difficile articulation entre la consultation et la négociation. En revanche, la portée des dispositions légales a souvent été, selon nous, exagérée. Les possibilités de dérogation offertes par la loi aux accords de méthode étaient et restent particulièrement limitées, surtout au regard des pratiques observables. La lecture du “bilan d’étape sur les accords de méthode” réalisés par la DGEFP est de ce point de vue très intéressante (31). L’administration a procédé à l’étude de 161 accords “de méthode”. Elle indique que ces accords ont été conclus pour répondre “au souci des partenaires sociaux de sécuriser les procédures et de faciliter le reclassement des salariés concernés”. Il est bien clair que les mécanismes mis en œuvre tendent à ce que les décisions * Voir texte intégral de l’article L. 320-2 supra p. 343 et le commentaire de M.-F. Bied-Charreton. (30) cf. not. Christophe Baumgarten, “Accords de méthodes : un marché de dupes”, Dr. Ouv. 2003, p. 358. (29) Gérard Lyon-Caen, “Vers une négociation sur les restructurations destructrices d’emplois”, Dr. Ouv. 2002, p. 559. (31) DGEFP, “Accords de méthode - Bilan d’étape”, septembre 2004 publiée in Liaisons sociales quotidien daté du 4 janvier 2005 ; pour une lecture critique de ce bilan, v. supra p. 311 P. Rennes. 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 351 de l’employeur ne puissent être remis en cause (soient “sécurisées”) en échange d’une amélioration du sort des salariés affectés par la restructuration (que soit “facilité leur reclassement”). Les accords analysés, en dépit de ce que prédisaient certains, ne sont pas en retrait par rapport à la loi. Au contraire, il apparaît que des moyens d’informations supplémentaires sont mis dans la quasi-totalité des cas à la disposition des élus. Les accords prévoient également dans l’immense majorité des cas, la négociation du plan de sauvegarde de l’emploi et le renforcement de l’obligation de reclassement de l’employeur. La conclusion de tels accords par les employeurs n’a pas pour objet de réduire les prérogatives des institutions représentatives du personnel mais bien d’empêcher toute mise en cause, syndicale ou judiciaire des restructurations menées, moyennant concessions. Plusieurs accords analysés par l’administration contiennent d’ailleurs des clauses par lesquelles les signataires renonçaient explicitement à agir en justice pour contester ces décisions. > La loi du 18 janvier 2005 a mis fin à “l’expérimentation” et a institué les dispositions ci-dessus reproduites, mettant en place un mécanisme “définitif” de négociation sur “les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise applicables lorsque l’employeur projette de prononcer le licenciement économique d’au moins dix salariés sur une même période de trente jours” (32). Ces dispositions élargissent le périmètre de l’objet des accords de méthode (II.) et assouplissent les modalités de leur conclusion soumettant ces accords au régime de droit commun (I.). Les accords visés à l’article L 320-3 du Code du travail sont des accords collectifs de travail soumis au droit commun fixé aux articles L 132-1 et suivants du même code. Il peut désormais s’agir d’accord d’entreprise, d’accord de groupe ou d’accord de branche, à durée déterminée ou indéterminée. La possibilité de négocier au niveau de la branche, qui est une nouveauté introduite par la loi, laisse songeur. Il apparaît particulièrement délicat de décider, de façon abstraite, de dérogations aux règles du Code du travail relatives à l’information et à la consultation des institutions représentatives du personnel, à ce niveau de négociation. Dans ce cadre, la négociation aura lieu nécessairement sans considération des projets concrets soumis à la consultation. Il est probable que peu d’accords seront conclus à ce niveau sauf, peut-être, des accords-cadres sans véritable portée. L’objet des accords de méthode est intégré dans la négociation triennale obligatoire prévue à l’article L 320-2. La négociation d’accord de méthode, à froid, là encore sans considération des projets soumis à discussion, est totalement inadaptée et peut conduire les organisations syndicales à consentir à des accords sans pouvoir en mesurer l’ensemble des conséquences et en renonçant à se servir de cette négociation comme levier de l’amélioration des projets de restructuration au regard des intérêts des salariés. Le mélange de cette négociation sur les processus de consultation avec la négociation sur la gestion prévisionnelle de l’emploi est de surcroît source de confusion. Sauf dispositions conventionnelles particulières, en application des dispositions générales de l’article L 132-2-2, les nouveaux accords institués par l’article L 320-3 peuvent être valablement conclus par la partie patronale et une organisation syndicale représentative dès lors qu’ils ne font pas l’objet du droit d’opposition des syndicats majoritaires (33). En ce qui concerne les accords de méthode, l’application du droit commun constitue un assouplissement des conditions de leur conclusion. En effet, précédemment, la loi du 3 janvier 2003 imposait systématiquement la signature des organisations majoritaires. Dans le même mouvement d’assouplissement des conditions de conclusions des accords, la consultation préalable du comité d’entreprise sur le projet soumis à signature n’est plus une condition de validité de l’accord (34). Cette évolution entraînera des difficultés d’exécution des accords qui seraient conclus par des organisations minoritaires, sans association véritable des comités d’entreprise. Le comité qui n’est pas partie à l’accord collectif mais véritablement sujet de celui-ci, n’exécutera pas spontanément et de bonne grâce les termes d’un accord qui ne bénéficierait pas de l’adhésion de sa majorité. Or, l’intérêt pour les employeurs de tels accords est justement d’obtenir la (32) Sur les accords de méthode cf. supra p. 303 et p. 311 les études de S. Nadal et P. Rennes. p. 445 ; Jean-Emmanuel Ray “Les curieux accords dit “majoritaires” de la loi du 4 mai 2004” Dr. social 2004, p. 590. (33) A propos de la loi du 4 mai 2004 : Francis Saramito “Le nouveau visage de la négociation collective”, Dr. Ouv. 2004, (34) Mais reste une obligation pénalement sanctionnée cf. Soc. 5 mai 1998, Dr. Ouv. 1998 p. 350 note Boulmier et Dr. Social 1998, p. 579, rapport Frouin. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 I. La conclusion des “accords de méthode” 351 342-375 Deuxième partie > Deuxièmé partie 26/07/05 10:21 Page 352 Processus des licenciements coopération des institutions représentatives du personnel dans un souci de “sécurisation” de leur projet de réorganisation. Un accord extrêmement minoritaire, conclu dans le but de réduire le rôle du comité d’entreprise, constituerait une provocation qui, d’une part, augmenterait considérablement la probabilité d’un contentieux et qui, en tout état de cause ne pourra empêcher celui-ci d’exercer ses prérogatives fondamentales (35). La loi du 18 janvier 2005 institue également un délai de forclusion à l’introduction des actions en “contestation” des accords. Le délai est de trois mois à compter du dépôt de l’accord, prévu à l’article L 132-10, auprès de la DDTE et du Conseil de prud’hommes. Ce délai est porté à douze mois lorsque l’accord porte sur le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi. Le terme de “contestation” est particulièrement imprécis. Il faut sans doute comprendre qu’il s’agit des actions en contestation de la validité des accords. Ces délais ne seront en tout état de cause pas opposables au comité d’entreprise, qui n’est pas partie à l’accord, en cas de contestation par lui de l’opposabilité d’un tel accord, dérogeant à une règle d’ordre public. Le comité pourrait toujours revendiquer l’application de la règle d’ordre public que l’accord, même non contesté dans le délai de forclusion, aurait eu la prétention d’écarter. En effet, l’objet des accords de méthodes est limité et le délai de forclusion ne peut s’appliquer que si l’accord entre bel et bien dans le champ spécial prévu par l’article ci-dessus rapporté. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 (35) Cf. infra. 352 (36) Ces dispositions spécialement visées sont les suivantes : L 431-5 : “La décision du chef d’entreprise doit être précédée par la consultation du comité d’entreprise. Pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité d’entreprise doit disposer d’informations précises et écrites transmises par le chef d’entreprise, d’un délai d’examen suffisant et de la réponse motivée du chef d’entreprise à ses propres observations. Pour l’exercice de ses missions, le comité d’entreprise a accès à l’information nécessaire détenue par les administrations publiques et les organismes agissant pour leur compte, conformément aux dispositions en vigueur concernant l’accès aux documents administratifs. Il peut en outre, entreprendre les études et recherches nécessaire à sa mission.” L 321-1 : “Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusé par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutive notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques. Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserves de l’accord exprès du salarié, sur un emploi d’une catégorie inférieure ne peut être II. Le contenu des “accords de méthode” Les accords visés à l’article L 320-3 du Code du travail ont vocation à traiter trois sujets : les modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise sur les projets de restructurations entraînant plus de dix licenciements, les actions de mobilité professionnelle et géographique au sein de l’entreprise et du groupe, les modalités de négociation du plan de sauvegarde de l’emploi et le contenu de celui-ci. Le premier objet, qui est central, de ces accords porte sur la procédure de consultation du comité d’entreprise. L’accord doit traiter de deux sujets : les conditions dans lesquelles le comité est informé de la situation économique et financière de l’entreprise, et les conditions dans lesquelles il peut formuler des propositions alternatives. La rédaction étant sans ambiguïté, ces deux sujets doivent être traités obligatoirement. L’absence de stipulations permettant au comité de formuler des propositions alternatives et surtout lui permettant de recevoir des réponses de l’employeur affecterait la validité de l’accord. Sur ces sujets, les accords de méthode peuvent déroger aux dispositions contenues par les livres IV et III du Code du travail qui concernent les “modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise”. Ils ne peuvent en revanche déroger aux dispositions du livre I, aux dispositions des livres III et IV qui ne concernent pas les “modalités d’informations et de consultation du comité d’entreprise” ainsi qu’aux dispositions de certains articles des livres III et IV explicitement énumérés (36). Il est ainsi acquis, à la lecture du texte et en réalisé dans le cadre de l’entreprise, ou le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient. Les offres de reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises.” Les onze premiers alinéas de l’article L 321-4 : “L’employeur est tenu d’adresser aux représentants du personnel, avec la convocation aux réunions prévues à l’article L 321-2, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif. Il doit, en tout cas, indiquer : - la ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement, - le nombre de travailleurs dont le licenciement est envisagé, - les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l’ordre des licenciements visé à l’article L 321-1-1, - le nombre de travailleurs, permanents ou non, employés dans l’établissement, et le calendrier prévisionnel des licenciements. Lorsque le nombre de licenciement envisagés est au moins égal à dix dans une même période de trente jours, l’employeur doit également adresser aux représentants du personnel les mesures ou le plan de sauvegarde de l’emploi défini à l’article L 321-4-1 qu’il envisage de mettre en œuvre pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre et pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourra être évité. Ces mesures sont constituées, dans les entreprises ou établissements mentionnés au premier alinéa de l’article L 321-3, par les conventions de conversion prévues à l’article L 321-5. De même, l’employeur doit simultanément faire connaître aux représentants du personnel les mesures de nature économique qu’il envisage de prendre. L’employeur met à l’étude, dans les délais prévus à l’article L 321-6, les suggestions formulées par le comité d’entreprise 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 353 considération des interprétations de l’administration (37) que sont exclues du champ des dérogations : – les dispositions fondamentales prévoyant que les comités ont droit à une information complète, préalable et écrite ou à l’assistance d’un expert ; – les dispositions qui ne sont pas directement liées aux modalités d’informations et de consultations et notamment les dispositions relatives aux conditions de validité des licenciements économiques (motifs économiques admissibles, obligation de reclassement, critères de l’ordre des licenciement etc.). Restent dans le champ de la négociation dérogatoire essentiellement le nombre de réunions de chaque institution représentative du personnel et les délais les séparant. Cette question est relativement peu importante dès lors que les comités, pour pouvoir valablement émettre un avis, doivent toujours être pleinement informés des tenants et aboutissant des projets soumis à leur consultation. Cela signifie que les calendriers arrêtés par accord ne seront opposables au comité que dans la mesure où ces calendriers permettent une information complète et que les employeurs fournissent effectivement l’ensemble de ces informations. Dans le cas contraire, les élus pourront toujours exiger que le processus d’information soit poursuivi au-delà de ces calendriers et en cas de refus de la Direction saisir le juge de demandes tendant à cette prolongation. Les autres objets de la négociation, évoqués par l’article L 320-3, la mobilité et le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, ne sont mentionnés que dans un but d’incitation. Aucune latitude particulière n’est laissée aux négociateurs qui, sur ces sujets, doivent strictement respecter la loi. Ainsi l’accord qui anticiperait le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi devrait respecter scrupuleusement les dispositions de l’article L 321-4-1 du Code du travail qui fixe les conditions de validité de ce plan. De ce point de vue, l’intérêt de l’employeur à conclure de tels accords consiste à associer les organisations syndicales à l’élaboration des restructurations à seule fin d’en éviter la contestation (38). L’intérêt des organisations syndicales et des salariés est nettement moins évident. Les institutions représentatives du personnel pèsent déjà dans le cadre des processus de consultation sur le contenu des plans de sauvegarde de l’emploi. Il n’est absolument pas évident que les concessions des employeurs seront plus importantes dans le cadre de la négociation collective. Il est en revanche certain que cette participation des organisations syndicales conférera au plan de sauvegarde négocié une plus grande légitimité et rendra plus difficile, en pratique, sa contestation, quand bien même il serait insuffisant. > Emmanuel Gayat, Avocat au Barreau de Paris Sous-section 2 : La concomitance du Livre IV et du Livre III Article L. 321-3 deuxième alinéa I. Est ainsi affirmé, dans la loi, un principe dégagé par la jurisprudence. Toutes les règles qui en sont issues continueront à s’appliquer. Il convient de rappeler que concomitance ne signifie pas relatives aux mesures sociales proposées et leur donne une réponse motivée. Lorsque le projet de licenciement concerne moins de dix salariés sur une même période de trente jours, l’ensemble des informations prévues au présent article sera simultanément porté à la connaissance de l’autorité administrative compétente, à laquelle seront également adressés les procès verbaux des réunions prévues à l’article L 321-3. Ces procès verbaux devront comporter les avis, suggestions et propositions des représentants du personnel.” L 321-9 : “En cas de redressement ou de liquidation judiciaire, l’administrateur ou, à défaut, l’employeur ou le liquidateur, suivant le cas, qui envisage des licenciements économiques doit confusion : les deux procédures, celle au titre du Livre IV et celle au titre du Livre III, doivent être conduites de façon distincte et doivent toutes les deux être respectées (38 bis). réunir et consulter le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel dans les conditions prévues aux premier deuxième et troisième alinéa de l’article L 321-3 et aux articles L 321-4, L 321-4-1, à l’exception des deuxième troisième et quatrième alinéas, L 422-1, cinquième et sixième alinéas, et L 432-1, deuxième alinéa”. (37) Circulaire DGEFP/DRT n°20033 du 26 février 2003. (38) Ces accords sont d’ailleurs présentés comme étant des gages de “sécurité et d’efficacité” par P.-H. Antonmattéi in “Accord de méthode, génération 2005 : la positive attitude” Dr. soc. 2005 p. 399. (38 bis) Comp. supra A. Lyon-Caen p. 283, H. Tourniquet p. 288 et P. Rennes p. 311. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 « Dans les entreprises ou professions mentionnées ci-dessus, où sont occupés habituellement au moins cinquante salariés, les employeurs qui projettent d'y effectuer un licenciement dans les conditions visées à l'alinéa précédent sont tenus de réunir et de consulter le comité d'entreprise. Ils peuvent procéder à ces opérations concomitamment à la mise en œuvre des procédures de consultation prévues par l'article L. 432-1. » 353 342-375 Deuxième partie > Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 354 Processus des licenciements Pour chacun des points suivants, cela signifie que : 1° ordre(s) du jour des réunions : il doit y avoir deux ordres du jour distincts l’un sur le Livre IV, l’autre sur le livre III. Ces points peuvent, bien évidemment, être abordés au cours d’une même réunion ; 2° documents à remettre au comité d’entreprise : deux documents d’information distincts doivent être donnés aux élus ; 3° désignation de l’expert comptable : l’expert est désigné dès la première réunion, ce qui lui permet d’intervenir sur l’ensemble du processus dont est saisi le comité, c’est-à-dire tant sur la réorganisation ellemême (ses motifs, ses fondements économiques, etc.) que pour l’analyse du plan de sauvegarde de l’emploi et des mesures qui y sont prévues ; 4° délais de la consultation : application des délais “les plus favorables”, cela signifie qu’il n’y a pas de délais fixes, ceux de l’article L. 321-3 du Code du travail ne sont pas forcément applicables, étant rappelé que le Livre IV ne prévoit pas de délais. Tout dépendra de la nature, de l’importance et de la complexité du projet, des questions posées par les élus, de la bonne ou de la mauvaise volonté de la direction pour donner au comité et à son expert les éléments dont il a besoin afin de pouvoir appréhender dans sa totalité le projet et ses conséquences, des conditions des discussions sur le plan de sauvegarde de l’emploi, des efforts faits par la direction pour mettre en place des processus destinés à éviter les licenciements ou à en limiter le nombre, etc. ; Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 5° nombre d’avis du comité : dans la mesure où les deux procédures doivent être respectées, le comité d’entreprise doit émettre un avis d’une part sur le Livre IV, d’autre part sur le Livre III, et ce de façon distincte. 354 La question du “décrochage” de la concomitance n’a jamais été réglée clairement par la jurisprudence, la seule décision étant une ordonnance de référé du Tribunal de grande instance de Nanterre du 23 septembre 1998 qui a estimé qu’il ne pouvait y avoir de décrochage au motif que : “Attendu alors quant à l’objet du litige que force est de constater que les projets d’adaptation de la société Rhône Poulenc Rorer Propharm sont bien de nature à affecter le volume ou la structure de ses effectifs au sens de l’article L. 432-1 et qu’ils ont donc pour conséquence un projet de licenciement collectif pour motif économique au sens de l’article L. 321-3 ; que manifestement l’information donnée sur les premiers pour justifier la nécessité des adaptations et en présenter les modalités prévues est aussi préparatoire au projet de licenciement économique collectif, puisque précisément l’une de ces modalités consiste en suppression d’emploi ; qu’au demeurant le document de projet de plan social ne contient aucune information sur les raisons économiques, financières ou techniques du plan de licenciement, telles que prévues par l’article L. 321-4 du Code du travail, se bornant dans ses deux premières lignes à poser que “le projet d’adaptation des effectifs rendu nécessaires par les restructurations envisagées entraîne des conséquences en matière d’emploi” ; Attendu que dans ces conditions, s’il est incontestable que l’employeur était tenu de mettre en œuvre les deux procédures spécifiques et distinctes des Livres IV et III du Code du travail, il ne peut davantage être sérieusement contesté à raison de leur aspect indissociable, que cellesci doivent suivre le même sort dans l’intérêt même de l’instance représentative du personnel informéeconsultée en lui permettant ainsi d’éclairer l’une par l’autre comme de faire bénéficier l’une des avantages de l’autre, et réciproquement ; que cette nécessité est pareillement de nature à assurer par l’entreprise le respect de son obligation de loyauté et de qualité qui lui incombe dans ce domaine ; que c’est bien en ce sens que doit se comprendre l’affirmation incidente par la Cour de cassation dans son arrêt du 17 juin 1997 (n° 2760 PB société des grands magasins de l’ouest) que “si les deux procédures peuvent être conduites de manière concomitante, sous réserve des délais les plus favorables…” (ordonnance de référé du TGI de Nanterre – 23 septembre 1998 Rhône Poulenc Rorer Propharm inédit). II. Compte tenu des nouvelles dispositions, les élus peuvent-ils exiger que la consultation soit faite concomitamment ? Jusqu’à présent et alors que la concomitance était une création jurisprudentielle, il avait été estimé que cette concomitance ne pouvait être imposée à la direction, celle-ci pouvant choisir de la faire ou non. Sur cette question, il n’y a que très peu de jurisprudence. La question mériterait d’être à nouveau posée au regard du nouveau texte. Bien que le texte prévoit expressément que l’employeur peut mettre en œuvre la concomitance, on peut s’interroger sur le fait de savoir si les élus peuvent ou non exiger qu’elle ait lieu. Puisque c’est la direction qui choisit d’initier une procédure de licenciement collectif pour motif économique, il était logique que le texte dise que l’employeur peut choisir la concomitance. En effet, les élus n’ont pas l’initiative d’une procédure de licenciement collectif pour motif économique ! En fonction de la situation, la décision prise par l’employeur, de procéder ou non à une consultation concomitante, pourrait être soumise au juge qui, compte tenu des pouvoirs qui lui sont dévolus, pourrait imposer la solution la plus à même à garantir l’efficience des prérogatives et des missions du comité d’entreprise. Paul Bouaziz, Avocat au Barreau de Paris 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 355 Sous-section 3 : La fixation de l'ordre du jour du CE > Article L. 434-3 deuxième alinéa « L'ordre du jour est arrêté par le chef d'entreprise et le secrétaire. Toutefois, lorsque sont en cause des consultations rendues obligatoires par une disposition législative, réglementaire ou par un accord collectif de travail, elles y sont inscrites de plein droit par l'un ou par l'autre. Il est communiqué aux membres trois jours au moins avant la séance. Lorsque le comité se réunit à la demande de la majorité de ses membres, figurent obligatoirement à l'ordre du jour de la séance les questions jointes à la demande de convocation. » Commentaire Antérieurement à la loi du 18 janvier 2005 (39), les règles de forme imposées par la loi pour la convocation du comité, règles appliquées à la lettre par la jurisprudence de la Cour de cassation, traduisaient l’équilibre voulu par le législateur : le comité est présidé par l’employeur mais il est dirigé par le secrétaire (40). La loi comme la jurisprudence faisait ainsi obligation au secrétaire et au président de se mettre d’accord pour élaborer l’ordre du jour des séances du comité, quel que soit l’objet de la réunion. Aucun des deux ne pouvait imposer à l’autre une rédaction déterminée (41). La nouvelle rédaction de l’article L. 434-3 du Code du travail reproduite ci-dessus (42) permet dans certains cas au président ou au secrétaire d’inscrire de plein droit des questions sur lesquelles il y aurait refus d’inscription de l’un ou l’autre. Le texte établit pour cela une distinction entre consultations obligatoires et non obligatoires. Il ne supprime pas l’obligation de l’élaboration conjointe (I), mais il rompt l’équilibre antérieur. Ce qui amène à examiner les moyens dont dispose désormais le secrétaire du comité pour résoudre les désaccords sans négliger la sanction des irrégularités éventuelles (II). Le principe de l’élaboration conjointe de l’ordre du jour entre le secrétaire et le président demeure (A). Mais il est affaibli par l’exception de l’inscription de plein droit (B). A. Le principe de l’élaboration conjointe Le principe de l’élaboration conjointe de l’ordre du jour entre le secrétaire du comité et l’employeur a été maintes fois confirmé par la jurisprudence. La Cour de cassation a jugé que le Code du travail fait obligation au chef d’entreprise “d’arrêter conjointement avec le secrétaire du comité” le texte de l’ordre du jour (43). (39) Loi n° 2005-32 du 18 janv. 2005 de programmation pour la cohésion sociale, JO du 19 ; voir M. Cohen, Dr. Soc. avril 2005, L. Milet, RPDS 2005, n° 718, p. 81. Cf. supra p. 327 l’étude de C. Baumgarten. (40) La rédaction de l’article 16, deuxième alinéa, de l’ordonnance n° 45-280 du 22 février 1945 était la suivante : “L’ordre du jour est arrêté par le chef d’entreprise et le secrétaire, et communiqué aux membres trois jours au moins avant la séance”. Ce texte avait été constamment reproduit depuis dans le Code du travail. (41) Cass. Crim. 4 nov. 1997, Guerrier, n° 96-85631, bull. n° 371. (42) L’article L. 435-4 du Code du travail, huitième alinéa, relatif à l’ordre du jour des réunions du comité central d’entreprise est modifié à l’identique. Le délai de convocation reste de huit jours. (43) Cass. Crim. 16 sept. 1985, Guyot, Dr. Ouv. 1986.448 et 1989.60, note M. Cohen. Dans le même sens : Cass. Soc. 8 juil. 1997, CE de la Sté Plasco, n° 95-13177, Dr. Soc. 1997.382, obs. M. Cohen, Dr. Ouv. 1998.369 note A. de Senga, bull. n° 256. L’un et l’autre doivent se mettre d’accord pour le rédiger en commun. Cette obligation s’impose pour chaque réunion si l’examen de la même question nécessite plusieurs réunions (44). Il en est de même si la réunion est une réunion supplémentaire décidée unilatéralement par l’employeur (45). Et il avait été jugé que l’élaboration conjointe s’impose même lorsque l’employeur doit consulter le comité en vertu d’une obligation légale (46). En outre, selon une jurisprudence constante de la chambre criminelle de la Cour de cassation, si un employeur fixe unilatéralement l’ordre du jour, il commet le délit d’entrave (47), même si l’éviction du secrétaire du comité de la préparation de l’ordre du (44) Cass. Soc. 25 juin 2003, société Cegelec c/ Comité d’établissement de Nanterre de la société Alsthom entreprise Paris, n° 01-12.990, bull. n° 210. (45) Cass. Crim. 6 mai 1986, Pasqualin, Dr. ouv. 1989.62, précité ; Appel Versailles 23 janv. 2002, 14e ch., CE c/ Caisse d’Epargne Ile-de-France, n° 01-7384. (46) Cass. Soc. 23 juin 1999, Sté Euridep, n° 97-17860, bull. n° 298, Dr. Ouv. 1999.453, note M. Cohen. La nouvelle rédaction de l’article L. 434-3 prend précisément le contre-pied de cette dernière jurisprudence comme nous l’expliquons par ailleurs. (47) Cass. Crim. 4 avr. 1978, Chateigner, Dr. Ouv. 1978.385 ; Cass. Crim. 20 janv. 1981, Hélène de Creyssac (SA Folies Bergère), RPDS 1994.331, chron. M. Cohen ; Cass. Crim. 25 mai 1983, Brulé (Sté Honeywell Bull), Dr. Ouv. 1984.111 ; Cass. Crim. 16 sept. 1985, Guyot, Dr. Ouv. 1986.448 et 1989.60 note M. Cohen ; Cass. Crim. 6 mai 1986, Pasqualin (Sté Mammouth), Dr. Ouv. 1989.62, note M. Cohen. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 I. L’obligation de l’élaboration conjointe 355 342-375 Deuxième partie > Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 356 Processus des licenciements jour n’est pas la conséquence de “manœuvres” de la direction (48). Inversement, le secrétaire ne peut refuser d’établir l’ordre du jour (49). Cette obligation de fixation en commun a été utilisée par de nombreux secrétaires de comité, non pas pour faire de l’entrisme, mais pour contester utilement, dans la plupart des cas, l’enclenchement d’un processus d’information-consultation en cas de restructuration avec ou sans suppression d’emploi. Et ceci sous le contrôle du juge, puisque le refus du secrétaire d’inscrire une question à l’ordre du jour obligeait l’employeur à saisir le juge des référés afin d’être autorisé à convoquer le comité (50). L’employeur ne pouvant passer outre, le juge était ainsi amené à apprécier le bien-fondé des positions respectives des parties. Inversement, si le secrétaire se heurtait à un refus d’inscription de la part de l’employeur, il devait agir de même. Certains secrétaires avaient ainsi demandé au juge des référés de suspendre des procédures de consultation en raison d’une fixation unilatérale de l’ordre du jour par le chef d’entreprise (51) ou de faire inscrire des questions refusées par ce dernier. La jurisprudence traduisait ainsi un certain équilibre des pouvoirs. Il était également possible pour le secrétaire, sans recours au juge, de créer une situation pour arriver à un accord afin d’obtenir la totalité des informations nécessaires. Ainsi, il était fréquent que le secrétaire, avec la majorité des membres du comité, demande à l’employeur de convoquer une réunion exceptionnelle avec un ordre du jour imposé comme le permet l’article L. 434-3. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 La première phrase de l’article L. 434-3 continue de poser en principe que l’élaboration de l’ordre du jour d’une élaboration conjointe entre le secrétaire et le président. Cela signifie d’une manière générale que l’un et l’autre doivent se mettre d’accord pour rédiger en commun l’ordre du jour. 356 Dans un comité d’établissement, l’accord est nécessaire entre le secrétaire du comité d’établissement et le chef d’établissement (52). De même pour les réunions du comité central d’entreprise (53). (48) Cass. Crim. 20 janv. 1981, H. de Creyssac, RPDS 1994.331. (49) Un secrétaire du comité ne peut par exemple prendre prétexte de la mise à pied conservatoire prononcée à son égard car selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, la mise à pied conservatoire ne suspend pas le mandat (Cass. Soc. 2 mars 2004, Verwaerde c/ Delrue, n° 02-16554, bull. n° 71, Dr. Ouv. 2004 p. 437 n. M. Cohen). (50) Voir notamment : Cass. Soc. 2 mars 2004, Verwaerde précité. (51) Dans certaines affaires, le défaut d’élaboration conjointe a conduit à annuler les effets d’une procédure de licenciement Une concertation est donc nécessaire, à l’initiative de l’employeur ou du secrétaire, pour l’élaboration en commun de l’ordre du jour de chaque séance. En cas de désaccord persistant, le juge des référés demeure compétent pour arbitrer le différend comme nous l’expliquons ci-dessous. Mais les choses sont rendues plus complexes en pratique du fait de l’exception de l’inscription de plein droit. B. L’exception de l’inscription de plein droit La seconde phrase de l’article L. 434-3 permet désormais au président ou au secrétaire d’inscrire de plein droit à l’ordre du jour les consultations rendues obligatoires par une disposition législative ou réglementaire ou par un accord collectif de travail. Les termes “inscrites de plein droit” ne suppriment pas l’obligation d’une rédaction commune de l’ordre du jour. Le fait pour l’employeur d’inscrire une consultation obligatoire dans son projet d’ordre du jour ne le dispense pas de soumettre ce projet au secrétaire, puisque le principe de la rédaction conjointe est réaffirmé. Certes le texte ne subordonne pas expressément l’inscription unilatérale à l’existence d’un désaccord entre le chef d’entreprise et le secrétaire. Cependant, la nouvelle rédaction forme un ensemble solidaire (si l’on ose s’exprimer ainsi !). Elle implique à la fois la concertation (et non selon nous une simple information) pour fixer l’ordre du jour et, en cas de désaccord, la possibilité pour le président ou le secrétaire de se prévaloir directement du droit de fixer unilatéralement certains points à l’ordre du jour. Même si le contenu rédigé par l’employeur est régulier et ne contient que des consultations obligatoires, l’envoi d’un ordre du jour rédigé unilatéralement sans aucune concertation avec le secrétaire constitue donc évidemment un délit d’entrave conformément à la jurisprudence antérieure. Et le secrétaire peut saisir le juge des référés comme nous l’indiquons ci-après. Ce n’est qu’en cas de désaccord que le président ou le secrétaire, selon que le refus émane de l’un ou l’autre, peut inscrire à l’ordre du jour une consultation légalement ou conventionnellement obligatoire. Par exemple, si l’employeur désire inscrire après concertation avec le secrétaire une consultation sur collectif, y compris la notification des licenciements. Cass. Soc. 14 janv. 2003, SA Euridep, n° 01-10239, bull. n° 5, Dr. Soc. 2003.344 obs. L. Milet, Dr. Ouv. 2003 p. 152 n. M. Cohen. En l’occurrence, l’employeur avait notifié les licenciements sans attendre la décision du juge des référés. (52) En effet, aux termes de l’article L. 435-2, le fonctionnement du comité d’établissement est identique à celui du comité d’entreprise. (53) Art. L. 435-4 du Code du travail, 8e alinéa. 26/07/05 10:21 Page 357 un projet de licenciement collectif en application du livre III du Code du travail mais qu’il se heurte à un refus du secrétaire. Dans ce cas, l’employeur peut inscrire de plein droit cette consultation. Inversement, si le secrétaire veut faire inscrire une consultation séparée omise par l’employeur relative aux motifs d’un projet de restructuration en vertu du livre IV, il devrait pouvoir le faire de plein droit (54). C’est ce que signifient les termes “par l’un ou par l’autre” employés par la loi. Le secrétaire dispose donc désormais en vertu de la loi d’un droit propre d’inscrire unilatéralement, en cas de refus de l’employeur, les points relevant de la consultation obligatoire. A première vue, il s’agit d’un point positif puisque le secrétaire peut vaincre plus facilement la résistance du chef d’entreprise. Et ce droit propre concerne toutes les réunions du comité dès lors qu’une consultation obligatoire est nécessaire. Par exemple, à chaque réunion mensuelle du comité, l’employeur qui refuserait de faire figurer à l’ordre du jour une question relevant de la consultation obligatoire, malgré la demande du secrétaire, s’expose à voir invoquer par ce dernier son droit d’inscription pour imposer au président l’examen de la question dont il ne veut pas. Mais le fait que le secrétaire dispose d’un droit propre ne signifie pas qu’en pratique il dispose d’un pouvoir propre à inscrire les consultations obligatoires. En effet, les termes de la loi (“par l’un ou par l’autre”) induisent une certaine égalité des armes. Or, il n’en est rien car en pratique c’est l’employeur qui envoie les convocations avec l’ordre du jour. C’est donc lui qui, en fin de compte, va décider ce qui sera inscrit ou ce qu’il ne le sera pas. antérieure est rompu car la responsabilité de l’action en justice repose uniquement sur le secrétaire. Une autre alternative consiste à considérer qu’en cas de refus de l’employeur d’inscrire une question de plein droit, rien n’oblige le secrétaire à saisir le juge des référés et qu’il peut adresser lui-même la question aux membres du comité en respectant le délai de trois jours entre cet envoi et la date de la réunion (55). Si la proposition semble séduisante dans la mesure où elle évite un contentieux, il n’est pas certain qu’elle puisse prospérer. En effet, outre le fait que le président dirige les débats et peut donc refuser de faire discuter sur deux ordres du jour différents, même successivement, au cours de la même réunion, on peut craindre que, en agissant de la sorte, le secrétaire ne s’expose à des sanctions, voire à des poursuites pour délit d’entrave. Il nous semble beaucoup plus simple, en cas de litige, de recourir, comme nous l’indiquons plus loin, à la demande majoritaire d’une réunion exceptionnelle. Quoiqu’il en soit, le respect de l’égalité entre le secrétaire et l’employeur voulu par la loi aurait impliqué à notre avis que lorsque ce dernier refuse une inscription de plein droit, ce soit lui qui soit dans l’obligation de s’adresser au juge des référés. A charge pour celui-ci de juger si le refus de l’employeur est ou non justifié. Ce serait le pendant de la possibilité qui lui est reconnue d’inscrire des questions de plein droit en cas de refus du secrétaire. Une future modification législative s’imposera en ce sens. En reprenant, l’exemple ci-dessus, si l’employeur refuse de prendre en compte l’inscription de plein droit voulu par le secrétaire et envoie les convocations avec son propre ordre du jour, le secrétaire n’aura d’autre solution que de saisir le juge des référés pour faire inscrire la question de plein droit. L’interdiction faite à l’employeur de fixer unilatéralement l’ordre du jour ne demeure en fait qu’en cas de consultation non obligatoire (par exemple sur un projet qui n’affecte pas la marche générale de l’entreprise ou une information sur un problème de gestion de l’entreprise). Là encore, en pratique, la demande du secrétaire peut se heurter à un refus et il devra saisir le juge des référés pour trancher la difficulté. Mais cette obligation de recourir au juge des référés pèse également dans cette hypothèse sur l’employeur s’il entend imposer au secrétaire un point particulier que ce dernier refuse. En revanche, contrairement à la situation antérieure où l’employeur était dans l’obligation de saisir le juge des référés en cas de désaccord persistant avec le secrétaire, il n’est plus tenu de le faire. Il peut désormais inscrire toute consultation obligatoire sans avoir recours à la justice. Mais en devant tout de même au préalable tenter de se mettre d’accord avec le secrétaire. L’équilibre résultant de la jurisprudence Enfin, soulignons que l’inscription de droit ne concerne pas que les seules réunions du comité en cas de restructuration et/ou de licenciements, mais presque toutes les réunions du comité d’entreprise ou d’établissement. En effet, presque toutes les consultations sont obligatoires en vertu du Code du travail car la marche générale de l’entreprise oblige l’employeur à consulter le comité dans tous les (54) Sur cette distinction entre les consultations relevant du livre III et du livre IV du Code du travail, voir M. Cohen, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, 7e éd., LGDJ 2003 ; v. supra p. 353 Paul Bouaziz. > (55) V. les arguments développés sur ce point par C. Baumgarten, p. 327 du présent numéro. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 342-375 Deuxième partie 357 342-375 Deuxième partie > Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 358 Processus des licenciements domaines. Le code ne dit jamais l’employeur peut consulter ; il dit toujours “doit” consulter. Il permet en outre aux accords collectifs de fixer la liste des obligations de consulter. Il suffit donc qu’un accord énumère tous les cas de consultation, même non expressément prévus par la loi (par exemple tout ce qui relève de la marche générale de l’entreprise) pour que l’inscription soit de droit, même dans l’hypothèse d’un accord minoritaire dérogatoire à la loi, sauf opposition régulière conforme à la loi du 4 mai 2004 (56). D’où l’importance d’examiner les conséquences pratiques de cette nouvelle règle sur la résolution des désaccords et les éventuelles sanctions des irrégularités. II. La résolution des désaccords et la sanction des irrégularités Afin de débloquer certaines situations ou pour sanctionner l’employeur qui ne respecterait pas le principe de l’élaboration conjointe, les secrétaires des comités d’entreprise ont à leur disposition plusieurs moyens d’actions juridiques. Mais la nouvelle rédaction de l’article L. 434-3 va interférer sur leur mise en œuvre dans les hypothèses où l’inscription de plein droit est possible. Que des moyens existent pour résoudre les désaccords (A) n’exclut pas la sanction des irrégularités commises par l’employeur (B). Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 A. Moyens pour résoudre les désaccords 358 En premier lieu, si l’employeur et le secrétaire sont en désaccord sur une question relevant de la consultation obligatoire et si le chef d’entreprise refuse l’inscription à l’ordre du jour bien que le secrétaire se prévale de l’inscription de plein droit, ou bien encore si l’employeur refuse l’inscription d’une question qui ne relève pas de la consultation obligatoire, le secrétaire peut, comme auparavant, provoquer une réunion exceptionnelle du comité. La demande doit être signée par la majorité des membres du comité en application de l’article L. 434-3, premier alinéa. Dans cette hypothèse en effet, les questions inscrites sur la demande de convocation figurent obligatoirement à l’ordre du jour et le refus de l’employeur de convoquer le comité constitue un délit d’entrave (57). (56) Sur la négociation collective après la loi n° 2004-391 du 4 mai 2004, v. Droit Social juin 2004 p.579 et s. ; RPDS n° 710, juin 2004 ; Francis Saramito “Le nouveau visage de la négociation collective”, Dr. Ouv. 2004, p. 445 (57) Cass. Crim. 5 nov. 1979, Trainini, Dr. Ouv. 1984.109. (58) Cass. Soc. 8 juil. 1997, CE de la Sté Plasco c/ Sté Plasco, précité ; Cass. Soc. 23. juin 1999, CCE c/ Sté Euridep, précité. En second lieu, le secrétaire (ou l’employeur) peut s’adresser au juge des référés. Sous l’empire de l’ancienne rédaction de l’article L. 434-3, la Cour de cassation avait énoncé le principe selon lequel “si un accord ne peut s’établir entre le chef d’entreprise et le secrétaire du comité d’entreprise sur les questions à porter à l’ordre du jour, il appartient au plus diligent d’entre eux de saisir le juge des référés pour résoudre la difficulté” (58). Ce principe demeure pour tous les cas où l’inscription de plein droit n’est pas possible. En outre, dans le cas où la loi, le règlement ou un accord collectif de travail imposent une consultation obligatoire, nous avons vu que la loi ne dispense pas l’employeur et le secrétaire de se concerter au préalable avant que l’un ou l’autre puisse invoquer l’inscription de droit. Il en résulte que le recours au juge des référés est possible si l’employeur inscrit unilatéralement à l’ordre du jour de la réunion une consultation obligatoire en invoquant l’inscription de plein droit sans aucune concertation préalable avec le secrétaire. Le juge des référés du Tribunal de grande instance d’Angers s’est clairement prononcé dans ce sens en estimant que la fixation unilatérale par l’employeur de l’ordre du jour de la réunion du comité, en l’absence de tout refus par le secrétaire, constitue un trouble manifestement illicite. Il a donc suspendu une procédure de consultation et ordonné à l’employeur et au secrétaire d’établir en commun un ordre du jour dans lequel figureront notamment les questions proposées par la direction (59). En l’espèce c’est l’employeur qui avait rédigé unilatéralement l’ordre du jour en invoquant l’inscription de plein droit sans aucune concertation préalable avec le secrétaire. Mais le secrétaire peut aussi saisir le juge des référés si l’employeur refuse l’inscription bien que le secrétaire se prévale de l’inscription de plein droit. Dans cette hypothèse, le secrétaire ne devrait pas être dans l’obligation de saisir le juge, mais il y est contraint par l’attitude de l’employeur. Le secrétaire peut aussi vouloir contester le caractère obligatoire de la consultation inscrite de plein droit par l’employeur, mais cela sera plus rare car comme déjà évoqué la plupart des consultations sont obligatoires. Enfin, signalons que le secrétaire peut aussi refuser l’inscription d’une consultation obligatoire parce que le comité considère qu’il ne peut pas être utilement (59) TGI Angers, réf., 3 mars 2005, n° 05/00118, Comité d’entreprise de l’UES Nec Angers c/ SARL Nec Computers Angers à paraître au Dr. Ouv. n. F.S. Il convient de veiller à cet égard au respect du délai désormais très court pour saisir le juge et qui est de quinze jours suivant la réunion du comité. 26/07/05 10:21 Page 359 consulté. Le fait que l’employeur puisse inscrire la question contestée de plein droit n’interdit pas en effet au secrétaire de saisir le juge des référés pour faire suspendre la procédure de consultation. La Chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi jugé que si une question n’est pas inscrite à l’ordre du jour, le comité d’entreprise ne peut pas valablement en délibérer (65). La panoplie des solutions qui s’offrent au juge des référés reconnues par la jurisprudence antérieure demeure. Ainsi par exemple, le juge des référés peut ordonner l’inscription d’une question proposée par le président ou par le secrétaire (60), étant entendu que le juge n’a pas à dire si le refus du secrétaire est fondé ou non fondé. Il peut aussi convoquer la réunion sur un ordre du jour déterminé ce qui revient à fixer nécessairement celui-ci (61). Le refus de l’inscription d’une question demandée par l’une des parties (62) est également envisageable, sauf dans l’hypothèse, à notre avis, où la preuve est apportée que la question litigieuse relève de la consultation obligatoire en vertu de la loi, du règlement ou d’un accord collectif de travail et qu’elle aurait du être inscrite de plein droit par l’employeur à la demande du secrétaire. De même, le comité d’entreprise ne peut pas valablement se réunir et délibérer sur un ordre du jour fixé unilatéralement par le chef d’entreprise (66). C’est notamment le cas : La menace du délit d’entrave pesant sur l’employeur s’il fixe unilatéralement, totalement ou partiellement le texte de l’ordre du jour, sans consultation aucune avec le secrétaire même si certaines questions relèvent de la consultation obligatoire comme indiqué plus haut peut s’avérer également une arme efficace. Le délit d’entrave sera aussi constitué si le chef d’entreprise impose lors de la réunion du comité la tenue d’un débat sur une question non inscrite à l’ordre du jour (63), que celleci relève ou non de la consultation obligatoire. Rappelons que de son côté, le secrétaire du comité ne commet pas de délit d’entrave s’il refuse de contresigner l’ordre du jour proposé par l’employeur, même si ce refus a contraint l’employeur à recourir à une procédure de référé (64) ou si l’employeur a inscrit de plein droit, après concertation, la question litigieuse. B. La sanction des irrégularités Ces dernières années la jurisprudence a fait un pas significatif à propos des conséquences civiles des irrégularités de la convocation du comité. Le fait que certaines question puissent faire l’objet désormais d’une inscription de plein droit ne changent pas la nature des sanctions des irrégularités commises par le chef d’entreprise. (60) Cass. Soc. 1er oct. 2003, n° 01-13099, Sté Aldimarché ; Appel Paris 14 avr. 1999, Sodiaal International, R.J.S. n° 933 (dans les deux cas inscription d’une procédure de licenciement collectif). > – si l’employeur a inscrit une consultation obligatoire en invoquant l’inscription de plein droit sans aucune concertation préalable avec le secrétaire car dans ce cas l’inscription est contraire à la première phrase de l’article L. 434-3, deuxième alinéa ; – ou bien s’il s’avère que la question litigieuse ne relevait pas de la consultation obligatoire ; – ou bien encore si l’employeur et le secrétaire se sont mis d’accord sur l’ordre du jour mais qu’au cours de la séance, l’employeur veut imposer l’examen d’une question non inscrite, que celle-ci relève ou non de la consultation obligatoire. On peut aussi estimer que le refus par l’employeur de l’inscription d’une question à la demande du secrétaire alors que celle-ci relevait de l’inscription de plein droit peut être assimilé à une fixation unilatérale de l’ordre du jour et que cela atteint la validité des délibérations. En effet, l’irrégularité de forme qui sera commise par le chef d’entreprise en convoquant unilatéralement le comité d’entreprise sur un ordre du jour fixé par lui seul même en cas de respect de la concertation préalable, entraîne l’irrégularité de l’ensemble de la procédure dans un domaine qui requiert la consultation obligatoire du comité. Même dans l’hypothèse où la question soumise à consultation ne soulève aucune objection de fond, elle entache la validité civile des actes de l’employeur. Telles sont les premières observations qui semblent s’imposer à la lecture de la nouvelle rédaction de l’article L. 434-3 du Code du travail, deuxième alinéa. Mais la pratique quotidienne des comités d’entreprise en révèlera sans doute d’autres. Laurent Milet, Docteur en Droit, Maître de conférences associé à l’Université de Paris XI, Rédacteur en chef de la Revue pratique de droit social convocation d’une troisième réunion sur un projet de restructuration et un plan social, en raison de l’insuffisance des informations). (61) Cass. Soc. 4 juil. 2000, LCL France, n° 98-10916. (63) Cass. Crim. 5 févr. 2002, n° 01-83275, Simon. (62) TGI réf. Nanterre, 9 déc. 1998, Sté Henkel (rejet d’une demande d’inscription d’un projet de réorganisation en raison de l’absence d’une information fiable et complète) ; TGI réf. Evry, 23 avr. 1999, Sté CGG (rejet d’une demande patronale de (64) Cass. Crim. 4 nov. 1997, Guerrier, n° 97-83463, bull. n° 366. (65) Cass. Soc. 9 juil. 1996, Dassault Falcon Service, n° 94-17628, bull. n° 271. (66) Cass. Soc. 8 juil. 1997, CE de la Sté Plasco précité. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 342-375 Deuxième partie 359 342-375 Deuxième partie > Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 360 Processus des licenciements Section 2 : Entrée en vigueur des dispositions nouvelles Article 78 de la loi (article 37-8 du projet de loi) « Les dispositions de l'article L. 320-3 du Code du travail dans leur rédaction issue des dispositions de l'article 72, ainsi que les dispositions du Code du travail résultant des articles 73, 75, 76 et 77 sont applicables aux procédures de licenciement engagées à compter de la date de promulgation de la présente loi. « Au sens du présent article, une procédure de licenciement est réputée engagée à la première des dates suivantes : - celle à laquelle est effectuée la convocation à l'audition prévue à l'article L. 122-14 du même code ; - celle à laquelle est effectuée la première convocation aux consultations visées à l'article L. 321-2 du même code ; - le cas échéant, celle à laquelle le comité d'entreprise est convoqué, dans le cas visé au 2° de l'article L. 321-2 précité, pour l'application de l'article L. 432-1 du même code. » Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Commentaire 360 I. Le terme “promulgation” surprend dans la mesure où l’ancien article 1er du Code civil (67) qui utilisait cette expression a été abrogé par l’ordonnance du 20 février 2004 (68). La promulgation d’une loi est “l’acte par lequel le Président de la République atteste de son existence et donne ordre aux autorités publiques de l’observer et de la faire observer” (69). Cet acte n’a d’autre date que celle de sa signature, bien qu’il ne prenne effet comme la loi elle-même, qu’après avoir été publié dans les conditions fixées par les lois et règlements (70). Dans un arrêt du 27 juin 2001, le Conseil d’Etat a été amené à préciser, sous l’empire des anciens textes, qu’“en vertu de l’art. 2 du décret du 5 novembre 1870, les textes législatifs et réglementaires sont obligatoires à Paris, un jour franc à compter du leur “promulgation”, laquelle doit s’entendre, au vu de l’économie générale du décret, comme la publication de ces actes au Journal officiel” (71). La Cour de cassation a estimé que la date de “publication” devait s’entendre comme visant le jour de l’entrée en vigueur et non comme le jour de parution au Journal officiel (72). (67) Ancien art. 1er “Les lois sont exécutoires dans tout le territoire français, en vertu de la promulgation qui en est faite par le Roi [le Président de la République] Elles seront exécutées dans chaque partie du Royaume [de la République] du moment où la promulgation en pourra être connue. La promulgation faite par le Roi [le Président de la République] sera réputée connue dans le département de la résidence royale [dans le département où siège le Gouvernement], un jour après celui de la promulgation; et dans chacun des autres départements, après l’expiration du même délai, augmenté d’autant de jours qu’il y aura de fois dix myriamètres (environ vingt lieues anciennes) entre la ville où la promulgation en aura été faite, et le chef-lieu de chaque département.” Au regard des nouvelles dispositions de l’article 1er du Code civil, la jurisprudence antérieure reste applicable. L’article 1er (nouveau) du Code civil dispose : “Les lois et, lorsqu’ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu’ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l’entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l’exécution nécessite des mesures d’application est reportée à la date d’entrée en vigueur de ces mesures. En cas d’urgence, entrent en vigueur dès leur publication les lois dont le décret de promulgation le prescrit et les actes administratifs pour lesquels le gouvernement l’ordonne par une disposition spéciale...” Donc, sous réserve des dispositions qui nécessitent un accord des partenaires sociaux ou un décret (cf. infra) toutes les dispositions de la loi, relatives au sujet traité, sont applicables le lendemain de la publication de la loi, à savoir le 20 janvier 2005 (73). En effet, aucune urgence n’a été prescrite par le décret de promulgation. (68) Ordonnance 2004-164, 20 fév. 2004, relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs (69) Conseil d’Etat, 8 fév. 1974 Commune de Montory, JCP 1974 II, 17703, 2e esp. note Liet-Veaux. (70 Même arrêt. (71) CE 27 juin 200, D. 2001, IR. 2877. (72) Cass. Civ. 3e, 1er juin 1994 Bull. Civ. 3e n° 111. (73) A défaut certaines dispositions de la loi seraient entrées en vigueur avant la publication de la loi au JO, donc avant d’être connues ! 26/07/05 10:21 Page 361 II. En fait, pour comprendre le mécanisme suivi par le législateur il est nécessaire de reprendre les différentes étapes du processus : 1° L’article 37-8 de la lettre rectificative, adopté sans modification par le Sénat, était composé d’un alinéa unique prévoyant que les modifications issues du texte en matière de licenciement économique ne s’appliqueraient qu’aux procédures engagées à compter de la promulgation de la loi. Le rapporteur devant le Sénat a précisé : “Les procédures de licenciement déjà en cours au moment où la loi sera promulguée continueront d’être régies par l’actuelle réglementation, tandis que celles engagées après cette date seront concernées par les nouvelles règles. On peut considérer qu’une procédure de licenciement est “engagée” lorsque les premiers actes juridiques formalisés ont été accomplis (envoi d’une lettre au salarié en cas de licenciement individuel, première consultation des représentants du personnel pour un licenciement collectif)” (74). Il faut donc lire le texte à “l’envers” en ce qu’il prévoit que certaines des nouvelles dispositions ne sont pas applicables aux “procédures” de licenciement en cours, y compris en cas de licenciement individuel. Ceci est conforté par le fait que devant l’Assemblée nationale (75), le rapporteur a présenté un amendement qualifié de précision, ajoutant quatre alinéas au texte d’origine destinés à définir la notion de procédure de licenciement engagée. 2° C’est ainsi que trois cas de figure ont été introduits dans la loi ayant comme point de départ la date à laquelle est effectuée la convocation : 1) à l’audition prévue par l’article L. 122-14 du Code du travail : c’est-à-dire la convocation à l’entretien préalable ; Nota : La date à prendre en compte est celle de la première présentation de la lettre recommandée ou la remise en main propre de la convocation. 2) aux consultations visées à l’article L. 321-2 du Code du travail (licenciement pour motif économique) ; Nota : Comme dans le cas précédent, c’est la date de la première présentation de la convocation à la réunion du comité d’entreprise qui doit être prise en compte. Ces deux premiers points ne posent pas de difficultés majeures. Tel n’est pas le cas du dernier alinéa ainsi rédigé : 3) le cas échéant, celle à laquelle le comité est convoqué dans le cas visé au 2° de l’article L. 321-2 (licenciement collectif pour motif économique) pour l’application de l’article L. 432-1 du même code. (74) Rapport Sénat, session ordinaire 2004-2005 n° 39, p. 23. (75) Rapport AN n° 1930 p. 380 à 382. Cette formulation ne brille pas par sa clarté. En effet, l’on ne voit pas très bien à quoi se rapporte la formule pour l’application de l’article L. 432-1, appliquée aux “grands licenciements”. L’article L. 432-1 du Code du travail est le texte général sur la compétence du comité d’entreprise et dispose dans son alinéa 2 que le comité est “obligatoirement saisi en temps utile des projets de compression des effectifs ; il émet un avis sur l’opération projetée et ses modalités d’application…”. > Doit-on comprendre que : – par dérogation au principe affirmé de la nonapplication de la loi aux procédures de licenciement en cours, celle-ci serait tout de même applicable, en cas de concomitance, à la première réunion au titre du Livre III faisant suite à l’entrée en vigueur de la loi ? – ou alors, comme on l’a suggéré (76), que cet alinéa vise les grands licenciements et que le précédent (consultations visées à l’article L. 321-2 du Code du travail) ne vise que les petits licenciements ? Cette dernière interprétation est juste et logique puisque l’alinéa 3 vise expressément l’article L. 321-2, 2° et que la formule pour l’application de l’article L. 432-1 n’a pas réellement de sens. De même, l’alinéa 2 vise l’article L. 321-2 dans son ensemble et non uniquement le premièrement. III. Sont donc applicables aux procédures de licenciements engagées à compter de la “promulgation” de la loi, les articles : – L. 320-3 (article 72-I de la loi), relatif aux accords dits de méthode, – L. 321-1, L. 321-1-2 et L. 321-1-3 modifiés (article 73 de la loi) relatifs à la nouvelle définition du licenciement pour motif économique et de la procédure liée à la proposition de modification pour motif économique, – L. 321-16 nouveau (article 75 de la loi), relatif aux délais pour agir en justice en contestation de la régularité de la procédure de consultation ou de la régularité ou de la validité du licenciement, – L 321-17 nouveau (article 76 de la loi), relatif à la revitalisation des bassins d’emploi, – L. 122-14-4 modifié (article 77 V de la loi), relatif à la réintégration du salarié, – L. 334-3 et L. 435-4 (article 77 I & II de la loi), relatifs à l’élaboration de l’ordre du jour. Mais, était-il bien nécessaire de le dire, puisque la loi est d’application immédiate et que les autres dispositions de celle-ci, même si elles ne sont pas (76) Liaisons Sociales n° 8561 p 8. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 342-375 Deuxième partie 361 342-375 Deuxième partie > Tro i s i è m e p a r t i e 26/07/05 10:21 Page 362 L'ordre des licenciements énumérées, sont également applicables ? Il aurait été plus logique, et surtout plus simple pour la compréhension du texte, de dire que les articles cités n’étaient pas applicables aux procédures engagées antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi. V. Pour les autres dispositions que celles visées à l’article 78 de la loi et à défaut de mesures spécifiques, ce sont les principes généraux issus de l’article 1 du code civil qui s’appliquent : la loi entre en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel. Mais il est vrai que, dans ce cas, l’effet d’annonce aurait été moins spectaculaire. Il est bien évidemment nécessaire de réserver les textes qui nécessitent, pour être applicables, un décret ou un autre acte. Tel est notamment le cas expressément visé durant les débats parlementaires de l’article 74 de la loi (ancien article 37-8) procédant à une nouvelle rédaction de l’article L. 321-4-2 du Code du travail relatif à la convention de reclassement personnalisée qui nécessite soit un accord au niveau de l’UNEDIC, soit un décret en Conseil d’Etat. La question de savoir ce qui doit être proposé aux salariés dans cette attente ne se pose pas : il est obligatoire de leur proposer le pré-PARE. En effet, les nouvelles dispositions, se substituant aux anciennes, n’entreront en vigueur que lors de la signature de la convention ou de l’entrée en vigueur du décret : cela implique nécessairement que les anciennes continuent d’être en vigueur à défaut d’avoir été abrogées. IV. Les “procédures” engagées avant l’entrée en vigueur de la loi restent soumises aux règles antérieures : l’élaboration de l’ordre du jour, l’absence de délai abrégé, pour contester les réunions du comité ou le plan de sauvegarde de l’emploi, l’obligation de présenter ou de poursuivre la procédure Livre III en cas de proposition de modification des contrats, la réintégration en cas de licenciement... En revanche, quel est le régime applicable en cas de concomitance ? Doit-on considérer que tout le processus (Livre IV et Livre III) est soumis à l’ancien régime puisqu’il constitue une procédure d’ensemble unique ayant pour objet un licenciement collectif pour motif économique ? Ou peut-on considérer que seul l’aspect Livre III reste soumis à l’ancien régime, la procédure Livre IV étant soumise au nouveau régime (ordre du jour…) ? Pierre Bouaziz, Avocat au Barreau de Paris Troisième partie : L’ordre des licenciements Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Article L. 321-1-1 362 « Dans les entreprises ou établissements visés à l'article L. 321-2, en cas de licenciement pour motif économique, à défaut de convention ou accord collectif de travail applicable, l'employeur définit, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements. Ces critères prennent notamment en compte les charges de famille et en particulier celles de parents isolés, l'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment des personnes handicapées et des salariés âgés, les qualités professionnelles appréciées par catégorie. « La convention et l'accord collectif de travail ou, à défaut, la décision de l'employeur ne peuvent comporter de dispositions établissant une priorité de licenciement à raison des seuls avantages à caractère viager dont bénéficie un salarié. « En cas de licenciement individuel pour motif économique, l'employeur doit prendre en compte, dans le choix du salarié concerné, les critères prévus à la dernière phrase du premier alinéa ci-dessus. » 26/07/05 10:21 Page 363 > Commentaire La Cour de cassation impose au juge de rechercher quelle est la vraie cause du licenciement au-delà des motifs énoncés dans la lettre de licenciement (77). Il en est ainsi en particulier lorsque la cause inhérente à la personne du salarié, énoncée dans la lettre de rupture, masque un motif économique (78). Il n’est en effet pas normal que l’employeur élude le contrôle judiciaire sur la cause de licenciement en masquant le vrai motif, illicite, par de fallacieux prétextes. La jurisprudence sanctionne ainsi de façon constante ce procédé en considérant les licenciements entachés de détournement de pouvoir comme étant, purement et simplement, dénués de cause réelle et sérieuse (79). Il doit dès lors en être ainsi lorsque la cause économique invoquée dans la lettre de rupture cache un motif personnel (par ex. licenciement économique dont le “motif essentiel” est l’âge du salarié) (80), et ce, par conséquent y compris lorsque les critères d’ordre de licenciement ont été méconnus (81). Le législateur impose en effet à l’employeur d’établir, préalablement à tout licenciement économique, des critères “objectifs” d’ordre de licenciements, dans le but de guider son choix des salariés à licencier au sein de la catégorie professionnelle à laquelle ils appartiennent (82 et 83), de sorte que, si ces critères de choix sont respectés, le licenciement ne peut, en principe, pas être prononcé pour un motif personnel : le respect de l’ordre des licenciements garantit que la seule cause de la rupture est économique, excluant ipso facto toute possibilité de détournement de pouvoir de l’employeur. De façon en quelque sorte mathématique, on devrait ainsi en conclure que, dans l’hypothèse où celui-ci ne respecte pas l’ordre des licenciements, il est réputé avoir entaché sa décision de rupture d’un détournement de pouvoir : il a usé de son pouvoir de licencier pour motif économique pour licencier un salarié pour un motif inhérent à sa personne, et les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sont dus sur le fondement des (77) Soc. 26 mai 1998 Bull. n° 276 ; Soc. 10 avril 1996 Bull. n° 149. (78) Soc. 26 mai 1998 précité. (79) cf. Soc. 26 janvier 1998 et Soc. 10 avril 1996 précités. (80) Soc. 24 avril 1990 Bull. n° 181, Dr. Ouv. 1990 p. 392. (81) F. Saramito “L’ordre des licenciements” Dr. Ouv. 1994 p. 211. (82) Sur la nature nécessairement objective des critères : Soc. 24 février 1993 Bull. n° 66. (83) Sur la catégorie professionnelle comme critère de détermination des salariés licenciables : Soc. 13 février 1997, Samaritaine, Bull. n° 63, Dr. Ouv. 1997 p. 94 n. P. Moussy. articles L 122-14-4 ou L 122-14-5 du Code du travail selon les cas. Or on ne sait pourquoi, la Cour de cassation n’admet pas cette solution qui découle pourtant de la loi et de la jurisprudence précitée de façon évidente, aucun problème sérieux d’interprétation des textes n’y faisant obstacle. La jurisprudence considère ainsi que l’inobservation des règles relatives à l’ordre des licenciements n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse (84). Elle sanctionne dès lors cette inobservation, non pas par une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, mais par des dommages-intérêts “pour violation de l’article L 321-1-1 du Code du travail” (85), faisant passer en réalité cette réparation dans le régime du droit commun de la responsabilité, comme si ladite violation n’avait pas d’incidence sur la cause du licenciement et lui était radicalement étrangère. Elle considère de la sorte que cette “illégalité” entraîne un préjudice “pouvant aller jusqu’à la perte injustifiée de l’emploi”, qui doit être réparée selon son étendue de façon souveraine par les juges du fond (86). Ainsi se trouve écartée l’automaticité du lien de causalité entre la violation de l’ordre des licenciements et la perte de l’emploi et, par voie de conséquence, le minimum légal de six mois de l’article L 122-14-4 (87). Et la Cour de cassation ne tire même pas toutes les conséquences de cette solution, puisqu’elle décide par ailleurs que, lorsque le licenciement est dénué de motif économique réel et sérieux, le salarié ne peut cumuler les indemnités pour perte injustifiée de son emploi et pour inobservation de l’ordre des licenciements (88). Si elle était logique, elle attribuerait pourtant dans cette hypothèse une réparation spécifique du préjudice, fût-elle minime, résultant de la violation de l’ordre des licenciements, sauf à dire que le préjudice est le même (la perte de l’emploi), et ce, de façon automatique, que celui découlant du licenciement, ce que précisément la Cour Suprême ne dit pas. (84) Soc. 20 janvier 1998 Bull. n° 20 ; récemment : Soc. 16 novembre 2004 pourvoi n° 02-42.620. (85) Soc. 7 février 1990 Bull. n° 51 et 22 mars 1995 Bull. n° 104 ; récemment : Soc. 24 novembre 2004 pourvoi n° 02-44.637. (86) Soc. 14 janvier 1997 Bull. n° 16 ; Soc. 24 novembre 2004 précité. (87) Soc. 14 janvier 1997 précité ; voir aussi Soc. 19 mars 1998 Bull. n° 164 ; Soc. 30 mars 1999 Bull. 145. (88) Soc. 5 octobre 1999 Bull. n° 366. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 342-375 Deuxième partie 363 342-375 Deuxième partie > Tro i s i è m e p a r t i e 26/07/05 10:21 Page 364 L'ordre des licenciements On peut se demander d’où vient cette réticence à considérer le non-respect de l’ordre des licenciements comme un licenciement entaché d’un détournement de pouvoir. de frauder la loi en licenciant ce salarié pour une raison autre que celle qui est présentée dans la lettre de licenciement, ces étapes ne sont pas pour autant séparées de l’analyse du détournement de pouvoir. Il est vrai qu’il s’agit d’un détournement de pouvoir un peu particulier dans la mesure où un licenciement serait de toute façon intervenu, en l’absence même de ce détournement. La Cour de cassation a, bien au contraire, toujours exigé des juges du fond qu’ils “débusquent” la fraude par une analyse chronologique globale des étapes de la rupture, chaque fois que cela leur était demandé, au-delà des apparences de régularité créées par l’employeur. On ne voit dès lors pas pourquoi ils devraient brusquement s’en tenir aux apparences lorsqu’ils sont face à une inobservation de l’ordre des licenciements et “jouer les naïfs”, en faisant comme si cette faute ne constituait qu’une simple irrégularité, isolée du processus de licenciement. Mais une telle circonstance est en réalité inopérante en droit dès lors que le licenciement constitue, pour le salarié licencié, une décision individuelle ne concernant que lui, et qui n’a d’incidence que sur son contrat de travail, s’agissant de la rupture individuelle d’une relation contractuelle. C’est ainsi dans ce cadre de la relation contractuelle individuelle que doit être apprécié le caractère réel et sérieux de la cause de licenciement, or en l’absence de détournement de pouvoir son licenciement ne serait pas intervenu. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Il semble donc que la solution adoptée par la Cour de cassation provienne de ce qu’elle apprécie l’illégalité, non au regard du sort du contrat de travail concerné, mais à l’aune de la seule décision prise, en amont du licenciement, par l’employeur qui a fait un choix parmi plusieurs personnes à licencier. Ce choix serait, selon cette démarche, extérieur à la relation individuelle contractuelle, voire de nature collective, ne privant, en tant que tel, pas de cause réelle et sérieuse le licenciement individuel intervenant subséquemment. 364 Cette démarche ne résiste cependant pas à la critique : cette distorsion artificielle entre le choix du salarié à licencier (irrégulier) et la décision de rupture (régulière en son principe) procède d’une appréciation de la nature du préjudice, non pas en la personne de la victime (le salarié), qui, lui, subit les effets néfastes d’une seule et même décision à son égard (son licenciement entaché de détournement de pouvoir), mais en celle de l’auteur de la faute (l’employeur), qui a d’abord pris la décision (régulière) de réduire les effectifs pour des raisons économiques et a ensuite seulement “mal choisi la cible”, ce qui expliquerait la distinction entre deux préjudices, les dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse n’étant dû qu’en l’absence de raisons économiques. Pourtant, si tout licenciement entaché de détournement de pouvoir (par ailleurs sanctionné par la jurisprudence) procède quelque part d’une opération en deux, voire plusieurs étapes, s’agissant (89) Soc. 23 janvier 1996 Bull. n° 23. (90) Soc. 4 novembre 1993 pourvoi n° 92-41.624 ; 3 février 1993 pourvoi n° 89-41.909 ; 29 mai 1991 pourvoi n° 88-45.218. (91) Soc. 26 janvier 1999 Bull. n° 39. On aurait pu croire que cette jurisprudence allait évoluer avec cet arrêt qui avait décidé que l’absence de réponse de l’employeur à la demande, par le salarié, de la communication des critères d’ordre de licenciement “laisse (le salarié) dans l’ignorance du motif réel de son licenciement, lequel est, dès lors, dépourvu de cause réelle et sérieuse” (89), d’autant que des décisions isolées, non publiées il est vrai, avaient admis que des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse soient alloués dans le cas d’une inobservation de l’ordre des licenciements (90). Cependant la Cour suprême est vite revenue sur cette solution en décidant que l’absence de réponse de l’employeur n’a pas pour effet de priver le licenciement de cause réelle et sérieuse (91). Cette jurisprudence a été vivement critiquée par la doctrine qui a notamment fait observer qu’”elle ne correspond pas à la réalité des situations car elle sousentend que le salarié peut subir un préjudice (résultant de l’inobservation de l’ordre des licenciements) autre que la perte de son emploi. Or on voit mal comment cette hypothèse pourrait se rencontrer”, en ajoutant de façon pertinente que le licenciement économique d’un salarié “n’a une cause réelle et sérieuse que si la suppression d’emploi, elle-même justifiée, impose le licenciement de ce salarié. (…) Le licenciement d’un salarié, qui est licencié à la place d’un autre, n’a pas de cause réelle et sérieuse” (92). La question posée est en effet celle du périmètre de la cause justificative de licenciement. Mais elle est aussi celle du périmètre de la cause qualificative de licenciement : le licenciement pour motif économique d’un salarié prononcé en violation de (92) cf. obs. sous Soc. 14 janvier 1997 précité, in J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud et E. Dockès, Les grands arrêts de droit du travail, 3e édition Dalloz, p. 409 et 410. 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 365 l’ordre des licenciements n’a pas de cause économique, étant, de fait, inhérent à sa personne. cause économique du fait d’un détournement d’un Dans un arrêt malheureusement isolé, la Cour de cassation a ainsi, semble-t-il dans cet esprit, approuvé une Cour d’appel d’avoir alloué des dommagesintérêts sur le fondement de l’article L 122-14-4 à un salarié qui avait été licencié soit-disant pour motif économique et en réalité en violation de l’ordre des licenciements “dans le but de permettre la promotion d’un autre salarié”, de sorte que “la décision de licenciement était entachée de détournement de pouvoir” et “n’avait pas de cause économique” (93). licenciements que parce que le salarié avait en > pouvoir dans le cas d’une violation de l’ordre des l’espèce allégué un détournement de pouvoir en quelque sorte “autonome” de cette violation (en l’espèce, la promotion d’un autre salarié). Or une telle solution n’est, là encore, pas compréhensible dès lors qu’elle oblige le salarié à alléguer ce détournement de pouvoir et le juge à l’établir, là où il devrait être présumé du seul fait de l’inobservation de l’ordre des licenciements. Marie-France Bied-Charreton, On peut cependant supposer, à la lecture de cet arrêt, que la Cour de cassation n’a admis l’absence de Avocat au Barreau de Paris Quatrième partie : Le rôle du juge et les sanctions Section 1 : Le juge des référés et le juge du fond Article L. 321-16 « Toute action en référé portant sur la régularité de la procédure de consultation doit, à peine d'irrecevabilité, être introduite dans un délai de quinze jours suivant chacune des réunions du comité d'entreprise. « Toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cadre de l'exercice par le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la notification de celui-ci. Ce délai n'est opposable au salarié que s'il en a été fait mention dans la lettre de licenciement. » Cet article est issu de l’article 75 de la loi et a pour but d’enserrer dans un délai bref les contestations relatives à la régularité de procédures de consultation ou du licenciement. Des précisions doivent être apportées, surtout sur le plan pratique (A) et si ce texte ne pose pas de difficulté majeure d’interprétations sur de nombreux points des interrogations doivent être relevées (B). I. Aspects procéduraux A. Computation des délais Les règles du nouveau Code de procédure civile (94) s’appliquent. Il en résulte que pour le délai de (93) Soc. 2 juin 1993 pourvoi n° 92- 41. 282. (94) Articles 641 et 642. (95) Article 641 du NCPC : “Lorsqu’un délai est exprimé en jours, celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui le fait courir ne compte pas. Lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même quinze jours, le premier jour est exclu du décompte (95), tandis que le délai de douze mois expire le jour du dernier mois qui porte le même quantième que le jour faisant courir le délai ; à défaut d’un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois (96). quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la notification qui fait courir le délai. A défaut d’un quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois. Lorsqu’un délai est exprimé en mois et en jours, les mois sont d’abord décomptés, puis les jours”. (96) Article 641 al. 2 du NCPC. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Commentaire 365 342-375 Deuxième partie > Quatrième partie 26/07/05 10:21 Page 366 Le rôle du juge et les sanctions Ces deux délais expirent le dernier jour à 24 heures. Si le délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié, ou chômé, il est prorogé au premier jour ouvrable suivant (97). 2) Délai de douze mois B. Interruption des délais Les situations doivent être distinguées selon les deux délais instaurés par la loi. 1) Délai de quinze jours La régularité de la procédure doit à peine “d’irrecevabilité” être “introduite” dans un délai de quinze jours. Bien que le texte ne le précise pas, il s’agit d’un délai dit de “forclusion” ou, pour reprendre la terminologie actuelle, d’un “délai pour agir”. Plus importante est la notion “d’introduction” de la procédure. Cette notion ne peut s’entendre que de la remise au greffe d’une copie du second original de l’assignation. L’article 53 du NCPC dispose : “La demande initiale est celle par laquelle un plaignant prend l’initiative d’un procès en soumettant au juge ses prétentions. Elle introduit l’instance.” Dans d’autres domaines, des formules similaires ont été utilisées à propos de la saisine du juge et ont à chaque fois été interprétées comme signifiant que la juridiction n’était saisie que par la remise au greffe de Devant le tribunal de grande instance (procédure ordinaire ou à jour fixe), c’est la délivrance de l’assignation qui suspend la prescription (article 757 du NCPC) (100). La remise au greffe (pour la procédure ordinaire) doit être faite dans les quatre mois de l’assignation faute de quoi celle-ci sera caduque et les effets de la suspension de la prescription anéantis. Devant le Conseil des prud’hommes, c’est la remise ou l’envoi de la demande au greffe du Conseil qui saisit la juridiction et interrompt la prescription même en cas de saisine d’un Conseil territorialement incompétent (101). Afin d’éviter toute difficulté, notamment liée au délai d’acheminements postaux, il est plus prudent de déposer la demande au greffe. des baux d’habitation) qui prévoit qu’à défaut de saisine du juge avant le terme du contrat, celui-ci est C. Prescription et forclusion – ce principe a été jugé à propos de l’article 17 c) de la loi du 6 juillet 1989 (relatif à la fixation des loyers renouvelé aux clauses et conditions antérieures (98) ; – en matière de divorce, à propos de l’ancien article 1113 du NCPC qui prévoyait qu’à défaut de saisine du juge dans les six mois de l’ordonnance de nonconciliation, les mesures provisoires étaient caduques, la Cour de cassation a, dans un arrêt du 26 juin 2003 (99), estimé que cette notion s’entendait de la remise au greffe d’une copie de l’assignation. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Le texte prévoit que les contestations portant sur la “régularité ou la validité du licenciement” se prescrivent par douze mois. La situation a le mérite d’être claire : il s’agit d’une prescription et non d’une forclusion. Enfin, et compte tenu de la règle de l’unicité de l’instance, il ne faut pas exclure la notification par acte d’huissier, d’une demande complémentaire relative à la contestation du licenciement si le Conseil des prud’hommes est déjà saisi d’une autre demande. l’assignation : 366 Il est donc plus prudent que le second original de l’assignation soit remis au greffe dans les quinze jours de la réunion du comité qui est contestée. (97) Article 642 du NCPC : “Tout délai expire le dernier jour à vingtquatre heures. Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant.” (98) Cass. 3e civ., 23 juin 1993, JCP G 1993, IV, 2160. (99) Bull. civ. II, n° 211, D. 2003. IR. 1879. (100) Article 757 du NCPC : “Le tribunal est saisi, à la diligence de l’une ou l’autre partie, par la remise au greffe d’une copie de l’assignation. Cette remise doit être faite dans les quatre mois de l’assignation, faute de quoi celle-ci, sera caduque. La caducité est constatée d’office par ordonnance du président ou du juge saisi de l’affaire. A défaut de remise, requête peut être présentée au président en vue de faire constater la caducité.” Décret nº 2004-836 du La forclusion est la sanction qui frappe le titulaire d’un droit ou d’une action, pour défaut d’accomplissement dans un délai d’une formalité lui incombant et lui interdit désormais d’accomplir cette formalité. La prescription est un mode d’extinction de l’action en justice, résultant du non-exercice de celle-ci avant l’expiration d’un délai fixé par la loi. 20 août 2004 art. 52 I Journal officiel du 22 août 2004 en vigueur le 1er janvier 2005. (101) Article R 516–9 du Code du travail “La demande est formée au secrétariat du Conseil de prud’hommes. Elle peut lui être adressée par lettre recommandée Elle doit indiquer les nom, profession et adresse des parties ainsi que ses différents chefs. Le secrétariat-greffe délivre ou envoie immédiatement un récépissé au demandeur. Ce récépissé, ou un document qui lui est joint, reproduit les dispositions des articles R. 516-4, R. 516-5 et R. 516-13 à R. 516-20-1. Art. R. 516-8 du Code du travail “Le Conseil de prud’hommes est saisi soit par une demande, soit par la présentation volontaire des parties devant le Bureau de conciliation. La saisine du Conseil de prud’hommes, même incompétent, interrompt la prescription”. 26/07/05 15:33 Page 367 En principe, un délai de forclusion n’est susceptible ni d’interruption ni de suspension, contrairement au délai de prescription. En réalité, la situation est plus complexe puisque l’article 2244 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 5 juillet 1985, prévoit “qu’une citation en justice, même en référé, un commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on veut empêcher de prescrire, interrompent la prescription ainsi que les délais pour agir”. Ce texte est de portée générale et s’applique à toutes les prescriptions et délais pour agir et donc aux forclusions. Toutefois la citation en justice devant un juge incompétent a des effets différents s’il s’agit d’une prescription ou d’une forclusion : – en cas de prescription et aux termes de l’article 2246 et de l’article R. 516-8 du Code du travail, la prescription est interrompue ; – en revanche, ce texte n’est pas applicable en cas de forclusion (102). II. Des certitudes et des interrogations A. L a “ r é g u l a r i t é ” d e l a p r o c é d u r e d e consultation L’article L. 321-16 al. 1er du Code du travail vise “la régularité” de la procédure de consultation et prévoit que les actions en référé doivent être introduites dans un délai de quinze jours suivant chacune des réunions du comité d’entreprise. S’agissant d’une restriction au droit d’agir en justice, ce texte doit être interprété strictement. Il en résulte que : 1° seules sont enserrées dans le délai de quinze jours les actions en référé. Si le législateur avait voulu prévoir que, à défaut de saisine du juge dans un délai de quinze jours, la procédure était purgée de tout vice, il l’aurait dit clairement. Il n’y a donc pas de délai pour saisir le juge du fond, que se soit à jour fixe ou en la forme ordinaire ; 2° la limitation du droit d’agir en justice ne concerne que la procédure au titre du Livre III (l’article L. 321-16 est dans le Livre III) et non la régularité de la procédure de consultation du Livre IV. Mais, en cas de concomitance, se pose alors la question de savoir quelle est la portée d’une décision de suspension ou d’annulation de la procédure suivie au titre du Livre IV si le juge est saisi après le délai de quinze jours : y aura-t-il décrochage de la concomitance ? La décision de suspension ou (102) Cass. Civ. 1re, 17 mars 1998, Bull. Civ. I, n° 117. d’annulation du Livre IV sera-t-elle applicable au Livre III ? > 3° Ce délai ne s’applique qu’à la “régularité de la procédure” et n’est donc pas applicable aux contestations portant sur le plan de sauvegarde de l’emploi qui peuvent être introduites, même en référé, après le délai de quinze jours. 4° Seules sont visées les “irrégularités” de la procédure de consultation. Cette expression vise à l’évidence les délais et les formes de convocation des élus, le nombre et l’intervalle entre les réunions, voire l’élaboration de l’ordre du jour. C’est au demeurant ce qu’avait exposé le rapporteur devant le Sénat (103) : “Pour le licenciement collectif de dix salariés et plus sur trente jours : le comité d’entreprise doit se réunir au cours de deux réunions séparées par quatorze jours si le plan de licenciements concerne moins de cent salariés, par vingt-et-un jours si les licenciements concernent entre cent et deux cent quarante-neuf salariés et en vingt-huit jours pour au moins deux cent cinquante licenciements. Si la procédure de consultation n’a pas été menée dans les conditions de régularité requises, il est possible de la contester en référé devant les tribunaux, sans qu’aucun délai ne soit précisé. Le Gouvernement propose de fixer un délai à ce recours : toute action en référé devra être introduite dans les quinze jours suivant chacune des réunions du comité d’entreprise, sous peine d’irrecevabilité.” Le législateur aurait peut-être voulu y inclure également les actions relatives à l’insuffisance de l’information donnée aux élus, aux délais d’examen des documents, etc., mais dans la mesure où le texte voté vise la “procédure” et non la “consultation”, seule une interprétation restrictive s’impose. 5° L’action appartient au comité ainsi qu’aux organisations syndicales. 6° Les salariés licenciés ont toujours le droit de contester la régularité de la procédure ainsi que le contenu du PSE. En définitive, la montagne a accouché d’une souris, malade de surcroît. Le gouvernement avait annoncé sa volonté de “sécuriser les procédures afin d’éviter des contentieux qui s’éternisent dans le temps” et de limiter le contentieux. Le résultat est tout autre puisque le juge des référés ne peut que suspendre les effets d’une réunion tenue irrégulièrement et ordonner les mesures adéquates. Jusqu’à présent, lorsque des irrégularités soit dans la convocation de la réunion, soit dans le processus d’information en vue de la consultation du comité, étaient relevées, une délibération était prise (103) Rapport Sénat session ordinaire de 2004-2005 n° 39 p. 17. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 342-375 Deuxième partie 367 342-375 Deuxième partie > Quatrième partie 26/07/05 10:21 Page 368 Le rôle du juge et les sanctions demandant à la direction de régulariser la situation et, à défaut, donnant mandat au secrétaire de saisir la juridiction compétente. La plupart du temps, suite à cette délibération, des négociations étaient ouvertes et des solutions étaient trouvées. Désormais, et sous réserve des difficultés d’interprétation du texte, le juge sera systématiquement saisi en cas de doute sur la “régularité de la procédure de consultation” Enfin, et en toute hypothèse, ce texte n’empêche pas de saisir le juge du fond, statuant à jour fixe, pour qu’il sanctionne les irrégularités. B. Les contestations portant sur les irrégularités ou la validité du licenciement Ces contestations doivent être introduites dans un délai de douze mois à compter de la dernière réunion du comité d’entreprise ou, pour le salarié, à compter de la notification du licenciement pour autant que ce délai figure dans la lettre de licenciement. Cette formulation n’est pas plus claire que la précédente : 1° le délai d’un an s’applique-t-il aux contestations relatives à la régularité de la procédure de consultation ? Cela n’est pas certain puisque le texte vise la régularité ou la validité du licenciement et non la consultation du comité. On peut donc en conclure qu’il n’y a pas de délai pour contester, devant le juge du fond, la régularité du processus d’information en vue de la consultation du comité. 2° de même, peut-on considérer que la validité du licenciement peut être assimilée à la validité du plan de sauvegarde de l’emploi ? 3° enfin, la validité du licenciement se distingue de la contestation de la cause réelle et sérieuse du licenciement qui reste enfermée dans le délai de droit commun. En revanche, l’action intentée par un salarié en nullité du plan de sauvegarde de l’emploi qui était, conformément aux règles du Code civil, de cinq ans, a été réduite à une année. Mais il ne s’agit là que de pistes de réflexion compte tenu de la rédaction quelque peu absconde du texte. Pierre Bouaziz, Avocat au Barreau de Paris Article 320-3 in fine* « Toute action en contestation visant tout ou partie de ces accords doit être formée, à peine d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date d'accomplissement de la formalité prévue au premier alinéa de l'article L. 132-10. Toutefois, ce délai est porté à douze mois pour les accords qui déterminent ou anticipent le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné à l'article L. 321-4-1. » Point de départ du délai : L’article L. 132-2-2 V in fine prévoit que les formalités de dépôt prévues à l’article L. 132-10 ne peuvent être faites qu’à l’expiration du délai d’opposition. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 L’article L. 132-10 prévoit que : 368 – les accords sont déposés par la partie la plus diligente auprès des services du ministre chargé du travail (de l’agriculture pour les professions agricoles) ; – la partie la plus diligente en remet un exemplaire au secrétariat-greffe du Conseil des prud’hommes du lieu de conclusion. S’il est certain que le point de départ du délai est la dernière date à laquelle a été faite l’une des deux formalités de publicité, il n’en demeure pas moins qu’il peut y avoir une incertitude puisque les organisations syndicales non signataires de l’accord ne savent pas à quelle date a été effectuée cette formalité. * Voir texte intégral de l’article L. 320-3 supra p. 349. Objet des contestations : 1° Quel est le délai de recours à l’encontre d’un accord de méthode “mixte”, prévoyant d’une part les modalités d’information et de consultation du comité et, d’autre part, des mesures déterminant ou anticipant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi ? A-t-on deux délais différents qui courent, l’un de trois mois pour tout ce qui n’est pas plan de sauvegarde de l’emploi, l’autre d’un an pour tout ce qui est plan de sauvegarde de l’emploi ? Ou, encore, est-ce le délai le plus long qui s’applique à tout ? 2° Les actions de mobilité géographique et professionnelle insérées dans un accord de méthode constituent-elles une mesure préventive ou une mesure anticipatrice d’un plan de sauvegarde de l’emploi ? Pierre Bouaziz, Avocat au Barreau de Paris 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 369 Section 2 : Nullité et poursuite du contrat de travail > Article L. 321-4-1 « Dans les entreprises employant au moins cinquante salariés, lorsque le nombre de licenciements est au moins égal à dix dans une même période de trente jours, l'employeur doit établir et mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter le nombre et pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être évité, notamment des salariés âgés ou qui présentent des caractéristiques sociales ou de qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile. « La procédure de licenciement est nulle et de nul effet tant qu'un plan visant au reclassement de salariés s'intégrant au plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas présenté par l'employeur aux représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés. « Ce plan doit prévoir des mesures telles que par exemple : – des actions en vue du reclassement interne des salariés sur des emplois relevant de la même catégorie d'emplois ou équivalents à ceux qu'ils occupent ou, sous réserve de l'accord exprès des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure ; – des créations d'activités nouvelles par l'entreprise ; – des actions favorisant le reclassement externe à l'entreprise, notamment par le soutien à la réactivation du bassin d'emploi ; – des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activités existantes par les salariés ; – des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion de nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ; – des mesures de réduction ou d'aménagement du temps de travail ainsi que des mesures de réduction du volume des heures supplémentaires effectuées de manière régulière lorsque ce volume montre que l'organisation du travail de l'entreprise est établie sur la base d'une durée collective manifestement supérieure à trente-cinq heures hebdomadaires ou 1 600 heures par an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est envisagée. « La validité du plan de sauvegarde de l'emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose l'entreprise ou, le cas échéant, l'unité économique et sociale ou le groupe. » Article L. 122-14-4, premier alinéa « Si le licenciement d'un salarié survient sans observation de la procédure requise à la présente section, mais pour une cause réelle et sérieuse, le tribunal saisi doit imposer à l'employeur d'accomplir la procédure prévue et accorder au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire ; si ce licenciement survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le tribunal peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ; en cas de refus par l'une ou l'autre des parties, le tribunal Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 « En l'absence de comité d'entreprise ou de délégués du personnel, ce plan ainsi que les informations visées à l'article L. 321-4 doivent être communiqués à l'autorité administrative compétente lors de la notification du projet de licenciement prévue au premier alinéa de l'article L. 321-7. En outre, ce plan est porté à la connaissance des salariés par voie d'affichage sur les lieux de travail. 369 342-375 Deuxième partie > Quatrième partie 26/07/05 10:21 Page 370 Le rôle du juge et les sanctions octroie au salarié une indemnité. Cette indemnité, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois, est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité prévue à l'article L. 122-9. Lorsque le tribunal constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de licenciement est nulle et de nul effet, conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 321-4-1, il peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner, à la demande du salarié, la poursuite de son contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié. Lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le tribunal octroie au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois. » Commentaire 1. a En 2002 la loi de modernisation sociale consacrait immédiatement provoqué une fixation obsessionnelle le droit à réintégration en l’intégrant dans l’article du patronat. Sa sauvegarde constitue en même temps L 122.14.4. La jurisprudence Samaritaine (104) un enjeu essentiel, comme l’ont montré les réactions syndicales lors de la discussion du projet. De son côté, la Chambre sociale de la Cour de cassation maintenait fermement la jurisprudence Bien que la réintégration n’ait finalement été Samaritaine, rappelant encore récemment que “si prononcée que dans un nombre de cas limités, la l’absence d’un plan social ou la nullité de celui-ci crainte qu’a inspiré cette sanction a conduit à une entraîne la nullité de la procédure de licenciement, la amélioration sensible de la qualité des plans de nullité est également encourue lorsque, le comité sauvegarde de l’emploi et, en particulier, des efforts de d’entreprise n’ayant pas été valablement saisi, reclassement. On se souviendra seulement ici par l’irrégularité a été soulevée avant le terme de la contraste que pendant la période durant laquelle les procédure, à un moment où elle pouvait encore être plans sociaux ont été soumis au seul contrôle suspendue et reprise et que l’employeur a néanmoins administratif (du 3 janvier 1975 au 31 décembre 1986), notifié les licenciements” (105). le Conseil d’Etat n’a annulé aucune autorisation de licenciement sur le fondement d’une insuffisance ou Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 même d’une absence de plan social. 370 2. Ces principes ne sont pas remis en cause par la loi du 18 janvier 2005. Seule la sanction de la nullité de La loi du 18 janvier 2005 n’a pas modifié l’article la procédure a fait l’objet de tempéraments par une L 321.4.1 alinéa 2 (amendement dit “Aubry” du réécriture de l’article L 122.14.4 qui vise à assouplir 27 janvier 1993) selon lequel : “la procédure de l’appréciation licenciement est nulle et de nul effet tant qu’un plan jurisprudence des cas d’impossibilité de réintégration. faite jusqu’à présent par la visant au reclassement de salariés s’intégrant au plan Désormais, lorsque la procédure de licenciement de sauvegarde de l’emploi n’est pas présenté par est nulle et de nul effet, conformément au deuxième l’employeur aux représentants du personnel qui doivent alinéa de l’article L 321.4.1, le juge peut prononcer la être réunis, informés et consultés”. nullité du licenciement et ordonner à la demande du Au-delà du principe fort de nullité édicté par ce salarié la poursuite de son contrat de travail, sauf, et texte, le mot clé de la phrase est ce “tant que” qui c’est ici qu’intervient la modification, si “la permet de suspendre les effets d’un licenciement réintégration est devenue impossible notamment du fait jusqu’à ce que la procédure soit régulière. Il s’agit de la fermeture de l’établissement ou du site ou de donc plus dans l’esprit du législateur d’un moyen de l’absence d’emploi disponible de nature à permettre la contrainte, d’une paralysie en principe provisoire de réintégration du salarié”. la procédure, que d’une sanction. (104) Cass. Soc. 13 février 1997 Benoit et Guglielmi c/ Samaritaine Dr. Ouv. 1997 p. 94 n. P. Moussy. (105) Cass. Soc. 14 janvier 2003, Euridep c/ CCE UES Kalon France, Bull. civ. V n° 5, Dr. Ouv. 2003 p.152 n. M. Cohen. 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 371 3. Ecartons d’emblée la crainte exprimée par certains que le “peut” n’ait rendu la réintégration facultative pour le juge hors des hypothèses où elle est devenue impossible au sens du texte. Le “peut” signifie ici non pas que le juge détiendrait le pouvoir discrétionnaire de ne pas ordonner la réintégration, mais au contraire qu’ayant le pouvoir de l’ordonner, il sera tenu de le faire si les conditions de la loi sont réunies. La même formulation se retrouve par exemple dans l’article L 122.43 alinéa 2 : il va de soi que si la sanction est irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise, le juge devra l’annuler. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs répondu à l’argument selon lequel le texte laisserait au juge un pouvoir d’application en opportunité : “…il appartiendra au juge, saisi d’une demande en ce sens (de réintégration), s’il constate la nullité de la procédure de licenciement… d’ordonner la réintégration du salarié, sauf si… “ (106). Du côté du gouvernement comme des > parlementaires de la majorité, chacun avait en tête l’exemple de Wolber où le droit à réintégration a été poussé jusqu’au terme d’une logique un peu absurde, en tout cas pour ce qui concerne la demande de “relocalisation” de la production. L’entreprise, Michelin, offre cependant des possibilités de réintégration sur d’autres sites et il est donc fâcheux que le texte voté ait finalement retenu comme hypothèse d’impossibilité de réintégration, non pas la disparition de l’entreprise, mais la fermeture de l’établissement ou du site, paraissant ainsi restreindre le droit à réintégration à un périmètre géographique étroit (110). Les observations du gouvernement devant le Conseil constitutionnel soulignaient, pour justifier cette rédaction, que la réintégration sur un autre site ou pour une autre qualification, reviendrait à imposer une modification d’éléments substantiels (on croyait cette notion abandonnée !!) du contrat de travail. Cette analyse, outre qu’elle n’est pas toujours exacte 4. “Sauf si … la réintégration est devenue impossible, notamment du fait de la fermeture de l’établissement ou du site ou de l’absence d’emploi disponible de nature à permettre la réintégration du salarié”. Là est le coin enfoncé dans la notion d’”impossibilité matérielle” au sens où la jurisprudence l’entend. Rappelons que jusqu’à présent, seul l’exercice d’une activité concurrente déloyale par un ancien salarié pouvait rendre sa réintégration impossible en cas d’annulation du plan de sauvegarde de l’emploi (107). Cette jurisprudence est d’ailleurs atypique puisque la Cour de cassation n’admet, lorsque la réintégration est de droit, que l’hypothèse d’une “impossibilité matérielle” entendue restrictivement (ainsi pour des grévistes dont l’emploi avait entre-temps disparu et qui devaient se voir proposer un retour dans leur emploi ou un emploi équivalent (108)). puisque deux sites peuvent se trouver dans un même Cette notion d’impossibilité matérielle est même poussée jusqu’à une notion d’impossibilité quasi absolue dans le cas des représentants du personnel (109). d’impossibilité, la fermeture de l’établissement ou du Le texte de l’article 77.V visait, selon le Ministre, à prendre en compte la notion d’”impossibilité matérielle”, mais en lui donnant une acception assouplie : il s’agissait initialement de la disparition de l’entreprise ou de l’absence d’emploi disponible. d’indisponibilité de l’emploi en l’absence de toute (107) Cass. Soc. 25 juin 2003 n° 01-46.479 P. (108) Cass. Soc. 2 février 2005 Bull. civ. V. définition plus large de l’obligation de reclassement et avec le fait que le salarié doit normalement être le seul juge de l’opportunité d’accepter une modification de son contrat de travail. Le Conseil constitutionnel a répondu sur cette question que la règle édictée était suffisamment claire et précise, laissant au juge le soin de la “mettre en œuvre”, ce qui laisse à ce dernier une marge d’appréciation, même en cas de fermeture de l’établissement ou du site. 5. La seconde illustration de ce qui peut désormais constituer une impossibilité de réintégration, est l’absence d’emploi disponible. Il ne s’agit d’ailleurs pas, à proprement parler, d’un autre cas site est citée parce qu’elle caractérise l’absence d’emploi disponible, mais d’un élargissement au site, à l’établissement ou à l’entreprise de la notion fermeture. Le véritable enjeu du texte se joue ici. Le sort de la jurisprudence Samaritaine dépendra de l’application de cette notion d’”emploi disponible” par le juge. (109) Soc. 24 juin 1998 Vanderghote RJS août-sept. 1998 n° 1020. (110) comp. la motivation retenue par la Cour de cassation dans cette même affaire Wolber : Cass. Soc. 15 juin 2005, PBRI. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 (106) Cons. const. décision n°2004-509 DC du 19 janvier 2005 considérant n° 26. secteur géographique, se conjugue mal avec la 371 342-375 Deuxième partie > Quatrième partie 26/07/05 10:21 Page 372 Le rôle du juge et les sanctions On observera que la plupart des licenciements économiques rendent indisponibles les emplois supprimés ou transformés puisqu’il s’agit d’un élément de la définition du licenciement économique. Par conséquent, toute réintégration crée un sureffectif. Considérée de ce point de vue, toute demande de réintégration pourrait se heurter à une impossibilité au sens du texte. Il est cependant peu probable que la jurisprudence consacre une interprétation aussi laxiste qui ferait de l’exception à la règle le principe général. Il faut ici faire un retour au texte de l’article L 321.4.1, inchangé, qui frappe d’inefficacité juridique la procédure de licenciement tant qu’un plan visant au reclassement… Le licenciement subit, en tant qu’acte subséquent de la procédure, la neutralisation encourue par celle-ci. La volonté du législateur a été de permettre au juge de suspendre les effets d’un plan de sauvegarde de l’emploi déficient, décision qui n’a d’utilité réelle que si ses effets, c’est-à-dire les licenciements, sont également suspendus, au moins le temps de permettre à l’employeur de remédier aux déficiences constatées. La sanction de la nullité, dont le principe est contenu dans l’article L 321.4.1, n’est pas tant de créer un nouveau cas de nullité ouvrant droit à réintégration, que de permettre à un juge de contraindre une entreprise à élaborer un PSE ou à l’améliorer, en particulier lorsque la recherche de reclassements utiles n’a pas été menée avec une volonté suffisante. Dans cette perspective, la notion d’”emploi disponible” apparaît comme un concept relatif qui doit s’apprécier au regard de la finalité du dispositif de l’article L 321.4.1 alinéa 2. En ce sens, l’emploi devra être considéré comme disponible, si l’action en nullité est engagée avec diligence (le pouvoir du juge des référés est à cet égard consacré par la nouvelle loi), tant que, c’est-à-dire aussi longtemps que l’employeur n’aura pas élaboré et soumis aux institutions représentatives du personnel un plan de sauvegarde de l’emploi adéquat. On pourrait ainsi dire que l’emploi est réputé disponible tant que le droit de licencier est indisponible. Il est cependant certain qu’en négligeant d’agir avec célérité, les élus ou les salariés verront l’emploi concerné devenir peu à peu réellement indisponible soit en raison de la fermeture du site ou de l’établissement soit en raison de la mise en œuvre de la restructuration décidée. 6. Il resterait à s’interroger sur la portée de l’adverbe “notamment” qui donne au juge le pouvoir d’amplifier les effets d’un texte qui lui laisse déjà une grande latitude pour apprécier la notion d’absence d’emploi disponible qui recouvre toutes les causes objectives envisageables d’impossibilité créant de ce fait une incertitude juridique importante. Le Conseil constitutionnel, répondant à cette critique, a jugé que le législateur avait opéré une conciliation exempte d’erreur manifeste entre le droit de chacun d’obtenir un emploi dont le droit au reclassement découle directement et la liberté d’entreprendre. C’est aussi par ce rappel que le juge devra se laisser guider en gardant à l’esprit qu’une nullité promptement ordonnée n’entame pas la liberté du chef d’entreprise, libre de faire cesser la nullité de la procédure en se conformant aux exigences de la loi. Michel Henry, Avocat au Barreau de Paris Section 3 : Sanctions pénales Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 Article L. 321-11 372 « Sera puni d'une amende de 3750 euros, prononcée autant de fois qu'il y a de salariés concernés par l'infraction, l'employeur qui : 1º Aura effectué un licenciement sans avoir procédé aux consultations prévues aux articles L. 321-3 et L. 321-7-1; 2º Aura effectué un licenciement sans avoir procédé à la notification prévue à l'article L. 321-7 ; 3º N'aura pas observé les dispositions relatives au délai d'envoi des lettres de licenciement prévu au premier alinéa de l'article L. 321-6. « Est passible des mêmes peines l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur qui n’aura pas observé les dispositions prévues aux articles L. 321-8 et L. 321-9. » 342-375 Deuxième partie Commentaire 26/07/05 10:21 Page 373 La loi de cohésion sociale (111) contient des dispositions réformant les règles applicables aux licenciements économiques. Sur ce point elle ne contient aucunes dispositions pénales nouvelles spécifiques à la matière. S’agit-il de l’œuvre d’un législateur imprégné de l’air du temps et convaincu de la “nécessaire dépénalisation du droit du travail” prôné par certains (112), qui, au nom de la compétitivité des entreprises, verraient d’un bon œil la disparition de règles pénales permettant la sanction du non respect de ce droit du travail qu’ ils cherchent à remettre en cause (113), ou d’un progrès dans la méthode législative fait par un législateur convaincu des bienfaits de la légistique et qui consiste à ne pas alourdir inutilement un texte de loi en y répétant ce qui par ailleurs existe déjà (114) ? > La réponse tient dans la structure du texte voté qui, à première lecture, tient plus du jeu de piste que de l’œuvre d’un législateur soucieux d’être compris (115) par ceux à qui il est destiné pour qu’ils l’appliquent (116). Cette absence de sanctions pénales nouvelles dans le dernier texte voté ne signifie pas absence de sanctions pénales du non respect des nouvelles règles relatives aux licenciements économiques. Les règles anciennes relatives à la matière survivent. Cela tant en ce qui concerne les dispositions spécifiques aux licenciements que celles du délit d’entrave qui demeurent applicables. Cela entraîne des situations de cumul (117) qui font qu’en présence d’un même fait tombant sous le coup de deux délits différents le juge peut prononcer une condamnation pour chaque délit mais une seule, peine dans la limite du maximum de la peine la plus élevée (118) ; ainsi il n’y a pas lieu à cumul des amendes pour irrégularités dans la procédure de licenciement pour motif économique et délit d’entrave pour non-respect des règles relatives à la représentation collective du personnel (119). Ce qui a déjà été jugé en la matière (I.) continuera de s’appliquer avec le nouveau dispositif (II.) la question qui demeure est celle de son effectivité (III.). 2º aura effectué un licenciement sans avoir procédé I. Ce qui a déjà été jugé à la notification à l’administration pour des licenciement économique licenciements de moins de dix salaries sur une période de trente jours (122) ; En matière de licenciement économique la 3º n’aura pas observé les dispositions relatives au législation prévoit quelques infractions pénales délai d’envoi des lettres de licenciement qui impose assorties d’une peine maximale de 3 750 € d’amende un délai de trente jours entre la notification du projet prononcée autant de fois qu’il y a de salariés à concernés par l’infraction, destinées à sanctionner licenciements aux salaries concernés (123). l’employeur (120) qui : 1º aura effectué un licenciement sans avoir procédé l’administration et l’envoi des lettres de L’employeur, l’administrateur ou le liquidateur qui n’aura pas informé l’autorité administrative aux consultations du comité d’entreprise prévues par compétente avant de procéder à des licenciements le Code du travail en la matière (121) ; pour motif économique (124) dans les conditions (113) Marie-France Bied-Charreton “A propos du rapport de Virville : Un projet de réfection du droit du travail néo-libéral” Dr. Ouv. 2004.161. (117) Cass. Crim. 8 juill. 1986 JCP E 1987, I 16 770 p. 384 n° 46 obs. O. Godard ; Tgi Paris 10 nov. 1992 Dr. Ouv. 1993, p. 197 n. N. Alvarez-Pujana ; Cass. Crim. 4 nov. 1993 Dr. Ouv. 1994, p. 208 n. N. A.-P. ; Cass. Crim. 22 mars 1994 Dr. Ouv. 1994, p. 447 n. N. A.-P. ; Cass. Crim. 28 fév. 1995 Dr. Ouv. 1995. 363 n. N. A.-P. ; Cass. Crim. 25 nov. 1997 Dr. Ouv. 1998, p. 179 ; Cass. Crim. 7 juill. 1998 Dr. Ouv. 1999, p. 308. (114) C.-A. Morand, “Introduction à la légistique”, intervention au Ve congrès international de méthodologie juridique”, Montreux, 24/27 septembre 1997. (118) C. Pénal art. 132-3, pour des applications : Cass. Crim. 16 nov. 1993 Dr. Ouv. 1994, p. 94 n. N. A.-P. ; Cass. Crim. 11 juill. 1994 Dr. Ouv. 1995, p. 34 n. N. A.-P. (115) M. Richevaux, “Langage de la loi, lois du langage dans la théorie et la pratique des politiques linguistiques dans le monde”, sous la direction de G. Vrabie et J. Turi de Cugetarea Iasi, 2003. (119) Cass. Crim. 8 juill. 1986 JCP E 1987, I 16 770 p. 384 n ° 46 obs. O. Godard. (116) M. Richevaux, La rédaction législative à l’épreuve de la pratique dans légistique formelle et matérielle, PU Aix Marseille, 1998. (121) C. trav., art L. 321-3 et L. 321-7-1. (111) L. n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale JO n° 15 du 19 janvier 2005 p. 864. (112) Rapport de Virville et propositions du Medef. (120) C. trav., art L 321-11 (122) C. trav., art L. 321-7. (123) C. trav., art. L. 321-6. Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 A. Sanctions des irrégularités en matière de (124) C. trav., art. L. 321-8. 373 342-375 Deuxième partie > Quatrième partie 26/07/05 10:21 Page 374 Le rôle du juge et les sanctions prévues par les textes relatifs (125) au redressement et à la liquidation judiciaires des entreprises est passible des mêmes peines. Il en est de même pour celui qui en cas de redressement ou de liquidation judiciaire, procède à licenciements économiques sans réunir et consulter le comité d’entreprise ou, à défaut, les délégués du personnel (126). Ces dispositions législatives n’ont donné lieu qu’à fort peu d’applications jurisprudentielles. B. Le délit d’entrave Mais surtout le dispositif législatif relatif aux licenciements économiques fait du comité d’entreprise, et à défaut les délégués du personnel, le pivot de la protection des travailleurs en obligeant l’employeur qui voulait procéder à de telles mesures, au risque de condamnation pour entrave (127), à consulter préalablement le comité d’entreprise (128). Le délit d’entrave se définit comme tout fait d’action ou d’omission ayant pour objet ou même seulement pour effet de porter une atteinte quelconque, si légère soit-elle, au fonctionnement du comité d’entreprise (129), au plein exercice de ses attributions ou aux prérogatives de ses membres (130). Ainsi, ont été condamné pour délit d’entrave les employeurs ayant omis de consulter le comité ou consulté tardivement sur les projets suivants : une restructuration (131), une réduction d’effectifs (132), un remaniement de la direction générale (133), une offre de reprise partielle (134), un projet de réorganisation (135), la cession de la société (136) ou d’un département de celle-ci (137), un projet de cession d’une fraction du capital social emportant sur le plan économique cession de l’entreprise (138), une fusion de sociétés (139), une dissolution de société (140). De même pour l’employeur qui se borne à informer l’ensemble du personnel au lieu de consulter le comité d’entreprise (141) qui refuse de Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 (125) Articles 45, 63, 148-3, 148-4, 153 de la loi nº 85-98 du 25 janvier 1985. 374 communiquer au comité un document relatif au plan de redressement envisagé (142), qui ne communique que tardivement les documents relatifs à un projet de restructuration industrielle (143), qui ne fournit pas des informations suffisamment précises (144) ou complètes (145), qui ne remet pas à l’expert comptable du comité les documents que celui-ci estime utiles (146). II. Ce qui a déjà été jugé pourra perdurer Certes le dispositif substantiel relatif aux licenciements économiques a été profondément modifié et sur ce point le nouveau texte ne contient pas de sanctions pénales nouvelles. L’absence de dispositions pénales spécifiques dans la loi nouvelle n’est pas une abrogation des dispositions anciennes qui pourront perdurer. La seule véritable nouveauté en la matière est qu’à partir du 31 décembre 2005 ce type d’infraction pourra donner lieu à condamnation des personnes morales qui peuvent en être considérée comme les auteurs (147) ce qui jusqu’à présent n’était pas possible (148). Sur le plan pénal la sanction du non respect des nouvelles règles relatives aux licenciements économiques continuera de s’articuler autour de sanction du non-respect des règles de procédure (a) et du délit d’entrave (b). Même si l’article L 321-11 condamne les procureurs chargés de le mettre en œuvre et ceux qui voudraient l’utiliser à un jeu de piste il demeure applicable et permet de sanctionner les irrégularités dans la procédure de licenciement économiques telles qu’elles ont été exposées ci-dessus. La situation est identique en ce qui concerne le délit d’entrave. La vraie question comme dans les autres domaines du droit pénal du travail (149) demeure là aussi celle de l’effectivité (150). (137) Cass. Crim. 6 juin 1990 Unglik pourvoi n° 89-83.277. (126) C. trav., art L 321-9. (138) Cass. Crim. 2 mars 1978 JCP 1979 II 19052 Ph. Salvage ; Cass. Crim. 4 avr 1979 D. 1980,125 note J.-C. Bousquet. (127) C. trav., art L 483-1. (139) Cass. Crim. 30 mars 1990 RJS 1990 n° 501. (128) C. trav., art L 432-1. (140) Cass. Crim. 25 avr 1989 pourvoi n° 911068. (129) M. Cohen, L. Milet, Le droit des comités d’entreprise et des comités de groupe, 7e ed., 2003, LGDJ. (141) Cass. Crim. 28 nov. 1995 pourvoi n° 93-85808 (130) M. Malaval, Dr. Soc. avr. 1979 p. 95. (143) Cass. Crim. 28 nov. 1984 JCP E 1985 II 14 481 O. Godard. (131) Cass. Crim. 27 nov. 1990 RVI RJS n° 205 ; Cass. Crim. 25 mars 1997 Gibert Dr. Ouv. 1997, p. 382 note M. Cohen ; Cass. Crim. 21 sept 1999 proc. gen. et syndicats sarthois CGT c/ Daniel D. pourvoi n° 98-84.783 ; Paris 16 juin 1967 D. 1968, 331 note J.-M. Verdier. (144) Cass. Crim. 6 oct. 1992 Bull. n° 305. (142) Cass. Crim. 4 nov. 1982 juri-social 1983 F 2. (145) Cass. Crim. 18 nov. 1997 Dr. Ouv. 1998, p. 423. (146) Cass. Crim. 23 avr. 1992 RJS 1992 n° 1117. (132) Cass. Crim. 22 juin 1999 pourvoi 98-68.3114. (147) C. pén. Art 121-2 dans sa rédaction issue de l’art. 54 de la loi nº 2004-204 du 9 mars 2004 JO 10 mars 2004. (133) Cass. Crim. 19 fév. 1991 Gagneux Sonacotra RJS n° 481. (148) Cass. Crim. 18 avr. 2000 Dr. Ouv. 2000, p. 264. (134) Cass. Crim. 3 déc. 1996 Bull. n° 441. (149) A. Cœuret et E. Fortis, Droit pénal du travail, Litec 3e ed. 2004. (135) Cass. Crim. 30 oct. 1990 pourvoi n° 89-83161. (136) Cass. Crim. 29 oct. 1991 RJS 1992 n° 47. (150) P. Le Brun, Droit pénal du travail effectivité ou ineffectivité, th. Strasbourg 1979. 342-375 Deuxième partie 26/07/05 10:21 Page 375 III. Effectivité Jusqu’à présent, sauf une application des principes du non-cumul (151) qui avait eu pour résultat de réduire la peine prononcée contre l’employeur poursuivi à la fois pour non-respect des règles de procédure (une amende par salaries concernes) et délit d’entrave (152), ces dispositions n’avaient donné lieu qu’à peu de poursuites et de condamnations. Il faut espérer qu’à l’avenir les procureurs s’en saisiront et les appliqueront. Tout délit d’entrave au fonctionnement régulier d’un comité d’entreprise cause nécessairement à celui-ci un préjudice direct dont il est fondé à obtenir réparation, il lui est donc loisible de se constituer à cette partie civile (153). Dans ce type d’infraction la constitution de partie (151) C. Pénal art. 132-3. (152) Cass. Crim. 8 juill. 1986 JCP E 1987, I 16 770 p. 384 n° 46 obs. O. Godard. (153) Cass. Crim. 29 mars 1973 JCP 1974 II 17651 1re esp. note N. Catala. (154) Cass. Crim. 26 mai 1961 Bull n° 273 ; voir aussi Cass. Crim. 29 oct. 1996, Dr. Ouv. 1996, p. 227 et les réf. citées dans la note ; Cass. Crim. 16 nov. 1999 Dr. Ouv. 2000, p. 180. L’Institut du travail de Strasbourg a mis en œuvre un site internet dédié aux problématiques de l'emploi des seniors : civile est aussi ouverte à un syndicat qui a qualité pour exercer l’action publique en cas d’entrave au fonctionnement régulier du comité d’entreprise, atteinte étant portée à l’intérêt collectif de la profession (154). De plus si les délégués syndicaux représentant une organisation syndicale ne peuvent agir à titre personnel, les différentes instances locales, départementales, nationales d’une même organisation peuvent exercer simultanément les droits réservés à la partie civile pour demander réparation du préjudice causé par l’infraction (155). Ils ne doivent pas hésiter à se servir de cet outil (156). > Marc Richevaux, Magistrat, Maître de Conférences à l’Université du Littoral, Côte d’Opale (155) Cass. Crim. 28 nov. 1984 JCP E 1985 II 14481 note O. Godard. (156) Nicolas Alvarez-Pujana, “La constitution de partie civile des syndicats”, RPDS nov. 1990 ; M. Cohen, “La notion d’intérêt collectif de la profession et l’action en justice des syndicats”, RPDS 1990, p. 177 ; P. Lanquetin, “Les actions des syndicats devant les juridictions judiciaires”, AJ-CFDT 1992 n° 97 p. 3. RPDS 723 - Juillet 2005 Au sommaire : La période d’essai Les pensions de réversion Le CDDDD (contrat à durée déterminée à disposition de la direction) L’actualité juridique : sommaires de jurisprudence www.dialogue-social.fr Le site est financé par la DRTEFP d'Alsace et répond au souci de d'informer l'ensemble des partenaires intéressés par Vous y trouverez le compte rendu intégral du colloque qui s'est tenu en février à Strasbourg ainsi que des informations scientifiques et pratiques (études, recherches, fiches techniques et accords collectifs de branche abordant la question du maintien au travail ou de la sortie du travail des salariés âgés). Pour les lecteurs non abonnés à la RPDS, ce numéro peut être commandé à : NSA La Vie Ouvrière, BP n° 27, 75560 Paris cedex 12. Prix du numéro : 6 € (+ forfait de 2,59 € par envoi). Abonnement : 63 € par an (tarif syndical : 60 €) Commande, paiement et abonnement en ligne sur notre site internet : www.librairie-nvo.com Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005 ces questions. 375 376 TM juil-aout 2005 26/07/05 10:12 Page 1 TABLE DES MATIÈRES JUILLET-AOÛT 2005 Licenciements économiques, restructurations : la loi du 18 janvier 2005 en questions Les licenciements économiques au fil... des lois, par Francis Saramito, Rédacteur en chef du Droit Ouvrier ................. 281 Justice et justification dans les réformes actuelles du droit du travail, par Antoine Lyon-Caen, Professeur à l’Université de Paris X Nanterre, Directeur d’études à l’EHESS ...................................................................................... 283 Les temps de l’appréciation des motifs, par Hervé Tourniquet, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine .......................... 288 Vers un affaiblissement de l’emprise des procédures de licenciement collectif : le cas des propositions de modification du contrat de travail pour motif économique, par Isabelle Meyrat, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise 296 Négociation collective et licenciement économique : propos introductifs sur le nouvel article L. 320-3 du Code du travail, par Sophie Nadal, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise, Centre de recherches en droit économique (CRDE) ................................................................................................................................................................................................ 303 D’un débat majeur à un accord mineur (à propos de l’article L. 320-3 du Code du travail), par Pascal Rennes, Directeur honoraire du travail ................................................................................................................................................................................ 311 La négociation sur l'emploi à l’épreuve du nouvel article L. 320-2 du Code du travail, par Tamar Katz, Docteur en droit, Avocate au Barreau de Paris .................................................................................................................................................................................. 322 Les garanties de procédure issues de la loi Borloo : ordre du jour du comité d’entreprise et délais de recours contentieux, par Christophe Baumgarten, Avocat au Barreau de Bobigny .................................................................................... 327 Propriété de l'emploi, indemnisation et reclassement, par Alain Chirez, Professeur à l'Université de Polynésie Française, Credeco Nice, Avocat au Barreau de Grasse ............................................................................................................................. 335 PRÉSENTATION DE QUELQUES ARTICLES ANCIENS, MODIFIÉS ET NOUVEAUX DU CODE DU TRAVAIL, SUIVIS DE NOTES CRITIQUES ET PRATIQUES ................................................................................................................................................ 342 Première partie : Mesures de prévention .......................................................................................................................................................... 343 Section 1 : Gestion prévisionnelle des emplois, par Marie-France Bied-Charreton, Avocat au Barreau de Paris .......... 343 Section 2 : Reclassement avant licenciement, par Emmanuel Gayat, Avocat au Barreau de Paris ........................................ 347 Deuxième partie : Processus des licenciements ............................................................................................................................................ 349 Section 1 : Le rôle du Comité d'entreprise 349 Sous-section 1 : Accords de méthode, par Emmanuel Gayat, Avocat au Barreau de Paris ....................................................... 349 Sous-section 2 : La concomitance du Livre IV et du Livre III, par Paul Bouaziz, Avocat au Barreau de Paris ...................... 353 Sous-section 3 : La fixation de l'ordre du jour du CE, par Laurent Milet, Docteur en Droit, Maître de conférences associé à l’Université de Paris XI, Rédacteur en chef de la RPDS ............................................................................................................ 355 Section 2 : Entrée en vigueur des dispositions nouvelles, par Pierre Bouaziz, Avocat au Barreau de Paris ........................ 360 Troisième partie : L'ordre des licenciements, par Marie-France Bied-Charreton, Avocat au Barreau de Paris ............... 362 Quatrième partie : Le rôle du juge et les sanctions ...................................................................................................................................... 365 Section 1 : Le juge des référés et le juge du fond, par Pierre Bouaziz, Avocat au Barreau de Paris ...................................... 365 Section 2 : Nullité et poursuite du contrat de travail, par Michel Henry, Avocat au Barreau de Paris .................................... 369 Section 3 : Sanctions pénales, par Marc Richevaux, Magistrat, Maître de Conférences à l’Université du Littoral, Côte d’Opale ............................................................................................................................................................................................................... Directeur de la publication : Eric Aubin - Commission Paritaire n° 1.630 D 73 - Dépôt légal : à parution - Imprimerie : AG - 95830 Cormeilles-en-Vexin 372