Les licenciements économiques au fil... des lois

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Les licenciements économiques au fil... des lois
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Les licenciements économiques
au fil... des lois
Le licenciement pour motif économique, qu'il soit collectif ou individuel, est la
situation où le conflit entre les intérêts des employeurs et ceux des salariés se manifeste avec le
plus d'acuité.
Pour les premiers, l'opération se résume à agir sur l'un des facteurs du coût de
production, facteur dont l'importance subira des variations en fonction des critères de l’employeur.
Pour les seconds, elle consiste dans la perte de l'emploi c'est-à-dire la mise en cause
de leur survie et celle de leur famille, s'ils ne retrouvent pas rapidement une nouvelle embauche
avant la fin de leur droit aux prestations de l'assurance chômage.
Pendant longtemps le licenciement pour motif économique n'a pas comporté un
encadrement juridique qui lui soit propre. Le droit de rompre le contrat de travail s'exerçait
librement, quel que soit le motif, seul l'abus de ce droit par l'employeur étant susceptible d'ouvrir
droit à des dommages et intérêts. Abus dont la charge de la preuve reposait sur le salarié, dans
des conditions difficiles lorsque le motif était économique, dès lors que les juges refusaient
d'exercer un contrôle conséquent sur la gestion de l'entreprise dont l'employeur était seul maître.
Le licenciement économique apparaissait comme un aléa inévitable, voire normal,
de la vie de l'entreprise.
Cela ne présentait pas de trop grands inconvénients si la conjoncture permettait aux
salariés de retrouver facilement un emploi. Mais cette possibilité s'est révélée de plus en plus
restreinte par la transformation d'un environnement marqué par le développement de la précarité
de l'emploi dans une économie de marché mondialisée.
Il a fallu attendre le dernier quart du vingtième siècle pour que s'ébauchent, en faveur
des salariés victimes d'une compression de la main d'œuvre dans l'entreprise, des procédures
tendant à limiter l'effet des initiatives patronales.
Une partie de ping-pong entre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation, le premier se
bornant à apprécier la seule légalité formelle de l'autorisation, la seconde se refusant à juger de
la validité au fond d'un motif, déjà jugé théoriquement valable par l'administration.
Mais le contrôle administratif préalable lui-même était jugé cependant trop
contraignant par le patronat qui obtenait sa suppression par les lois des 3 juillet et 30 décembre
1986.
Toutefois, on ne revenait pas au régime de liberté antérieur, l'encadrement des
mesures de compression d'effectif par l'instauration de procédures permettait au personnel de
l'entreprise d'en être informé à l'avance pour éventuellement en débattre et en modifier les effets.
La consultation des institutions représentatives a été voulue plus efficace quant à son
contenu et à ses délais. Par ailleurs on a tenté de réduire le nombre et les conséquences des
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La loi du 3 janvier 1975 est venue subordonner le licenciement pour motif
économique à une autorisation préalable de l'Inspection du travail qui pouvait être implicite en
cas de silence de l'administration à l'expiration d'un court délai.
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licenciements en imposant à l'entreprise des mesures d'accompagnement à cet effet, l'obligeant
à prévoir un "plan social" devenu par la suite "un plan de sauvegarde de l'emploi".
Cela a été l'objet des lois du 2 août 1989 et du 27 janvier 1993. Cette dernière devait
expressément sanctionner par la nullité des procédures de licenciements dans lesquelles un plan
de reclassement des salariés n'aurait pas été présenté aux représentants du personnel, dans le
cadre plus général du plan de sauvegarde de l'emploi.
Ces dispositions procédurales ont fait l'objet d'un contrôle judiciaire qui veillait
strictement à leur application.
Cette orientation avait été accentuée par la loi du 17 janvier 2002 dite de
"modernisation sociale". Ce texte augmentait le rôle des institutions représentatives du personnel
(droit de veto du comité d'entreprise, possibilité de contre-proposition avec obligation de réponse
pour l'employeur, possibilité d'expertise aux frais de l'entreprise, etc.).
Tout cela a été rayé d'un trait de plume par la loi provisoire du 3 janvier 2003 et la
loi dite de "cohésion sociale" du 18 janvier 2005.
C'est ce dernier texte, constituant aujourd'hui le droit positif en la matière, qui sera
examiné ci-après.
Son objet est clair. Il répond aux attentes d'un patronat désireux de réduire au
maximum la durée de la procédure obligatoire suivie en cas de licenciement, l'idéal étant
d'aboutir à un effet quasi immédiat de la décision de rupture du contrat.
Sans doute on n'a pas pu revenir à l'époque où le licenciement pour motif
économique n'obéissait à aucune contrainte, mais on a accordé aux employeurs un allégement
de la procédure et la possibilité de raccourcir sensiblement les délais nécessaires à sa réalisation.
A cet effet par la voie d'accords collectifs dits "de méthode" il leur est loisible de
substituer à la procédure légale une procédure conventionnelle. Quand on connaît la faiblesse de
la syndicalisation dans certaines entreprises, cela revient pratiquement dans celles-ci à laisser à
l'employeur le choix des dispositions applicables les plus favorables à ses intérêts.
Au surplus les délais de recours contentieux éventuels ont été écourtés de façon à ce
que le risque de remise en cause des décisions patronales soit rapidement éteint.
Enfin, les possibilités de remise en état, c'est-à-dire de réintégration, en cas de nullité
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de la procédure ont été limitées en la subordonnant à l'existence d'un emploi disponible au sein
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de l'entreprise.
Les dispositions de la loi du 18 janvier 2005 consacrent ainsi un recul regrettable des
mesures protectrices de l'intérêt des salariés.
On peut, sans doute espérer qu'une nouvelle majorité parlementaire adopte un jour
une loi plus sensible à ceux-ci. En attendant les organisations syndicales auront à cœur de résister
au forcing patronal dans les négociations des accords dits "de méthode" et en utilisant au
maximum ce qui reste d'obligations de procédure que les chefs d'entreprise doivent respecter.
Francis Saramito,
Rédacteur en chef du Droit Ouvrier
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DOCTRI NE
Justice et justification dans les réformes actuelles
du droit du travail
par Antoine LYON-CAEN,
Professeur à l’Université de Paris X Nanterre, Directeur d’études à l’EHESS
PLAN
I. Aujourd’hui :
le cantonnement des juges
L’
époque est à la mise en cause du régime juridique de l’emploi.
Les dispositions relatives au droit du licenciement qui prennent place dans
la loi de programmation pour la cohérence sociale en offrent une
illustration. Constituent-elles une étape significative ? Il est tôt pour
trancher. Mais il y a lieu de se souvenir que des dispositions nouvelles sont
parfois moins importantes à raison de leur teneur qu’à raison de leur
inspiration.
Aux avant-postes de la dénonciation, des économistes et certaines
organisations qui reprennent à leur compte leurs discours et leurs
conclusions. Cette dénonciation se présente sur un mode majeur lorsqu’elle
s’efforce de disqualifier, dans son principe, un encadrement normatif
spécifique des réorganisations et licenciements. L’effort de disqualification
use aujourd’hui d’une rhétorique dont il ne faut ignorer ni les ressorts ni les
succès historiques, la rhétorique dite des effets pervers. Elle consiste à
opposer les conséquences sociales (ou économiques) que seraient supposés
produire les dispositifs et la situation actuelle observable et, sur la
considération de leurs écarts, à prétendre montrer que, conçus pour
protéger l’emploi, les dispositifs constitutifs de son régime juridique
contribueraient au chômage et à la précarité. Telle serait la perversité du
droit du travail.
La loi du 18 janvier 2005 ne contient pas de disposition qui se
réclame ouvertement de cette rhétorique. Mais n’est-ce pas une prochaine
étape qui en montrera l’influence ? Avec notamment l’ambition d’exonérer
les entreprises qui procèdent à des réorganisations et à des licenciements
des responsabilités qui, à ce jour, pèsent sur elles ? Parmi leurs obligations,
l’exigence de justification du licenciement a été évoquée, sans être en fin de
compte écornée, au cours des travaux parlementaires préparatoires à la loi
du 18 janvier 2005. Elle est depuis lors sur la sellette avec le projet de
contrat dit « nouvelle embauche ».
Le moment est donc opportun pour commenter l’atteinte annoncée à
l’exigence de justification du licenciement (II).
La dénonciation du régime juridique de l’emploi revêt aussi des
modes mineurs, plus tempérés, et, à leur manière, plus équivoques. De ces
modes mineurs, il est une expression courante : les règles qui composent en
particulier le droit du licenciement pour motif économique ne seraient pas
claires. Une expression plus élaborée se pare de la sécurité à laquelle cet
ensemble normatif ne répondrait pas (ou plus). C’est ce double souci de
clarté et de sécurité qu’ont revendiqué les promoteurs de la réforme de
2005 et qui, à leurs yeux, commandent de revoir le rôle des juges (I).
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II. Demain : la libre résiliation
des contrats de travail ?
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I. Aujourd’hui : le cantonnement des juges ■
A lire les travaux préparatoires de la loi du 18 janvier
2005, les principaux facteurs d’insécurité, dans le régime
des licenciements pour motif économique, se trouvent
du côté des juges. Les juges contemporains seraient-ils
de nouveaux fauteurs d’insécurité ? En tout cas, ils sont
visés autant comme artisans du règlement de différends
que comme interprètes, plus ou moins actifs, des
dispositions applicables.
A. Plusieurs dispositions issues de le loi nouvelle
traduisent une volonté manifeste de cantonner les
débats judiciaires que peuvent susciter des projets de
licenciements pour motif économique et des initiatives
qui peuvent les accompagner.
Dans la France actuelle, il n’est guère concevable de
tarir à la source les actions en justice et de priver les
travailleurs et leurs représentants de protection
juridictionnelle. Le droit communautaire d’une part et le
droit de la Convention européenne des droits de
l’Homme d’autre part, promettraient de vives
contestations à un législateur qui poursuivrait une telle
ambition ouverte. Pour cantonner les débats judiciaires, la
voie choisie est autre : elle consiste à réduire les délais
de recours (1).
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C’est ainsi que dorénavant « l’action en référé portant
sur la régularité de la procédure de consultation
doit…être introduite dans un délai de 15 jours suivant
chacune des réunions du comité d’entreprise » (2). C’est
ainsi que l’action tendant à contester « la régularité ou la
validité du licenciement » se prescrit par douze mois (3).
C’est ainsi encore que l’action à contestation d’un accord
de l’article L 320-3 Code du travail, accord de procédure
appelé couramment accord de méthode, doit être
introduite dans un délai qui, selon l’objet de l’accord,
varie de trois à douze mois (4).
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L’institution de délais abrégés a pour raison d’être
d’assurer, au plus vite, l’immunité des projets et décisions
susceptibles d’être contestés. Tel est, on le devine
aisément, le sens de la sécurité juridique que recèlent
ces dispositions. Sans doute, faute d’une réflexion
d’ensemble sur les prescriptions et la terminologie
utilisée pour circonscrire le domaine des nouvelles règles
(1) Il s’agit d’« éviter le prolongement indéfini des actions
contentieuses… » , dans lequel les promoteurs de la loi voient
« une source d’insécurité juridique à la fois pour le salarié et
l’employeur » (Rapport Ass. nat. n° 1930, I, p. 370) ; v. infra
Christophe Baumgarten, Les garanties de procédure issues de la
Loi Borloo : ordre du jour du comité d’entreprise et recours
contentieux.
(2) Art. L. 321-16 al. 1 nouveau.
(3) Art. L. 321-16 al. 2 nouveau.
(4) Art. L. 320-3 al. 4 nouveau.
spéciales, ces textes sont riches d’une floraison
d’hésitations et de controverses (5).
Mais l’essentiel est ailleurs. Les dispositions nouvelles
ne reposent pas sur une véritable évaluation de ce que
représentent les actions en justice lors des
réorganisations et des licenciements pour motif
économique. Existe-t-il un contentieux abondant devant
les juges des référés ? L’interprétation constructive qu’a
retenue la Cour de cassation, dans son arrêt La
Samaritaine, établissant que les licenciements
consécutifs à un plan social nul, sont eux-mêmes nuls, at-elle stimulé les demandes tendant à pareille
annulation ? Et puis, est-il raisonnable d’imaginer que la
brièveté des délais décourage les plaideurs meurtris et
les juges qui savent en cas de nécessité, ne point fermer
le prétoire à qui doit y accéder ?
Bref, les dispositions nouvelles n’ont qu’une portée
limitée, et, au demeurant, incertaine. Elles n’en sont pas
moins l’expression d’une politique restrictive, quoique
sans fondations solides, à l’égard du droit d’agir des
salariés et de leurs représentants.
B. Que la loi contrarie la jurisprudence, voilà qui ne
devrait pas surprendre. La loi du 18 janvier 2005 a ce
dessein. Tout au plus, faudrait-il relever que s’il y avait là
plus qu’un épisode, un mouvement, il fortifierait la loi au
détriment de la jurisprudence, en un temps où il est de
bon ton libéral de dénoncer le poids excessif de la
première et de vanter les mérites de la seconde.
Mais la contrariété n’est pas ici banale. Car il s’agit,
dans deux cas emblématiques, dont l’un a été seulement
envisagé sans être mentionné dans le texte soumis au
Parlement, de contredire des interprétations mûrement
réfléchies et porteuses, l’une et l’autre, d’une plus grande
efficacité des garanties procédurales instituées par la loi.
Le premier cas, évoqué puis abandonné, correspond à
ce qu’il est convenu d’appeler la jurisprudence La
Samaritaine, en d’autres termes, la nullité des
licenciements pour inexistence, ou insuffisance du plan
social (aujourd’hui plan de sauvegarde de l’emploi) (6).
La règle est donc maintenue. La discussion qu’elle a
provoquée a néanmoins laissé des traces. Avec comme
(5) Laissons à d’autres, plus inventifs, le soin d’établir une liste de
questions. Bornons-nous à en mentionner quelques unes. Le
licenciement au sens de l’article L. 321-16 al. 2 est sans nul
doute le licenciement pour motif économique ; mais quid de
l’accord amiable à l’abri d’une procédure de licenciement pour
motif économique ? Et du départ en reclassement personnalisé ?
Que recouvre le vocable de régularité de la procédure ? La
mission de l’expert-comptable du comité ?
(6) Cette nullité est, depuis la loi du 17 janvier 2002 dite de
modernisation sociale , prévue dans l’article L.122-14-4 C. trav.
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arrière-plan la nullité des licenciements des salariés de la
société Wolber, filiale de Michelin, la réintégration
consécutive à la dite nullité a été aménagée par la loi, de
telle sorte qu’elle soit exclue lorsqu’elle « est devenue
impossible, notamment du fait de la fermeture
d’établissement ou du site ou de l’absence d’emploi
disponible de nature à permettre la réintégration du
salarié » (7).
Que traduit cet aménagement ? Un souci d’éviter que
des règles prétoriennes marquent plus de rigueur à
l’endroit des employeurs ? La récente décision rendue
par la chambre sociale de la Cour de cassation dans l’un
des contentieux relatifs à la société Wolber révèle plutôt
des juges prudents (8).
La formulation retenue permet-elle d’augurer un
partage aisé – oserait-on dire sûr – entre les
réintégrations possibles et les réintégrations impossibles ?
Le doute est de mise, car le texte nouveau ne fait aucune
allusion au périmètre – ou espace – d’appréciation des
possibilités de réintégration et, dans son récent arrêt
Wolber, la chambre sociale prend soin de ménager le
futur, en notant que la réintégration était « demandée
dans les seuls emplois que les salariés occupaient dans
cette entreprise avant les licenciements ». A vrai dire, il
serait surprenant que le périmètre de la réintégration ne
recouvre pas au moins le périmètre défini pour le
reclassement (9).
De la même façon, le texte nouveau observe un
mutisme complet sur les modalités mêmes du retour
dans un emploi, au prix, le cas échéant, d’une
modification du contrat ou d’une adaptation.
Le second cas de condamnation, cette fois prononcée
par la loi, correspond à la célèbre jurisprudence
La nouvelle loi a, sans ambages, entendu retarder
l’élaboration d’un plan de sauvegarde jusqu’à la
manifestation du refus d’au moins dix salariés et la
décision de l’employeur de les licencier. Sans prévenir, la
loi pourrait bien avoir, du même coup, changé la
conception du plan, dont l’élaboration, à ce stade, n’a
plus guère de fonction possible de sauvegarde (13).
L’efficacité des garanties procédurales, instituées par la
loi, risque fort d’être altérée. Etait-ce souhaité ? Etait-ce
même prévu ?
La méthode suivie pour réformer, la modification d’un
texte, et l’indifférence à d’autres qui lui sont liés risquent
de déstabiliser l’édifice normatif lentement construit par
l’interprétation des juges et d’apporter ainsi de nouveaux
germes d’insécurité. Les juges ont pour eux le temps, les
moyens d’une réflexion ouverte et apaisée, des
méthodes de préparation et de correction de leur œuvre.
Le législateur, en tout cas celui de 2005, dans sa réforme
du droit du licenciement pour motif économique, tout à
sa volonté de corriger les juges, n’a fait montre ni de leur
aptitude ni de leur sagesse.
II. Demain : la libre résiliation des contrats de travail ? ■
Dans l’actuelle mise en cause du régime juridique de
l’emploi, l’office du juge, ou plutôt son exercice en cas de
contestation de licenciement pour motif économique est
la cible privilégiée des critiques. Tour à tour, il est énoncé
que les juges n’auraient pas les compétences techniques
pour émettre une opinion sérieuse sur le gestion des
entreprises ; que les mesures de leur appréciation
seraient imprécises, et, donc, incertaines ; qu’ainsi les
(7) Art. L. 122-14-4, sur lequel G. Couturier, L’impossibilité de
réintégrer, Dr. soc. 2005-403 et infra p. 369 les obs. de
M. Henry sous l’art. L. 321-4-1.
(8) Soc. 15 juin 2005, SSL n° 1221 du 17 juin 2005, p. 5, rapport
P. Bailly, JCP ed S 2005-1035, note P.-Y. Verkindt.
(9) v. G. Couturier, art. cit. pp. 405 et 408.
(10) v. infra p. 296, Isabelle Meyrat, Vers un affaiblissement de
l’emprise des procédures de licenciement collectif : le cas des
dirigeants d’entreprise subiraient, en sus des aléas des
marchés, les aléas de l’intervention judiciaire.
Dans cette logique, les propositions les plus radicales
de révision du droit positif s’attaquent au contrôle
judiciaire des licenciements, à la mise en œuvre de la
cause réelle et sérieuse, bref à l’exigence de justification
des licenciements, que ceux-ci obéissent à des
considérations tenant à la personne ou non. Sans être
propositions de modification du contrat de travail pour motif
économique.
(11) v. Y. Chagny, La jurisprudence Framatome-Majorette : les
derniers feux ? Dr. soc. 2005-556 ; pour C. Radé, l’âtre est
éteint, Feu la jurisprudence Framatome et Majorette, Dr. soc.
2005-386.
(12) Y. Chagny, art. cit.
(13) En ce sens, C. Radé, art. cit. p. 391.
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Majorette-Framatome (10) à laquelle la chambre sociale
a montré son attachement constant (11). En substance,
selon cette jurisprudence, un plan social, devenu plan de
sauvegarde de l’emploi, doit être élaboré et soumis aux
représentants du personnel dès lors qu’un employeur
propose à plus de dix salariés une modification de leur
contrat. Avec une telle initiative en effet, des
licenciements sont envisagés, ou en tout cas doivent
l’être. Il est juste de dire (12) que cette solution assure
plein effet à une exigence de gestion prévisionnelle, à
laquelle doit donner consistance le projet de plan qui
accompagne l’initiative.
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mentionnées de manière explicite, ces propositions ont
constitué l’arrière-plan des débats parlementaires
provoqués par la revendication d’une modification
textuelle destinée à introduire une référence à la
compétitivité des entreprises, comme si l’expression avait
signifié, pour les uns, favorables, comme pour les autres,
hostiles, l’annonce d’un fort affaiblissement du contrôle
judiciaire.
Gageons que cette exigence de justification, à laquelle
les licenciements pour motif économique n’échappent
pas, continuera d’alimenter les polémiques. Elle a
pourtant sa grandeur. Elle correspond à l’obligation de
rendre compte de ses actes qui pèse sur toute personne
dont l’activité a des effets patents sur autrui. Elle montre
l’enrichissement de notre système juridique qui instaure
des droits et libertés diverses et doit, dès lors, en assurer
la coexistence. L’exigence de justification constitue la voie
par laquelle passe cette cohabitation. Elle rappelle que
l’auteur d’une décision construit à travers elle sa
crédibilité et, partant la confiance que les autres pensent
avoir en lui. Malgré sa force, l’exigence n’a pas un destin
paisible.
Car c’est à elle que s’en prend, d’une manière
contournée, le projet d’institution d’un contrat dit « nouvel
embauche ». Que ce soit sous la qualification hérétique
d’essai ou sous une autre forme, le projet consiste à
soustraire les contrats de travail conclus dans certaines
entreprises, pendant une période de deux ans, aux règles
relatives au licenciement, et donc à l’exigence d’une
justification. La soustraction annoncée est limitée dans le
temps, même si le délai est long ; elle n’est pas limitée,
de prime abord dans son intensité puisque la justification
est paralysée, qu’elle tienne à la personne ou non.
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Au nom de quoi ce recul du contrôle des
licenciements est-il organisé ? Le projet, selon sa
présentation officielle, a pour but d’ « encourager les
entreprises à recruter du nouveau personnel ». Au cœur
du projet, se trouve donc une hypothèse, à laquelle la loi
conférera un singulier crédit : l’embauche croît lorsqu’on
débauche plus aisément.
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Les ressorts d’une telle politique du droit méritent de
plus amples commentaires. Pour l’heure, il est sans
doute utile de signaler que dans l’ordre juridique d’un
pays civilisé, une telle politique est d’une extrême fragilité
juridique. Le Royaume-Uni qui s’était engagé dans une
expérience étrangement similaire à celle que le
gouvernement actuel promeut, en a fait la preuve à ses
dépens. Modifiant une loi de 1978, une ordonnance de
1985 subordonnait l’application de la protection contre
les licenciements abusifs (injustifiés) à l’écoulement
(14) CJCE 9 février 1999, C. 167/97, Seymour-Smith et Perez,
Rec. I. p. 627, spec. att. n° 70.
d’une période continue d’emploi de deux ans. Quelle
était la thèse du gouvernement du Royaume-Uni ? Il
faisait valoir que « le risque pour des employeurs d’être
impliqués dans des procédures de licenciement abusif
du fait de salariés récemment recrutés constitue un
élément propre à dissuader l’embauche, en sorte que
l’extension de la durée d’emploi requise pour le bénéfice
de la protection contre le licenciement favoriserait le
recrutement des travailleurs » (14). Belle convergence
avec le discours gouvernemental français actuel !
La mesure prise par le gouvernement du Royaume-Uni
fut soumise à l’épreuve des règles de non-discrimination
entre les femmes et les hommes. Car une telle mesure
est susceptible de constituer une discrimination indirecte,
dès lors que la population des travailleurs atteinte par la
contraction de la protection serait, dans une proportion
significative, plus féminine que masculine. Arrêtons-nous
un instant pour ajouter qu’en France, le raisonnement
vaudrait pour tous les motifs illicites de discrimination,
dont ceux qui composent la liste de l’article L.122-45
Code du travail. La condamnation des discriminations
indirectes, c’est-à-dire, les discriminations portées par les
effets des mesures, sans considération pour l’intention
de leurs auteurs, a été, faut-il le rappeler, généralisée.
Aussi la contraction de la protection contre le
licenciement constitue une discrimination indirecte, si,
parmi la population affectée, figure de manière
significative un pourcentage plus élevé de l’une
quelconque des catégories de personnes protégées
contre la discrimination.
Il est vrai que l’inégale affectation des travailleurs peut
échapper à la condamnation si elle a une justification
objective, ce qui exige que la mesure critiquée réponde à
un but légitime de politique sociale, soit apte à atteindre
l’objectif poursuivi par celle-ci et nécessaire à cet effet. La
Cour de justice, examinant la réglementation du
Royaume-Uni, n’a pas eu de mal à regarder la promotion
de l’embauche comme un objectif légitime de politique
sociale (15). Mais évoquant la thèse du gouvernement,
elle ne craint pas de lui opposer que « de simples
affirmations générales concernant l’aptitude d’une
mesure déterminée à promouvoir l’embauche ne
suffisent pas… à fournir des éléments permettant
raisonnablement d’estimer que les moyens choisis
étaient aptes à la réalisation de cet objectif » (16).
D’autres, moins portés à la langue juridique
diplomatique, auraient simplement dit : nous ne sommes
pas dupes de propos d’arrière-café.
Une contestation constitutionnelle ou communautaire
d’une mesure de réduction de la protection en cas de
(15) CJCE 9 février 1999, prec., att. n° 71.
(16) CJCE 9 février 1999, prec., att. n° 76.
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licenciement pourrait donc réserver des surprises et
(17), il incombera à l’employeur de prouver que sa
montrer que le droit ne tolère pas le simplisme d’une
décision était justifiée par des éléments objectifs.
telle mesure. Mais c’est aussi dans les différends
Chassée par la fenêtre, l’exigence de justification
individuels que les surprises peuvent survenir. Car la
rentrerait par la porte.
cessation sans justification d’un contrat peut subir
l’épreuve des règles de non-discrimination. Et si le salarié
« présente des éléments de fait laissant supposer
Est-il raisonnable de promettre la liberté de résiliation
des contrats de travail ?
l’existence d’une discrimination directe ou indirecte… »
Antoine Lyon-Caen
(17) Art. L.122-45.
Délocalisations, restructurations, exaspérations,
ripostes
Rapport sur la situation économique et sociale 2004-2005
Elaboré sous la direction de Henri Jacot, professeur émérite à l'Université Lyon Il
et de Jean-Christophe Le Duigou, secrétaire de la CGT
Ce rapport a été rédigé par Sophie Cunningham, Jean-Claude Delaunay,
Denis Durand, Mariannick Le Bris, Fabrice Pruvost et Cathy Suarez
10 % de chômeurs, 1 million d'allocataires pour le AMI fin 2004. Et pourtant le
gouvernement Raffarin poursuit, comme si de rien n'était, son action de
« détricotage » des normes publiques et des garanties collectives. Le rapport de
soumission au Medef est de plus en plus évident. Mais le passif s'accumule, car
rien n'est réglé, au contraire, ni pour la question du travail et de sa valeur, ni
pour la protection sociale, ni pour l'action publique, ni pour la reconnaissance
citoyenne dans l'économie et dans la société.
Malgré des divisions syndicales qui indéniablement pèsent, et en dépit d'un réel
déficit de perspective politique transformatrice, le mouvement social n'est pas
atone ; les résistances s'organisent, les mobilisations sont réelles, les ripostes
s'esquissent. Au-delà des aléas, des avancées et des reculs, une phase nouvelle
semble ainsi s'être ouverte désormais, de sortie progressive de la situation pesante dans laquelle se trouvait le monde du
travail, et plus généralement la population, tout particulièrement depuis le printemps 2003 et la fin du conflit des
retraites.
C'est à une meilleure compréhension de cette période de reconstruction d'un rapport de force plus favorable aux salariés
qu'est consacré ce Rapport 2004-2005 en développant six chapitres : les délocalisations et la désindustrialisation en
France, les restructurations dans le mouvement plus global de mondialisation du capital, les contradictions de la
construction européenne, la politique de l'emploi comme accompagnement social des restructurations, les mécomptes
de la politique fiscale, le mouvement social.
En définitive, c'est bien la question essentielle de la démocratie, dans l'économie et la société toute entière, comme entre
organisations syndicales et au sein de chacune d'elles, qui est la clef d'un développement favorable au monde du travail.
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Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Dès lors, les exaspérations sont-elles croissantes, chez les agents du secteur
public comme chez les salariés du secteur privé, chez les privés d'emploi
« recalculés » comme chez les actifs « menacés de délocalisations », dans les
entreprises ou dans les hôpitaux comme dans les écoles ou dans les centres de
recherche.
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DOCTRI NE
Les temps de l’appréciation des motifs
par Hervé TOURNIQUET, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine
PLAN
I. Etat des lieux
A. Les licenciements consécutifs à
un plan de sauvegarde de
l’emploi
B. Les licenciements individuels
C. Le cas des salariés protégés
L
e régime juridique des licenciements pour motif économique
et, plus particulièrement, du contrôle dudit motif, a fait l’objet, au cours des
20 dernières années, de plusieurs modifications législatives et d’une
production jurisprudentielle soutenue.
On citera, pour mémoire, s’agissant de l’œuvre législative, les textes
les plus importants :
– la loi du 3 juillet 1986 abrogeant l’autorisation administrative de
II. Exploiter les moyens existants
A. Sur les licenciements précédés
d’une consultation du comité
d’entreprise
B. Sur les licenciements individuels
C. Sur les salariés protégés
licenciement pour motif économique (1), dont le premier effet fut de
transférer la compétence en matière de contrôle aux conseils des
prud’hommes mal préparés et encore marqués par la célèbre jurisprudence
de l’employeur « seul juge » ;
– la loi du 2 août 1989 (2) introduisant dans le code du travail une
définition du motif économique du licenciement ;
– la loi du 27 janvier 1993 sanctionnant de nullité la procédure de
licenciement non précédée de la consultation des représentants du
personnel sur un plan social contenant notamment des mesures visant au
reclassement de salariés (3) ;
– la loi du 17 janvier 2002 (modernisation sociale) dont la nouvelle
définition, plus restrictive, du motif économique (4), se trouvait “retoquée”
par le Conseil constitutionnel (5) mais qui renforçait néanmoins les
prérogatives des institutions représentatives du personnel ;
– la loi du 3 janvier 2003 (loi Fillon) suspendant l’essentiel des
apports de la loi précédente et encadrant les accords de méthode relatifs
aux conditions de consultation des institutions représentatives du
personnel (6) ;
– la loi du 18 janvier 2005, par ailleurs largement commentée dans le
présent numéro (6 bis) et qui poursuit l’œuvre engagée deux ans plus tôt en
rendant plus difficile le contrôle par les représentants du personnel et en
offrant aux employeurs, avec le nouveau régime des modifications de
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contrat anéantissant l’avancée jurisprudentielle Framatome et Majorette (7),
288
un moyen de contourner l’obligation d’établissement d’un plan social.
(1) “La rupture du contrat de travail”, Dr. Ouv. num. spec. mai-juin
1987 p. 183.
(2) “Le droit du licenciement après la loi du 2 août 1989”, Dr. Ouv.
num. spec. 1990 p.153.
(3) P. Moussy “Brefs propos sur le mécanisme légal de sanction de
l’absence de plan visant au reclassement des salariés concernés
par un projet de licenciement économique collectif” Dr. Ouv.
1994 p. 333.
(4) “La cause économique du licenciement (définition - contrôle sanction)” n° spéc. Dr. Ouv. avril 2002 p.137 ; “Le licenciement
économique après la loi de modernisation sociale” RPDS 2002
p. 147.
(5) Dr. Ouv. 2002 p.59 n. F. Saramito et B. Matthieu.
(6) “Regards sur les accords de méthode et la loi Fillon” Dr. Ouv.
sept. 2003 p. 358 ; “La loi suspensive Fillon-Raffarin, les
comités d’entreprise et les licenciements économiques” RPDS
2003 p. 59 ; F. Signoretto “Les accors d’entreprise conclus en
cas de difficultés économiques” RPDS 2003 p. 113.
(6 bis) V. également “Licenciements économiques et droits des CE
après la loi de cohésion sociale”, RPDS 2005 p. 79.
(7) Sur ce sujet v. infra l’étude de I. Meyrat.
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Que conclure de ces incursions législatives et de leurs effets sur le droit de chaque salarié à contrôler
le bien fondé du motif économique invoqué pour justifier son licenciement et à le faire sanctionner ?
1) Le système ainsi construit par strates successives demeure très inégalitaire selon la taille de
l’entreprise et la présence ou non de représentants du personnel. Pour les salariés des entreprises dont
les effectifs sont inférieurs à cinquante, le droit n’a pas évolué sur le terrain législatif depuis la loi de 1989
et les seules avancées sont jurisprudentielles.
2) Ce système, pour les autres salariés, c’est dire ceux qui sont employés dans les entreprises de
plus de cinquante salariés dotées d’un comité d’entreprise, reste paradoxal et confine à l’absurde. En
effet, en cas de grand licenciement collectif (plus de dix salariés sur une période de trente jours)
l’insuffisance des mesures d’accompagnement au regard des exigences légales (article L 321-4-1) est
sanctionnée plus sévèrement et lourdement – nullité du plan social, nullité subséquente des
licenciements, droit à réintégration – que l’insuffisance, voire l’absence, de motif économique à l’origine
du plan de licenciements – dommages et intérêts.
3) Enfin et surtout ce régime pêche par un autre paradoxe : les moyens d’un contrôle réel sur le
bien fondé économique de la mesure de licenciement décidée par l’employeur restent conférés à
l’instance, le comité d’entreprise, qui voit son action en justice limitée au seul contenu du plan de
sauvegarde de l’emploi à l’exclusion du motif économique (8).
Aussi n’est-il pas surprenant que la question du moment de l’appréciation des motifs ainsi que
celle, indissociable, des moyens de ce contrôle, soient posées avec force à tout salarié ou toute instance
représentative tentant, avec difficulté, d’obtenir la mise en œuvre effective des principe posés par la loi et
éclairés par la jurisprudence. A cet égard, l’état des lieux n’est guère réjouissant mais les textes, pour
abîmés qu’ils ressortent des deux dernières réformes de 2003 et 2005 n’en offrent pas moins quelques
possibilités inexploitées.
I. Etat des lieux ■
Trois cas de figure sont à envisager :
des mois à venir sera donc de trouver les moyens
– les licenciements consécutifs à un plan de
juridiques pour que cette voie ainsi ouverte ne dévitalise
sauvegarde de l’emploi ;
– les licenciements individuels ;
– les licenciements des salariés protégés.
A. Les licenciements consécutifs à un plan de
sauvegarde de l’emploi
A titre préalable, on rappellera que l’un des articles de
la loi Borloo dite de “cohésion sociale”, a pour objet de
pas complètement l’obligation d’information-consultation
du Comité d’entreprise sur un plan de sauvegarde de
l’emploi.
1. Les moyens conférés par la procédure de
consultation
1-1. La procédure légale “de base”
L’information préalable dans le cadre des procédures
réduire le champ du contrôle des représentants du
livre IV (article L 432-1) et livre III (articles L 321-1 et
personnel en ne fixant le seuil de déclenchement de la
suivants), venant s’ajouter à l’information périodique,
procédure de consultation du comité d’entreprise qu’à
permet un échange et un approfondissement de
dix modifications de contrat refusées et non plus dix
l’appréciation de la situation économique de l’entreprise.
modifications proposées, sur une même période de
En outre, le recours à un expert (articles L 321-7-1) aux
trente jours, sans pour autant avoir prévu (et les débats
frais de l’entreprise, offre aux représentants du personnel
parlementaires montrent qu’il s’agit d’une omission
le moyen d’une meilleure compréhension des éléments
délibérée) de mécanisme permettant d’informer le
chiffrés qui leur sont communiqués à la condition que
comité de ce que ce seuil est atteint (9). Un des enjeux
l’expert ne limite pas son analyse aux seuls éléments
(8) Toutes les tentatives tendant à voir obtenir la nullité des
licenciements à raison de l’insuffisance des motifs et, partant,
de l’absence de justification du recours à un plan social, se
sont, à ce jour, heurtées au refus des juges fondé sur le principe
« pas de nullité sans texte ». Or le seul texte prévoyant une
sanction de nullité est celui relatif au contenu obligatoire du
plan de sauvegarde de l’emploi (L 321-4-1).
(9) Art. L. 321-1-3. – « Lorsqu’au moins dix salariés ont refusé la
modification d’un élément essentiel de leur contrat de travail
proposée par leur employeur pour l’un des motifs énoncés à
l’article L. 321-1 et que leur licenciement est envisagé, celui-ci
est soumis aux dispositions applicables en cas de licenciement
collectif pour motif économique ».
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produits par l’employeur et pousse aussi loin que
possible ses investigations.
Mais, si l’on veut bien considérer :
– que les représentants du personnel ne sont pas, par
manque de formation, toujours aptes à appréhender
l’information économique qui leur est ainsi donnée,
– que leur qualité, précisément, de représentants du
personnel doit les conduire à se tourner vers les salariés,
leur communiquer et expliciter les informations et engager
avec eux le nécessaire débat sans lequel il n’est point
d’autre représentation que formelle,
la question du temps devient cruciale et force est de
constater que les délais fixés par la loi (article L 321-3alinéa 4) sont très souvent jugés insuffisants par les
intéressés, a fortiori depuis que la loi nouvelle permet à
nouveau une consultation concomitante sur la base des
livres III et IV (9 bis).
Encore n’envisage-t-on ici que l’hypothèse d’un
employeur respectant scrupuleusement ses obligations
d’information-consultation, aussi bien en ce qui concerne
la nature des informations communiquées que la
préparation et la tenue des réunions. Si tel n’est pas le cas,
il reste certes le recours à l’intervention du juge des référés
à la fois pour annuler une procédure non respectueuse
des droits et prérogatives du comité et pour contraindre
l’employeur à respecter ces droits. Mais la loi de cohésion
sociale, au nom de la sécurisation des procédures, a
enfermé ces actions dans un délai de quinze jours suivant
chacune des réunions, ce qui, tout praticien du droit et de
ce type de procédure le sait, est un délai beaucoup trop
court (9 ter)…
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1-2. La procédure conventionnelle : les accords de
méthode
290
L’article L 320-3 tel que résultant de la loi de cohésion
sociale, encadre le régime des accords dits “de méthode”
lesquels « fixent les conditions dans lesquelles le comité
d’entreprise est réuni et informé de la situation
économique et financière de l’entreprise et peut formuler
des propositions alternatives au projet économique à
l’origine d’une restructuration ayant des incidences sur
l’emploi et obtenir une réponse motivée de l’employeur à
ses propositions ». Ce même article prévoit également que
« ces accords peuvent aussi déterminer les conditions
dans lesquelles l’établissement du plan de sauvegarde de
l’emploi (…) fait l’objet d’un accord et anticiper le contenu
de celui-ci » (10).
(9 bis) A propos de la concomittance, v. infra p. 353 les obs. de
Paul Bouaziz.
(9 ter) Sur les délais de contestation, v. infra p. 365 les obs. de
Pierre Bouaziz et p. 327 celles de C. Baumgarten.
(10) Sur la portée des accords de méthode, v. infra p. 303 les
études de S. Nadal et p. 311 P. Rennes.
(11) Sur la portée des accords de méthode, v. infra p. 349 les obs.
de E. Gayat sous art. L 320-3 C. Tr.
Sous couvert de dialogue social, le régime légal des
accords de méthode constitue en réalité un recul en
subordonnant à un accord que l’employeur ne signera
qu’en échange de contreparties (notamment sur le temps
de la consultation) un débat sur les contre-propositions
des salariés et de leurs représentants que la loi de
modernisation sociale rendait obligatoire et que les
dispositions actuelles de l’article L 431-5 du Code du
travail rendent à notre avis possible (11).
1-3. Menaces sur le droit à l’information-consultation
Pour qu’un débat sur le bien fondé du motif
économique puisse être mené par les représentants du
personnel, encore faut-il que ceux-ci disposent de
l’information nécessaire et qu’ils puissent en discuter avec
leurs mandants. A cet égard, la directive européenne du
11 mars 2002, relative aux procédures d’information et de
consultation des institutions représentatives du personnel,
et qui fixe aux Etats membres un délai de trois ans pour
son insertion dans l’ordre normatif national, loin de
répondre à cet objectif, est porteuse de règles pour le
moins inquiétantes (12). Ainsi, s’agissant des informations
confidentielles (tous les élus de comité d’entreprise ont eu,
ont ou auront à connaître de ce problème de la
qualification de confidentialité donnée par l’employeur aux
informations qui leur sont communiquées) (13), l’article 6
de la Directive dispose : « Les Etats membres prévoient
que, dans les conditions et limites fixées par les
législations nationales, les représentants des travailleurs,
ainsi que les experts qui les assistent éventuellement ne
sont pas autorisés à révéler aux travailleurs ou à des tiers
des informations qui, dans l’intérêt de l’entreprise ou de
l’établissement, leur ont été communiquées à titre
confidentiel. Cette obligation subsiste quel que soit le lieu
où ils se trouvent, même après l’expiration de leur
mandat ». Exception à cette règle : les Etats membres
peuvent autoriser les représentants à communiquer ces
informations mais uniquement à des personnes ellesmêmes tenues d’une obligation de confidentialité…
Plus préoccupante encore est la reconnaissance, par
cette même directive, d’un droit à la non-information :
« Les Etats membres prévoient que, dans des cas
spécifiques et dans les conditions et limites fixées par les
législations nationales, l’employeur n’est pas obligé de
communiquer des informations ou de procéder à des
consultations lorsque leur nature est telle que, selon des
critères objectifs, elles entraveraient gravement le
(12) Directive 2002/14/CE du Parlement européen et du Conseil du
11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à
l’information et la consultation des travailleurs dans la
Communauté européenne, JOCE n° L 80, 23 mars 2002,
Dr. Ouv. 2002 p. 492
(13) v. par ex. CA Paris (18 ch. D) 3 fév. 2004, Dr. Ouv. 2005
p. 275 n. A. de S.
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fonctionnement de l’entreprise ou de l’établissement ou
lui porteraient préjudice ». Il est difficile de ne pas établir
une filiation entre le principe ainsi dégagé et l’introduction,
par la loi de cohésion sociale, d’un nouvel article
L 432-1 ter ainsi rédigé : « Par dérogation à l’article
L. 431-5, le chef d’entreprise n’est pas tenu de consulter le
comité d’entreprise avant le lancement d’une offre
publique d’achat ou d’une offre publique d’échange
portant sur le capital d’une entreprise. En revanche, il doit
réunir le comité d’entreprise dans les deux jours ouvrables
suivant la publication de l’offre en vue de lui transmettre
des informations écrites et précises sur le contenu de
l’offre et sur les conséquences en matière d’emploi qu’elle
est susceptible d’entraîner ». Ce coup de canif au principe
du caractère préalable de la consultation laisse mal augurer
d’une évolution qui, aux antipodes d’un débat en amont,
tend à transformer les institutions représentatives du
personnel en chambres d’enregistrement, quand ce n’est
pas en cautions.
2. La dissociation entre le temps de la collecte
des informations et le temps de leur utilisation
Il a été rappelé que le comité, bien que destinataire
des informations relatives au motif économique invoqué
pour justifier la restructuration et les licenciements
subséquents, devra limiter son contrôle et son éventuelle
action judiciaire en contestation au seul contenu du plan
de sauvegarde de l’emploi. Le temps de l’appréciation du
bien fondé du motif économique viendra ultérieurement,
lorsque chaque salarié concerné, ayant reçu la
notification de son licenciement, se verra ouvrir le droit à
la contestation dudit motif devant son juge : le juge du
contrat de travail, c’est-à-dire le Conseil des
prud’hommes.
Bien évidemment, à ce stade, le salarié qui vient d’être
licencié ne dispose que de la lettre de licenciement dont
les termes cernent le litige. C’est à ce moment que les
informations recueillies lors de la procédure
d’information-consultation, de l’expertise et du débat
auxquels elle a donné lieu, recouvrent leur utilité pratique
quant à l’appréciation et la sanction du motif
économique.
Or, se pose, ici et à nouveau, le problème du temps.
En effet, l’employeur peut procéder aux notifications des
licenciements une fois l’avis du comité recueilli.
L’individualisation des procédures, s’accompagnant de la
dispense d’effectuer le préavis, aboutit à la dispersion des
salariés concernés, souvent à la perte de contact, au
champ libre laissé aux règlements individuels sous forme
transactionnelle, et les informations et débats, aussi
(14) préc.
(15) Cass. Soc. 5 avr. 1995, TWR et Thomson-Vidéocolor, Bull. V
n° 123, Dr. Ouv. 1995 p. 284 en annexe de A. Lyon-Caen “Le
contrôle par le juge des licenciements pour motif
riches et éclairants qu’ils aient pu être, ne parviennent
que rarement à ceux qui, premiers concernés, devraient
pourtant pouvoir en faire le meilleur usage. Le Code du
travail prévoit certes (article L 122-14-3) que l’employeur
doit communiquer au juge tous les éléments qu’il a
fournis aux représentants du personnel dans le cadre de
la consultation mais, précisément, il ne s’agit que des
documents élaborés par l’employeur et ne reflétant donc
rien du travail de contrôle, d’investigation, de contestation
et de contre-proposition accompli par les représentants
du personnel.
Le passage du collectif à l’individuel ne se traduit pas
seulement par un changement d’angle d’attaque possible
sur la restructuration. Il s’accompagne également d’une
perte d’informations précieuses qui ne peut que
préjudicier au combat judiciaire engagé par chaque
salarié à titre individuel.
B. Les licenciements individuels
1. Des salariés en manque d’informations
A la différence de la catégorie précédente, aucune
consultation, aucune expertise, aucun débat, aucune
possibilité de contre-proposition ne les a précédés hormis
un entretien préalable peu adapté à ce type de
controverse. Le salarié placé dans cette situation se trouve
totalement démuni en matière d’information
économique. Il ne peut compter que sur la conduite du
procès prud’homal pour espérer pouvoir mener le débat
sur la réalité et le sérieux du motif invoqué. Et c’est bien là
que le bât blesse. Comment, en effet, seul, face à
l’employeur qui dispose de tous les éléments et qui n’en
a, dans la lettre de licenciement, présenté que ce qu’il
souhaitait, obtenir une appréciation pertinente du motif
invoqué ?
Si le motif invoqué tient à des difficultés économiques
ou à une mutation technologiques, on peut espérer que
l’employeur sera en capacité de produire des justifications
de cette situation et qu’à défaut, le juge du contrat de
travail en tirera toutes les conséquences.
Mais il en est tout autrement lorsque se trouve invoqué,
par une entreprise qui ne connaît aucune difficulté
économique particulière et qui ne fait l’objet d’aucune
mutation technologique, la nécessité de sauvegarder sa
compétitivité partant du principe qu’en économie
concurrentielle toute entreprise peut être à tout moment
tentée d’invoquer ce moyen… L’on se souvient que, par
sa décision relative à la loi de modernisation sociale (14),
le Conseil constitutionnel, après la chambre sociale de la
Cour de cassation (15), avait admis ce motif comme un
économique” ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud,
E. Dockès, Les grands arrêts du Droit du travail, Dalloz,
3e ed., 2004, arrêt n° 109.
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motif autonome, distinct des difficultés économiques, en
partant du principe qu’il serait absurde de ne permettre à
une entreprise de se restructurer qu’en temps de crise,
c’est à dire à un moment où le nombre de licenciements,
et le coût social et humain en résultant, serait forcément
plus important. Réflexion de bon sens, à ceci près que ce
motif est rapidement devenu le “grand classique”
d’entreprises performantes et rentables qui souhaitent,
tout simplement, réduire le poids de la masse salariale
pour dégager des profits plus importants à la satisfaction
de l’actionnaire.
Difficile d’établir une frontière claire entre le principe et
son abus, a fortiori lorsque l’une des parties au débat est
privée des éléments d’information les plus essentiels.
A quel moment et avec quels moyens un tel débat
peut-il être conduit afin d’apprécier la pertinence du
motif ?
2. Une pratique de la procédure prud’homale
totalement inadaptée
Le débat sur la réalité et la portée du motif
économique devant la juridiction prud’homale souffre de
la conjonction de plusieurs éléments.
En premier lieu, une lecture restrictive du principe posé
par l’alinéa premier de l’article 1315 du Code civil (16) et
une pratique routinière de l’échange de moyens et de
pièces aboutissent à ce que le débat ne puisse se tenir
que sur la seule foi des informations que l’employeur veut
bien produire, ce qui revient à dire qu’aucun débat sérieux
et approfondi sur le motif économique ne peut avoir lieu.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
En second lieu, l’avancée jurisprudentielle, ô combien
salutaire, qui a conduit à assimiler l’insuffisance de
recherche de reclassement à une absence de motif et à
la sanctionner de la même manière (16 bis), aboutit très
souvent à une réduction du débat à ce seul point, ce qui
permet certes au final la réparation du préjudice subi
dans des conditions juridiquement analogues mais, aussi
et malheureusement, à éluder la discussion sur le motif
lui-même.
292
Deux situations se présentent le plus souvent, étant
rappelé que le débat judiciaire a lieu plusieurs mois après
le licenciement. Première situation : l’entreprise
connaissait, à l’époque du licenciement, de réelles
difficultés. Aura-t-elle connu depuis lors une amélioration
de sa situation et il sera alors aisé de venir soutenir que
la ou les suppressions d’emploi étai(en)t bien un
passage obligé. Sa situation aura-t-elle continué de se
dégrader et l’on viendra soutenir que le présent justifie
d’autant plus le passé. Dans un cas comme dans l’autre,
il paraîtra presque incongru de s’interroger sur la
pertinence économique du licenciement, de demander
(16) « Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la
prouver. »
s’il n’existait pas d’autres solutions. Seconde situation,
l’entreprise ne connaissait pas de difficulté et avait
invoqué la nécessité de sauvegarder sa compétitivité.
Aura-t-elle connu depuis lors une dégradation de sa
situation et elle viendra soutenir que ce ou ces
licenciements étaient indispensables et n’ont
malheureusement pas été suffisants. Sera-t-elle toujours
performante et exempte de toute difficulté et, comme il y
a peu de chance pour que la concurrence ait entre
temps disparu, l’on viendra soutenir que ce ou ces
licenciements étaient indispensables pour la maintenir
dans la course. Dans un cas comme dans l’autre, il
semblera presque iconoclaste de faire observer qu’un tel
raisonnement exclut par avance toute contestation et fait
de la sauvegarde de la compétitivité un motif
“automatique”. Le tout dans le peu de temps que permet
la charge des audiences prud’homales.
C. Le cas des salariés protégés
On ne rappellera pas ici les éléments, connus, du
contrôle auquel doit se livrer l’administration du travail
saisie d’une demande d’autorisation de licenciement
pour motif économique. On se bornera à constater qu’il
s’agit d’une enquête, et non d’un débat, contradictoire
(ainsi, par exemple, le salarié concerné n’est pas, de droit
et automatiquement, destinataire de la demande
d’autorisation motivée adressée par son employeur à
l’inspecteur du travail).
Le débat n’aura pas davantage lieu devant le juge de
droit commun, le Conseil des prud’hommes, auquel le
principe de séparation des pouvoirs interdit de statuer sur
le bien fondé d’un licenciement autorisé par
l’administration du travail.
On observera également que la jurisprudence
administrative tarde à intégrer les avancées opérées par
la jurisprudence sociale (voir par exemple le peu de
décisions rendues et publiées sur la notion de
sauvegarde de la compétitivité).
Enfin, dans le cas des salariés protégés non compris
dans un licenciement collectif ayant donné lieu à un plan
social, ceux-ci se trouvent, en matière d’information, tout
aussi démunis que leurs collègues non protégés et tout
dépendra de la persévérance de l’inspecteur du travail et
de sa détermination à obtenir les informations
indispensables à son contrôle.
Cet état des lieux sur la rareté des moments de vrai
débat sur l’appréciation de la pertinence du motif
économique, pour peu enthousiasmant qu’il soit, ne doit
pas faire oublier les quelques possibilités d’amélioration
susceptibles d’être recherchées dans l’état actuel du droit
et des procédures.
(16 bis) v. infra p. 365 A. Chirez et p. 347 E. Gayat.
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II. Exploiter les moyens existants ■
A. Sur les licenciements précédés d’une
consultation du comité d’entreprise
1-1. Etendre le contrôle, et, par voie de
conséquence, le débat, dans l’espace et dans
le temps
Agir sur les terrains évoqués ci-dessus comme des
points de faiblesse limitant les possibilités de débat sur le
bien fondé du motif économique nécessite en effet
d’utiliser à plein les prérogatives parfois inutilisées.
Ici encore, la vérification des difficultés économiques
ou des mutations économiques invoquées ne soulève
pas de problème particulier pour peu que les élus et
leurs experts mènent le travail d’investigation et de
questionnement que la loi leur confie.
Encore faut-il que cette étude ne se laisse pas
enfermer dans l’espace et dans le temps. Ainsi l’examen
de la situation de la seule entreprise concernée par la
restructuration s’avère-t-il insuffisant lorsque ladite
entreprise appartient à un groupe et obéit à des
stratégies décidées au niveau dudit groupe. Exiger, au
stade du débat livre IV-livre III, que les informations
communiquées soient mises en perspective avec celles
qui concernent le groupe, les confronter avec les
informations recueillies par les instances de
représentation instituées au niveau du groupe ou de
l’UES, permet un éclairage différent et très souvent
instructif sur les informations brutes délivrées au comité
d’entreprise.
Mais bien évidemment, un tel travail de recherche,
d’analyse et de confrontation nécessite du temps et les
employeurs l’ont bien compris qui, le plus souvent,
transforment la négociation d’un accord de méthode en
un moyen de pression pour réduire le temps de la
consultation. La fermeté des organisations syndicales lors
de la négociation de ces accords est alors un élément
déterminant.
Lorsque le motif invoqué est celui de la sauvegarde de
la compétitivité, le critère temps revêt une particulière
importance. En effet, il n’est pas inutile de rappeler que
ce motif n’est admis que pour autant que l’employeur
rapporte la preuve, qui lui incombe, de l’existence d’une
menace sur sa compétitivité et l’existence d’entreprises
concurrentes ne saurait, à l’évidence, suffire à constituer
cette preuve : « Mais attendu que la Cour d’appel, qui
s’en est tenue aux motifs énoncés dans la lettre de
(17) Cass. soc., 24 oct. 2000, n° 97-43.065, SA TRW REPA c/
Mabon et a. ; voir dans le même sens, Cass. soc., 29 mai
2001, n° 99-41.930, Derouette c/ Derouette, 5 oct. 1999,
n° 98-41.384 : Bull. civ. V, n° 366, 29 janvier 2003
n° 00-44962 Sté Logidis c/ Tomas et autres, CA Poitiers
licenciement invoquant la position de l’entreprise dans
un secteur concurrentiel, après avoir constaté que les
difficultés rencontrées par la société TRW Repa ne
résultaient pas du niveau des rémunérations, a fait
ressortir que la réorganisation à laquelle elle avait
procédé n’était pas justifiée par la sauvegarde de la
compétitivité du secteur d’activité que par ces seuls
motifs elle a légalement justifié sa décision ; que les
moyens ne sont pas fondés » (17). En pareil cas,
l’examen du contexte concurrentiel dans lequel évolue
l’entreprise est un élément clé du débat et de
l’appréciation du motif précisément pour faire pièce à la
tendance à considérer la sauvegarde de la compétitivité
comme un moyen aussi permanent qu’incontestable.
Cet examen ne saurait se limiter aux seules
informations communiquées par l’employeur dans le
cadre de son obligation d’information. Il pourra
également s’enrichir de la collecte des informations que
l’on peut trouver dans la presse spécialisée ou, pour les
entreprises cotées en bourse, dans la communication en
direction des marchés financiers.
L’on est très souvent surpris, en effet, par le fossé, voire
la contradiction pure et simple, entre les informations
délibérément
alarmistes
communiquées
aux
représentants du personnel pour justifier les
licenciements et les informations délibérément
dithyrambiques distillées en direction des marchés pour
soutenir le cours ou préparer une entrée en cotation.
Enfin, le contrôle, et donc le débat, sur la sauvegarde
de la compétitivité ne se réduit pas au moment de la
procédure de licenciement et nécessite un suivi de
l’évolution de la situation de l’entreprise. C’est
l’enseignement que l’on peut tirer de la jurisprudence
Bardonneau, de la Cour de cassation : par cet arrêt du
26 mars 2002 (18), la Chambre sociale de la Cour de
cassation retient que, lorsque le motif de la sauvegarde
de la compétitivité est invoqué, le juge du fond doit non
seulement s’attacher à examiner les preuves qui lui sont
fournies de l’existence d’une menace mais également
prendre en considération l’évolution de la situation de
l’entreprise depuis le licenciement afin de vérifier si celleci confirme, ou infirme, les prévisions alléguées par la
société : « Mais attendu que la Cour d’appel a rappelé
que le licenciement économique de la salariée était
motivé dans la lettre de licenciement non par des
difficultés économiques mais par une réorganisation de
13 avril 2004 n° 02-03760 cité in Semaine sociale Lamy
3/5/2004 n° 1167.
(18) N° 00-40.898 – Bardonneau c/ Fmc Europe Jurisprudence
sociale Lamy n° 100 25/4/2002.
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l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la
compétitivité ; et attendu qu’ayant justement énoncé
que si le motif économique de licenciement devait
s’apprécier à la date du licenciement il pouvait être tenu
compte d’éléments postérieurs pour cette appréciation,
la Cour d’appel, qui a relevé au vus des résultats
déficitaires de 1994 et 1995 que les prévisions en 1993
d’une dégradation de sa situation économique dans les
années à venir s’étaient révélées exactes, a pu décider
que la réorganisation entreprise en 1993 était
indispensable à la sauvegarde de sa compétitivité ». En
l’occurrence, la dégradation de la situation de la société
avait, aux yeux de la Cour d’appel puis de la Cour de
cassation, justifié, a posteriori, que la compétitivité de la
société concernée devait effectivement être sauvegardée.
Le raisonnement par a contrario semble pouvoir être
retenu et le temps de l’appréciation des motifs s’allonger
d’autant, la durée de la procédure judiciaire devenant,
une fois n’est pas coutume, un atout dans le jeu du ou
des salariés contestant leur licenciement.
Enfin, partant du principe que l’insuffisance de l’effort
individuel de reclassement est traité par le juge du
contrat de travail comme l’absence de motif, un autre
contrôle ne peut être opéré par les représentants du
personnel que dans le temps post-procédure de
consultation : celui de la réalité et du contenu du travail
des cellules et autres cabinets spécialisés de
reclassement sur lesquels l’employeur se décharge, à un
coût souvent très important, de ses responsabilités en la
matière.
La jurisprudence relative au reclassement a provoqué
l’émergence d’un véritable marché que se disputent des
cabinets dont il reste à examiner, à moyen et long terme,
les résultats et le rapport “qualité-prix”. Les exemples sont
nombreux de résultats très décevants et de proportions
infimes de salariés effectivement reclassés.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Ici encore, une fois passé l’effet d’annonce du plan de
sauvegarde de l’emploi, c’est dans le temps que les
représentants du personnel peuvent juger, sur pièces, de
l’effort réel de reclassement opéré par l’employeur ou le
cabinet qui en a reçu la charge.
294
Les réunions du comité d’entreprise qui se tiendront
pendant les mois suivant la mise en œuvre du plan
social, doivent également permettre de questionner
l’employeur sur les résultats en la matière au regard des
moyens financiers consentis. L’article L 321-4 du Code
du travail dispose en effet notamment : « Le plan de
sauvegarde de l’emploi doit déterminer les modalités de
suivi de la mise en œuvre effective des mesures
contenues dans le plan de reclassement prévu à l’article
(19) cf. jurisprudence Bardonneau.
L. 321-4-1. Ce suivi fait l’objet d’une consultation
régulière et approfondie du comité d’entreprise ou des
délégués
du
personnel.
L’autorité
administrative
compétente est associée au suivi de ces mesures ».
1.2. Transmettre ces informations aux acteurs du
débat judiciaire sur l’appréciation du motif
Une fois les précieuses informations ainsi collectées,
reste le problème de leur mise à disposition des salariés
qui en auront besoin pour conduire leur procédure en
contestation du bien fondé du motif. En dehors de
l’affichage des comptes-rendus des réunions du comité
(avec le décalage lié au délai de rédaction et d’adoption
aboutissant à ce que les salariés licenciés et dispensés
d’effectuer leur préavis ne pourront en prendre
connaissance) et de la diffusion des tracts syndicaux (qui
ne peut concerner que les salariés encore présents dans
l’entreprise) le Code du travail ne prévoit pas de moyen
particulier.
Comment permettre aux membres du comité et aux
organisations syndicales qui y sont représentées, de faire
bénéficier les salariés concernés des informations et
réponses complémentaires qu’ils auront pu obtenir ?
En dehors de l’invite faite aux salariés licenciés de
garder le contact avec leurs représentants, on peut
suggérer :
– dans le cadre des commissions de suivi prévues par
les plans de sauvegarde de l’emploi, le maintien du
contact avec les salariés visés par ledit plan et la
transmission à ceux-ci de l’intégralité des débats qui se
sont tenus au sein du comité, pendant la procédure de
consultation et après (19) le tout sous la surveillance des
représentants
du
personnel
siégeant
dans
ces
commissions ;
– dans le cadre de l’accord de méthode, lorsqu’il en
existe un, la mise en place d’un système analogue.
Il ne s’agit pas de chausser des lunettes roses tant il
est vrai que la communication aux représentants du
personnel des noms et coordonnées des salariés
licenciés reste, pour des raisons évidentes, l’enjeu d’une
bataille qui est loin d’être gagnée. Mais il s’agit, y compris
en n’hésitant pas à solliciter l’arbitrage du juge, de
prendre les employeurs au mot de leurs affichages en
matière de dialogue social et de transformer des
commissions
conçues
comme
des
chambres
d’enregistrement en véritables outils d’un «droit de suite»
qui reste à construire et à faire vivre.
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B. Sur les licenciements individuels
On a vu ci-dessus que le salarié licencié pour motif
économique dans un cadre non collectif ne peut
bénéficier de tout le travail de contrôle et de
confrontation en amont et s’en trouve d’autant plus
démuni.
En dehors de la documentation qu’il aura pu glaner, il
reste pour l’essentiel tributaire de l’exercice, par le juge
du contrat de travail, de l’ensemble des prérogatives
prévues par la loi. Or, il faut bien constater que la mise en
œuvre de ces prérogatives reste l’enjeu d’une bataille
quotidienne. Partant du principe qu’il appartient au
demandeur de produire en premier ses moyens de
contestation, oubliant au passage que le demandeur à
l’instance est, avant tout et chronologiquement, d’abord
défendeur à une mesure de licenciement, et face à des
employeurs qui ne se privent pas de rappeler que le juge
ne saurait, en matière de preuve, suppléer aux carences
du demandeur, les conseils de prud’hommes restent en
cette
matière
d’une
frilosité
d’autant
plus
incompréhensible que les textes leur donnent les
moyens d’agir.
Faut-il rappeler que l’article R 516-18 du Code du
travail confère au bureau de conciliation le pouvoir
d’ordonner toutes mesures d’instruction, même d’office ;
que l’article R 516-21 prévoit qu’afin de mettre l’affaire
en état d’être jugée, le bureau de conciliation ou le
bureau de jugement peut, par décision qui n’est pas
susceptible de recours, désigner un ou deux conseillers
rapporteurs en vue de réunir sur cette affaire les
éléments d’information nécessaires au Conseil des
prud’hommes pour statuer ?
Faut-il rappeler que les décisions du bureau de
conciliation statuant sur des demandes d’instruction ou
de désignation de conseillers rapporteurs, si elles ne
peuvent être contestées qu’en même temps que la
décision au fond, n’en sont pas moins des décisions
juridictionnelles et, à ce titre, obligatoirement motivées ?
l’attitude de blocage adoptée par les conseillers
employeurs et que l’on hésite à «partir en départage» dès
le bureau de conciliation et sur une simple question de
méthode. Mais l’enjeu ne le justifie-t-il pas et faut-il
accepter de voir tomber en désuétude des moyens
procéduraux essentiels au contrôle des motifs et qui ne
s’usent que si l’on ne s’en sert pas ?
C. Sur les salariés protégés
L’intégration par la jurisprudence administrative des
avancées auxquelles a procédé depuis plusieurs années
la juridiction sociale doit se poursuivre. Le Tribunal
administratif de Paris a récemment jugé, par exemple,
qu’une entreprise invoquant la réorganisation rendue
nécessaire par la sauvegarde de sa compétitivité devait
d’abord prouver que sa compétitivité se trouvait
menacée et qu’à défaut, la réorganisation et, par voie de
conséquence, les licenciements subséquents n’étaient
pas justifiés (20). Cette jurisprudence fait pièce aux
motivations
souvent
lapidaires
des
décisions
ministérielles en la matière et incite l’administration du
travail à ne pas se contenter de la présentation de la
situation faite par l’employeur et à utiliser les moyens
dont elle dispose dans le cadre de l’enquête
contradictoire.
Enquête contradictoire, justement. A cet égard, aucun
texte n’interdit à l’inspecteur du travail de donner
connaissance
au
salarié
protégé
concerné
de
l’argumentaire développé par l’employeur et, à cette fin,
de lui transmettre la copie de la demande d’autorisation
avant de recevoir le salarié afin de permettre à ce dernier
de préparer sa contre-argumentation et d’éclairer
l’inspecteur sur la direction à donner à ses investigations.
En guise de conclusion, même si de nombreuses
possibilités existantes restent inexploitées, il n’en
demeure pas moins que les deux dernières interventions
du législateur ont considérablement amoindri les moyens
Faut-il rappeler que devant un refus manifeste de
l’employeur de produire les éléments indispensables à
l’appréciation des motifs par lui invoqués, l’opacité ainsi
entretenue dégénère en doute qui doit, en tout état de
cause, bénéficier au salarié (article L 122-14-3) ?
et délais de contrôle sur la réalité et la pertinence du
Certes, l’auteur de ces lignes n’ignore pas que le refus
d’utiliser ces prérogatives résulte le plus souvent de
nouvelle intervention législative.
(20) « que c’est à bon droit que M Torres fait valoir que la société
Pages Jaunes n’établit pas que sa compétitivité n’est pas
menacée par l’évolution de la concurrence et l’introduction
de nouvelles technologies dans son secteur d’activité, dès lors
qu’elle n’apporte pas la preuve, qui lui incombe, ni que les
mesures de réorganisation de l’entreprise auraient été
décidées dans le but exclusif d’assurer la sauvegarde de la
motif économique invoqué. Le temps du contrôle, du
débat, de la contradiction et de la contre-proposition est
une denrée rare. C’est bien cet étau qu’il s’agit de
desserrer et cela passe, nécessairement, par une
Hervé Tourniquet
compétitivité de ce secteur d’activité, ni, au demeurant, que
cette compétitivité était effectivement menacée ; qu’il suit de
là que ces mesures de réorganisation sont insusceptibles de
constituer une cause économique de licenciement » (TA Paris
18 mai 2005 - Torres c/ Ministre des Affaires sociales, du
travail et de la solidarité, n° 0412123/3).
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DOCTRI NE
Vers un affaiblissement de l’emprise des procédures
de licenciement collectif : le cas des propositions
de modification du contrat de travail
pour motif économique (1)
par Isabelle MEYRAT, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise
P
lus qu’une simple étape, la loi n° 2005-32 du 18 janvier 2005,
PLAN
I. Le domaine de la procédure de
traitement du projet de
licenciement collectif : une
question controversée
dans son volet “emploi”, pourrait bien incarner un point de rupture avec la
A. Retour sur la lecture FramatomeMajorette de l'article L. 321-1-3
issu de la loi du 29 juillet 1992
orientée tout à la fois vers un rayonnement anticipé de la procédure dite du
B. Une solution circonscrite à
l'hypothèse de la proposition de
modification du contrat de travail
pour motif économique
conception du droit du licenciement économique que la loi et les juges se
sont efforcés de promouvoir depuis une dizaine d’années. Une conception
Livre III du Code du travail et la soumission à des règles identiques
d’opérations obéissant à une même logique.
Or, pour la première fois, la loi tend à réduire le champ d’application
du régime du licenciement économique à travers la soustraction des
propositions de modification des contrats de travail à la procédure de
II. L'éloignement de la
conception judiciaire du droit
du licenciement économique
traitement du projet de grand licenciement collectif (I). La mise à néant de la
solution dégagée par la Cour de cassation dans ses fameux arrêts
A. L'anéantissement des exigences
attachées au déclenchement
anticipé de la procédure du
Livre III
Framatome-Majorette du 3 décembre 1996 (2), combinée à d’autres
B. L'office du juge en question
possible par un dialogue constant entre le législateur et les juges (II).
■
dispositions de la présente loi, rompt subrepticement avec une
compréhension enrichie du droit du licenciement économique rendue
I. Le domaine de la procédure de traitement du projet ■
de licenciement collectif : une question controversée
La réécriture de l’article L. 321-1-3 (3) du Code du
travail met un terme, avec une netteté toute particulière,
à l’interprétation par la Cour de cassation de ce texte
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dans sa rédaction issue de la loi du 29 juillet 1992 (A).
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En dépit des critiques sévères dont elle a fait l’objet, le
champ d’application de la règle découverte par la
Chambre sociale demeurait pourtant circonscrit à
l’hypothèse de la proposition de modification d’un
élément essentiel du contrat pour motif économique (B).
(1) Cet article reprend une communication présentée le 18 février
2005 à une réunion de l’Association française de droit du travail
(AFDT) sur le nouveau régime du licenciement économique.
(2) Cass. soc. 3 décembre 1996, Bull. civ. V. n° 411, RJS 1/97, concl.
P. Lyon-Caen, p. 12. Dr. social 1997, p. 18, rapport Ph. Waquet.
(3) “Lorsqu’au moins dix salariés ont refusé la modification d’un
élément essentiel de leur contrat de travail proposée par
A. Retour sur la lecture Framatome-Majorette
de l’article L. 321-1-3 issu de la loi
du 29 juillet 1992
Il faut remonter à l’arrêt Petit Bateau du 9 octobre
1991 (4) pour comprendre le sens de l’évolution du
droit du licenciement économique. La Cour de cassation
y énonçait deux propositions peu compatibles. D’un côté,
elle qualifiait d’économiques les licenciements faisant
suite au refus des salariés d’accepter la modification de
leur contrat de travail pour une telle cause. De l’autre, elle
l’employeur pour l’un des motifs énoncés à l’article L. 321-1 et
que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux
dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour
motif économique”.
(4) Cass. soc. 9 octobre 1991, Bull. civ. V. n° 399, D. 1992, p. 127,
note N. Decoopman, Dr. Ouv. 1992 p. 222.
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analysait ces ruptures comme une juxtaposition de
licenciements individuels. Cette solution reposait sur la
volonté de l’employeur de ne pas “supprimer des
emplois”. La distinction entre suppression ou
transformation d’emplois et modification des contrats de
travail générait une tension entre la qualification de la
rupture et son régime et s’accordait mal avec
l’énumération des mesures mettant également en cause
l’emploi ou le contrat par l’article L. 321-1 issu de la loi
du 2 août 1989. En outre, elle réduisait significativement
la notion d’emploi et sa mise en cause à un “contenu
d’activité” (5), c’est-à-dire à un ensemble de tâches
prescrites ou d’attributions. Autrement dit, en limitant
l’application des dispositions relatives aux licenciements
collectifs aux seules hypothèses de suppression d’emploi
ou d’altération de ses caractéristiques, la Cour de
cassation déniait au contrat sa capacité à façonner les
modalités d’exercice du rapport d’emploi (6).
Dans le même temps, un arrêt CEPME du 10 avril 1991
(7) affirmait l’unité de la procédure applicable, en
l’occurrence celle dite du Livre III, à l’ensemble des
opérations se traduisant par des suppressions d’emplois
indépendamment de la “différenciation des formes
juridiques de rupture” (8).
La loi du 29 juillet 1992 allait mettre un terme à
l’interprétation restrictive de l’empire de la procédure de
traitement des grands licenciements collectifs consacrée
par l’arrêt Petit-Bateau en insérant le fameux article
L. 321-1-3 (9). Par ailleurs, la formule introduite à l’article
L. 321-1 (10) entérinait la solution consacrée dans l’arrêt
CEPME visant à assurer l’application du régime du
licenciement économique à des opérations qui, tout en se
traduisant par des résiliations conventionnelles, obéissent à
une logique identique.
En dépit de l’extension de la catégorie licenciement
économique et du régime des licenciements collectifs, la
question de l’emprise temporelle et, précisément de la
décision donnant lieu à l’application des dispositions dites
du Livre III en cas de modification collective des contrats
de travail, restait âprement débattue (11). La question,
bien connue, était de savoir si l’obligation de consulter les
représentants du personnel selon les dispositions du Livre
III naissait de la notification des propositions de
modification des contrats de travail ou bien du refus des
salariés d’accepter cette modification. Dans ses arrêts du 3
décembre 1996, la Chambre sociale allait décider que le
projet de restructuration conduisant à “proposer à plus de
dix salariés la modification d’un élément essentiel de leur
contrat de travail et, par conséquent, à envisager le
licenciement de ces salariés ou à tout le moins la rupture
de leurs contrats de travail pour motif économique
impose à l’employeur d’établir et de mettre en œuvre un
plan social”.
Ni l’interprétation littérale du texte de l’article
L. 321-1-3, ni celle qu’en livrait la circulaire du
29 décembre 1992 (12) n’autorisaient à situer le moment
déclenchant l’application des dispositions du Livre III au
stade des propositions de modifications des contrats de
travail. Certains auteurs (13) ont pu considérer que la
solution adoptée par la Cour de cassation consistant à
imposer à l’employeur de réunir le comité d’entreprise et
d’établir un plan social avant de notifier aux salariés les
propositions de modifications de leur contrat de travail
relevait d’un raisonnement “téléologique”. A tout le moins,
la méthode de la Cour de cassation traduisait-elle une
sollicitation intensive des textes régissant le licenciement
économique afin de leur faire produire un effet utile, c’està-dire la recherche d’une “authentique consultation” (14)
avec les représentants du personnel sur la teneur du projet
de réorganisation et le sort des salariés concernés (15).
B. Une solution circonscrite à l’hypothèse de la
proposition de modification du contrat de
travail pour motif économique
La lecture Framatome-Majorette de l’article L. 321-1-3
dans sa rédaction antérieure à la loi du 18 janvier 2005
par la Cour de cassation n’a cessé d’irriter (16).
(5) A. Lyon-Caen, “Actualité de la modification”, Dr. Ouv., février
1996, p. 88.
(12) Circ. DE/DRT n° 92-26 du 29 décembre 1992, Dr. Ouv. 1993
p. 409.
(6) A. Jeammaud, M. Le Friant, A. Lyon-Caen, “L’ordonnancement
des relations du travail”, D. 1998, chron. p. 359.
(13) G. Bélier, “Modifications substantielles de contrats de travail et
procédures de licenciement collectif pour motif économique”,
Liaisons sociales, législation sociale n° 7598.
(7) Cass. soc. 10 avril 1991, Bull. civ. n° 179, D. 1992, som. com.
p. 290, obs. M.-A. Rotschild-Souriac, Dr. Ouv. 1991 p. 208 n.
P. Moussy.
(8) M.-A. Rotschild-Souriac, obs. sous Cass. soc. 10 avril 1991 prec.
(9) “Lorsque, pour un des motifs énoncés à l’article L. 321-1,
l’employeur envisage le licenciement de plusieurs salariés ayant
refusé une modification substantielle de leur contrat de travail,
ces licenciements sont soumis aux dispositions applicables en cas
de licenciement collectif”.
(10) “Les dispositions du présent chapitre sont applicables à toute
rupture du contrat de travail résultant de l’une des causes
énoncées à l’alinéa précédent”.
(11) H.-J. Legrand, “Modification collective des contrats de travail et
licenciement collectif”, Dr. Ouv. 1996, p. 404 ; A. Lyon-Caen,
“Actualité de la modification”, op. cit. p. 88.
(14) A. Jeammaud, Le licenciement, Dalloz 1993, p. 105.
L’expression restitue les efforts entrepris par la Cour de cassation
pour fixer les obligations de l’employeur en matière
d’information et de consultation du comité d’entreprise sur le
fondement des Livres III et IV du Code du travail.
(15) V. J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les
grands arrêts du droit du droit du travail, Dalloz, 3e édition,
n° 103-106.
(16) J.-E. Ray, “Avant-propos - La loi du 18 janvier 2005 : continuités
et contournements” et C. Radé, “Feu la jurisprudence
Framatome et Majorette (à propos de l’article 73 de la loi du
18 janvier 2005)”, Dr. soc. avril 2005. V. également B. Gauriau,
“La jurisprudence Majorette-Framatome ne doit-elle pas être
abandonnée ?”, Dr. soc. octobre 2004, p. 381. Ph. Langlois,
“La Cour de cassation et le respect de la loi en droit du travail”,
D. 1997, ch. p. 45.
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Par-delà l’argument tiré du traumatisme que pouvait
provoquer, chez les salariés, l’établissement d’un plan de
sauvegarde de l’emploi, les critiques soulignaient
principalement le risque de banalisation du plan de
sauvegarde de l’emploi et l’indifférence que cette
interprétation aurait manifesté à l’égard de la volonté des
parties au contrat de travail.
modification des contrats de travail, n’en demeurent pas
A n’en pas douter, la question de l’équilibre entre, d’un
côté, une emprise prématurée des dispositions du Livre III,
de l’autre, les actions nécessaires pour permettre
“l’adaptation des salariés à l’évolution de leur emploi” est
cardinale. Or, la distinction entre les initiatives commandant
l’application du régime du licenciement économique et les
mesures dites de gestion prévisionnelle de l’emploi ne
requérant l’information et la consultation du comité
d’entreprise qu’au titre du Livre IV du Code du travail n’est
pas d’une parfaite netteté. D’autant que des actions de
mobilité géographique et fonctionnelle peuvent trouver à
s’inscrire dans cette gestion prévisionnelle de l’emploi
(17), ce que suggère d’ailleurs désormais très
explicitement le nouvel article L. 320-2 du Code du travail
(18). Pour autant, la lecture Framatome-Majorette, loin
d’absorber la gestion courante ou prévisionnelle de
l’emploi, avait conduit la Cour de cassation à instaurer une
ligne de partage. Celle-ci se logeait dans la “proposition de
modification des contrats de travail au sens de l’article
L. 321-1-2 du Code du travail”. Telle est du moins la
directive de solution livrée dans l’arrêt IBM du 12 janvier
1999 (19). La Cour de cassation excluait donc
l’applicabilité de la procédure de licenciement économique
au projet consistant en un appel au volontariat des salariés
qui se porteraient candidats à des mesures n’entraînant
pas la rupture du contrat de travail, telles “temps partiel
indemnisé, congé sans solde indemnisé, préretraite
progressive”. A son tour, cette décision a été vivement
critiquée en raison du déplacement vers l’espace de la
gestion prévisionnelle de l’emploi de mesures qui, pour ne
pas se traduire immédiatement par des propositions de
perspective de rupture des contrats de travail, en dépit
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
(17) Sur ce point V. G. Bélier, “Modifications substantielles de
contrats de travail et procédures de licenciement”, op. cit. p. 3.
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(18) Aux termes de ce texte, la négociation triennale qui doit être
engagée à l’initiative de l’employeur porte notamment “sur la mise
en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et
des compétences ainsi que sur les mesures d’accompagnement
susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de
formation... ainsi que d’accompagnement de la mobilité
professionnelle et géographique des salariés”. A propos de cette
gestion prévisionnelle v. infra p. 322 T. Katz et p. 343 M.-F. BiedCharreton.
(19) Cass. soc. 12 janvier 1999, Dr. Ouv. 1999 p. 427, Y. Chauvy “La
consultation du comité d’entreprise sur la modification
collective des contrats de travail” ; F. Favennec-Héry, Dr. soc.
1999, p. 297.
(20) V. en ce sens Y. Chauvy, op. cit. spec. p. 430 ; M.-F. BiedCharreton préc.
(21) V. A. Lyon-Caen, “Actualité de la modification”, Dr. Ouv. 1996,
p. 88.
Ainsi, peut-on sérieusement envisager que sur une année, un
employeur se livre à une opération de “compression des
effectifs”, selon les termes mêmes de l’article L. 432-1, pouvant
moins proches d’un bouleversement de la sphère
contractuelle (20).
Ainsi,
le
déclenchement
de
la
procédure
de
licenciement économique et l’obligation corrélative pour
l’employeur d’établir et de mettre en œuvre un plan de
sauvegarde de l’emploi n’ont-ils jamais été dissociés d’une
d’une tendance certaine à l’emprise précoce de la
procédure du Livre III. Par ailleurs, la critique adressée à la
lecture Framatome-Majorette sous l’angle du risque de
dilution des mesures de gestion prévisionnelles de l’emploi
dans le droit du licenciement est parfaitement réversible.
En effet, la soustraction des propositions de modification
des contrats à la procédure des grands licenciements
collectifs conduit à une différenciation des procédures
applicables selon les modalités d’exécution du projet de
réorganisation : suppression ou altération des spécifications
de l’emploi ou bien encore modification d’un élément
essentiel du contrat. Cela revient, dans une certaine
mesure, à conférer à l’employeur toute latitude dans le
choix du registre sur lequel il entend régler un projet de
réorganisation mettant en cause l’emploi, registre de “crise”
ou registre de la gestion ordinaire du personnel (21). Cette
disponibilité accrue des régimes de gestion de l’emploi
pourrait être encore favorisée par les difficultés
d’interprétation qui pourraient surgir de l’incertaine
distinction entre “transformation d’emploi” et “modification
d’un élément essentiel du contrat de travail” (22).
Au nombre des arguments au soutien de l’abandon de
la jurisprudence Framatome-Majorette, l’affirmation selon
laquelle l’employeur qui propose une modification du
travail n’entend pas rompre celui-ci a fait preuve d’une
remarquable endurance. Il était déjà au cœur de la
justification de la solution consacrée par l’arrêt Petit-Bateau
de 1991. De savantes études ont mis en lumière le
caractère artificiel de cette argumentation (23). Par-delà la
aller jusqu’à 108 ruptures de contrats sans être tenu d’élaborer
un plan de sauvegarde de l’emploi ? C’est pourtant cette voie
que semble suggérer le nouvel article L. 321-1-3, à la lumière de
l’explication de texte fournie par l’un des rapporteurs de la loi à
l’Assemblée Nationale : “ne serait-il pas un peu fort de compter
des salariés ayant librement accepté une modification de leur
contrat au nombre de ceux qui seraient visés par une procédure
de licenciement économique et serait-on fonder à déclencher un
effet collectif à travers le plan de sauvegarde de l’emploi ?”
(22) L’introduction de la formule “élément essentiel”, par delà le
trouble qu’elle jette sur la notion même de modification du
contrat de travail, pourrait déboucher sur de redoutables
difficultés à distinguer les évolutions du rapport d’emploi se
rattachant à une transformation d’emploi ou une modification
d’un élément essentiel du contrat de travail. Emprunt est ici fait
aux propos de Me Ph. Clément lors de la journée AFDT du
18 février 2005.
(23) E. Lafuma, Des procédures internes, Contribution à l’étude de la
décision de l’employeur en droit du travail, Thèse Paris X
Nanterre, octobre 2003, p. 340 et s. ; H.-J. Legrand,
“Modification collective des contrats de travail et licenciement
collectif”, op. cit. p. 404.
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réhabilitation de la force obligatoire du contrat de travail, le
processus de sa modification ne saurait s’affranchir
totalement du “pouvoir de direction des personnes qui
habilite à recruter ou non, à affecter à une tâche ou un
poste de travail, à fixer la rémunération” (24). En ce sens,
la proposition de modification s’analyse bien en une
“initiative exclusivement patronale” (25). L’expression la
plus manifeste du lien entre modification du contrat et
pouvoir réside dans la faculté pour l’employeur de rompre
celui-ci face au refus du salarié de consentir à une telle
modification. Ainsi, la proposition de modification du
contrat implique-t-elle l’éventualité d’un licenciement (26).
C’est pourquoi, il est regrettable que l’article L. 321-1-2
(27), revisité par la loi du 18 janvier 2005, ne soumette
toujours pas la proposition de modification du contrat à
une exigence de motivation.
durée du travail peuvent avoir des répercussions sur la vie
Il convient d’ajouter que l’acceptation de la modification
par le salarié peut conduire à une profonde altération des
conditions de son emploi (28). Les transferts de lieu de
travail ainsi que les modifications affectant les horaires et la
des propositions de modifications des contrats de travail
■
personnelle du salarié. De fait, l’inscription de la
modification dans un registre purement contractuel est
impuissante à restituer les contextes et les exigences
découlant de l’essor de la référence aux droits
fondamentaux dans les relations de travail (29). Enfin, le
parti pris en faveur du décalage du cadre temporel pour
l’établissement du plan de sauvegarde de l’emploi, nourri
par une lecture excessivement contractuelle de la
modification et par une dissociation quelque peu factice
entre suppression ou transformation d’emploi et
modification d’un élément essentiel du contrat de travail,
contribue à soustraire le licenciement économique à
l’emprise des relations collectives de travail. Or, faut-il le
rappeler, “le régime de l’emploi relève bien du droit
collectif du travail” (30). Est-ce à dire que la soustraction
pour motif économique peut se lire comme un signe
tangible d’”individualisation du droit du licenciement”
(31) ?
II. L’éloignement de la conception judiciaire ■
La condamnation de la jurisprudence Framatome-
à la mise en mouvement de la procédure dite du Livre III,
Majorette scelle la rupture avec une compréhension
à l’édification d’une véritable procédure (33) (A). Plus
enrichie du droit du licenciement économique. En effet,
généralement, la réduction du domaine du régime du
la solution retenue par la Cour dans ses arrêts du
licenciement économique, ainsi d’ailleurs que d’autres
3 décembre 1996, réaffirmée avec fermeté à plusieurs
dispositions issues de la présente loi, traduisent la
reprises (32), contribuait, à travers les garanties attachées
méfiance à l’égard de l’intervention judiciaire, voire à
(24) A. Jeammaud, “Justice et économie : et le social ?”, Justices,
1995, n° 1, p. 107.
(25) E. Lafuma, thèse précitée, p. 343.
(26) V. H-J. Legrand, “Modification collective des contrats de travail
et licenciement collectif”, op. cit. spec. p. 406-407.
(27) “Lorsque l’employeur envisage la modification d’un élément
essentiel du contrat de travail, il en fait la proposition au salarié
par lettre recommandée avec accusé de réception”.
(28) Sur les notions de suppression, transformation d’emploi et
l’éventuelle redondance de cette dernière avec la modification
du contrat, v. M. Henry, “La notion de motif économique”,
Dr. soc. juin 1995, p. 551.
(29) V. Droits fondamentaux et droit social, sous la direction de
A. Lyon-Caen et P. Lokiec, Thèmes et commentaires, Dalloz
2005.
(30) G. Lyon-Caen, “Les pochettes-surprises de la Chambre sociale:
l’arrêt Aventis Pharma”, Semaine sociale Lamy, 2 février 2004,
n° 1154. Pour une analyse du droit du licenciement
économique sous l’angle des garanties collectives, v. CA
Versailles, 30 novembre 2004, à paraître au Dr. Ouv., affirmant
que “la stipulation d’une clause de mobilité dans un contrat de
travail individuel ne peut porter atteinte aux droits collectifs que
le salarié tient de la loi à l’occasion d’une mesure collective sur
l’emploi régie par les dispositions de l’article L. 321-4-1”.
(31) P. Adam, L’individualisation du droit du travail. Essai sur la
réhabilitation juridique du salarié-individu, LGDJ 2005, p. 116.
L’auteur, à qui nous empruntons la formule “individualisation du
droit du licenciement”, analyse l’essor de ce mouvement
d’individualisation à la lumières des différentes obligations de
reclassement et d’adaptation mises à la charge de l’employeur
ainsi que de la reconnaissance d’une action individuelle en
contestation du plan de sauvegarde de l’emploi. Selon lui, cette
individualisation n’a pas pour effet d’exclure les garanties et les
modes collectifs de représentation des salariés dont l’emploi est
menacé. Bien au contraire, l’individuel et le collectif agissent
dans une sorte de dialectique pour consolider le droit au
reclassement. Si nous partageons pleinement cette analyse, la
soustraction des propositions de modification des contrats de
travail à la procédure du Livre III par la loi du 18 janvier 2005
nous
paraît
davantage
relever
d’un
phénomène
d’individualisation déconnecté du collectif. Ainsi, les
représentants du personnel n’ont-ils aucun moyen de connaître
avec précision ni le nombre de salariés concernés par une
modification de leur contrat de travail, ni le nombre de ceux-là
même ayant accepté ou refusé une telle modification.
(32) Cass. soc. 25 juin 2003, RJS 10/03 n° 1146. En ce sens, v.
également l’arrêt du 26 janvier 2005 et le vigoureux
commentaire de M. Y. Chagny “La jurisprudence FramatomeMajorette : les derniers feux?”, Dr. soc. 2005, p. 556.
(33) A. Lyon-Caen, “La procédure au cœur du droit licenciement
économique”, Dr. Ouv., avril 2002, p. 159. V. E. Lafuma, Thèse
prec. A cet effort judiciaire de rationalisation de l’exercice du
pouvoir, doivent être reliés les arrêts dits Samaritaine : Cass. soc.
13 février 1997, D. 1997, J. p. 171, note A. Lyon-Caen, Dr. Ouv.
1997 p. 94 n. P. Moussy.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
du droit du licenciement économique
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l’égard de la présence même d’un corps de règles
hétéronomes,
gouvernant
les
procédures
de
licenciement (34) (B).
A. L’anéantissement des exigences attachées au
déclenchement anticipé de la procédure du
Livre III
La nouvelle rédaction de l’article L. 321-1-3 inverse
clairement l’ordre des étapes du déroulement de la
procédure
de
licenciement
économique
dans
l’hypothèse d’une réorganisation où l’employeur procède
par voie de modification collective des contrats de travail
(35) : “Lorsqu’au moins dix salariés ont refusé la
modification d’un élément essentiel de leur contrat de
travail proposée par l’employeur pour l’un motifs
énoncés à l’article L. 321-1 et que leur licenciement est
envisagé, celui-ci est soumis aux dispositions applicables
en cas de licenciement collectif pour motif économique”.
C’est désormais le refus d’au moins dix salariés
d’accepter la modification de leur contrat de travail qui
constitue l’élément déclenchant l’application des
dispositions du Livre III.
Cette inversion de la chronologie a pour principal effet
de restreindre la portée des exigences ou garanties
attachées à la procédure du Livre III. Le déclenchement
en amont de la procédure propre aux licenciements
économiques permettait aux salariés et de leurs
représentants d’exercer trois séries de prérogatives (36),
que ne confèrent pas l’information et la consultation au
titre du seul Livre IV. Outre l’obligation pour l’employeur
d’établir et de mettre en œuvre un plan de sauvegarde
de l’emploi, la faculté pour le comité d’entreprise de se
faire assister par un expert-comptable pour l’examen du
projet de licenciement ainsi que le contrôle de la
sélection des salariés dont l’emploi est menacé (37), ne
découlent que de la mise en mouvement de la
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
procédure de licenciement pour motif économique.
300
En premier lieu, l’information et la consultation
préalables sont censées favoriser une discussion sur les
alternatives aux licenciements prévues par le plan de
sauvegarde de l’emploi, et notamment sur les mesures
d’accompagnement des modifications des contrats de
travail. C’est pourquoi, l’information des salariés sur le
contenu du plan de sauvegarde de l’emploi au moment
de la proposition de modification de leur contrat
constitue une donnée essentielle afin qu’ils puissent
prendre leur décision en toute connaissance de
cause (38). De plus, l’article L. 321-1-3, dans sa
rédaction issue de la loi du 18 janvier 2005, pourrait
altérer la conception que la loi et les juges, dans le sillage
des partenaires sociaux, se sont progressivement efforcés
d’imprimer au plan de sauvegarde de l’emploi. Ce
dernier, loin de se réduire à un ensemble de
contreparties d’ordre pécuniaire, a été progressivement
érigé en “pièce maîtresse du droit des licenciements
économiques” (39). Sur ce point, le changement de
dénomination opéré par la loi du 17 janvier 2002 –
“plan de sauvegarde de l’emploi” (40) – a signalé, dans
le langage législatif, l’évolution d’une conception
résolument dynamique de celui-ci, certes abritée par la
définition légale et conventionnelle de ses objectifs :
“éviter les licenciements ou en limiter le nombre et
faciliter le reclassement du personnel dont le
licenciement ne pourrait être évité”. De cette formule, il
ressort que le licenciement, acte de rupture du contrat de
travail, ne peut intervenir que comme “issue ultime”
(41). Or, la présentation du projet de plan au comité
d’entreprise au lendemain du refus d’au moins dix
salariés d’accepter la modification d’un élément essentiel
de leur contrat de travail met en sourdine sa fonction
cardinale, éviter les licenciements et le réduit à
“l’aménagement des suites d’une rupture déjà
consommée” (42).
En second lieu, le recours à l’expertise est un facteur
déterminant de la qualité de la concertation (43). Selon
(34) V. dans ce même numéro la contribution de S. Nadal relative
aux accords dits de méthode.
Dans cet esprit, la loi enserre désormais dans des délais
extrêmement brefs la contestation judiciaire de la régularité de
la procédure de consultation des représentants du personnel et
prive en partie de son effet utile la nullité de la procédure et des
licenciements qui s’ensuivent en cas d’absence ou
d’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi.
(37) H.-J. Legrand, “L’ordre des licenciements ou l’identification du
salarié atteint par un suppression d’emploi”, Dr. soc. 1995,
p. 243 ; v. infra p. 362 M.-F. Bied-Charreton.
(35) “Lorsqu’au moins dix salariés ont refusé la modification d’un
élément essentiel de leur contrat de travail proposée par
l’employeur pour l’un des motifs énoncés à l’article L. 321-1 et
que leur licenciement est envisagé, celui-ci est soumis aux
dispositions applicables en cas de licenciement collectif pour
motif économique”.
Il convient de souligner l’évolution dont ce texte a fait l’objet
dans sa rédaction même entre la lettre rectificative au projet loi
et l’examen de ce dernier par le Sénat qui a préféré l’emploi du
passé composé à celui du présent de l’indicatif (“lorsqu’au
moins dix salariés refusent...) le passé composé (“lorsqu’au
moins dix salariés ont refusé).
(40) G. Couturier, “Du plan social au plan de sauvegarde de
l’emploi”, Dr. soc. mars 2002, p. 279.
(36) H.-J. Legrand, “Modification collective des contrats de travail et
licenciement collectif”, op. cit. p. 404-405.
(38) J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands
arrêts du droit du travail, Dalloz, 2004, p. 397.
(39) A. Lyon-Caen, note sous. Cass. soc. 13 février 1997, op. cit.
p. 171.
(41) G. Couturier, Droit du travail, les relations individuelles de
travail, p. 307.
(42) H.-J. Legrand, “Modification collective des contrats de travail et
licenciement collectif”, op. cit. p. 404.
(43) Sur le sens de l’intervention de l’expert auprès du comité
d’entreprise, et notamment sa vocation à nourrir la phase de
consultation et, dans certains cas, à conduire à une
reconfiguration du projet initial, ou du moins de ses modalités
de mise en œuvre, v. F. Bruggemann et D. Paucard,
“Restructurations,
pratiques
françaises,
dispositif
d’accompagnement et rôle de l’expert”, Regards, Cahiers de
Syndex, n° 2, p. 6.
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les termes de l’article L. 434-6 du Code du travail, la
mission de l’expert “porte sur tous les éléments d’ordre
économique, financier ou social nécessaires à
l’intelligence des comptes et à l’appréciation de la
situation de l’entreprise”. C’est donc d’abord “un rôle
pédagogique” (44) qui lui est dévolu. Cette mission
générale appliquée à la procédure de consultation du
Livre III suppose, d’une part, une assistance du comité
d’entreprise dans la compréhension et l’appréciation de
la teneur de la décision économique présidant à la
réorganisation, d’autre part, une évaluation de la “qualité
des mesures prévues par le plan de sauvegarde de
l’emploi” (45).
Enfin, si la procédure de licenciement économique
n’est engagée qu’à l’issue du refus d’au moins dix
salariés d’accepter la modification d’un élément essentiel
de leur contrat de travail, le choix préalable des salariés
se voyant proposer une telle modification risque de
revêtir un caractère discrétionnaire. Autrement dit, “l’ordre
des licenciements”, en tant qu’il opère une certaine
“dissociation conceptuelle entre l’emploi visé et la
personne atteinte”, soumet le pouvoir de sélection de
l’employeur à une exigence de justification de son choix
(46).
Ainsi, le déclenchement précoce de la procédure du
Livre III permet-il au comité d’entreprise de disposer
d’une information pertinente et globale sur le projet de
licenciement économique afin de “peser en temps utile
sur le processus de décision” (47).
La jurisprudence Framatome-Majorette avait donc
pour mérite principal d’inviter l’employeur à conduire une
“authentique consultation” (48) avec le comité
d’entreprise sur la teneur d’une décision économique
directement à l’origine de la mise en cause de l’emploi.
Pour s’en convaincre, il faut admettre que l’essor et la
valorisation des règles de procédure a partie liée avec la
rationalisation de l’exercice du pouvoir patronal (49) et
l’affirmation de contraintes argumentatives pesant sur
l’employeur. En d’autres termes, prescrire le
déclenchement de la procédure de traitement des
(44) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, Droit du travail, Dalloz
2004, 22e édition, n° 741.
(45) J. Pélissier, A. Supiot, A. Jeammaud, op. cit. n° 741.
(46) V. H.-J. Legrand, “L’ordre des licenciements…”, prec. p. 243.
(47) M.-A. Souriac-Rotschild, obs. sous. Cass. soc. 10 avril 1991,
op. cit. p. 290.
(48) A. Jeammaud, Le licenciement, op. cit. p. 105.
(49) E. Lafuma, thèse précitée, p. 18 et s.
(50) L’article L. 321-4 dispose sur ce point que “l’employeur est tenu
d’adresser tous renseignements utiles sur le projet de
licenciement collectif. Il doit, en tout cas, indiquer la ou les
raisons économiques, financières ou techniques du projet de
licenciement”.
(51) Selon les termes mêmes de la lettre rectificative, l’article 37-3 du
projet de loi, modifiant la rédaction de l’article L. 321-1-3 du
Code du travail, “clarifie et sécurise les principales dispositions
grands licenciements collectifs en amont, en l’occurrence
préalablement aux propositions de modification des
contrats de travail, devait permettre un échange de vues
sur le projet de réorganisation mettant en cause les
emplois et/ou les contrats (50) ainsi que sur les
modalités et les suites de sa réalisation.
B. L’office du juge en question
Dans l’exposé des motifs de la lettre rectificative au
projet de loi de programmation pour la cohésion sociale,
la nouvelle rédaction de l’article L. 321-1-3 a été placée
sous le signe de la clarification et la sécurisation des
règles gouvernant les procédures de licenciement (51).
Ces vocables retiennent l’attention par la fréquence de
leur usage dans des contextes législatifs (52) et dans les
discours experts, prompts à dénoncer les rigidités
institutionnelles engendrées par le droit du travail et
entravant “l’efficience économique des formes de
relations professionnelles” (53).
La clarification prétend remédier à l’obscurité et à la
complexité des textes juridiques. Le terme renvoie à une
exigence naïve de clarté des énoncés juridiques, censée
favoriser une meilleure connaissance de la règle de droit
par ses destinataires, et en conséquence, l’adaptation de
leurs conduites à ses prévisions. Une telle prétention
ignore que toute règle de droit recèle une part
d’indétermination de son exacte configuration et que sa
signification est tributaire des conflits d’intérêts, parfois
portés à la connaissance des juges. En un mot, “la
simplicité structurelle de l’instrument-norme ne signifie
pas pour autant qu’il soit doté d’un sens clair, précis,
univoque” (54). La “sécurisation” s’entend de l’aspiration
à contourner l’intervention du juge, source d’insécurité
juridique.
Ces vocables sont d’ailleurs indissociables, la clarté
d’un texte étant conçue comme le moyen d’éviter que
surgisse un contentieux. Par delà le syncrétisme qui
caractérise cette perception du texte à signification
normative, il est frappant que les discours qui entourent
et justifient les réformes récentes du droit du travail (55)
qui régissent le déroulement de la procédure de licenciement
économique”. Il convient de souligner que la finalité même des
accords dits de méthode réside dans cette recherche tous
azimuts de contournement de l’intervention judiciaire.
(52) V. l’analyse de l’art. 45 de la loi du 4 mai 2004 par
Mme M.-A. Souriac, in “L’articulation des niveaux de
négociation”, Dr. soc. 2004, p. 580, spec. p. 588.
(53) A. Jeammaud et A. Lyon-Caen, in Droit du travail, démocratie et
crise, Actes sud 1986.
(54) A. Jeammaud, “La règle de droit comme modèle”, D. 1990, ch.
p. 200, spec. p. 204-206.
(55) “Pour un Code du travail plus efficace”, Rapport de la
commission présidée par Michel de Virville au ministre du
travail. V. l’approche critique d’A. Lyon-Caen et H. MasseDessen, “Droit du travail: la sécurité change de camp”, Le
Monde, vendredi 13 février 2004 ainsi que M.-F. BiedCharreton et P. Rennes Dr. Ouv. 2004 p. 161.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
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soient marqués à ce point du sceau de la dénonciation
de l’insécurité juridique (56). La question qui se pose est
évidemment de savoir ce que recouvre l’insécurité
juridique à laquelle rapports et experts imputent les
multiples dysfonctionnements du droit du travail et
“l’insatisfaction de ses utilisateurs” (57). Le Rapport
présenté par la Commission de Virville insiste sur deux
points. D’abord “les effets déstabilisateurs des
revirements de jurisprudence” (58), ensuite le risque de
voir remises en cause des décisions prises ou des
situations constituées de longue date (59).
La question des revirements de jurisprudence a donné
lieu, à l’initiative du Premier Président de la Cour de
cassation (60), à une étude récente dépassant le cadre
du seul droit du travail. Celle-ci préconise la construction
d’un “droit transitoire des revirements de jurisprudence”
à travers la reconnaissance aux formations plénières de la
Cour de cassation d’un pouvoir de décider de la
modulation des effets dans le temps des revirements de
jurisprudence. S’agissant du risque de mise en cause de
décisions ou de situations, les experts de la Commission
de Virville suggéraient de le surmonter par l’instauration
de délais de forclusion et la réduction de délais de
prescription.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Ainsi, cette insécurité, dont il est tant question n’est
autre que celle résultant de l’intervention du juge en tant
que tel, toujours susceptible de contrarier les prévisions
des agents économiques. Cette défiance latente à l’égard
du juge n’est pas sans rapport avec “le thème de
l’efficacité économique du droit du travail” (61). Si l’on
prête attention à la réflexion qui se déploie dans certains
milieux économiques, force est de constater la
réprobation dont, pêle-mêle, les règles de droit et le juge
302
(56) V. Les observations d’A. Jeammaud sous Cass. soc. 26 janvier
2005, Dr. soc. 2005, p. 567.
(57) La formule est empruntée au Rapport de Virville.
(58) Il s’agirait de permettre aux juridictions de moduler les effets de
leurs décisions dans le temps.
(59) D’où les propositions destinées à réduire les délais pour agir en
annulation d’un accord collectif et à substituer à la prescription
trentenaire applicable aux actions en dommages-intérêts pour
rupture abusive, en réclamation des indemnités de
licenciements... une prescription décennale.
(60) Les revirements de jurisprudence, Rapport remis à M. le Premier
Président Guy Canivet, groupe de travail présidé par Nicolas
Molfessis, Litec 2005 ; v. “Sécurité juridique, revirements de
jurisprudence, pouvoirs des juges, beaucoup de bruit pour peu
de choses ?”, Dr. Ouv., avril 2005.
(61) A. Jeammaud et A. Lyon-Caen, in Droit du travail, démocratie et
crise, Actes Sud 1986, p. 19.
sont l’objet, précisément dans le domaine de l’emploi et
du licenciement économique. Dans un rapport pour le
Conseil d’Analyse économique intitulé Protection de
l’emploi
et
procédures
de
licenciement
(62),
MM. O. Blanchard et J. Tirole dénoncent, avec une
virulence tournant parfois à la caricature, le rôle du juge
ainsi que le flou des règles dont celui-ci fait application
lors du contrôle des licenciements économiques (63).
Outre les approximations concernant la portée du
contrôle judiciaire des différentes phases de l’opération
de licenciement, les auteurs ne craignent pas de
souligner que “les juges ne disposent ni de la
compétence, ni de l’information nécessaire” et de faire
état du “manque de critères précis guidant leur
intervention” (64). Ils préconisent donc de circonscrire le
champ du contrôle judiciaire à la vérification du caractère
non discriminatoire du licenciement et à l’exactitude du
motif de rupture du contrat (65) et de développer des
mécanismes d’incitation financière des entreprises à ne
pas licencier. Ces conclusions méritent d’être prises au
sérieux dans un contexte propice à une certaine
flexibilisation des conditions d’emploi et où pourrait se
faire jour la tentation de résorber la part du droit étatique
du travail dans des règles de non-discrimination.
La soustraction des propositions de modification des
contrats de travail à la procédure des grands licenciement
collectifs illustre l’œuvre conjointe du législateur et des
juges tendant à conférer au régime légal du licenciement
économique une intelligibilité conforme à l’exigence
fondamentale de maintien de l’emploi (66) se voit donc
passablement écornée par la loi du 18 janvier 2005.
Isabelle Meyrat
(62) Protection de l’emploi et procédures de licenciement, La
Documentation française, 2003. V. L’analyse critique de
F. Eymard-Duvernay, “Le droit du travail est-il soluble dans les
incitations?”, Dr. soc. 2004, p. 812.
(63) “Les entreprises qui veulent licencier sont sujettes à un contrôle
administratif et judiciaire lourd. Leurs décisions, que ce soit en
matière de licenciements individuels ou collectifs, peuvent être
et sont souvent contestées”.
(64) V. notamment. p. 66 du Rapport.
(65) Il s’agit de s’assurer qu’une rupture qualifiée de licenciement
par les parties ne dissimule pas une démission ou qu’un
licenciement pour faute n’abrite un licenciement économique.
(66) Sur les sens de la référence au maintien de l’emploi dans les
discours juridiques, A. Lyon-Caen, “Le maintien de l’emploi”,
Dr. soc. 1996, p. 655.
303-310 Doctrine Nadal
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DOCTRI NE
Négociation collective et licenciement économique :
propos introductifs sur le nouvel article L. 320-3
du Code du travail (1)
par Sophie NADAL, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise,
Centre de recherches en droit économique (CRDE)
PLAN
I. La promotion de la démarche
négociée en matière de
licenciement économique
A. Négociation de branche et accès
à la démarche négociée
B. Validité des accords et
assouplissement des garanties
d'adhésion à la démarche
négociée
II. La diversification des thèmes
de négociation en matière de
licenciement économique
A. Accords de méthode : une
expression devenue pour partie
inadéquate
B. Programmation négociée du
licenciement et nouveaux types
d'accords
1 - “La législation n’est pas l’alpha et l’oméga des droits des
salariés” (2) : tel est l’un des arguments avancés par les rapporteurs à
l’Assemblée nationale pour inciter le législateur à élargir les horizons
ouverts à la négociation collective en matière de licenciement économique.
Certes, les accords de méthode de la seconde génération seront peut-être
l’occasion pour les organisations syndicales d’agir plus significativement sur
l’emploi (3). Mais ils abritent plus fondamentalement une autre ambition :
tarir la jurisprudence et écarter la loi. En effet, c’est bien la diffusion d’un
nouveau modèle du droit social (4) qui se poursuit implacablement au
travers des dispositions introduites par la loi du 18 janvier 2005.
2 - Les négociations de procédure – inventées par la pratique – ont
été initialement forgées en vue de faire face à l’œuvre créatrice de la
chambre sociale. A plusieurs reprises – et parfois de façon spectaculaire –
les juges avaient en effet dû rappeler l’importance de l’information et de la
consultation des représentants du personnel à l’occasion des grands
licenciements pour motif économique (5). L’insécurité engendrée par la
jurisprudence (6) et la rigidité de la législation sur le licenciement
économique ont alors été simultanément stigmatisées. La négociation
collective fut donc courtisée pour détacher ostensiblement les règles du
(2) F. de Panafieu et D. Dord, Rapport sur le projet de loi pour la
cohésion sociale, Ass. Nat., n° 1930 déposé le 22/11/04, T. I.,
p. 59.
(3) T. Grumbach, Redonner aux syndicats le pilotage de la
négociation sur l’emploi, in “Les accords de méthode”, SSL,
supplément n°1152 du 19 janvier 2004, p. 17.
(4) V. par exemple J. Barthélémy, La contribution de l’accord de
méthode à l’édification d’un droit social plus contractuel in “Les
accords de méthode”, SSL, supplément n° 1152 du 19 janvier
2004, p. 10.
(5) Pour une analyse de cette jurisprudence : V. les observations
consacrées à la procédure de licenciement et au plan de
sauvegarde in Les grands arrêts du droit du travail, 3e éd.,
J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud et E. Dockès, p. 395. Plus
fondamentalement sur cette question : v. A. Lyon-Caen,
“Procéduralisation et droit du travail”, in “L’avenir de la
concertation sociale en Europe”, Tome II, Centre de philosophie
du droit, Université catholique de Louvain, mars 1995, p. 183 ;
du même auteur “La procédure au cœur du droit du licenciement
pour motif économique” Dr. Ouv. 2002, p. 161 ; v. également
E. Lafuma, “Des procédures internes : contribution à l’étude de la
décision de l’employeur en droit du travail”, thèse Paris X, 2003 ;
F. Guiomard, “La justification des mesures de gestion du
personnel. Essai sur le contrôle du pouvoir de l’employeur”, thèse
Paris X, 2000. Pour une appréhension sensiblement différente de
la question : v. X. Lagarde, Réflexions de civiliste sur la
motivation et autres aspects de la procédure de licenciement,
Droit social, 1998, p. 908.
(6) A ce propos, v. les observations d’A. Jeammaud sous Soc. 26 janv.
2005, Droit Social 2005, p. 567, spéc. p. 568. L’auteur observe
notamment que la sécurité juridique qu’il s’agit de promouvoir
“semble surtout être celle des employeurs”. Les enjeux et la
teneur du débat particulièrement vigoureux relatif à la sécurité
juridique dépassent très sensiblement le propos de cette étude.
Son évocation permet toutefois d’éclairer l’importance des
glissements conceptuels qu’abritent actuellement les nombreuses
réformes dont le droit du travail est l’objet, et qui – pour partie –
traversent les dispositions de la loi du 18/01/2005 ici
partiellement commentée. La réflexion critique est aujourd’hui
largement nourrie, notamment depuis le rapport sur les
revirements de jurisprudence, remis par le groupe de travail
présidé par N. Molfessis (Litec, 2005). A ce propos, en plus des
analyses d’A. Jeammaud déjà évoquées, v. R. Encinas de
Munagorri et P. Deumier, RTD Civ. 2005 chron. n° 1 ; P. Waquet,
SSL n° 119 du 20/12/2004 p. 5 ; v. également les développements
d’I. Meyrat sur ce point dans sa contribution au présent numéro
ainsi que les études consacrées à cette question dans le Dr. Ouv.
d’avril 2005.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
(1) Cette contribution s’inscrit dans le prolongement des travaux de
la table ronde – organisée sous l’égide l’AFDT et présidée par
M. P. Tillie – consacrée aux négociations de procédure, et qui
s’est tenue dans le cadre plus général des journées d’études sur la
réforme du droit du licenciement économique du 18 février
2005. M. R. Brihi et M. E. Dockès ont contribué aux débats
menés sur ce thème.
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licenciement économique des prescriptions de la loi, et prémunir les employeurs de l’intervention du juge
grâce au consensus réalisé par l’accord sur la procédure (7). L’ingénierie des accords de méthode est
ensuite devenue plus attractive encore après l’adoption de la loi de modernisation sociale qui, on s’en
souvient, donnait des pouvoirs accrus au comité d’entreprise. Cette nouvelle figure d’accord collectif s’est
alors déployée en l’absence de toute disposition législative sur ce point. Avec la loi du 3 janvier 2003,
l’aménagement par voie négociée des procédures légales d’information et de consultation a finalement
été admis à titre expérimental par le législateur (8).
3 - C’est ce dispositif que le législateur a entendu affermir avec le nouvel article L. 320-3 (8 bis). Ce
faisant, il enrichit le rôle confié à la négociation collective en matière de licenciement économique. D’un
point de vue quantitatif, l’article L. 320-3 crée en effet les conditions pour que se développe sensiblement
le traitement négocié du licenciement économique (I).
D’un point de vue qualitatif, de nouveaux thèmes sont ouverts à la négociation, si bien que la
négociation collective pourra désormais agir sur le fond du licenciement. Les nouvelles dispositions
légales diversifient de la sorte les figures conventionnelles concevables à l’avenir en matière de
licenciement économique (II).
■
I. La promotion de la démarche négociée ■
en matière de licenciement économique
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
4 - Circonscrite à l’entreprise par la loi du 3 janvier
2003, la négociation en matière de licenciement collectif
pour motif économique peut désormais se tenir en
d’autres lieux. Le premier alinéa permet ainsi à la branche
et au groupe – aux côtés de l’entreprise – d’accueillir une
négociation lorsqu’un licenciement collectif pour motif
économique est envisagé. Sans mésestimer les
implications de l’ouverture de la négociation au niveau du
groupe (9), c’est pourtant la possibilité de négocier au
niveau de la branche qui retiendra notre attention. Le choix
de faire figurer ce niveau parmi les dispositions du nouvel
article L. 320-3 révèle en effet la volonté de favoriser
l’accès des entreprises au droit négocié du licenciement
économique (A). De la même manière, les nouvelles
conditions de validité des accords de méthode illustrent
cette détermination du législateur à promouvoir la
négociation collective à l’occasion des licenciements
économiques. Le silence de l’article L. 320-3 place en effet
les accords sous le régime du droit commun des
conventions et accords collectifs. Il s’agit d’une volonté et
304
(7) V. J. Grangé, L’accord de méthode en pratique, in “Les accords de
méthode”, SSL, op. cit., p. 14.
(8) V. G. Couturier, “Le choix de la procéduralisation
conventionnelle” in “Les accords de méthode”, SSL, op. cit., p. 6.
Add. les “Réflexions autour des accords de méthode et de la loi
Fillon”, Dr. Ouv. 2003 p. 358.
(8 bis) A ce propos, v. également la contribution de E. Gayat, infra
p. 349.
(9) L’introduction de la référence au groupe s’explique
essentiellement par la consécration des accords de groupe par la
loi du 4 mai 2004. Cette possibilité n’en soulève pourtant pas
moins quelques questions nouvelles, si l’on songe à l’articulation
des dispositions conventionnelles. Ainsi, si le silence de l’accord
de branche implique qu’il s’écarte devant l’accord d’entreprise, tel
ne sera pas le cas devant un accord de groupe. En ce cas, faute de
disposition expresse, l’application de la règle la plus favorable
devrait recevoir application. L’enjeu peut toutefois paraître
non d’un oubli, et le traitement négocié du licenciement
est de la sorte facilité (B).
A. Négociation de branche
et accès à la démarche négociée
5 - La lettre rectificative au projet de loi de
programmation pour la cohésion sociale ne faisait
aucunement mention de la branche (10). C’est lors des
débats au Sénat que la question de la négociation à ce
niveau a été évoquée. Selon M. le sénateur Seiller,
envisager l’éventualité de la conclusion d’accords de
méthode au niveau de la branche devait permettre aux
entreprises où la conclusion d’un accord n’est pas possible,
de pouvoir néanmoins accéder aux souplesses offertes par
ce type de négociation (11). C’est dans cet esprit que la
suggestion a donc été retenue, bien que sa pertinence
prête à discussion.
Éloignée des particularismes de l’entreprise, la branche
peut sembler inadéquate pour traiter de manière efficace
les problèmes spécifiques soulevés par un projet de
théorique, si l’on conçoit que les accords de branche risquent fort
d’être a minima. Mais des difficultés inattendues pourraient
néanmoins apparaître y compris si l’on envisage les rapports
conventionnels entre entreprise et groupe : v. P.-H. Antonmattéi,
Accord de méthode, génération 2005 : la “positive attitude”, Droit
social 2005, p. 399, spéc. p. 400 n° 2. Plus largement sur cette
disposition v. B. Teyssié, A propos d’une négociation triennale :
commentaire de l’article L 320-2 du Code du travail, Droit social
2005, p. 377 ; v. aussi les contributions dans le présent numéro de
T. Katz p. 322 et M.-F. Bied-Charreton p. 343.
(10) Pour consulter ce texte : V. doc. Sénat, 2004-2005, n° 31.
(11) Sénat, séance du 5 novembre 2004, Discussion sur
l’amendement n° 585. Sur l’accès des TPE aux mécanismes
instaurés par la loi du 18 janvier et les vertus prêtées à la
branche en ce cas : v. Le préalable à la procédure, in A. J. CFDT
n° 171, mars/avril 2005, dossier “Réforme du licenciement
économique”, p. 8, spéc. p. 10.
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licenciement économique, si bien que leur contenu risque
fort d’être peu innovant (12). Toutefois, sans même
anticiper les résultats possibles d’une telle négociation, il
reste permis d’interroger la rationalité du choix de la
branche à l’aune du droit commun des conventions
collectives. En effet, si la finalité voulue pour l’accord de
branche était de permettre l’accessibilité des accords de
méthode à toutes les entreprises relevant de son champ
d’application, il aurait été judicieux d’en prévoir l’extension.
Ainsi donc, les employeurs souhaitant bénéficier des
dispositions conventionnelles de branche devront-ils
remplir les conditions posées à l’application des
conventions collectives ordinaires. Ici, en faisant nôtre une
observation concernant le projet de loi relatif au dialogue
social, il est tentant d’observer que le législateur met ainsi
étrangement en place un moyen de “renforcer le
syndicalisme patronal” (13). Sans doute n’est-ce pas là
l’intention du législateur, ce qui fait ressortir – une fois
encore (14) – les situations singulières auxquelles des
modifications législatives en opportunité, sans que soit pris
en compte l’environnement juridique du droit des
conventions collectives en son entier, peuvent parfois
donner naissance.
6 - L’absence de condition relative à l’extension interroge
de la même manière si l’on envisage la sanction pénale en
cas de manquement de l’employeur à ses obligations.
Pour cela, il convient d’imaginer l’hypothèse d’une
entreprise dotée d’un comité d’entreprise mais dépourvue
de délégué syndical. Imaginons ensuite qu’elle ne soit pas
en mesure d’utiliser les formes dérogatoires de négociation
en l’absence d’accord de branche étendu sur ce point.
Supposons enfin qu’elle soit soumise à un accord de
branche ordinaire prévu par le nouvel article L 320-3,
lequel fixerait la procédure d’information et de consultation
du comité d’entreprise. En ce cas, il pourrait être soutenu
que l’inobservation des procédures d’information et de
consultation prévues par la branche en cas de
licenciement collectif ne sera pas constitutive du délit
d’entrave. En effet – on l’a évoqué – l’extension n’est pas
requise par le nouvel article L. 320-3 : dans ces conditions,
les dispositions de l’article L. 153-1 ne sont donc pas
(12) En ce sens : v. P.-H. Antonmattéi, Accords de méthode,
génération 2005 : la “positive attitude”, Droit social 2005,
p. 399, spéc. p. 400.
(13) V. P. Langlois, Dialogue social : approche critique des
principales dispositions du projet de loi (I), SSL, n° 1152 du
19 janvier 2004, p. 6, spéc. p.10.
(14) On rappellera ici les réflexions de M. A. Souriac qui, à propos
de la loi du 4 mai 2004, observait déjà que “Le droit des
négociations et accords collectifs n’a jamais brillé par sa
limpidité, mais s’il requiert de longue date patience et nuances,
il a atteint progressivement une certaine maturité technique et
de fond. Or le législateur en 2004 pourrait bien évoquer l’image
connue de l’éléphant lâché dans un magasin de porcelaine, si
ce n’était pas très injuste pour les éléphants” : V. Quelle
autonomie pour la négociation d’entreprise ? in “La négociation
collective à l’heure des révisions”, Dalloz, coll. Thèmes et
commentaires, 2005, p.89. spéc. p. 92.
applicables. Certes, l’article L. 483-1 pourrait inciter à
soutenir une toute autre analyse, mais le principe de la
légalité des délits et des peines affaiblit sensiblement la
position. In fine, le mécanisme permettrait ainsi à
l’employeur d’éluder une sanction pénale à laquelle il
s’exposerait en l’absence d’accord de branche. On
objectera qu’il en sera de même en cas d’inobservation
des procédures de licenciement organisées par la voie
conventionnelle au niveau de l’entreprise (15). Il n’en reste
pas moins que le degré de la contrainte attachée aux
règles de procédure est à nouveau affaibli par le recours
élargi à la négociation collective en matière de
licenciement économique.
7 - Placés sous l’égide de la loi du 4 mai 2004, les
rapports à venir entre les dispositions conventionnelles de
niveaux différents pourraient susciter – théoriquement en
tout cas – quelques difficultés. En effet, la loi étant
silencieuse sur ce point, les accords de branche visés par le
nouvel article L. 320-3 ne sont pas nécessairement
cantonnés à l’hypothèse des entreprises dépourvues de la
possibilité de négocier. Le point n’a d’ailleurs pas manqué
d’être relevé (16). Si bien qu’une entreprise peut être
soumise à un accord de branche – conclu selon les
prévisions de l’article L. 320-3 – qui écarte la dérogation
sur certaines de ses dispositions. Dans ce cas, la
négociation d’entreprise ne pourra donc pas s’émanciper
pleinement. En revanche, dans l’hypothèse où l’accord de
branche est silencieux, le mécanisme de la supplétivité
conduira à d’évidentes inégalités face au licenciement
économique entre salariés relevant de la même branche
(17). En outre, le point est connu, le rattachement d’une
entreprise au domaine professionnel d’un accord de
branche n’est pas toujours aisé : les clauses d’option
permettraient – le cas échéant – de répondre à la
difficulté. En tout état de cause, il est permis de s’interroger
sur le sort des mesures qui auraient été prises en vertu
d’un accord de branche, alors que l’entreprise n’était pas
comprise dans son champ d’application professionnel
(18).
(15) V. sur ce point l’avis de J. Barthélémy in “Les accords de
méthode”, SSL, supplément n° 1152 du 19 janvier 2004, p. 36.
(16) V. P-H Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005 : la
“positive attitude”, op.cit, p. 400.
(17) Plus largement d’ailleurs, on peut actuellement constater le
déclin de l’action unifiante traditionnellement confiée aux
accords et conventions de branche : V. notre contribution “Le
destin de la négociation de branche” in “La négociation
collective à l’heure des révisions”, Dalloz coll. Thèmes et
commentaires, 2005, op. cit. p. 59.
(18) L’affiliation syndicale de l’employeur n’est pas suffisante :
“encore faut-il que l’entreprise considérée entre bien, de part ses
activités économiques, dans les prévisions de l’accord” : v.
M. Despax, Négociations, conventions et accords collectifs,
Dalloz, 2e éd, p. 381/385.
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Sans évidemment pouvoir prétendre à l’exhaustivité
quant aux difficultés susceptibles d’apparaître, il n’est guère
contestable que le jeu des règles applicables à la
négociation collective pourrait sensiblement gripper
l’intelligibilité des conditions de mise en œuvre de l’article
L. 320-3. Il est donc probable que l’application du droit
commun des accords collectifs obscurcisse la destinée de
la négociation de branche en matière de licenciement
économique.
B. Validité des accords et assouplissement des
garanties d’adhésion à la démarche négociée
Le dispositif particulier relatif à la validité des accords
prévus par la loi du 3 janvier 2003 avait été repris – au
moins dans son esprit – par la lettre rectificative. S’agissant
des exigences tenant à la signature syndicale, l’alinéa 4 de
l’article L. 320-3 en sa rédaction initialement proposée
subordonnait en effet la validité des accords au respect des
conditions de conclusion prévues au 1er du III de l’article
L. 132-2-2 (23). De la sorte, si les organisations signataires
ne satisfaisaient pas à la condition majoritaire en
contemplation des résultats obtenus aux élections
professionnelles, le texte conventionnel aurait été soumis à
l’approbation du personnel. La recherche d’une adhésion
8 - On se souvient que la loi du 3 janvier 2003
soumettait la validité des accords de méthode à l’exigence
d’approbation majoritaire et à la consultation du comité
d’entreprise. Dans son rapport, M. Dord avait ainsi fait valoir
que ces garanties avaient été introduites car les accords
peuvent “prévoir des modalités d’organisation du dialogue
social un peu différentes de celles prévues par la loi” (19).
Les conditions posées à la validité de ce nouveau type
d’accord était ainsi envisagées comme “un gage
d’adhésion des salariés à une démarche négociée, de
recherche d’un compromis et de sécurité pour
l’entreprise” (20). Déjà, on avait pu remarquer que la
finalité voulue pour les accords de méthode aurait pu
également impliquer “un accord du comité d’entreprise
lui-même” (21). L’effet “quasi-transactionnel” (22)
recherché à travers ces accords aurait ainsi été plus
complet, étant rappelé que ce sont les prérogatives des
élus du personnel qui étaient alors essentiellement en
cause.
(19) D. Dord, rapport sur le projet de loi relatif à la négociation
collective sur les restructurations ayant des incidences sur
l’emploi,
20
novembre
2002,
disponible
sur
www.legifrance.gouv.fr, p. 19.
(20) D. Dord, rapport op. cit., p. 20.
(21) G. Couturier, Le choix de la procéduralisation conventionnelle,
in “les accords de méthode”, SSL Supplément n° 1152, op.cit.,
p. 6, spéc. p. 9.
(22) L’expression est de G. Couturier.
(23) Article 37-2 de la lettre rectificative.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
(24) Des difficultés pourraient d’ailleurs surgir dans le cas où
s’appliqueraient à une même entreprise à activités multiples
deux accords de branche étendus ne prévoyant pas des
conditions identiques de validité des accords collectifs.
306
(25) Cass. soc. 5 mai 1998 : Bull. civ., V, n° 219 ; Droit social 1998,
p. 579, rapp. J.-Y. Frouin, et p. 764 les observations de J.-E. Ray ;
Dr. Ouv. 1998 p.350 n. D. Boulmier ; D. 1998, p. 608, note
G. Auzero ; RJS 98, n° 750, comm., M. Cohen, p. 435 ; CSBP
1998 A 34 ; Jurisp. UIMM. n° 98-618, p. 244. V. également
P.-H. Antonmattéi, Comité d’entreprise et négociation
collective : le courant passe, RJS 98, p. 611 ; P.-Y. Verkindt, De
la consultation à la négociation..., Droit social 1998, p. 321. Sur
l’apport de cette jurisprudence à la qualité de la négociation
dans le cadre d’une vaste réflexion sur les transformations à
l’œuvre en droit de la négociation collective : v. M.-A. Souriac
et G. Borenfreund, “La négociation collective entre désillusion
et illusions”, in “Droit syndical et droits de l’homme à l’aube du
XIXe siècle”, Mélanges en l’honneur de J.M. Verdier, Dalloz,
2001, p. 181, spéc. p. 224. Sur les prolongements de cette
jurisprudence, et notamment sur l’arrêt Cervac du 19/03/03,
v. la note de G. Couturier in Droit social 2003, p. 552 ;
des salariés à la démarche négociée en matière de
licenciement était donc perceptible. En revanche, la
condition de validité relative à la consultation du comité
d’entreprise n’était pas évoquée. On perçoit alors
l’importance du choix des parlementaires, qui ont
finalement préféré biffer toute référence à la validité des
accords dans le nouvel article L. 320-3.
9 - En l’absence d’accord de branche étendu sur ce
point (24), c’est donc le droit d’opposition qui prévaut à
l’avenir. Quant au comité d’entreprise, il semble qu’il devra
se contenter de la jurisprudence EDF-GDF (25) sans
pouvoir atteindre le fond de l’accord (26). Si bien que ces
accords pourraient abriter la soumission à la fois des élus
(27) et des salariés à des dispositions ayant bénéficié de la
passivité des organisations majoritaires non-signataires.
Certes, on peut penser que les parties à l’accord de
méthode stricto sensu (28) se seront assurées de
l’approbation informelle du comité d’entreprise (29).
v. également les développements consacrés à l’obligation
d’informer et consulter les représentants du personnel in “Les
grands arrêts du droit du travail”, 3e éd. avant-propos de
G. Lyon-Caen, par J. Pélissier, A. Lyon-Caen, A. Jeammaud et
E. Dockès, p. 590, spéc. p. 591.
(26) En ce sens, P-H Antonmattéi, Accord de méthode, génération
2005..., op. cit., p. 400. Comp. J. M. Mir, Restructurations et
consultation du comité d’entreprise, in “La loi de
programmation pour la cohésion sociale”, Les petites affiches,
31 mars 2005, n° 64, p. 31, spéc. p. 38.
(27) Ici, signalons toutefois un cas singulier. De nouvelles situations
pourraient – théoriquement en tout cas – être concernées par les
nouveaux mécanismes de la négociation des accords de
méthode. En effet, la conclusion des accords visés par l’article
L. 320-3 étant placée sous l’égide de la loi du 4 mai 2004, une
entreprise pourvue d’un comité d’entreprise, mais dépourvue de
délégué syndical, pourrait-elle – dès lors qu’elle est soumise à
un accord de branche étendu organisant les formes dérogatoires
de négociation – engager la négociation visée par l’article
L. 320-3 ? En supposant que le thème soit ouvert à cette forme
de négociation, cette dernière pourrait – dans l’affirmative – être
conduite avec le comité d’entreprise. L’acquisition par le texte
négocié dans de telles circonstances de la qualité d’accord
collectif dépendra ensuite de la commission paritaire de
branche. On perçoit alors le paradoxe puisqu’il s’agit ici d’une
approbation extérieure à l’entreprise du contenu d’un accord
négocié et conclu par un comité d’entreprise... sur lui même!
(28) Sur les autres objets de négociation possibles : v. nos
développements infra.
(29) C’est ce que fait ressortir un extrait du bilan d’étape de la
DGEFP cité par P-H. Antonmattéi in “Accords de méthode,
génération 2005 : la “positive attitude”, op. cit., p. 400.
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Quant aux accords susceptibles d’agir sur le fond du
licenciement, on peut espérer une vigilance accrue de la
part d’organisations syndicales qui ne sauraient demeurer
contemplatives sur un sujet tel que le licenciement
économique. Il n’en reste pas moins que l’assise majoritaire
de l’engagement syndical sur le devenir des prérogatives
des élus voire même des droits des salariés (30) sort
singulièrement affaiblie de la loi du 18 janvier 2005. Il
convient d’ailleurs sur ce point d’évoquer l’avenir réservé
aux actions en contestation par le dernier alinéa de l’article
L. 320-3 (30 bis). L’action intentée à l’encontre d’un accord
de méthode proprement dit devra être engagée dans les
trois mois suivant la date d’accomplissement des formalités
de dépôt prévues par l’article L. 132-10. Le délai est porté à
douze mois lorsque les accords ont trait au plan de
sauvegarde de l’emploi (31). L’objectif recherché – pour
reprendre l’expression passée dans le langage commun –
est de “sécuriser” les accords (32). Mais l’instauration de
ces délais dérogatoires pourrait également être interprétée
■
comme un aveu de la fragilité des garanties offertes par
l’accord en vue de prévenir les contentieux. En effet, il est
permis d’espérer que les litiges sont d’autant moins
nombreux que le consensus réalisé par l’accord est large
(33), et que ses dispositions sont réellement considérées
par leurs destinataires comme une “loi commune” (34). Il
est donc tentant de suggérer que le dispositif de réduction
des délais de recours sert à corriger en aval le déficit
potentiel de légitimité des accords en amont (35). Plus
généralement, il convient finalement d’observer qu’il sera
plus difficile de voir à l’avenir dans ce type d’accord, le gage
d’adhésion qui servit en son temps à justifier le recours à
l’accord collectif sur un sujet aussi sensible que celui du
licenciement. Le point est d’importance, une fois précisé
que les accords envisagés par le nouvel article L. 320-3
pourront désormais porter sur des thèmes qui dépassent
largement la seule hypothèse des procédures d’information
et de consultation des représentants du personnel.
II. La diversification des thèmes de négociation ■
en matière de licenciement économique
(30) Pour une plus large réflexion sur la condition majoritaire, v.
G. Borenfreund, Les syndicats et l’exigence majoritaire dans la
loi Fillon du 4 mai 2004, in “La négociation collective à l’heure
des révisions”, op. cit., p. 7.
(30 bis) Sur ce point, v. P. Bouaziz p. 368.
(31) V. P-H. Antonmattéi, “Accords de méthode, génération 2005 : la
“positive attitude”, op. cit., p. 402.
(32) On peut d’ailleurs y lire une nouvelle manifestation de la
volonté de limiter à l’avenir l’intervention du juge dans les
rapports sociaux : v. F. Guiomard, “L’intervention des juges dans
la vie conventionnelle”, in “La négociation collective à l’heure
des révisions”, op. cit., p. 33, voir également les analyses
d’A. Lyon-Caen et de C. Baumgarten dans le présent numéro.
(33) V. G. Couturier, Le choix
conventionnelle, op. cit., p. 9.
de
la
procéduralisation
(34) L’expression est empruntée à J. Barthélémy qui, sous un autre
rapport, envisage le consensus réalisé par l’accord comme un
A. Accords de méthode : une expression
devenue pour partie inadéquate
11 - Avec la loi du 3 janvier 2003, le législateur avait
admis – à titre expérimental – l’aménagement par voie
négociée des procédures légales d’information et de
consultation des comités d’entreprise. C’est ce dispositif
que le législateur a entendu pérenniser grâce au nouvel
article L. 320-3. A cette occasion, il modifie sensiblement
le rôle des accords collectifs en matière de licenciement
économique. Dès la première lecture, il apparaît clairement
que le thème de la négociation des accords de méthode
n’est plus seulement cantonné aux procédures
d’information et de consultation. Certes, non sans
quelques maladresses rédactionnelles, le législateur
envisage cet objet initial de négociation et introduit
d’ailleurs quelques nouveautés à cet égard (36). Mais le
facteur sensible de réduction du nombre des litiges : “La
contribution de l’accord de méthode à l’édification d’un droit
social plus contractuel” in “Les accords de méthode”, SSL,
supplément op. cit., p. 10, spéc. p. 12.
(35) D’autres soutiendront qu’il incombe justement aux
organisations syndicales et au comité d’entreprise d’emprunter
la voie contentieuse aussitôt que le respect des règles de droit
leur paraît contestable. L’attentisme procéderait alors d’une
stratégie consistant à s’emparer de l’enceinte judiciaire pour en
faire “une source de création de nouveaux droits, ce qui n’est
pas de la compétence naturelle des juges” : v. “Moderniser le
code du travail : les 44 propositions du MEDEF”, Direction des
relations sociales, 4 mars 2004, p. 3. Ce document fait suite au
rapport de Virville, qui abrite également une réflexion
comparable : “Pour un code du travail plus efficace”, La
Documentation française, 2004.
(36) Sur ce point v. P-H. Antonmattéi, Accord de méthode,
génération 2005..., op. cit., p. 400/401.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
10 - Une brève évocation des nouvelles dispositions
législatives laisse aisément percevoir que les accords
envisagés par la réforme sont loin d’être réductibles à la
seule conception qui se dégageait de la loi du 3 janvier
2003. Aussi l’expression “accords de méthode” ne restituet-elle plus pleinement le sens et la finalité des accords
collectifs tels que le législateur vient de les introduire dans
notre droit (A). Sans pouvoir envisager l’intégralité des
types d’accords qui naîtront de pratiques fatalement
imprimées par la singularité de chaque entreprise,
quelques cas de figure semblent pouvoir être imaginés
lorsque la négociation portera sur la sauvegarde de
l’emploi (B).
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second alinéa du nouvel article L. 320-3 prévoit en outre
que les accords peuvent désormais organiser la mise en
œuvre d’actions de mobilité professionnelle et
géographique au sein de l’entreprise ou du groupe. Ces
nouvelles dispositions laissent donc entrevoir que les
accords à venir pourraient agir sur la sphère contractuelle,
ne serait-ce qu’au travers des actions de mobilité (37).
Sans aller plus avant sur ce point, il s’agit de se borner ici à
observer que les accords dits “de méthode” ne sont plus
exclusivement... de méthode ! Le point a déjà été
souligné : “voilà l’accord de méthode qui se mue
partiellement en accord de gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences” (38).
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
12 - Mais la mutation est bien plus spectaculaire si l’on
évoque l’hypothèse du plan de sauvegarde. En effet, le
troisième alinéa du nouvel article L. 320-3 prévoit que les
accords peuvent aussi déterminer les conditions dans
lesquelles l’établissement du plan de sauvegarde de
l’emploi fait l’objet d’un accord et anticiper sur le contenu
de celui-ci. Le plan de sauvegarde fait ici son entrée parmi
les thèmes de la négociation collective ce qui, pour avoir
été suggéré depuis plusieurs années déjà, n’était pas
clairement envisagé par la loi. Rappelons en effet que s’il
n’a jamais été contesté que le licenciement collectif doive
faire l’objet d’une concertation, il n’a jamais été question
pendant longtemps d’envisager qu’il soit l’occasion
d’engager de véritables négociations. Jusqu’alors, l’idée de
la possible négociation du plan de sauvegarde figurait tout
au plus dans l’article L. 321-6 qui en mentionnait
l’éventualité (39). Le législateur était d’ailleurs demeuré
très prudent à cet égard en 2003. L’importance de la
mesure ne saurait donc être mésestimée. Il est vrai que
des négociations relatives au contenu du plan de
sauvegarde ont déjà eu lieu en pratique, mais les avis
demeuraient partagés tant une telle évolution portait en
elle “un changement radical de logique” (40). Que les
organisations syndicales soient, aux côtés de l’employeur,
parties prenantes dans la rupture des contrats de travail
constitue en effet une étape audacieuse, d’autant que
l’équilibre du droit des licenciements a toujours été
précaire (41). Ici toutefois, les transformations qui
traversent le droit de la négociation collective –
notamment depuis 1982 – expliquent pour partie que le
308
cap soit aujourd’hui plus résolument franchi. L’évolution
s’inscrit d’ailleurs dans un mouvement plus général où la
négociation consiste de plus à plus à rechercher “une
gestion optimale des ressources humaines” (42). En ce
sens, les implications symboliques des dispositions
introduites par l’article L. 320-3 ne peuvent être
minimisées. En tout état de cause, les accords de méthode
n’ont plus pour caractéristique essentielle “de ne pas (...)
porter sur le fond des problèmes” (43). La loi convie à
l’avenir la négociation à orienter et à prédéterminer
l’intégralité du processus du licenciement économique,
visant à la fois la phase de formation du plan et les
mesures qui devront être envisagées à cette occasion. En
d’autres termes, les négociateurs sont invités à fixer avec le
plus grand degré de prévisibilité possible les allures du
licenciement lorsque le risque se réalisera. Les accords
conclus dans de telles conditions ont finalement pour objet
de déterminer à l’avance les mesures et les opérations qui
seront mises en œuvre lorsque le projet de licenciement
se concrétisera. C’est en quelque sorte à des négociations
de programmation du licenciement auxquelles le troisième
alinéa donne finalement naissance.
B. Programmation négociée du licenciement et
nouveaux types d’accords
13 - La négociation peut certes être engagée “à chaud”,
mais elle peut également se tenir en dehors de tout projet
précis de licenciement. La circulaire du 26 février 2003
relative à la loi du 3 janvier 2003 incitait déjà à le penser
(44), et l’absence de toute limitation de durée pour les
accords à venir (45) corrobore l’analyse. Voici donc une
négociation dont la finalité est bien de prévoir, de
programmer le licenciement et les mesures qui seront
mises en place à cette occasion.
L’expression ”accord-programme” pourrait ainsi servir à
caractériser de manière générique le fruit d’une telle
négociation. Quelques types d’accords appartenant à cette
nouvelle catégorie sont alors susceptibles d’être envisagés.
On peut imaginer la conclusion d’un accord faisant
naître une obligation de négocier les mesures
d’accompagnement, et qui détermine la procédure et les
thèmes de la négociation sans que les données précises
(37) Plus largement sur ce point, v. F. Favennec-Héry, Loi Borloo :
une nouvelle approche de la modification, SSL, n° 1198,
17/01/05, p. 9 ; v. également la contribution d’I. Meyrat au
présent numéro p. 296.
(42) M.-A. Souriac et G. Borenfreund : “La négociation collective
entre désillusion et illusions”, op. cit., p. 222.
(38) P.-H. Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005...,
op. cit., p. 401. Plus vastement, les accords de GPEC pourraient
bien, selon certains auteurs, absorber les PSE anticipés : v.
F. Favennec-Héry, Loi Borloo : une nouvelle approche de la
modification, op. cit., spéc. p. 11.
(44) Selon l’administration “l’engagement d’une procédure de
licenciement collectif pour motif économique n’est pas un
préalable à la négociation et à la conclusion d’un accord de
méthode” ; le texte est reproduit dans l’étude consacrée par la
Semaine Sociale Lamy aux accords de méthode : V. supplément
n° 1152, op. cit., p. 74, spéc. p. 75/77.
(39) V. G. Couturier, Le choix
conventionnelle, op. cit., p. 8.
de
la
procéduralisation
(40) P. Lokiec, Contrat et pouvoir, LGDJ 2004, p. 260/262.
(41) G. Lyon-Caen, Le droit du travail une technique réversible,
Dalloz, coll. Connaissance du droit, 1995, p. 51 et s.
(43) G. Couturier, “Le choix
conventionnelle”, op. cit., p. 6.
de
la
procéduralisation
(45) V. P.-H. Antonmattéi, Accord de méthode, génération 2005...,
op. cit., p. 401.
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du licenciement ne soient encore précisément connues.
Ces accords – pour employer des vocables déjà usités en
d’autres domaines (46) – pourraient être désignés sous
les appellations “accords préparatoires” du licenciement
ou bien encore “accords de principe”. Il s’agirait de les
définir comme l’engagement conventionnel d’ouvrir une
négociation et de la poursuivre en vue d’aboutir à la
conclusion d’un accord de sauvegarde de l’emploi, dont
l’objet n’est encore déterminé que de façon partielle ou en
tout cas insuffisante pour que l’accord soit définitivement
formé (47). Ici, l’expression “accord de sauvegarde” – qui
fait écho à celle de “plan de sauvegarde” reflétant quant à
elle le caractère unilatéral de l’acte – nous semble
susceptible de restituer l’origine négociée des mesures
d’accompagnement du licenciement (48).
Cependant, la négociation n’affecte pas nécessairement
la nature juridique du plan. Elle peut aussi consister – en
dehors de tout projet précis de licenciement – à esquisser
par voie d’accord les mesures d’accompagnement que
l’employeur devra soumettre au comité d’entreprise
lorsque le projet de licenciement se précisera. En ce cas,
c’est en quelque sorte “un accord partiel” qu’il s’agit ici de
conclure. Une définition peut également en être proposée
: c’est l’accord par lequel l’employeur s’oblige à proposer
des mesures d’accompagnement avant même que les
conditions précises du licenciement ne soient connues.
Quelles que soient les dénominations choisies,
quelques questions peuvent en tout état de cause être
brièvement évoquées.
14 - Lorsque le projet de licenciement se précise, quel
est le sort des prérogatives du comité d’entreprise quand
a été conclu un accord posant le principe de la
négociation des mesures d’accompagnement ? On
pressent que la procédure d’information et de
consultation pourrait être absorbée par la négociation
(49). De manière plus prosaïque, la question de la
sanction en cas de violation d’un tel accord peut aussi
être posée. Ici, le fondement de l’obligation de négocier
étant conventionnel, une condamnation à des
dommages et intérêts est envisageable. On peut
également imaginer l’hypothèse dans laquelle un accord
de sauvegarde de l’emploi a été conclu sans que les
(46) Plus largement sur la période précontractuelle : v. F. Terré,
P. Simler et Y. Lequette, Droit des obligations, précis Dalloz,
7e éd., p. 167 et s.
(47) D’après I. Naajar, L’accord de principe, D. 1991, chron. XIII,
p. 57.
(48) P. Morvan évoque l’idée de “plan de sauvegarde de l’emploi
conventionnel” in “Le droit du licenciement pour motif
économique après la loi de cohésion sociale”, Travail et
Protection sociale, février 2005, n° 2, p. 8, spéc. p. 11.
(49) Plus vastement sur cette question, v. la contribution de P. Rennes
dans ce numéro p. 311 ; comp. E. Gayat p. 349 spéc. p. 352.
(50) Soc. 27 oct. 2004, RJS 1/05 et l’avis de J. Duplat p. 19. ; v. aussi
nos observations in Dr. Ouv. mai 2005 p. 10.
garanties conventionnelles prévues par l’accord de
principe concernant le déroulement de la négociation
n’aient été respectées. En d’autres termes, c’est la
régularité de l’accord de sauvegarde qui serait ici en
cause. En ce cas, il n’est pas interdit de soutenir que la
sanction pourrait être la nullité. En effet, la chambre
sociale – en matière de révision – n’a t’elle pas
récemment admis l’anéantissement d’un avenant conclu
en violation du préavis conventionnel (50) ? Les
implications d’une telle solution sur les licenciements
prononcés en application d’un accord irrégulier devront
alors être envisagées. De plus en ce cas, la contestation
ne porterait pas sur l’accord de principe lui-même mais
sur l’accord précisément conclu en violation de cet
accord de principe. Si bien qu’il n’est pas certain que les
délais d’action en contestation des accords visés par le
troisième alinéa de l’article L. 320-3 puissent être
invoqués pour contenir cette hypothèse de contentieux
(51).
Bien d’autres questions peuvent encore être posées.
Ainsi, les mesures d’accompagnement du licenciement
étant susceptibles de figurer dans un accord collectif, ses
rapports avec des règles conventionnelles conclues au
niveau de la branche – virtuellement supplétive –
devront être précisés. On songe par exemple aux
indemnités conventionnelles de licenciement. De même,
la question du rôle des organisations syndicales
signataires dans l’exécution des mesures pourrait
également soulever des difficultés, tout comme d’ailleurs
celle de la recevabilité de l’action en inexécution formée
par une organisation syndicale non-signataire de l’accord.
Plus généralement, il n’est donc pas certain que la
fixation négociée des mesures d’accompagnement aide
la sécurité juridique recherchée par le législateur (52).
15 - D’ailleurs dans l’hypothèse plus classique où les
mesures sociales siègeront dans l’acte unilatéral de
l’employeur, des questions sont également susceptibles
d’être posées. En effet, si l’on envisage l’hypothèse de
l’”accord partiel” – au sens où nous l’avons entendu plus
haut – des difficultés pourraient bien apparaître. Dans cette
hypothèse, l’accord fixe les mesures d’accompagnement
que l’employeur doit soumettre au comité d’entreprise
(51) Plus généralement, sur le flou qui entoure les hypothèses dans
lesquelles les dispositions relatives aux différents délais des
actions en contestation sont ou non applicables ; v.
P.-H. Antonmattéi, Accords de méthode, génération 2005 : la
“positive attitude”, op. cit., spéc. p. 402. V. également les
réflexions de P. Bouaziz dans ce numéro p. 368.
(52) Il est tentant de transposer ici une observation déjà formulée à
propos de la loi du 4 mai 2004 : “la complexité, les hésitations
et incertitudes qui traversent les dispositions nouvelles
n’annoncent en tout cas aucun recul des juges et de leur rôle,
en une époque où pourtant il est devenu courant de le
réclamer” : v. A. Lyon-Caen, “La révision du droit de la
négociation collective. Observations de méthode” in “La
négociation collective à ‘heure des révisions” ; op. cit., p. 1,
spéc. p. 6.
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lorsque le projet de licenciement s’est précisé. Quelle est
sa force contraignante ? Il est en effet permis de
s’interroger en cas d’inobservation par l’employeur de ses
obligations en raison de la transformation inattendue et
sensible du contexte dans lequel intervient finalement la
procédure de licenciement. En d’autres termes, quel est
le sort des licenciements prononcés en application d’un
plan de sauvegarde qui ne comporte pas tout ou partie
des mesures prévues initialement par l’accord collectif ?
Ce dernier est-il coercitif ou seulement indicatif ? Le
problème ne manquera pas d’être soulevé. A prolonger
l’analyse qui se dégage d’un arrêt relativement récent de
la chambre sociale, il n’est en effet pas certain que la
validité du plan puisse être mise en cause (53).
Plus généralement d’ailleurs, on reste dubitatif sur la
myopie de telles négociations, puisqu’elles se tiennent
dans l’ignorance des conditions précises dans lesquelles
le licenciement sera effectivement projeté par
l’employeur (54). Aussi, il peut être souhaitable que les
conditions de la révision de l’accord soient précisément
déterminées, de sorte à encadrer les modifications qui
pourraient intervenir lorsque l’élaboration du plan sera
effectivement engagée. La régularité de la modification
des mesures initialement prévues n’est en effet pas
détachable du bien-fondé des licenciements qui seront
finalement prononcés (55).
16 - Plus vastement, le point de savoir si la dérogation
à l’article L. 321-4-1 est possible doit également être
évoqué. On peut soutenir qu’en dépit du silence du
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
(53) L’allusion concerne l’hypothèse de la violation d’un engagement
sur l’emploi pris dans le cadre d’une première restructuration et
ses incidences sur le plan de sauvegarde arrêté à l’occasion
d’une seconde restructuration : v. les observations de O. Leclerc
sous Soc., 25 nov. 2003, D. 2004, somm. comm., p. 389 ;
J. Savatier in Droit Social, 2004, p. 166 ; I. Omarjee, La
violation d’un engagement unilatéral en matière d’emploi,
D. 2004, comm., p. 2395 ; RJS 2/04, n° 196 ; Dr. Ouv. 2005
p. 41 n. M.-F. Bied-Charreton.
310
(54) “Voilà une raison de plus d’appeler les négociateurs à la
vigilance” : v. M. Cohen, Le fonctionnement du comité
d’entreprise et les licenciements économiques après la loi du
18 janvier 2005, Droit Social 2005, p. 394, spéc. p. 396.
(55) Pour une étude synthétique des solutions dégagées par la
jurisprudence en cas de modification du plan de sauvegarde :
v. S. Béal et A. Giroud, Modification du plan de sauvegarde de
l’emploi, JCP, Entreprise et affaires, n° 9 du 3/03/05, Pratique,
n° 356, p. 361.
(56) Circ. DGEFP 2003/03 du 26 février 2003, Bull. off. min. trav.
2003/6, p. 73.
(57) En ce sens, V. P-H Antonmattéi, Accord de méthode, génération
2005..., op. cit., p. 401.
(58) Il était en effet indiqué dans la circulaire que lorsque les
dispositions de l’accord de méthode prévoyaient des réunions
quatrième alinéa de l’article L. 320-3, la dérogation aux
dispositions légales sur le plan de sauvegarde est
prohibée, comme l’indiquait d’ailleurs la circulaire (56)
relative à la loi du 3 janvier 2003 (57). Toutefois, il est
utile de rappeler que sur d’autres questions, les
préconisations administratives n’ont pas toujours
emporté l’adhésion des juges du fond (58). Si bien que
les négociations sont désormais en capacité d’agir sur la
substance du droit du licenciement, et l’étendue de la
dérogation aux normes légales relatives à la teneur du
plan demeure incertaine (59). Or, la mesure de la
dérogation à l’article L. 321-4-1 n’est pas sans
conséquences sur le sort des licenciements (60). On
pressent ainsi que le contentieux de la nullité risque fort
d’être sensiblement affecté par les nouvelles dispositions.
17 - Certes, les hypothèses que nous avons
envisagées sont susceptibles de n’en rester qu’au stade
de la pure fiction. La pratique pourrait – quant à elle –
s’avérer féconde. Mais ce nouvel élargissement du
domaine du négociable (61) n’en comporte pas moins
le risque d’une détérioration sensible de la protection des
salariés en cas de licenciement collectif.
“Mauvais arrangements mieux vaut que bon procès” :
appelées – sans s’asservir – à œuvrer dans les relations
de travail pour la conciliation des intérêts plutôt qu’à
soutenir leur confrontation judiciaire, les organisations
syndicales sont donc une nouvelle fois chargées d’une
tâche bien difficile.
Sophie Nadal
en nombre supérieur par rapport aux dispositions légales, les
conditions de validité étaient alors celles du droit commun.
Pour les magistrats de Nanterre toutefois, la double condition de
validité est applicable lorsque l’accord est plus favorable que la
loi : TGI Nanterre, 19 décembre 2003, RJS 6/04, n° 674.
(59) Pour une analyse de la question dont il ressort que “le contenu
du plan est ouvert à la négociation mais avec un objet qui reste
encadré” : v. F. Favennec-Héry, Le PSE dans la loi Borloo :
prévention, négociation, “sécurisation”, in La loi de
programmation pour la cohésion sociale, Les petites affiches,
31 mars 2005, n° 64, p. 39, spéc. p. 42.
(60) F. Favennec-Héry s’interroge : “La nullité de la procédure et du
licenciement subséquent telle que prévue à l’article L 321-4-1
du code du travail s’applique-t-elle à un plan de sauvegarde de
l’emploi négocié ? N’est-ce pas remettre en cause la finalité
première des accords de méthode qui est de sécuriser la
procédure?” in Le PSE dans la loi Borloo : prévention,
négociation, “sécurisation”, op. cit., p. 42.
(61) Sur les ambiguïtés du rôle de la négociation collective qui, plus
qu’elle ne corrige le déséquilibre des relations de travail, semble
de plus en plus contribuer à l’affermissement des pouvoirs de
l’employeur, v. M.-A. Souriac, Pouvoir et convention collective,
in “Le pouvoir du chef d’entreprise”, sous la direction de
J. Pélissier, coll. Thèmes et commentaires, Dalloz, 2001, p. 53.
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DOCTRI NE
D’un débat majeur à un accord mineur
(à propos de l’article L. 320-3 du Code du travail)
par Pascal RENNES, Directeur honoraire du travail
“On dit souvent d’un fleuve qui emporte tout
qu’il est violent mais on ne dit jamais rien de
la violence des rives qui l’enserrent”
B. BRECHT
PLAN
“Hecha la ley, hecha la trampa” (la loi à peine faite, voilà qu’on la
I. Les comités d’entreprise en
question
tourne), ce dicton espagnol s’applique souvent en droit du travail. Les
A. La montée en puissance
des comités d’entreprise...
de la loi du 17 janvier 2002 et la jurisprudence qui l’avait précédée par deux
B. Une pente glissante en vue
directions d’entreprise ont ainsi manœuvré pour contourner les dispositions
moyens principaux :
– elles ont massivement déguisé des suppressions d’emploi en
II. De l’unilatéral discuté au
déguisement contractuel
étouffant
licenciements individuels (1) ou en modes de rupture divers et variés (2) ;
– elles ont en même temps cherché à neutraliser les moyens
A. L’accord sur des libertés
collectives
d’intervention des comités d’entreprise en obtenant des accords sécurisant
B. Les effets indirects des accords
type L. 320-3
d’accord de méthode, d’une promotion médiatique considérable.
les opérations de restructuration, accords qui ont fait l’objet, sous le nom
On le rappelle (3) simplement, la nouvelle majorité s’est empressée
de suspendre ou abroger les principales avancées de la loi de modernisation
sociale et de légaliser ces pratiques patronales (la trampa) en poussant à
l’expérimentation pour tenter d’influer sur le contenu de la négociation
interprofessionnelle programmée pendant cette période transitoire. Sans
tenir compte des raisons de l’échec des négociations ni des positions de
l’ensemble des confédérations syndicales, la loi du 18 janvier 2005 entérine
cette fois “définitivement” (4) la plupart des exigences du MEDEF et
certaines propositions du rapport De Virville (5).
Aucune évaluation du contentieux sur les restructurations et les
procédures d’information consultation des comités d’entreprise n’est
produite (et pour cause) pour justifier la loi (6), comme si le législateur,
fébrile, s’emparait de la moindre jurisprudence pour en anéantir les effets.
concernant la fixation de l’ordre du jour des différentes réunions du comité :
un contentieux réduit à quelques décisions isolées et pourtant une réforme
source de difficultés nouvelles (7).
(1) Les nouveaux usages du licenciement pour motif personnel,
DARES, premières synthèses, Dr. Ouv. 2003, p. 511.
(2) A. Chirez, “Ruptures déviantes”, Dr. Ouv. 2004 p. 2001 ;
M. Bonnechère, “Licenciements économiques : la procédure,
garantie fondamentale des droits des salariés”, Dr. Ouv. 2004,
p. 493.
(3) Voir notamment à propos de la loi du 3 janvier 2003 et des
accords de méthode, Dr. Ouv., 2003 p. 358.
(4) Et jusqu’à nouvel ordre !
(5) M.-F. Bied-Charreton, “A propos du rapport De Virville : Un
projet de réfection du droit du travail libéral”, Dr. Ouv. 2004,
p. 161 ; P. Rennes, “Sécurité pour les uns, risques pour les
autres”, Dr. Ouv., 2004, p. 164.
(6) cf. l’étude statistique sur dix ans de contentieux social
d’E. Serverin et B. Munoz Perez à paraître.
(7) cf. C. Baumgarten p. 327 et L. Milet p. 355 dans ce numéro.
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L’exemple le plus caricatural est celui de la modification des règles
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Aucune analyse sérieuse (8) des accords de méthode n’est entreprise pour légitimer leur
pérennisation.
C’est donc le nouvel article L.320-3 du Code du travail déjà analysé dans son ensemble par la
contribution de Sophie Nadal (9) qui sera à nouveau ici examiné mais sous deux angles particuliers : la
mise à l’écart des attributions des comités d’entreprise et de l’institution elle-même qui a été assez
fréquemment relevée par de nombreux auteurs (10) mérite qu’on en mesure la portée (I). Au-delà et
s’agissant particulièrement des restructurations on s’interrogera sur ce nouveau type de
contractualisation combinée des droits de représentation collective des travailleurs et de l’emploi (II).
La préoccupation qui est ressortie assez fortement de la journée organisée en hommage à
Gérard Lyon-Caen (11) irriguera ces réflexions : le droit du travail devrait garantir les conditions d’un
débat contradictoire et équilibré au sein de l’entreprise comprise comme lieu de pouvoirs et d’intérêts
divergents entre personnes morales ou physiques fort diverses et inégales. Cette inégalité reconnue
impose que l’État prescrive des règles impératives dont le juge puisse contrôler l’effectivité ou
sanctionner l’inapplication. Pour mobiliser ces règles et ces arbitres, la forme de représentation des
travailleurs et la nature de leurs droits d’intervention sont essentielles (12) à un équilibre créateur (13).
■
I. Les comités d’entreprise en question ■
Il n’est certes pas aisé d’apprécier correctement
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
l’évolution des modes de représentation et d’intervention
312
préoccupe que très peu d’analyser l’évolution de chaque
institution et encore moins celle de leur place relative.
collective dans l’entreprise. La représentation des salariés
La lente éviction des délégués du personnel est
est partielle (14), elle passe par différents canaux ou
nettement perceptible. Les directions d’entreprise se sont
institutions dont il faut mesurer l’implantation, la place et
ingéniées à déconsidérer leur rôle en renvoyant
l’efficacité relatives, les rapports entretenus avec les
systématiquement leurs réclamations vers la négociation
travailleurs, les directions... Quelques juristes à l’occasion
annuelle obligatoire avec les délégués syndicaux (17). La
de réformes et notamment autour des lois Auroux de
loi dite quinquennale pour l’emploi (18) a autorisé les
1982, ont relevé les modifications dans le système
patrons d’entreprise de moins de 200 salariés à imposer
français de représentation collective, représentant élus
avec des moyens réduits le cumul des mandats d’élu
d’un côté et représentants syndicaux désignés dans
comités d’entreprise et de délégué du personnel ; et
l’entreprise depuis 1968. Ce n’est que très récemment
dans toutes les entreprises les délégués du personnel
seulement que la DARES a entamé un travail conséquent
sont maintenant élus pour deux ans à la même date que
d’appréciation du fonctionnement de ce système dual
les élections du comité d’entreprise. Ainsi, les délégués
(15).
du personnel pourtant fort prisés par les salariés comme
L’approche historique de Jean-Pierre Le Crom apporte
moyen de recours de proximité sont très nettement mis
une mine de renseignements (16), mais ne se
de côté. Seule réforme positive pour eux en vingt ans, le
(8) Le constat de la DGEFP-FNE de septembre 2004 intitulé :
“Accords de méthode, bilan d’étape” est une description
aseptisée énumérant les rubriques figurant dans les accords ; pour
une analyse critique, cf. A. Macudzinski, “Examen critique de
huit accords de méthode”, SSL, 19 janvier 2004, n° 1152 p. 26.
(9) supra p. 303 ; add. E. Gayat infra p. 349.
(10) M. Cohen, “Le fonctionnement des comités d’entreprise et les
licenciements économiques après la loi du 18 janvier 2005”,
Droit social, p. 394.
(11) Les actes de cette journée, 13 mai 2005, organisée par l’AFDT,
seront publiés prochainement aux éditions Dalloz.
(12) G. Lyon-Caen, “A la recherche des concepts de base du livre IV
du Code du travail (réalités et illusions)”, études offertes à
J.-M. Verdier p. 85.
(13) S. Jamy a réalisé fin 2004 (avant l’adoption de la loi du
18 janvier 2005) un gros travail de réflexion sur les accords de
méthode dans le cadre d’un mémoire de DEA sous la direction
de G. Borenfreund à Paris X. Qu’elle soit remerciée ici d’avoir
bien voulu m’en donner connaissance.
(14) G. Lyon-Caen, précité.
(15) Direction de l’Administration de la recherche des études et de la
statistique du ministère du Travail. L’enquête “Réponse”portant
sur les relations sociales dans 3000 entreprises ou
établissements (1997-2002) a apporté des renseignements
précieux pour les juristes souvent trop marqués par le reflet
parcellaire de la jurisprudence. Cette enquête “Réponse”
redémarre en 2005 de façon plus ambitieuse et moins
dépendante des seuls employeurs. Les salariés vont cette fois
être interrogés.
(16) J.-P. Le Crom, L’introuvable démocratie salariée. Le droit de la
représentation du personnel dans l’entreprise (1890-2002),
2003, Ed. Syllepse.
(17) G. Borenfreund, L’action revendicative au niveau de l’entreprise,
le rôle des délégués du personnel et des délégués syndicaux,
thèse Paris X, Nanterre.
(18) Loi du 20 décembre 1993 dite loi quinquennale pour l’emploi.
P. Rennes, “La représentation et l’intervention des salariés
entravées par la loi quinquennale”, Dr. Ouv., 1995, p. 1.
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droit d’alerte qui en fait des défenseurs des libertés et de
la dignité des travailleurs (19).
Par contre chacun a pu constater un essor certain des
pouvoirs et du poids que peuvent représenter les
comités d’entreprise actifs. Ce n’est qu’assez récemment
(20) que leurs attributions, leur fonctionnement sont
ouvertement remis en cause, mais c’est bien sûr au
moment où ils arrivent à une certaine maturité, où leur
expérience, leur influence pouvaient déjà se faire sentir
sur les comités de groupe ou même les comités
d’entreprise européens en mal d’attributions efficaces et
de modèle.
gestions patronales et la réflexion patronale” (24) avec
l’obligation faite aux employeurs de penser leurs actions.
C’est lors de la suppression du contrôle administratif
préalable des licenciements économiques que des
“garanties de procédures de substitution” (25) ont été
instaurées faisant des comités d’entreprise une sorte de
moyen de recours qui les contraindra assez souvent d’agir
en justice pour tenter d’influer sur les choix patronaux, de
les faire modifier. A partir de là effectivement, ces
procédures d’informations et de consultations vont devenir
des moyens d’intervention, imposer leur respect
constituera directement ou indirectement un élément non
On rappellera d’abord rapidement comment s’est
progressivement construite cette compétence des
comités avant d’aborder la tentative de phagocytage de
cette institution représentative du personnel.
négligeable du rapport de force pour obtenir la prise en
A. La montée en puissance
des comités d’entreprise...
s’apparentent à un certain contrôle du pouvoir patronal.
“Les comités d’entreprise ont vite pris une sorte de
caractère représentatif unilatéral et de ce point de vue ont
fonctionné en marge des textes qui les régissaient” (21).
Conçu comme organe de participation, de coopération
dans l’entreprise par l’ordonnance du 22 février 1945, qui
prévoyait seulement l’information sur la marche de
l’entreprise, le comité d’entreprise se voit attribuer un droit
d’être consulté par la loi du 16 mai 1945, et donc celui de
donner un avis exprimant les besoins des travailleurs, avis
différent, voire opposé à celui de l’employeur dont les
tribunaux ont mis fort longtemps à admettre qu’il ne
pouvait se consulter lui-même et encore moins voter à
cette occasion (22).
C’est l’article L. 431-4 issu de la loi du 28 octobre 1982
qui va entériner cette mission “d’assurer l’expression
collective des salariés permettant la prise en compte
permanente de leurs intérêts dans la gestion de
l’entreprise” (23). Jean-Marc Béraud souligne que le
comité d’entreprise “permet de relever le niveau des
(19) L’article L.422-1-1 issu de la loi du 31 décembre 1991 adoptée
à la suite du rapport de G. Lyon-Caen sur les libertés dans
l’entreprise, leur permet de saisir directement le bureau de
jugement du Conseil des prud’hommes. Voir notamment
M. Keller, note sous CPH Créteil 28 novembre 2003, Dr. Ouv.
2004, p. 292.
(20) On notera pourtant que des accords sur les droits syndicaux ou
les “relations sociales” dans des grandes entreprises, accords
passés il y a quinze ans maintenant, instauraient des organismes
conventionnels nettement concurrents des comités d’entreprise
du type “cellule de veille économique”, “groupe de
concertation permanente”. P. Rennes, “Accords, droits et
pratiques en matière syndicale”, Analyses et documents
économiques, nos 50, p. 67 et 51, p. 19.
(21) J.-M. Béraud, “Autour de l’idée de constitution sociale de
l’entreprise” in Analyse juridique et valeurs en droit social,
Etudes offertes à J. Pélissier, Dalloz, 2004, p. 59.
(22) Soc. 2 février 1978, D. 1978 IR 383, observations de J. Pélissier.
(23) A propos de cet article L.431-4 sur la personnalité juridique des
comités d’entreprise représentant les intérêts des salariés (et non
compte des intérêts des salariés, quelques fois une
négociation refusée jusque-là.
Ces attributions d’information et de consultation
L’acte unilatéral de décision est encadré de procédures,
d’obligation de transparence pour les mesures envisagées,
d’explication des motifs. Les règles de procédures
saisissent le pouvoir en tant que tel, l’unilatéralisme des
décisions qui doivent être “raisonnées”, dont le motif doit
être examiné avec le respect du “contradictoire” (26)
d’une consultation efficace, influente. Elles visent à
organiser un débat et à en assurer l’effectivité (27).
Ainsi la jurisprudence et les réformes successives ont
renforcé les possibilités de contrôle en temps utile,
d’examen avant la réorganisation, de la réalité et de la
faisabilité des plans sociaux (28), de la prise en compte
des propositions alternatives, par exemple en matière
d’adaptation reclassement, création d’activités nouvelles
(29).
Phases
de
consultation
(30),
ordre
des
consultations (comité d’établissement – comité central),
délais, etc. ont été précisés pour rendre compréhensibles
les informations, efficaces, utiles les débats internes.
Il faut donc du temps pour que les membres du comité
d’entreprise puissent appréhender “l’intelligence de la
les salariés eux-mêmes) : Antoine Lyon-Caen, “Le comité
d’entreprise, institution de représentation du personnel”,
Dr. Ouv. 1986, p. 355.
(24) précité.
(25) C’est le terme utilisé dans l’accord interprofessionnel du
20 octobre 1986 (non signé par la CGT), accord repris et
amélioré par la loi du 30 décembre 1986.
(26) P. Lokiec, Contrat et pouvoir, Bibl. de droit privé, 2004, LGDJ.
(27) E. Lafuma, Des procédures internes. Contribution à l’étude de la
décision de l’employeur en droit du travail, thèse Paris X,
Nanterre 2003, p. 115.
(28) A. Lyon-Caen, “Note sur le pouvoir de direction et son
contrôle”, Mélanges dédiés au président M. Despax, PU de
Toulouse, 2002, p. 95.
(29) Soc. 28 novembre 2000, Bull. civ. V n° 131.
(30) Délais souples pour avoir un effet utile pour les informations et
consultation de L. 432-1 ou le débat alternatif de L. 431-5,
délais plus étroits et stricts pour le livre III, L. 321-3.
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restructuration” (31), formuler avis et propositions
alternatives et obtenir des réponses motivées. C’est
pourquoi le juge ne sera, peut être pas si souvent que cela
(32), mais en tout cas de façon sensible, saisi pour
suspendre une procédure, ordonner de recommencer telle
ou telle phase, voire annuler une procédure (33).
Pour caractériser cette montée relative en puissance des
comités d’entreprise dans leur intervention en amont en
matière de licenciement économique Antoine Lyon-Caen
écrivait : “Le droit du licenciement économique ne saisit
pas un acte juridique, le licenciement, il saisit le processus
qui peut conduire à un tel acte” (34).
Au moment où les comités d’entreprise, institutions
représentatives des intérêts des salariés, acquièrent une
“forte personnalité” et mettent en œuvre leurs attributions
d’intervention dans les choix de gestion, ils trouvent moins
grâce aux yeux des directions. Cette instance élue, qui a
des comptes à rendre tous les deux ans au moins devant
les salariés devient trop incertaine, procédurière. Ainsi les
yeux des Chimène patronales se tournent-ils depuis une
dizaine d’années au moins vers les délégués syndicaux
plus isolés et divisés, plus centralisés souvent (35).
La formule “L’accord dessaisit le comité d’entreprise et
lie le juge”, revendication brutale du Medef lors des débats
sur la “refondation sociale”, n’a pas été reprise dans la
position commune du 16 juillet 2001 ni reproduite sous
cette forme ramassée dans le rapport de la commission
De Virville, ou dans les quarante-quatre réclamations du
Medef du printemps 2004, mais ces deux catalogues
patronaux se sont ingéniés à en répartir la teneur dans
plusieurs propositions d’apparence moins grossière (36).
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L’échec des négociations prévues par la loi provisoire du
3 janvier 2003 n’empêche pas la reprise du dispositif par
la loi du 18 janvier 2005 qui accentue la domestication
des comités d’entreprise par la voie d’accords d’entreprise.
Cette mise sous tutelle réclamée largement par les juristes
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patronaux (37) est perçue (ou rêvée) par d’autres comme
une chance de pilotage syndical (38) des restructurations.
B. Une pente glissante en vue
“Lorsqu’un employeur envisage d’effectuer des
licenciements collectifs, il est tenu de procéder, en temps
utile, à des consultations avec les représentants des
travailleurs en vue d’aboutir à un accord” (39). Cette
formulation de “consultations, en temps utile en vue
d’aboutir à un accord” paraît avoir été renversée (40) par
le législateur français de 2005 avec cet article L. 320-3.
L’accord peut porter d’emblée sur les conséquences, le
contenu du plan de sauvegarde de l’emploi et faire
abstraction des procédures d’information et de
consultation qui n’ont pas encore été mises en œuvre et
n’ont pu produire d’influence utile (40 bis).
Alors l’impasse est implicitement faite sur la discussion
des motifs, sur les justifications des projets de
restructuration ou de réorganisation et donc aussi sur la
discussion de propositions alternatives et la modification
(l’effet utile) des projets qu’on pourrait en attendre (41).
Le comité d’entreprise se voit imposer une feuille de
route, un téléguidage sans tenants mais avec aboutissants.
Sa “personnalité” est ainsi fortement atteinte, puisque lui
sont assignés tant les fins, qu’une apparence de moyens,
mais aussi les dates, les délais, les ordres du jour (42). On
connaît l’importance des délais dont le respect est souvent
une source de conflits qualifiés par la presse propatronale
de procédures dilatoires, aggravant la situation de
l’entreprise, etc. Or, les délais ont un impact sur la qualité
des expertises, sur la pertinence des propositions
alternatives et leur prise en compte appuyée par la
mobilisation des travailleurs (43).
En fait, les accords passés sous le couvert de L. 320-3
intitulés accords de méthode dans le langage courant
(44) reposent sur un présupposé. Une campagne
(31) A. Lyon-Caen, “Le comité d’entreprise et les restructurations”,
Droit social, 2004, p. 287, v. les obs. de H. Tourniquet supra
p. 288.
(40) G. Lyon-Caen, Le droit du travail : une technique réversible,
Dalloz Connaissances du droit, 1995. Le ministre du Travail,
G. Larcher l’a-t-il lu ?
(32) E. Serverin, précité.
(40 bis) En matière d’effet utile, v. TGI Paris 10 oct. 2003 et TGI
Nanterre 1er août 2003, Dr. Ouv. 2004 p. 390 n.
M. Bonnechère.
(33) M.-F. Bied-Charreton, “Quand le plan social devient
l’accompagnement d’une violation par l’employeur d’un
engagement de limiter le nombre des licenciements
économiques…”, Dr. Ouv. 2005, p. 41 et Soc. 25 novembre
2003, Dr. Ouv. 2005, p. 43.
(34) A. Lyon-Caen, “La procédure au cœur des licenciements
économiques”, Dr. Ouv. 2002, p. 161.
(35) P. Rennes, “Accords et pratiques en matière de droit syndicaux”,
préc. ; add. C. Sachs-Durand “La légitimité syndicale dans
l’entreprise”, Dr. Ouv. 1993 p. 39.
(36) Sur le rapport De Virville, voir note 5.
(37) J. Barthélémy, H. Landier “La réforme de la négociation
collective”, Les petites affiches, novembre 2003, p. 20.
(38) T. Grumbach, “Redonner aux syndicats le pilotage de la
négociation sur l’emploi”, SSL n° 1152, p. 17.
(39) Article 2-1 de la directive de 98/59 CE du 28 juillet 1998. On
retrouve cette chronologie par exemple dans la directive
transfert d’entreprise : consultation, puis éventuel accord ou
dans celle du 11 mars 2002 art. 4 § 4e.
(41) “La prise en compte permanente de leurs intérêts (article L. 4314) suppose un effet sinon décisionnel du moins influent” ;
A. Lyon-Caen, “Le comité d’entreprise, institution de
représentation du personnel”, préc.
(42) La nouvelle formulation de l’alinéa 2 de l’article L. 434-3
permet à un président de comité d’entreprise d’invoquer un
accord prévu par l’article L.320-3 pour imposer unilatéralement
l’ordre du jour de réunion. Cf. C. Baumgarten p. 327 et L. Milet
p. 355 dans le présent numéro.
(43) Pour avoir participé aux négociations précédant l’accord du
20 octobre 1986, je me souviens du temps passé à marchander
sur les délais. Entre 1986 et 1989, les tribunaux ont par ailleurs
fixé des délais efficaces, supplémentaires en cas de recours aux
expertises. La loi du 2 août 1989 a admis le principe mais
encadré très strictement ces avancées jurisprudentielles.
(44) Cf. S. Nadal dans le présent numéro p. 303 spéc. p. 307 sur
l’adéquation de cette appellation.
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patronale relayée par divers porte voix s’est évertuée à
judiciaire. Les insuffisances des droits des comités
qualifier les droits d’intervention des comités d’entreprise
d’entreprise pouvaient expliquer et accentuer le recours à
de procédures tatillonnes, de chemin de croix ubuesque.
l’arbitrage des juges (50) ; là, la mise sous tutelle des
Ces formalités paralysantes, obligeraient les employeurs
comités d’entreprise ampute leur capacité réelle à agir en
qui ont arrêté en catastrophe leurs projets de les habiller
justice (51).
des formes requises par les livres IV et III pour tenter de
rendre leur opération inattaquable (45).
Il a été soutenu ici ou là qu’il pouvait y avoir une
contrepartie à cette mise à l’écart des comités
Alors, il est aisé pour le ministre Fillon ou son
d’entreprise (52). Les droits des comités d’entreprise
successeur Larcher de soutenir qu’en fait ces accords (de
seraient monnayés contre une amélioration des mesures
méthode) ne toucheront pas aux droits des comités
et indemnités accompagnant les suppressions d’emploi,
d’entreprise mais aménageront la forme, la procédure
les départs volontaires. Ce marché est conclu avant tout
(46). Il s’agit d’une supercherie. On minimise la portée
début de procédure. L’aveu est de taille et correspondrait
des droits en vigueur pour imposer un système illusoire
au souci de syndicats peu combatifs d’être d’une certaine
de substitution.
façon reconnus en croyant être partie prenante d’une
Après la patiente construction des droits des comités
d’entreprise, leur utilisation concrète, leur respect précisé
négociation de restructuration améliorant l’indemnisation
des salariés licenciés.
et sanctionné par le juge, personne ne peut soutenir que
La loi du 18 janvier 2005 accentue la mise sur le bas
l’on peut séparer les modes d’intervention des comités
côté des comités d’entreprise par plusieurs dispositions.
d’entreprise de leur attribution puisqu’il n’y a ni
La plus remarquée parce c’est une suppression sans
codécision, ni veto, ni même avis conforme. En
débat ni motif d’un petit verrou qui figurait dans la loi du
organisant une sorte de pilotage automatique (47)
3 janvier 2003 et qui avait déjà fait l’objet de discussions
l’accord autorisé par l’article L.320-3 place le comité
dans l’avant projet de fin 2002, c’est la consultation du
d’entreprise sur un fauteuil roulant qui ne maîtrisera ni
comité d’entreprise préalable à la conclusion d’un accord
vitesse, ni direction, ni temps d’arrêt.
(de méthode). L’avant projet de loi de 2002 comportait
Le comité d’entreprise peut ainsi être contraint de
même la condition de l’avis conforme du comité
suivre la feuille de route initiale quels que soient les
d’entreprise (53). Malgré cette suppression, personne ne
contestations, les découvertes, les solutions, les aléas
soutient que le comité d’entreprise ne doit plus être
rencontrés
accéléré.
consulté : “Dommage de marginaliser ainsi le rôle du
Anne Macudzinski souligne qu’il y a systématiquement
comité d’entreprise dans une situation où la négociation
dans les accords, mise en place d’institutions, de
porte essentiellement sur les modalités d’information et
commissions ad hoc et “paritaire” mâchant les livres IV et
de consultation de ce dernier” s’apitoie P.-H. Antonmattei
III sous une forme que le comité d’entreprise est appelé
(54).
sur
le
parcours
lui-même
à déglutir dans des délais records (48).
L’absence de précision sur les modalités de
Le travail efficace que peut faire un comité d’entreprise
négociation des accords dans l’article L. 320-3 renvoie au
est ainsi neutralisé par ces méthodes, mais au-delà ce
droit commun des accords (55). Là encore on n’entoure
sont les conditions de la saisine du juge qui sont visées
d’aucune garantie spéciale la conclusion de tels accords
(49) : le comité d’entreprise n’aura pas pu préparer
portant sur les droits des comités d’entreprise, exit la
sérieusement les moyens de l’éclairage du débat
condition de majorité “d’acquisition” de la rédaction
(45) B. Brunhes, “Le droit du licenciement collectif : les humeurs
d’un praticien”, Dr. soc. 2005, p. 41.
(46) S. Jamy, mémoire de DEA, p. 34 sous le titre : l’assimilation des
règles de procédure à des règles de forme par l’employeur.
(47) T. Grumbach, art. préc.
(48) Précité note 8.
(49) cf. C. Baumgarten p. 327, H. Tourniquet p. 288 et P. Bouaziz
p. 368 dans le même numéro.
(50) Rappelons que le contentieux est pourtant beaucoup moins
important en quantité que les retentissements qu’il entraîne.
E. Serverin, précité.
(51) La sécurisation est bien une voie unique réservée aux
employeurs. Le problème a largement été évoqué dans “Sécurité
juridique, revirements de jurisprudence, pouvoirs des juges,
beaucoup de bruit pour peu de choses ?” Dr. Ouv. 2005, p. 137
et P. Rennes, “Sécurité pour les uns, risques pour les autres”,
Dr. Ouv. 2004, p. 164.
(52) De nombreux accords comportent des clauses d’interdiction de
dénonciation anticipée ou d’engagement à ne pas agir en justice
pendant la durée de l’accord, ces clauses douteuses sont
proposées par les cabinets de consultants pour mieux vendre les
accords.
(53) Ce verrou selon de mauvaises langues aurait été retiré sur
demande de la CFDT. On va se mettre à regretter les
formulations de la loi du 3 janvier 2003 et pourtant cf.
P. Rennes, “L’emploi hors la loi”, Dr. Ouv. 2003, p. 363.
(54) P.H. Antonmattei, “Accord de méthode, génération 2005 : la
positive attitude”, Dr. soc. 2005, p. 400. Ces larmes de
crocodile sont aussitôt suivies d’un réconfort : la pratique
montre que des CE sont associés aux négociations où on leur
propose de se faire hara-kiri et plus de 10 % cosignent (sic) ces
accords selon le bilan d’étape DGEFP-FNE, préc.
(55) Cf. S. Nadal dans le présent numéro p. 303.
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précédente. Il faudra pour les syndicats combatifs trouver
une majorité d’opposition. Le mode d’adoption des
accords d’entreprise est, depuis la loi du 4 mai confié aux
négociateurs de branche. A notre connaissance, un an
après la loi, c’est le statu quo. L’absence d’accord de
branche perpétue l’accord minoritaire et dérogatoire
s’agissant même des prérogatives d’ordre public des
comités d’entreprise (56).
Un ajout cette fois, les syndicats d’entreprise
probablement trop liés aux comités d’entreprise vont se
voir coiffés par des accords de groupe fixant au-dessus
des comités d’entreprise et même des comités centraux
d’entreprises, des entreprises du groupe (ou du champ
d’application retenu par les négociateurs de groupe) les
modalités de consultations, etc. Le niveau du groupe
paraît, là, devenir un niveau hiérarchique nouveau
contrairement à ce qui était indiqué dans la loi du 4 mai
2004 (57).
Enfin des dispositions des plus ambiguës peuvent
fragiliser les comités d’entreprise, mais aussi leur
permettre de résister. En effet, l’alinéa 2 de l’article
L. 320-3 mérite certainement un examen attentif quand il
indique ce que doit fixer l’accord : les conditions dans
lesquelles le comité d’entreprise est informé et réuni
alors que l’alinéa 1 évoque les modalités d’information et
de consultations applicables seulement en cas de
licenciement économique de plus de dix salariés. Et puis
à l’alinéa 4 figure une liste limitative de dérogations (in
pejus) interdites dans laquelle est mentionné l’article
L. 431-5 qui lui, ne concerne pas spécialement un projet
de licenciement de plus de dix salariés (58).
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Ainsi, l’on se trouve en face de larges possibilités de
dérogations, mais liées à l’existence d’un projet de
licenciement économique et d’une liste d’interdictions de
déroger très restreinte. Il va falloir redoubler de vigilance
pour combattre toutes dispositions dérogatoires non liées
directement à un licenciement projeté de plus de dix
salariés, et pour empêcher qu’il soit dérogé à l’occasion
d’un projet de licenciement de plus de dix à des
316
(56) G. Borenfreund, “Les syndicats et l’exigence majoritaire dans la
loi Fillon du 4 mai 2004” in la négociation collective à l’heure
des révisions, Dalloz 2005 (Thèmes et commentaires).
(57) M.-A. Souriac, “L’articulation des niveaux de négociation”,
Dr. soc. 2004, p. 569.
(58) Ainsi les accords triennaux obligatoires prévus par l’art.
L. 320-2 ne devraient pas comporter de dispositions
dérogatoires. Cf. dans ce numéro l’étude p. 322 de T. Katz et
p. 343 celle de M.-F. Bied-Charreton.
dispositions qui ne concernent pas, notamment dans le
livre IV, les licenciements proprement dit et bien au-delà
du seul article L.431-5. La vigilance s’impose aussi en ce
qui concerne les accords sur les droits syndicaux ou plus
généralement sur le dialogue social et les institutions
représentatives du personnel. En effet des dérogations
“autorisées” ne doivent pas indirectement porter au-delà
de leur objet strict. Par exemple, la modification des
délais séparant des réunions ne peut pas conduire à
réduire les délais dont dispose l’administration pour
formuler des observations, ou des délais dont l’expert
doit pouvoir disposer (59).
Au terme de cet examen rapide de la mise à l’écart
des comités d’entreprise on n’aperçoit pas de
rééquilibrage, ni même de renforcement des prérogatives
syndicales (60) pour faire face aux projets patronaux de
restructuration. On n’aperçoit pas de déplacement des
attributions des comités d’entreprise vers la
représentation syndicale désignée. On donne seulement
aux syndicats le pouvoir de neutraliser les comités
d’entreprise. Alors dans cette réforme, il s’agit
probablement d’autre chose.
Le patronat a pris conscience qu’il ne pouvait pas aussi
facilement que cela instrumentaliser les comités
d’entreprise sensibles à la mobilisation des salariés.
Même des comités d’entreprise peu combatifs peuvent,
poussés par les événements, se “réveiller” à chaud et
utiliser leurs prérogatives légales à un moment où la
procédure semblait se dérouler tranquillement (61).
Les employeurs, les dirigeants de grands groupes se
tournent vers leurs interlocuteurs syndicaux pour
instaurer une espèce de droit “interne” à l’entreprise ou
au groupe. Les interlocuteurs en question n’ont pas plus
de poids, ne sont pas moins isolés, ou plus représentatifs
(ou légitime qu’avant) ou moins divisés. C’est donc à
“droits constants” qu’une certaine mutation est opérée,
même mesure de représentativité, même règles faibles
de la négociation collective pour les conclusions
d’accords, etc.
(59) Cf. E. Gayat infra p. 349.
(60) On est à l’opposé même des souhaits exprimés il y a longtemps
par G. Lyon-Caen, “Critique de la négociation collective”,
Dr. soc. 1979, p. 350 et plus récemment note 11 supra.
(61) Les petites explosions sociales, très médiatisées, proviennent
souvent d’entreprises qui ont tablé sur la léthargie des
représentants du personnel pour restructurer ou délocaliser
assez brutalement. La surprise du recours à la loi, à l’action
judiciaire, notamment en référé est d’autant plus grande.
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II. De l’unilatéral discuté au déguisement contractuel étouffant ■
La négociation collective même et peut être surtout
après la loi du 4 mai reste un droit très peu réglementé.
Pour le niveau de l’entreprise notamment, le législateur a
généreusement délégué aux négociateurs de branche le
pouvoir d’ouvrir ou non le champ de la dérogation aux
conventions collectives et de fixer le mode d’adoption
des accords d’entreprise (62). Toute autre est (était ?) la
rigueur avec laquelle la loi et la jurisprudence ont précisé
les règles de fonctionnement et du débat au sein des
comités d’entreprise (63).
niveau de la branche. Le Conseil constitutionnel n’y a vu
qu’une façon de faciliter des modalités d’application de la
loi (67). Dans la plupart des cas auparavant, il fallait
pourtant que ces accords de branche soient eux-mêmes
étendus pour que la dérogation soit autorisée. L’article
L. 320-3 autorise les négociateurs à conclure directement
au niveau de l’entreprise des accords dérogatoires
portant non plus sur la réglementation du travail, les
conditions de travail mais sur les droits de représentation
collective et sur l’emploi.
Au fil des ans ces garanties de procédure (64) sont
venues compenser à la fois la suppression du contrôle
administratif préalable des licenciements économiques et
l’absence de pouvoir de codécision du comité
d’entreprise.
En fait, le législateur permet aux représentants
syndicaux (au niveau où ils sont le plus faible) de
modifier attributions et droits d’intervention de
représentants du personnel élus. Autrement dit, il s’agit
pour le législateur de déléguer à la négociation collective
la mise en œuvre de ce qu’il est convenu d’appeler le
principe de participation.
Avec les lois des 3 janvier 2003 et 18 janvier 2005 un
glissement rapide s’opère : le contournement des
dispositions légales et souvent d’ordre public régissant
une institution représentative élue est organisé et sa mise
en œuvre est confiée aux négociateurs syndicaux
d’entreprise ou de groupe. D’un semi-contrôle
indépendant de décisions unilatérales et des obligations
qui en découlent, on passerait à l’association des
représentants des salariés à des décisions prises en
dehors d’eux (65), ou à une certaine forme de
codécision très en aval des opérations de restructuration.
Plutôt que refondre ouvertement les droits des comités
d’entreprise, opération à gros risque politique, le
législateur a préféré avancer masqué et livrer, déléguer
aux syndicats et aux employeurs au plus bas niveau
(celui de l’entreprise) (66) le soin de copiloter une
institution représentative. C’est après avoir examiné la
portée de cette conventionnalisation des droits de
représentation du personnel (A) que l’on tâchera de
caractériser ces nouveaux accords (B).
A. L’accord sur des libertés collectives
On sait que la loi du 4 mai 2004 a “descendu” au
niveau de l’entreprise l’autorisation de déroger à la loi
dans les matières qui étaient réservées avant au seul
(62) G. Lyon-Caen, “A propos d’une négociation sur la négociation”,
Dr. Ouv. 2001, p. 1 ; F. Saramito, “Le nouveau visage de la
négociation collective”, Dr. Ouv. 2004, p. 445.
(63) M.-A. Souriac, “Négociation collective et consultation du
comité d’entreprise”, Action juridique CFDT, n° 119, p. 3.
(64) A. Lyon-Caen, “La procédure au cœur du licenciement pour
motif économique”, Dr. Ouv. 2002, p. 161.
(65) J.-M. Béraud, “Autour de l’idée de constitution sociale de
l’entreprise“, préc. p. 55.
(66) Ou aussi au niveau stratégique (pour les directions) du groupe
comme on l’a vu en première partie. Le niveau de la branche est
aussi mentionné à l’alinéa 1 de l’article L. 320-3, mais peut-être
dans le but d’imposer des modalités dérogatoires dans les
Pourtant les deux principes fondamentaux “de droit
des travailleurs à la détermination collective de leurs
conditions de travail et d’emploi et de participation à la
gestion par l’intermédiaire de leur délégué” (68) sont
d’égale valeur constitutionnelle et leur mise en œuvre
relève pour l’un et l’autre de l’article 34, c’est-à-dire du
domaine de la loi. De nombreux auteurs déjà cités ont
pressenti ou souligné les risques d’émiettement,
d’anarchie, d’inégalités considérables entre travailleurs
que comportait la loi du 4 mai 2004 en matière de droit
de la négociation collective qui dépend maintenant
essentiellement des négociateurs de branche (69).
Avec la loi du 18 janvier 2005 c’est une liberté
publique, le droit de représenter les intérêts du
personnel, qui est livrée à la négociation. Au-delà, une
institution représentative disposant de la personnalité
juridique, une personne morale exprimant une certaine
homogénéité des intérêts (70) voit son autonomie, sa
liberté subordonnées, conditionnées, modifiables par un
accord passé entre des contractants qui sont des tiers par
rapport à elle.
Que le législateur se décharge sur l’autonomie
collective de la responsabilité d’élaborer un système
entreprises pourvues de comités d’entreprise mais inhabitées
syndicalement.
(67) Sur l’article 43 et la nouvelle donne pour les accords
d’entreprise, cf. M.-A. Souriac, “Quelle autonomie pour la
négociation collective à l’heure des révisions”, in La négociation
collective à l’heure des révisions, Dalloz 2005 (Thèmes et
commentaires) p. 98.
(68) Alinéa 8 du préambule de la Constitution de 1946.
(69) Notamment M.A Souriac, G. Lyon-Caen, F. Saramito précités ;
voir aussi M. Bonnechère, “La loi, la négociation et l’ordre
public en droit du travail, quelques repères”, Dr. Ouv. 2001,
p. 411.
(70) A. Lyon-Caen, “Le comité d’entreprise, institution de
représentation du personnel”, préc.
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favorisant un équilibre des pouvoirs est plutôt
préoccupant (71). Que cela puisse se produire,
notamment à propos des procédures d’information et de
consultation lors de restructurations et de menaces pour
l’emploi paraît encore plus grave. Cette disponibilité de
libertés collectives et les risques d’émiettement du droit
de participation et d’inégalité entre les salariés n’ont pas
été soulevés dans les saisines du Conseil constitutionnel
ni pour la loi du 4 mai 2004 ni pour celle du 18 janvier
2005. Si bien que les recours muets sur la question et
formés à la légère servent plutôt à valider sans contrôle
constitutionnel ces deux lois. Le juge judiciaire permettrat-il aux comités d’entreprise, titulaires en somme du
principe de participation de résister à leur mise sous
tutelle ? D’autant plus que le Conseil constitutionnel avait
seulement admis à propos de la loi du 3 janvier 2003
une possibilité pour les partenaires sociaux
d’expérimentation des modalités du principe de
participation (72).
Ainsi le comité d’entreprise risque de subir un accord
formé entre des tiers. Ni les délégués syndicaux, ni
même et encore moins les employeurs ne représentent
le comité d’entreprise. Ils ne devraient pas pouvoir
imposer des modes de fonctionnement à une institution
représentative majeure, sauf bien sûr s’il s’agissait de
pouvoirs plus importants ou plus favorables (73) pour les
salariés représentés sinon pour le comité d’entreprise luimême.
Certains auteurs, à propos des accords sur les droits
syndicaux évoquent les questions soulevées par l’effet
relatif des contrats et les limites de la stipulation pour
autrui (74). Ici, dans les accords passés en fonction de
L. 320-3, accords dérogatoires, le comité d’entreprise
n’est pas un tiers “bénéficiaire” de la stipulation pour
autrui (75), il n’est même plus consulté. L’accord ne fait
pas naître un droit mais des obligations, des contraintes,
des limites à l’autonomie. L’avis conforme du comité
d’entreprise n’est pas requis, son acceptation de la
stipulation, de l’obligation est indifférente. Il y a là
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
(71) C’est déjà une inquiétude exprimée par G. Borenfreund, “La
licéité des accords collectifs relatifs au droit syndical et à la
représentation du personnel”, Dr. soc. 1992, p. 893.
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(72) Dans sa décision du 6 novembre 1996, le Conseil
constitutionnel avait admis une telle latitude si les modalités
négociées étaient au moins égales à la loi.
(73) Depuis longtemps, la loi pour chacune des IRP a autorisé
l’adoption de clauses plus favorables aux salariés. L. 426-1 ;
L. 434-12 ; L. 412-21 du Code du travail.
(74) G. Auzero, Les accords d’entreprise relatifs aux droits syndicaux
et à la représentation du personnel, Thèse Université
Montesquieu Bordeaux IV, notamment la deuxième partie
p. 248-255. Peut-être qu’à l’époque de cette étude (1997) les
accords ne portaient pas sur les institutions représentatives du
personnel, mais plutôt sur les crédits d’heures, les conditions de
déplacement des élus. Toujours est-il que l’auteur effleure la
question de la stipulation pour autrui sans considérer qu’un CE
est un tiers, une personne morale distincte.
(75) Sauf à considérer qu’il se trouve déchargé de ses responsabilités.
exception à l’effet relatif des contrats et l’acceptation par
le bénéficiaire, condition indispensable à la validité de la
stipulation pour autrui, disparaît en fait de façon fort
discutable (76).
Sans la mentionner, d’autres auteurs perçoivent cette
difficulté quand ils écrivent qu’à défaut d’accord passé au
sein des comités d’entreprise, un accord de méthode
comportant des assouplissements procéduraux et des
contreparties indemnitaires dépouillera le comité
d’entreprise de l’objet même de sa consultation (77).
Mais ici, aucun doute, les dérogations sont considérées
comme défavorables sans contrepartie. Le législateur de
2003 avait requis une condition de majorité
“d’acquisition” comme forme de garantie. Cette garantie
minimale, on l’a vu, a été abandonnée au profit jusqu’à
nouvel ordre d’une éventuelle mise en œuvre du droit
d’opposition (78).
La distinction des règles de forme et des garanties des
salariés lors des débats parlementaires ou dans les
circulaires ministérielles permet de minimiser l’atteinte
ainsi portée aux droits collectifs, en fait aux droits de se
défendre.
La loi ne mentionne plus la nécessaire consultation du
comité d’entreprise sur l’accord. La jurisprudence EDF
(79) et les arrêts dans le même sens (80) accentuant
l’autonomie des accords qui “vivraient leur propre vie”
contribuent à marginaliser les comités d’entreprise.
S’agissant d’accords portant sur des droits d’intervention
des comités d’entreprise et sur des matières au cœur
même des compétences du comité d’entreprise,
s’agissant le plus souvent de décisions unilatérales
“habillées” sous forme d’accord, on conçoit mal que le
juge appelé à vérifier quelques principes d’information et
de consultation un tant soit peu efficaces, ne persiste pas
à ordonner des mesures provisoires ou des remises en
l’état nécessaires ; à moins que décidément se mette en
place subrepticement un système de suprématie de
l’accord d’entreprise en matière de droits collectifs qui
(76) Cass. civ. Ire 8 décembre 1987, Bull. civ. n° 343, p. 246,
D. 1989, Som. com. p. 233, obs. J.-L. Aubert.
(77) F. Favennec-Héry, “Restructuration : le rôle de la négociation
collective”, Dr. soc. 2004, p. 282.
(78) Dont les difficultés et l’aspect négatif sont soulignés de façon
concise par M. Dumas, “Droit d’opposition et application de
l’accord majoritaire”, NVO 8 octobre 2004, p. 9.
(79) D. Boulmier, “La navette sociale”, Droit Ouv. 1998, p. 350 avec
en annexe p. 353 l’arrêt Soc. 5 mai 1998. Cf. aussi D. 1998 jur.
p. 608, obs de G. Auzero.
(80) Soc. 19 mars 2003 Cervac Bull. n° 105. On ne feindra pas
d’ignorer l’intérêt que nombre de commentateurs ont accordé à
cet arrêt de la Chambre sociale. Cette tendance perceptible de
la Chambre sociale à la “sécurisation” des accords si chère au
Medef réjouit beaucoup d’entre eux. Un commentaire plus
nuancé de Laurent Gamet et cet arrêt sur la validité des accords
au regard des attributions légales des comités d’entreprise
figurent dans le bulletin Joly Sociétés de juin 2003, p. 676 et
suivantes.
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“dessaisirait le comité d’entreprise et lierait le juge”. Le
risque est réel, mais est-il limité à ce rapport inégalitaire
entre
représentation
syndicale
et
institution
représentative du personnel élue ?
Les accords dérogatoires de l’article L. 320-3 ont
d’autres significations pour les syndicats eux-mêmes et
pour les salariés.
B. Les effets indirects des accords
type L. 320-3
On s’accorde à relever que, surtout depuis la loi du
18 janvier les accords passés sous couvert de l’article
L. 320-3 ne peuvent plus porter l’appellation usuelle
d’accord de “méthode” (81) puisqu’ils peuvent aussi
concerner l’emploi en précisant dès leur signature des
mesures de mobilité professionnelle et géographique, et
en déterminant les conditions de négociation d’un plan
de sauvegarde de l’emploi et même le contenu. Ces
accords peuvent donc contenir, on l’a vu (82), un plan
de vol rigoureux pour les comités d’entreprise, c’est-à-dire
des dispositifs contraignants pour les comités d’entreprise
mais aussi des dispositions concernant directement les
salariés (83). Ces accords sont donc hybrides portant à la
fois sur le droit collectif et sur les situations individuelles
des salariés, les conditions de leurs départs de
l’entreprise et même de l’indemnisation accompagnant
leur départ. Ainsi la négociation va pouvoir mélanger les
décisions de restructuration ou de réorganisation, les
obligations en matière d’information consultation des
comités d’entreprise et les mesures individuelles.
Mais la grande nouveauté va résider dans le fait que les
représentants des travailleurs ne vont plus être membres
d’une instance élue, majeure, ayant ses attributions de
“contrôle” spécifique des décisions unilatérales (84) de
l’employeur en matière de restructuration. Dorénavant et
de façon brutale, sans droits nouveaux, les délégués
syndicaux vont passer à une “négociation intégrative dans
l’ordre du pouvoir” (85) en lieu et place d’une
négociation acquisitive apportant des améliorations aux
conditions de travail individuelles des salariés. Cette
négociation décolle pour une élévation vers le pouvoir
(86) en matière de réorganisation, de technologie, du
(81) Cf. S. Nadal p. 307.
(82) Voir supra.
(83) Les mesures de mobilité, d’adaptation, de flexibilité, etc.
impliquent souvent des modifications de conditions essentielles
du contrat de travail entraînant des propositions d’avenants. Cf.
I. Meyrat dans le présent numéro p. 296.
(84) Même enrobées sous forme d’accord.
(85) La formule de J.-M. Béraud, préc. est particulièrement
évocatrice.
(86) Ibid.
(87) Cf. T. Katz p. 322 et M.-F. Bied-Charreton p. 343 dans le présent
numéro.
(88) T. Grumbach, “Redonner aux syndicats le pilotage de la
négociation sur l’emploi”, SSL n° 1152, p. 17. Malgré de
nouveaux efforts de lecture on ne parvient pas à saisir en quoi
temps de travail, de gestion prévisionnelle de l’emploi
(87) sans qu’il s’agisse d’un pouvoir de codécision un tant
soit peu situé en amont. En somme les syndicats risquent
fort d’être instrumentés pour à la fois phagocyter les
comités d’entreprise qui ont montré quelques capacités
de résistance et d’autonomie et pour servir de vecteur
avalisant les décisions patronales dans des accords
collectifs.
Une concurrence entre délégués syndicaux et comités
d’entreprise est instaurée sans pour autant qu’on ne
perçoive en rien les contreparties sérieuses améliorant
l’efficacité, le poids des syndicats (88).
Les contreparties de ces accords qualifiés de donnantdonnant (89) sont à chercher à la loupe en matière
d’emploi, de reclassement, d’indemnisation. De façon
sommaire on pourrait considérer que l’opération consiste
pour les syndicats à échanger garanties de procédures,
délais, droits d’intervention des comités d’entreprise
contre la négociation d’un plan de sauvegarde peut-être
amélioré. Il s’agirait en quelque sorte de troquer des
droits qui permettent d’établir un certain rapport de force
contre un accord sur des mesures de reclassement qui
elles relèvent d’une obligation sérieuse de moyens à la
charge des employeurs, obligation dont le non-respect
peut être sanctionné efficacement (90). La contrepartie
serait donc la contractualisation d’une obligation légale
maintenant bien établie. Ainsi sans vérification préalable
puisque ni information ni consultation et expertise n’ont
eu lieu, les employeurs peuvent obtenir en gonflant leur
projet de suppression d’emplois ou en dramatisant la
restructuration décidée, obtenir des concessions en
délais, procédures, etc. plusieurs exemples récents
illustrent cette technique de chantage, de contrainte
forçant la signature (91).
Alors l’on perçoit ici ou là des clauses qui, à première
vue, apparaissent comme des contreparties pour certains
négociateurs syndicaux et les auteurs du bilan établi par
la DGEFP (92). Pêle-mêle on trouve l’appel à des
prestataires de services en reclassement, des consultants,
l’expertise économique payée dès les consultations du
Livre IV, des crédits d’heures supplémentaires (93), des
échanger du temps contre un coût supérieur pour l’emploi à la
charge de l’employeur serait une contrepartie pour qui que ce
soit. Les salariés seront licenciés plus vite et donc moins
longtemps bénéficiaires d’un salaire.
(89) Ce qualificatif existe dans de nombreux accords.
(90) F. Héas, Le reclassement du salarié en droit du travail, LGDJ
2000.
(91) L’accord de méthode de Bosch France SA est de ce point de vue
caractéristique, mais les péripéties Nestlé Perrier sont, elles
aussi, caractéristiques. Il ne suffit pas qu’un syndicat majoritaire
ne s’oppose pas, il faut qu’il adhère, même si l’accord initial
toujours minoritaire, certes, retrouvait sa validité.
(92) Préc.
(93) En matière de crédits d’heures, par exemple il était couramment
admis qu’un projet de restructuration constituait une
circonstance exceptionnelle permettant les dépassements.
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systèmes d’information des salariés. Le tout est agencé et
utilisé par de nouvelles institutions ou commissions
souvent paritaires ad hoc aux noms des plus séduisants.
S’agit-il de contreparties, de moyens nouveaux accordés
aux syndicats ou bien d’un déplacement des moyens et
droits des comités d’entreprise édulcorés vers une
institution d’un type nouveau convenu, non issue de
l’élection mais qui va pré-digérer dans des délais imposés
et records le travail des membres élus des comités
d’entreprise.
Cette création d’un droit interne (internalisé) adapté,
donc a priori efficace pour ses promoteurs (94), modifie
la donne. L’accord d’entreprise devient une source
officielle du droit, la généralisation de ce qui est présenté
au départ comme expérimental pousse à rendre ineffectives, fictives les normes légales, en l’occurrence ici
les comités d’entreprise. Alors, la loi devient adaptable,
modifiable, contestable. Les grandes entreprises, avec
leur puissance, développent cette décentralisation
inégalitaire du droit. Leur émancipation par rapport à la
loi et aux conventions collectives pose d’autant plus de
problème qu’elle est maintenant autorisée au niveau flou
des groupes à périmètre flexible (95) très mal maîtrisé
par les organisations syndicales (96).
L’autorégulation
conventionnelle
interne
aux
entreprises cache en fait le développement de décisions
autoritaires accompagnées de “compensations”
indemnitaires.
Dans ce contexte de restructurations, les directions
recherchent des interlocuteurs syndicaux qu’elles vont
reconnaître, dont elles ont besoin, pour qu’ils apposent
leurs signatures, légitimant des décisions contraignantes
pour les salariés (97), garantissant ainsi une certaine paix
sociale. Les syndicats qui ont négocié ces accords et
signé se retrouvent souvent dans la position de
défenseurs du processus engagé, y compris lors de
contentieux.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Voilà que des contraintes conventionnelles vont
pouvoir peser à la fois sur les salariés et une instance de
320
(94) Les petites affiches n° spécial sur les accords de méthode,
J. Barthélemy, H. Landier, précité et l’idée n’est pas neuve elle
était déjà reprise par J. Barthélemy, “La négociation collective,
outil de gestion de l’entreprise”, Dr. soc. 1990, n° 7-8, p. 580.
leur représentation majeure, le comité d’entreprise. Les
salariés sont en quelque sorte cantonnés dans le
système décidé dans l’entreprise, tenus de ne plus en
sortir, de ne plus recourir à des arbitrages ou à des
contrôles de légalité extérieurs.
Les accords on le sait ont vocation à assurer la sécurité
juridique des opérations de restructuration. Pour autant
l’on peut espérer qu’un accord illégal pourra être annulé
et ne produire aucun effet et que la procédure ellemême sera nulle et pas simplement irrégulière (98) et
les licenciements eux même annulés, la réintégration
ordonnée. Dans le cas contraire, plus les accords sont
illégaux, les procédures accélérées, les licenciements
rapidement notifiés, la fraude manifeste, moindre serait
la sanction.
Pour reprendre une expression de M.-A. Souriac, à
propos de la loi du 4 mai 2004 (99) “le droit à la
négociation en viendra t-il à prendre la forme
paradoxale d’un droit à ne pas négocier, à ne pas
conclure” (100). La formule est particulièrement adaptée
aux dérogations autorisées par l’article L. 320-3, d’autant
qu’il est observé que dans l’immense majorité des cas
c’est la direction de l’entreprise qui prend l’initiative des
accords en question en présentant un projet détaillé
soumis aux organisations syndicales.
Le souci patronal de paix sociale et judiciaire apparaît
comme évident dans de nombreux accords contenant
des clauses appuyées sur leur durée. Bien sûr, il est
mentionné une obligation d’exécution loyale assortie
d’un renoncement à des dénonciations anticipées et à
agir en justice pendant la durée de l’accord. De façon
plus subtile des mécanismes de conciliation préalable
sont instaurés. Comme l’accord porte essentiellement sur
les droits d’intervention des comités d’entreprise, ces
accords semblent leur imposer le respect de ces clauses.
Ces renoncements contractualisés ne sont pas
opposables aux syndicats non-signataires (100 bis) et
encore moins aux comités eux-mêmes (101). Mais l’effet
pour des comités d’entreprise qui voudraient par
(95) B. Teyssié, “Les conventions et accords collectifs de groupe”,
Les Petites affiches n° 97, p. 59.
si l’employeur a obtenu un accord expéditif, les licenciements
ouvriraient seulement droit à des dommages-intérêts au titre de
l’article L. 122-14-4, alinéa 3. Alors qu’en réponse à des
questions J. Barthélemy, sans faire autant de manières, estime
qu’ils doivent être annulés purement et simplement. Interview
SSL 2004 n° 1152, p. 36.
(96) Les comités de groupes aux compétences et droits
embryonnaires et lents ne représentent pas une force
complémentaire alors que le couple syndicat-CE bien organisé
peut être pertinent. D. Boulmier, “La navette sociale”, précité.
(99) Et notamment au regard de l’article L. 132-23 alinéa 4 qui
autorise les négociateurs d’entreprise à déroger aux accords de
branche si ceux-ci ne l’interdisent pas. P. Rennes, “Alertez les
fédérations”, Options, magazine de l’UGICT-CGT, n° 465, p. 9.
(97) Les revues spécialisées de management se sont fait l’écho des
difficultés créées par la restructuration, y compris pour les
salariés non visés encore par les mesures de mobilité, etc.
(100) M.-A. Souriac, “L’articulation des niveaux de négociation”,
Dr. soc. 2004, p. 589.
(98) P.-H. Antonmattéi (précité) n’est pas très sûr de lui et tente de
distinguer selon que le processus est encore en cours ou
achevé. Selon lui, dans le premier cas, la procédure et les
projets de licenciement pourraient être seulement suspendus et
(100 bis) F. Saramito “Les droits des organisations syndicales non
signataires”, Dr. Ouv. 2003 p. 1.
(101) Cf. note 70 et les limites de la stipulation pour autrui.
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exemple contester les irrégularités de consultation, de
réunion, peut être désastreux compte tenu des délais très
courts que la loi fixe pour exercer ces recours.
contractuel au débat organisé. Il y a une différence aussi
entre une pseudo codécision et une confrontation
productive.
Les mesures de mobilité géographique et
professionnelle décidées dès le début (avant la
procédure des Livres IV et III), couplées avec
l’individualisation des propositions de modifications des
contrats (102) et les divers modes de rupture négociée
(103), analysés dans de nombreux accords couvrent en
fait toutes sortes de manœuvres et de pressions
individuelles désarmant chaque salarié peu en capacité
d’évaluer à l’avance le sort qu’il ne découvrira que plus
tard (104).
Le comité d’entreprise peut éclairer, informer,
améliorer l’action des syndicats pour la négociation et en
vérifier les effets pour les salariés. L’action revendicative,
syndicale peut vivifier, enrichir l’intervention des comités
(109). Ce système dual syndicat-comité d’entreprise
mérite un renforcement sérieux, mais avec les délégués
du personnel et le CHSCT il constitue, garantie par la loi,
une chance pour une intervention diversifiée des salariés.
Accords de sécurisation juridique et de paix sociale
vont paradoxalement peut-être amener les entreprises à
retrouver le chemin du Livre III qu’elles ont contourné
massivement depuis dix ans (105) pour ainsi éviter les
requalifications et les réintégrations efficaces de salariés
victimes de ruptures en tous genres cachant des
suppressions d’emplois sans plan de sauvegarde de
l’emploi (106).
On sait maintenant que la confusion des genres dans
le système dual de représentation des salariés est le lot
habituel des représentants fragiles et peu syndiqués
(107). Représenter les intérêts des travailleurs ne veut
pas dire engager les membres de groupe dont les
intérêts ont été exprimés (108).
Il y a une grosse différence entre les passerelles, la
complémentarité syndicat-comité d’entreprise instaurées
au fil des temps par les syndicats combatifs, la
jurisprudence, la loi, et la substitution de l’accord
La substitution des genres amorcée par la loi du
18 janvier, expérimentée dans des situations de faiblesse
syndicale, est conceptualisée dans les propositions de
conseil d’entreprise du rapport De Virville ou dans les
nombreux écrits de J. Barthélemy et autres (110)
prônant un contrat collectif.
Les droits des comités d’entreprise ont connu une
évolution lente, mais certaine, appuyée sur les besoins,
façonnée par les luttes, la jurisprudence et la loi à
plusieurs reprises. La loi de modernisation sociale avait
apporté quelques précisions utiles et un certain pouvoir
contraignant au débat alternatif (111) assorti d’un
arbitrage extérieur possible au moins pour les grands
licenciements. Des recours nouveaux étaient peut-être à
la portée des salariés.
Ne pas le rappeler laisserait entendre qu’il faudrait
s’adapter à l’air du temps (112), renoncer à
contrebalancer le pouvoir patronal et donc consentir à
accompagner les restructurations.
Pascal Rennes
(102) I. Meyrat dans ce numéro p. 296.
(107) C’est un constat de l’enquête Réponse DARES, précitée.
(103) Soc. 2 décembre 2003, Dr. Ouv. 2004, p. 237, note F. Héas
dans l’arrêt Crédit Lyonnais, l’accord collectif mentionnant ces
départs paraît avoir “moralisé” la négociation individuelle de la
rupture.
(108) A. Lyon-Caen, article Dr. Ouv. 1986, préc.
(104) Le délai de douze mois de l’alinéa 2 de l’article L. 321-16
oblige à une réaction d’autant plus rapide que beaucoup de
salariés vont être pris dans le circuit transitoire des conventions
“personnalisées” de reclassement pendant un certain temps,
alors que ce délai court depuis la notification du licenciement.
Cf. H. Tourniquet supra.
(105) Cf. note 1.
(106) CA Versailles (6e Chambre), 9 novembre 2004, Dr. Ouv. 2004,
p. 497 n. M. Bonnechère. Alcatel et ses filiales ont pratiqué des
plans sociaux “au black” tolérés par certains syndicats. Mais
les limites semblent avoir été atteintes.
(109) G. Lyon-Caen est revenu à maintes reprises sur le potentiel
d’efficacité de ce couple et les spécificités de chacune des
institutions et cela déjà dans l’article “Critiques de la
négociation collective”, précité.
(110) Le numéro de novembre 2003 des Petites affiches est
particulièrement parlant. L’on perçoit même une défiance avec
l’idée de négociation au sein d’une instance élue, les auteurs
cherchent une représentation ad hoc de la communauté des
travailleurs capables de passer des contrats synallagmatiques.
(111) A. Lyon-Caen, “Le comité d’entreprise et les restructurations”,
Dr. soc. 2004, p. 289.
(112) L’air du temps annoncé pour les 100 jours est lourd de
nouvelles menaces pour le droit du travail.
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311-321 Doctrine Rennes
321
322-326 Doctrine Katz
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DOCTRI NE
La négociation sur l'emploi à l’épreuve
du nouvel article L. 320-2 du Code du travail
par Tamar KATZ, Docteur en droit, Avocate au Barreau de Paris
PLAN
I. Bref retour sur la GPEC
et sur la contribution de la
négociation collective
A. La "gestion prévisionnelle de
l'emploi et des compétences",
précision terminologique
B. La contribution de la négociation
collective à la mise en place
d'une GPEC
L
ogé au cœur d’un chapitre préliminaire du titre II, livre III du
Code du travail intitulé “Gestion de l’emploi et des compétences. Prévention
des conséquences des mutations économiques”, entre des dispositions
relatives à des formalités administratives et celles pérennisant les accords
dits de méthodes, le nouvel article L 320-2 institue une obligation triennale
de négocier sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.
Désormais, les entreprises et les groupes d’entreprises (1) (au sens
de l’article L 439-1 du Code du travail) occupant au moins 300 salariés ainsi
que dans les entreprises ou groupes de dimension communautaire (au sens
II. Négociation sur la GPEC et
négociation du contenu du
plan de sauvegarde de
l'emploi : quelle construction
conventionnelle de la notion
d'emploi ?
A. Vers une porosité de la ligne de
partage entre gestion
prévisionnelle de l'emploi et
des compétences et plan de
sauvegarde de l'emploi ?
B. D'une définition qualitative de
l'emploi à une définition
quantitative de l'emploi
de l’article L 439-6 al. 2 et 3 du Code du travail) occupant au moins
150 salariés en France, devront négocier tous les trois ans :
– sur les modalités d’information et de consultation du comité
d’entreprise, sur la stratégie (2) de l’entreprise et ses effets prévisibles sur
l’emploi ainsi que sur les salaires ;
– sur la mise en place d’un dispositif de gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences ainsi que sur les mesures d’accompagnement
susceptibles de lui être associées (la formation, la validation des acquis de
l’expérience, le bilan de compétence ainsi que l’accompagnement de la
mobilité professionnelle et géographique des salariés).
Cette négociation pourra également porter sur les matières
mentionnées à l’article L 320-3 du Code du travail notamment, sur les
modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise
applicables lorsque l’employeur envisage un licenciement économique de
plus de dix salariés ainsi que sur l’anticipation du contenu du plan de
sauvegarde de l’emploi.
Pourquoi le nouvel article L 320-2 du Code du travail ? Cette
interrogation, formulée en des termes radicaux, mérite d’être posée tant au
regard du positionnement légal (3) de cette disposition, que de son contenu.
En effet, que signifie l’emplacement d’une obligation de négocier sur la
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences entre déclaration
322
préalable à l’embauche, information des résiliations de contrats à
l’administration du travail et négociation d’accords de méthodes ? Quant au
contenu de cet article, il est tout aussi disparate. Outre le fait que la
négociation collective s’empare dorénavant des procédures d’information et
(1) Une obligation triennale de négociation sur la gestion
prévisionnelle de l’emploi et des compétences est également
prévue au niveau de la branche par l’article L 132-12-2 du Code
du travail. Voir le commentaire de l’article L 320-2, B. Teyssié,
“A propos d’une négociation triennale : commentaire de l’article
L 320-2 du Code du travail”, Dr. soc. 2005 p. 377.
pas illogique. La gestion prévisionnelle de l’emploi et des
compétences est étroitement liée aux objectifs de l’entreprise.
V. les développements à ce sujet de P. Le Cohu, “Une nouvelle
obligation de négocier au niveau de l’entreprise : la gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences”, Les Petites
Affiches 31 mars 2005, p. 24 plus spécialement, p. 25 et 26.
(2) Dans le projet de loi initial, c’était la stratégie elle-même de
l’entreprise qui était l’objet de la négociation, ce qui ne paraît
(3) Ce positionnement légal n’a pas manqué d’interroger,
P. Le Cohu, loc. cit.
322-326 Doctrine Katz
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de consultation du comité d’entreprise (4), c’est la possibilité offerte à une négociation unique de porter
tout à la fois sur la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), et sur l’anticipation du
contenu du plan de sauvegarde de l’emploi qui interroge.
La négociation sur la GPEC et celle portant sur le contenu du plan de sauvegarde d’emploi
paraissent renfermer deux logiques distinctes de négociation sur l’emploi : l’une qualitative, l’autre
quantitative. Tisser un lien entre ces deux logiques ne saurait dès lors être anodin et il semble que soit en
jeu, la construction conventionnelle de la notion d’emploi (II). Pour comprendre ce passage d’une logique
à une autre, voire ce détournement de logiques, il semble nécessaire de revenir sur la signification de la
gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences ainsi que sur la contribution de la négociation
collective en ce domaine (I).
■ I. Bref retour sur la GPEC ■
et sur la contribution de la négociation collective
Aussi
curieux
que
cela
puisse
paraître,
ces
chose nouvelle. Avant-gardiste, la contribution de la
consécrations législatives successives n’avancent aucune
négociation collective en ce domaine est décisive. En
définition de la GPEC et une précision terminologique
effet, l’Accord national interprofessionnel du 10 février
s’impose (A). Reste à savoir si la contribution historique
1969 relatif à la “sécurité de l’emploi” reconnaissait déjà
de la négociation collective dans ce domaine pourrait
la nécessité d’un effort de prévision (5). Ce n’est que
être renforcée à l’aune de la nouvelle obligation triennale
vingt ans plus tard que l’idée d’une gestion prévisionnelle
de négocier (B).
de l’emploi intègre le Code du travail avec la loi du 2 août
1989 relative à la prévention économique et sociale des
licenciements économiques. Aux termes de l’article
A. La “gestion prévisionnelle de l’emploi et des
compétences”, précision terminologique
L 431-1-1, le comité d’entreprise doit être régulièrement
Consacrée par de nombreuses dispositions éparpillées
informé de l’évolution des effectifs. Chaque année,
dans le Code du travail, la gestion prévisionnelle des
l’employeur doit lui communiquer ses objectifs et ses
emplois et des compétences n’en demeure pas moins
prévisions en termes d’emploi et de qualifications et
un “objet largement polysémique” (6), nécessitant une
préciser les mesures qu’il compte prendre pour faciliter
clarification terminologique (6 bis).
l’adaptation des salariés aux nouvelles technologies. Les
prévisions d’emploi figurent également parmi les
C’est sans doute aux gestionnaires que revient la
définition la plus aboutie (7).
informations qui doivent être fournies aux délégués
Une distinction s’impose d’emblée. La GPEC n’est pas
syndicaux lors de la négociation annuelle obligatoire
réductible à une gestion prévisionnelle des effectifs. Cette
(article L 132-27). Plus récemment, l’article L 934-1 sur
dernière, se limite à adapter à l’avance le volume
les orientations de la formation professionnelle et l’article
d’emploi aux évolutions du marché. Aussi, l’entreprise
L 930-1 sur l’adaptation du salarié à son poste de travail,
cherche-t-elle à prévoir les effectifs qui lui seront
se réfèrent tous deux à la GPEC.
nécessaires à court terme et partant, à réajuster le
(4) Voir les contributions dans ce numéro de S. Nadal p. 303 et
P. Rennes p. 311 ainsi que les observations de E. Gayat sous
l’art. L. 320-3 dans la deuxième partie de ce numéro p. 349.
(5) Accord national interprofessionnel du 10 février 1969 relatif à la
sécurité de l’emploi, Dr. soc., 1969, p. 246. Selon le Préambule
de l’accord, “les entreprises doivent jouer leur rôle dans cette
politique de sécurité de l’emploi. Dans tous les cas, elles doivent
s’efforcer de faire des prévisions de façon à établir les bases
d’une politique de l’emploi. Lorsqu’elles entreprennent des
opérations de fusion, de concentration (…), elles doivent
intégrer dans leurs études préliminaires les incidences
prévisibles en ce qui concerne l’emploi et préparer les solutions
permettant de réduire les éventuels licenciements notamment
par un effort de formation facilitant les mutations internes” ; voir
également Y. Delamotte, “L’Accord interprofessionnel sur la
sécurité de l’emploi du 10 févier 1969”, Dr. soc. 1969, p. 498.
Cet accord a été modifié par un avenant du 21 novembre 1974.
(6) C. Gavini, Vers une régulation juridique de l’emploi ? La
négociation et l’application des accords de gestion
prévisionnelle de l’emploi et des compétences, Thèse
Université de Marne La Vallée-Ecole Normale Supérieure de
Cachan du 9 janvier 1995, p. 27. Cette thèse a été publiée, sous
une forme remaniée, sous le titre Emploi et régulation – Les
nouvelles pratiques de l’entreprise, CNRS Ed., 1998.
(6 bis) Sur la signification de cette notion, v. infra M.-F. BiedCharreton p. 343.
(7) L. Mallet, Gestion prévisionnelle de l’emploi, éd. Liaisons
1994. Voir également, Association “Développement et Emploi”,
D. Thierry, Le gestion prévisionnelle et préventive des emplois
et des compétences, éd. L’Harmattan 1990 et C. Sauret, “La
gestion de l’emploi et des compétences”, Personnel n° 331
mars-avril 1992.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
L’approche préventive en matière d’emploi n’est pas
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322-326 Doctrine Katz
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volume d’emploi par le recours aux licenciements ou aux
embauches.
B. La contribution de la négociation collective à
la mise en place d’une GPEC
En revanche, la gestion prévisionnelle et préventive –
Si l’Accord national interprofessionnel de 1969 sur la
terme qui n’a pas été repris par le législateur – des
“sécurité de l’emploi” n’a eu qu’un faible impact, la
emplois et des compétences tend à prendre en compte
véritable contribution de la négociation collective à la
l’ensemble des aspects de la gestion des ressources
mise en place d’une GPEC au sein des entreprises
humaines : l’emploi, la qualification, le développement
remonte aux années quatre-vingt dix. Sous le vocable
personnel du salarié, la motivation, la mobilité etc. Il s’agit
“accords collectifs relatifs à la gestion prévisionnelle des
de prévoir les évolutions de l’ensemble de ces données
emplois et des compétences”, la négociation collective
afin d’assurer une gestion efficace du facteur travail (8).
Ainsi, les entreprises chercheront à anticiper quels
s’est en effet emparée de la logique des compétences
(10).
effectifs devront être mobilisés pour répondre aux
Comme cela a pu être remarqué, l’originalité la plus
évolutions de la demande, mais aussi la nature des
notable de cette négociation résidait dans le fait de
emplois nécessaires. La GPEC suppose donc d’adapter
les salariés présents dans l’entreprise plutôt que de leur
substituer d’autres salariés (9).
Il résulte de cette définition que la GPEC invite à
distinguer plusieurs étapes successives. La première
consiste à dresser un inventaire des emplois existants
favoriser “l’émergence d’une articulation entre l’emploi,
la formation et la mobilité professionnelle” alors que le
cadre légal manquait cruellement de cohérence (11).
Ainsi, nombreux étaient les accords qui visaient à
appréhender le plus justement possible les évolutions des
emplois et des compétences pour favoriser l’adaptation
des salariés auxdites évolutions (12). Un exemple topique
dans l’entreprise. La seconde tend à identifier les besoins
peut être donné avec l’accord Electricité de Strasbourg
futurs pour chaque catégorie d’emplois, l’évaluation de
pour le développement de l’emploi et une nouvelle
ces besoins se faisant non seulement en termes de
dynamique sociale (13). Au terme de cet accord, une
postes mais également en termes de compétences. Les
étude relative à une meilleure connaissance des emplois
écarts constatés entre les ressources existantes et les
et des métiers actuels ainsi que des évolutions prévisibles
besoins futurs seront comblés par des mesures tendant à
en fonction des changements techniques et socio-
la mobilité et à la formation.
culturels devait être entreprise, notamment à travers
Retenons ainsi que l’objectif de la GPEC est avant tout
préventif. La prévision porte à la fois sur le contenu de
l’emploi (nature de l’emploi, évolution des qualifications
requises) et sur les compétences des salariés présents
dans l’entreprise et occupant les emplois identifiés
comme devant évoluer.
A cet objectif la négociation collective a fortement
contribué.
l’élaboration d’un “catalogue des métiers” dans lequel
seront décrits les différents métiers et postes. L’entreprise
s’engageait également à développer ses connaissances
relatives au “portefeuille de compétences parallèlement à
l’inventaire des emplois”.
Ces dernières années cependant, le nombre d’accords
relatifs à la gestion prévisionnelle des emplois et des
compétences conclus est en baisse, ce thème étant à la
marge des négociations en faveur de l’emploi (14) qui
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
privilégient la finalité d’emploi (15).
324
(8) Selon l’Association “Développement et Emploi”, la gestion
prévisionnelle et préventive de l’emploi et des compétences
signifie “la conception, la mise en œuvre et le suivi de
politiques et de plans d’actions cohérents visant à réduire de
façon anticipée les écarts entre les besoins et les ressources
humaines de l’entreprise (en termes d’effectifs et de
compétences) en fonction de plans stratégiques et impliquant le
salarié dans le cadre d’un projet d’évolutions prévisionnelles”,
D. Thierry, op. cit.
(9) C. Gavini, op. cit. p. 31.
(10) A. Lyon-Caen, “Le droit et la gestion des compétences”,
Dr. soc. p. 577, n° 14. Voir également le Bilan de la
négociation collective 1992.
(11) C. Gavini, op. cit. p. 33.
(12) Accord sur l’emploi, la formation et la mobilité du GAN du
23 avril 1990, Liaisons sociales, C3, n° 6377. Dans le même
esprit, voir l’Accord du groupe CIC sur l’emploi, la formation
et la mobilité du 3 mai 1990, Liaisons sociales, C3, n° 6380 et
l’accord sur la gestion prévisionnelle et préventive de l’emploi
et des compétences à Groupama Central du 14 avril 1992,
Liaisons sociales, C3, n° 6686.
(13) Electricité de Strasbourg : Accord du 4 mai 1995 pour le
développement de l’emploi et une nouvelle dynamique
sociale, Liaison sociales, C3, n° 7342.
(14) Selon le Bilan de la négociation collective de 1999, “au fil des
ans, [on constate] la faiblesse des dispositions relatives à la
reconnaissance des compétences acquises du fait d’actions de
formation ainsi que celles relatives à la validation des acquis”,
tome II, p. 130. A signaler tout de même, l’accord Philips
France signé le 13 avril 1999, Accord-cadre portant sur
l’organisation, la durée du travail, la formation et l’emploi,
Liaisons sociales, C3, n° 55.
(15) A. Lyon-Caen, “L’emploi comme objet de la négociation
collective”, Dr. soc. 1998 p. 316.
322-326 Doctrine Katz
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Doit-on dès lors voir dans le nouvel article L 320-2 du
Code du travail un signe annonciateur du renouveau
de l’emploi pourrait engendrer le risque d’une confusion
de logiques réduisant la GPEC à une simple gestion des
d’une négociation qualitative de l’emploi ?
Il est permis d’en douter. Le lien (16) établi par le
effectifs.
législateur entre GPEC et contenu du plan de sauvegarde
■ II. Négociation sur la GPEC ■
et négociation du contenu du plan de sauvegarde de l’emploi :
quelle construction conventionnelle de la notion d’emploi ?
La réponse à cette question suppose de revenir sur la
La possibilité ouverte par l’article L 320-2 du Code du
ligne de partage entre gestion prévisionnelle de l’emploi
travail de négocier toute à la fois sur la GPEC ainsi que
et plan de sauvegarde de l’emploi (17). Le nouvel article
sur le contenu de plan de sauvegarde de l’emploi
L 320-2 du Code du travail pourrait bien contribuer à la
viendrait ainsi brouiller une ligne de partage déjà
brouiller (A). Partant, la construction conventionnelle de
malmenée.
A. Vers une porosité de la ligne de partage
Ces difficultés proviennent sans doute du fait que la
GPEC, comme le plan de sauvegarde de l’emploi
entre gestion prévisionnelle de l’emploi et
s’apparentent à des actes de gestion de l’emploi. Ils ont
des compétences et plan de sauvegarde de
tous deux pour origine – ou pour cause – la “mise en
l’emploi ?
cause de l’emploi” (20).
Du célèbre arrêt IBM du 12 janvier 1999 (18) on
pouvait déduire que la ligne de partage entre plan social
(selon la terminologie antérieure) et GPEC était la
Néanmoins,
alors
que
la
GPEC
concerne
essentiellement une mise en cause du contenu (21)
(transformation) de l’emploi, le plan de sauvegarde de
rupture du contrat de travail. La Chambre sociale avait en
l’emploi est plus directement la conséquence d’une mise
effet considéré que “le projet consistant à rechercher
en cause de l’existence (22) de l’emploi (suppression
parmi les salariés ceux qui seraient candidats à des
d’emplois).
mesures n’entraînant pas la rupture du contrat de travail
Aussi ne s’agît-il pas d’une gestion identique de
(…) constitue une mesure de gestion prévisionnelle du
l’emploi. Ce qui est recherché dans la GPEC est le
personnel qui ne donne lieu qu’à la consultation prévue
maintien du lien d’emploi et, dans cette logique, la mise
à l’article L 432-1 du Code du travail”.
en cause du contenu de l’emploi se fait de manière
Cette solution est pourtant loin d’emporter la
préventive et progressive. Elle s’inscrit dans une certaine
conviction. En réalité, les incertitudes qui caractérisent la
temporalité. En revanche, ce qui est davantage à l’œuvre
délimitation des champs respectifs de la GPEC et du plan
dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi –
de sauvegarde de l’emploi sont anciennes. Et les
nonobstant cette appellation – est une gestion de la
tentatives de distinction qui ont été entreprises (19), ne
perte d’emploi et la mise en cause de l’emploi se fait
sont jamais parvenues à totalement les dissiper.
habituellement de manière plus brusque.
(16) Signe de l’établissement d’un lien fort entre l’obligation
triennale de négocier sur la gestion prévisionnelle de l’emploi
et des compétences et la consécration des accords de
méthodes sur le contenu du Plan de sauvegarde de l’emploi
est leur regroupement sous un article unique (article 72
devenu l’article 37-2). Les débats parlementaires portent
d’ailleurs pour l’essentiel sur les accords de méthodes et leur
contenu. Débats Assemblée Nationale J.O. 3ème séance du
2 décembre 2004 p. 10457 et suivantes.
(17) V. également la contribution dans ce numéro d’I. Meyrat
p. 296.
(18) Cass. soc. 12 janvier 1999, Bull. civ. V n° 17. V. Y. Chauvy, “La
consultation du comité d’entreprise sur la modification
collective des contrats de travail avant licenciement
économique”, Dr. Ouv. 1999 p. 427
(19) H.-J. Legrand, “La pertinence du projet de licenciement
collectif”, Dr. Ouv. 1994 p. 4.
(20) Cette expression est empruntée à H.-J. Legrand, loc. cit.,
Dr. Ouv. 1994 p. 4 et s.
(21) Le contenu de l’emploi signifie une définition des
caractéristiques ou propriétés de l’emploi (principales tâches
ou fonctions) au sein d’une organisation ou une hiérarchie
d’emplois. Ce sont les grilles conventionnelles de
classification qui offrent traditionnellement les définitions les
plus abouties du contenu de l’emploi ; voir également infra II
B.
(22) H.-J. Legrand, loc. cit.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
l’emploi n’en serait que plus énigmatique encore (B).
325
322-326 Doctrine Katz
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Page 326
Le nouvel article L 320-2 du Code du travail voudrait
pourtant réunir ces deux logiques et ces deux
l’élasticité, correspond à l’extension que peut prendre
l’emploi selon la façon dont le titulaire occupe celui-ci.
temporalités en une seule négociation. Et l’on peut
La notion d’emploi gagne ainsi en plasticité, elle
légitiment s’interroger sur cette confusion des genres.
s’apparente à un “champ de permutabilité” (29) ou
Alors que certains pourraient y voir le renforcement de
l’objectif de “sauvegarde de l’emploi” (22 bis), faire de la
GPEC un prélude (23) aux licenciements pour motif
économique s’apparente à un détournement majeur
(24) et regrettable de celle-ci. Comme cela a été
encore à une “aire de mobilité”. Et, cette malléabilité
devrait contribuer à l’objectif du maintien du lien
d’emploi.
Cette première conception de l’emploi semble, en
souligné, si la GPEC contribue sans doute à éviter les
revanche, occuper une place résiduelle dans le cadre
licenciements, elle ne saurait servir à les préparer (25).
d’une négociation portant sur le contenu du plan de
Alors qu’une réhabilitation d’une ligne de partage entre
GPEC et plan de sauvegarde l’emploi semble possible,
c’est la tendance vers une plus grande porosité qui
s’affirme. Cette dernière n’est pas sans incidence sur la
construction conventionnelle de l’emploi.
sauvegarde de l’emploi. Ce n’est plus tant le contenu de
l’emploi – à savoir, ses principales propriétés – qui est en
cause mais son existence. La négociation ne vise plus, en
effet, l’évolution prévisible des caractéristiques des
emplois mais identifie les emplois amenés à disparaître.
C’est ainsi davantage une conception comptable et
B. D’une définition qualitative de l’emploi à
une définition quantitative de l’emploi
quantitative de l’emploi qui est privilégiée.
Certes, l’accord anticipant le contenu du plan de
Si l’on admet que la négociation collective contribue à
sauvegarde de l’emploi comportera des mesures
la construction de la notion juridique d’emploi, celle-ci
relatives au reclassement des salariés et pourra même
n’est pas toujours conçue de la même manière.
“organiser la mise en œuvre d’actions de mobilité
L’emploi peut être conçu dans sa teneur. C’est alors
professionnelle et géographique au sein de l’entreprise
une définition de ses principales propriétés qui sera
ou du groupe” (nouvel article L 320-3 du Code du
privilégiée. La particularité de la négociation collective sur
travail) mais il apparaît que, le succès de ces mesures est
la GPEC est d’appréhender l’emploi tout à la fois sous “le
étroitement
registre des postes” et sous celui des “qualités” (26). Le
conceptions de l’emploi qui auraient été retenues dans le
registre des postes renvoie aux caractéristiques ou aux
cadre négocié de la GPEC.
dépendant
des
définitions
et
des
spécifications des emplois de l’entreprise. Ceux-ci
peuvent être définis en référence à un poste singulier de
travail décrit en termes de tâches précises ou encore en
*
*
*
référence à une “catégorie d’emploi” qui s’apparente à
une “agrégations de postes proches” (27). Le registre
des qualités, quant à lui, prend en compte les
compétences
individuelles
des
salariés,
leurs
connaissances ainsi que leur expérience.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
comme la différence de chacune des logiques de
négociation sur l’emploi. A défaut, l’approche quantitative
Cette approche globale permet d’envisager l’emploi
de l’emploi risquerait de l’emporter sur l’approche
aussi bien dans sa “variabilité” que dans son “élasticité”
qualitative, réduisant les partenaires sociaux à de simples
(28). La variabilité de l’emploi reflète l’incidence de
gestionnaires des effectifs.
facteurs liés à l’environnement sur son évolution ;
326
Mieux vaut donc respecter la temporalité intrinsèque
(22 bis) C. Radé, “Feu la jurisprudence Framatome et Majorette (à
propos de l’article 73 de la loi du 18 janvier 2005)”, publié
dans Dr. soc. 2005 p. 386.
(23) P. Le Cohu, loc. cit., Les Petites Affiches 31 mars 2005, p. 24.
(24) H.-J. Legrand, Intervention en date du 14 avril 2005 à la
Commission ouverte de droit social du Barreau de Paris.
(25) P. Le Cohu, loc. cit. ; M.-F. Bied-Charreton préc.
(26) A. Lyon-Caen, loc. cit. Dr. soc. 1992 p. 573.
(27) M.-L. Morin et L. Mallet, “La détermination de l’emploi
occupé”, Dr. soc. 1996, p. 660.
(28) A cet égard, voir les intéressantes études relatives à “l’emploitype étudié dans sa dynamique (ETED)”. Il s’agit d’une
Tamar Katz
méthode de gestion susceptible d’ouvrir la voie à une
anticipation dans la gestion de l’emploi en même temps qu’à
une analyse des liens entre les travailleurs et l’organisation de
manière à faciliter la mobilité, v. notamment, “Les analyses du
travail : enjeux et formes”, CÉREQ Collection des Etudes,
n° 54, mars 1990 ; “La gestion prévisionnelle des
compétences : La méthode emploi-type étudié dans sa
dynamique (ETED),”, CÉREQ Collection des Etudes, n° 57,
décembre 1990, p. 24 et “Questions ouvertes à propos des
méthodes d’analyse des emplois et des compétences”, CÉREQ
Document n° 126, Cahier ETED n° 1, juillet 1997.
(29) H.-J. Legrand, “L’ordre des licenciements ou l’identification du
salarié atteint par une suppression d’emploi”, Dr. soc. 1995
p. 243.
327-334 Doctrine Baumgarten
26/07/05
15:16
Page 327
DOCTRI NE
Les garanties de procédure issues de la loi Borloo :
ordre du jour du comité d’entreprise
et délais de recours contentieux
par Christophe BAUMGARTEN, Avocat au Barreau de Bobigny
PLAN
I. De l’écart entre la
représentation des employeurs
de leur insécurité juridique et
la réalité
A. L’affaire Euridep
B. Les causes légitimes de refus
du secrétaire de signer
l’ordre du jour
C
haque décision de la Cour de cassation qui remet en cause la
validité d’une procédure de licenciement, avec pour effet d’ouvrir un droit à
réintégration aux salariés licenciés, mobilise le patronat pour réclamer la
“sécurisation” des décisions de licenciement des employeurs. Les
arguments avancés tiennent en quelques formules : règles de procédure
trop nombreuses et trop complexes exploitées de façon dilatoire par les
représentants du personnel, incertitudes du droit applicable, compte tenu
des revirements de jurisprudence, et enfin lenteur des procédures, qui,
quand l’employeur succombe au procès, impose des mesures de remise en
II. Des dispositions peu claires,
sources de contentieux, qui
laissent en suspend plus de
questions qu’elles n’apportent
de réponses
A. Sécurité juridique
et ordre du jour
B. Sécurité juridique
par la prescription
état d’autant plus coûteuses et complexes à mettre en œuvre, qu’un fort
laps de temps s’est écoulé depuis la décision annulée.
Dans cette quête de la sécurité juridique, une première brèche a été
ouverte en permettant aux entreprises de signer avec les organisations
syndicales des accords dérogeant à certaines dispositions légales relatives à
la procédure de consultation des instances représentatives du personnel,
dits “accords de méthode” (1). Seuls 15 % de ces accords comportent des
clauses de renonciation à d’éventuels recours, sans doute parce que les
employeurs ne proposent pas grand chose en contrepartie.
Egalement des voix se sont élevées contre les effets des revirements
de jurisprudence, notamment à la suite de l’arrêt de la Cour de cassation
décidant qu’une clause de non concurrence insérée dans un contrat de
travail ne doit pas produire effet si l’entrave à la liberté du travail qu’elle
impose au salarié est dépourvue de contrepartie financière (2). Le rapport
remis le 30 novembre 2004 au Premier président de la Cour de cassation
préconisait que la Haute juridiction, lorsqu’elle modifie sa jurisprudence
antérieure, puisse moduler dans le temps les effets de sa décision et
s’abstenir d’appliquer aux litiges dont elle est saisie la règle nouvelle qu’elle
entend substituer à celle qu’elle suivait précédemment (3).
18 janvier 2005 a introduit dans le Code du Travail deux séries de
dispositions destinées à “sécuriser” les employeurs dans leurs décisions.
Il s’agit en premier lieu, selon les auteurs du texte, de faire obstacle,
en amont de la consultation, au refus dilatoire du secrétaire du comité
(1) Sur “l’expérimentation” des accords de méthode par la loi du
3 janvier 2003 v. les “Réflexions autour des accords de
méthode et de la loi Fillon”, Dr. Ouv. 2003 p. 358 ; sur le
nouveau dispositif inséré à l’art. L. 320-3 v. les contributions
dans le présent numéro de S. Nadal p. 303, P. Rennes p. 311 et
E. Gayat p. 349.
(2) Cass. Soc. 10 juil. 2002 Dr. Ouv. 2002 p.533 n. D. Taté, rapp.
C. Cass. 2002 Dr. Ouv. 2003 p. 321, RPDS 2002 p. 350 n.
M. Carles.
(3) Sur ce rapport et les conséquences qui découleraient de
l’adoption de ses propositions v. les différentes contributions
contenues dans le Dr. Ouv. d’avril 2005.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Si ni cette proposition, ni comme nous l’avons vu, les négociations
dans les entreprises, n’ont abouti ou produit les effets escomptés, la loi du
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d’entreprise de signer l’ordre du jour, refus qui aurait pour but et pour effet de retarder la consultation du
comité d’entreprise en imposant à l’employeur de saisir le Juge des référés pour faire fixer cet ordre du
jour. Dès lors, si comme auparavant, “l’ordre du jour est arrêté par le chef d’entreprise et le secrétaire”, le
deuxième alinéa de l’article L 434-3 est complété de la façon suivante : “toutefois, lorsque sont en cause
des consultations rendues obligatoires par une disposition législative, réglementaire ou par un accord
collectif de travail, elles y sont inscrites de plein droit par l’un ou par l’autre…”. S’agissant du comité
central d’entreprise, l’avant dernier alinéa de l’article L 435-4 est complété de la même façon.
En second lieu, il s’est agit, toujours selon les auteurs du texte, d’éviter que les décisions de
l’employeur ne soient remises en cause longtemps après qu’elles aient été prises, et que l’entreprise se
voit contrainte de mettre en œuvre des mesures de remise en état tardives et pénalisantes
financièrement. A cette fin, le nouvel article L 321-16 du Code du travail prévoit que “toute action en
référé portant sur la régularité de la procédure de consultation doit, à peine d’irrecevabilité, être
introduite dans un délai de quinze jours suivant chacune des réunions du comité d’entreprise.
Toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze
mois à compter de la dernière réunion du comité d’entreprise ou, dans le cadre de l’exercice par le
salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter de la
notification de celui-ci. Ce délai n’est opposable au salarié que s’il en a été fait mention dans la lettre de
licenciement.”
Les exemples dont sont partis les tenants de ces réformes pour illustrer l’insécurité à laquelle font
face les employeurs quand ils licencient sont mal choisis ou mal analysés (I). C’est sans doute pourquoi
les remèdes de la loi du 18 janvier 2005 s’avèrent inefficaces au regard de l’objectif fixé, voire quelquefois
pires que le mal allégué (II).
■
I. De l’écart entre la représentation des employeurs ■
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
de leur insécurité juridique et la réalité
328
Le risque et l’incertitude juridiques sont inhérents aux
décisions du chef d’entreprise, que ce soit face au droit
du travail, au droit commercial, au droit des sociétés ou
au droit fiscal. Pourtant, pour ne prendre qu’un seul
exemple, quand des décisions de la commission
européenne en matière de concurrence remettent en
cause des opérations de fusion plusieurs mois après leur
réalisation, aucune voix ne s’élève pour réclamer une
quelconque « sécurisation ». Il faut dire que, dans ces
hypothèses, comme ce fut le cas par exemple à
l’occasion de l’achat de Legrand par Schneider, les
actionnaires conservent leur mise, alors que les salariés
ne voient pas remettre en cause les mesures de
réorganisation consécutives à ces opérations, encore
moins leurs conséquences sur l’emploi, et assistent
impuissants à la vente par lots de leur entreprise
Le sentiment d’insécurité juridique des entreprises, ou
tout du moins son expression, est en fait essentiellement
limité au droit du licenciement. Ainsi, tout au long des
débats parlementaires, qui ont précédé l’adoption de la
loi du 18 janvier 2005, a plané l’ombre des décisions
rendues par le Conseil de prud’hommes de Soissons
dans l’affaire Wolber et par la Cour de cassation dans
l’affaire Euridep (A).
Beaucoup également a été dit sur ces Secrétaires de
comités d’entreprise qui, pour retarder la procédure en
obligeant l’entreprise à saisir le juge des référés,
refusaient de signer l’ordre du jour proposé par le
Président du comité d’entreprise (B). Ces situations, à y
regarder de près, n’alimentent pas la thèse d’une
insécurité qui pourrait être limitée voire réglée par le
législateur, car d’une part, le nombre de contentieux
judiciaires est très faible au regard du nombre de
consultations dont les comités d’entreprise font l’objet, et
d’autre part, elles ne révèlent pas une faiblesse des
textes, mais mettent plutôt en cause la manière de faire
des employeurs.
A. L’affaire Euridep
Dans cette affaire, l’employeur ayant présenté au mois
d’octobre 1995 à son comité central d’entreprise un plan
de restructuration entraînant des conséquences
importantes sur l’emploi, et cette première consultation
ayant été annulée par le Tribunal, la société avait de
nouveau procédé à une consultation, qui s’était déroulée
au cours de trois réunions. La première réunion avait été
convoquée sur un ordre du jour établi conjointement
entre le président et le secrétaire du comité d’entreprise.
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Par contre, le président du comité d’entreprise avait fixé
Tout d’abord, parce qu’en l’espèce, ce n’est pas
unilatéralement l’ordre du jour des deux réunions
l’obligation d’établir l’ordre du jour conjointement, ou le
suivantes, alors que la règle de l’article L 434-3 du code
refus dilatoire du secrétaire de le signer, qui a “insécurisé”
du travail selon laquelle « l’ordre du jour est arrêté
l’employeur, mais bien plutôt la violation délibérée par ce
conjointement par le chef d’entreprise et le Secrétaire »
dernier d’une disposition claire de la loi, qui a exposé sa
signifie clairement que ni le président, ni le secrétaire
décision à un risque d’annulation. En second lieu, le
n’est en droit de fixer unilatéralement l’ordre du jour
comité d’entreprise avait saisi très rapidement le juge du
d’une réunion.
fond à jour fixe, de telle sorte que si l’irrégularité avait été
Sans attendre la fin de la procédure de consultation, le
sanctionnée par le juge, l’employeur pouvait la réparer
comité central d’entreprise avait saisi le Tribunal de
par une nouvelle procédure de consultation, en l’espace
grande instance pour faire sanctionner cette irrégularité
de deux à trois mois, et non sept ans après.
par la nullité des réunions et, par voie de conséquence,
de cette nouvelle procédure de consultation. Tant le
Tribunal de grande instance de Nanterre, que la Cour
d’appel avaient débouté le comité d’entreprise de ses
demandes.
Par arrêt en date du 23 juin 1999 (4) la Cour de
cassation a par contre estimé que le comité d’entreprise
Que le comité d’entreprise ne dispose pour saisir le
juge des référés que d’un délai de quinze jours à
compter de chaque réunion, et non d’un délai expirant
« au terme de la procédure », comme le décidait la Cour
de cassation, ne change rien en terme de sécurité et de
rapidité de la procédure.
«ne pouvait valablement se réunir et délibérer sur un
Par ailleurs, si cette décision, en ce qu’elle sanctionne
ordre du jour fixé unilatéralement par le chef
les irrégularités de la procédure de consultation par la
d’entreprise». La Cour d’appel de renvoi a tiré toutes les
nullité de la procédure de licenciement, constitue bien un
conséquences de cette décision en déclarant nulle et de
revirement, la solution selon laquelle le Président n’est
nul effet la nouvelle procédure de licenciement, ainsi que
pas en droit d’établir unilatéralement l’ordre du jour
le plan social présenté au comité d’entreprise dans le
s’évinçait de la seule lecture du texte. L’employeur n’avait
cadre de cette procédure (5).
donc aucune incertitude sur la règle applicable, et la
Par arrêt en date du 14 janvier 2003 (6), la Cour de
cassation confirmait cette décision, en précisant que « si
rétroactivité des arrêts de cassation n’était pas non plus à
cet égard en cause.
l’absence d’un plan social ou la nullité de celui-ci
Enfin, l’écoulement des sept années n’est pas du à la
entraîne la nullité de la procédure de licenciement, la
longueur des délais de prescription, pas même d’ailleurs
nullité est également encourue lorsque, le comité
seulement à la lenteur de la justice, mais aux irrégularités
d’entreprise
successives commises par l’employeur, à sa fuite en
n’ayant
pas
été
valablement
saisi,
l’irrégularité a été soulevée avant le terme de la
procédure à un moment où elle pouvait encore être
suspendue et reprise et que l’employeur a néanmoins
notifié les licenciements ».
La société Euridep a donc dû, sept ans après avoir
présenté pour la première fois son projet de
restructuration, réintégrer les salariés licenciés ou les
indemniser. Fallait-il pour autant légiférer pour sécuriser
les employeurs placés face à de telles situations ? Plus
avant devant les irrégularités dénoncées, et peut-être
aussi à la réticence de certains juges du fond, pour des
motifs d’opportunité, à condamner un employeur malgré
la violation de dispositions claires de la loi. Une décision
d’annulation rendue en première instance ou en cause
d’appel était de nature à lever toute incertitude en
invitant l’employeur à mettre en oeuvre sans attendre
une procédure régulière.
précisément, permettre à l’employeur de porter de plein
Pour conclure, quand une entreprise viole des
droit une question à l’ordre du jour, malgré l’opposition
dispositions de la loi commerciale ou fiscale et que cette
du secrétaire, ou bien enfermer l’action en référé portant
violation entraîne des conséquences dommageables
sur la régularité des réunions dans un délai de quinze
pour l’entreprise, personne n’en vient à penser et encore
jours à compter de chaque réunion, ou enfermer dans le
moins à soutenir qu’il faudrait sécuriser l’entreprise en
délai de douze mois l’action au fond portant sur la
infraction, et au nom de la sécurité, lui offrir l’impunité.
régularité ou la validité des licenciements, répond-il à la
C’est pourtant ce que les employeurs ont demandé et
question posée par les arrêts Euridep ? A l’évidence non.
obtenu.
(4) Pourvoi n° 97-17860 Dr. Ouv. 1999 p. 453 n. M. Cohen.
(5) Cour d’appel de Paris 14 février 2001, RPDS 2002 p. 55.
(6) Cass. Soc. 14 janvier 2003, SA Euridep c/ Comité d’entreprise
UES Kalon France, Bull. civ. V n° 5, Dr. Ouv. 2003 p.152 n.
M. Cohen.
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B. Les causes légitimes de refus du secrétaire
de signer l’ordre du jour
Mais surtout, les juges sont souvent amenés à
constater que le refus du Secrétaire de signer l’ordre du
Il est inexact de présenter comme systématique et
dilatoire le refus de Secrétaires de comités d’entreprise de
signer l’ordre du jour proposé par l’employeur, dans des
hypothèses où il entendait consulter le comité d’entreprise
dans le cadre d’obligations légales ou réglementaires
jour était justifié, soit que la question proposée était
insuffisamment précise, soit qu’en violation de l’article
L 431-5 du Code du travail l’information remise
préalablement était insuffisante pour qu’un débat puisse
s’engager et permette au comité d’entreprise de rendre
un avis éclairé et motivé, ou bien encore que les délais
Tout d’abord, au regard des très nombreuses
d’examen de ces informations n’étaient pas suffisants, ou
consultations qu’engagent les entreprises sur des
qu’un litige avait surgi quant à l’ordre de présentation des
décisions entraînant des conséquences sur l’emploi, le
questions figurant à l’ordre du jour, soit enfin que
nombre de contentieux consécutifs au refus du secrétaire
l’employeur avait refusé l’inscription par le secrétaire
de signer l’ordre du jour proposé par le président est
d’une question qui lui paraissait devoir être examinée
extrêmement faible. Face à de telles situations, il est
préalablement.
depuis longtemps constant que le juge des référés
Nous allons le voir, la nouvelle formulation de l’article
dispose des pouvoirs pour statuer et fixer un ordre du
L 434-3 et le nouvel article L 321-16 du Code du travail
jour (7). Statuant le plus souvent selon la procédure du
non seulement ne sécurisent pas les décisions des
référé d’heure à heure, la réunion du comité d’entreprise
employeurs, mais posent de nouvelles questions,
n’est différée que de quelques jours.
sources de contentieux.
■ II. Des dispositions peu claires, sources de contentieux, ■
qui laissent en suspend plus de questions qu’elles n’apportent de réponses
Rappelons les
gouvernement :
objectifs
que
s’était
fixé
le
– en amont de chaque réunion, faire obstacle au
contentieux portant sur l’ordre du jour ;
– enfermer le contentieux relatif à la régularité des
réunions dans un délai de quinze jours courant à
compter de chaque réunion ;
A. Sécurité juridique et ordre du jour
1. Que doit-on comprendre par « consultations rendues
obligatoires par une disposition législative, réglementaire
ou par un accord collectif de travail » ? Ou plutôt, quelles
consultations échappent à la règle posée à l’article L 4343 du Code du travail ? En effet, pour ne parler que des
consultations « rendues obligatoires par les dispositions
législatives », rappelons que l’article L 432-1 du Code du
travail prévoit que “dans l’ordre économique, le comité
entreprise est obligatoirement informé et consulté sur les
questions intéressant l’organisation, la gestion et la
marche générale de l’entreprise...”.
Les premiers contentieux relatifs à l’application de ces
nouvelles dispositions n’ont pas tardé : le TGI d’Angers a
récemment décidé (8) que les nouvelles dispositions de
l’article L 434-3 du Code du travail ne dispensent pas le
Président du comité de rechercher un accord avec le
Secrétaire (8 bis). Ce n’est qu’en cas d’échec dans la
recherche de cet accord que « lorsque sont en cause des
consultations rendues obligatoires par une disposition
législative, réglementaire ou par un accord collectif de
travail » (A), « elles y sont inscrites de plein droit » par le
Cette formulation très large englobe le périmètre des
prérogatives du comité d’entreprise en matière
économique. C’est ce qu’avait d’ailleurs relevé le
rapporteur de la commission des affaires culturelles à
l’assemblée nationale, en déclarant que « toutes les
consultations du comité d’entreprise pouvant à la limite
être considérées comme obligatoires (puisque
énumérées dans la loi…), la faculté d’inscrire “de plein
droit” à l’ordre du jour les consultations obligatoires qui
est offerte au Secrétaire du comité par le présent article
– enfermer celui relatif à la régularité et à la validité des
licenciements dans le délai d’un an courant à compter de
la fin de la procédure ou, s’agissant de l’action
individuelle du salarié, de la lettre de licenciement.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
C’est au regard de ces objectifs qu’il faut analyser et
apprécier les nouvelles dispositions.
330
chef d’entreprise ou le secrétaire (B). Nous examinerons
successivement les difficultés que soulèvent les deux
termes de cette disposition.
(7) La reconnaissance, par l’arrêt Plasco (Cass. Soc. 8 juil. 1997,
Dr. Ouv. 1998 p. 369 n. de Senga), de ce pouvoir ne fait que
confirmer une intervention fort ancienne du juge des référés en
la matière (TGI Paris, 15 et 16 fév. 1979, Dr. Ouv. 1979 p. 383).
(8) Référé 3 mars 2005, Comité d’entreprise de l’UES NEC Angers
c/ NEC Computers Angers, à paraître au Dr. Ouv. n. F.S.
(8 bis) v. infra p. 355 les développements de L. Milet relatifs à
l’obligation d’élaboration conjointe.
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peut aussi être vue comme très favorable aux intérêts
des représentants du personnel ».
Dès lors, chaque réunion peut faire l’objet d’une
inscription à l’ordre du jour d’un nombre illimité de
questions... sauf à ce que le juge, à la demande du
Président ou du Secrétaire, vienne à en restreindre le
nombre.
La saisine du juge des référés sera alors d’autant plus
inutile que sa compétence suppose l’existence d’un
différend, c’est-à-dire en l’occurrence « d’une difficulté
résultant du désaccord sur les questions à porter à
l’ordre du jour » (12) : dès lors que la question est
inscrite à l’ordre du jour par le simple effet de la loi, il
n’existe aucun différend possible. C’est ce qui d’ailleurs
résulte des débats parlementaires, à l’issue desquels les
Nous ne partageons pas ce point de vue, car
l’expression “de plein droit”, signifie « par le seul effet de
la loi, dès lors que le Président ou le Secrétaire en
exprime la volonté », sans obéir à un quelconque
formalisme (de la même façon qu’en cas de cession
d’une entité économique autonome, le transfert des
contrats de travail s’opère de plein droit, sans formalisme
et sans que les parties au contrat de travail ne puissent
s’y opposer). Bien sûr le comité d’entreprise ne peut
valablement délibérer que sur des questions
formellement portées à l’ordre du jour (9), qui doit être
adressé aux membres du comité d’entreprise au moins
trois jours avant la réunion. Cependant, la loi ne prévoit
pas que la prérogative et la charge de l’envoi de l’ordre
du jour revienne au Président, puisque la loi ne traite que
de son obligation d’envoyer les convocations.
amendements tendant à ce que soit reconnue la
prééminence du président du comité d’entreprise dans la
fixation de l’ordre du jour ont été rejetés.
De la même façon, le rapport de la Commission des
affaires sociales, déposé le 18 novembre 2004 à
l’assemblée nationale, après avoir rappelé l’économie du
texte, précise que « cette rédaction a pour objet
d’assurer la validité juridique de l’ordre du jour fixé
unilatéralement, notamment par l’employeur et donc la
validité des réunions du comité effectué sur la base de
ces ordres du jour, sans que le juge des référés ait été
saisi, dès lors qu’il concerne des consultations
obligatoires » (13). Le terme “notamment” confirme que
le secrétaire du comité d’entreprise peut également fixer
unilatéralement l’ordre du jour sans devoir recourir au
juge des référés, dès lors qu’aucun accord n’a été trouvé
avec l’employeur ou son représentant, et dans les
matières visées à l’article L 434-3 du Code du travail.
Ainsi, ce concours d’ordre du jour, qui résulte de
l’inscription de plein droit et concomitamment de
questions par le président et le secrétaire, fait surgir une
autre difficulté : celle de l’ordre d’examen des questions
posées. On peut ainsi envisager l’hypothèse qu’une
réunion du comité débute sur deux ordres du jour, l’un et
Jusqu’à présent, la question de l’envoi par le Secrétaire
de l’ordre du jour aux membres du comité d’entreprise
ne se posait pas, dans la mesure où l’établissement
conjoint de cet ordre du jour privait le Secrétaire de toute
initiative, et que pour des raisons de commodité,
l’employeur envoyait lui même cet ordre du jour avec la
convocation.
l’autre conformes à la loi. Au litige, qui jusqu’à présent
Mais il est admis que l’ordre du jour est détachable de
la convocation et qu’il peut être envoyé séparément
(10). Dès lors, en cas de refus de l’employeur de joindre
les questions du secrétaire à la convocation du comité, il
appartiendra à ce dernier de les adresser lui-même
(10 bis). Il devra le faire au moins trois jours avant la
séance, encore que ce délai n’est édicté que dans
l’intérêt des membres du comité, qui peuvent renoncer à
son bénéfice, même tacitement (11).
prévisionnelle des emplois, avant que d’être consulté sur
portaient sur l’opposition du président ou du secrétaire à
l’inscription d’une question à l’ordre du jour, est substitué
celui relatif à l’ordre dans lequel les questions devront
être examinées. Que se passera-t-il par exemple si le
secrétaire exige que le comité, conformément à l’ordre
du jour qu’il a établi, soit consulté au titre de la gestion
un projet restructuration emportant des conséquences
sur l’emploi, comme le demandait l’employeur ?
Probablement, si aucun accord n’est trouvé en réunion, il
appartiendra à la partie qui y a le plus intérêt, sont doute
l’employeur, de saisir le juge des référés pour que la
procédure puisse se poursuivre. Un passage en force de
sa part générera un contentieux de la validité de la
réunion, qui ne sera pas source de sécurité.
(9) Cass. Soc. 9 juillet 1996, n° 94-17628.
(12) Cass. Soc. 4 juillet 2000, n° 98-10916.
(10) Cass. Crim. 4 janvier 1983, Benyahia / Perrin.
(13) F. de Panafieu et D. Dord, Rapport sur le projet de loi pour la
cohésion sociale, Ass. Nat., n° 1930, T. I., p. 379, disp. sur
www.assemblee-nationale.fr
(10 bis) contra v. L. Milet préc. spéc. p. 357.
(11) Cass. Soc. 2 juillet 1969, Société de transports de la région
dijonnaise, Bull. civ. V n° 458.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
2. Elles y sont inscrites de plein droit par le chef
d’entreprise ou le Secrétaire. Certains avaient pu craindre
que Président et Secrétaire ne soient pas sur un pied
d’égalité, pour ce qui concerne l’inscription des questions
à l’ordre du jour, dans la mesure où le Président qui
envoie les convocations peut y inscrire sans contrôle les
siennes et omettre les questions posées par le Secrétaire,
sauf à ce dernier à saisir le juge des référés.
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B. Sécurité juridique par la prescription
Les dispositions de l’article L 321-16 du Code du
travail qui instaurent des délais de prescription pour les
actions dirigées contre les irrégularités affectant la
procédure de consultation (alinéa 1) ou pour celles
portant sur “la régularité ou la validité du licenciement”
(alinéa 2) laissent également perplexe.
1. Le premier alinéa de l’article L 321-16 du Code du
travail dispose qu’à peine d’irrecevabilité “toute action en
référé portant sur la régularité de la procédure de
consultation” doit être introduite dans le délai de quinze
jours suivant chacune des réunions du comité
d’entreprise. Si cette disposition était, comme l’a
probablement souhaité le gouvernement, de nature à
purger de tout vice chaque réunion du comité
d’entreprise, passé un délai de quinze jours, elle ne
manquerait pas de soulever des difficultés pratiques
insurmontables.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Tout d’abord, l’action judiciaire supposerait que le
comité ait décidé de la saisine du juge dès la réunion
litigieuse, car le délai de quinze jours ne permettrait pas
l’organisation d’une nouvelle réunion destinée à voter
une résolution en ce sens. Les comités d’entreprise
seraient enclins à adopter systématiquement une
résolution en vue d’agir en justice, à l’issue de chacune
de leurs réunions, et ce afin de préserver leurs droits.
Mais
encore
faudrait-il
également
saisir
systématiquement le juge des référés à titre
conservatoire, car l’irrégularité apparaît souvent après la
réunion au cours de laquelle elle a été commise, quand
les experts du comité analysent les convocations, les
documents remis, les interventions des élus et les
réponses de l’employeur. De quoi alimenter un
contentieux préventif jusqu’alors inconnu.
332
Mais, fort heureusement, au-delà des incertitudes et
interrogations qu’il suscite, le texte voté ne paraît pas
imposer aux comités d’entreprise des contraintes
nouvelles. En effet, on peut tout d’abord s’interroger sur
l’incidence de la place conférée à cet article dans le Code
du travail : insérées dans le livre III, ces dispositions ne
paraissent pas être une règle de procédure générale
applicable à l’ensemble des consultations du comité
d’entreprise, mais uniquement aux consultations ayant
trait aux licenciements pour motif économique.
Il n’a d’ailleurs jamais été question dans les débats
parlementaires de “sécuriser” les consultations du comité
d’entreprise sur la marche générale de l’entreprise, son
organisation..., mais uniquement d’éviter que des
licenciements puissent être remis en cause pour des
motifs tenant seulement à la régularité de la saisine ou à
(14) Jean-Yves Le Bouillonnec, séance du 3 déc. 2004, JO AN
p. 10495.
la consultation du comité d’entreprise. Si cette analyse se
confirme, ces dispositions s’appliqueraient à la phase
livre III et non à une consultation livre IV (combien
même elle donnerait lieu concomitamment ou
ultérieurement à une consultation au titre du livre III).
En second lieu, ce délai de prescription porte sur la
régularité de la procédure de consultation. Or, lorsque le
comité d’entreprise ne rend pas d’avis, notamment parce
qu’il s’estime insuffisamment informé, ce n’est pas la
régularité de la consultation qui est en cause, mais son
achèvement. Dès lors, on peut se demander si le comité
d’entreprise qui justifierait d’un motif légitime pour ne
pas avoir rendu d’avis et demanderait au juge de
constater que la procédure n’est pas achevée, et d’en
ordonner la poursuite, serait ou non soumis au délai de
prescription de l’article L 321-16.
En troisième lieu, si “toute action en référé” est
enfermée dans un délai quinze jours, les actions au fond
ne sont, quant à elles, enfermées dans aucun délai. En
effet, la disposition nouvelle n’est pas une disposition
attributive de compétence au Juge des référés des litiges
relatifs à la procédure de consultation du comité
d’entreprise. D’abord parce que le texte ne le dit pas.
Ensuite, parce que le texte ne pourrait pas le dire,
puisque la compétence d’attribution du Juge des référés
est articulée sur celle de la juridiction du fond à laquelle il
est rattaché. Le contentieux au fond de la régularité de la
procédure de consultation reste donc ouvert dans le délai
de prescription de droit commun.
De surcroît, si le juge des référés rejette la demande
du comité, cette décision, qui n’a que l’autorité provisoire
de la chose jugée, ne fait pas obstacle à une instance
ultérieure au fond. Un parlementaire avait lors des débats
sur le texte relevé les effets pervers de cette disposition,
qui incite à ne pas régler les différents devant le juge des
référés : « au lieu d’être réglée rapidement par la voie du
référé, la contestation… ne le sera que cinq ans plus
tard, lorsque le tribunal, en appel aura annulé toute la
procédure de consultation… Un délai de référé plus
long est au contraire un moyen de bétonner la
procédure, pour l’employeur autant que pour le salarié :
il évite que celle ci soit examinée au fond, aggravant
encore la désorganisation » (14).
Cette disposition paraît donc emporter l’effet contraire
à celui escompté.
2. La rédaction du deuxième alinéa de l’article
L 321-16 du Code du travail est également très curieuse.
Elle vise deux cas de figure :
– l’action du comité d’entreprise ou d’une organisation
syndicale, qui se prescrit désormais par douze mois à
compter de la dernière réunion du comité d’entreprise ;
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– l’action du salarié visant à contester la régularité ou la
validité de son licenciement et qui se prescrit par douze
mois à compter de la notification du licenciement.
contre la décision de l’employeur, pour finalement
Doit-on comprendre que, si l’employeur met en œuvre
les licenciements plus de douze mois après la dernière
réunion du comité d’entreprise, ce dernier n’est plus
recevable à agir pour contester la validité des
licenciements qui pouvaient paraître ne pas devoir être
mis en œuvre ?
d’entreprise « pourra formuler des propositions
Inversement, si le comité d’entreprise ou les
organisations syndicales agissent en annulation du plan
de sauvegarde de l’emploi et des licenciements
subséquents, et qu’une décision définitive est rendue audelà du délai de douze mois après la notification des
licenciements, le salarié perd son droit d’agir à titre
individuel s’il ne l’a pas mis en œuvre dans le délai. Les
comités vont devoir informer de façon plus étroites les
salariés licenciés de leurs actions, par exemple en créant
des collectifs de salariés licenciés, de façon à ce que des
saisines conservatoires soient déposées au Conseil des
prud’hommes, auquel il sera demandé de surseoire à
statuer jusqu’à l’issue de la procédure du comité. En fait
de sécurisation, ces dispositions vont encore alimenter
un contentieux préventif.
consultation, le juge ne pourra apprécier la régularité de
Mais surtout, et là encore, ces dispositions passent à
côté de l’objectif fixé au départ : ce ne sont pas des
délais de prescription d’un an au lieu de cinq qui seront
de nature à hâter l’issue des procédures judiciaires. Dans
la quasi totalité des cas, comités d’entreprise ou salariés
saisissent les tribunaux dans un temps proche de la fin
de la consultation ou de la mise en œuvre des
licenciements. Réduire les délais de prescription est une
façon de réduire les droits des salariés, sans permettre
que les décisions de justice soient rendues plus
rapidement. Il faudrait pour cela des moyens nouveaux
au bénéfice de la justice, notamment prud’homale.
sont les seules qu’ils estiment pouvoir sanctionner, pour
En conclusion, ces textes ne répondent pas aux
objectifs affichés, sans doute parce que leurs auteurs s’en
sont tenus aux seules déclarations du patronat, sans les
vérifier et les analyser.
ordres du jour et de la tenue de ses réunions ?
Mais peut être est-ce l’occasion de se demander s’il
est tout simplement possible de sécuriser les employeurs
par la seule modification des règles portant sur
l’organisation des comités d’entreprise et de leur droit
d’agir en justice. La solution ne viendrait-elle pas plutôt
d’une redéfinition du rôle des comités d’entreprise et
d’un élargissement de leurs prérogatives ?
En effet, et notamment quand il est consulté sur des
décisions de l’employeur qui ont des conséquences sur
l’emploi, le comité doit se contenter d’écouter et de
comprendre les explications de l’entreprise, de protester
(15) Cass. Crim. 4 novembre 1997, Bull. crim. n° 371.
négocier les modalités de suppression des emplois.
Certes, si un accord de méthode le prévoit, le comité
alternatives » et « obtenir une réponse motivée de
l’employeur à ses propositions », mais sans qu’il ne soit
imposé à ce dernier de prendre en compte ces
propositions, même justifiées par l’intérêt de l’entreprise.
En l’état actuel de la jurisprudence, au stade de la
la procédure, ni au regard de l’existence ou non d’un
motif économique réel et sérieux, ni au regard du
caractère justifié ou non de la décision prise par
l’employeur pour faire face aux difficultés économiques.
Au final, la consultation du comité est de plus en plus
considéré par les employeurs comme une étape formelle
du processus de licenciement.
Tant que les élus n’auront de mot à dire que sur les
conséquences des mesures de restructuration, et pas sur
leurs causes, ils seront tentés de mener des guerres de
tranchée autour de questions formelles, les seules sur
lesquelles ils ont prise. Et sans doute les magistrats serontils d’autant plus sévères sur les règles de formes, que ce
rétablir un équilibre qui penche bien trop en faveur de
l’employeur.
La reconnaissance du droit des comités à contester le
fond des décisions de l’employeur ne seraient-elles pas la
meilleure façon de restituer aux débats leur véritable
dimension et leurs véritables enjeux, et faire ainsi
l’économie de débats judiciaires autour de questions de
pure procédure ? Le renforcement du rôle du comité ne
doit-il pas également être accompagné d’une réflexion sur
ce que devrait être une véritable assemblée délibérante,
expression collective des salariés, ayant la maîtrise de ses
En attendant, restons sur quelques aspects positifs de
ces textes.
Il faut bien reconnaître que la position du secrétaire était
jusqu’à présent inconfortable : quand il refusait de porter à
l’ordre du jour une question posée par l’employeur et
même quand il était soutenu dans cette démarche par la
majorité des membres du comité d’entreprise, il se
retrouvait seul devant le juge, se voyant reprocher d’avoir
pris une initiative personnelle faisant obstacle aux droits du
comité d’entreprise. Certains secrétaires de comité, même
si finalement relaxés, ont eu le désagrément d’être
poursuivis devant le Tribunal correctionnel pour délit
d’entrave (15).
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327-334 Doctrine Baumgarten
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Les nouvelles dispositions ont le mérite de restituer au
contentieux sa véritable dimension : celle d’un litige entre
le représentant de l’entreprise et le comité d’entreprise.
Par ailleurs, si les nouvelles dispositions ne règlent
probablement rien quant à la sécurisation des
procédures de consultations, elles restituent un peu plus
au secrétaire sa véritable place dans le comité : celui de
représentant de la délégation salariale. En effet, si jusqu’à
présent le caractère conjoint de la fixation de l’ordre du
jour pouvait prêter au secrétaire le rôle d’un organe
du comité, que la jurisprudence admettait que le
président puisse prendre part au vote en vue de son
élection.
On connaissait les conséquences pratiques
désastreuses d’une telle jurisprudence, qui permettait à
bon nombre d’employeurs, au mépris des règles de
prudences et de neutralité à l’égard des organisations
syndicales, de se jeter dans la bataille pour favoriser le
candidat d’une organisation syndicale au détriment d’une
autre.
agi comme représentant de la délégation salariale. C’est
Le temps n’est-il pas venu d’interroger de nouveau la
Cour de cassation afin qu’elle réexamine sa jurisprudence
désormais constante, bien que très critiquée (16), au vu
du nouveau rôle qu’occupe le secrétaire dans le
fonctionnement du comité ?
au regard de cette vision d’un secrétaire, organe neutre
Christophe Baumgarten
neutre du comité, chargé de rechercher un consensus
avec l’employeur, la situation est désormais plus claire :
l’ordre du jour, à défaut d’accord, a deux sources, le
président qui représente l’entreprise, et le secrétaire qui
(16) Par ex. TGI Saverne, 19 janvier 2000, Dr. Ouv. 2000 p.492 n.
L. Milet.
Association Française de Droit du Travail
et de la Sécurité Sociale
Palais de Justice de Paris - Salle des Criées (entrée libre)
PROGRAMME
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Vendredi 21 octobre 2005 à 17 h 30 :
La méthode de la Chambre sociale de la Cour de cassation
avec Pierre SARGOS, Président de la Chambre sociale de la Cour de Cassation
334
Vendredi 25 novembre 2005 à 17 h 30 :
La réforme des procédures collectives et le droit social,
avec Yves CHAGNY, Conseiller doyen de la Chambre sociale
de la Cour de cassation, Vice-président de l’AFDT
et Antoine MAZEAUD, Professeur à l’Université Paris II,
ancien vice-président de l’AFDT
Egalement :
Vendredi 9 décembre 2005 :
Discrimination et harcèlement dans les rapports de travail : mérites et périls de
deux qualifications, Journée des juristes du travail (AFDT, ENM, INTEFP)
au Ministère chargé du Travail, ASIEM, 6 rue Albert de Lapparent, Paris 7e
(attention : inscription obligatoire)
335-341 Doctrine CHIREZ
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DOCTRI NE
Propriété de l'emploi, indemnisation et reclassement
par Alain CHIREZ, Professeur à l'Université de Polynésie Française, Credeco Nice,
Avocat au Barreau de Grasse
PLAN
I. L'absence persistante de droit
subjectif à la stabilité de
l'emploi
L
e droit de la relation de travail se situe au confluent du droit
des personnes et du droit des biens (1).
L’activité salariée s’inscrit d’abord dans le contexte d’une relation de
A. Précarisation
subordination qui permet l’exercice d’un pouvoir finalisé d’un homme sur
B. L’employeur encore seul juge
un autre. C’est effectivement la dimension subjective qui retient le plus
souvent l’attention du juriste : même s’il n’en finit pas d’échapper à son
II. Emergence de la valeur
emploi
déclin (2), le contrat, omniprésent, défraye les chroniques par le contentieux
des clauses qui s’y trouvent accrochées (3). La même observation vaut pour
A. Patrimonialisation du nonemploi et de la perte d'emploi
les manifestations unilatérales de pouvoir comme le règlement intérieur. La
B. Le droit au reclassement :
conséquences du droit à
l'emploi
mails ou le refus par le travailleur de se soumettre à un contrôle
liberté vestimentaire du salarié dans l’entreprise, le droit d’y recevoir ses ed’alcoolémie relèvent d’un très actif droit des personnes au travail.
Cependant, le travail est aussi un emploi. Si l’entreprise se
transforme, l’emploi subsiste (art. L 122-12) (4). Si celui-ci vient à
disparaître, il y a manque à gagner qui appelle indemnisation. Cette
dimension patrimoniale n’a jamais été occultée, qu’on dénie au travail la
valeur d’un bien (on se souvient des propos de G. Lyon-Caen dans un article
célèbre) (5) ou qu’on soutienne que le salarié “acquiert une titularité sur
l’emploi, lui conférant des prérogatives proches de celles d’un
propriétaire…” (6).
Que la créance naisse d’un contrat ou de la loi, ce droit sur l’emploi
apparaît certainement sinon comme un droit subjectif conférant un pouvoir
d’action et même “d’agression” (7) à son titulaire, du moins comme un
droit-créance destiné à devenir un droit subjectif (8).
On sait depuis les pénétrants travaux de M. Thierry Revet que la force
de travail constitue une quasi-propriété, une sorte de bien grâce auquel on
(1) La pensée juridique italienne est, d’après M. Supiot, celle qui a
appréhendé avec le plus de pertinence cette ambivalence (v.
Critique du droit du travail, PUF/Quadrige, 2000, p. 20).
(2) La formule est de A. Jeammaud
(3) Pour adopter une terminologie chère à Mme M.-A. FrisonRoche.
(4) La Cour de Cassation, suivant en cela la jurisprudence de la
CJCE, décide depuis les arrêts Clinique de l’Espérance du
25 juin 2002 (Dr. Ouv. 2002 p. 507 n. M. Carles) et Commune
de Théoule-sur-Mer du 14 janvier 2003 (Dr. Ouv. 2003 p. 253
n. Y. Saint-Jours), que l’obligation pour le nouvel employeur de
reprendre à son service les salariés de l’entité transférée
s’applique aussi lorsque le transfert d’activité se fait vers un
établissement public à caractère administratif. La subsistance de
l’emploi est d’autant plus caractérisée que le Tribunal de
conflits décide que l’application de l’article L 122-12 n’a pas
pour effet de transformer la nature juridique des contrats de
travail qui demeure de droit privé tant que le nouvel employeur
public n’a pas placé les salariés dans un régime de droit public.
(T. Confl. 29 déc. 2004 D. 2005 IR 168 ; T. Confl. 19 janv.
2004, Devun, Dr. Ouv. 2004 p. 146 concl. J. Duplat, n.
C. Verdin ; add. CE 4 avr. 2005,Commune de Reichshoffen, req.
n° 258543, AJDA 2005 p.1141).
(5) “le travail n’est pas un bien car il n’y a pas louage d’un corps
avec jouissance reconnue au locataire…” Archives de
philosophie du droit, tome XIII, Sirey 1968 p. 59 et s.
(6) Xavier Lagarde, Aspects civilistes des relations individuelles de
travail, RTD Civ. juil.-sept. 2002 p. 435 et svtes, et spéc. p. 450.
(7) La formule est de M. Ghestin.
(8) En ce sens, T. Revet, La liberté du travail, in R. Cabrillac,
M.A. Frison-Roche et T. Revet, Libertés et droits fondamentaux,
Dalloz 8e ed. 2002 p. 751 qui parle de l’évolution d’un droitcréance vers droit de créance.
(9) Thierry Revet, La force de travail (Etude juridique), préface de
M. Frédéric Zenati, Litec 1992.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
peut acquérir d’autres biens (9). Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce
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que l’emploi lui-même puisse être objet de propriété. Pour se calquer sur la formule de Monsieur
Pirovano qui décèle “une infiltration du droit social par la logique concurrentielle” (10), il y a une
infiltration du droit des personnes au travail par la logique patrimoniale.
L’idée n’est pas nouvelle (11). Les analyses doctrinales récentes, particulièrement autorisées (12),
les décisions contemporaines sur la contrepartie financière de la clause de non concurrence, mais aussi
les dispositions légales de la loi 2005-32 du 18 janvier 2005 dite de programmation pour la cohésion
sociale, sur le reclassement redonnent manifestement du lustre à ce concept.
Le principe de la négation persistante d’un droit subjectif à la stabilité de l’emploi (I) ne saurait
masquer l’émergence actuelle de la valeur emploi (II).
■
I. L’absence persistante de droit subjectif à la stabilité de l’emploi ■
L’emploi a beau être cerné juridiquement par le devoir
qui pèse sur le salarié de le rechercher quand il en est
privé et par l’obligation de l’employeur qui doit le
maintenir quand il le peut : il n’existe toujours que des
lignes de force, qu’une tendance, et aucun droit à la
stabilité. Bien plus, l’emploi est précarisé et, pour certaines
décisions de gestion, l’employeur reste seul juge.
A. Précarisation (12 bis)
Il n’existe pas d’emploi garanti. Les 2,6 millions de
chômeurs ne supporteraient pas d’entendre le contraire.
L’emploi traditionnel qui se confondait volontiers avec le
contrat de travail à durée indéterminée (13), c’est-à-dire
qui reposait précisément sur une certaine stabilité, a
vécu. Comme le souligne Madame D. Asquinazi-Bailleux,
aujourd’hui existe “une société duale où désormais se
côtoient ceux qui ont un “véritable” emploi, et ceux qui,
peu qualifiés, pré-exclus, ou encore “sur-diplômés”, vont
bénéficier d’un contrat à durée limitée, à temps partiel et
peu rémunéré…” (14). On peut paradoxalement tenir le
CDI pour l’exception, contrairement à la norme juridique
codifiée depuis plus de vingt ans qui énonce que “le
contrat de travail est conclu sans détermination de
durée” (art. L 121-5) et qui surenchérit avec la loi de
modernisation sociale du 17 janvier 2002 (14 bis)
précisant que le CDD, « quel que soit son motif », ne
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
peut pourvoir durablement à un emploi lié à l’activité
336
normale et permanente de l’entreprise. L’emploi
“périphérique” (15) fleurit. On est avec l’emploi précaire,
(10) Droit de la concurrence et progrès social (après la loi NRE du
15 mai 2001), D. 2002 chr. 62, à la suite de Gérard Lyon-Caen
dénonçant ‘“L’infiltration du droit du travail par le droit de la
concurrence” Dr. Ouv. 1992 p. 313.
(11) Ripert, Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ
1951 n° 137.
(12) Xavier Lagarde, n. précitée.
(12 bis) Il existe certes des incitations plus ou moins
contraignantes ; cf. par exemple l'article L. 323-3 du Code
du travail relatif aux nouvelles catégories de bénéficiaires de
l'obligation d'emploi pour les personnes handicapées.
en présence de quasi-emploi, qui, par essence, ne
comporte pas d’espoir de stabilité. Du point de vue
collectif, l’emploi s’est précarisé ; il s’est dévalorisé.
Au regard de la relation individuelle, le contrat de
travail à durée indéterminée, celui qui permet l’accès à
un emploi véritable, ne contient pas pour autant de
garantie de stabilité. La preuve en est qu’il faut le secours
d’une clause contractuelle pour parvenir à instaurer une
telle pérennité. Seule la clause de garantie d’emploi
permet en effet au salarié de s’assurer d’une relative
persistance de la relation de travail à durée indéterminée.
Celles-là seules sont “plus qu’un contrat à durée
indéterminée puisque le droit de résiliation unilatérale
de l’employeur s’y trouve restreint, mais moins qu’un
contrat à durée déterminée puisque ce droit même
limité subsiste” (16). Sauf force majeure, faute grave ou
lourde, la force obligatoire intense d’une telle clause
confère indéniablement une stabilité de l’emploi. Tout au
plus – fort logiquement d’ailleurs – cet avantage ainsi
conféré ne se cumule-t-il pas avec le revenu de
remplacement servi par les Assedic (17).
Le célèbre arrêt Brinon resterait donc, depuis
cinquante ans, la norme dans le contrat de travail
ordinaire : “l’employeur qui porte la responsabilité de
l’entreprise est seul juge des circonstances qui les
déterminent à cesser son exploitation et aucune
disposition légale ne lui fait obligation de maintenir son
activité à seule fin d’assurer à son personnel la stabilité
de son emploi, pourvu qu’il observe, à l’égard de ceux
(13) F. Gaudu “Les notions d’emploi en droit”, Dr. soc. 1996
p. 569.
(14) Dominique Asquinazy-Bailleux, Droit à l’emploi et dignité in
Ethique, droit et dignité de la personne. Mélanges C. Bolze,
Ed. Economica 1999, p. 127.
(14 bis) Art. 124 LMS modifiant L. 122-1 C. Tr.
(15) A. Jeammaud, L’emploi périphérique, in Les sans emploi et la
loi, Calligrammes, Quimper 1988, 153.
(16) J. Mouly, n. sous Cass. Soc. 6 mai 1997, JCP 1997, Jurisp.
1023.
(17) Cass. Soc. 13 déc. 2002, Semaine Sociale Lamy n° 103.
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qu’il emploie, les règles édictées par le Code du travail”
(18).
Certains tempéraments ont été ultérieurement
apportés sous forme “d’assurance”, d’abord par la
jurisprudence : “l’employeur tenu d’exécuter de bonne
foi le contrat de travail, a le devoir d’assurer l’adaptation
des salariés à l’évolution de leur emploi” (19). Cette
solution a ensuite été relayée par la loi 2000-37 du
19 janvier 2000 (19 bis). Certes, assurer l’adaptation, ce
n’est pas encore assurer la stabilité, mais c’est déjà
s’engager dans la voie plus sécurisante d’une relative non
précarité ; c’est “tendre” vers la stabilité (20).
Cette tendance apparaît d’ailleurs plus marquée dans
le secteur “non économique” du droit du travail. Ainsi,
lorsque la Cour de Cassation s’attache à déjouer la fraude
consistant à instaurer des périodes d’essai dans des
contrats successifs, ces périodes d’essai ne peuvent
valablement être opposées à un salarié d’abord
embauché sous CDD dont l’employeur a pu apprécier les
capacités professionnelles (21). Jusqu’à une date
récente, la Cour de cassation estimait qu’en cas de
contrats successifs entre les mêmes parties, la période
d’essai n’était licite, dans le second contrat que si celui-ci
visait à pourvoir un emploi différent de celui objet du
premier contrat (22). Dans ses décisions du 30 mars
2005, la haute juridiction est d’ailleurs allée plus loin : la
période d’essai stipulée dans le second contrat ou
l’avenant ne peut être qu’une période probatoire dont la
rupture a pour effet de replacer le salarié dans ses
fonctions antérieures (23).
On connaît en effet les réserves du juge lorsqu’il s’agit
d’apprécier les choix possibles de l’employeur entre
diverses solutions de réorganisation pour sauvegarder la
compétitivité de l’entreprise. La fameuse décision SAT
(25) a depuis lors été relayée et confortée par la décision
du Conseil Constitutionnel du 12 janvier 2002 (26)
selon laquelle “le juge n’a pas à substituer son
appréciation à celle du chef d’entreprise quant au choix
entre différentes solutions possibles”. Le juge social n’a
donc pas à se prononcer sur l’opportunité d’une décision
de l’employeur au regard notamment des différents
projets qui ont précédé cette décision et dont certains
étaient manifestement moins lourds en perte d’emplois.
La décision Valéo-Vision du 17 décembre 2002 (27) se
situe-t-elle aussi dans la ligne de l’arrêt SAT ? L’employeur
qui dirige les personnes est contrôlé par le juge, tandis
que l’employeur “politique” lui échappe. Ce domaine du
choix de gestion est l’un des rares endroits où la théorie
de l’employeur seul juge possède encore droit de cité. Le
droit à l’emploi, confronté ici à la liberté d’entreprendre,
apparaît démuni, affaibli, dépourvu qu’il est de la
possibilité d’appréciation des tribunaux. L’absence
persistante de droit subjectif à la stabilité de l’emploi
rendrait alors celui-ci difficilement identifiable à un bien
et peut-être, alors, faudrait-il à propos de l’emploi suivre
le doyen Roubier et classer celui-ci parmi les situations
juridiques qui “répugnent franchement à être classées et
cataloguées sous la rubrique des droits proprement
Dans le contentieux de la rupture pour motif
personnel, le contrôle du juge, déterminé à éviter la
précarité
programmée,
rétablit
en
quelques
circonstances, dans une certaine mesure, une relative
stabilité de la relation.
dits… alors qu’elles ont une valeur juridique indéniable,
En matière économique, malgré une jurisprudence
parfois audacieuse (arrêt Miko) (24), les principes posés
par la décision Brinon restent toujours actuels.
non pas pour le service d’intérêts individuels“ (28).
B. L’employeur encore seul juge
Il n’y a pas que les délocalisations qui détruisent
l’emploi. L’absence de contrôle judiciaire est une autre
forme d’exil.
elles commandent nos relations sociales, elles sont
source de prérogatives et de charges ; mais on ne peut
les appeler “des droits” parce qu’elles ont la figure de
situations établies, d’autorité en vue du bien commun, et
L’emploi serait-il – sans jouer sur les mots – une
“situation” et non un “droit” ?
C’est pourtant dans ce même domaine économique
que, via le droit de reclassement, surgit ou ressurgit
l’appartenance de l’emploi à la rubrique des valeurs,
sinon au droit des biens.
(18) Cass. Soc. 31 mai 1956, Dr. Ouv. 1956 p. 340 et note
G. Lyon-Caen Dr. Ouv. 1957 p. 1.
(23) F.R. Lefevre, 25-05 T4.
(19) Arrêt Expovit : Cass. Soc. 25 fév. 1992, Bull. Civ. V n° 122,
Dr. Soc. 1992, 379.
(25) Cour de cassation, Assemblée plénière, 8 déc. 2000, Dr. Soc.
2001, p. 120, concl. de Caigny, note A. Cristau, Dr. Ouv. 2001
p. 357 n. M. Henry et F. Saramito, JCP 2001, 2e partie, 10498,
Liaisons Sociales JP n° 675.
(19 bis) Ancien art. L. 932-2, l’obligation figurant désormais dans
l’art. L. 321-1.
(20) Marc Azoulai “La tendance à la stabilité du rapport
contractuel : études de droit privé” sous la direction et avec
une préface de Paul Durand, LGDJ, 1960.
(21) Cass. Soc. 26 fév. 2002, Dr. Ouv. 2002 p. 404, n. Boulmier.
(22) Cass. Soc. 30 oct. 2000, RJS 1/01 n° 3 ; 11 déc. 2002 n° 3633,
F-D.
(24) 17 déc. 2002, Bull. civ. V n° 392.
(26) Dr. Ouv. 2002 p.59 n. F. Saramito et B. Mathieu.
(27) Droit social 2003 p. 342, n. G. Couturier.
(28) P. Roubier, Droits subjectifs et situations juridiques, Dalloz
1963 n° 2 p. 10.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
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II. Emergence de la valeur emploi ■
Les choses ne sont pas une notion claire. C’est, dit-on
ordinairement, le terme le plus vague de la langue
française. L’emploi est-il une chose ? Il a bien été
récemment jugé que le produit de l’activité humaine
intellectuelle constitue un bien (29), mais l’emploi n’est
pas un produit de l’activité humaine ; il est état du
marché du travail ou place dans l’organisation de
l’entreprise (30).
rétroactif, a choqué est édifiante : le salarié ne peut
Il n’importe : “Que l’emploi soit progressivement élevé
au rang de choses appropriables, ne fait guère de
doute. Les priorités de réembauchage (….) qui sont
difficilement explicables au regard du droit commun, en
sont une excellente illustration”… écrit M. Xavier Lagarde
(31) qui compare l’emploi à “l’étang de Napoléon” qui,
“lorsqu’il réapparaît est de nouveau susceptible
d’appropriation”.
comme le souligne M. Antoine Jeammaud (34), ce qui,
On pourrait ajouter que la corrélation est vraie aussi
dans le sens de la disparition définitive de l’étang : il a été
récemment jugé que le licenciement du salarié remplacé
qui emporte sa cessation définitive d’activité, entraîne de
plein droit la fin du CDD conclu pour son remplacement.
patrimonial de l’emploi réifié en valeur d’échange. La
On peut effectivement, après d’autres, dire de l’emploi
qu’il est un bien dès lors que la patrimonialisation de sa
perte est manifeste (A) et que le droit de reclassement,
droit concret, est aujourd’hui consacré comme une
conséquence du droit à l’emploi (B).
renoncer à travailler dans le domaine de ses
compétences que s’il est indemnisé par l’employeur. La
possibilité d’exercer son métier doit subsister ou, en tout
cas, lui permettre d’exercer une activité conforme à sa
formation et à son expérience professionnelle. Cette
règle participe d’ailleurs “comme tant d’autres en droit
du travail, à la régulation de l’ordre concurrentiel”
d’une certaine manière,
la situe déjà dans l’ordre du
droit des biens. Mais surtout, la contrepartie conditionne
l’efficacité de la clause elle-même, c’est à dire que la
privation contractuelle d’activité jusque-là exercée, a
nécessairement un prix, même si les parties ne le disent
pas. Cette solution, comme depuis longtemps déjà la
nature de salaire de l’indemnité, confirme l’aspect
Cour de cassation vient même d’insister sur ce point en
ouvrant des possibilités d’actions judiciaires qui laissent
songeur… : le salarié qui a respecté une clause de non
concurrence illicite en l’absence de contrepartie
financière, peut prétendre à des dommages et intérêts
(35).
2 – L’indemnisation du salarié licencié s’inscrit dans la
même logique. La liaison emploi-indemnisation est de
plus en plus avérée lorsqu’on envisage le problème sous
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
l’angle du marché de l’emploi. Le bénéfice d’un revenu de
338
A. Patrimonialisation du non-emploi
et de la perte d’emploi
remplacement suppose que le demandeur d’emploi
Que le salarié se soit contractuellement interdit de
travailler, ou qu’il se voie notifier son licenciement, la
contrepartie financière ou l’indemnisation constitue le
signe tangible de cette patrimonialisation.
raison légitime, un emploi conforme à ses aptitudes (36).
1 – Les arrêts du 10 juillet 2002 (32) qui font de la
contrepartie financière de la clause de non-concurrence
une condition de validité de celle-ci, sont démonstratifs
de la corrélation très nette existant entre l’argent et
l’emploi. C’est bien d’emploi et non seulement de travail
(33) qu’il s’agit car le salarié, astreint contractuellement à
la non concurrence, peut travailler, mais précisément pas,
le plus souvent, dans l’emploi qu’il occupait auparavant.
Cette jurisprudence, dont le caractère, par essence,
l’employeur s’est depuis longtemps évadée des règles de
recherche effectivement un emploi et ne refuse pas, sans
Si on délaisse la logique “assurancielle”, on retrouve la
même idée dans les relations entre le salarié et son
employeur. La rupture du contrat de travail à l’initiative de
la responsabilité contractuelle. Ce n’est pas la faute
contractuelle ou l’abus de droit de rompre que l’on
sanctionne à titre principal chez l’employeur, mais le
licenciement sans cause réelle ni sérieuse, c’est-à-dire, au
fond, l’atteinte illégitime portée à une situation sur
laquelle le salarié devait pouvoir compter. Cette
réparation d’un coup porté à l’emploi se vérifie à
plusieurs titres.
(29) Cass. Crim. 22 sept. 2004, Dalloz 2005, 411, n. B. de Lamy,
RTD civ. 2005 p. 164, n. T. Revet.
Anne-Chantal Hardy-Dubernet (dir.), La subordination dans le
travail, La documentation française 2003.
(30) J. Pélissier, A. Supiot et A. Jeammaud, Droit du travail, Précis
Dalloz, 20e ed. p. 3 n° 4.
(31) Article précité page 450.
(34) La condition du travailleur dans l’ordre concurrentiel, in
L’ordre concurrentiel, Mélanges en l’honneur d’Antoine
Pirovano, Ed. Frison-Roche p. 381.
(32) Cass. Soc. 10 juil. 2002, Dalloz 2002, 2491, n. Y. Serra ; som.
3111, obs. Pélissier ; Dr. Ouv. 2002 p. 533 n. D. Taté.
(35) Cass. Soc. 20 avril 2005 n° 03-40.734 D ; Semaine Sociale
Lamy 9 mai 2005 p. 15.
(33) Pour une distinction entre la subordination dans le travail et la
subordination dans l’emploi, cf. J.-P. Chauchard et
(36) cf. sur ce point A. Arseguel et B. Reynès, Le refus d’occuper
un emploi, in Analyse juridique et valeurs en droit social,
Etudes offertes à J. Pélissier, Dalloz, 2004, p. 1 et s.
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Tout d’abord, le droit à l’indemnisation du licenciement
non ou mal causé, varie indéniablement dans sa quotité
en fonction de données qui sont précisément
étroitement liées à l’emploi du salarié et non à la gravité
objective du manquement de l’employeur. Les
dommages et intérêts sont plus élevés si l’ancienneté du
salarié est importante, et s’il risque d’avoir des difficultés
à retrouver un emploi. C’est la perte de l’emploi qu’on
indemnise. A cet égard, la pratique qui consiste à ne pas
déduire le revenu de remplacement versé par les Assedic
est assez démonstrative du fait que c’est bien l’emploi
perdu qui est central, c’est à dire le bien et non ses fruits
eux-mêmes, c’est à dire les revenus qu’il procure.
Ensuite, certaines solutions du droit positif s’expliquent
assez bien par cette idée d’atteinte frontale à l’emploi.
Ainsi, ce sont des dommages et intérêts pour
licenciement sans cause réelle ni sérieuse, et non une
simple indemnité pour non respect de la procédure qui
peuvent être demandés en cas d’inobservation par
l’employeur, de la procédure conventionnelle ou
statutaire de licenciement (37). La Cour de cassation y
voit la violation d’une règle de fond et non de forme car
ces procédures extra légales sont précisément instaurées
dans le but de protéger l’emploi, qu’il s’agisse de
l’existence de commissions paritaires ou de règles
limitant les causes de licenciement.
Le doublement du montant de l’indemnité de
licenciement (L 122-9 et décret 2002-785 du 3 mai
2002) en cas de licenciement économique, comme
l’indemnité non inférieure au salaire des douze derniers
mois en cas de nullité du licenciement intervenu en
application de l’article L 321-4-1 alinéa 5 du Code du
travail L. 122-14-4), c’est-à-dire en cas de plan de
sauvegarde de l’emploi insuffisant s’inscrivent dans cette
logique.
Par ailleurs, lorsque c’est du fait de l’employeur que le
salarié est privé d’activité et ne peut bénéficier de
certains avantages liés à sa présence dans l’entreprise,
comme certaines primes ou la possibilité de lever des
options, il peut obtenir la réparation du préjudice ainsi
causé (38).
Enfin,
certaines
irrégularités
“qui
causent
nécessairement au salarié un préjudice” relatives
(37) Cass. Soc. 23 mars 1999, Bull. V civ. n° 134 ; Cass. Soc.
28 mars 2000, bull. civ. n° 136, Dr. Ouv. 2000 p. 453 n. A. de
Senga.
(38) Pour la possibilité d’obtenir la réparation du préjudice né de la
perte du droit de lever les stock-options, sans que puisse être
opposée l’impossibilité de cette levée en raison du
licenciement, cf. Cass. Soc. 29 sept. 2004, Sem. Soc. Lamy
n° 1185 p. 10 ; Cass. soc. 16 mars 2005, J.S. Lamy, 11 mai
2005 p. 21.
(39) Cass. Soc. 16 déc. 1997, Bull. civ. V n° 442
notamment au défaut de mention de la priorité de
réembauchage
(39)
constituent
des
réparations
d’atteinte à une variété de droit au reclassement qui
découlent directement d’un droit à l’emploi.
B. Le droit au reclassement :
conséquences du droit à l’emploi
1. Constitutionnalisation du droit au
reclassement
On sait toute la force (40) donnée à l’obligation de
reclassement du salarié inapte par la Cour de cassation
qui dit et rappelle (41) que l’avis d’inaptitude à tout
emploi ne dispense pas l’employeur de tenter de
reclasser
le
salarié,
au
besoin
par
mutation,
transformation du poste ou aménagement du temps de
travail. Cette mission imposée par la jurisprudence relève
parfois de l’impossible mais constitue un message
appuyé quant à la mobilisation attendue de l’employeur
dans la mise en œuvre de ce droit.
De son côté, la loi de programmation pour la cohésion
sociale poursuit l’édification du droit au reclassement
dégagé par la jurisprudence et les textes antérieurs.
Comme le souligne un auteur (42), “en inscrivant un
droit au reclassement à l’article L 321-1 du Code du
travail et en instaurant un congé de reclassement à
l’article L 321-4-3 du même code, pour les entreprises
de plus de mille salariés, la loi de modernisation sociale
avait déjà institué dans le Code du travail, des
mécanismes de reclassement individuel. De ce point de
vue, la loi (nouvelle) s’inscrit dans une tendance
similaire. En effet, le texte de janvier 2005 reconnaît des
prérogatives
supplémentaires
en
matière
de
reclassement individuel au bénéfice du salarié licencié
pour motif économique”.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du
13 janvier 2005 fait découler “directement” ce droit au
reclassement des salariés licenciés, du droit de chacun
d’obtenir un emploi. Cette dernière prérogative est l’un
des principes économiques et sociaux figurant à l’alinéa 5
du préambule de 1946. La constitutionnalisation de ce
droit au reclassement dont le fondement est ici précisé,
hisse ainsi au plus haut niveau un droit découvert par la
(40) Pour une analyse plus approfondie de l’obligation de
reclassement, cf. F. Héas, Le reclassement du salarié en droit
du travail, LGDJ 2000 ; cf. également “Approche de la notion
de reclassement”, Dr. Ouv. 2001 p. 505.
(41) Cass. Soc. 10 mars 2004, n° 03-42.744 ; 19 mai 2004,
n° 02.45.166 ; 7 juil. 2004, 02-43.141 P + B, Dr. Ouv. 2004
p. 545 n. F. Héas ; v. infra les développements de E. Gayat
p. 347.
(42) Franck Héas, Les principaux apports de la loi de
programmation pour la cohésion sociale en matière ce
licenciement pour motif économique, JCP Ed. Entreprise et
Affaires, 2005 p. 270 n° 275.
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jurisprudence (43) puis inscrit dans la loi (article
L 321-1) sous l’angle de l’obligation.
La jurisprudence analyse en effet habituellement ce
concept de reclassement sous l’angle de l’obligation qui
pèse sur l’employeur, plus que sous l’optique d’un droit
du salarié ; il en va notamment ainsi lorsqu’elle en fait
une obligation de moyens renforcée (44). C’est d’ailleurs
parce que jurisprudence et doctrine se sont intéressées
au devoir de reclassement, que la question du refus du
salarié avait peu suscité l’attention des auteurs jusqu’à
une date récente (45). La consécration ainsi donnée au
droit au reclassement va-t-elle “en faire le concept phare
du droit du licenciement pour motif économique”
s’interroge M. Héas (46) ?
Les droits sociaux étant pour M. Molfessis (47) “les
droits constitutionnels les moins protégés”, la valeur
constitutionnelle accordée n’apporterait peut-être pas
grand chose. Pourtant, la loi du 18 janvier 2005 n’ayant
pas repris dans sa “nouvelle” définition du licenciement
pour motif économique, la sauvegarde de la
compétitivité de l’entreprise, ni la cessation de son
exploitation, on peut se demander si ce droit au
reclassement, fils du droit au travail, ne peut pas
constituer le cheval de Troie qui permettrait de faire du
maintien de l’emploi un objectif prioritaire par rapport à
cette sauvegarde de compétitivité. Cependant, rien ne
permet d’augurer un changement de direction puisque,
précisément, la définition du licenciement économique,
reste à peu près inchangée.
L'acquisition par la charte des droits fondamentaux, de
l'Union européenne d'une valeur normative telle que
résultant du projet de constitution européenne pouvaitelle aller dans une direction identique ? La question se
pose d'autant plus que cette charte, signée lors du
Conseil européen de Nice en 2000 (47 bis), fait
référence, dans son préambule, à la charte sociale
européenne élaborée par le Conseil de l'Europe en 1961
(47 ter). Le droit au travail est précisément visé à
l'article 1er de la charte sociale européenne ; comme le
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(43) Cass. Soc. 8 avril 1992, Bull. civ. V n° 258 ; 9 avril 1992,
Dr. Ouv. 1992 p. 311.
340
(44) Cf. sur cette idée de moyen renforcé, Franck Héas, n. sous CA
Grenoble, 10 sept. 2001, Dr. Ouv. oct. 2002 p. 504 et s. et
spéc. p. 506 : “Le renforcement ou l’aggravation tiendrait au
fait que c’est à l’employeur de prouver qu’il n’a pas procédé
au reclassement…”
(45) Le refus d’occuper un emploi, A. Arseguel et B. Reynel,
Analyse juridique et valeurs en droit social, Etudes offertes à
J. Pélissier, Dalloz, 2004 p. 1 et s. et spéc. p. 17.
(46) JCP 2005, Ed. Entreprise précitée p. 273.
(47) Nicolas Molfessis, Le Conseil constitutionnel et le droit privé,
LGDJ 1997, spéc. p. 127.
(47 bis) Reproduite au Dr. Ouv. 2001 p. 105.
(47 ter) Révisée en 1996, reproduite au Dr. Ouv. 2004 p. 63.
(48) “Droits fondamentaux : vers un droit commun pour l’Europe”,
Semaine Sociale Lamy, 25 oct. 2004, n° 1187 p. 5 et s. et
spéc. p. 9.
souligne Mme Bonnechère “selon la charte sociale
européenne, l’exercice effectif du droit au travail conduit
à imposer aux parties de “reconnaître” comme objectif
la réalisation du plein emploi” (48). Le juge ne pourraitil alors se donner le pouvoir de contrôler les choix de
gestion dont la légitimité reposerait aussi sur le moindre
coût en terme d’emplois ? Le droit au travail se verrait
alors ajouter une composante contredisant ouvertement
l’arrêt Brinon, avec l’existence d’un droit subjectif à la
stabilité de l’emploi.
On peut cependant douter d’un secours de ce côté là ;
au contraire. Les dispositions de l’article III-203 du projet
avorté constitutionnalisaient, selon M. Supiot, l’objectif
consistant à adapter les hommes au besoin du marché,
et non l’inverse. “Ces dispositions opèrent un
renversement des priorités fixées par les grands textes
adoptés par la communauté internationale au sortir de
la seconde guerre mondiale. A l’époque, il s’agissait de
mettre l’économie et la finance au service des hommes
et non pas l’inverse… On cherche vainement dans le
traité constitutionnel, une disposition qui obligerait ainsi
à indexer les politiques économiques et monétaires sur
l’amélioration des conditions réelles de vie et de travail.
La sécurité qui est un besoin fondamental des êtres
humains y est consacrée quand il s’agit de leur argent
mais pas de leur travail” (49).
2. Incidence de la convention de reclassement
personnalisé
Qualifiée de “première grande étape vers une
généralisation de l’aide au reclassement” (50), la CRP
est une convention (et non un contrat) (51) permettant
“à compter du 1er juin 2005 à tout licencié économique
de bénéficier d’un droit au reclassement” (52). En
réalité, ce droit au reclassement existe depuis longtemps.
Ce sont les modalités d’aide qui sont précisées par
l’accord signé le 5 avril 2005 qui le rendent plus effectif,
moins programmatique.
Le salarié, qui fait l'objet d'une rupture de son contrat de
travail à caractère économique (53) dans une entreprise
(49) A. Supiot, in “Trois points de vue sur le traité établissant une
constitution pour l’Europe”, Semaine Sociale Lamy 9 mai
2005 n° 1214, p. 6 et s. et spéc. p. 7.
(50) Entretien du Ministre de la cohésion sociale, Journal Les
Echos, 3 mai 2005 p. 3
(51) cf. sur ce point, obs. Héas, précitées. Les principaux apports
de la loi de programmation pour la cohésion sociale en
matière de licenciement pour raison économique, loc. cit.
(52) J.L. Borloo, entretien précité.
(53) La circulaire Unedic n° 05-12 du 13 juin 2005 en précise le
domaine d'application : “Toutes les ruptures à caractère
économique telles que les départs négociés ou les départs
volontaires" , les salariés licenciés "à la suite d'une cessation
totale d'activité de l'entreprise" ou encore à ceux dont le
contrat de travail vient à expiration "à la suite d'une fin de
chantier selon les usages de la profession dès lors que les
conventions ou accords collectifs le prévoient".
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de moins de mille salariés, bénéficie à présent, aux termes
du nouvel article L 321-4-2, I alinéa 1 nouveau, d’une
convention de reclassement personnalisé qui lui permet
de disposer de diverses actions de soutien, d’évaluation et
de formation destinées à favoriser son reclassement. Si le
salarié décline cette proposition de convention, il est
licencié ; s’il l’accepte, il devient stagiaire de la formation
professionnelle. Pendant cette convention, ainsi qu’il
résulte de l’accord conclu le 5 avril 2005 entre le patronat
et certains syndicats (54), le salarié en formation percevra
84 % de son salaire brut antérieur pendant trois mois, puis
70 % pendant les cinq mois suivants. Une indemnité
différentielle est prévue s’il retrouve une activité moins
bien rémunérée pendant les huit mois suivants. S’il n’a pas
retrouvé d’emploi à l’issue de la convention de
reclassement, le salarié réintègre le système de l’assurance
chômage. C’est l’Unedic qui finance le dispositif
conjointement avec l’Etat. Cette rupture, dite d’un commun
accord, évite à l’employeur le paiement de l’indemnité de
préavis ; l’indemnité (légale au moins) de licenciement est
due quant à elle, cette charge étant, en définitive,
transférée à la collectivité (54).
Par delà les relatives prérogatives conférées par ce
droit au reclassement, on peut s’interroger sur la nature
véritablement consensuelle de cette convention qui
l’organise. La jurisprudence sur la convention de
conversion ne s’y est pas trompée, qui a, en son temps,
pour ce qui la concerne, adopté le régime juridique du
licenciement en permettant notamment de contester
l’ordre de ceux-ci, ou encore de demander des
dommages et intérêts pour licenciement sans cause
réelle ni sérieuse. Le commun accord est douteux en
(54) NDLR : sur la décision de la CGT de ne pas signer l’accord v.
La lettre de l’administrateur, p. 12, supplément au n° 1614 du
journal Le Peuple, 22 juin 2005.
présence de cette quasi violence légale inhérente à la
contrainte économique qui invite le salarié à opter entre
un licenciement “sec” qu’il n’a évidemment pas choisi et
cette convention qui, si elle lui évite pendant un temps
d’être formellement chômeur, ne lui garantit évidemment
aucun reclassement. C’est d’un “accompagnement” vers
l’emploi dont il s’agit (56). Il n’y a pas ici d’obligation de
moyens renforcée. La dette d’emploi en glissant de
l’employeur (57) vers la collectivité, perd de l’énergie. Le
nouvel article L. 321-4-2 prévoit le versement par
l’employeur d’une contribution de deux mois de salaire
au titre du financement de l’allocation, mais il prévoit
également dans un grand II le versement aux mêmes
organismes de ces deux mois de salaire en cas de nonrespect, par l’employeur, de son obligation de proposer le
bénéfice d’une convention de reclassement personnalisé.
L’obligation, certes de moyens, mais centrale, pesant sur
l’employeur, pourrait presque rejoindre le catalogue des
devoirs dont on peut se dispenser par le paiement d’une
contribution fixe et connue à l’avance.
Certes, plus les aides au reclassement seront
effectives, plus on tendra vers un résultat, et plus le droit
à l’emploi deviendra tangible. Pour l’heure, “le droit à
l’emploi” reste loin “d’assurer une protection de l’accès
et du maintien d’un travail comparable à celle qu’offre
une véritable prérogative” (58).
On peut même se demander si, en attendant, cette
ombre fantomatique du “bien” emploi que constitue le
droit au reclassement, n’a pas pour vertu essentielle,
celle d’atténuer le sentiment irrémédiable de sa perte.
Alain Chirez
de son inscription auprès de l’ANPE (art. L 311-5 du Code du
travail) comme de son droit au revenu de remplacement (art.
L 351-1 du Code du travail) ; cf. sur ce point, Le refus
d’occuper un emploi, prec.
(54) Même si, selon l’évaluation de l’Unedic, la mesure doit
permettre d’économiser 2 millions d’euros.
(57) Dont elle ne modifie pas la mobilisation attendue
(55) Parallèlement, la recherché d’un emploi, de la part du
demandeur d’emploi, est, on le sait, la condition sine qua non
(58) T. Revet, art. précité, in Libertés et droits fondamentaux,
op. cit. ; spéc. p. 751.
l
spécia
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r
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fin sep
RPDS n° 724-725
août-septembre 2005
Le licenciement économique
après la loi du 18 janvier 2005
• Le motif économique de
licenciement
• L’obligation de reclassement
• Les procédures
• L’ordre des licenciements
• Les accords de méthode
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
335-341 Doctrine CHIREZ
341
342-375 Deuxième partie
26/07/05
10:21
Page 342
>
Présentation de quelques articles anciens,
modifiés et nouveaux du Code du travail,
suivis de notes critiques et pratiques
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
sous la direction de Paul Bouaziz
342
p. 343
Première partie : Mesures de prévention
p. 343
Section 1 : Gestion prévisionnelle des emplois par Marie-France Bied-Charreton
p. 347
Section 2 : Reclassement avant licenciement par Emmanuel Gayat
p. 349
Deuxième partie : Processus des licenciements
p. 349
Section 1 : Le rôle du Comité d'entreprise
p. 349
Sous-section 1 : Accords de méthode par Emmanuel Gayat
p. 353
Sous-section 2 : La concomitance du Livre IV et du Livre III par Paul Bouaziz
p. 355
Sous-section 3 : La fixation de l'ordre du jour du CE par Laurent Milet
p. 360
Section 2 : Entrée en vigueur des dispositions nouvelles par Pierre Bouaziz
p. 362
Troisième partie : L'ordre des licenciements
par Marie France Bied-Charreton
p. 365
Quatrième partie : Le rôle du juge et les sanctions
p. 365
Section 1 : Le juge des référés et le juge du fond par Pierre Bouaziz
p. 369
Section 2 : Nullité et poursuite du contrat de travail par Michel Henry
p. 372
Section 3 : Sanctions pénales par Marc Richevaux
342-375 Deuxième partie
26/07/05
10:21
Page 343
Première partie : Mesures de prévention
>
Section 1 : Gestion prévisionnelle des emplois (GPE)
Article L. 320-2 « Dans les entreprises et les groupes d'entreprises au sens du II de l'article L. 439-1 qui occupent
au moins trois cents salariés, ainsi que dans les entreprises et groupes de dimension
communautaire au sens des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 439-6 comportant au
moins un établissement ou une entreprise de cent cinquante salariés en France, l'employeur est
tenu d'engager tous les trois ans une négociation portant sur les modalités d'information et de
consultation du comité d'entreprise sur la stratégie de l'entreprise et ses effets prévisibles sur
l'emploi ainsi que sur les salaires. La négociation porte également sur la mise en place d'un
dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ainsi que sur les mesures
d'accompagnement susceptibles de lui être associées, en particulier en matière de formation, de
validation des acquis de l'expérience, de bilan de compétences ainsi que d'accompagnement de
la mobilité professionnelle et géographique des salariés. Elle peut porter également, selon les
modalités prévues à l'article L. 320-3, sur les matières mentionnées à cet article.
« Si un accord de groupe est conclu sur les thèmes inclus dans le champ de la négociation
triennale visée à l'alinéa précédent, les entreprises comprises dans le périmètre de l'accord de
groupe sont réputées avoir satisfait aux obligations du même alinéa. »
Commentaire
Aujourd’hui, comme on va le voir, ces dispositions
ont été précisées et renforcées. Mais quel employeur
a, par le passé, sérieusement envisagé de les mettre en
œuvre ? On peut se le demander. Quel employeur a
seulement, par le passé, utilisé ce terme de “gestion
prévisionnelle des emplois” ? On peut se le demander
également.
Les entreprises n’étaient à l’évidence, jusqu’à une
date récente, pas intéressées par ce type de dialogue
avec les représentants du personnel qui avait pour but
d’éviter, par une politique anticipatrice et préventive,
(1) Voir aussi pour l’information des comités de groupe en la
matière l’article L 439-2.
les compressions d’effectifs et la précarisation des
emplois, et même de créer une dynamique de
création d’emplois.
Ce dispositif légal a en effet été institué dans
l’intérêt, et dans le seul intérêt des salariés, ainsi que
le révèle au demeurant le texte même de cet article
L 432-1-1 qui précise que les actions de prévention ou
de formation doivent concerner plus particulièrement
“les salariés âgés ou présentant des caractéristiques
sociales ou de qualification qui les exposent plus que
d’autres aux conséquences de l’évolution économique
ou technologique”.
Il s’agissait là – et il s’agit encore aujourd’hui – pour
les employeurs, déjà habitués à effectuer des
prévisions économiques et financières, d’élaborer
aussi des prévisions dans le domaine de l’emploi et de
la qualification, en fonction de l’évolution prévisible
des marchés et des techniques. Le but de ce dispositif
est dès lors notamment d’éviter les licenciements,
mais non pas comme à l’habitude à la dernière
minute et en catastrophe au sens des dispositions
légales relatives au plan de sauvegarde de l’emploi
(par ailleurs bien sûr nécessaires), mais par un
processus de longue haleine se décomposant, d’une
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
1 - La notion de gestion prévisionnelle des emplois
existe dans le Code du travail depuis la loi du 2 août
1989 qui a institué un article L 432-1-1 imposant à
l’employeur de consulter le comité d’entreprise sur
“les prévisions annuelles et pluriannuelles et les
actions, notamment de prévention et de formation, que
l’employeur envisage de mettre en œuvre compte tenu
de ces prévisions”. Cette disposition l’oblige
également à apporter “toutes explications sur les écarts
éventuellement constatés entre les prévisions et
l’évolution effective de l’emploi, ainsi que sur les
conditions d’exécution des actions prévues au titre de
l’année écoulée” (1).
343
342-375 Deuxième partie
>
P re m i è re p a r t i e
26/07/05
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Mesures de prévention
part, en une phase d’études, d’autre part, en une
phase d’actions notamment de prévention et de
formation, avec ultérieurement des bilans périodiques
sur les écarts entre les prévisions et la réalité et sur les
actions réalisées.
En clair, le législateur demande aux employeurs de
gérer les emplois en voyant l’avenir de ces emplois, ce
qui implique un pilotage de l’entreprise ne reposant
plus uniquement sur des critères de compétitivité et
de rentabilité, mais aussi sur des critères sociaux,
l’entreprise étant dès lors prise, non pas tant comme
un instrument pour dégager des bénéfices que
d’abord et avant tout, comme une communauté de
travailleurs.
Une telle orientation, ainsi inscrite dans les textes,
qui rime avec la notion parallèle de citoyenneté des
salariés dans l’entreprise, n’a en réalité jamais été
acceptée par les chefs d’entreprise.
2 - En outre, la Cour de cassation n’a, de son côté,
fait que renforcer cette indifférence à ce dispositif par
une jurisprudence, certes peu fournie mais hautement
critiquable, sur cette question. Dans son tristement
célèbre arrêt IBM du 12 janvier 1999 (2), la Cour
suprême a ainsi utilisé le concept de gestion
prévisionnelle des emplois dans un contexte dans
lequel il n’avait en réalité rien à faire, celui de
l’établissement par l’entreprise d’un projet “emploi
pour 1996” : celui-ci visait en effet ni plus ni moins à
réduire les effectifs, non pas frontalement par des
licenciements, mais par le biais détourné, mais oh
combien efficace, d’appel à candidatures en direction
des salariés pour des formules de travail à temps
partiel, de congé sans solde, de préretraite progressive
et de mise en disponibilité.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Il était évident que, par ces mesures, les salariés
perdaient, peu ou prou, leur emploi. Pourtant la Cour
de cassation a qualifié cette opération de “mesure de
gestion prévisionnelle du personnel”, utilisant ainsi
pour la première fois cette expression, et ce pour…
dispenser l’employeur de diligenter à la procédure
consultative en matière de licenciement collectif.
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Or on le voit, le terme de “gestion prévisionnelle du
personnel” était ici inadapté puisqu’il ne s’agissait pas
de prévenir des réductions d’effectifs aux termes
d’études projectives et d’élaborations subséquentes
de prévisions sur l’évolution de l’emploi (études et
élaborations qui n’étaient jamais intervenues), mais
(2) Bull. n° 17, étude Y. Chauvy in Dr. Ouv. 1999 p. 427 et s.
(3 et 4) Voir aussi : Soc. 12 juillet 2004 pourvoi n° 02-19.175 :
compression d’effectifs par le biais de propositions de dispense
d’activité jusqu’à la date de la retraite s’inscrivant par
conséquent “dans le cadre d’une gestion prévisionnelle des
emplois” ou : Soc. 23 octobre 2002 pourvoi n° 00-41.996 : des
au contraire de définir des modalités d’une réduction
d’effectif.
La solution à laquelle a ainsi abouti la Cour de
cassation est certes compréhensible en ce sens qu’il
s’agissait pour elle de délimiter le champ d’application
de la procédure consultative pour les licenciements
économiques, lequel ne doit dès lors comprendre que
les ruptures de contrats de travail (3 et 4).
Cependant point n’était besoin d’utiliser ce terme
de gestion prévisionnelle des emplois qui ne se
caractérise en rien par des mesures, fussent-elles
“douces” et sur une longue durée, de compressions
d’effectifs. Il suffisait de dire, pour aboutir à la même
solution, que l’employeur était tenu de respecter la
seule procédure du Livre IV du Code du travail
relatives aux “mesures de nature à affecter le volume ou
la structure des effectifs” (cf. article L 432-1 alinéa 1 du
Code du travail). Le législateur n’a pas prévu le
dispositif de la gestion prévisionnelle des emplois
dans le but de délimiter ce qui entre ou n’entre pas
dans le champ d’application des dispositions d’ordre
public relatives à la procédure consultative en matière
de licenciements économiques collectifs.
Le détournement de sens de la loi, de la part de la
Cour de cassation, était certain.
3 - Cette jurisprudence a eu par la suite des effets
pervers redoutables, les employeurs étant désormais
encouragés, non à mettre en œuvre une véritable
politique d’anticipation sur l’évolution des emplois,
mais au contraire à réduire de plus fort les effectifs
puisqu’on leur avait donné la solution pour éviter
cette procédure de licenciements collectifs qui les
gênaient tant, du fait de la prise de parole éclairée des
représentants du personnel et des dépenses qu’elle
entraîne (4 bis).
Dans certaines entreprises (en particulier celles de
taille importante), on s’est ainsi mis à confondre
allègrement “réduction des effectifs” avec “gestion
prévisionnelle des emplois”, ou avec “mobilité interne
dans l’entreprise ou dans le groupe”, ou même avec
“mobilité externe”, dans le seul but d’éviter cette prise
de parole, ainsi que les interventions d’experts et les
plans de reclassement. Le concept de gestion
prévisionnelle des emplois, guère utilisé auparavant,
est ainsi devenu soudain la panacée universelle pour
les employeurs, mais dans un sens bien différent de
celui voulu par le législateur.
propositions de modification de contrat de travail qui, refusées,
entraînent la rupture, ne constituent pas “une simple mesure de
gestion prévisionnelle des emplois”, ce qui rend obligatoire la
procédure consultative en matière de licenciements collectifs).
(4 bis) M. Bonnechère “La procédure, garantie fondamentale des
droits des salariés”, Dr. Ouv. 2004 p. 493.
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4 - Contrairement à ce que d’aucuns prétendent
dans les milieux patronaux, l’orientation donnée
postérieurement à la loi de 1989 par les pouvoirs
publics à la gestion prévisionnelle des emplois s’est
d’ailleurs avérée radicalement contraire à ces dérives,
s’agissant de conforter et même de garantir
financièrement cette gestion dans un sens protecteur
des emplois.
Dans l’ordre chronologique, on a ainsi d’abord vu la
loi du 17 janvier 2002 qui, dans le cadre de l’article
L 322-7 alinéa 6 du Code du travail, prévoit un dispositif
d’appui permettant la prise en charge par l’Etat d’une
partie des frais liés aux études préalables à la
conception du plan de gestion prévisionnelle des
emplois et des compétences, comprenant notamment
des actions de formation destinées à assurer
l’adaptation des salariés à l’évolution de leurs emplois.
Ensuite, au niveau européen, la directive du 11 mars
2002 “établissant un cadre général relatif à l’information
et à la consultation des travailleurs dans la communauté
européenne” (5) insiste longuement, à la différence de
la précédente directive du 20 juillet 1998, sur la
nécessité “de promouvoir et de renforcer l’information et
la consultation sur la situation et l’évolution probable de
l’emploi au sein de l’entreprise, et lorsqu’il ressort de
l’évaluation faite par l’employeur que l’emploi au sein
de l’entreprise risque d’être menacé, les éventuelles
mesures d’anticipation envisagées, notamment en
terme de formation et de développement des
compétences des travailleurs, en vue de contrebalancer
l’évolution négative ou ses conséquences, et de
renforcer la capacité d’insertion professionnelle et
l’adaptabilité des travailleurs d’être affecté” (§ 8 du
Préambule). Elle rappelle ainsi que “la Communauté a
défini et mis en œuvre une stratégie pour l’emploi, axée
sur les notions “d’anticipation”, de “prévention”, de
“capacité d’insertion professionnelle” qui doivent
constituer des éléments-clés de toutes les politiques
publiques susceptibles de favoriser l’emploi, y compris
des politiques des entreprises, à travers l’intensification
du dialogue social en vue de faciliter des changements
compatibles avec la préservation de l’objectif prioritaire
de l’emploi” (§ 10 du Préambule). Enfin ce même
Préambule déplore, dans ce même esprit, que “les
cadres juridiques en matière d’information et de
consultation des travailleurs qui existent aux niveaux
communautaire et national (soient) souvent
excessivement orientés vers le traitement a posteriori
des processus de changement, (…) et ne favorisent pas
une réelle anticipation de l’évolution de l’emploi au sein
de l’entreprise et la prévention des risques” (§ 13 du
Préambule).
(5) reproduite au Dr. Ouv. 2002 p.492.
(6) cf. supra p. 322 l’étude de T. Katz.
Il est clair, déjà au vu de ces textes, que la gestion
prévisionnelle de l’emploi est étrangère à une simple
mobilité dans le groupe et l’entreprise, ou à des
mesures de temps partiel ou congé de fin de carrière
prises à la dernière minute, substitutives en réalité à
des mesures de licenciements secs.
>
5 - Plus clairs encore sont les textes sortis récemment
en droit interne. Dans ce contexte européen, est en
effet intervenu, en premier lieu, un décret du 24 juillet
2002 “relatif au dispositif d’aide au conseil aux
entreprises pour l’élaboration de plans de gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences”, qui
prévoit la prise en charge dans une limite de 50 % par
l’Etat des coûts de conseil externe supportés par les
entreprises en la matière dans le cadre de conventions
conclues avec le Préfet, après consultation préalable du
comité d’entreprise. Ce même décret prévoit également
la conclusion de conventions entre le ministre de
l’emploi et des organismes professionnels et
interprofessionnels “en vue de leur confier la mission de
sensibiliser les entreprises aux enjeux de la gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences”.
Puis en second lieu, sont intervenus les articles
L 320-2 et L 320-3 du Code du travail issus de la loi de
programmation de la cohésion sociale du 18 janvier
2005, particulièrement éclairants quant à la nécessité de
distinguer la gestion prévisionnelle des emplois de toute
action visant à éviter les licenciements dans le cadre
même d’une procédure de compressions d’effectifs.
D’un côté en effet, l’article L 320-2 prévoit la
négociation obligatoire dans les entreprises et les
groupes d’une certaine dimension, “portant sur les
modalités d’information et de consultation du comité
d’entreprise sur la stratégie de l’entreprise et ses effets
prévisibles sur l’emploi ainsi que sur les salaires. La
négociation porte également sur la mise en place d’un
dispositif de gestion prévisionnelle des emplois et
des compétences ainsi que sur les mesures
d’accompagnement susceptibles de lui être associées en
particulier en matière de formation, de validation des
acquis de l’expérience, de bilan de compétences ainsi
que d’accompagnement de la mobilité professionnelle et
géographique des salariés” (6).
De l’autre, l’article L 320-3 permet la négociation
d’accords collectifs de méthode “lorsque l’employeur
projette de prononcer le licenciement économique d’au
moins dix salariés sur une même période de trente jours”
(7). Ces accords fixent, selon cette disposition, les
conditions d’information et de consultation sur le projet
de licenciement et le plan de sauvegarde de l’emploi,
et peuvent anticiper sur le contenu de ce dernier.
(7) sur cet aspect v. supra p. 303l’étude de S. Nadal et p. 296
I. Meyrat (spéc. p. 298).
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Ainsi les choses sont-elles claires : les mesures de
gestion prévisionnelle de l’emploi ne peuvent en aucun
cas être prises “à chaud” à l’occasion d’une opération
de compression d’effectifs. Les deux procédures sont
distinctes l’une de l’autre, comme se situant sur deux
plans radicalement différents.
Les mesures de gestion prévisionnelles de l’emploi
doivent être longuement mûries, en concertation avec
les élus du personnel et avec l’appui, au besoin, d’un
cabinet conseil ad hoc. Elles s’inscrivent en réalité dans
la même démarche que celle adoptée pour
l’élaboration d’autres prévisions de l’entreprise qui,
dans d’autres domaines, doivent être également
soumises au comité d’entreprise, telles que les
perspectives économiques de l’entreprise pouvant être
envisagées (8) ou, pour les entreprises de taille
importante, le compte de résultat prévisionnel et le
plan de financement prévisionnel (9).
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Les mesures de compression d’effectifs sont d’une
toute autre nature juridique. Elles sont régies, soit par la
procédure de licenciement collectif lorsqu’il y a
ruptures de contrats de travail, soit par la procédure de
consultation de droit commun au titre des réductions
d’effectifs lorsqu’il n’y a pas de ruptures.
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Il est ainsi par exemple erroné d’affirmer, comme le
font nombre d’employeurs, que des propositions de
modification des contrats de travail constitueraient des
mesures de GPE, quand chacun sait qu’en cas de refus
du salarié, le licenciement économique sera de toute
façon décidé. Il est à cet égard regrettable que la loi du
18 janvier 2005 ait prévu, par les nouveaux articles L
321-1-2 et L 321-1-3 du Code du travail, que ce n’est
qu’en cas de refus par au moins dix salariés d’une
modification de leur contrat de travail que ceux-ci sont
alors soumis aux dispositions applicables en cas de
licenciement collectif pour motif économique, mettant
ainsi en cause la jurisprudence Majorette et Framatome
(10) (11). Cette disposition instaure en effet une
confusion quant à la nature juridique d’une proposition
de modification, qui pourrait ainsi être considérée
comme une crypto-mesure de GPE pendant la période
antérieure au refus du salarié, comme si le
licenciement n’était, pendant cette courte période,
aucunement envisageable ni envisagé.
Dans le même esprit, il est également regrettable que
l’article L 320-2 alinéa 1 prévoit in fine que la négociation
sur la GPE puisse “porter également, selon les modalités
prévues à l’article L 320-3, sur les matières mentionnées à
cet article”. A prendre ce texte à la lettre, il semblerait
(8) article L 432-4 alinéa 3 du Code du travail.
(9) article L 432-4 alinéa 14 du Code du travail se référant à l’article
L 232-2 du Code de commerce.
(10) cf. par ex. sur cette jurisprudence : Soc. 23 octobre 2002 précité.
(11) Sur cette question cf. supra p. 296 I. Meyrat.
qu’il soit possible de mettre une entreprise en plan de
sauvegarde de l’emploi (PSE) permanent, dans le cadre
d’une prétendue GPE, avec la “désécurisation”
permanente de l’emploi qu’une telle formule
entraînerait. Il convient de rappeler qu’une telle
interprétation serait erronée compte tenu de l’article
L 321-4-1 dont il résulte qu’un plan de sauvegarde de
l’emploi ne peut être mis en place que lorsque des
licenciements économiques collectifs sont envisagés.
6 - N’en déplaise à ceux qui préfèrent que les
entreprises soient gérées à coup de réduction d’effectifs
parce que les salariés coûteraient trop cher à leurs
yeux, celles-ci doivent donc être gérées en tenant
compte du ratio emploi dans les prévisions annuelles et
pluriannuelles.
Reste à savoir, avec ces nouveaux textes, comment
vont se combiner la consultation du comité
d’entreprise et la négociation des accords collectifs de
gestion prévisionnelle des emplois : le comité devra en
tout cas être consulté, d’une part, annuellement au sens
des textes initiaux et, d’autre part, avant la signature des
nouveaux accords collectifs, la matière relevant de sa
compétence consultative (12).
Il appartiendra dès lors aux représentants du
personnel et aux organisations syndicales d’être
particulièrement vigilants quant au respect de
l’ensemble de ces dispositions. Pour ce faire, ne
doivent-ils pas prendre du recul par rapport aux
combats quotidiens qu’ils mènent, la plupart du temps
le dos au mur, ce qui leur permettrait d’imposer aux
employeurs, sur une grande échelle, la mise en œuvre,
sous leur contrôle, d’une politique audacieuse de
gestion prévisionnelle des emplois ? Ne pourraient-ils
pas, en conséquence par exemple, émettre un avis
négatif chaque fois que leur sera présenté un projet de
licenciement collectif pour motif économique qui
n’aura pas été précédé d’une gestion prévisionnelle des
emplois sérieuse, efficace et continue pendant
plusieurs années ?
L’avenir d’une loi dépend de ce que l’on en fait sur
le terrain, que ce soit du côté des employeurs ou du
côté des salariés. L’évolution qu’a suivi jusqu’ici le
concept de GPE ne l’a, hélas, que trop bien montré, et
ce, aux dépens des travailleurs. Gageons qu’il en ira
différemment à l’avenir.
Marie-France Bied-Charreton,
Avocat au Barreau de Paris
(12) Soc. 5 mai 1998, EDF, Bull. n° 219, Dr. Ouv. 1998 p. 350 n.
D. Boulmier et 19 mars 2003, Cervac, Bull. n° 105 : l’absence
de consultation sur le projet de négociation entraîne, non pas
la nullité de l’accord, ni même sa suspension en référé, mais
seulement la réparation du préjudice subi par le comité
d’entreprise.
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Section 2 : Reclassement avant licenciement
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Article L. 321-1 troisième alinéa « Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les
efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un
emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à
défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi d'une catégorie inférieure ne
peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe
auquel l'entreprise appartient. Les offres de reclassement proposées au salarié doivent être
écrites et précises. »
Commentaire
L’obligation de la recherche d’un reclassement préalable au licenciement est sortie
encore renforcée du processus législatif amorcé par la loi du 17 janvier 2002, poursuivi par
la loi du 3 janvier 2003 et achevé, du moins temporairement, par la loi du 18 janvier 2005.
Ce qu’écrivait le Conseiller Boubli en 1996 est aujourd’hui encore plus d’actualité :
“L’obligation de reclassement est en passe de devenir l’obligation majeure du chef d’entreprise
confronté à une impossibilité de maintenir le salarié à son poste de travail” (13). Les règles
découvertes par la Cour de cassation dans ses arrêts de 1992 (14), et qu’elle a précisées par
la suite ont été consacrées par la loi de modernisation sociale en 2002. Ces dispositions ne
furent pas suspendues par la loi du 3 janvier 2003 à l’inverse de la majeure partie de la loi
de modernisation sociale. Ces dispositions ne furent pas plus abrogées par la loi du
18 janvier 2005.
Cette consécration législative sera encore renforcée par le Conseil constitutionnel qui
dans sa décision du 13 janvier 2005, relative à la loi de programmation pour la cohésion
sociale, dans son considérant 28, a estimé que le droit au reclassement des salariés
licenciés découlait directement du droit de chacun d’obtenir un emploi, garanti par le
cinquième alinéa du préambule de la constitution de 1946 (15).
L’obligation de reclassement a donc pris une importance considérable dans la hiérarchie
des normes. Dans les éléments constitutifs du licenciement, il est le plus légitimé. En effet
alors que le contrôle des choix de l’employeur en matière de réorganisation est limité (16)
et que les faits justificatifs de la décision de licencier sont appréciés largement par les
juridictions (17), il apparaît que l’obligation de reclassement n’a cessé d’être renforcée dans
sa dimension individuelle et dans sa dimension collective. La nature, l’étendu et les
sanctions de l’obligation de reclassement sont aujourd’hui très clairement définies. Les
modalités du débat judiciaire autour de l’obligation également.
La recherche de reclassement, préalable au
prononcé du licenciement, est une des conditions de
la validité de la rupture pour motif économique. La
Cour de cassation, dès 1992, précisait que : “le
licenciement économique d’un salarié ne peut
intervenir, en cas de suppression d’emploi, que si le
reclassement de l’intéressé n’est pas possible” (18).
Lorsqu’un poste de travail est supprimé ou modifié
et que la modification a été refusée par le salarié,
l’employeur doit procéder à une recherche effective
(13) Bernard Boubli, “Réflexions sur l’obligation de reclassement en
matière de licenciement pour motif économique”, RJS 1996,
p. 131 ; cf. également Daniel Boulmier “L’appréciation de la
cause réelle et sérieuse d’un licenciement pour motif
économique”, Dr. Ouv. 1997, p. 406.
(16) Cass. Ass. plén. 8 déc. 2000 SAT Dr. Ouv. 2001 p. 357 n.
M. Henry et F. Saramito ; J. Pélissier, A. Lyon-Caen,
A. Jeammaud, E. Dockès, Les grands arrêts du Droit du travail,
Dalloz, 3e ed., 2004, arrêt n° 110 ; v. supra p. 335 A. Chirez
(spéc. p. 337).
(14) Soc. 1er avril 1992, Bull civ. V n° 228.
(17) Cass. Soc. 5 avr. 1995, TWR et Thomson-Vidéocolor, Bull. V
n° 123, Dr. Ouv. 1995 p. 284 en annexe de A. Lyon-Caen “Le
contrôle par le juge des licenciements pour motif économique” ;
Les grands arrêts du Droit du travail, prec. arrêt n° 109 ; v. supra
p. 288 H. Tourniquet (spéc. p. 291 et 293).
(15) Déc. 2004-509 disp. sur www.conseil-constitutionnel.fr ; cf.
Xavier Prétot, “De la liberté d’entreprendre au droit à un emploi
ou les bases constitutionnelles du droit de licenciement” Dr.
Soc. 2005, p. 371 ; à noter également la consécration de
l’obligation de reclassement des agents publics en un principe
général du droit par le Conseil d’Etat (2 oct. 2002, Dr. Ouv.
2003 p. 23 n. F. Héas).
(18) Soc. 1er avril 1992, précité.
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I. La nature de l’obligation
de reclassement
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et, pour reprendre une terminologie réservé
habituellement aux demandeurs d’emploi, active de
reclassement (19). De ce point de vue, la proposition
de modification elle-même ne peut constituer
l’exécution de l’obligation de reclassement et le refus
de cette proposition par le salarié ne dispense pas
l’employeur de son obligation (20). Il est ainsi
parfaitement clair que l’obligation de recherche
préalable de reclassement est un élément constitutif
de la cause économique réelle et sérieuse au coté de
la cause justificative (difficultés économiques,
mutations technologiques etc.) et de sa conséquence
sur l’emploi (suppression, transformation). Quelle que
soit la nature de la cause justificative et quelle que soit
la conséquence sur l’emploi du salarié, l’obligation de
recherche reclassement préalable s’impose.
La recherche d’un reclassement est une obligation
de moyen renforcée (21). L’employeur a une
obligation de rechercher un poste pour le salarié dont
l’emploi est affecté, pas d’en trouver un. Néanmoins,
de simples diligences ne suffisent pas à remplir
l’obligation. L’employeur doit démontrer qu’il se
trouve dans l’impossibilité de proposer un poste de
reclassement (22).
II. Le cadre de la recherche
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Cette recherche de reclassement, selon le texte cidessus reproduit, doit être menée dans l’entreprise et
le groupe de société auquel appartient l’entreprise. Ce
cadre est clairement établi depuis l’arrêt Vidéocolor
(23). Ce cadre a été étendu aux entreprises du groupe
situé à l’étranger (24).
348
On peut s’interroger sur le caractère exhaustif de ce
cadre. En effet, l’employeur tenu à une obligation de
loyauté envers le salarié doit sans doute entreprendre,
au-delà de ce cadre des recherches de reclassements
externes. Cette recherche hors du cadre du groupe est
expressément visée comme une des mesures devant
être intégré dans le plan de sauvegarde de l’emploi. Le
plan doit en effet, en application des dispositions de
l’article L 321-4 du Code du travail contenir des
mesures devant “faciliter le reclassement du personnel
dont le licenciement ne pourrait être évité”. Cette
obligation de recherche d’un reclassement externe du
salarié dont le licenciement économique ne pourrait
être évité du fait de l’échec de la recherche de
reclassement interne est sans aucun doute une
(19) Pour une inexécution de l’obligation censurée au visa de l’art.
1134 C. civ., Cass. Soc. 7 avr. 2004 Dr. Ouv. 2005 p. 122.
obligation générale qui dépasse, comme l’obligation
de reclassement interne, les cas où l’élaboration d’un
plan de sauvegarde est obligatoire.
Chaque employeur est intégré dans un milieu
professionnel constitué de ses fournisseurs, clients,
concurrents etc. La loyauté doit conduire, si
véritablement le licenciement projeté est non inhérent
à la personne du salarié, à ce que ce réseau
d’influence soit mis à contribution pour le
reclassement (25). Ce cadre, très subsidiaire du
précédent, n’a pas pour objet d’éviter le licenciement
mais de préserver le droit d’obtenir un emploi du
salarié. Cette recherche de reclassement externe est
donc bien une partie de l’obligation visée par le
Conseil constitutionnel dans sa décision. Il est de ce
fait, sans aucun doute, un élément de validité de la
mesure de licenciement et doit donc à ce titre être
entrepris avant celui-ci.
III. L’objet de la recherche
Le texte de l’article L 321-1 est précis, la recherche
d’un poste de reclassement doit porter sur des emplois
disponibles de même catégorie et subsidiairement de
catégorie inférieure. L’employeur doit d’abord
rechercher, dans le cadre qui vient d’être défini, les
emplois les plus proches de ceux qui sont occupés par
les salariés affectés par les mesures (du point de vue
du contenu, de la qualification et de la localisation).
L’employeur doit ensuite, si cette première recherche
a échoué, étendre ses recherches. Ce caractère loyal
de la recherche d’un poste susceptible de convenir au
salarié est essentiel (26). Quand bien même
l’employeur propose des postes à un salarié qui les
refuse, il n’a pas rempli son obligation loyalement si
des postes plus proches de celui précédemment
occupé existent.
Dans le cadre d’une recherche d’un poste de
reclassement, l’employeur peut proposer des
modifications des contrats de travail (27). Il doit
également remplir son obligation d’adaptation du
salarié à son emploi et ne pas se contenter des postes
que le salarié peut immédiatement occuper mais
étendre sa recherche à tous les postes que le salarié
pourrait se voir attribuer après une formation
professionnelle entrant dans le cadre de l’obligation
d’adaptation.
(24) Soc. 7 octobre 1998 Bull civ. V n° 407.
(21) cf. supra p. 335 l’étude de A. Chirez.
(25) Pour un reclassement chez le client unique détenant une
participation dans la société : CA Limoges, 13 déc. 2000
Dr. Ouv. 2002 p. 29 n. F. Héas.
(22) Soc. 19 novembre 1992, RJS 1993 n° 19.
(26) Soc. 27 octobre 1998 RJS 1998 n° 1457.
(23) précité.
(27) Soc. 8 avril 1992, RJS 592, n° 598.
(20) Soc. 30 septembre 1997, RJS 1997 n° 1222.
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Cette loyauté dans la recherche d’un poste de
reclassement impose également un certain formalisme
aux propositions qui sont faites aux salariés. Le texte
prévoit explicitement que les propositions doivent être
écrites et précises. La jurisprudence a également
précisé que la recherche ainsi que les offres faites aux
salariés devaient être individualisées. La pratique très
répandue de propositions collectives de postes ou de
renvoi des salariés à une liste de poste disponible, à
charge pour eux de se porter candidat, est
rigoureusement illicite (28).
>
Emmanuel Gayat,
Avocat au Barreau de Paris
Deuxième partie :
Processus des licenciements
Section 1 : Le rôle du Comité d'entreprise
Sous-section 1 : Accords de méthode
Article L. 320-3 « Des accords d'entreprise, de groupe ou de branche peuvent fixer, par dérogation aux
dispositions du présent livre et du livre IV, les modalités d'information et de consultation du
comité d'entreprise applicables lorsque l'employeur projette de prononcer le licenciement
économique d'au moins dix salariés sur une même période de trente jours.
« Ces accords fixent les conditions dans lesquelles le comité d'entreprise est réuni et informé de
la situation économique et financière de l'entreprise, et peut formuler des propositions
alternatives au projet économique à l'origine d'une restructuration ayant des incidences sur
l'emploi et obtenir une réponse motivée de l'employeur à ses propositions. Ils peuvent organiser
la mise en oeuvre d'actions de mobilité professionnelle et géographique au sein de l'entreprise
et du groupe.
« Les accords prévus au présent article ne peuvent déroger aux dispositions du troisième alinéa de
l'article L. 321-1, à celles des onze premiers alinéas de l'article L. 321-4, ni à celles des articles
L. 321-9 et L. 431-5.
« Toute action en contestation visant tout ou partie de ces accords doit être formée, à peine
d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date
d'accomplissement de la formalité prévue au premier alinéa de l'article L. 132-10. Toutefois, ce
délai est porté à douze mois pour les accords qui déterminent ou anticipent le contenu du plan
de sauvegarde de l'emploi mentionné à l'article L. 321-4-1. »
(28) cf. not : CE 15 novembre 1996, RJS 1997 n° 61 ; rappr. les
exigences en matière de propositions de postes aux salariés à
temps partiel souhaitant passer à temps plein : Cass. Soc.
20 avril 2005 à paraître au Dr. Ouv. n. M. Coupillaud.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
« Ces accords peuvent aussi déterminer les conditions dans lesquelles l'établissement du plan de
sauvegarde de l'emploi mentionné à l'article L. 321-4-1 fait l'objet d'un accord, et anticiper le
contenu de celui-ci.
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Processus des licenciements
Article L. 320-2 extrait* « Dans les entreprises et les groupes d'entreprises au sens du II de l'article L. 439-1 qui occupent
au moins trois cents salariés, ainsi que dans les entreprises et groupes de dimension
communautaire au sens des deuxième et troisième alinéas de l'article L. 439-6 comportant au
moins un établissement ou une entreprise de cent cinquante salariés en France, l'employeur est
tenu d'engager tous les trois ans une négociation (...) [qui] peut porter également, selon les
modalités prévues à l'article L. 320-3, sur les matières mentionnées à cet article. »
Commentaire
Depuis de très nombreuses années, et sans doute depuis l’instauration de l’obligation de
présenter un plan social aux institutions représentatives du personnel, il existe une
“négociation sur les restructurations destructrices d’emploi” (29). Une négociation existe
nécessairement lorsqu’un projet, susceptible d’évolution, est présenté aux élus du personnel
qui en discutent et qui n’ont pas attendu la permission de la loi pour présenter des contrepropositions aux employeurs. Cette négociation était et reste, selon un qualificatif traditionnel,
atypique. Elle ne l’était pas seulement parce qu’elle se déroulait entre l’employeur et des élus.
L’objet de la négociation est lui-même atypique. C’est bien sur le contenu de la décision
patronale de restructuration que les représentants du personnel veulent peser. La procédure
de consultation, la “méthode” d’information des institutions, n’ont aucun intérêt si elles ne
permettent pas d’infléchir le contenu de la décision. Partant de ces constats, il a toujours été
débattu des conditions de l’information et de la consultation au regard de cet objectif. Les
élus peuvent ainsi renoncer à l’exercice de certaines de leurs prérogatives ou au contraire les
exercer avec un zèle tout particulier, en considération des concessions de l’employeur sur le
contenu de la décision de restructuration et sur le contenu des mesures d’accompagnement.
A l’inverse, certains employeurs sont prêts à octroyer aux élus des prérogatives
supplémentaires à celles qui sont prévues par la loi, et à fournir toutes les informations
souhaitées, tant que le contenu des mesures ne subit aucune modification du fait de la
procédure d’information et de consultation.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
A ces phénomènes inhérents à la discussion des projets de l’employeur, s’est ajoutée la
conduite de négociation collective d’entreprise, cette fois-ci entre les organisations syndicales
et les employeurs. Certaines organisations syndicales ont ainsi accepté de prendre une
responsabilité dans l’élaboration des décisions de restructurations. Cette participation portait
essentiellement sur le contenu des plans sociaux puis des plans de sauvegarde de l’emploi.
350
Alors que ces phénomènes se développaient, sans intervention particulière du législateur, et
souvent en marge de la loi et parfois de façon occulte, la loi du 3 janvier 2003 a instauré, à
titre expérimental, une possibilité de négociation dérogatoire, d’accords collectifs de travail,
soumise au livre I du Code du travail, portant sur les modalités de consultation des institutions
représentatives du personnel sur les restructurations. L’instauration de cette négociation
“d’accord de méthode” par la loi a fait l’objet d’importantes critiques (30). Ces critiques sont
parfaitement fondées lorsqu’elles portent sur les principes mêmes mis à mal par les
mécanismes mis en œuvre, principalement sur le recul de l’ordre public ou sur la difficile
articulation entre la consultation et la négociation. En revanche, la portée des dispositions
légales a souvent été, selon nous, exagérée. Les possibilités de dérogation offertes par la loi
aux accords de méthode étaient et restent particulièrement limitées, surtout au regard des
pratiques observables.
La lecture du “bilan d’étape sur les accords de méthode” réalisés par la DGEFP est de ce point
de vue très intéressante (31). L’administration a procédé à l’étude de 161 accords “de
méthode”. Elle indique que ces accords ont été conclus pour répondre “au souci des
partenaires sociaux de sécuriser les procédures et de faciliter le reclassement des salariés
concernés”. Il est bien clair que les mécanismes mis en œuvre tendent à ce que les décisions
* Voir texte intégral de l’article L. 320-2 supra p. 343 et le
commentaire de M.-F. Bied-Charreton.
(30) cf. not. Christophe Baumgarten, “Accords de méthodes : un
marché de dupes”, Dr. Ouv. 2003, p. 358.
(29) Gérard Lyon-Caen, “Vers une négociation sur les restructurations
destructrices d’emplois”, Dr. Ouv. 2002, p. 559.
(31) DGEFP, “Accords de méthode - Bilan d’étape”, septembre 2004
publiée in Liaisons sociales quotidien daté du 4 janvier 2005 ;
pour une lecture critique de ce bilan, v. supra p. 311 P. Rennes.
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de l’employeur ne puissent être remis en cause (soient “sécurisées”) en échange d’une
amélioration du sort des salariés affectés par la restructuration (que soit “facilité leur
reclassement”). Les accords analysés, en dépit de ce que prédisaient certains, ne sont pas en
retrait par rapport à la loi. Au contraire, il apparaît que des moyens d’informations
supplémentaires sont mis dans la quasi-totalité des cas à la disposition des élus. Les accords
prévoient également dans l’immense majorité des cas, la négociation du plan de sauvegarde
de l’emploi et le renforcement de l’obligation de reclassement de l’employeur. La conclusion
de tels accords par les employeurs n’a pas pour objet de réduire les prérogatives des
institutions représentatives du personnel mais bien d’empêcher toute mise en cause,
syndicale ou judiciaire des restructurations menées, moyennant concessions. Plusieurs
accords analysés par l’administration contiennent d’ailleurs des clauses par lesquelles les
signataires renonçaient explicitement à agir en justice pour contester ces décisions.
>
La loi du 18 janvier 2005 a mis fin à “l’expérimentation” et a institué les dispositions
ci-dessus reproduites, mettant en place un mécanisme “définitif” de négociation sur “les
modalités d’information et de consultation du comité d’entreprise applicables lorsque
l’employeur projette de prononcer le licenciement économique d’au moins dix salariés sur
une même période de trente jours” (32). Ces dispositions élargissent le périmètre de l’objet
des accords de méthode (II.) et assouplissent les modalités de leur conclusion soumettant
ces accords au régime de droit commun (I.).
Les accords visés à l’article L 320-3 du Code du travail
sont des accords collectifs de travail soumis au droit
commun fixé aux articles L 132-1 et suivants du même
code. Il peut désormais s’agir d’accord d’entreprise,
d’accord de groupe ou d’accord de branche, à durée
déterminée ou indéterminée. La possibilité de négocier
au niveau de la branche, qui est une nouveauté
introduite par la loi, laisse songeur. Il apparaît
particulièrement délicat de décider, de façon abstraite,
de dérogations aux règles du Code du travail relatives à
l’information et à la consultation des institutions
représentatives du personnel, à ce niveau de
négociation. Dans ce cadre, la négociation aura lieu
nécessairement sans considération des projets concrets
soumis à la consultation. Il est probable que peu
d’accords seront conclus à ce niveau sauf, peut-être,
des accords-cadres sans véritable portée.
L’objet des accords de méthode est intégré dans la
négociation triennale obligatoire prévue à l’article
L 320-2. La négociation d’accord de méthode, à froid, là
encore sans considération des projets soumis à
discussion, est totalement inadaptée et peut conduire
les organisations syndicales à consentir à des accords
sans pouvoir en mesurer l’ensemble des conséquences
et en renonçant à se servir de cette négociation comme
levier de l’amélioration des projets de restructuration
au regard des intérêts des salariés. Le mélange de cette
négociation sur les processus de consultation avec la
négociation sur la gestion prévisionnelle de l’emploi est
de surcroît source de confusion.
Sauf dispositions conventionnelles particulières, en
application des dispositions générales de l’article
L 132-2-2, les nouveaux accords institués par l’article
L 320-3 peuvent être valablement conclus par la partie
patronale et une organisation syndicale représentative
dès lors qu’ils ne font pas l’objet du droit d’opposition
des syndicats majoritaires (33). En ce qui concerne les
accords de méthode, l’application du droit commun
constitue un assouplissement des conditions de leur
conclusion. En effet, précédemment, la loi du 3 janvier
2003 imposait systématiquement la signature des
organisations majoritaires. Dans le même mouvement
d’assouplissement des conditions de conclusions des
accords, la consultation préalable du comité
d’entreprise sur le projet soumis à signature n’est plus
une condition de validité de l’accord (34). Cette
évolution entraînera des difficultés d’exécution des
accords qui seraient conclus par des organisations
minoritaires, sans association véritable des comités
d’entreprise. Le comité qui n’est pas partie à l’accord
collectif mais véritablement sujet de celui-ci,
n’exécutera pas spontanément et de bonne grâce les
termes d’un accord qui ne bénéficierait pas de
l’adhésion de sa majorité. Or, l’intérêt pour les
employeurs de tels accords est justement d’obtenir la
(32) Sur les accords de méthode cf. supra p. 303 et p. 311 les études
de S. Nadal et P. Rennes.
p. 445 ; Jean-Emmanuel Ray “Les curieux accords dit
“majoritaires” de la loi du 4 mai 2004” Dr. social 2004, p. 590.
(33) A propos de la loi du 4 mai 2004 : Francis Saramito “Le
nouveau visage de la négociation collective”, Dr. Ouv. 2004,
(34) Mais reste une obligation pénalement sanctionnée cf. Soc.
5 mai 1998, Dr. Ouv. 1998 p. 350 note Boulmier et Dr. Social
1998, p. 579, rapport Frouin.
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I. La conclusion
des “accords de méthode”
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Processus des licenciements
coopération des institutions représentatives du
personnel dans un souci de “sécurisation” de leur
projet de réorganisation. Un accord extrêmement
minoritaire, conclu dans le but de réduire le rôle du
comité d’entreprise, constituerait une provocation qui,
d’une
part,
augmenterait
considérablement
la
probabilité d’un contentieux et qui, en tout état de
cause ne pourra empêcher celui-ci d’exercer ses
prérogatives fondamentales (35).
La loi du 18 janvier 2005 institue également un délai
de forclusion à l’introduction des actions en
“contestation” des accords. Le délai est de trois mois à
compter du dépôt de l’accord, prévu à l’article L 132-10,
auprès de la DDTE et du Conseil de prud’hommes. Ce
délai est porté à douze mois lorsque l’accord porte sur
le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi. Le terme
de “contestation” est particulièrement imprécis. Il faut
sans doute comprendre qu’il s’agit des actions en
contestation de la validité des accords. Ces délais ne
seront en tout état de cause pas opposables au comité
d’entreprise, qui n’est pas partie à l’accord, en cas de
contestation par lui de l’opposabilité d’un tel accord,
dérogeant à une règle d’ordre public. Le comité
pourrait toujours revendiquer l’application de la règle
d’ordre public que l’accord, même non contesté dans
le délai de forclusion, aurait eu la prétention d’écarter.
En effet, l’objet des accords de méthodes est limité et le
délai de forclusion ne peut s’appliquer que si l’accord
entre bel et bien dans le champ spécial prévu par
l’article ci-dessus rapporté.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
(35) Cf. infra.
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(36) Ces dispositions spécialement visées sont les suivantes :
L 431-5 : “La décision du chef d’entreprise doit être précédée par
la consultation du comité d’entreprise.
Pour lui permettre de formuler un avis motivé, le comité
d’entreprise doit disposer d’informations précises et écrites
transmises par le chef d’entreprise, d’un délai d’examen suffisant
et de la réponse motivée du chef d’entreprise à ses propres
observations.
Pour l’exercice de ses missions, le comité d’entreprise a accès à
l’information nécessaire détenue par les administrations
publiques et les organismes agissant pour leur compte,
conformément aux dispositions en vigueur concernant l’accès
aux documents administratifs.
Il peut en outre, entreprendre les études et recherches nécessaire
à sa mission.”
L 321-1 : “Constitue un licenciement pour motif économique le
licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs
motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une
suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification,
refusé par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail,
consécutive notamment à des difficultés économiques ou à des
mutations technologiques.
Le licenciement pour motif économique d’un salarié ne peut
intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d’adaptation
ont été réalisés et que le reclassement de l’intéressé sur un emploi
relevant de la même catégorie que celui qu’il occupe ou sur un
emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserves de l’accord exprès
du salarié, sur un emploi d’une catégorie inférieure ne peut être
II. Le contenu
des “accords de méthode”
Les accords visés à l’article L 320-3 du Code du travail
ont vocation à traiter trois sujets : les modalités
d’information et de consultation du comité d’entreprise
sur les projets de restructurations entraînant plus de dix
licenciements, les actions de mobilité professionnelle
et géographique au sein de l’entreprise et du groupe, les
modalités de négociation du plan de sauvegarde de
l’emploi et le contenu de celui-ci.
Le premier objet, qui est central, de ces accords porte
sur la procédure de consultation du comité
d’entreprise. L’accord doit traiter de deux sujets : les
conditions dans lesquelles le comité est informé de la
situation économique et financière de l’entreprise, et
les conditions dans lesquelles il peut formuler des
propositions alternatives. La rédaction étant sans
ambiguïté, ces deux sujets doivent être traités
obligatoirement. L’absence de stipulations permettant
au comité de formuler des propositions alternatives et
surtout lui permettant de recevoir des réponses de
l’employeur affecterait la validité de l’accord. Sur ces
sujets, les accords de méthode peuvent déroger aux
dispositions contenues par les livres IV et III du Code du
travail qui concernent les “modalités d’information et de
consultation du comité d’entreprise”. Ils ne peuvent en
revanche déroger aux dispositions du livre I, aux
dispositions des livres III et IV qui ne concernent pas les
“modalités d’informations et de consultation du comité
d’entreprise” ainsi qu’aux dispositions de certains
articles des livres III et IV explicitement énumérés (36).
Il est ainsi acquis, à la lecture du texte et en
réalisé dans le cadre de l’entreprise, ou le cas échéant, dans les
entreprises du groupe auquel l’entreprise appartient. Les offres de
reclassement proposées au salarié doivent être écrites et précises.”
Les onze premiers alinéas de l’article L 321-4 : “L’employeur est
tenu d’adresser aux représentants du personnel, avec la
convocation aux réunions prévues à l’article L 321-2, tous
renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif.
Il doit, en tout cas, indiquer :
- la ou les raisons économiques, financières ou techniques du
projet de licenciement,
- le nombre de travailleurs dont le licenciement est envisagé,
- les catégories professionnelles concernées et les critères
proposés pour l’ordre des licenciements visé à l’article L 321-1-1,
- le nombre de travailleurs, permanents ou non, employés dans
l’établissement, et le calendrier prévisionnel des licenciements.
Lorsque le nombre de licenciement envisagés est au moins égal à
dix dans une même période de trente jours, l’employeur doit
également adresser aux représentants du personnel les mesures
ou le plan de sauvegarde de l’emploi défini à l’article L 321-4-1
qu’il envisage de mettre en œuvre pour éviter les licenciements
ou en limiter le nombre et pour faciliter le reclassement du
personnel dont le licenciement ne pourra être évité.
Ces mesures sont constituées, dans les entreprises ou établissements mentionnés au premier alinéa de l’article L 321-3,
par les conventions de conversion prévues à l’article L 321-5.
De même, l’employeur doit simultanément faire connaître aux
représentants du personnel les mesures de nature économique
qu’il envisage de prendre.
L’employeur met à l’étude, dans les délais prévus à l’article
L 321-6, les suggestions formulées par le comité d’entreprise
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considération des interprétations de l’administration
(37) que sont exclues du champ des dérogations :
– les dispositions fondamentales prévoyant que les
comités ont droit à une information complète,
préalable et écrite ou à l’assistance d’un expert ;
– les dispositions qui ne sont pas directement liées
aux modalités d’informations et de consultations et
notamment les dispositions relatives aux conditions de
validité des licenciements économiques (motifs
économiques admissibles, obligation de reclassement,
critères de l’ordre des licenciement etc.).
Restent dans le champ de la négociation dérogatoire
essentiellement le nombre de réunions de chaque
institution représentative du personnel et les délais les
séparant. Cette question est relativement peu
importante dès lors que les comités, pour pouvoir
valablement émettre un avis, doivent toujours être
pleinement informés des tenants et aboutissant des
projets soumis à leur consultation. Cela signifie que les
calendriers arrêtés par accord ne seront opposables au
comité que dans la mesure où ces calendriers
permettent une information complète et que les
employeurs fournissent effectivement l’ensemble de
ces informations. Dans le cas contraire, les élus
pourront toujours exiger que le processus
d’information soit poursuivi au-delà de ces calendriers
et en cas de refus de la Direction saisir le juge de
demandes tendant à cette prolongation.
Les autres objets de la négociation, évoqués par
l’article L 320-3, la mobilité et le contenu du plan de
sauvegarde de l’emploi, ne sont mentionnés que dans
un but d’incitation. Aucune latitude particulière n’est
laissée aux négociateurs qui, sur ces sujets, doivent
strictement respecter la loi. Ainsi l’accord qui
anticiperait le contenu du plan de sauvegarde de
l’emploi devrait respecter scrupuleusement les
dispositions de l’article L 321-4-1 du Code du travail qui
fixe les conditions de validité de ce plan. De ce point de
vue, l’intérêt de l’employeur à conclure de tels accords
consiste à associer les organisations syndicales à
l’élaboration des restructurations à seule fin d’en éviter
la contestation (38). L’intérêt des organisations
syndicales et des salariés est nettement moins évident.
Les institutions représentatives du personnel pèsent
déjà dans le cadre des processus de consultation sur le
contenu des plans de sauvegarde de l’emploi. Il n’est
absolument pas évident que les concessions des
employeurs seront plus importantes dans le cadre de la
négociation collective. Il est en revanche certain que
cette participation des organisations syndicales
conférera au plan de sauvegarde négocié une plus
grande légitimité et rendra plus difficile, en pratique, sa
contestation, quand bien même il serait insuffisant.
>
Emmanuel Gayat,
Avocat au Barreau de Paris
Sous-section 2 : La concomitance du Livre IV et du Livre III
Article L. 321-3 deuxième alinéa I. Est ainsi affirmé, dans la loi, un principe dégagé
par la jurisprudence. Toutes les règles qui en sont
issues continueront à s’appliquer. Il convient de
rappeler que concomitance ne signifie pas
relatives aux mesures sociales proposées et leur donne une
réponse motivée.
Lorsque le projet de licenciement concerne moins de dix
salariés sur une même période de trente jours, l’ensemble des
informations prévues au présent article sera simultanément
porté à la connaissance de l’autorité administrative compétente,
à laquelle seront également adressés les procès verbaux des
réunions prévues à l’article L 321-3. Ces procès verbaux devront
comporter les avis, suggestions et propositions des représentants
du personnel.”
L 321-9 : “En cas de redressement ou de liquidation judiciaire,
l’administrateur ou, à défaut, l’employeur ou le liquidateur,
suivant le cas, qui envisage des licenciements économiques doit
confusion : les deux procédures, celle au titre du
Livre IV et celle au titre du Livre III, doivent être
conduites de façon distincte et doivent toutes les
deux être respectées (38 bis).
réunir et consulter le comité d’entreprise ou, à défaut, les
délégués du personnel dans les conditions prévues aux premier
deuxième et troisième alinéa de l’article L 321-3 et aux articles
L 321-4, L 321-4-1, à l’exception des deuxième troisième et
quatrième alinéas, L 422-1, cinquième et sixième alinéas, et
L 432-1, deuxième alinéa”.
(37) Circulaire DGEFP/DRT n°20033 du 26 février 2003.
(38) Ces accords sont d’ailleurs présentés comme étant des gages de
“sécurité et d’efficacité” par P.-H. Antonmattéi in “Accord de méthode,
génération 2005 : la positive attitude” Dr. soc. 2005 p. 399.
(38 bis) Comp. supra A. Lyon-Caen p. 283, H. Tourniquet p. 288 et
P. Rennes p. 311.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
« Dans les entreprises ou professions mentionnées ci-dessus, où sont occupés habituellement au
moins cinquante salariés, les employeurs qui projettent d'y effectuer un licenciement dans les
conditions visées à l'alinéa précédent sont tenus de réunir et de consulter le comité d'entreprise.
Ils peuvent procéder à ces opérations concomitamment à la mise en œuvre des procédures de
consultation prévues par l'article L. 432-1. »
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Deuxième partie
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Processus des licenciements
Pour chacun des points suivants, cela signifie que :
1° ordre(s) du jour des réunions : il doit y avoir deux
ordres du jour distincts l’un sur le Livre IV, l’autre sur le
livre III. Ces points peuvent, bien évidemment, être
abordés au cours d’une même réunion ;
2° documents à remettre au comité d’entreprise :
deux documents d’information distincts doivent être
donnés aux élus ;
3° désignation de l’expert comptable : l’expert est
désigné dès la première réunion, ce qui lui permet
d’intervenir sur l’ensemble du processus dont est saisi
le comité, c’est-à-dire tant sur la réorganisation ellemême (ses motifs, ses fondements économiques, etc.)
que pour l’analyse du plan de sauvegarde de l’emploi
et des mesures qui y sont prévues ;
4° délais de la consultation : application des délais
“les plus favorables”, cela signifie qu’il n’y a pas de
délais fixes, ceux de l’article L. 321-3 du Code du travail
ne sont pas forcément applicables, étant rappelé que le
Livre IV ne prévoit pas de délais. Tout dépendra de la
nature, de l’importance et de la complexité du projet,
des questions posées par les élus, de la bonne ou de la
mauvaise volonté de la direction pour donner au
comité et à son expert les éléments dont il a besoin afin
de pouvoir appréhender dans sa totalité le projet et ses
conséquences, des conditions des discussions sur le
plan de sauvegarde de l’emploi, des efforts faits par la
direction pour mettre en place des processus destinés à
éviter les licenciements ou à en limiter le nombre, etc. ;
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
5° nombre d’avis du comité : dans la mesure où les
deux procédures doivent être respectées, le comité
d’entreprise doit émettre un avis d’une part sur le Livre
IV, d’autre part sur le Livre III, et ce de façon distincte.
354
La question du “décrochage” de la concomitance n’a
jamais été réglée clairement par la jurisprudence, la
seule décision étant une ordonnance de référé du
Tribunal de grande instance de Nanterre du
23 septembre 1998 qui a estimé qu’il ne pouvait y avoir
de décrochage au motif que : “Attendu alors quant à
l’objet du litige que force est de constater que les projets
d’adaptation de la société Rhône Poulenc Rorer
Propharm sont bien de nature à affecter le volume ou la
structure de ses effectifs au sens de l’article L. 432-1 et
qu’ils ont donc pour conséquence un projet de
licenciement collectif pour motif économique au sens de
l’article L. 321-3 ; que manifestement l’information
donnée sur les premiers pour justifier la nécessité des
adaptations et en présenter les modalités prévues est
aussi préparatoire au projet de licenciement économique
collectif, puisque précisément l’une de ces modalités
consiste en suppression d’emploi ; qu’au demeurant le
document de projet de plan social ne contient aucune
information sur les raisons économiques, financières ou
techniques du plan de licenciement, telles que prévues
par l’article L. 321-4 du Code du travail, se bornant dans
ses deux premières lignes à poser que “le projet
d’adaptation des effectifs rendu nécessaires par les
restructurations envisagées entraîne des conséquences
en matière d’emploi” ;
Attendu que dans ces conditions, s’il est incontestable
que l’employeur était tenu de mettre en œuvre les deux
procédures spécifiques et distinctes des Livres IV et III du
Code du travail, il ne peut davantage être sérieusement
contesté à raison de leur aspect indissociable, que cellesci doivent suivre le même sort dans l’intérêt même de
l’instance représentative du personnel informéeconsultée en lui permettant ainsi d’éclairer l’une par
l’autre comme de faire bénéficier l’une des avantages de
l’autre, et réciproquement ; que cette nécessité est
pareillement de nature à assurer par l’entreprise le
respect de son obligation de loyauté et de qualité qui lui
incombe dans ce domaine ; que c’est bien en ce sens que
doit se comprendre l’affirmation incidente par la Cour de
cassation dans son arrêt du 17 juin 1997 (n° 2760 PB
société des grands magasins de l’ouest) que “si les deux
procédures peuvent être conduites de manière
concomitante, sous réserve des délais les plus
favorables…” (ordonnance de référé du TGI de Nanterre
– 23 septembre 1998 Rhône Poulenc Rorer Propharm
inédit).
II. Compte tenu des nouvelles dispositions, les élus
peuvent-ils exiger que la consultation soit faite
concomitamment ? Jusqu’à présent et alors que la
concomitance était une création jurisprudentielle,
il avait été estimé que cette concomitance ne pouvait
être imposée à la direction, celle-ci pouvant choisir de
la faire ou non.
Sur cette question, il n’y a que très peu de
jurisprudence. La question mériterait d’être à nouveau
posée au regard du nouveau texte. Bien que le texte
prévoit expressément que l’employeur peut mettre en
œuvre la concomitance, on peut s’interroger sur le fait
de savoir si les élus peuvent ou non exiger qu’elle ait
lieu. Puisque c’est la direction qui choisit d’initier une
procédure de licenciement collectif pour motif
économique, il était logique que le texte dise que
l’employeur peut choisir la concomitance. En effet, les
élus n’ont pas l’initiative d’une procédure de
licenciement collectif pour motif économique ! En
fonction de la situation, la décision prise par
l’employeur, de procéder ou non à une consultation
concomitante, pourrait être soumise au juge qui,
compte tenu des pouvoirs qui lui sont dévolus, pourrait
imposer la solution la plus à même à garantir
l’efficience des prérogatives et des missions du comité
d’entreprise.
Paul Bouaziz,
Avocat au Barreau de Paris
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Sous-section 3 : La fixation de l'ordre du jour du CE
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Article L. 434-3 deuxième alinéa « L'ordre du jour est arrêté par le chef d'entreprise et le secrétaire. Toutefois, lorsque sont en
cause des consultations rendues obligatoires par une disposition législative, réglementaire ou
par un accord collectif de travail, elles y sont inscrites de plein droit par l'un ou par l'autre. Il est
communiqué aux membres trois jours au moins avant la séance. Lorsque le comité se réunit à
la demande de la majorité de ses membres, figurent obligatoirement à l'ordre du jour de la
séance les questions jointes à la demande de convocation. »
Commentaire
Antérieurement à la loi du 18 janvier 2005 (39), les règles de forme imposées par la loi pour
la convocation du comité, règles appliquées à la lettre par la jurisprudence de la Cour de
cassation, traduisaient l’équilibre voulu par le législateur : le comité est présidé par
l’employeur mais il est dirigé par le secrétaire (40).
La loi comme la jurisprudence faisait ainsi obligation au secrétaire et au président de se
mettre d’accord pour élaborer l’ordre du jour des séances du comité, quel que soit l’objet
de la réunion. Aucun des deux ne pouvait imposer à l’autre une rédaction déterminée (41).
La nouvelle rédaction de l’article L. 434-3 du Code du travail reproduite ci-dessus (42)
permet dans certains cas au président ou au secrétaire d’inscrire de plein droit des
questions sur lesquelles il y aurait refus d’inscription de l’un ou l’autre. Le texte établit pour
cela une distinction entre consultations obligatoires et non obligatoires. Il ne supprime pas
l’obligation de l’élaboration conjointe (I), mais il rompt l’équilibre antérieur. Ce qui amène
à examiner les moyens dont dispose désormais le secrétaire du comité pour résoudre les
désaccords sans négliger la sanction des irrégularités éventuelles (II).
Le principe de l’élaboration conjointe de l’ordre du
jour entre le secrétaire et le président demeure (A).
Mais il est affaibli par l’exception de l’inscription de
plein droit (B).
A. Le principe de l’élaboration conjointe
Le principe de l’élaboration conjointe de l’ordre du
jour entre le secrétaire du comité et l’employeur a été
maintes fois confirmé par la jurisprudence. La Cour de
cassation a jugé que le Code du travail fait obligation
au chef d’entreprise “d’arrêter conjointement avec le
secrétaire du comité” le texte de l’ordre du jour (43).
(39) Loi n° 2005-32 du 18 janv. 2005 de programmation pour la
cohésion sociale, JO du 19 ; voir M. Cohen, Dr. Soc. avril 2005,
L. Milet, RPDS 2005, n° 718, p. 81. Cf. supra p. 327 l’étude de
C. Baumgarten.
(40) La rédaction de l’article 16, deuxième alinéa, de l’ordonnance
n° 45-280 du 22 février 1945 était la suivante : “L’ordre du jour
est arrêté par le chef d’entreprise et le secrétaire, et
communiqué aux membres trois jours au moins avant la
séance”. Ce texte avait été constamment reproduit depuis dans
le Code du travail.
(41) Cass. Crim. 4 nov. 1997, Guerrier, n° 96-85631, bull. n° 371.
(42) L’article L. 435-4 du Code du travail, huitième alinéa, relatif à
l’ordre du jour des réunions du comité central d’entreprise est
modifié à l’identique. Le délai de convocation reste de huit jours.
(43) Cass. Crim. 16 sept. 1985, Guyot, Dr. Ouv. 1986.448 et 1989.60,
note M. Cohen. Dans le même sens : Cass. Soc. 8 juil. 1997, CE
de la Sté Plasco, n° 95-13177, Dr. Soc. 1997.382, obs.
M. Cohen, Dr. Ouv. 1998.369 note A. de Senga, bull. n° 256.
L’un et l’autre doivent se mettre d’accord pour le
rédiger en commun. Cette obligation s’impose pour
chaque réunion si l’examen de la même question
nécessite plusieurs réunions (44). Il en est de même si
la réunion est une réunion supplémentaire décidée
unilatéralement par l’employeur (45). Et il avait été
jugé que l’élaboration conjointe s’impose même
lorsque l’employeur doit consulter le comité en vertu
d’une obligation légale (46).
En outre, selon une jurisprudence constante de la
chambre criminelle de la Cour de cassation, si un
employeur fixe unilatéralement l’ordre du jour, il
commet le délit d’entrave (47), même si l’éviction du
secrétaire du comité de la préparation de l’ordre du
(44) Cass. Soc. 25 juin 2003, société Cegelec c/ Comité
d’établissement de Nanterre de la société Alsthom entreprise
Paris, n° 01-12.990, bull. n° 210.
(45) Cass. Crim. 6 mai 1986, Pasqualin, Dr. ouv. 1989.62, précité ;
Appel Versailles 23 janv. 2002, 14e ch., CE c/ Caisse d’Epargne
Ile-de-France, n° 01-7384.
(46) Cass. Soc. 23 juin 1999, Sté Euridep, n° 97-17860, bull. n° 298,
Dr. Ouv. 1999.453, note M. Cohen. La nouvelle rédaction de
l’article L. 434-3 prend précisément le contre-pied de cette
dernière jurisprudence comme nous l’expliquons par ailleurs.
(47) Cass. Crim. 4 avr. 1978, Chateigner, Dr. Ouv. 1978.385 ; Cass.
Crim. 20 janv. 1981, Hélène de Creyssac (SA Folies Bergère),
RPDS 1994.331, chron. M. Cohen ; Cass. Crim. 25 mai 1983,
Brulé (Sté Honeywell Bull), Dr. Ouv. 1984.111 ; Cass. Crim.
16 sept. 1985, Guyot, Dr. Ouv. 1986.448 et 1989.60 note
M. Cohen ; Cass. Crim. 6 mai 1986, Pasqualin (Sté
Mammouth), Dr. Ouv. 1989.62, note M. Cohen.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
I. L’obligation
de l’élaboration conjointe
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Processus des licenciements
jour n’est pas la conséquence de “manœuvres” de la
direction (48). Inversement, le secrétaire ne peut
refuser d’établir l’ordre du jour (49).
Cette obligation de fixation en commun a été
utilisée par de nombreux secrétaires de comité, non
pas pour faire de l’entrisme, mais pour contester
utilement, dans la plupart des cas, l’enclenchement
d’un processus d’information-consultation en cas de
restructuration avec ou sans suppression d’emploi. Et
ceci sous le contrôle du juge, puisque le refus du
secrétaire d’inscrire une question à l’ordre du jour
obligeait l’employeur à saisir le juge des référés afin
d’être autorisé à convoquer le comité (50).
L’employeur ne pouvant passer outre, le juge était
ainsi amené à apprécier le bien-fondé des positions
respectives des parties.
Inversement, si le secrétaire se heurtait à un refus
d’inscription de la part de l’employeur, il devait agir de
même. Certains secrétaires avaient ainsi demandé au
juge des référés de suspendre des procédures de
consultation en raison d’une fixation unilatérale de
l’ordre du jour par le chef d’entreprise (51) ou de faire
inscrire des questions refusées par ce dernier. La
jurisprudence traduisait ainsi un certain équilibre des
pouvoirs.
Il était également possible pour le secrétaire, sans
recours au juge, de créer une situation pour arriver à
un accord afin d’obtenir la totalité des informations
nécessaires. Ainsi, il était fréquent que le secrétaire,
avec la majorité des membres du comité, demande à
l’employeur
de
convoquer
une
réunion
exceptionnelle avec un ordre du jour imposé comme
le permet l’article L. 434-3.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
La première phrase de l’article L. 434-3 continue de
poser en principe que l’élaboration de l’ordre du jour
d’une élaboration conjointe entre le secrétaire et le
président. Cela signifie d’une manière générale que
l’un et l’autre doivent se mettre d’accord pour rédiger
en commun l’ordre du jour.
356
Dans un comité d’établissement, l’accord est
nécessaire entre le secrétaire du comité
d’établissement et le chef d’établissement (52). De
même pour les réunions du comité central
d’entreprise (53).
(48) Cass. Crim. 20 janv. 1981, H. de Creyssac, RPDS 1994.331.
(49) Un secrétaire du comité ne peut par exemple prendre prétexte
de la mise à pied conservatoire prononcée à son égard car
selon la Chambre sociale de la Cour de cassation, la mise à
pied conservatoire ne suspend pas le mandat (Cass. Soc. 2 mars
2004, Verwaerde c/ Delrue, n° 02-16554, bull. n° 71, Dr. Ouv.
2004 p. 437 n. M. Cohen).
(50) Voir notamment : Cass. Soc. 2 mars 2004, Verwaerde précité.
(51) Dans certaines affaires, le défaut d’élaboration conjointe a
conduit à annuler les effets d’une procédure de licenciement
Une concertation est donc nécessaire, à l’initiative
de l’employeur ou du secrétaire, pour l’élaboration en
commun de l’ordre du jour de chaque séance. En cas
de désaccord persistant, le juge des référés demeure
compétent pour arbitrer le différend comme nous
l’expliquons ci-dessous. Mais les choses sont rendues
plus complexes en pratique du fait de l’exception de
l’inscription de plein droit.
B. L’exception de l’inscription de plein droit
La seconde phrase de l’article L. 434-3 permet
désormais au président ou au secrétaire d’inscrire de
plein droit à l’ordre du jour les consultations rendues
obligatoires par une disposition législative ou
réglementaire ou par un accord collectif de travail.
Les termes “inscrites de plein droit” ne suppriment
pas l’obligation d’une rédaction commune de l’ordre
du jour. Le fait pour l’employeur d’inscrire une
consultation obligatoire dans son projet d’ordre du
jour ne le dispense pas de soumettre ce projet au
secrétaire, puisque le principe de la rédaction
conjointe est réaffirmé. Certes le texte ne subordonne
pas expressément l’inscription unilatérale à
l’existence d’un désaccord entre le chef d’entreprise
et le secrétaire. Cependant, la nouvelle rédaction
forme un ensemble solidaire (si l’on ose s’exprimer
ainsi !). Elle implique à la fois la concertation (et non
selon nous une simple information) pour fixer l’ordre
du jour et, en cas de désaccord, la possibilité pour le
président ou le secrétaire de se prévaloir directement
du droit de fixer unilatéralement certains points à
l’ordre du jour.
Même si le contenu rédigé par l’employeur est
régulier et ne contient que des consultations
obligatoires, l’envoi d’un ordre du jour rédigé
unilatéralement sans aucune concertation avec le
secrétaire constitue donc évidemment un délit
d’entrave conformément à la jurisprudence
antérieure. Et le secrétaire peut saisir le juge des
référés comme nous l’indiquons ci-après.
Ce n’est qu’en cas de désaccord que le président ou
le secrétaire, selon que le refus émane de l’un ou
l’autre, peut inscrire à l’ordre du jour une consultation
légalement ou conventionnellement obligatoire. Par
exemple, si l’employeur désire inscrire après
concertation avec le secrétaire une consultation sur
collectif, y compris la notification des licenciements. Cass. Soc.
14 janv. 2003, SA Euridep, n° 01-10239, bull. n° 5, Dr. Soc.
2003.344 obs. L. Milet, Dr. Ouv. 2003 p. 152 n. M. Cohen. En
l’occurrence, l’employeur avait notifié les licenciements sans
attendre la décision du juge des référés.
(52) En effet, aux termes de l’article L. 435-2, le fonctionnement du
comité d’établissement est identique à celui du comité
d’entreprise.
(53) Art. L. 435-4 du Code du travail, 8e alinéa.
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un projet de licenciement collectif en application du
livre III du Code du travail mais qu’il se heurte à un
refus du secrétaire. Dans ce cas, l’employeur peut
inscrire de plein droit cette consultation.
Inversement, si le secrétaire veut faire inscrire une
consultation séparée omise par l’employeur relative
aux motifs d’un projet de restructuration en vertu du
livre IV, il devrait pouvoir le faire de plein droit (54).
C’est ce que signifient les termes “par l’un ou par
l’autre” employés par la loi. Le secrétaire dispose donc
désormais en vertu de la loi d’un droit propre
d’inscrire unilatéralement, en cas de refus de
l’employeur, les points relevant de la consultation
obligatoire.
A première vue, il s’agit d’un point positif puisque le
secrétaire peut vaincre plus facilement la résistance
du chef d’entreprise. Et ce droit propre concerne
toutes les réunions du comité dès lors qu’une
consultation obligatoire est nécessaire. Par exemple, à
chaque réunion mensuelle du comité, l’employeur
qui refuserait de faire figurer à l’ordre du jour une
question relevant de la consultation obligatoire,
malgré la demande du secrétaire, s’expose à voir
invoquer par ce dernier son droit d’inscription pour
imposer au président l’examen de la question dont il
ne veut pas.
Mais le fait que le secrétaire dispose d’un droit
propre ne signifie pas qu’en pratique il dispose d’un
pouvoir propre à inscrire les consultations
obligatoires. En effet, les termes de la loi (“par l’un ou
par l’autre”) induisent une certaine égalité des armes.
Or, il n’en est rien car en pratique c’est l’employeur qui
envoie les convocations avec l’ordre du jour. C’est
donc lui qui, en fin de compte, va décider ce qui sera
inscrit ou ce qu’il ne le sera pas.
antérieure est rompu car la responsabilité de l’action
en justice repose uniquement sur le secrétaire.
Une autre alternative consiste à considérer qu’en
cas de refus de l’employeur d’inscrire une question de
plein droit, rien n’oblige le secrétaire à saisir le juge
des référés et qu’il peut adresser lui-même la question
aux membres du comité en respectant le délai de trois
jours entre cet envoi et la date de la réunion (55). Si la
proposition semble séduisante dans la mesure où elle
évite un contentieux, il n’est pas certain qu’elle puisse
prospérer. En effet, outre le fait que le président dirige
les débats et peut donc refuser de faire discuter sur
deux ordres du jour différents, même successivement,
au cours de la même réunion, on peut craindre que,
en agissant de la sorte, le secrétaire ne s’expose à des
sanctions, voire à des poursuites pour délit d’entrave.
Il nous semble beaucoup plus simple, en cas de litige,
de recourir, comme nous l’indiquons plus loin, à la
demande majoritaire d’une réunion exceptionnelle.
Quoiqu’il en soit, le respect de l’égalité entre le
secrétaire et l’employeur voulu par la loi aurait
impliqué à notre avis que lorsque ce dernier refuse
une inscription de plein droit, ce soit lui qui soit dans
l’obligation de s’adresser au juge des référés. A charge
pour celui-ci de juger si le refus de l’employeur est ou
non justifié. Ce serait le pendant de la possibilité qui
lui est reconnue d’inscrire des questions de plein droit
en cas de refus du secrétaire. Une future modification
législative s’imposera en ce sens.
En reprenant, l’exemple ci-dessus, si l’employeur
refuse de prendre en compte l’inscription de plein
droit voulu par le secrétaire et envoie les convocations
avec son propre ordre du jour, le secrétaire n’aura
d’autre solution que de saisir le juge des référés pour
faire inscrire la question de plein droit.
L’interdiction faite à l’employeur de fixer
unilatéralement l’ordre du jour ne demeure en fait
qu’en cas de consultation non obligatoire (par
exemple sur un projet qui n’affecte pas la marche
générale de l’entreprise ou une information sur un
problème de gestion de l’entreprise). Là encore, en
pratique, la demande du secrétaire peut se heurter à
un refus et il devra saisir le juge des référés pour
trancher la difficulté. Mais cette obligation de recourir
au juge des référés pèse également dans cette
hypothèse sur l’employeur s’il entend imposer au
secrétaire un point particulier que ce dernier refuse.
En revanche, contrairement à la situation antérieure
où l’employeur était dans l’obligation de saisir le juge
des référés en cas de désaccord persistant avec le
secrétaire, il n’est plus tenu de le faire. Il peut
désormais inscrire toute consultation obligatoire sans
avoir recours à la justice. Mais en devant tout de
même au préalable tenter de se mettre d’accord avec
le secrétaire. L’équilibre résultant de la jurisprudence
Enfin, soulignons que l’inscription de droit ne
concerne pas que les seules réunions du comité en
cas de restructuration et/ou de licenciements, mais
presque toutes les réunions du comité d’entreprise ou
d’établissement. En effet, presque toutes les
consultations sont obligatoires en vertu du Code du
travail car la marche générale de l’entreprise oblige
l’employeur à consulter le comité dans tous les
(54) Sur cette distinction entre les consultations relevant du livre III
et du livre IV du Code du travail, voir M. Cohen, Le droit des
comités d’entreprise et des comités de groupe, 7e éd., LGDJ
2003 ; v. supra p. 353 Paul Bouaziz.
>
(55) V. les arguments développés sur ce point par C. Baumgarten,
p. 327 du présent numéro.
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Processus des licenciements
domaines. Le code ne dit jamais l’employeur peut
consulter ; il dit toujours “doit” consulter. Il permet en
outre aux accords collectifs de fixer la liste des
obligations de consulter. Il suffit donc qu’un accord
énumère tous les cas de consultation, même non
expressément prévus par la loi (par exemple tout ce
qui relève de la marche générale de l’entreprise) pour
que l’inscription soit de droit, même dans l’hypothèse
d’un accord minoritaire dérogatoire à la loi, sauf
opposition régulière conforme à la loi du 4 mai 2004
(56).
D’où l’importance d’examiner les conséquences
pratiques de cette nouvelle règle sur la résolution des
désaccords et les éventuelles sanctions des
irrégularités.
II. La résolution des désaccords
et la sanction des irrégularités
Afin de débloquer certaines situations ou pour
sanctionner l’employeur qui ne respecterait pas le
principe de l’élaboration conjointe, les secrétaires des
comités d’entreprise ont à leur disposition plusieurs
moyens d’actions juridiques. Mais la nouvelle rédaction
de l’article L. 434-3 va interférer sur leur mise en œuvre
dans les hypothèses où l’inscription de plein droit est
possible. Que des moyens existent pour résoudre les
désaccords (A) n’exclut pas la sanction des
irrégularités commises par l’employeur (B).
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
A. Moyens pour résoudre les désaccords
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En premier lieu, si l’employeur et le secrétaire sont
en désaccord sur une question relevant de la
consultation obligatoire et si le chef d’entreprise
refuse l’inscription à l’ordre du jour bien que le
secrétaire se prévale de l’inscription de plein droit, ou
bien encore si l’employeur refuse l’inscription d’une
question qui ne relève pas de la consultation
obligatoire, le secrétaire peut, comme auparavant,
provoquer une réunion exceptionnelle du comité. La
demande doit être signée par la majorité des membres
du comité en application de l’article L. 434-3, premier
alinéa. Dans cette hypothèse en effet, les questions
inscrites sur la demande de convocation figurent
obligatoirement à l’ordre du jour et le refus de
l’employeur de convoquer le comité constitue un délit
d’entrave (57).
(56) Sur la négociation collective après la loi n° 2004-391 du 4 mai
2004, v. Droit Social juin 2004 p.579 et s. ; RPDS n° 710, juin
2004 ; Francis Saramito “Le nouveau visage de la négociation
collective”, Dr. Ouv. 2004, p. 445
(57) Cass. Crim. 5 nov. 1979, Trainini, Dr. Ouv. 1984.109.
(58) Cass. Soc. 8 juil. 1997, CE de la Sté Plasco c/ Sté Plasco,
précité ; Cass. Soc. 23. juin 1999, CCE c/ Sté Euridep, précité.
En second lieu, le secrétaire (ou l’employeur) peut
s’adresser au juge des référés. Sous l’empire de
l’ancienne rédaction de l’article L. 434-3, la Cour de
cassation avait énoncé le principe selon lequel “si un
accord ne peut s’établir entre le chef d’entreprise et le
secrétaire du comité d’entreprise sur les questions à
porter à l’ordre du jour, il appartient au plus diligent
d’entre eux de saisir le juge des référés pour résoudre la
difficulté” (58). Ce principe demeure pour tous les cas
où l’inscription de plein droit n’est pas possible.
En outre, dans le cas où la loi, le règlement ou un
accord collectif de travail imposent une consultation
obligatoire, nous avons vu que la loi ne dispense pas
l’employeur et le secrétaire de se concerter au
préalable avant que l’un ou l’autre puisse invoquer
l’inscription de droit. Il en résulte que le recours au
juge des référés est possible si l’employeur inscrit
unilatéralement à l’ordre du jour de la réunion une
consultation obligatoire en invoquant l’inscription de
plein droit sans aucune concertation préalable avec le
secrétaire. Le juge des référés du Tribunal de grande
instance d’Angers s’est clairement prononcé dans ce
sens en estimant que la fixation unilatérale par
l’employeur de l’ordre du jour de la réunion du
comité, en l’absence de tout refus par le secrétaire,
constitue un trouble manifestement illicite. Il a donc
suspendu une procédure de consultation et ordonné
à l’employeur et au secrétaire d’établir en commun un
ordre du jour dans lequel figureront notamment les
questions proposées par la direction (59). En l’espèce
c’est l’employeur qui avait rédigé unilatéralement
l’ordre du jour en invoquant l’inscription de plein
droit sans aucune concertation préalable avec le
secrétaire. Mais le secrétaire peut aussi saisir le juge
des référés si l’employeur refuse l’inscription bien que
le secrétaire se prévale de l’inscription de plein droit.
Dans cette hypothèse, le secrétaire ne devrait pas être
dans l’obligation de saisir le juge, mais il y est
contraint par l’attitude de l’employeur.
Le secrétaire peut aussi vouloir contester le
caractère obligatoire de la consultation inscrite de
plein droit par l’employeur, mais cela sera plus rare
car comme déjà évoqué la plupart des consultations
sont obligatoires.
Enfin, signalons que le secrétaire peut aussi refuser
l’inscription d’une consultation obligatoire parce que
le comité considère qu’il ne peut pas être utilement
(59) TGI Angers, réf., 3 mars 2005, n° 05/00118, Comité
d’entreprise de l’UES Nec Angers c/ SARL Nec Computers
Angers à paraître au Dr. Ouv. n. F.S. Il convient de veiller à cet
égard au respect du délai désormais très court pour saisir le
juge et qui est de quinze jours suivant la réunion du comité.
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consulté. Le fait que l’employeur puisse inscrire la
question contestée de plein droit n’interdit pas en
effet au secrétaire de saisir le juge des référés pour
faire suspendre la procédure de consultation.
La Chambre sociale de la Cour de cassation a ainsi
jugé que si une question n’est pas inscrite à l’ordre du
jour, le comité d’entreprise ne peut pas valablement
en délibérer (65).
La panoplie des solutions qui s’offrent au juge des
référés reconnues par la jurisprudence antérieure
demeure. Ainsi par exemple, le juge des référés peut
ordonner l’inscription d’une question proposée par le
président ou par le secrétaire (60), étant entendu que
le juge n’a pas à dire si le refus du secrétaire est fondé
ou non fondé. Il peut aussi convoquer la réunion sur
un ordre du jour déterminé ce qui revient à fixer
nécessairement celui-ci (61). Le refus de l’inscription
d’une question demandée par l’une des parties (62)
est également envisageable, sauf dans l’hypothèse, à
notre avis, où la preuve est apportée que la question
litigieuse relève de la consultation obligatoire en vertu
de la loi, du règlement ou d’un accord collectif de
travail et qu’elle aurait du être inscrite de plein droit
par l’employeur à la demande du secrétaire.
De même, le comité d’entreprise ne peut pas
valablement se réunir et délibérer sur un ordre du jour
fixé unilatéralement par le chef d’entreprise (66). C’est
notamment le cas :
La menace du délit d’entrave pesant sur
l’employeur s’il fixe unilatéralement, totalement ou
partiellement le texte de l’ordre du jour, sans
consultation aucune avec le secrétaire même si
certaines questions relèvent de la consultation
obligatoire comme indiqué plus haut peut s’avérer
également une arme efficace. Le délit d’entrave sera
aussi constitué si le chef d’entreprise impose lors de la
réunion du comité la tenue d’un débat sur une
question non inscrite à l’ordre du jour (63), que celleci relève ou non de la consultation obligatoire.
Rappelons que de son côté, le secrétaire du comité ne
commet pas de délit d’entrave s’il refuse de
contresigner l’ordre du jour proposé par l’employeur,
même si ce refus a contraint l’employeur à recourir à
une procédure de référé (64) ou si l’employeur a
inscrit de plein droit, après concertation, la question
litigieuse.
B. La sanction des irrégularités
Ces dernières années la jurisprudence a fait un pas
significatif à propos des conséquences civiles des
irrégularités de la convocation du comité. Le fait que
certaines question puissent faire l’objet désormais
d’une inscription de plein droit ne changent pas la
nature des sanctions des irrégularités commises par le
chef d’entreprise.
(60) Cass. Soc. 1er oct. 2003, n° 01-13099, Sté Aldimarché ; Appel
Paris 14 avr. 1999, Sodiaal International, R.J.S. n° 933 (dans les
deux cas inscription d’une procédure de licenciement collectif).
>
– si l’employeur a inscrit une consultation
obligatoire en invoquant l’inscription de plein droit
sans aucune concertation préalable avec le
secrétaire car dans ce cas l’inscription est contraire à
la première phrase de l’article L. 434-3, deuxième
alinéa ;
– ou bien s’il s’avère que la question litigieuse ne
relevait pas de la consultation obligatoire ;
– ou bien encore si l’employeur et le secrétaire se
sont mis d’accord sur l’ordre du jour mais qu’au cours
de la séance, l’employeur veut imposer l’examen
d’une question non inscrite, que celle-ci relève ou non
de la consultation obligatoire.
On peut aussi estimer que le refus par l’employeur
de l’inscription d’une question à la demande du
secrétaire alors que celle-ci relevait de l’inscription de
plein droit peut être assimilé à une fixation unilatérale
de l’ordre du jour et que cela atteint la validité des
délibérations. En effet, l’irrégularité de forme qui sera
commise par le chef d’entreprise en convoquant
unilatéralement le comité d’entreprise sur un ordre du
jour fixé par lui seul même en cas de respect de la
concertation préalable, entraîne l’irrégularité de
l’ensemble de la procédure dans un domaine qui
requiert la consultation obligatoire du comité. Même
dans l’hypothèse où la question soumise à
consultation ne soulève aucune objection de fond,
elle entache la validité civile des actes de l’employeur.
Telles sont les premières observations qui semblent
s’imposer à la lecture de la nouvelle rédaction de
l’article L. 434-3 du Code du travail, deuxième alinéa.
Mais la pratique quotidienne des comités d’entreprise
en révèlera sans doute d’autres.
Laurent Milet,
Docteur en Droit, Maître de conférences associé
à l’Université de Paris XI,
Rédacteur en chef de la Revue pratique de droit social
convocation d’une troisième réunion sur un projet de
restructuration et un plan social, en raison de l’insuffisance des
informations).
(61) Cass. Soc. 4 juil. 2000, LCL France, n° 98-10916.
(63) Cass. Crim. 5 févr. 2002, n° 01-83275, Simon.
(62) TGI réf. Nanterre, 9 déc. 1998, Sté Henkel (rejet d’une
demande d’inscription d’un projet de réorganisation en raison
de l’absence d’une information fiable et complète) ; TGI réf.
Evry, 23 avr. 1999, Sté CGG (rejet d’une demande patronale de
(64) Cass. Crim. 4 nov. 1997, Guerrier, n° 97-83463, bull. n° 366.
(65) Cass. Soc. 9 juil. 1996, Dassault Falcon Service, n° 94-17628,
bull. n° 271.
(66) Cass. Soc. 8 juil. 1997, CE de la Sté Plasco précité.
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Deuxième partie
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Processus des licenciements
Section 2 : Entrée en vigueur des dispositions nouvelles
Article 78 de la loi (article 37-8 du projet de loi) « Les dispositions de l'article L. 320-3 du Code du travail dans leur rédaction issue des dispositions de
l'article 72, ainsi que les dispositions du Code du travail résultant des articles 73, 75, 76 et 77 sont
applicables aux procédures de licenciement engagées à compter de la date de promulgation de la
présente loi.
« Au sens du présent article, une procédure de licenciement est réputée engagée à la première des
dates suivantes :
- celle à laquelle est effectuée la convocation à l'audition prévue à l'article L. 122-14 du même code ;
- celle à laquelle est effectuée la première convocation aux consultations visées à l'article L. 321-2
du même code ;
- le cas échéant, celle à laquelle le comité d'entreprise est convoqué, dans le cas visé au 2° de
l'article L. 321-2 précité, pour l'application de l'article L. 432-1 du même code. »
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Commentaire
360
I. Le terme “promulgation” surprend dans la mesure
où l’ancien article 1er du Code civil (67) qui utilisait
cette expression a été abrogé par l’ordonnance du
20 février 2004 (68). La promulgation d’une loi est
“l’acte par lequel le Président de la République atteste
de son existence et donne ordre aux autorités publiques
de l’observer et de la faire observer” (69). Cet acte n’a
d’autre date que celle de sa signature, bien qu’il ne
prenne effet comme la loi elle-même, qu’après avoir
été publié dans les conditions fixées par les lois et
règlements (70). Dans un arrêt du 27 juin 2001, le
Conseil d’Etat a été amené à préciser, sous l’empire
des anciens textes, qu’“en vertu de l’art. 2 du décret du
5 novembre 1870, les textes législatifs et réglementaires
sont obligatoires à Paris, un jour franc à compter du
leur “promulgation”, laquelle doit s’entendre, au vu de
l’économie générale du décret, comme la publication
de ces actes au Journal officiel” (71). La Cour de
cassation a estimé que la date de “publication” devait
s’entendre comme visant le jour de l’entrée en vigueur
et non comme le jour de parution au Journal
officiel (72).
(67) Ancien art. 1er “Les lois sont exécutoires dans tout le territoire
français, en vertu de la promulgation qui en est faite par le Roi
[le Président de la République]
Elles seront exécutées dans chaque partie du Royaume [de la
République] du moment où la promulgation en pourra être
connue.
La promulgation faite par le Roi [le Président de la République]
sera réputée connue dans le département de la résidence
royale [dans le département où siège le Gouvernement], un
jour après celui de la promulgation; et dans chacun des autres
départements, après l’expiration du même délai, augmenté
d’autant de jours qu’il y aura de fois dix myriamètres (environ
vingt lieues anciennes) entre la ville où la promulgation en aura
été faite, et le chef-lieu de chaque département.”
Au regard des nouvelles dispositions de l’article 1er
du Code civil, la jurisprudence antérieure reste
applicable. L’article 1er (nouveau) du Code civil
dispose : “Les lois et, lorsqu’ils sont publiés au Journal
officiel de la République française, les actes
administratifs entrent en vigueur à la date qu’ils fixent
ou, à défaut, le lendemain de leur publication.
Toutefois, l’entrée en vigueur de celles de leurs
dispositions dont l’exécution nécessite des mesures
d’application est reportée à la date d’entrée en vigueur
de ces mesures.
En cas d’urgence, entrent en vigueur dès leur
publication les lois dont le décret de promulgation le
prescrit et les actes administratifs pour lesquels le
gouvernement l’ordonne par une disposition spéciale...”
Donc, sous réserve des dispositions qui nécessitent
un accord des partenaires sociaux ou un décret (cf.
infra) toutes les dispositions de la loi, relatives au sujet
traité, sont applicables le lendemain de la publication
de la loi, à savoir le 20 janvier 2005 (73). En effet,
aucune urgence n’a été prescrite par le décret de
promulgation.
(68) Ordonnance 2004-164, 20 fév. 2004, relative aux modalités et
effets de la publication des lois et de certains actes
administratifs
(69) Conseil d’Etat, 8 fév. 1974 Commune de Montory, JCP 1974 II,
17703, 2e esp. note Liet-Veaux.
(70 Même arrêt.
(71) CE 27 juin 200, D. 2001, IR. 2877.
(72) Cass. Civ. 3e, 1er juin 1994 Bull. Civ. 3e n° 111.
(73) A défaut certaines dispositions de la loi seraient entrées en
vigueur avant la publication de la loi au JO, donc avant d’être
connues !
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II. En fait, pour comprendre le mécanisme suivi par
le législateur il est nécessaire de reprendre les
différentes étapes du processus :
1° L’article 37-8 de la lettre rectificative, adopté sans
modification par le Sénat, était composé d’un alinéa
unique prévoyant que les modifications issues du
texte en matière de licenciement économique ne
s’appliqueraient qu’aux procédures engagées à
compter de la promulgation de la loi. Le rapporteur
devant le Sénat a précisé : “Les procédures de
licenciement déjà en cours au moment où la loi sera
promulguée continueront d’être régies par l’actuelle
réglementation, tandis que celles engagées après cette
date seront concernées par les nouvelles règles.
On peut considérer qu’une procédure de licenciement
est “engagée” lorsque les premiers actes juridiques
formalisés ont été accomplis (envoi d’une lettre au
salarié en cas de licenciement individuel, première
consultation des représentants du personnel pour un
licenciement collectif)” (74).
Il faut donc lire le texte à “l’envers” en ce qu’il prévoit
que certaines des nouvelles dispositions ne sont pas
applicables aux “procédures” de licenciement en
cours, y compris en cas de licenciement individuel.
Ceci est conforté par le fait que devant l’Assemblée
nationale (75), le rapporteur a présenté un
amendement qualifié de précision, ajoutant quatre
alinéas au texte d’origine destinés à définir la notion de
procédure de licenciement engagée.
2° C’est ainsi que trois cas de figure ont été
introduits dans la loi ayant comme point de départ la
date à laquelle est effectuée la convocation :
1) à l’audition prévue par l’article L. 122-14 du Code
du travail : c’est-à-dire la convocation à l’entretien
préalable ;
Nota : La date à prendre en compte est celle de la
première présentation de la lettre recommandée ou la
remise en main propre de la convocation.
2) aux consultations visées à l’article L. 321-2 du Code
du travail (licenciement pour motif économique) ;
Nota : Comme dans le cas précédent, c’est la date de
la première présentation de la convocation à la réunion
du comité d’entreprise qui doit être prise en compte.
Ces deux premiers points ne posent pas de
difficultés majeures. Tel n’est pas le cas du dernier
alinéa ainsi rédigé :
3) le cas échéant, celle à laquelle le comité est
convoqué dans le cas visé au 2° de l’article L. 321-2
(licenciement collectif pour motif économique) pour
l’application de l’article L. 432-1 du même code.
(74) Rapport Sénat, session ordinaire 2004-2005 n° 39, p. 23.
(75) Rapport AN n° 1930 p. 380 à 382.
Cette formulation ne brille pas par sa clarté. En effet,
l’on ne voit pas très bien à quoi se rapporte la formule
pour l’application de l’article L. 432-1, appliquée aux
“grands licenciements”. L’article L. 432-1 du Code du
travail est le texte général sur la compétence du
comité d’entreprise et dispose dans son alinéa 2 que
le comité est “obligatoirement saisi en temps utile des
projets de compression des effectifs ; il émet un avis sur
l’opération projetée et ses modalités d’application…”.
>
Doit-on comprendre que :
– par dérogation au principe affirmé de la nonapplication de la loi aux procédures de licenciement
en cours, celle-ci serait tout de même applicable, en
cas de concomitance, à la première réunion au titre
du Livre III faisant suite à l’entrée en vigueur de la loi ?
– ou alors, comme on l’a suggéré (76), que cet
alinéa vise les grands licenciements et que le
précédent (consultations visées à l’article L. 321-2 du
Code du travail) ne vise que les petits licenciements ?
Cette dernière interprétation est juste et logique
puisque l’alinéa 3 vise expressément l’article L. 321-2,
2° et que la formule pour l’application de l’article
L. 432-1 n’a pas réellement de sens.
De même, l’alinéa 2 vise l’article L. 321-2 dans son
ensemble et non uniquement le premièrement.
III. Sont donc applicables aux procédures
de licenciements engagées à compter de la
“promulgation” de la loi, les articles :
– L. 320-3 (article 72-I de la loi), relatif aux accords
dits de méthode,
– L. 321-1, L. 321-1-2 et L. 321-1-3 modifiés (article 73
de la loi) relatifs à la nouvelle définition du
licenciement pour motif économique et de la
procédure liée à la proposition de modification pour
motif économique,
– L. 321-16 nouveau (article 75 de la loi), relatif aux
délais pour agir en justice en contestation de la
régularité de la procédure de consultation ou de la
régularité ou de la validité du licenciement,
– L 321-17 nouveau (article 76 de la loi), relatif à la
revitalisation des bassins d’emploi,
– L. 122-14-4 modifié (article 77 V de la loi), relatif à
la réintégration du salarié,
– L. 334-3 et L. 435-4 (article 77 I & II de la loi),
relatifs à l’élaboration de l’ordre du jour.
Mais, était-il bien nécessaire de le dire, puisque la
loi est d’application immédiate et que les autres
dispositions de celle-ci, même si elles ne sont pas
(76) Liaisons Sociales n° 8561 p 8.
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L'ordre des licenciements
énumérées, sont également applicables ? Il aurait été
plus logique, et surtout plus simple pour la
compréhension du texte, de dire que les articles cités
n’étaient pas applicables aux procédures engagées
antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi.
V. Pour les autres dispositions que celles visées à
l’article 78 de la loi et à défaut de mesures spécifiques,
ce sont les principes généraux issus de l’article 1 du
code civil qui s’appliquent : la loi entre en vigueur le
lendemain de sa publication au Journal officiel.
Mais il est vrai que, dans ce cas, l’effet d’annonce
aurait été moins spectaculaire.
Il est bien évidemment nécessaire de réserver les
textes qui nécessitent, pour être applicables, un décret
ou un autre acte. Tel est notamment le cas
expressément visé durant les débats parlementaires de
l’article 74 de la loi (ancien article 37-8) procédant à
une nouvelle rédaction de l’article L. 321-4-2 du Code
du travail relatif à la convention de reclassement
personnalisée qui nécessite soit un accord au niveau
de l’UNEDIC, soit un décret en Conseil d’Etat. La
question de savoir ce qui doit être proposé aux
salariés dans cette attente ne se pose pas : il est
obligatoire de leur proposer le pré-PARE. En effet, les
nouvelles dispositions, se substituant aux anciennes,
n’entreront en vigueur que lors de la signature de la
convention ou de l’entrée en vigueur du décret : cela
implique nécessairement que les anciennes
continuent d’être en vigueur à défaut d’avoir été
abrogées.
IV. Les “procédures” engagées avant l’entrée en
vigueur de la loi restent soumises aux règles
antérieures : l’élaboration de l’ordre du jour, l’absence
de délai abrégé, pour contester les réunions du
comité ou le plan de sauvegarde de l’emploi,
l’obligation de présenter ou de poursuivre la
procédure Livre III en cas de proposition de
modification des contrats, la réintégration en cas de
licenciement...
En revanche, quel est le régime applicable en cas de
concomitance ? Doit-on considérer que tout le
processus (Livre IV et Livre III) est soumis à l’ancien
régime puisqu’il constitue une procédure d’ensemble
unique ayant pour objet un licenciement collectif
pour motif économique ? Ou peut-on considérer que
seul l’aspect Livre III reste soumis à l’ancien régime, la
procédure Livre IV étant soumise au nouveau régime
(ordre du jour…) ?
Pierre Bouaziz,
Avocat au Barreau de Paris
Troisième partie :
L’ordre des licenciements
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Article L. 321-1-1 362
« Dans les entreprises ou établissements visés à l'article L. 321-2, en cas de licenciement pour
motif économique, à défaut de convention ou accord collectif de travail applicable, l'employeur
définit, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel, les
critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements. Ces critères prennent notamment en
compte les charges de famille et en particulier celles de parents isolés, l'ancienneté de service
dans l'établissement ou l'entreprise, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques
sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment des
personnes handicapées et des salariés âgés, les qualités professionnelles appréciées par
catégorie.
« La convention et l'accord collectif de travail ou, à défaut, la décision de l'employeur ne peuvent
comporter de dispositions établissant une priorité de licenciement à raison des seuls avantages
à caractère viager dont bénéficie un salarié.
« En cas de licenciement individuel pour motif économique, l'employeur doit prendre en compte,
dans le choix du salarié concerné, les critères prévus à la dernière phrase du premier alinéa
ci-dessus. »
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Commentaire
La Cour de cassation impose au juge de rechercher
quelle est la vraie cause du licenciement au-delà des
motifs énoncés dans la lettre de licenciement (77). Il
en est ainsi en particulier lorsque la cause inhérente à
la personne du salarié, énoncée dans la lettre de
rupture, masque un motif économique (78). Il n’est en
effet pas normal que l’employeur élude le contrôle
judiciaire sur la cause de licenciement en masquant le
vrai motif, illicite, par de fallacieux prétextes. La
jurisprudence sanctionne ainsi de façon constante ce
procédé en considérant les licenciements entachés de
détournement de pouvoir comme étant, purement et
simplement, dénués de cause réelle et sérieuse (79).
Il doit dès lors en être ainsi lorsque la cause
économique invoquée dans la lettre de rupture cache
un motif personnel (par ex. licenciement
économique dont le “motif essentiel” est l’âge du
salarié) (80), et ce, par conséquent y compris lorsque
les critères d’ordre de licenciement ont été méconnus
(81).
Le législateur impose en effet à l’employeur
d’établir, préalablement à tout licenciement
économique, des critères “objectifs” d’ordre de
licenciements, dans le but de guider son choix des
salariés à licencier au sein de la catégorie
professionnelle à laquelle ils appartiennent (82 et 83),
de sorte que, si ces critères de choix sont respectés, le
licenciement ne peut, en principe, pas être prononcé
pour un motif personnel : le respect de l’ordre des
licenciements garantit que la seule cause de la
rupture est économique, excluant ipso facto toute
possibilité de détournement de pouvoir de
l’employeur.
De façon en quelque sorte mathématique, on
devrait ainsi en conclure que, dans l’hypothèse où
celui-ci ne respecte pas l’ordre des licenciements, il
est réputé avoir entaché sa décision de rupture d’un
détournement de pouvoir : il a usé de son pouvoir de
licencier pour motif économique pour licencier un
salarié pour un motif inhérent à sa personne, et les
dommages-intérêts pour licenciement sans cause
réelle et sérieuse sont dus sur le fondement des
(77) Soc. 26 mai 1998 Bull. n° 276 ; Soc. 10 avril 1996 Bull. n° 149.
(78) Soc. 26 mai 1998 précité.
(79) cf. Soc. 26 janvier 1998 et Soc. 10 avril 1996 précités.
(80) Soc. 24 avril 1990 Bull. n° 181, Dr. Ouv. 1990 p. 392.
(81) F. Saramito “L’ordre des licenciements” Dr. Ouv. 1994 p. 211.
(82) Sur la nature nécessairement objective des critères : Soc.
24 février 1993 Bull. n° 66.
(83) Sur la catégorie professionnelle comme critère de
détermination des salariés licenciables : Soc. 13 février 1997,
Samaritaine, Bull. n° 63, Dr. Ouv. 1997 p. 94 n. P. Moussy.
articles L 122-14-4 ou L 122-14-5 du Code du travail
selon les cas.
Or on ne sait pourquoi, la Cour de cassation n’admet
pas cette solution qui découle pourtant de la loi et de
la jurisprudence précitée de façon évidente, aucun
problème sérieux d’interprétation des textes n’y faisant
obstacle. La jurisprudence considère ainsi que
l’inobservation des règles relatives à l’ordre des
licenciements n’a pas pour effet de priver le
licenciement de cause réelle et sérieuse (84). Elle
sanctionne dès lors cette inobservation, non pas par
une indemnité pour licenciement sans cause réelle et
sérieuse, mais par des dommages-intérêts “pour
violation de l’article L 321-1-1 du Code du travail” (85),
faisant passer en réalité cette réparation dans le régime
du droit commun de la responsabilité, comme si ladite
violation n’avait pas d’incidence sur la cause du
licenciement et lui était radicalement étrangère. Elle
considère de la sorte que cette “illégalité” entraîne un
préjudice “pouvant aller jusqu’à la perte injustifiée de
l’emploi”, qui doit être réparée selon son étendue de
façon souveraine par les juges du fond (86).
Ainsi se trouve écartée l’automaticité du lien de
causalité entre la violation de l’ordre des
licenciements et la perte de l’emploi et, par voie de
conséquence, le minimum légal de six mois de
l’article L 122-14-4 (87).
Et la Cour de cassation ne tire même pas toutes les
conséquences de cette solution, puisqu’elle décide
par ailleurs que, lorsque le licenciement est dénué de
motif économique réel et sérieux, le salarié ne peut
cumuler les indemnités pour perte injustifiée de son
emploi et pour inobservation de l’ordre des
licenciements (88).
Si elle était logique, elle attribuerait pourtant dans
cette hypothèse une réparation spécifique du
préjudice, fût-elle minime, résultant de la violation de
l’ordre des licenciements, sauf à dire que le préjudice
est le même (la perte de l’emploi), et ce, de façon
automatique, que celui découlant du licenciement, ce
que précisément la Cour Suprême ne dit pas.
(84) Soc. 20 janvier 1998 Bull. n° 20 ; récemment : Soc.
16 novembre 2004 pourvoi n° 02-42.620.
(85) Soc. 7 février 1990 Bull. n° 51 et 22 mars 1995 Bull. n° 104 ;
récemment : Soc. 24 novembre 2004 pourvoi n° 02-44.637.
(86) Soc. 14 janvier 1997 Bull. n° 16 ; Soc. 24 novembre 2004
précité.
(87) Soc. 14 janvier 1997 précité ; voir aussi Soc. 19 mars 1998
Bull. n° 164 ; Soc. 30 mars 1999 Bull. 145.
(88) Soc. 5 octobre 1999 Bull. n° 366.
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L'ordre des licenciements
On peut se demander d’où vient cette réticence à
considérer le non-respect de l’ordre des licenciements
comme un licenciement entaché d’un détournement
de pouvoir.
de frauder la loi en licenciant ce salarié pour une
raison autre que celle qui est présentée dans la lettre
de licenciement, ces étapes ne sont pas pour autant
séparées de l’analyse du détournement de pouvoir.
Il est vrai qu’il s’agit d’un détournement de pouvoir
un peu particulier dans la mesure où un licenciement
serait de toute façon intervenu, en l’absence même de
ce détournement.
La Cour de cassation a, bien au contraire, toujours
exigé des juges du fond qu’ils “débusquent” la fraude
par une analyse chronologique globale des étapes de
la rupture, chaque fois que cela leur était demandé,
au-delà des apparences de régularité créées par
l’employeur. On ne voit dès lors pas pourquoi ils
devraient brusquement s’en tenir aux apparences
lorsqu’ils sont face à une inobservation de l’ordre des
licenciements et “jouer les naïfs”, en faisant comme si
cette faute ne constituait qu’une simple irrégularité,
isolée du processus de licenciement.
Mais une telle circonstance est en réalité inopérante
en droit dès lors que le licenciement constitue, pour le
salarié licencié, une décision individuelle ne
concernant que lui, et qui n’a d’incidence que sur son
contrat de travail, s’agissant de la rupture individuelle
d’une relation contractuelle. C’est ainsi dans ce cadre
de la relation contractuelle individuelle que doit être
apprécié le caractère réel et sérieux de la cause de
licenciement, or en l’absence de détournement de
pouvoir son licenciement ne serait pas intervenu.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Il semble donc que la solution adoptée par la Cour
de cassation provienne de ce qu’elle apprécie
l’illégalité, non au regard du sort du contrat de travail
concerné, mais à l’aune de la seule décision prise, en
amont du licenciement, par l’employeur qui a fait un
choix parmi plusieurs personnes à licencier. Ce choix
serait, selon cette démarche, extérieur à la relation
individuelle contractuelle, voire de nature collective,
ne privant, en tant que tel, pas de cause réelle et
sérieuse le licenciement individuel intervenant
subséquemment.
364
Cette démarche ne résiste cependant pas à la
critique : cette distorsion artificielle entre le choix du
salarié à licencier (irrégulier) et la décision de rupture
(régulière en son principe) procède d’une
appréciation de la nature du préjudice, non pas en la
personne de la victime (le salarié), qui, lui, subit les
effets néfastes d’une seule et même décision à son
égard (son licenciement entaché de détournement de
pouvoir), mais en celle de l’auteur de la faute
(l’employeur), qui a d’abord pris la décision
(régulière) de réduire les effectifs pour des raisons
économiques et a ensuite seulement “mal choisi la
cible”, ce qui expliquerait la distinction entre deux
préjudices, les dommages-intérêts pour absence de
cause réelle et sérieuse n’étant dû qu’en l’absence de
raisons économiques.
Pourtant, si tout licenciement entaché de
détournement de pouvoir (par ailleurs sanctionné par
la jurisprudence) procède quelque part d’une
opération en deux, voire plusieurs étapes, s’agissant
(89) Soc. 23 janvier 1996 Bull. n° 23.
(90) Soc. 4 novembre 1993 pourvoi n° 92-41.624 ; 3 février 1993
pourvoi n° 89-41.909 ; 29 mai 1991 pourvoi n° 88-45.218.
(91) Soc. 26 janvier 1999 Bull. n° 39.
On aurait pu croire que cette jurisprudence allait
évoluer avec cet arrêt qui avait décidé que l’absence
de réponse de l’employeur à la demande, par le
salarié, de la communication des critères d’ordre de
licenciement “laisse (le salarié) dans l’ignorance du
motif réel de son licenciement, lequel est, dès lors,
dépourvu de cause réelle et sérieuse” (89), d’autant
que des décisions isolées, non publiées il est vrai,
avaient admis que des dommages-intérêts pour
licenciement sans cause réelle et sérieuse soient
alloués dans le cas d’une inobservation de l’ordre des
licenciements (90).
Cependant la Cour suprême est vite revenue sur
cette solution en décidant que l’absence de réponse
de l’employeur n’a pas pour effet de priver le
licenciement de cause réelle et sérieuse (91).
Cette jurisprudence a été vivement critiquée par la
doctrine qui a notamment fait observer qu’”elle ne
correspond pas à la réalité des situations car elle sousentend que le salarié peut subir un préjudice (résultant
de l’inobservation de l’ordre des licenciements) autre
que la perte de son emploi. Or on voit mal comment
cette hypothèse pourrait se rencontrer”, en ajoutant de
façon pertinente que le licenciement économique
d’un salarié “n’a une cause réelle et sérieuse que si la
suppression d’emploi, elle-même justifiée, impose le
licenciement de ce salarié. (…) Le licenciement d’un
salarié, qui est licencié à la place d’un autre, n’a pas de
cause réelle et sérieuse” (92).
La question posée est en effet celle du périmètre de
la cause justificative de licenciement. Mais elle est
aussi celle du périmètre de la cause qualificative de
licenciement : le licenciement pour motif
économique d’un salarié prononcé en violation de
(92) cf. obs. sous Soc. 14 janvier 1997 précité, in J. Pélissier,
A. Lyon-Caen, A. Jeammaud et E. Dockès, Les grands arrêts de
droit du travail, 3e édition Dalloz, p. 409 et 410.
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l’ordre des licenciements n’a pas de cause
économique, étant, de fait, inhérent à sa personne.
cause économique du fait d’un détournement d’un
Dans un arrêt malheureusement isolé, la Cour de
cassation a ainsi, semble-t-il dans cet esprit, approuvé
une Cour d’appel d’avoir alloué des dommagesintérêts sur le fondement de l’article L 122-14-4 à un
salarié qui avait été licencié soit-disant pour motif
économique et en réalité en violation de l’ordre des
licenciements “dans le but de permettre la promotion
d’un autre salarié”, de sorte que “la décision de
licenciement était entachée de détournement de
pouvoir” et “n’avait pas de cause économique” (93).
licenciements que parce que le salarié avait en
>
pouvoir dans le cas d’une violation de l’ordre des
l’espèce allégué un détournement de pouvoir en
quelque sorte “autonome” de cette violation (en
l’espèce, la promotion d’un autre salarié). Or une telle
solution n’est, là encore, pas compréhensible dès lors
qu’elle oblige le salarié à alléguer ce détournement de
pouvoir et le juge à l’établir, là où il devrait être
présumé du seul fait de l’inobservation de l’ordre des
licenciements.
Marie-France Bied-Charreton,
On peut cependant supposer, à la lecture de cet
arrêt, que la Cour de cassation n’a admis l’absence de
Avocat au Barreau de Paris
Quatrième partie :
Le rôle du juge et les sanctions
Section 1 : Le juge des référés et le juge du fond
Article L. 321-16 « Toute action en référé portant sur la régularité de la procédure de consultation doit, à peine
d'irrecevabilité, être introduite dans un délai de quinze jours suivant chacune des réunions du
comité d'entreprise.
« Toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement se prescrit par douze
mois à compter de la dernière réunion du comité d'entreprise ou, dans le cadre de l'exercice par
le salarié de son droit individuel à contester la régularité ou la validité du licenciement, à compter
de la notification de celui-ci. Ce délai n'est opposable au salarié que s'il en a été fait mention
dans la lettre de licenciement. »
Cet article est issu de l’article 75 de la loi et a pour but d’enserrer dans un délai bref les
contestations relatives à la régularité de procédures de consultation ou du licenciement.
Des précisions doivent être apportées, surtout sur le plan pratique (A) et si ce texte ne pose
pas de difficulté majeure d’interprétations sur de nombreux points des interrogations
doivent être relevées (B).
I. Aspects procéduraux
A. Computation des délais
Les règles du nouveau Code de procédure civile
(94) s’appliquent. Il en résulte que pour le délai de
(93) Soc. 2 juin 1993 pourvoi n° 92- 41. 282.
(94) Articles 641 et 642.
(95) Article 641 du NCPC : “Lorsqu’un délai est exprimé en jours,
celui de l’acte, de l’événement, de la décision ou de la
notification qui le fait courir ne compte pas.
Lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, ce délai expire
le jour du dernier mois ou de la dernière année qui porte le même
quinze jours, le premier jour est exclu du décompte
(95), tandis que le délai de douze mois expire le jour
du dernier mois qui porte le même quantième que le
jour faisant courir le délai ; à défaut d’un quantième
identique, le délai expire le dernier jour du mois (96).
quantième que le jour de l’acte, de l’événement, de la décision
ou de la notification qui fait courir le délai. A défaut d’un
quantième identique, le délai expire le dernier jour du mois.
Lorsqu’un délai est exprimé en mois et en jours, les mois sont
d’abord décomptés, puis les jours”.
(96) Article 641 al. 2 du NCPC.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Commentaire
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>
Quatrième partie
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Le rôle du juge et les sanctions
Ces deux délais expirent le dernier jour à 24 heures.
Si le délai expire un samedi, un dimanche ou un jour
férié, ou chômé, il est prorogé au premier jour
ouvrable suivant (97).
2) Délai de douze mois
B. Interruption des délais
Les situations doivent être distinguées selon les
deux délais instaurés par la loi.
1) Délai de quinze jours
La régularité de la procédure doit à peine
“d’irrecevabilité” être “introduite” dans un délai de
quinze jours. Bien que le texte ne le précise pas, il
s’agit d’un délai dit de “forclusion” ou, pour reprendre
la terminologie actuelle, d’un “délai pour agir”.
Plus importante est la notion “d’introduction” de la
procédure. Cette notion ne peut s’entendre que de la
remise au greffe d’une copie du second original de
l’assignation. L’article 53 du NCPC dispose : “La
demande initiale est celle par laquelle un plaignant
prend l’initiative d’un procès en soumettant au juge ses
prétentions. Elle introduit l’instance.”
Dans d’autres domaines, des formules similaires ont
été utilisées à propos de la saisine du juge et ont à
chaque fois été interprétées comme signifiant que la
juridiction n’était saisie que par la remise au greffe de
Devant le tribunal de grande instance (procédure
ordinaire ou à jour fixe), c’est la délivrance de
l’assignation qui suspend la prescription (article 757
du NCPC) (100). La remise au greffe (pour la
procédure ordinaire) doit être faite dans les quatre
mois de l’assignation faute de quoi celle-ci sera
caduque et les effets de la suspension de la
prescription anéantis.
Devant le Conseil des prud’hommes, c’est la remise
ou l’envoi de la demande au greffe du Conseil qui
saisit la juridiction et interrompt la prescription même
en cas de saisine d’un Conseil territorialement
incompétent (101).
Afin d’éviter toute difficulté, notamment liée au
délai d’acheminements postaux, il est plus prudent de
déposer la demande au greffe.
des baux d’habitation) qui prévoit qu’à défaut de
saisine du juge avant le terme du contrat, celui-ci est
C. Prescription et forclusion
– ce principe a été jugé à propos de l’article 17 c) de
la loi du 6 juillet 1989 (relatif à la fixation des loyers
renouvelé aux clauses et conditions antérieures (98) ;
– en matière de divorce, à propos de l’ancien article
1113 du NCPC qui prévoyait qu’à défaut de saisine du
juge dans les six mois de l’ordonnance de nonconciliation,
les
mesures
provisoires
étaient
caduques, la Cour de cassation a, dans un arrêt du
26 juin 2003 (99), estimé que cette notion s’entendait
de la remise au greffe d’une copie de l’assignation.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Le texte prévoit que les contestations portant sur la
“régularité ou la validité du licenciement” se
prescrivent par douze mois. La situation a le mérite
d’être claire : il s’agit d’une prescription et non d’une
forclusion.
Enfin, et compte tenu de la règle de l’unicité de
l’instance, il ne faut pas exclure la notification par acte
d’huissier, d’une demande complémentaire relative à
la contestation du licenciement si le Conseil des
prud’hommes est déjà saisi d’une autre demande.
l’assignation :
366
Il est donc plus prudent que le second original de
l’assignation soit remis au greffe dans les quinze jours
de la réunion du comité qui est contestée.
(97) Article 642 du NCPC : “Tout délai expire le dernier jour à vingtquatre heures.
Le délai qui expirerait normalement un samedi, un dimanche
ou un jour férié ou chômé, est prorogé jusqu’au premier jour
ouvrable suivant.”
(98) Cass. 3e civ., 23 juin 1993, JCP G 1993, IV, 2160.
(99) Bull. civ. II, n° 211, D. 2003. IR. 1879.
(100) Article 757 du NCPC : “Le tribunal est saisi, à la diligence de
l’une ou l’autre partie, par la remise au greffe d’une copie de
l’assignation.
Cette remise doit être faite dans les quatre mois de
l’assignation, faute de quoi celle-ci, sera caduque.
La caducité est constatée d’office par ordonnance du
président ou du juge saisi de l’affaire.
A défaut de remise, requête peut être présentée au président
en vue de faire constater la caducité.” Décret nº 2004-836 du
La forclusion est la sanction qui frappe le titulaire
d’un droit ou d’une action, pour défaut
d’accomplissement dans un délai d’une formalité
lui incombant et lui interdit désormais d’accomplir
cette formalité.
La prescription est un mode d’extinction de l’action
en justice, résultant du non-exercice de celle-ci avant
l’expiration d’un délai fixé par la loi.
20 août 2004 art. 52 I Journal officiel du 22 août 2004 en
vigueur le 1er janvier 2005.
(101) Article R 516–9 du Code du travail “La demande est formée
au secrétariat du Conseil de prud’hommes. Elle peut lui être
adressée par lettre recommandée
Elle doit indiquer les nom, profession et adresse des parties
ainsi que ses différents chefs. Le secrétariat-greffe délivre ou
envoie immédiatement un récépissé au demandeur.
Ce récépissé, ou un document qui lui est joint, reproduit les
dispositions des articles R. 516-4, R. 516-5 et R. 516-13 à
R. 516-20-1.
Art. R. 516-8 du Code du travail “Le Conseil de prud’hommes
est saisi soit par une demande, soit par la présentation
volontaire des parties devant le Bureau de conciliation.
La saisine du Conseil de prud’hommes, même incompétent,
interrompt la prescription”.
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Page 367
En principe, un délai de forclusion n’est susceptible
ni d’interruption ni de suspension, contrairement au
délai de prescription. En réalité, la situation est plus
complexe puisque l’article 2244 du Code civil, dans sa
rédaction issue de la loi du 5 juillet 1985, prévoit
“qu’une citation en justice, même en référé, un
commandement ou une saisie, signifiés à celui qu’on
veut empêcher de prescrire, interrompent la
prescription ainsi que les délais pour agir”. Ce texte est
de portée générale et s’applique à toutes les
prescriptions et délais pour agir et donc aux
forclusions.
Toutefois la citation en justice devant un juge
incompétent a des effets différents s’il s’agit d’une
prescription ou d’une forclusion :
– en cas de prescription et aux termes de
l’article 2246 et de l’article R. 516-8 du Code du travail,
la prescription est interrompue ;
– en revanche, ce texte n’est pas applicable en cas
de forclusion (102).
II. Des certitudes
et des interrogations
A. L a “ r é g u l a r i t é ” d e l a p r o c é d u r e d e
consultation
L’article L. 321-16 al. 1er du Code du travail vise “la
régularité” de la procédure de consultation et prévoit
que les actions en référé doivent être introduites dans
un délai de quinze jours suivant chacune des réunions
du comité d’entreprise.
S’agissant d’une restriction au droit d’agir en justice,
ce texte doit être interprété strictement. Il en résulte
que :
1° seules sont enserrées dans le délai de quinze
jours les actions en référé. Si le législateur avait voulu
prévoir que, à défaut de saisine du juge dans un délai
de quinze jours, la procédure était purgée de tout vice,
il l’aurait dit clairement. Il n’y a donc pas de délai pour
saisir le juge du fond, que se soit à jour fixe ou en la
forme ordinaire ;
2° la limitation du droit d’agir en justice ne
concerne que la procédure au titre du Livre III
(l’article L. 321-16 est dans le Livre III) et non la
régularité de la procédure de consultation du Livre IV.
Mais, en cas de concomitance, se pose alors la
question de savoir quelle est la portée d’une décision
de suspension ou d’annulation de la procédure suivie
au titre du Livre IV si le juge est saisi après le délai de
quinze jours : y aura-t-il décrochage de la
concomitance ? La décision de suspension ou
(102) Cass. Civ. 1re, 17 mars 1998, Bull. Civ. I, n° 117.
d’annulation du Livre IV sera-t-elle applicable au
Livre III ?
>
3° Ce délai ne s’applique qu’à la “régularité de la
procédure” et n’est donc pas applicable aux
contestations portant sur le plan de sauvegarde de
l’emploi qui peuvent être introduites, même en
référé, après le délai de quinze jours.
4° Seules sont visées les “irrégularités” de la
procédure de consultation. Cette expression vise à
l’évidence les délais et les formes de convocation des
élus, le nombre et l’intervalle entre les réunions, voire
l’élaboration de l’ordre du jour. C’est au demeurant ce
qu’avait exposé le rapporteur devant le Sénat (103) :
“Pour le licenciement collectif de dix salariés et plus sur
trente jours : le comité d’entreprise doit se réunir au
cours de deux réunions séparées par quatorze jours si
le plan de licenciements concerne moins de cent
salariés, par vingt-et-un jours si les licenciements
concernent entre cent et deux cent quarante-neuf
salariés et en vingt-huit jours pour au moins deux cent
cinquante licenciements. Si la procédure de
consultation n’a pas été menée dans les conditions de
régularité requises, il est possible de la contester en
référé devant les tribunaux, sans qu’aucun délai ne soit
précisé. Le Gouvernement propose de fixer un délai à
ce recours : toute action en référé devra être introduite
dans les quinze jours suivant chacune des réunions du
comité d’entreprise, sous peine d’irrecevabilité.” Le
législateur aurait peut-être voulu y inclure également
les actions relatives à l’insuffisance de l’information
donnée aux élus, aux délais d’examen des
documents, etc., mais dans la mesure où le texte voté
vise la “procédure” et non la “consultation”, seule une
interprétation restrictive s’impose.
5° L’action appartient au comité ainsi qu’aux
organisations syndicales.
6° Les salariés licenciés ont toujours le droit de
contester la régularité de la procédure ainsi que le
contenu du PSE.
En définitive, la montagne a accouché d’une souris,
malade de surcroît. Le gouvernement avait annoncé
sa volonté de “sécuriser les procédures afin d’éviter des
contentieux qui s’éternisent dans le temps” et de limiter
le contentieux. Le résultat est tout autre puisque le
juge des référés ne peut que suspendre les effets d’une
réunion tenue irrégulièrement et ordonner les
mesures adéquates.
Jusqu’à présent, lorsque des irrégularités soit dans
la convocation de la réunion, soit dans le processus
d’information en vue de la consultation du comité,
étaient relevées, une délibération était prise
(103) Rapport Sénat session ordinaire de 2004-2005 n° 39 p. 17.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
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Le rôle du juge et les sanctions
demandant à la direction de régulariser la situation et,
à défaut, donnant mandat au secrétaire de saisir la
juridiction compétente. La plupart du temps, suite à
cette délibération, des négociations étaient ouvertes
et des solutions étaient trouvées. Désormais, et sous
réserve des difficultés d’interprétation du texte, le juge
sera systématiquement saisi en cas de doute sur la
“régularité de la procédure de consultation”
Enfin, et en toute hypothèse, ce texte n’empêche
pas de saisir le juge du fond, statuant à jour fixe, pour
qu’il sanctionne les irrégularités.
B. Les contestations portant sur les irrégularités
ou la validité du licenciement
Ces contestations doivent être introduites dans un
délai de douze mois à compter de la dernière réunion
du comité d’entreprise ou, pour le salarié, à compter
de la notification du licenciement pour autant que ce
délai figure dans la lettre de licenciement.
Cette formulation n’est pas plus claire que la
précédente :
1° le délai d’un an s’applique-t-il aux contestations
relatives à la régularité de la procédure de
consultation ? Cela n’est pas certain puisque le texte
vise la régularité ou la validité du licenciement et non
la consultation du comité. On peut donc en conclure
qu’il n’y a pas de délai pour contester, devant le juge
du fond, la régularité du processus d’information en
vue de la consultation du comité.
2° de même, peut-on considérer que la validité du
licenciement peut être assimilée à la validité du plan
de sauvegarde de l’emploi ?
3° enfin, la validité du licenciement se distingue de
la contestation de la cause réelle et sérieuse du
licenciement qui reste enfermée dans le délai de droit
commun. En revanche, l’action intentée par un salarié
en nullité du plan de sauvegarde de l’emploi qui était,
conformément aux règles du Code civil, de cinq ans,
a été réduite à une année. Mais il ne s’agit là que de
pistes de réflexion compte tenu de la rédaction
quelque peu absconde du texte.
Pierre Bouaziz,
Avocat au Barreau de Paris
Article 320-3 in fine* « Toute action en contestation visant tout ou partie de ces accords doit être formée, à peine
d'irrecevabilité, avant l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la date
d'accomplissement de la formalité prévue au premier alinéa de l'article L. 132-10. Toutefois, ce
délai est porté à douze mois pour les accords qui déterminent ou anticipent le contenu du plan
de sauvegarde de l'emploi mentionné à l'article L. 321-4-1. »
Point de départ du délai :
L’article L. 132-2-2 V in fine prévoit que les formalités
de dépôt prévues à l’article L. 132-10 ne peuvent être
faites qu’à l’expiration du délai d’opposition.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
L’article L. 132-10 prévoit que :
368
– les accords sont déposés par la partie la plus
diligente auprès des services du ministre chargé du
travail (de l’agriculture pour les professions agricoles) ;
– la partie la plus diligente en remet un exemplaire
au secrétariat-greffe du Conseil des prud’hommes du
lieu de conclusion.
S’il est certain que le point de départ du délai est la
dernière date à laquelle a été faite l’une des deux
formalités de publicité, il n’en demeure pas moins qu’il
peut y avoir une incertitude puisque les organisations
syndicales non signataires de l’accord ne savent pas à
quelle date a été effectuée cette formalité.
* Voir texte intégral de l’article L. 320-3 supra p. 349.
Objet des contestations :
1° Quel est le délai de recours à l’encontre d’un
accord de méthode “mixte”, prévoyant d’une part les
modalités d’information et de consultation du comité
et, d’autre part, des mesures déterminant ou
anticipant le contenu du plan de sauvegarde de
l’emploi ? A-t-on deux délais différents qui courent,
l’un de trois mois pour tout ce qui n’est pas plan de
sauvegarde de l’emploi, l’autre d’un an pour tout ce
qui est plan de sauvegarde de l’emploi ? Ou, encore,
est-ce le délai le plus long qui s’applique à tout ?
2° Les actions de mobilité géographique et
professionnelle insérées dans un accord de méthode
constituent-elles une mesure préventive ou une mesure
anticipatrice d’un plan de sauvegarde de l’emploi ?
Pierre Bouaziz,
Avocat au Barreau de Paris
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Section 2 : Nullité et poursuite du contrat de travail
>
Article L. 321-4-1 « Dans les entreprises employant au moins cinquante salariés, lorsque le nombre de licenciements
est au moins égal à dix dans une même période de trente jours, l'employeur doit établir et
mettre en œuvre un plan de sauvegarde de l'emploi pour éviter les licenciements ou en limiter
le nombre et pour faciliter le reclassement du personnel dont le licenciement ne pourrait être
évité, notamment des salariés âgés ou qui présentent des caractéristiques sociales ou de
qualification rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile.
« La procédure de licenciement est nulle et de nul effet tant qu'un plan visant au reclassement de
salariés s'intégrant au plan de sauvegarde de l'emploi n'est pas présenté par l'employeur aux
représentants du personnel, qui doivent être réunis, informés et consultés.
« Ce plan doit prévoir des mesures telles que par exemple :
– des actions en vue du reclassement interne des salariés sur des emplois relevant de la même
catégorie d'emplois ou équivalents à ceux qu'ils occupent ou, sous réserve de l'accord exprès
des salariés concernés, sur des emplois de catégorie inférieure ;
– des créations d'activités nouvelles par l'entreprise ;
– des actions favorisant le reclassement externe à l'entreprise, notamment par le soutien à la
réactivation du bassin d'emploi ;
– des actions de soutien à la création d'activités nouvelles ou à la reprise d'activités existantes
par les salariés ;
– des actions de formation, de validation des acquis de l'expérience ou de reconversion de
nature à faciliter le reclassement interne ou externe des salariés sur des emplois équivalents ;
– des mesures de réduction ou d'aménagement du temps de travail ainsi que des mesures de
réduction du volume des heures supplémentaires effectuées de manière régulière lorsque ce
volume montre que l'organisation du travail de l'entreprise est établie sur la base d'une durée
collective manifestement supérieure à trente-cinq heures hebdomadaires ou 1 600 heures par
an et que sa réduction pourrait préserver tout ou partie des emplois dont la suppression est
envisagée.
« La validité du plan de sauvegarde de l'emploi est appréciée au regard des moyens dont dispose
l'entreprise ou, le cas échéant, l'unité économique et sociale ou le groupe. »
Article L. 122-14-4, premier alinéa « Si le licenciement d'un salarié survient sans observation de la procédure requise à la présente
section, mais pour une cause réelle et sérieuse, le tribunal saisi doit imposer à l'employeur
d'accomplir la procédure prévue et accorder au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité
qui ne peut être supérieure à un mois de salaire ; si ce licenciement survient pour une cause qui
n'est pas réelle et sérieuse, le tribunal peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise,
avec maintien de ses avantages acquis ; en cas de refus par l'une ou l'autre des parties, le tribunal
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
« En l'absence de comité d'entreprise ou de délégués du personnel, ce plan ainsi que les
informations visées à l'article L. 321-4 doivent être communiqués à l'autorité administrative
compétente lors de la notification du projet de licenciement prévue au premier alinéa de l'article
L. 321-7. En outre, ce plan est porté à la connaissance des salariés par voie d'affichage sur les
lieux de travail.
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Quatrième partie
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Le rôle du juge et les sanctions
octroie au salarié une indemnité. Cette indemnité, qui ne peut être inférieure aux salaires des six
derniers mois, est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité prévue à l'article L. 122-9.
Lorsque le tribunal constate que le licenciement est intervenu alors que la procédure de
licenciement est nulle et de nul effet, conformément aux dispositions du cinquième alinéa de
l'article L. 321-4-1, il peut prononcer la nullité du licenciement et ordonner, à la demande du
salarié, la poursuite de son contrat de travail, sauf si la réintégration est devenue impossible,
notamment du fait de la fermeture de l'établissement ou du site ou de l'absence d'emploi
disponible de nature à permettre la réintégration du salarié. Lorsque le salarié ne demande pas la
poursuite de son contrat de travail ou lorsque la réintégration est impossible, le tribunal octroie
au salarié une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des douze derniers mois. »
Commentaire
1.
a
En 2002 la loi de modernisation sociale consacrait
immédiatement provoqué une fixation obsessionnelle
le droit à réintégration en l’intégrant dans l’article
du patronat. Sa sauvegarde constitue en même temps
L 122.14.4.
La
jurisprudence
Samaritaine
(104)
un enjeu essentiel, comme l’ont montré les réactions
syndicales lors de la discussion du projet.
De son côté, la Chambre sociale de la Cour de
cassation maintenait fermement la jurisprudence
Bien que la réintégration n’ait finalement été
Samaritaine, rappelant encore récemment que “si
prononcée que dans un nombre de cas limités, la
l’absence d’un plan social ou la nullité de celui-ci
crainte qu’a inspiré cette sanction a conduit à une
entraîne la nullité de la procédure de licenciement, la
amélioration sensible de la qualité des plans de
nullité est également encourue lorsque, le comité
sauvegarde de l’emploi et, en particulier, des efforts de
d’entreprise n’ayant pas été valablement saisi,
reclassement. On se souviendra seulement ici par
l’irrégularité a été soulevée avant le terme de la
contraste que pendant la période durant laquelle les
procédure, à un moment où elle pouvait encore être
plans sociaux ont été soumis au seul contrôle
suspendue et reprise et que l’employeur a néanmoins
administratif (du 3 janvier 1975 au 31 décembre 1986),
notifié les licenciements” (105).
le Conseil d’Etat n’a annulé aucune autorisation de
licenciement sur le fondement d’une insuffisance ou
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
même d’une absence de plan social.
370
2. Ces principes ne sont pas remis en cause par la
loi du 18 janvier 2005. Seule la sanction de la nullité de
La loi du 18 janvier 2005 n’a pas modifié l’article
la procédure a fait l’objet de tempéraments par une
L 321.4.1 alinéa 2 (amendement dit “Aubry” du
réécriture de l’article L 122.14.4 qui vise à assouplir
27 janvier 1993) selon lequel : “la procédure de
l’appréciation
licenciement est nulle et de nul effet tant qu’un plan
jurisprudence des cas d’impossibilité de réintégration.
faite
jusqu’à
présent
par
la
visant au reclassement de salariés s’intégrant au plan
Désormais, lorsque la procédure de licenciement
de sauvegarde de l’emploi n’est pas présenté par
est nulle et de nul effet, conformément au deuxième
l’employeur aux représentants du personnel qui doivent
alinéa de l’article L 321.4.1, le juge peut prononcer la
être réunis, informés et consultés”.
nullité du licenciement et ordonner à la demande du
Au-delà du principe fort de nullité édicté par ce
salarié la poursuite de son contrat de travail, sauf, et
texte, le mot clé de la phrase est ce “tant que” qui
c’est ici qu’intervient la modification, si “la
permet de suspendre les effets d’un licenciement
réintégration est devenue impossible notamment du fait
jusqu’à ce que la procédure soit régulière. Il s’agit
de la fermeture de l’établissement ou du site ou de
donc plus dans l’esprit du législateur d’un moyen de
l’absence d’emploi disponible de nature à permettre la
contrainte, d’une paralysie en principe provisoire de
réintégration du salarié”.
la procédure, que d’une sanction.
(104) Cass. Soc. 13 février 1997 Benoit et Guglielmi c/ Samaritaine
Dr. Ouv. 1997 p. 94 n. P. Moussy.
(105) Cass. Soc. 14 janvier 2003, Euridep c/ CCE UES Kalon France,
Bull. civ. V n° 5, Dr. Ouv. 2003 p.152 n. M. Cohen.
342-375 Deuxième partie
26/07/05
10:21
Page 371
3. Ecartons d’emblée la crainte exprimée par
certains que le “peut” n’ait rendu la réintégration
facultative pour le juge hors des hypothèses où elle est
devenue impossible au sens du texte. Le “peut” signifie
ici non pas que le juge détiendrait le pouvoir
discrétionnaire de ne pas ordonner la réintégration,
mais au contraire qu’ayant le pouvoir de l’ordonner, il
sera tenu de le faire si les conditions de la loi sont
réunies. La même formulation se retrouve par
exemple dans l’article L 122.43 alinéa 2 : il va de soi
que si la sanction est irrégulière en la forme ou
injustifiée ou disproportionnée à la faute commise, le
juge devra l’annuler.
Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs répondu à
l’argument selon lequel le texte laisserait au juge
un pouvoir d’application en opportunité :
“…il appartiendra au juge, saisi d’une demande en ce
sens (de réintégration), s’il constate la nullité de la
procédure de licenciement… d’ordonner la
réintégration du salarié, sauf si… “ (106).
Du
côté
du
gouvernement
comme
des
>
parlementaires de la majorité, chacun avait en tête
l’exemple de Wolber où le droit à réintégration a été
poussé jusqu’au terme d’une logique un peu absurde,
en tout cas pour ce qui concerne la demande de
“relocalisation” de la production. L’entreprise,
Michelin, offre cependant des possibilités de
réintégration sur d’autres sites et il est donc fâcheux
que le texte voté ait finalement retenu comme
hypothèse d’impossibilité de réintégration, non pas la
disparition de l’entreprise, mais la fermeture de
l’établissement ou du site, paraissant ainsi restreindre
le droit à réintégration à un périmètre géographique
étroit (110).
Les observations du gouvernement devant le
Conseil constitutionnel soulignaient, pour justifier
cette rédaction, que la réintégration sur un autre site
ou pour une autre qualification, reviendrait à imposer
une modification d’éléments substantiels (on croyait
cette notion abandonnée !!) du contrat de travail.
Cette analyse, outre qu’elle n’est pas toujours exacte
4. “Sauf si … la réintégration est devenue impossible,
notamment du fait de la fermeture de l’établissement ou
du site ou de l’absence d’emploi disponible de nature à
permettre la réintégration du salarié”. Là est le coin
enfoncé dans la notion d’”impossibilité matérielle” au
sens où la jurisprudence l’entend. Rappelons que
jusqu’à présent, seul l’exercice d’une activité
concurrente déloyale par un ancien salarié pouvait
rendre sa réintégration impossible en cas d’annulation
du plan de sauvegarde de l’emploi (107). Cette
jurisprudence est d’ailleurs atypique puisque la Cour
de cassation n’admet, lorsque la réintégration est de
droit, que l’hypothèse d’une “impossibilité matérielle”
entendue restrictivement (ainsi pour des grévistes
dont l’emploi avait entre-temps disparu et qui devaient
se voir proposer un retour dans leur emploi ou un
emploi équivalent (108)).
puisque deux sites peuvent se trouver dans un même
Cette notion d’impossibilité matérielle est même
poussée jusqu’à une notion d’impossibilité quasi
absolue dans le cas des représentants du personnel
(109).
d’impossibilité, la fermeture de l’établissement ou du
Le texte de l’article 77.V visait, selon le Ministre, à
prendre en compte la notion d’”impossibilité
matérielle”, mais en lui donnant une acception
assouplie : il s’agissait initialement de la disparition de
l’entreprise ou de l’absence d’emploi disponible.
d’indisponibilité de l’emploi en l’absence de toute
(107) Cass. Soc. 25 juin 2003 n° 01-46.479 P.
(108) Cass. Soc. 2 février 2005 Bull. civ. V.
définition plus large de l’obligation de reclassement et
avec le fait que le salarié doit normalement être le seul
juge de l’opportunité d’accepter une modification de
son contrat de travail. Le Conseil constitutionnel a
répondu sur cette question que la règle édictée était
suffisamment claire et précise, laissant au juge le soin
de la “mettre en œuvre”, ce qui laisse à ce dernier une
marge d’appréciation, même en cas de fermeture de
l’établissement ou du site.
5. La seconde illustration de ce qui peut désormais
constituer une impossibilité de réintégration, est
l’absence d’emploi disponible. Il ne s’agit d’ailleurs
pas,
à
proprement
parler,
d’un
autre
cas
site est citée parce qu’elle caractérise l’absence
d’emploi disponible, mais d’un élargissement au site,
à l’établissement ou à l’entreprise de la notion
fermeture. Le véritable enjeu du texte se joue ici. Le
sort de la jurisprudence Samaritaine dépendra de
l’application de cette notion d’”emploi disponible” par
le juge.
(109) Soc. 24 juin 1998 Vanderghote RJS août-sept. 1998 n° 1020.
(110) comp. la motivation retenue par la Cour de cassation dans
cette même affaire Wolber : Cass. Soc. 15 juin 2005, PBRI.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
(106) Cons. const. décision n°2004-509 DC du 19 janvier 2005
considérant n° 26.
secteur géographique, se conjugue mal avec la
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342-375 Deuxième partie
>
Quatrième partie
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Le rôle du juge et les sanctions
On observera que la plupart des licenciements
économiques rendent indisponibles les emplois
supprimés ou transformés puisqu’il s’agit d’un
élément de la définition du licenciement
économique. Par conséquent, toute réintégration crée
un sureffectif. Considérée de ce point de vue, toute
demande de réintégration pourrait se heurter à une
impossibilité au sens du texte. Il est cependant peu
probable que la jurisprudence consacre une
interprétation aussi laxiste qui ferait de l’exception à
la règle le principe général.
Il faut ici faire un retour au texte de l’article
L 321.4.1, inchangé, qui frappe d’inefficacité juridique
la procédure de licenciement tant qu’un plan visant
au reclassement… Le licenciement subit, en tant
qu’acte subséquent de la procédure, la neutralisation
encourue par celle-ci. La volonté du législateur a été
de permettre au juge de suspendre les effets d’un plan
de sauvegarde de l’emploi déficient, décision qui n’a
d’utilité réelle que si ses effets, c’est-à-dire les
licenciements, sont également suspendus, au moins
le temps de permettre à l’employeur de remédier aux
déficiences constatées. La sanction de la nullité, dont
le principe est contenu dans l’article L 321.4.1, n’est
pas tant de créer un nouveau cas de nullité ouvrant
droit à réintégration, que de permettre à un juge de
contraindre une entreprise à élaborer un PSE ou à
l’améliorer, en particulier lorsque la recherche de
reclassements utiles n’a pas été menée avec une
volonté suffisante. Dans cette perspective, la notion
d’”emploi disponible” apparaît comme un concept
relatif qui doit s’apprécier au regard de la finalité du
dispositif de l’article L 321.4.1 alinéa 2. En ce sens,
l’emploi devra être considéré comme disponible, si
l’action en nullité est engagée avec diligence (le
pouvoir du juge des référés est à cet égard consacré
par la nouvelle loi), tant que, c’est-à-dire aussi
longtemps que l’employeur n’aura pas élaboré et
soumis aux institutions représentatives du personnel
un plan de sauvegarde de l’emploi adéquat. On
pourrait ainsi dire que l’emploi est réputé disponible
tant que le droit de licencier est indisponible.
Il est cependant certain qu’en négligeant d’agir
avec célérité, les élus ou les salariés verront l’emploi
concerné devenir peu à peu réellement indisponible
soit en raison de la fermeture du site ou de
l’établissement soit en raison de la mise en œuvre de
la restructuration décidée.
6. Il resterait à s’interroger sur la portée de l’adverbe
“notamment” qui donne au juge le pouvoir d’amplifier
les effets d’un texte qui lui laisse déjà une grande
latitude pour apprécier la notion d’absence d’emploi
disponible qui recouvre toutes les causes objectives
envisageables d’impossibilité créant de ce fait une
incertitude juridique importante. Le Conseil
constitutionnel, répondant à cette critique, a jugé que
le législateur avait opéré une conciliation exempte
d’erreur manifeste entre le droit de chacun d’obtenir
un emploi dont le droit au reclassement découle
directement et la liberté d’entreprendre. C’est aussi
par ce rappel que le juge devra se laisser guider en
gardant à l’esprit qu’une nullité promptement
ordonnée n’entame pas la liberté du chef
d’entreprise, libre de faire cesser la nullité de la
procédure en se conformant aux exigences de la loi.
Michel Henry,
Avocat au Barreau de Paris
Section 3 : Sanctions pénales
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
Article L. 321-11 372
« Sera puni d'une amende de 3750 euros, prononcée autant de fois qu'il y a de salariés concernés
par l'infraction, l'employeur qui :
1º Aura effectué un licenciement sans avoir procédé aux consultations prévues aux articles
L. 321-3 et L. 321-7-1;
2º Aura effectué un licenciement sans avoir procédé à la notification prévue à l'article L. 321-7 ;
3º N'aura pas observé les dispositions relatives au délai d'envoi des lettres de licenciement prévu
au premier alinéa de l'article L. 321-6.
« Est passible des mêmes peines l'employeur, l'administrateur ou le liquidateur qui n’aura pas
observé les dispositions prévues aux articles L. 321-8 et L. 321-9. »
342-375 Deuxième partie
Commentaire
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La loi de cohésion sociale (111) contient des dispositions réformant les règles applicables
aux licenciements économiques. Sur ce point elle ne contient aucunes dispositions pénales
nouvelles spécifiques à la matière. S’agit-il de l’œuvre d’un législateur imprégné de l’air du
temps et convaincu de la “nécessaire dépénalisation du droit du travail” prôné par certains
(112), qui, au nom de la compétitivité des entreprises, verraient d’un bon œil la disparition
de règles pénales permettant la sanction du non respect de ce droit du travail qu’ ils
cherchent à remettre en cause (113), ou d’un progrès dans la méthode législative fait par
un législateur convaincu des bienfaits de la légistique et qui consiste à ne pas alourdir
inutilement un texte de loi en y répétant ce qui par ailleurs existe déjà (114) ?
>
La réponse tient dans la structure du texte voté qui, à première lecture, tient plus du jeu de
piste que de l’œuvre d’un législateur soucieux d’être compris (115) par ceux à qui il est
destiné pour qu’ils l’appliquent (116). Cette absence de sanctions pénales nouvelles dans
le dernier texte voté ne signifie pas absence de sanctions pénales du non respect des
nouvelles règles relatives aux licenciements économiques. Les règles anciennes relatives à
la matière survivent. Cela tant en ce qui concerne les dispositions spécifiques aux
licenciements que celles du délit d’entrave qui demeurent applicables. Cela entraîne des
situations de cumul (117) qui font qu’en présence d’un même fait tombant sous le coup de
deux délits différents le juge peut prononcer une condamnation pour chaque délit mais
une seule, peine dans la limite du maximum de la peine la plus élevée (118) ; ainsi il n’y a
pas lieu à cumul des amendes pour irrégularités dans la procédure de licenciement pour
motif économique et délit d’entrave pour non-respect des règles relatives à la représentation
collective du personnel (119).
Ce qui a déjà été jugé en la matière (I.) continuera de s’appliquer avec le nouveau dispositif
(II.) la question qui demeure est celle de son effectivité (III.).
2º aura effectué un licenciement sans avoir procédé
I. Ce qui a déjà été jugé
à la notification à l’administration pour des
licenciement économique
licenciements de moins de dix salaries sur une
période de trente jours (122) ;
En matière de licenciement économique la
3º n’aura pas observé les dispositions relatives au
législation prévoit quelques infractions pénales
délai d’envoi des lettres de licenciement qui impose
assorties d’une peine maximale de 3 750 € d’amende
un délai de trente jours entre la notification du projet
prononcée autant de fois qu’il y a de salariés
à
concernés par l’infraction, destinées à sanctionner
licenciements aux salaries concernés (123).
l’employeur (120) qui :
1º aura effectué un licenciement sans avoir procédé
l’administration
et
l’envoi
des
lettres
de
L’employeur, l’administrateur ou le liquidateur qui
n’aura
pas
informé
l’autorité
administrative
aux consultations du comité d’entreprise prévues par
compétente avant de procéder à des licenciements
le Code du travail en la matière (121) ;
pour motif économique (124) dans les conditions
(113) Marie-France Bied-Charreton “A propos du rapport de
Virville : Un projet de réfection du droit du travail néo-libéral”
Dr. Ouv. 2004.161.
(117) Cass. Crim. 8 juill. 1986 JCP E 1987, I 16 770 p. 384 n° 46
obs. O. Godard ; Tgi Paris 10 nov. 1992 Dr. Ouv. 1993, p. 197
n. N. Alvarez-Pujana ; Cass. Crim. 4 nov. 1993 Dr. Ouv. 1994,
p. 208 n. N. A.-P. ; Cass. Crim. 22 mars 1994 Dr. Ouv. 1994,
p. 447 n. N. A.-P. ; Cass. Crim. 28 fév. 1995 Dr. Ouv. 1995.
363 n. N. A.-P. ; Cass. Crim. 25 nov. 1997 Dr. Ouv. 1998,
p. 179 ; Cass. Crim. 7 juill. 1998 Dr. Ouv. 1999, p. 308.
(114) C.-A. Morand, “Introduction à la légistique”, intervention au
Ve congrès international de méthodologie juridique”,
Montreux, 24/27 septembre 1997.
(118) C. Pénal art. 132-3, pour des applications : Cass. Crim.
16 nov. 1993 Dr. Ouv. 1994, p. 94 n. N. A.-P. ; Cass. Crim.
11 juill. 1994 Dr. Ouv. 1995, p. 34 n. N. A.-P.
(115) M. Richevaux, “Langage de la loi, lois du langage dans la
théorie et la pratique des politiques linguistiques dans le
monde”, sous la direction de G. Vrabie et J. Turi de Cugetarea
Iasi, 2003.
(119) Cass. Crim. 8 juill. 1986 JCP E 1987, I 16 770 p. 384 n ° 46
obs. O. Godard.
(116) M. Richevaux, La rédaction législative à l’épreuve de la
pratique dans légistique formelle et matérielle, PU Aix
Marseille, 1998.
(121) C. trav., art L. 321-3 et L. 321-7-1.
(111) L. n° 2005-32 du 18 janvier 2005 de programmation pour la
cohésion sociale JO n° 15 du 19 janvier 2005 p. 864.
(112) Rapport de Virville et propositions du Medef.
(120) C. trav., art L 321-11
(122) C. trav., art L. 321-7.
(123) C. trav., art. L. 321-6.
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
A. Sanctions des irrégularités en matière de
(124) C. trav., art. L. 321-8.
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342-375 Deuxième partie
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Quatrième partie
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Le rôle du juge et les sanctions
prévues par les textes relatifs (125) au redressement et
à la liquidation judiciaires des entreprises est passible
des mêmes peines. Il en est de même pour celui qui
en cas de redressement ou de liquidation judiciaire,
procède à licenciements économiques sans réunir et
consulter le comité d’entreprise ou, à défaut, les
délégués du personnel (126).
Ces dispositions législatives n’ont donné lieu qu’à
fort peu d’applications jurisprudentielles.
B. Le délit d’entrave
Mais surtout le dispositif législatif relatif aux
licenciements économiques fait du comité
d’entreprise, et à défaut les délégués du personnel, le
pivot de la protection des travailleurs en obligeant
l’employeur qui voulait procéder à de telles mesures,
au risque de condamnation pour entrave (127), à
consulter préalablement le comité d’entreprise (128).
Le délit d’entrave se définit comme tout fait d’action
ou d’omission ayant pour objet ou même seulement
pour effet de porter une atteinte quelconque, si légère
soit-elle, au fonctionnement du comité d’entreprise
(129), au plein exercice de ses attributions ou aux
prérogatives de ses membres (130).
Ainsi, ont été condamné pour délit d’entrave les
employeurs ayant omis de consulter le comité ou
consulté tardivement sur les projets suivants : une
restructuration (131), une réduction d’effectifs (132),
un remaniement de la direction générale (133), une
offre de reprise partielle (134), un projet de
réorganisation (135), la cession de la société (136) ou
d’un département de celle-ci (137), un projet de
cession d’une fraction du capital social emportant sur
le plan économique cession de l’entreprise (138), une
fusion de sociétés (139), une dissolution de société
(140). De même pour l’employeur qui se borne à
informer l’ensemble du personnel au lieu de consulter
le comité d’entreprise (141) qui refuse de
Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
(125) Articles 45, 63, 148-3, 148-4, 153 de la loi nº 85-98 du
25 janvier 1985.
374
communiquer au comité un document relatif au plan
de redressement envisagé (142), qui ne communique
que tardivement les documents relatifs à un projet de
restructuration industrielle (143), qui ne fournit pas
des informations suffisamment précises (144) ou
complètes (145), qui ne remet pas à l’expert
comptable du comité les documents que celui-ci
estime utiles (146).
II. Ce qui a déjà été jugé
pourra perdurer
Certes le dispositif substantiel relatif aux
licenciements économiques a été profondément
modifié et sur ce point le nouveau texte ne contient
pas de sanctions pénales nouvelles. L’absence de
dispositions pénales spécifiques dans la loi nouvelle
n’est pas une abrogation des dispositions anciennes
qui pourront perdurer. La seule véritable nouveauté
en la matière est qu’à partir du 31 décembre 2005 ce
type d’infraction pourra donner lieu à condamnation
des personnes morales qui peuvent en être considérée
comme les auteurs (147) ce qui jusqu’à présent n’était
pas possible (148). Sur le plan pénal la sanction du
non respect des nouvelles règles relatives aux
licenciements économiques continuera de s’articuler
autour de sanction du non-respect des règles de
procédure (a) et du délit d’entrave (b).
Même si l’article L 321-11 condamne les procureurs
chargés de le mettre en œuvre et ceux qui voudraient
l’utiliser à un jeu de piste il demeure applicable et
permet de sanctionner les irrégularités dans la
procédure de licenciement économiques telles
qu’elles ont été exposées ci-dessus. La situation est
identique en ce qui concerne le délit d’entrave. La
vraie question comme dans les autres domaines du
droit pénal du travail (149) demeure là aussi celle de
l’effectivité (150).
(137) Cass. Crim. 6 juin 1990 Unglik pourvoi n° 89-83.277.
(126) C. trav., art L 321-9.
(138) Cass. Crim. 2 mars 1978 JCP 1979 II 19052 Ph. Salvage ; Cass.
Crim. 4 avr 1979 D. 1980,125 note J.-C. Bousquet.
(127) C. trav., art L 483-1.
(139) Cass. Crim. 30 mars 1990 RJS 1990 n° 501.
(128) C. trav., art L 432-1.
(140) Cass. Crim. 25 avr 1989 pourvoi n° 911068.
(129) M. Cohen, L. Milet, Le droit des comités d’entreprise et des
comités de groupe, 7e ed., 2003, LGDJ.
(141) Cass. Crim. 28 nov. 1995 pourvoi n° 93-85808
(130) M. Malaval, Dr. Soc. avr. 1979 p. 95.
(143) Cass. Crim. 28 nov. 1984 JCP E 1985 II 14 481 O. Godard.
(131) Cass. Crim. 27 nov. 1990 RVI RJS n° 205 ; Cass. Crim. 25 mars
1997 Gibert Dr. Ouv. 1997, p. 382 note M. Cohen ; Cass.
Crim. 21 sept 1999 proc. gen. et syndicats sarthois CGT c/
Daniel D. pourvoi n° 98-84.783 ; Paris 16 juin 1967 D. 1968,
331 note J.-M. Verdier.
(144) Cass. Crim. 6 oct. 1992 Bull. n° 305.
(142) Cass. Crim. 4 nov. 1982 juri-social 1983 F 2.
(145) Cass. Crim. 18 nov. 1997 Dr. Ouv. 1998, p. 423.
(146) Cass. Crim. 23 avr. 1992 RJS 1992 n° 1117.
(132) Cass. Crim. 22 juin 1999 pourvoi 98-68.3114.
(147) C. pén. Art 121-2 dans sa rédaction issue de l’art. 54 de la loi
nº 2004-204 du 9 mars 2004 JO 10 mars 2004.
(133) Cass. Crim. 19 fév. 1991 Gagneux Sonacotra RJS n° 481.
(148) Cass. Crim. 18 avr. 2000 Dr. Ouv. 2000, p. 264.
(134) Cass. Crim. 3 déc. 1996 Bull. n° 441.
(149) A. Cœuret et E. Fortis, Droit pénal du travail, Litec 3e ed.
2004.
(135) Cass. Crim. 30 oct. 1990 pourvoi n° 89-83161.
(136) Cass. Crim. 29 oct. 1991 RJS 1992 n° 47.
(150) P. Le Brun, Droit pénal du travail effectivité ou ineffectivité, th.
Strasbourg 1979.
342-375 Deuxième partie
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Page 375
III. Effectivité
Jusqu’à présent, sauf une application des principes
du non-cumul (151) qui avait eu pour résultat de
réduire la peine prononcée contre l’employeur
poursuivi à la fois pour non-respect des règles de
procédure (une amende par salaries concernes) et
délit d’entrave (152), ces dispositions n’avaient donné
lieu qu’à peu de poursuites et de condamnations. Il
faut espérer qu’à l’avenir les procureurs s’en saisiront
et les appliqueront. Tout délit d’entrave au
fonctionnement régulier d’un comité d’entreprise
cause nécessairement à celui-ci un préjudice direct
dont il est fondé à obtenir réparation, il lui est donc
loisible de se constituer à cette partie civile (153).
Dans ce type d’infraction la constitution de partie
(151) C. Pénal art. 132-3.
(152) Cass. Crim. 8 juill. 1986 JCP E 1987, I 16 770 p. 384 n° 46
obs. O. Godard.
(153) Cass. Crim. 29 mars 1973 JCP 1974 II 17651 1re esp. note
N. Catala.
(154) Cass. Crim. 26 mai 1961 Bull n° 273 ; voir aussi Cass. Crim.
29 oct. 1996, Dr. Ouv. 1996, p. 227 et les réf. citées dans la
note ; Cass. Crim. 16 nov. 1999 Dr. Ouv. 2000, p. 180.
L’Institut du travail
de
Strasbourg
a mis en œuvre un site internet
dédié aux problématiques de
l'emploi des seniors :
civile est aussi ouverte à un syndicat qui a qualité pour
exercer l’action publique en cas d’entrave au
fonctionnement régulier du comité d’entreprise,
atteinte étant portée à l’intérêt collectif de la
profession (154). De plus si les délégués syndicaux
représentant une organisation syndicale ne peuvent
agir à titre personnel, les différentes instances
locales, départementales, nationales d’une même
organisation peuvent exercer simultanément les droits
réservés à la partie civile pour demander réparation
du préjudice causé par l’infraction (155). Ils ne
doivent pas hésiter à se servir de cet outil (156).
>
Marc Richevaux,
Magistrat, Maître de Conférences
à l’Université du Littoral, Côte d’Opale
(155) Cass. Crim. 28 nov. 1984 JCP E 1985 II 14481 note
O. Godard.
(156) Nicolas Alvarez-Pujana, “La constitution de partie civile des
syndicats”, RPDS nov. 1990 ; M. Cohen, “La notion d’intérêt
collectif de la profession et l’action en justice des syndicats”,
RPDS 1990, p. 177 ; P. Lanquetin, “Les actions des syndicats
devant les juridictions judiciaires”, AJ-CFDT 1992 n° 97 p. 3.
RPDS 723 - Juillet 2005
Au sommaire :
La période d’essai
Les pensions de réversion
Le CDDDD (contrat à durée déterminée
à disposition de la direction)
L’actualité juridique :
sommaires de jurisprudence
www.dialogue-social.fr
Le site est financé par la DRTEFP d'Alsace
et répond au souci de d'informer
l'ensemble des partenaires intéressés par
Vous y trouverez le compte rendu intégral
du colloque qui s'est tenu en février à
Strasbourg ainsi que des informations
scientifiques
et
pratiques
(études,
recherches, fiches techniques et accords
collectifs de branche abordant la question
du maintien au travail ou de la sortie du
travail des salariés âgés).
Pour les lecteurs non abonnés à la RPDS, ce numéro peut être commandé à :
NSA La Vie Ouvrière, BP n° 27, 75560 Paris cedex 12.
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Le Droit Ouvrier • JUILLET-AOÛT 2005
ces questions.
375
376 TM
juil-aout 2005
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10:12
Page 1
TABLE DES MATIÈRES
JUILLET-AOÛT 2005
Licenciements économiques, restructurations : la loi du 18 janvier 2005 en questions
Les licenciements économiques au fil... des lois, par Francis Saramito, Rédacteur en chef du Droit Ouvrier .................
281
Justice et justification dans les réformes actuelles du droit du travail, par Antoine Lyon-Caen,
Professeur à l’Université de Paris X Nanterre, Directeur d’études à l’EHESS ......................................................................................
283
Les temps de l’appréciation des motifs, par Hervé Tourniquet, Avocat au Barreau des Hauts-de-Seine ..........................
288
Vers un affaiblissement de l’emprise des procédures de licenciement collectif : le cas des propositions de modification du
contrat de travail pour motif économique, par Isabelle Meyrat, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise
296
Négociation collective et licenciement économique : propos introductifs sur le nouvel article L. 320-3 du Code du
travail, par Sophie Nadal, Maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise, Centre de recherches en droit
économique (CRDE) ................................................................................................................................................................................................
303
D’un débat majeur à un accord mineur (à propos de l’article L. 320-3 du Code du travail), par Pascal Rennes,
Directeur honoraire du travail ................................................................................................................................................................................
311
La négociation sur l'emploi à l’épreuve du nouvel article L. 320-2 du Code du travail, par Tamar Katz, Docteur en droit,
Avocate au Barreau de Paris ..................................................................................................................................................................................
322
Les garanties de procédure issues de la loi Borloo : ordre du jour du comité d’entreprise et délais de recours
contentieux, par Christophe Baumgarten, Avocat au Barreau de Bobigny ....................................................................................
327
Propriété de l'emploi, indemnisation et reclassement, par Alain Chirez, Professeur à l'Université de Polynésie
Française, Credeco Nice, Avocat au Barreau de Grasse .............................................................................................................................
335
PRÉSENTATION DE QUELQUES ARTICLES ANCIENS, MODIFIÉS ET NOUVEAUX DU CODE DU TRAVAIL,
SUIVIS DE NOTES CRITIQUES ET PRATIQUES ................................................................................................................................................
342
Première partie : Mesures de prévention ..........................................................................................................................................................
343
Section 1 : Gestion prévisionnelle des emplois, par Marie-France Bied-Charreton, Avocat au Barreau de Paris ..........
343
Section 2 : Reclassement avant licenciement, par Emmanuel Gayat, Avocat au Barreau de Paris ........................................
347
Deuxième partie : Processus des licenciements ............................................................................................................................................
349
Section 1 : Le rôle du Comité d'entreprise
349
Sous-section 1 : Accords de méthode, par Emmanuel Gayat, Avocat au Barreau de Paris .......................................................
349
Sous-section 2 : La concomitance du Livre IV et du Livre III, par Paul Bouaziz, Avocat au Barreau de Paris ......................
353
Sous-section 3 : La fixation de l'ordre du jour du CE, par Laurent Milet, Docteur en Droit, Maître de conférences
associé à l’Université de Paris XI, Rédacteur en chef de la RPDS ............................................................................................................
355
Section 2 : Entrée en vigueur des dispositions nouvelles, par Pierre Bouaziz, Avocat au Barreau de Paris ........................
360
Troisième partie : L'ordre des licenciements, par Marie-France Bied-Charreton, Avocat au Barreau de Paris ...............
362
Quatrième partie : Le rôle du juge et les sanctions ......................................................................................................................................
365
Section 1 : Le juge des référés et le juge du fond, par Pierre Bouaziz, Avocat au Barreau de Paris ......................................
365
Section 2 : Nullité et poursuite du contrat de travail, par Michel Henry, Avocat au Barreau de Paris ....................................
369
Section 3 : Sanctions pénales, par Marc Richevaux, Magistrat, Maître de Conférences à l’Université du Littoral,
Côte d’Opale ...............................................................................................................................................................................................................
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