management prive et management public : la fin des frontieres
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management prive et management public : la fin des frontieres
1ère version V1 du 15 janvier 2012 Etats Généraux du Management (EGM), Strasbourg, 2012 « Management privé et management public: la fin des frontières? », Jean Lachmann, professeur des universités à l’ISAM-IAE Nancy mail : [email protected] Dans les années 1980, R.A Thietart a publié un article intitulé Publicprivé : une guerre de frontières1 où il s’est interrogé si la stratégie politique des grandes entreprise publiques leur a permis de s’adapter aux conditions changeantes de l’environnement et comment elles pourraient entrer dans la décennie 1990 avec les meilleures chances de réussite. Plus de 30 ans plus tard, les organisations publiques au sens large sont dans une situation comparable et il convient de s’interroger aujourd’hui si ces frontières existent toujours ou si elles ont disparu ? Pour répondre à cette interrogation, nous allons aborder le poids économique du secteur public qui est devenu un monstre administratif difficile à gérer (1.), passant par la nécessité politique d’injecter du management dans la sphère public (2.), avec l’interrogation si les concepts sont inspirés ou transférés du privé (3.). Le management s’est installé durablement dans la sphère publique avec tous les risques de déviances et turpitudes relevées dans les autres secteurs d’activités (4.). 1. Le poids économique du secteur public A la spirale du toujours « plus d’Etat » qui s’est développée pendant des décennies et a débouché sur le « trop d’Etat », ce qui est une forme de déviance nationale, s’est substitué progressivement une autre alternative. Un esprit de réforme a soufflé demandant du « moins d’État », car les dépenses publiques ont atteint un record historique. Il ne s’agit pas de la disparition de l’État, mais d’amaigrissement, de rétrécissement, de compression du périmètre de l’État et même de « refabrication » d’un État allégé (L. Bonelli et W. Pelletier, 2010), ce que M. Crozier (1986) a appelé « État modeste, État moderne ». La crise a généralement comme effet de stopper le mouvement de baisse des dépenses publiques. Elle nous a souvent montré que le libéralisme est allé trop loin et que le laisser-faire a conduit à des excès économiques et financiers. La conséquence a été généralement le retour de l’État en laissant courir les déficits budgétaires et l’endettement. L’OCDE (octobre 2009) nous rappelle que dans leurs réactions à la crise, la plupart des gouvernements ont été contraints de porter les dépenses à des niveaux qui s’avèreront non-viables à terme. (1) R.A Thietart., Public-privé : une guerre de frontières, Revue française de gestion, Paris, n°20, 1979. 2 Pour garder la note AAA, de nombreux pays industrialisés ont été contraints d’engager de sévères plans de rigueur et de réduction du « déficit/endettement ». En France, pour compenser le manque de recettes, les coupes brutales des dépenses ont été utilisées mais elles ont été insuffisantes pour résorber les déséquilibres budgétaires en forte hausse. Avec des dépenses publiques de 1027 milliards d’euros en 2009 (461 pour les régimes sociaux, 353 pour l’Etat et 213 pour les collectivités) -ce qui a porté le taux des dépenses publiques, selon un rapport de Bercy (octobre 2010), de 52,3 % en 2007 à 56,6 % en 2010- les prochaines années devront s’inscrire dans une tendance baissière pour ramener les dépenses à 52 % du PIB en 2013 ; soit une réduction de près de 5 points qui nécessiteront des économies de l’ordre de 100 milliards d’euros. La France n’a d’autre choix que de cesser d’être la championne des dépenses publiques2 avec un écart de près de 10 points du PIB par rapport à l’Allemagne et de 23 points par rapport à la Suède. Seul le Danemark est à un niveau plus élevé de 58,6 % mais avec un déficit de 3 % PIB en 2010 contre un déficit de 7,7 % en France qui doit être réduit. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère du management public où la réduction des dépenses publiques et des effectifs de la sphère publique, par le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux, par des économies d’échelle, des fusions et autres formes de rapprochement sont devenus les axes stratégiques prioritaires de l’administration de l’Etat, des établissements hospitaliers et des collectivités territoriales pour diminuer leurs déficits et mettre un terme aux nombreux dérapages budgétaires qui est une forme de déviance. 2. La nécessité politique du management public Devant des résultats généralement décevants des politiques publiques et par rapport à la crise financière de 2008, les gouvernements des pays occidentaux ont été contraints par la pression de la population à mettre en place des réformes visant à l’introduction d’une « culture de la performance ». C’est le courant de pensée libérale du new public management(NPM) 3. (2) Dans nos cours introductifs aux masters de management public (MOSS, MH et MOP) à l’ISAMIAE Nancy, nous rappelons « le poids économique de la sphère publique qui représente, en 2009, plus d’un salarié sur quatre de la population active française et les dépenses publiques 56,6 % du PIB par rapport à la dernière estimation de la richesse nationale de 2 000 milliards d’euros ; ce qui en fait, en France, de très loin le premier secteur économique ». (3) Selon R. Le Duff (2009), le Nouveau management public (NMP) n’est pas la transposition pure et simple du New public management (NPM), qui est devenu aujourd’hui un « management du collectif ». Il faut distinguer la gestion du management car le management public s’apparente à la politique managériale des sous-disciplines des sciences de gestion (les RH, les finances, l’organisation, le développement commercial, le contrôle de gestion et l’audit, le management de projets, etc.). Nous utiliserons la traduction littérale de Nouveau management public pour le New public management, plutôt que la Nouvelle gestion publique de F.X Merrien (1999) pour bien montrer que le management public est la déclinaison managériale des différentes fonctions de l’entreprise. 3 Dans ses travaux pionniers, C. Hood (1991) a décrit le NPM comme un ensemble formé de sept composantes doctrinales qui prédominent dans leur approche conceptuelle : 1- le pilotage et le contrôle des organisations sont confiés à des professionnels nommés à leur tête qui doivent jouir d’une totale autonomie de gestion demandant plus de transparence et plus de responsabilisation dans l’action des cadres, tout en séparant la prise de décision stratégique (politique) de la gestion opérationnelle (administration) ; 2- la définition d’objectifs, de standards et d’indicateurs de performances ; 3- l’importance du développement du contrôle des résultats 4- l’évolution vers des unités décentralisées, des centres de responsabilités ou des agences, des « organisations gérables » ; 5- l’introduction d’une « logique de marché et de concurrence/compétition », basée sur la contractualisation avec des engagements précis et chiffrés ; 6- le recours à des pratiques managériales empruntées au secteur privé ; 7- l’importance de la rigueur managériale, de l’efficience dans l’utilisation optimale des ressources disponibles ou mises à disposition et le développement du concept du faire plus avec moins. Le NPM met en avant le lean management, le « management sans gras », qui cherche à amincir ou amaigrir les entreprises. Le lean management s’est développé en France à partir des années 1980 dans l’industrie, l’automobile en premier lieu, dans les services ensuite (le commerce, les banques et les sociétés d’informatique) et vient d’entrer dans le secteur public. Ces orientations ne se développeront pas spontanément dans les organisations publiques et elles demanderont une volonté politique forte qui est contrainte par les excès commis. L’avènement du management public va entraîner une remise en cause du rôle des professionnels (2.1.) et va donner aux managers un rôle de plus en plus important qui vont provoquer des frictions et des conflits (2.2.). 2.1. La mise en cause des « professionnels » Dans les organisations publiques, les « professionnels » 4 constituent les acteurs centraux dans le processus du changement. Dans la littérature économique et managériale (M. Thévenet, 2003 et 2006 ; F. Gangloff, 2010, …), les rapports avec leur organisation et avec le management sont souvent présentés comme conflictuels et antagonistes. (4) Selon M. Thévenet (2006), les « professionnels sont ceux qui exercent dans un cadre précis là où la question du management se pose ». Classiquement, ils sont composés des médecins, des professeurs, des consultants ainsi que des sportifs et par extension il est également rajouté les banquiers, les conseillers de clientèle et les ingénieurs logiciels. Une grande partie des agents des trois fonctions publiques, comme les magistrats, les administrateurs civils et territoriaux, les ingénieurs des grands corps, … peuvent être classés dans le groupe des « professionnels ». 4 En effet, les professionnels possédaient une relative grande autonomie et une totale indépendance vis-à-vis de leur tutelle (ministère, direction centrale ou déconcentrée, préfectures, hôpitaux, collectivités territoriales, ….). Si les fonctionnaires ne sont pas très enthousiastes devant l’intrusion de normes de contrôle et l’obligation de présenter leurs résultats, ils sont tenus par l’obligation de la LOLF de produire des résultats. En effet, les relations entre les « professionnels » et l’organisation publique à laquelle ils sont rattachés peuvent s’inscrire dans un climat de refus de dépendance administrative et de total rejet de tout rattachement hiérarchique. Ce comportement de rejet de tout rattachement fonctionnel à l’entité de la direction de l’établissement hospitalier peut avoir des conséquences dramatiques, comme les incidents qui se sont produits dans un Centre hospitalier de l’Est de la France qui a débouché aux 5500 patients surirradiés et 5 décès, lors de leur traitement sur les années 1987 à 2007 du fait que le chef de service a refusé toute hiérarchie au détriment de la sécurité sanitaire. Les organisations publiques subissent des bouleversements organisationnels et culturels, car la mise en œuvre des réformes par les gouvernements exige de mettre l’accent sur la responsabilisation des acteurs impliqués et sur l’obligation de rendre des comptes sur les résultats obtenus. Cette conception de l’administration s’inspire de la NMP qui est une méthode différente d’organisation des services publics s’appuyant sur d’autres outils et sur d’autres techniques de gestion issus souvent du privé. Nous sommes passés d’une période de « bureaucratie » dominée par la gestion taylorienne du personnel à une nouvelle organisation « post-bureaucratique » où la compétence personnelle est utilisée au mieux dans l’intérêt général et n’est pas étouffée par le « train-train quotidien » des tâches données par les supérieurs hiérarchiques. Dans cette nouvelle approche, le fonctionnaire devient le garant de la qualité du service public et de la possibilité de fournir une offre de service pertinente et efficace. La justification de cette approche est appuyée par l’utilisation de normes et d’indicateurs chiffrés sur leur efficacité qui s’inscrivent dans un discours général maintenant accepté que leurs rendements ne sont pas optimaux et qu’il existe probablement dans le secteur public de grosses marges de manœuvre, appelées les « gains de productivité », pour mieux réaliser des économies sur les frais de fonctionnement. Pour autant, il ne faut pas tomber dans les prises de position excessive comme celle du MEDEF en avril 2009 qui, à propos de la suppression de la taxe professionnelle (représentant en 2010 près de 25 milliards d’euros), a demandé aux collectivités territoriales de « ne pas créer de nouvel impôt local mais de compenser la TP par des gains de productivité et l’optimisation des dépenses de fonctionnement ». Des gains de productivité existent probablement mais ils ne pourront pas combler intégralement la suppression de la TP. Cette déclaration de l’organisation patronale est une forme de déviance qui laisse entendre que des 5 gains de productivités considérables existent dans les collectivités locales et il « n’y qu’à les mobiliser » pour réaliser des économies et payer moins d’impôts. 2.2. L’arrivée de managers Le management est le terme générique pour désigner l’activité qui consiste à conduire et à diriger un service, une institution ou une organisation. Les multiples emplois du mot renvoient à deux idées sous-jacentes dans la définition moderne du management: celle d’entraînement, comme par exemple d’apprendre tel ou tel outil; celle de « savoir conduire la structure dont on a le charge ». Chacun, quel que soit son rôle au sein de l’établissement comme responsable d’une organisation, comme chef de service ou comme membre d’une direction ou d’un service, est concerné par le management. Le management est un métier, c’est-à-dire une activité ou une pratique qui demande un savoir-faire. Manager, c’est conduire un groupe d’hommes et de femmes quel que soit leur nombre. Le métier s’exerce dans un contexte donné, s’agissant de l’environnement économique ou de la culture, des mentalités, des traditions de l’institution, du ministère, de la collectivité territoriale, de l’établissement hospitalier ou même de la structure associative 5. Manager, c’est atteindre ensemble des objectifs conformes aux finalités de l’organisation. La transformation organisationnelle des établissements publics va se traduire par le renforcement du rôle du manager qui correspond à une tendance de fonds dans tous les pays industrialisés et qui fait suite aux travaux sur l’amélioration des performances et de l’efficacité des services publics. Le management est un métier spécifique, il n’est pas réservé aux sociétés privées et on peut « inventer » des domaines applicatifs dans le secteur public, qui constitue un bon terrain d’expérimentation et un extraordinaire laboratoire qui ne demande qu’à adapter ou transposer les outils ayant fait leur preuve dans le privé. Dans la littérature du NMP, et en particulier dans l’analyse de R. Flynn (1999), les professionnels et les managers sont présentés comme étant fondamentalement opposés et leurs relations sont généralement très conflictuelles et antagonistes. Nous avons synthétisé et adapté les différences et les caractéristiques entre les deux approches organisationnelles dans l’encadré 1 ci-dessous. Ces évolutions et tous ces paradoxes ont été mis en œuvre et gérés par de nouvelles méthodologies qui demandent des compétences managériales différentes qui n’existent pas suffisamment dans les services publics et qui sont à développer dans les administrations françaises avec de nombreux risques de blocages et autre déviances, car les fonctionnaires n’aiment pas le changement. (5) Dans la mesure où aux États-Unis le secteur public et surtout étatique est nettement moins développé qu’en France, le raisonnement s’applique alors également au secteur associatif largement représenté pour la défense de l’intérêt général (le non profit sector). 6 Encadré 1 : Comparaison entre les professionnels et les managers CARACTERISTIQ LES UES PROFESSIONNELS Légitimité Objectifs et buts Contrôle Cible Groupe de référence Régulation Type d’organisation Gestion du personnel Expertise, notoriété et approche individuelle Répondre aux besoins de la population Logique de moyens Indépendance et confiance Usagers et patients Pairs Professionnels Collégiale de pairs et/ou autorégulation Bureaucratique professionnelle et système autoritaire Service du personnel (et des « personnes ») LES MANAGERS Autorité hiérarchique et démarche collective Efficacité /performance du service public Equilibre budgétaire Logique de résultats Réglementation/normes et contrôle de gestion Clients et consommateurs Direction générale et directions Hiérarchique et professionnelsmanagers Management apprenant et/ou organisation en réseau Direction des ressources humaines Source : tableau adapté et complété à partir de R. Flynn (1999). 3. Transfert du privé ou spécificité publique? Pour améliorer la productivité et l’efficacité des services publics, de nombreux travaux visent à transférer les outils du privé au public. Il faut rester très prudent dans ces transferts car les deux sphères ne poursuivent pas les mêmes finalités, comme nous le verrons ci-après, et surtout le management privé n’a pas atteint un niveau de performance exemplaire et infaillible (R. Le Duff, 1992). Quels sont les fondements du mangement (3.1.), que certains fonctionnaires refusent et ils peuvent bloquer tout développement dans le secteur public (3.2.). Quelles compétences managériales a-t-il besoin ? (3.3.). La LOLF a favorisé le développement du management (3.4.), ce qui devrait appuyer les restructurations publiques du type fusions, rapprochements, externalisations et autres délégations de gestion (3.5.). 3.1. Les fondements du management 7 Chaque discipline possède des fondements et des références théoriques et, selon G. Orange (1999), « le management public n’en possède guère ». Il a eu, de tout temps, des difficultés à se situer par rapport aux autres disciplines reconnues car il est interdisciplinaire par excellence. Il développe les finances publiques et, à ce titre, pourrait relever des sciences économiques en se rattachant à l’économie publique, mais il fait également appel au droit public pour relever des sciences juridiques et il concerne les politiques publiques et, de ce fait, relèverait des sciences politiques. Le droit public, les sciences politiques, l’économie publique et la sociologie des organisations sont généralement présentés comme les disciplines fondatrices du management public qui ont été complétées avec le temps par une multitude d’outils et de dispositifs récupérés dans d’autres disciplines. Mais le management public utilise également les différentes techniques de gestion - du contrôle de gestion, de l’audit, de la gestion financière, des ressources humaines, du marketing, du management de projets, du management des systèmes d’information, de l’évaluation, etc. - et se rapproche beaucoup plus de la discipline managériale. Le management public n’est pas un domaine spécifique, et cela n’aurait pas de sens car il concerne plusieurs disciplines et il est caractérisé par la transversalité. Ainsi, le management public constitue une déclinaison des sciences de gestion indispensable à la formation des managers des différentes fonctions publiques de l’État, hospitalières et territoriales. Le management public ne faisait partie jusqu’en 2011 d’aucune discipline à part entière 6 et pourtant, compte tenu de son poids économique, le secteur public constitue un enjeu économique auquel il faudra apporter une réponse en termes de compétences managériales et le système de formation devra s’y investir car les besoins sont considérables. Pour Ch. Hood (1991) et X.F. Merrien (1999), le new public management (NPM) est un concept de gestion publique qui est né dans les années 1970 dans les milieux néo-libéraux prônant le retrait de l’État. Le NPM est destiné à mettre fin à l’État-providence ou tout au moins d’en améliorer l’efficience. Le NPM a émergé en Nouvelle Zélande dans les années 1980 et les expérimentations ont été menées en Angleterre par les politiques de Margaret Thatcher (premier ministre de 1979 à 1990) dans les années 1980 avec l’objectif que les « citoyens s’organisent collectivement pour reprendre les affaires en mains », ainsi qu’aux États-Unis sous Ronald Reagan (président américain de 1981 à 89) avec sa célèbre formule « l’État est le problème et pas la solution au problème ». Pour faire face aux crises, on a inventé un NPM, revu et corrigé. 3.2. Le refus du management Dans le secteur public, Alecian S. et Foucher D (2007) nous rappellent qu’il y a généralement plusieurs bonnes raisons pour considérer que le management ne (6) Dans le cadre de la catégorisation des revues académique des champs en économie et en gestion de la section 37 du Comité National de la Recherche Scientifique de septembre 2011 (voir le site http://sites.google.com/site/section37cnrs/Home/revues37), il a été créé, sur proposition de l’AIRMAP 8 au Conseil scientifique de la FNEGE, dans les sciences de gestion, une nouvelle rubrique intitulée "Management public », ce qui est une pleine reconnaissance de la thématique. concerne pas le « fonctionnaire reçu au concours » et ne voulant rien changé, car il a le sentiment que « tout fonctionne très bien et qu’il n’a pas besoin de gadget externe ». Quatre arguments sont utilisés pour s’opposer au management et ils sont des déviances des opposants à toute réforme du secteur public. Tout d’abord, il est dit que c’est un concept anglo-saxon et que « c’est bon pour le privé ». On idéalise ou noircit le secteur privé, on fossilise le secteur administratif et on entend dire « … pas le temps, car pris par le quotidien, la politique et l’actualité ». Ensuite, l’autre raison avancée est « ce n’est qu’une mode », c’est-à-dire éphémère par nature et pour eux « il devient urgent d’attendre ». Pour d’autres, les deux formules utilisées sont « on a toujours fait comme ça » ou « on le fait déjà », comme Jourdain faisait de la prose sans le savoir. Enfin, le dernier argument généralement avancé, qui est le plus fallacieux, est que « le management, c'est de la manipulation … et le secteur public n’en veut pas ». Ces comportements d’opposition, de blocage et de refus caractérisent le fonctionnement quotidien de certains fonctionnaires qui ont une capacité de nuisance dans les services. Le management heurte de front les anciennes pratiques dans le secteur public et plutôt que de dépenser de l’énergie pour critiquer et remettre en cause, il conviendrait de regarder ce qui est transposable du privé à la sphère publique et transformer les déviances négatives en déviances positives. Il existe probablement plus de bonnes raisons pour exercer les compétences managériales dans les organisations publiques que de le rejeter en bloc car le service public demeure indispensable plus que jamais, même s’il est battu en brèche sur les dernières années, mais il faut inventer un nouveau mode de service public. Malgré les discours, selon A. Vernier-Molinié (2011), le service public n’est généralement pas un mode de gestion et en particulier en France, mais c’est une philosophie politique où l’État doit assurer sur l’ensemble du territoire l’accès à des biens ou services qui doivent profiter à tous dans l’intérêt général. Face aux critiques généralement justifiées, le service public doit faire la preuve de son efficience et de son efficacité, mais la remise en cause nous semble irréversible par rapport aux pressions de la population et à l’environnement économique du secteur public, car les « citoyens demandent des comptes » Comme nous l’expliquent D. Huron et J. Spindler (2008), les spécificités des organisations publiques peuvent amener en matière de management deux postures fondamentalement opposées : soit adopter et appliquer les techniques déjà éprouvées dans les entreprises du mangement privé ; soit refuser ou exclure totalement toutes les techniques. 9 Bien entendu, et comme nous le suggère A. Bartoli (2009), aucune de ces deux positions n’est souhaitable et pourtant la crise d’identité des organisations publiques demandent maintenant plus d’efficacité nécessitant d’autres outils plus performants et plus adaptés au secteur public que les techniques déployées jusqu’à présent (Guillaume et al., 2002). Si pour beaucoup d’auteurs spécialisés sur le secteur public, le management public est une adaptation pure et simple des outils de gestion du privé aux contraintes des services publics, la réalité est plus complexe. De même qu’il existe un management des activités industrielles ou des établissements bancaires, il existe un management des établissements hospitaliers ou des collectivités territoriales et des services publics en général. 3.3. Des besoins de compétences managériales La France s’y est mise plus tardivement et des générations entières de cadres supérieurs des fonctions publiques n’ont pas été formées ou insuffisamment aux techniques et aux outils du management indispensables à l’exercice de leur métier car il n’y avait aucune obligation de justifier les résultats qui auraient nécessité la mise en place d’un contrôle de gestion, les ressources humaines n’étaient pas gérées, le marketing territorial n’avait pas d’intérêt dans le situations de monopole des services publics et l’organisation s’adaptait généralement à la personnalité du professionnel responsable de la structure ou du service. L’absence de justification des résultats était une anomalie de l’administration française et il était nécessaire d’y mettre un terme, ce qui a été possible grâce à l’introduction de la LOLF et grâce à la crise que nous traversons. Le management public est une discipline relativement récente et la nouvelle donne économique mettait souvent l’accent sur l’objectif de rapprocher, sans confondre les deux, la gestion publique des pratiques observées dans les entreprises, ce qui pouvait déboucher sur des blocages culturels. Le management est de plus en plus introduit dans le secteur public avec l’aphorisme qu’il « faut gérer les services publics comme on gère le privé », ce qui donne lieu à un débat sur le domaine « spécifique » du secteur public (X. Greffe, 1999) ou les « similitudes » entre les secteurs privé et public (M.V. Santo et P. E. Verrier, 2007). Similitudes ou spécificités, le débat est récurrent et il a donné lieu à des bagarres philosophiques qui à notre avis ne présentent pas un grand intérêt avec cependant la conviction que le management public n’est pas à opposer au management privé, car les deux peuvent avoir des interférences ou présenter des grandes différences. Confondre le management public et le management privé ou les opposer serait une déviance négative, dont les conséquences seraient contre-productives et contraire aux objectifs attendus. L’utilisation du langage des entreprises dans le secteur public ne semble choqué plus personne, mais plus qu’un simple glissement sémantique c’est une profonde mutation annonciatrice d’importants bouleversements ultérieurs dans les fonctions publiques qui est en jeu. Si le management public et le management privé ne sont ni à confondre et ni à opposer, le management public n’est pas 10 formé de trois composantes managériales distinctes et spécifiques du management hospitalier, du management territorial et du management étatique. L’un n’est pas le référent de l’autre, même si le management territorial, par exemple, s’est calqué sur l’organisation de l’État dans un premier temps, l’histoire nous montre que dans un deuxième temps est venue progressivement la période de l’autonomie et des bonnes pratiques du management territorial. Les fondamentaux managériaux sont communs aux trois fonctions publiques, mais chacune picore dans le privé et l’adapte à son secteur, en s’inspirant collectivement des techniques et des outils existants dans les sciences de gestion. Dans les collectivités territoriales, par exemple, les mutations de leur organisation est intéressante et significative par rapport aux nouveaux besoins pour rendre les services publics plus efficaces et plus performants. Ainsi, les services comptables sont devenues des directions financières, les directions des ressources humaines ont remplacé les services du personnel, les directions des affaires juridiques ont fait leur apparition, les directions du développement économique ont supplanté les services des interventions économiques, les services de l’informatique sont devenus des directions des systèmes d’information ((DSI), la gestion opérationnelle axée sur les procédures internes a muté vers le management stratégique territorial alliant le diagnostic et l’état des lieux en amont ou de l’évaluation des performances de l’action publique en aval, etc. pour reprendre quelques exemples significatifs de leur organisation. Les entités de tous les secteurs économiques créent plus ou moins d’emplois et de richesses par la production de biens ou de services, mais les objectifs du secteur privé par rapport au secteur public ne sont pas les mêmes et ils sont divergents sur les fondements de chacun des deux modes de management : • le secteur privé a comme objectif de créer des activités bénéficiaires pour assurer la survie et le développement de l’entreprise ; • le secteur public à une mission d’intérêt général qui n’est pas soumis à la rentabilisation financière de ses interventions, même si l’équilibre est recherché et a constitué progressivement une condition, voire une obligation politique à partir de 2009 avec les dérapages des déficits budgétaires des pays industrialisés, pour assurer la survie du système public. Entre ces voies extrêmes, M. Kelly (2009) nous montre qu’il existe une troisième voie avec d’autres formes d’entreprises non régies par les seules logiques de profit ou d’intérêt général. Cette autre analyse distingue trois types d’entreprises : le modèle de la coopérative qui est possédée et contrôlée par les membres au service desquels elle opère ; les entreprises fondées sur une mission qui concilie la présence et le militantisme ; le modèle hybride public-privé qui brouillent encore un peu les pistes entre le lucratif et le non lucratif. Ces entreprises, dites alternatives ont beaucoup à nous apprendre sur leurs missions et sur l’évolution de leur actionnariat et sur leur gouvernance. Elles se révèleront dans les prochaines années et elles seront probablement mieux adaptées aux 11 exigences culturelles et écologiques du 21e siècle que les modèles de l’ère industrielle des sociétés capitalisées qu’elles pourraient bien un jour supplanter. Ce type d’entreprises constitue une déviance positive du capitalisme financier. Le management public est une extraordinaire diaspora scientifique et sa chance est de compter dans ses rangs des économistes, des gestionnaires, des politistes, des juristes, des sociologues, des historiens, des géographes, des philosophes, des psychologues, etc. et des fonctionnaires spécialisés dans un secteur économique qui concerne, en France, plus d’un salarié sur quatre. Pour répondre aux besoins du secteur public, un formidable corpus émerge depuis une vingtaine d’années et la réponse est venue du développement de l’offre de services des universités qui se sont mobilisées pour former des spécialistes des organisations publiques avec les diplômes professionnalisants de master et la préparation des concours à des postes administratifs dans les trois FP. Les universités évoluent à côté des grandes écoles qui forment les cadres supérieurs des administrations (l’ENA à Strasbourg, l’Ecole Polytechnique, les Ecoles des Mines, l’Ecole Centrale, l’Ecole nationale des Ponts et ChausséesENPC, l’INET à Strasbourg, l’Ecole de Santé publique-EHESP à Rennes, etc.), en complément des laboratoires privés et publics de recherche qui ont lancé des travaux sur le secteur public, des cabinets de conseils ou de formation qui s’investissent dans la sphère publique et du développement des « PPP ». L’introduction et le développement de méthodes modernes de management dans les administrations vont permettre une salutaire remise en cause des organisations publiques qui en ont bien besoin pour rattraper le retard de la France sur les autres pays industrialisés. L’option publique du French model est secouée et les fondamentaux acquis depuis des décennies ont été ébranlés par les effets de la crise financière des trois dernières années et ils ont dépassé les frontières nationales. Ce qui a été appelé l’exception française est une déviance des organisations publiques dans les pays industrialisés que la crise a remise en cause 3.4. Les avancées de la LOLF La loi organique relative aux lois de Finances (LOLF), promulguée le 1er août 2001, a permis de multiples avancées qui ont été rendues possibles par la réforme technique : les modalités de gestion budgétaire ont été largement modernisées avec des politiques publiques traduites en missions et en programmes, des indicateurs de performances à la clef, des comptes de l’Etat certifiés, des informations au Parlement plus détaillées, etc. Inscrite dans la dynamique de la LOLF, la révision générale des politiques publiques (RGPP), qui a été voulue par le chef de l’Etat élu en 2007, s’est progressivement écartée de l’objectif initial en privilégiant l’examen des structures au détriment de la révision de politiques publiques dans leur ensemble. La réforme de l’Etat s’est, en quelque sorte, focalisée sur la réorganisation de l’administration et la suppression des postes de fonctionnaires (avec la règle mécanique contestée et souffrant d’excès de globalisme du non-remplacement d’un départ à la retraite 12 sur deux) en laissant quasiment de côté de l’ensemble des dépenses publiques (sociales, logement, famille, santé, …) qui représentent pourtant des masses financières bien plus importantes et avec des marges de manœuvre plus fortes. Un rapport de la Cour des comptes, publié le 7 novembre 2011, a confirmé que « l’examen des politiques publiques a tourné court et l’ambition politique a été affaiblie ». Sous couvert de pragmatisme et de meilleure utilisation des fonds publics, « la perspective même d’une nouvelle gestion par grandes politiques publiques, appuyée par des responsabilités plus affirmées et animée par le souci des résultats, a été contestée par une culture réticente aux changements appuyés par cette réforme ». Selon une enquête d’IPSOS réalisée pour le Cour des comptes (novembre 2011), la LOLF a permis de définir les responsabilités des gestionnaires pour 63 % des agents publics interrogés, de mieux préciser les objectifs (57 %) et de moderniser la gestion publique (55 %), mais seulement 31 % des fonctionnaires de l’Etat pensent que la qualité du service public rendu aux citoyens est améliorée et à peine 26 % que l’organisation et le fonctionnement de leur service sont améliorés. Aujourd’hui, la réforme critiquable mais indispensable semble, en quelque sorte, arrêtée au milieu du gué. La Cour des comptes prône des véritables indicateurs de performance pertinents et plus resserrés. En effet, la LOLF comptait 894 indicateurs en 2010, dont certains n’ont aucun intérêt alors que d’autres manquent. On est arrivé à « un système de pilotage des indicateurs plutôt que de pilotage du processus de contrôle et d’évaluation ». Cette dispersion est préjudiciable à l’efficacité et à l’exploitation globale des résultats. Les indicateurs devraient être plus hiérarchisés, afin que les actions stratégiques fassent l’objet de réels débats et l’administration pourrait (enfin) échapper au sentiment de bureaucratisation du processus de réforme qui ne semble pas avoir échappé au reflexe de l’administration française et qui est une déviance bien connue dans notre pays. On complexifie le problème pour cacher les faiblesses et l’inefficacité globale du système public donne raison aux partisans du non-changement. 3.5. La stratégie en matière de restructuration publique Avec un déficit budgétaire qui a avoisiné, en 2010, les 145 milliards d’euros (déficit structurel de 51 milliards d’euros, pertes de recettes de 55 milliards d’euros et 39 milliards d’euros au titre des plans de relance), un endettement de1 535 d’euros (78,1 % du PIB) et des dépenses publiques d’un peu plus de 1 000 milliards d’euros (56,6 % du PIB en 2010), la France n’avait pas le choix et elle a été contrainte d’engager des restructurations de ses services publics. Selon le PLF 2011, le déficit a été de 7,7 % du PIB en 2010 et, grâce au coup de rabot qui devrait porter sur les niches fiscales en 2011, la France espère le ramener à près de 6 %, avec un objectif d’atteindre 4 ,6 % en 2012, les 3 % en 2013 et même 2 % en 2014, ce qui pourrait être le retour aux seuils fixés au 13 niveau européen dans le cadre du pacte de stabilité (3% de déficit budgétaire et taux d’endettement de 60% du PIB) et éviterait de perdre la note AAA. J. B. Rose (2004) a identifié qu’en matière de restructuration publique, on peut généralement distinguer trois stratégies : la confrontation, la coopération ou la coercition 7. Sur la base des expériences de réforme menées dans les pays industrialisés, J. N. Grenier et F .B. Malo (2008) nous ont rappelé que le Canada, par exemple, a plutôt fait usage de l’approche coercitive que de la coopération, pour donner l’image d’un gouvernement responsable et ferme qui veille sur les deniers publics et qui veut rétablir le retour des grands équilibres. Les récentes réformes mises en œuvre en France ont montré la politisation exacerbée des projets de réformes à marche forcée avec la montée en première ligne du chef de l’Etat, ce qui une forme de déviance. Pour les cinq principaux projets de réforme qu’a connus la France sur la période 2008 à 2010, c’est l’utilisation de la démarche de la coercition, sans véritable négociation et provoquant des confrontations avec les professionnels concernés: avec la profession du droit pour la réforme de la carte judiciaire en 2008 ; avec les enseignants-chercheurs de l’université pour le projet sur la réforme de leur statut qui est « tombé » en 2009 ; avec le personnel hospitalier lors de l’examen du projet de loi Hospitalière, Patients, Santé et Territoriale (HPST) adoptée en juillet 2009 ; avec les élus locaux, y compris avec ceux faisant partie de la majorité gouvernementale lors de l’examen du projet de réforme des collectivités locales qui a trouvé un accord in extrémis de la CMP et l’adoption par le Sénat d’abord et par l’Assemblée en 2010 ; avec une grande partie de la population française lors de l’examen de la des retraites qui a risqué de bloquer le pays avant l’adoption du projet de loi lors du vote du Sénat le 22 octobre et de l’Assemblée nationale en octobre 2010. Toutes les réformes ont été réalisées dans l’urgence et aucune n’a laissé le temps à la discussion et à la coopération. Il est à noter que le sixième projet de réforme, qui porte sur la dépendance, aurait dû être le dernier grand chantier de la mandature avec un changement de méthode, car une grande consultation sur six mois avec les partenaires sociaux, les professionnels du secteur de la santé, les associations de patients, les mutuelles et complémentaires-santé, les collectivités locales, etc. a été annoncée et a eu lieu en 2011. Malgré ces bonnes intentions, les décisions ont été reportées et le projet de loi ne sera finalement pas adopté avant les élections présidentielles de 2012. Toutes les réformes ont été à marche forcée, sans laisser le temps à la discussion, au débat avec les professionnels et aux consultations des usagers. Dans le débat de la réforme du système de santé, par exemple, nous avons dénoncé en son temps la nécessité de la réforme pour en faire une priorité nationale (J. Lachmann, Gestions Hospitalières, mars 2009 et mai 2010), avec 14 d’autres et en particulier avec W. Dab qui a rappelé l’absence de débat démocratique (Le Monde, janvier 2010) et J. de Kervasdoué qui a annoncé, (7) La coercition, vient du latin coercitio qui signifie l’action de contraindre faute de réforme sérieuse, la faillite de l’assurance-maladie (Le Monde, 21 octobre 2010). L’absence du débat, qui n’a pas eu lieu, est une erreur politique, alors qu’il aurait pu faire prendre conscience collectivement de l’enjeu national et de l’intérêt sociétal du système de la santé. L’absence de débat et les réformes à marche forcée sont des déviances qui prédominent dans la culture publique française et tout particulièrement depuis 2007. Pour faire passer les projets de réforme, la France semble avoir choisi systématiquement la « coercition/confrontation » et ses agissements sur les réorganisations publiques, qui sont incontournables et que tout le monde semble d’accord sur leur nécessité, ont eu pour conséquences la politisation de tous les projets de réforme avec « l’hyperprésidence », selon l’expression de la presse économique et financière, qui a gardé la main sur toutes les orientations nationales et internationales de la France et qui soigne son image de « président réformateur » auprès des agriculteurs, des médecins, etc. Suite au remaniement du gouvernement de novembre 2010 et du nouveau partage des rôles entre le Chef de l’Etat et son Premier ministre, les journalistes se sont empressés de lui attribuer le qualificatif de « hyper Premier ministre » lors de sa première sortie officielle. Suite à la gestion française de la crise dans les pays du Maghreb, le remaniement qui a suivi en février 2011 a montré l’affaiblissement de la fonction de Premier ministre avec la nomination d’une sorte de « Vice –président aux affaires étrangères ». Ces remaniements et autres réajustements sont des formes de déviances négatives, car le rôle et les missions de chacun ne sont plus respectés et la gouvernance est fortement ébranlée. Alors que les restructurations des services publics semblaient être acceptées et souvent comprises par une forte proportion de la population, certes avec des appréhensions et des inquiétudes justifiées, la méthode utilisée de la confrontation sur la réforme des retraites aurait bien pu mettre le pays dans une situation difficile de grève généralisée entamée avec les 7 jours de grève nationale sur septembre et octobre 2010, de blocage des moyens de transport et de distribution des carburants ainsi qu’un rejet systématique de toute réorganisation qu’elle relève de l’intérêt national ou pas, ce qui est la preuve d’un important malaise sociétal et dont les politiques n’ont pas voulu prendre en compte pour faire accepter les réformes. Après la première partie du quinquennat qui s’est caractérisée par l’absence de débat et où les projets de réformes ont été imposés dans l’urgence, la méthode semble avoir changé après le remaniement du gouvernement de novembre 2010. En effet, lors d’une rencontre avec les médecins généralistes le 1er décembre 2010 à Orbec (Calvados) et sur la base du rapport sur La réforme de la médecine de proximité (novembre 2010) d’Elisabeth Hubert, ancienne ministre de la Santé 15 (1995), le chef de l’État semble reconnaître publiquement, et comme il l’a déjà fait avec le lancement du débat sur la dépendance, le changement de méthodologie, car il a affirmé qu’il ne prendrait « pas de mesures coercitives qui pourrait fâcher les professionnels ». Espérons que cela n’est pas que du déclaratif ! 4. Le développement du management public La notion de management repose, selon A. Bartoli (1997), sur 2 principes majeurs : le principe de pilotage qui vise à rejeter le risque de subir les évènements et les aléas économiques ; le principe de recherche de performance au double sens de l’efficacité (obtenir les résultats les plus performants) et de l’efficience qui consiste à chasser les gaspillages et les disfonctionnements. Le management appliqué au secteur public décline toutes les fonctions de gestion dans les organisations publiques (4.1.) et la révolution culturelle est en marche avec l’évolution vers une « logique de résultats » (4.2.). 4.1. La déclinaison du management dans les organisations publiques Outre la fonction financière et le contrôle de gestion qui sont bien illustrés par la LOLF et par les nombreux indicateurs qui ont été mis en place ainsi que par les tableaux de bord de pilotage, les autres fonctions de gestion dans la sphère publique ont fait l’objet de nombreux développements. C’est le cas du « marketing territorial » avec les outils d’écoute des clients, appelés les usagers dans le secteur public, ou de la gestion des ressources humaines avec la création de véritables DRH dans les organisations publiques en remplacement des services du personnel et l’utilisation des outils comme la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Pour les ressources humaines, qui constituent encore dans de nombreux services l’une des principales faiblesses managériales du secteur public, la notation obligatoire des agents qui va (enfin) s’arrêter dans la fonction publique est une excellente illustration de l’évolution culturelle. Par rapport à cette évolution culturelle fondamentale, il est étonnant que le ministère de l’Education nationale projette en 2011 de lancer la notation pour évaluer les professeurs selon d’autres référentiels. Depuis 2008, l’Etat expérimente la suppression de la notation annuelle au profit d’un « entretien professionnel » avec une évaluation écrite mais non chiffrée. Le secrétariat d’Etat à la Fonction publique a dévoilé le 22 novembre 2010 le bilan jugé globalement positif de l’expérimentation avant la généralisation du dispositif et tout le monde semble s’accorder pour juger la notation obsolète et dépassée. La notation compare les agents sur leur travail passé alors que l’entretien a une approche plus individuelle et tournée vers l’avenir. Sur fond de réforme du secteur public et de mobilité accrue des agents, tout en ne rechignant pas de s’inspirer des méthodes d’évaluation du privé, l’Etat veut en faire l’occasion pour les fonctionnaires de « se projeter à moyen terme avec l’agent pour bâtir son projet professionnel ». L’entretien doit être l’occasion, avec l’essor des primes au mérite 8, de préciser à chacun ses objectifs et d’examiner 16 (8) L’État a engagé en 2008 un système de primes au mérite et les 3 500 hauts fonctionnaires peuvent déjà bénéficier de « la prime de fonctions et de résultats », la PFR dont une partie est liée à la fonction et une autre à la réalisation d’objectifs assignés après évaluation lors des entretiens individuels. Ces mesures catégorielles auraient couté un peu plus de 400 millions d’euros en 2010 couverts par l’accord que « 50 % de l’économie réalisée par le non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux serait rétrocédé aux fonctionnaires. En réalité, ce taux de rétrocessions aux administrions serait largement dépassé et il a été estimé par un rapport de la Cour des comptes à 70 % (octobre 2010). l’année suivante les résultats par rapport aux objectifs fixés. L’expérimentation est jugée globalement positive sur le terrain: l’entretien donne lieu à un véritable dialogue avec le supérieur hiérarchique les objectifs fixés apparaissent suffisamment compréhensibles et les appréciations écrites sont claires et précises. Bien sûr, cela passe par une formation de l’encadrement à l’exercice de l’entretien, car on ne s’improvise pas évaluateur. Un décret a été publié durant l’été 2010 prévoyant la suppression de la notation au profit de la généralisation de l’entretien professionnel à partir de janvier 2012 pour les fonctionnaires de l’Etat. Les hôpitaux et les collectivités locales devraient également basculer à la suppression de la notation mais qu’à l’horizon 2014/2015. De nombreuses collectivités territoriales ont déjà anticipé la suppression de la notation et son remplacement par l’entretien professionnel en obtenant une dérogation auprès de la Préfecture, comme c’est le cas pour les services de la Région Alsace qui a supprimé la notation dès 2009. Le champ de la stratégie s’est également avéré très dynamique dans la mobilisation des actions déployées et la mobilisation d’outils comme le projet d’entreprise ou d’établissements ainsi que les démarches stratégiques du type des Plans départementaux de l’action sociale ainsi que les nombreux schémas régionaux, comme le Schéma régional du développement économique (SRDE), le Schéma régional d’aménagement et de développement du territoire (SRADT, le Schéma régional des infrastructures et des transports, (SRIT) ou autre Programme régional de développement de la formation (PRDF). On a également assisté sur les dernières années à une forte tendance à l’externalisation de nombreuses « activités support » au sens de M. Porter (1986),c’està-dire des activités qui, bien qu’exercées par l’organisation publique, ne sont pas indispensables à sa bonne marche et peuvent être déléguées à des services extérieurs. Ainsi, beaucoup d’hôpitaux ont externalisé de nombreux services comme les transports et la logistique, la restauration, la blanchisserie ou le nettoyage, car ils sont sources de gains de productivité inexploitée. Les réactions aux évolutions dans les nouveaux comportements managériaux et dans leur acceptation ont parfois été très vives et constituent des déviances négatives. Ainsi, les chefs de service et professeurs de médecine des hôpitaux parisiens ont diffusé sur une page entière dans Le Nouvel Observateur (16 avril 2009), ce qui a été appelé « Le manifeste des 25 » en dénonçant la « logique comptable » et en contestant la « nouvelle gouvernance de l’hôpital du projet de loi « HPST ». Pour certains comme Grimaldi (2010) c’est la « privatisation des hôpitaux » et pour d’autres comme R. Holcam (2007) c’est « la fin des hôpitaux publics ». D’ailleurs, à travers l’illustration du nouveau vocabulaire utilisé dans les établissements hospitaliers (les patients/clients, la logique de résultats, la 17 tarification à l’activité-T2A, les gains de productivité ou le directeur/manager), on remarquera que les pratiques managériales sont entrées dans les hôpitaux. On parle d’État-stratège, d’État-manager et même d’État-entrepreneurial en lieu et place de l’État-providence qui a perdu son rôle primordial dans les voies de sortie préconisées à la crise financière que nous traversons actuellement. La logique du management public est aujourd’hui réelle et acceptée progressivement dans les trois fonctions publiques, mais elle mettra du temps à se développer et à s’imposer pleinement car les réticences et les freins sont encore nombreux dans un secteur qui a vécu douillettement sans contraintes particulières et surtout sans obligation de justifier les résultats. La transposition purement et simplement des outils de gestion du privé ne serait pas pertinente et elle serait contreproductive en donnant raison aux opposants au changement. Il est nécessaire d’adapter les outils au secteur public, dont leur application passe le plus souvent par d’autres méthodologies et surtout par une notion du temps fondamentalement différente, car la sphère publique a une conception temporelle très large. Aujourd’hui, le changement dans lequel est engagé le service public nécessite de disposer de managers dans les administrations dans les domaines des finances, des ressources humaines, du marketing et développement commercial, de l’organisation, … ce qui suppose non pas d’augmenter la technicité des fonctionnaires recrutés par concours, mais de rechercher ou de compléter leurs compétences managériales généralement insuffisantes. 4.2. Vers une véritable culture du résultat Depuis près d’une vingtaine d’années le secteur public vit à l’heure de réformes sans que les moyens aient toujours été mobilisés et surtout sans que les compétences managériales aient été injectées dans les services publics. Parmi les réformes qui participent au mouvement, la LOLF qui a été généralisée dans les services de l’Etat qu’à partir de 2007 stipule clairement en préambule que les administrations publiques doivent évoluer « d’une culture de moyens à une culture de résultats ». Cette évolution vers une « logique de résultats » constitue une véritable révolution culturelle dans les services publics français, alors qu’il y a quelques années encore il aurait été inconcevable de l’aborder dans les administrations sans provoquer des levers de boucliers, voire des grèves administratives consistant au refus de remplir les fameux documents, rapports et autres tableaux pour justifier les résultats. Même si aujourd’hui, on s’interroge sur l’efficacité de la LOLF, revue et corrigée par la RGPP et de nombreux groupes de réflexion alimentent les critiques (Cercle des économistes, Cour des comptes,…), nous pensons que ces outils sont à l’origine de la révolution culturelle indispensable dans l’administration française. La nouvelle orientation consisterait à aligner le management public sur des logiques managériales du new management public qui se sont imposées comme des références sans aucun fondement scientifique. En effet, le NMP traduit un 18 idéal de gestionnaire inspiré de l’entreprise avec une croyance exagérée de résultats du privé (rentabilité, concurrence, efficacité, efficience, modernisation, etc.) devant sauver les organisations publiques de tous leurs maux dont elles souffrent (déficit, bureaucratie, inefficacité, improductivité, immobilisme, …). Les réformes que vivent les services publics s’inscrivent dans une croyance irraisonnée dans les résultats chiffrés et, selon G. Naro (2010), le contrôle de gestion apparait comme le « fer de lance de la modernisation des services publics ». Selon cette approche, tout est quantifiable et tout est mesurable, on est tombé dans la « logique comptable », qui est parfois même appelée le « management Excel »9 dans le privé qui réduit le manager à un rôle d’exécutant ou de simple rouage administratif du nouveau mécanisme organisationnel en période de crise avec des stratégies de cost killers, appelés les « tueurs de coûts » dans les entreprises. Les établissements publics ne sont pas à l’abri de cette évolution généralisée où la logique financière prédomine dans la stratégie. Les organisations publiques connaissent aujourd’hui une « phase de rupture » entre un ancien modèle hérité d’une conception bureaucratique, qui a fait des services publics français une organisation longtemps enviée à l’étranger et en particulier d’un système hospitalier classé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2001) comme l’un des meilleurs du monde, et une autre forme d’organisation imposée par la nouvelle donne économiques qui doit se construire et qui passera par une forme de la célèbre formule de l’économiste autrichien J. Schumpeter des « destructions créatrices » dans le domaine de l’innovation, que nous appliquons dans notre analyse au secteur public (J. Lachmann, 2010). L’hôpital est généralement décrit comme une « bureaucratie professionnelle » au sens de H. Mintzberg (1982) avec la détention du pouvoir dans les établissements hospitaliers par les médecins qui ne sont pas toujours sensibles aux démarches managériales et aux outils organisationnels qui peuvent être sources de performances. La mutation culturelle des hôpitaux comportent des risques de déstabilisation qu’il ne faudra pas négliger et qui nécessitera du temps. En effet, des recherches, consacrées à des organisations publiques qui ont rejeté la bureaucratie (J. Schofield, 2001) nous rappellent que la bureaucratie jugée archaïque, paralysante et démotivante possède aussi des atouts majeurs comme l’équilibre institutionnel, la responsabilisation qui facilité le pilotage de l’action et renforce généralement l’implication des responsables. La suppression de la bureaucratie, nous rappelle S. Cueille (2008), demande la construction d’une nouvelle structure où les notions de compétences, de réseau, de transparence, d’information, de partage du pouvoir, etc. seront amenées à occuper une place privilégiée. Ce sont de nouveaux modes de management qui ne sont pas dans la culture initiale des médecins, par exemple, et il faut leur laisser le temps de s’y habituer et de se les approprier en toute connaissance de cause, ce qui nécessite une période d’apprentissage. En effet, l’hôpital est composé de trois corps de métiers 19 (médecins, soignants et administratifs) et le corps dominant des médecins avaient l’habitude de tout diriger dans un « style autoritaire et charismatique » (9) Du nom des tableaux Excel, pour souligner les excès des tableaux et des analyses chiffrées pour répondre aux indicateurs qui guettent également les organisations publiques. Les expressions de « harcèlement textuel » et de « logique comptable » sont aussi utilisées. constitué d’une longue antériorité avec des mythes très forts, des traditions qui ont fait leur preuve dans le temps, ont bien fonctionné pendant des décennies et ont donné la réputation aux hôpitaux grâce à la notoriété des chefs de services ainsi que des médecins qui étaient les vrais patrons de leur unité de soins ou de leur service. Aujourd’hui, on leur explique qu’il faudrait changer leur « style de commandement » et s’inscrire plus dans un management « apprenant ou de réseau » qui demande des capacités de coordinateur des activités et de partage /transmission des informations ainsi que des compétences managériales. Les médecins ne sont pas préparés ni prêts à entendre cette nouvelle manière de travailler, car ils perdent leur pouvoir de dirigeant et leur rôle de patron et de leader à l’hôpital. C’est déstabilisant pour les médecins et leur rejet est compréhensible. Leurs réactions sont des déviances organisationnelles. Dans les organisations publiques, les « professionnels », comme par exemple les médecins dans les hôpitaux ou les enseignants-chercheurs dans les universités, sont généralement opposés aux managers et leurs relations sont le plus souvent conflictuelles car des considérations chiffrées font perdre leur autonomie aux professionnels au sein des administrations. Selon M. Thévenet (2003), nous sommes pour certains dans une logique de « gestion de divas » par rapport à leur métier et qui posent de gros problèmes de management dans leur organisation. Le plus souvent, ces professionnels ont du mal à s’investir dans le collectif de leur structure et la « gestion du personnel se transforme en gestion de personnes » qui pose d’autres problèmes. Les professionnels et les managers sont les deux groupes clés en présence dans les organisations publiques et tout semble les opposer : leur affiliation à l’organisation, leur conception de l’intérêt général du service public et leur statut de fonctionnaire pour le professionnel et le plus souvent de contractuel pour le manager. Les soignants dans les hôpitaux ou les Biatos dans les universités, par exemple, sont pris entre les professionnels et les managers et ils essaient quotidiennement d’atténuer avec un dévouement exemplaire et une très grande patience les différences culturelles entre les deux pour la bonne marche d’ensemble de l’établissement public. Pour autant, ces oppositions et ces antagonismes devront diminuer car c’est par leur réduction, voire à terme par leur disparition que passeront à terme l’acceptation et le succès des réformes et des réorganisations dans les services publics. Parmi les limites inhérentes au système, la plus importante est celle du manque de formation des professionnels en matière de management et de gestion budgétaire au cours de leur cursus. C’est flagrant chez les médecins dans les hôpitaux - qui sont chef de service, responsable de pôle ou président de la 20 Commission médicale d’établissement (CME)- qui n’ont généralement aucune culture administrative ou financière. Ceci n’empêchera pas que de nombreux professionnels ont acquis des connaissances en matière financière ou administrative par eux–mêmes et certains sont devenus de redoutables financiers ou d’excellents managers d’équipe. Conclusion La disparition des « frontières entre le privé et le public » dépendra, en grande partie, de l’apport de compétences managériales aux différentes fonctions (organisation, finances, ressources humaines, marketing, contrôle de gestion et audit, management de projets, …) des établissements publics. Les frontières mettront des années pour tomber, mais elle s’estompera avec le temps et elles disparaitront complètement quand les managers et les professionnels accepteront de travailler ensemble en pleine confiance et en totale transparence dans l’intérêt général de leur organisation publique. Entre le public et le privé, le management ne doit plus être une « guerre de frontières », selon l’expression de R.A. Thietart (1979), mais au contraire les frontières devraient progressivement s’effacer. Certains diront qu’elles vont s’atténuer avec le temps, mais qu’elles vont perdurer dans certains bastions publics ou dans les doctrines managériales de certains fonctionnaires. Le développement du management tant dans le privé que dans le public semble, aujourd’hui, s’exercer dans un meilleur état d’esprit où les techniques du management peuvent s’exercer dans des conditions plus favorables en faisant bénéficier en retour les deux secteurs de leurs expériences réciproques et de leurs éventuels effets bénéfiques. Bibliographie Alecian S. et Foucher D., Le management dans le service public, Les Editions d’OrganisationEyrolles, Editions de 2007 Bartoli A., Le management des organisations publiques, Dunod, Réédition 2009 Bonelli L. et Pelletier W., L’État démantelé, Enquête sur une révolution silencieuse, La Découverte, 2010. Cueille S., « Transformation organisationnelle à l’hôpital : synthèse provisoire et perspectives », in Le management public en mutation, de Huron J. et Spindler J L’Harmattan, 2008. Crozier M., État moderne, État modeste. 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