La microcompression du ganglion de Gasser dans le traitement

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La microcompression du ganglion de Gasser dans le traitement
INTRODUCTION
La définition de la névralgie faciale essentielle ou névralgie du trijumeau ou tic douloureux de la face est bien
connue et désigne une douleur faciale paroxystique, intermittente, unilatérale et localisée à une ou plusieurs
branches du trijumeau.
Au XIXe siècle, le Français Trousseau en fit une description détaillée et prémonitoire sous le terme de « névralgie
épileptiforme ». L’étiologie en est toujours largement discutée mais le caractère normal des examens cliniques et
paracliniques la différencie des névralgies symptomatiques.
RAPPEL ANATOMIQUE
Le nerf trijumeau assure l'innervation sensitive de la face et est composé de trois branches contenant des fibres
dont les corps cellulaires sont situés dans le ganglion de Gasser: le nerf ophtalmique de Willis (V1), le nerf
maxillaire supérieur (V2), le nerf maxillaire inférieur (V3) qui, lui seul, comprend des fibres motrices destinées aux
muscles masticateurs. Les territoires sensitifs homo- et hétéro-latéraux se chevauchent partiellement.
Le ganglion de Gasser est situé dans
une loge dure-mérienne du plancher
de la fosse cérébrale moyenne, le
cavum de Meckel. La gaine
arachnoïdienne y poursuit la racine
sensitive, expliquant la présence de
LCR. La somatotopie existant au sein
de la racine postérieure se modifie à
l'approche prowbérantielle en un
regroupement par modalité
fonctionnelle
Des fibres sensitives suivent par
ailleurs la racine motrice (pars
minor). Les noyaux centraux du V
s'étendent des pédoncules cérébraux
à la moelle cervicale haute.
ASPECT CLINIQUE
L'incidence de la névralgie trigéminale essentielle est faible : cinq nouveaux cas/100 000 habitants/an et les
observations familiales sont rares. La prédominance féminine (F/H=3/2) est constante dans les séries, l'âge de
survenue étant supérieur à 50 ans dans 75 % des cas.
Le diagnostic clinique des formes typiques repose sur quatre éléments : la qualité de la douleur, sa topographle, le
mode de déclenchement, la normalité du bilan neurologique. La fréquence des accès détermine la gravité de
l'affection. Les territoires V2 et V3 sont les plus fréquemment concernés, respectivement dans 40 % et 20 % des
cas. La stimulation d'un territoire cutané (trigger zone), souvent localisé dans la zone périorale, est responsable du
déclenchement des crises dans de nombreux cas et est suivie d'une période réfractaire de quelques minutes.
L'évolution de la maladie est irrégulière, avec rémissions spontanées parfois prolongées. La tendance est cependant
vers l'aggravation progressive des épisodes.
Quelques patients peuvent décrire un prodrome, sous
forme d'une douleur dentaire ou sinusienne, parfois
déclenchée par des mouvements buccaux, suivie à
distance de l'apparition d'une névralgie typique (mois années).
Une composante vasomotrice peut survenir ainsi que des
formes bilatérales (5 % des cas), souvent d'évolution
asynchrone.
Le diagnostic différentiel doit être posé avec les algies faciales vasculaires ou symptomatiques, les
névralgies non trigéminales et enfin les névralgies trigéminales symptomatiques.
TRAITEMENT MÉDICAL
C'est en 1942 que Bergouignan rapporte l'effet
bénéfique de la phénytéine et débute le traitement
médical de la névralgie du trijumeau (4).
En 1962, Blom publie l'efficacité spectaculaire de la
carbamazépine, puis plus récemment, Fromm (5) celle
du baclofen, analogue de l'acide gamma-aminobutyrique
(GABA).
Ces trois molécules constituent actuellement le
traitement de choix et sont administrées en première
intention. En cas d'obtention d'un intervalle libre de trois
à six mois sans crises, une réduction posologique
progressive est entamée, afin de ne pas traiter durant
les périodes de rémission spontanée . En cas d'échec ou
d'intolérance des monothérapies bien conduites ou des
associations type carbamazépine-baclofen, la chirurgie
est prise en considération.
TRAITEMENT CHIRURGICAL
C'est en fait par la neurochirurgie que la névralgie faciale est entrée dans sa phase thérapeutique, vers 1881
(Roos, Horsley). Depuis lors, de nombreuses variantes lésionnelles puis de décompression des voies trigéminales
ont été proposées, avec des succès variables mais certains.
Shelden, en 1955, expérimente différentes techniques (7), dont le seul point commun est le traumatisme
chirurgical. Partant de ce principe, il tente de réaliser des compressions de la racine postérieure par voie soustemporale. Les vingt-neuf patients de sa série sont améliorés, en période postopératoire immédiate.
Le développement d'autres techniques, notamment percutanées, aboutit dans les années septante à deux options
chirurgicales dominantes.
La thermocoagulation radiofréquence, mise au point puis promulguée par Sweet (1968). Elle provoque une
anesthésie dans le territoire concerné, mais le risque de kératite secondaire (5 %) n'est pas négligeable.
La microdécompression vasculaire, de Gardner et Jannetta (1967). Elle nécessite un abord chirurgical direct, avec
un succès immédiat de 85 % et un taux de récidive d'environ 20 % à cinq ans, confirmé récemment par Sun (8)
sur une série de 61 patients.
Il est à noter que l'alcoolisation des branches périphériques reste une technique simple, de consultation, dont
l'effet peut être durable, aisément répétée, notamment chez les patients ne pouvant tolérer ou refusant tout autre
geste chirurgical.
C'est pour éviter les désavantages divers de ces approches que Lichtor et MuHan (9), en 1979, ont essayé de
redécouvrir la technique de Shelden, de la simplifier et si possible de diminuer les taux de récidive. Leurs
résultats, publiés en 1990, sur une centaine de patients (10), nous incitèrent à suivre cette voie dès 1991 (fig. 3),
avec la microcompression par ballonnet.
DESCRIPTION DE LA TECHNIQUE DE MICROCOMPRESSION
Une anesthésie générale est de rigueur, avec intubation, afin de maintenir les voies aériennes perméables en
dépit de la rétroflexion nécessaire pour le contrôle radioscopique. La procédure se déroule dans une salle de
radiologie, permettant d'obtenir un excellent contrôle scopique dans deux plans orthogonaux, et la collaboration
du neuroradiologue.
Après champtage stérile, le point de ponction cutanée est repéré, celui-ci se situe approximativement deux
centimètres en dehors et légèrement au-dessus de la commissure labiale homolatérale. Sous contrôle scopique de
face, la tête est tournée et étendue jusqu'à visualisation du trou ovale, apparaissant tel un soleil couchant (11) à
mi-chemin entre la paroi antrale du maxillaire supérieur et le maxillaire inférieur. Nous avons développé avec la
firme Cook une aiguille adaptée (Réf. SET-14-12.0). Celle-ci est composée d'un trocart mousse de 14 gauss et de
deux mandrins, l'un pointu et l'autre mousse, teflonné, dépassant de 12 mm le trocart. Dès passage de
l'extrémité de l'aiguille dans le trou, un contrôle scopique de profil de la région sellaire est réalisé.
Le mandrin mousse est inséré et prépare sur 12 mm le trajet du cathéter. Une sonde de Fogarty n° 4, courte, est
introduite et bloquée en position par un petit connecteur afin d'éviter sa mobilisation endocrânienne.
On injecte 0,5 à 0,9 cc d'une solution d'Omnipaque' diluée à 50 %, ce qui permet de suivre le gonflement
progressif du ballonnet dans le cavum (fig. 4b). L’aspect typique piriforme du ballonnet indique un début de
protrusion vers la fosse postérieure et signe son positionnement correct. Le gonflement est maintenu quatre
minutes. Une rupture du ballonnet est toujours possible.
DISCUSSION DES RÉSULTATS
Nous avons retrouvé 603 cas publiés, avec un seul décès rapporté dû à une hémorragie sous-arachnidienne
(Spaziante, 1988).Plus de 95 % des patients ont eu un soulagement immédiat (9-14).
L'examen clinique confirme constamment une hypoesthésie tactile dans le territoire des trois branches avec
conservation du réflexe cornéen. Un inconfort temporaire à la mastication est la conséquence du trajet percutané
et de la parésie du masséter ipsilatéral par compression des fibres motrices. Quelques paresthésies sont signalées
et moins de 15 % de dysesthésies non invalidantes. On ne retrouve pas d'anesthésie douloureuse (trijumeau fantôme) de traitement difficile. L’amélioration permet le plus souvent une réduction médicamenteuse progressive en
trois a six mois.
Les récidives peuvent bénéficier d'un traitement médical de complément ou d'une répétition de la procédure, car
elle est très bien tolérée par les patients.
Dans plus de 80 % des cas, les résultats sont conservés à cinq ans et sont donc comparables, voire supérieurs, à
ceux de Sweet et Jannetta. L’hypoesthésie discrète mais durable semble le témoin de l'efficacité thérapeutique.
Malgré un recul encore insuffisant,notre série (fig. 6) retrouve des résultats similaires favorables. Le seul échec
rapide (cas 1 et 4 du tableau) malgré deux compressions, était une névralgie postchirurgie sinusienne.
Les avantages de la microcompression sont multiples : facile et rapide sans matériel sophistiqué, peu de
complications, une brève hospitalisation, une excellente tolérance par le patient et une persistance des bons
résultats à moyen et long terme. Elle constitue pour nous un premier choix en cas d'échec du traitement médical,
en particulier chez les patients âgés, peu ou non collaborants, spécialement en cas de douleurs de la branche
ophtalmique, dans les cas symptomatiques de la sclérose en plaque, les névralgies bilatérales et l'échec des
autres techniques chirurgicales. Les névralgies posttraumatiques des branches périphériques ne semblent pas être
une bonne indication.
D'un point de vue financier, la courte hospitalisation, l'absence de complications, l'arrêt médicamenteux fréquent
et le faible coût de l'acte chirurgical sont aussi à prendre en considération.
CONCLUSION
Nous pensons qu'il s'agit d'une alternative chirurgicale intéressante à connaître et simple à réaliser, certainement
à développer (2). Il faut toujours considérer chez les patients jeunes l'intérêt d'une microdécompression
vasculaire en fonction du bilan d'imagerie et sachant peser le faible pourcentage de mortalité-morbidité (< 2 %)
en regard du risque dysesthésique de la technique percutanée. L’avenir viendra peut-être des recherches
actuelles sur la stimulation du système trigéminal.
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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