Il n`y a pas de concubinage homosexuel - DALLOZ Etudiant
Transcription
Il n`y a pas de concubinage homosexuel - DALLOZ Etudiant
RECUEIL/CONCL/1998/0048 Recueil Dalloz 1998, p. 111 Type de document : Conclusions Document associé : Voir la note de Jean-Luc Aubert Décision commentée : Cour de cassation, 3e civ., 17-12-1997 n° 95-20.779 Numéro du document : Publication : Indexation CONCUBINAGE 1.Définition 2.Couple hétérosexuel 3.Homosexuel 4.Bail d'habitation 5.Titulaire Décès * Transfert du bail BAIL D'HABITATION 1.Loi du 6 juillet 1989 2.Transfert du bail 3.Bénéfice 4.Concubin 5.Homosexuel Exclusion Il n'y a pas de concubinage homosexuel Homosexualité, bail d'habitation et contrat d'union civile Jean-François Weber Conclusions de M. Jean-François WEBER, avocat général : A la suite du décès de son compagnon homosexuel chez lequel il vivait de façon notoire depuis plus d'un an, M. Vilela a assigné la bailleresse pour obtenir le transfert du bail à son profit en application de l'art. 14 de la loi du 6 juill. 1989 qui dispose que « lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré (...) au concubin notoire (...) qui vivai(t) avec lui depuis au moins un an à la date du décès ». Le Tribunal d'instance du quatrième arrondissement de Paris avait admis ce transfert en retenant que « l'évolution des moeurs a désormais donné au terme de concubinage le sens de cohabitation de couple, et n'y attache plus, comme auparavant, la nécessité d'une différence de sexe entre partenaires du couple pour reconnaître la réalité de la situation vécue. Il serait contraire à la protection due à la vie privée de restreindre le champ d'application de la loi par une discrimination fondée sur la sexualité des personnes considérées. Il en découle que Guillermo Vilela invoque avec raison le bénéfice des dispositions de l'article susvisé ». Mais par l'arrêt infirmatif attaqué, la Cour d'appel de Paris a considéré que le demandeur ne pouvait bénéficier, en invoquant sa liaison homosexuelle, des dispositions de l'art. 14 de la loi du 6 juill. 1989 « dès lors que le concubinage ne peut résulter que d'une relation stable et continue ayant l'apparence d'un mariage, donc d'une relation entre un homme et une femme ». Le moyen unique du pourvoi soutient que, aux termes de l'art. 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, publié par décret n° 81-76 du 29 janv. 1981, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, ... ou de toute autre situation ; qu'en estimant que l'art. 14 de la loi du 6 juill. 1989 ne visait que le cas de concubinage entre un homme et une femme, alors que ce texte ne contient aucune restriction autre que celle tenant à la durée du concubinage, la cour d'appel a violé les textes précités, ensemble l'art. 8, § 1, Conv. EDH. Ce pourvoi va conduire la troisième Chambre de notre Cour, en formation plénière, à prendre position en matière de baux d'habitation sur le sens qu'il convient de donner au mot « concubin » dans l'art. 14 de la loi de 1989, à la lumière notamment de l'évolution des moeurs, de deux conventions internationales ratifiées par la France expressément invoquées par le pourvoi, mais aussi des deux arrêts rendus par notre Chambre sociale du 11 juill. 1989 et selon lesquels les droits accordés par des textes particuliers à des personnes « en union libre » ou « en vie maritale » ne pouvaient concerner que des personnes de sexe différent. Lors de l'examen des pourvois ayant abouti aux arrêts de la Chambre sociale du 11 juill. 1989 (Bull. civ. V, n° 514 et 515 ; D. 1990 Jur. p. 582, note Malaurie, RTD civ. 1990, p. 53, obs. J. Rubellin-Devichi, 1991, p. 306, obs. J. Hauser), M. l'avocat général Dorwling-Carter avait dressé un panorama historique de l'évolution de l'homosexualité sur lequel il est inutile de revenir (Gaz. Pal. 13 avr. 1990 et Rapport annuel de la Cour de cassation 1989, p. 96 s.). Depuis cette analyse qui soulignait déjà « l'effervescence médiatique progressive puis grandissante autour de l'homosexualité », le groupe de pression des homosexuels a poursuivi son action pour obtenir la reconnaissance de droits à travers une stratégie de communication offensive, parfois provocatrice mais incontestablement efficace et qui s'est trouvée paradoxalement légitimée par le développement du VIH aux Etats-Unis d'abord, puis en Europe. Il est d'ailleurs symptomatique que la source documentaire la plus complète sur la question de fond posée par ce pourvoi se trouve sur Internet que les associations d'homosexuels ont largement investi. Avant d'aborder la question précise posée par le pourvoi, il apparaît nécessaire de situer dans quel environnement juridique se pose la question des droits du concubin homosexuel. I. - La situation du concubin homosexuel en 1997 A - Les conventions internationales visées au moyen. - Le pourvoi invoque tout d'abord l'art. 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l'assemblée générale des Nations unies le 16 déc. 1966 et intégré à l'ordre juridique français par le décret n° 81-76 du 29 janv. 1981 selon lequel : « Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». Ce texte se contente d'interdire toute discrimination en raison notamment du sexe d'un individu ce qui n'est à l'évidence pas le cas de la loi de 1989 qui ne distingue pas la situation du concubin de celle de la concubine. Mais ce texte ne concerne pas d'éventuelles discriminations fondées sur la sexualité d'un individu ou d'un couple d'individus et ne peut trouver application en l'espèce. Le pourvoi invoque ensuite incidemment l'art. 8, § 1, Conv. EDH qui dispose que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ». Le tribunal d'instance avait retenu dans ses motifs qu'il « serait contraire à la protection due à la vie privée de restreindre le champ d'application de la loi par une discrimination fondée sur la sexualité », ce qui pourrait constituer une référence implicite à l'art. 8 Conv. EDH. La cour d'appel ne s'est pas prononcée sur cette question qui n'a pas été évoquée dans les conclusions des parties devant la cour. Il n'est pas évident que le dispositif de la loi française soit contraire à la convention et à l'interprétation que la Cour de Strasbourg a donné de l'art. 8. L'arrêt Dudgeon c/ Irlande du Nord du 22 oct. 1981 a considéré que la législation d'Irlande du Nord qui réprimait les relations homosexuelles masculines, même accomplies en privé par des adultes consentants, était contraire au droit au respect de la vie privée visé à l'art. 8. Mais, dans notre espèce, ce n'est pas la loi française qui porte atteinte à l'intimité de la vie privée mais le demandeur au pourvoi qui revendique son homosexualité, et donc qui viole cette intimité, pour obtenir l'interprétation de la loi de 1989 à son profit. La critique du pourvoi au regard de l'art. 8 Conv. EDH ne paraît donc pas pouvoir prospérer. B - L'état du droit positif dans le monde. - Le Parlement européen a pris le 8 févr. 1994 une résolution sur « l'égalité des droits des homosexuels et des lesbiennes dans la Communauté européenne » dans laquelle il « estime que la Communauté européenne doit s'engager à concrétiser le principe de l'égalité de traitement d'une personne indépendamment de sa tendance sexuelle dans tous les textes législatifs déjà adoptés et à adopter ». Il demande aux Etats membres « que soit mis un terme à l'inégalité de traitement des personnes de même tendance sexuelle au niveau des dispositions juridiques et administratives », et à la Commission de présenter un projet de recommandation en ce sens (JOCE n° C 61/40). Cette résolution faisait suite à un rapport de Mme Claudia Roth déposé le 26 janv. 1994 dans lequel elle exposait que l'égalité de traitement des homosexuels concerne « la sécurité sociale et l'assurance maladie, le régime des prestations sociales, le système éducatif, le droit professionnel matrimonial et successoral, le droit d'adoption ainsi que la législation sur les baux d'habitation ». Cette résolution n'a pas à ce jour été encore suivie d'une recommandation de la Commission, mais elle exerce déjà une influence sur les débats des différents Parlements nationaux dans la mesure où elle est très bien relayée par les organisations homosexuelles. Ainsi que le soulignait Mme Roth dans son rapport au Parlement européen, « plusieurs Etats membres assurent dorénavant une certaine protection juridique des homosexuel(le)s contre les agissements discriminatoires. En adoptant une loi générale sur l'égalité des homosexuels, les Pays-Bas ont offert à ceux-ci la possibilité de déposer plainte pour discrimination. Depuis 1985, la France accorde aux homosexuels une protection pénale contre les discriminations dans le monde professionnel et économique. En 1987, le Danemark a étendu l'interdiction de traiter les personnes de façon inégale au motif de la « discrimination sexuelle ». L'Irlande protège les homosexuels contre la haine populaire et, en Allemagne, la constitution du Land de Brandebourg offre à ses citoyennes et citoyens la protection contre les discriminations pour des raisons liées à leur « identité sexuelle ». Ainsi au Danemark, une loi du 7 juin 1989 a institué un contrat de partenariat pour les couples homosexuels qui est un décalque du mariage sauf en ce qui concerne l'adoption. Dans des termes voisins, en Suède, une loi du 23 juin 1994 permet aux partenaires homosexuels de se soumettre à toutes les dispositions légales applicables aux personnes mariées sous forme d'un enregistrement établi par l'officier d'état civil en présence de témoins. L'un des deux partenaires doit avoir à la fois la nationalité suédoise et sa résidence en Suède. L'assimilation avec le mariage est néanmoins limitée dans certains cas : les partenaires enregistrés ne peuvent adopter ni obtenir la tutelle des mineurs, et les règles relatives à l'insémination artificielle, à la paternité et aux pensions de veuves ne leur sont pas applicables. La Norvège en 1995 et l'Islande en 1996 ont adopté des dispositions voisines. D'autres Etats européens tels la Finlande ou la Belgique sont actuellement saisis de projets ou de propositions de lois ayant le même objet. La Cour de justice des Communautés européennes est actuellement saisie d'une affaire Lisa Grant c/ South-West Trains Ldt (C-249/96), pour laquelle l'avocat général Elmer a présenté le 30 sept. 1997 des conclusions dans lesquelles il a soutenu que l'art. 119 Tr. CE assurant l'égalité de rémunération sans discrimination fondée sur le sexe, ne devait pas être interprété sur la base de représentations morales dans un Etat membre. L'avocat général a considéré que la condition d'hétéro-sexualité de « common law spouse » (conjoints de common law), constituait une discrimination fondée sur le sexe, et il a demandé à la Cour de décider qu'une telle discrimination est contraire à l'art. 119 du Traité dont la violation peut être directement invoquée devant les juridictions nationales. C - Le droit positif en France. - La France ne reste pas à l'écart de ce mouvement tendant à accorder aux homosexuels une reconnaissance juridique conférant des droits. Ainsi que le soulignait Mme Roth dans son rapport au Parlement européen, la France a introduit dans son ordre juridique par une loi du 25 juill. 1985, désormais codifiée dans l'art. 225-1 c. pén., la sanction de la discrimination fondée sur les « moeurs » ce qui vise au premier chef les relations homosexuelles. Dès 1992, les députés Autexier et Michel présentaient une proposition de loi créant un contrat d'union civile, en faisant valoir qu'« une jurisprudence étendue montre la fréquence des litiges concernant les couples non mariés, cherchant à obtenir pour leur compte l'application de dispositions prévues en faveur des époux. La Cour de cassation a toujours souligné qu'il appartenait au législateur de préciser son intention en ce domaine. La carence actuelle est source de multiples difficultés. Est-il normal que, au décès d'un conjoint non allié, le survivant puisse être spolié des biens acquis en commun ? Est-il normal qu'il puisse être expulsé du logement commun, au motif qu'il n'était pas normalement cosignataire du bail d'habitation ? ». Ce projet a été analysé par J.-P. Branlard (Petites affiches, 10 août 1994, L'homosexualité, le mariage, le concubinage et le contrat d'union civile, p. 6). Le 23 janv. 1997, M. Fabius et le groupe socialiste à l'Assemblée nationale déposaient une nouvelle proposition de loi n° 3315 relative au contrat d'union sociale dont l'art. 10 prévoit qu'en « cas de départ définitif du logement par le locataire qui a conclu un contrat d'union sociale ou à son décès, le contrat de bail d'habitation continue au profit de son cocontractant. En cas de non-cohabitation, l'accord du bailleur est obligatoire ». Ce texte n'avait pas été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. A la suite des élections, le 23 juill. 1997, le groupe socialiste a déposé une nouvelle proposition de loi n° 94 relative au contrat d'union sociale, dont l'art. 5 prévoit qu'il « est signé entre deux personnes de sexe opposé ou de même sexe » et dont l'art. 10 reprend exactement la précédente. Dans un entretien au journal Le Monde du 24 juin 1997, le garde des Sceaux a affirmé que le gouvernement est favorable à cette réforme. Elle n'est pas encore inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Un certain nombre de municipalités acceptent actuellement de délivrer des certificats de vie commune qui permettent, par exemple, d'obtenir des tarifs « couple » à la SNCF (en mai 1996, 243 maires de communes de plus de 10 000 habitants selon les associations homosexuelles). Mais de tels certificats n'ont actuellement aucune valeur juridique et ne servent qu'à constater une situation de fait ainsi que l'ont souligné, à plusieurs reprises, les gardes des Sceaux dans des réponses à des questions écrites (JOAN, Q, 18 févr. 1985, p. 683, 2 sept. 1996, p. 4712). Pourtant le Parlement français a néanmoins déjà légiféré sur la situation juridique des homosexuels dans le domaine social : l'art. 78 de la loi n° 93-121 du 27 janv. 1993 (D. 1993, Lég. p. 198 ; Rect. D. 1993, Lég. p. 364 ; Err. D. 1993, Lég. p. 492 ; JO 30 janv. 1993, p. 1976 ; Rect. JO 23 avr. 1993, p. 6528) portant diverses mesures d'ordre social a ajouté un alinéa à l'art. L. 161-14 CSS pour faire bénéficier celui qui vit avec un assuré social (et pas seulement celui qui vit maritalement), de la qualité d'ayant droit de l'assuré, ce que l'arrêt de la Chambre sociale du 11 juill. 1989 avait précisément refusé au motif que la notion de vie maritale ne peut concerner qu'un couple constitué d'un homme et d'une femme (RTD civ. 1993, p. 330). Lors des débats qui devaient aboutir à cette loi du 27 janv. 1993, une autre disposition visant les couples homosexuels avait été débattue et concernait directement l'art. 14 de la loi du 6 juill. 1989 sur laquelle nous reviendrons dans le cadre de l'analyse de cet article. II. - Interprétation de l'article 14 de la loi du 6 juillet 1989 A - La lettre de la loi. - L'al. 8 de l'art. 14 de la loi du 6 juill. 1989 visé par le pourvoi n'est pas une innovation de cette loi mais résulte de l'art. 16 de la loi du 22 juin 1982 (dite loi Quillot), reprise avec quelques modifications de présentation par la loi du 23 déc. 1986 (dite loi Mehaignerie) dont l'art. 13 disposait que « lors du décès du locataire, le contrat de location est transféré... au concubin notoire... qui vivait avec lui depuis au moins un an à la date du décès ». L'examen des débats parlementaires de la loi de 1986 montre que ni les députés ni les sénateurs n'ont envisagé l'hypothèse de l'éventuelle application de ce texte à des concubins homosexuels. La seule question débattue était celle de l'éventuelle suppression de la mention du « concubin notoire » car certains parlementaires contestaient la possibilité de conférer des conséquences juridiques à une situation de pur fait (JOAN, CR, 18 juill. 1986, p. 3495). Lors du vote de la loi de 1989, le seul ajout à l'initiative de la commission des lois a été celui de la virgule après « personnes à charge » afin d'établir clairement que la condition de durée s'applique aux ascendants, au concubin et aux personnes à charge du locataire et non seulement à ces dernières (Rapport n° 689 du 18 mai 1989 par M. Colcombet, p. 28 ; avis du sénateur Faure n° 345 du 1er juin 1989, p. 33). Etymologiquement, le mot concubin signifie « qui couche avec » (du latin con-cumbere), ce qui peut s'appliquer à un couple homosexuel, mais il faut bien convenir que, en l'état actuel de la société française, ce terme désigne le plus habituellement des relations stables de vie en commun et d'intimité sexuelle entre un homme et une femme qui ne sont pas mariés. B - L'esprit de la loi. - Faute d'éléments utiles glanés dans les débats parlementaires, il semblerait vain de rechercher une interprétation à partir de l'esprit de la loi. Pourtant il n'est peut-être pas sans intérêt de connaître l'état d'esprit du Parlement à défaut de l'esprit de la loi. En effet il se trouve qu'à l'occasion du débat sur le texte portant diverses dispositions d'ordre social qui allait devenir la loi du 27 janv. 1993, le rapporteur devant l'Assemblée nationale avait proposé et obtenu la suppression des mots « à charge » au 8e al. de l'art. 14 de la loi du 6 juill. 1989. La motivation de cet amendement est restée très discrète puisqu'en première lecture le député Le Guen s'est contenté d'évoquer le souci de « remédier à certaines situations de détresse ». Mais, au Sénat, le rapporteur Jolibois soulignait sans ambiguïté que « votre commission des lois constate que cette disposition semble avoir pour objet principal de permettre le transfert du bail au concubin du même sexe » et s'y opposait comme devait le faire ensuite la Haute assemblée. Chaque assemblée ayant maintenu sa position, le texte de l'Assemblée nationale était finalement adopté traduisant ainsi la volonté claire des élus de la Nation d'admettre les concubins homosexuels au bénéfice de l'art. 14 de la loi de 1989. Mais, sur recours des sénateurs, le Conseil constitutionnel devait annuler le 21 janv. 1993 cet art. 62 de la loi, ce texte « étant dépourvu de lien avec le texte soumis à la délibération des assemblées » (JO 23 janv. 1993). C - La jurisprudence. - La Cour de cassation a pris position par deux arrêts de la Chambre sociale du 11 juill. 1989 dont la simultanéité, alors que les affaires portaient sur des textes différents, montre l'importance de principe soulignée par les conclusions de l'avocat général publiées au Rapport annuel de la Cour. Dans le premier arrêt, la Cour a considéré qu'une disposition du statut du personnel d'Air France bénéficiant au « conjoint en union libre » doit être comprise comme ayant entendu avantager deux personnes ayant décidé de vivre comme les époux, sans pour autant s'unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu'un couple constitué d'un homme et d'une femme. Dans le second arrêt, la Cour a considéré que, en se référant à la notion de « vie maritale », la loi portant généralisation de la sécurité sociale avait entendu limiter les effets de droit, au regard des assurances maladie et maternité, à la situation de fait consistant dans la vie commune de deux personnes ayant décidé de vivre comme des époux sans pour autant s'unir par le mariage, ce qui ne peut concerner qu'un couple constitué d'un homme et d'une femme (Bull. civ. V, n° 514 et 515). Les cours d'appel sont favorables à la solution de la Cour de cassation : ainsi l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 11 oct. 1985 ayant abouti au premier arrêt de la Chambre sociale et celui de la Cour d'appel de Rennes du 27 nov. 1985 ayant conduit au second (D. 1986, Jur. p. 380, note Denis). Dans le domaine des baux d'habitation la première chambre des urgences de la Cour d'appel de Paris a considéré le 27 mai 1986 (D. 1986, IR p. 436) que « si donc l'existence de couples homosexuels stables vivant ensemble constitue un fait social, une telle situation ne peut être tenue pour créatrice de droits ; le « compagnon » du locataire décédé ne peut donc bénéficier des dipositions de l'art. 16 de la loi du 22 juin 1986 ». Cette position a été régulièrement réaffirmée depuis notamment par la 6e chambre B de cette cour le 27 avr. 1989 (Juris-Data, n° 89-22203), la 14e chambre B le 9 mai 1990 (Juris-Data, n° 90-363 ; D. 1990, IR p. 153), la 6e chambre C le 22 mars 1995 (Juris-Data, n° 95-20521) qui est l'arrêt attaqué par le pourvoi, et la 6e chambre B le 9 juin 1995 (Juris-Data, n° 95-22120). Il convient de noter d'ailleurs que la plupart des arrêts sont confirmatifs à l'exception de la présente espèce et de l'arrêt ayant abouti à la décision de la Chambre sociale du 11 juill. 1989 pour le salarié d'Air France. Il ressort de ces décisions que, pour leur très grande majorité, les juridictions françaises considèrent que le « concubin » visé à l'art. 14 de la loi de 1989 implique que le couple ayant vécu dans le logement soit hétérosexuel. D - La doctrine. - La doctrine est loin de la quasi-unanimité judiciaire. Certains soutiennent que, en l'absence de toute précision dans le texte, le terme concubin peut s'appliquer indifféremment à des couples homo ou hétérosexuels. Déjà, en 1986, le professeur Denis incitait la Cour de cassation à évoluer en s'appuyant sur la loi du 25 juill. 1985 qui réprime le fait pour un dépositaire de l'autorité publique ou un citoyen chargé d'un ministère de service public de refuser sciemment à un individu le bénéfice d'un droit à raison de ses moeurs (D. 1986, Jur. p. 386). M. Giverdon (Nouveaux rapports de location, n° 331, et obs. sous CA Paris, 27 mai 1986, D. 1986, IR p. 436), Mme Rubellin-Devichi (RTD civ. 1989, p. 53), MM. Fau et Porte (Ann. loyers 1991, p. 577) et M. Branlard (note préc., Petites affiches, 10 août 1994, p. 8) soutiennent qu'une analyse juridique et non morale du concubinage homosexuel devrait conduire à l'admettre comme un des cas de l'art. 14 de la loi de 1989. A l'inverse, le professeur Malaurie approuve sans réserve la position de la Cour de cassation au motif que la tricherie sur les mots est toujours le signe d'une dérive intellectuelle et morale (note sous Cass. soc., 11 juill. 1989, D. 1990, Jur. p. 582). Le refus d'appliquer le texte au concubin homosexuel trouve un écho également favorable chez MM. Belot et Legrand (Gaz. Pal. 1989, 2, Doctr. p. 521, n° 31), MM. Lafon (Les baux d'habitation, n° 377, p. 254), Blatter (J.-Cl. Bail à loyer, Fasc. 137, n° 32) et Aubert et Bihr (Location d'habitation, n° 228, p. 169). III. - Proposition de solution Dans une récente réponse à une question écrite (JOAN, Q, 9 sept. 1996, p. 4849), le garde des Sceaux considérait que « La définition donnée par la jurisprudence au concubinage exclut en l'état les personnes de même sexe vivant ensemble. Toutefois adoptant une voie pragmatique, le législateur a étendu à ces personnes la protection sociale dont bénéficient les couples hétérosexuels quant aux prestations en nature de l'assurance maladie et maternité et avait adopté des dispositions tendant à assurer le transfert du contrat de bail dans les mêmes conditions que pour les couples hétérosexuels censuré par le Conseil constitutionnel pour un motif de procédure parlementaire. Il s'agit d'une vraie question de société supposant un débat large et approfondi, éthique et juridique, afin de faire mûrir la réflexion. En effet, toute réforme pouvant être interprétée comme allant dans le sens d'une reconnaissance juridique du couple homosexuel poserait un problème d'homogénéité avec les principes sur lesquels repose notre législation matrimoniale et dont tout donne à penser qu'ils expriment les sentiments à cet égard de la grande majorité de nos compatriotes. Le rôle des représentants de la Nation est particulièrement difficile dans ce type de questions de société. Il faut, en effet, tout à la fois préserver la cohérence du droit sur lequel se fondent les relations individuelles et prendre en compte en toute lucidité et dans un esprit d'ouverture les évolutions que connaissent les moeurs et les modes de vie. Car c'est le rôle du droit de permettre à la société de maîtriser de telles évolutions : c'est son intérêt bien compris, le cas échéant, que de favoriser la sécurité et la stabilité des situations de fait. Une telle démarche pragmatique semble donc devoir être adoptée, sans porter atteinte aux valeurs essentielles de notre organisation sociale ». Cette démarche pragmatique que le ministre de la Justice appelait de ses voeux pourrait procéder de l'arrêt que vous allez prononcer. Rejeter le pourvoi reviendrait à confirmer la position de la Cour de cassation selon laquelle le terme concubinage implique la vie commune de deux personnes de sexe différent. Compte tenu des contraintes de l'unification des législations européennes, de la loi de 1993 modifiant l'art. L. 161-14 CSS et des propositions de loi précédemment évoquées, je crains qu'un tel arrêt ne soit compris que comme la manifestation d'un conservatisme judiciaire fondé sur des valeurs morales parfaitement respectables mais qui n'ont guère leur place dans un débat qui ne devait porter que sur une pure question juridique. Il conduirait sans doute à une intervention rapide du Parlement pour mettre un terme à cette interprétation et peut-être même pour instituer le contrat d'union sociale dont les conséquences sur l'ensemble de notre droit privé semblent difficiles à mesurer. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'association AIDES réclame que « le droit de bail soit modifié pour que le concubin notoire puisse rester dans les lieux en cas d'abandon du domicile ou de décès du locataire », dès lors que « les partis qui composent la nouvelle majorité se sont tous engagés en faveur de la reconnaissance du couple quelle que soit son orientation sexuelle » (Le Monde, 19 juin 1997, p. 9). Casser l'arrêt de la Cour d'appel de Paris marquerait la volonté de la Cour de cassation d'interpréter l'art. 14 de la loi de 1989 pour tenir compte de l'état des moeurs d'une partie, même minoritaire de la population, sans pour autant le dénaturer ni y ajouter une condition d'hétérosexualité qui n'y figure pas. C'est une des plus nobles mission de notre Cour que d'interpréter les textes en fonction de l'évolution de la société à laquelle ils s'appliquent. Une telle réponse ne concernerait que l'art. 14 de la loi qui, il faut le rappeler, a institué un droit au logement qui serait singulièrement bafoué si ce pourvoi était rejeté. La portée doctrinale d'un tel arrêt serait limitée à son objet et n'aurait aucune raison d'être étendue à d'autres situations, et notamment à celles qui impliquent des références implicite à la différence sexuée des concubins. Ainsi que le soulignent MM. Ghestin et Goubeaux, « l'inclusion dans la loi du 27 janv. 1993 d'une disposition étendant ce bénéfice à toute personne « vivant » avec le titulaire du bail peut apparaître comme une tentative d'élargissement de la définition du concubinage excluant tout renvoi à un modèle matrimonial de référence et ramenant à une définition de pur fait, sans doute défendable dès lors que l'on ne se préoccupe que de situation concrète sans considération normative » (Traité de droit civil, Introduction, 4e éd., p. 191). Cette réponse ciblée ne devrait être étendue qu'à l'exercice du droit de reprise du bailleur dont l'art. 15-I de la loi de 1989 fait bénéficier le « concubin notoire ». Cette solution répondrait à des situations de détresse notamment liées au VIH, pour lesquelles le « droit au logement » devrait avoir une signification forte. Et comme le souligne fort pertinemment le mémoire ampliatif, il y aurait quelque paradoxe à refuser le transfert du bail au concubin notoire sous prétexte qu'il est homosexuel, alors qu'il suffirait d'invoquer la notion de personne à charge, ce qui est souvent le cas des homosexuels, pour que le transfert du bail puisse s'opérer ! Le fait que cette solution émane de la Chambre spécialisée en matière de baux d'habitation et non de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation montrerait bien la portée strictement limitée de l'arrêt à la matière qu'il concerne. Mais il faut bien voir que l'application de l'art. 14 au « concubin notoire » homosexuel irait en réalité plus loin que la dernière proposition de loi déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale qui ne concerne que des personnes ayant accepté une formalisation juridique de leur couple en acceptant de passer un « contrat d'union sociale », alors que l'extension jurisprudentielle, pour les baux, de la notion de concubin aux homosexuels pourrait s'appliquer à toute situation de fait établie, même en l'absence de tout contrat formalisé. Au terme de cette étude, j'estime que, s'agissant d'une pure question juridique, l'arrêt de la Cour d'appel de Paris a donné une définition trop restrictive du terme « concubin notoire » figurant à l'art. 14 de la loi du 6 juill. 1989 en y ajoutant une condition qui n'y figure pas. Cette interprétation ne correspond plus à l'état de notre société, à l'orientation de notre droit qui a créé un droit au logement, et au voeu du Parlement puisque le problème ne se serait pas posé si l'art. 62 de la loi du 27 janv. 1993 n'avait été invalidé par le Conseil constitutionnel pour une simple raison de procédure parlementaire et non sur la question de fond que vous allez trancher. Sans attendre une éventuelle intervention du législateur, la simple interprétation de la loi vous permet d'adapter votre jurisprudence à la réalité de la société actuelle. Je suis donc à la cassation de l'arrêt déféré. - Fin du document -