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É D I T O R I A L Épilepsie mésio-temporale : vers une chirurgie précoce chez l’enfant ? Early surgery in mesio-temporal lobe epilepsy in children? ● P. Kahane* usqu’à il y a peu, aucun travail répondant aux critères méthodologiques des études contrôlées randomisées n’avait établi l’efficacité de la chirurgie de l’épilepsie par rapport au seul traitement médicamenteux. Ce vide a été récemment comblé en ce qui concerne les épilepsies dites “mésiotemporales” de l’adulte (1), de sorte que la chirurgie de résection occupe désormais une place toute officielle dans l’arsenal thérapeutique des épilepsies partielles réfractaires, au moins dans cette indication. Il n’en reste pas moins que, comme cela a été souligné dans une récente analyse des données de la littérature (2, 3), le bénéfice qu’apporte la suppression des crises sur l’insertion sociale, familiale et professionnelle des patients reste faible, sans doute en raison d’un pronostic qui s’est joué bien des années avant, la majorité des patients ayant une épilepsie dont les crises ont débuté dans l’enfance. Cette constatation, qui va dans le même sens que la reconnaissance de l’effet potentiellement délétère de certaines épilepsies partielles sur le développement cognitif et le comportement des enfants (4) – en particulier celles s’associant à des lésions dysplasiques temporales (5) –, conduit tout naturellement le neurologue investi dans le traitement neurochirurgical des épilepsies de l’adulte à se poser la question d’une chirurgie plus précoce. Cela d’autant plus que la qualité des résultats obtenus sur le long terme dépend, entre autres, du délai entre le début des crises et le moment du geste neurochirurgical (6). J Faut-il pour autant proposer rapidement une évaluation préchirurgicale, et, le cas échéant, un traitement chirurgical précoce chez un enfant dont les crises sont suspectées d’avoir une origine temporale ? Quels délais doit-on se donner ? Quels sont les meilleurs candidats ? Et comment les identifier ? Kwan et Brodie (7) ont bien montré qu’une mauvaise réponse à une première monothérapie, quelle que soit la molécule utilisée, fait d’emblée planer le doute de la pharmacorésistance, l’échec d’une seconde monothérapie la rendant presque inéluctable. Les mêmes constats ont été faits pour les épilepsies temporales de l’enfant (8). Un récent travail montre cependant que, dans une population de patients candidats à la chirurgie, le délai avant la constatation de l’échec d’un second traitement peut être très long * Neurophysiopathologie de l’épilepsie, département de neurologie, CHU de Grenoble. La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 4 - avril 2005 (9,1 ans en moyenne), avec des périodes de rémission de la maladie de 5 années et plus dans 8,5 % des cas (9). Cela serait tout particulièrement vrai pour les épilepsies partielles ayant commencé dans l’enfance ou au début de l’adolescence. La probabilité de la pharmacorésistance n’est toutefois pas la même pour toutes les épilepsies partielles, y compris temporales, et ce sont celles qui s’associent à une sclérose de l’hippocampe qui semblent les plus difficiles à contrôler médicalement (10, 11). Or, les épilepsies du lobe temporal associées à une sclérose hippocampique sont justement celles qui répondent le mieux à la chirurgie d’exérèse (6, 12-14) : les résultats chirurgicaux chez l’enfant paraissent tout aussi excellents que chez l’adulte, près de 80 % des enfants opérés devenant libres de crises après résection temporale (15). Les résultats seraient d’autant meilleurs qu’il existe des antécédents de crises fébriles compliquées (16), étant entendu que le rapport de causalité entre crises fébriles compliquées et sclérose de l’hippocampe est loin d’être établi, des facteurs surajoutés, notamment génétiques, jouant probablement un rôle. L’association crises fébriles compliquées-sclérose de l’hippocampeépilepsie mésio-temporale semble donc, d’un côté, exposer a priori un enfant à une épilepsie très durable, et, d’un autre côté, représenter une entité “syndromique” dont le pronostic chirurgical est excellent. Ce “syndrome d’épilepsie mésio-temporale”, s’il paraît assez bien établi chez l’adulte (17), est de reconnaissance plus difficile chez l’enfant dans la mesure où le processus pathologique qui le sous-tend influe sur le développement cérébral, et où l’aspect clinique des crises et les données EEG peuvent être très différents du tableau électroclinique typique tel que défini chez l’adulte (18). En outre, le profil évolutif de ce “syndrome” est particulier en cela qu’il comprend typiquement plusieurs étapes, dont la certitude d’enchaînement est bien sûr difficile à affirmer dès le début : à la (ou aux) premières(s) convulsion(s) fébrile(s) survenue(s) dans la petite enfance (avant l’âge de 4 ans) fait suite un intervalle libre de durée variable, avant que n’apparaissent, le plus souvent à la fin de la première décennie, les premières crises mésio-temporales. Ces dernières sont, en général, initialement bien contrôlées par le traitement médicamenteux, à tel point que celui-ci est parfois arrêté. Les crises réapparaissent cependant plus tard, souvent à l’adolescence, et persistent dès lors sous une forme stéréotypée et résistante aux médicaments. Le bénéfice que peut alors tirer le patient d’une suppression des crises après 103 É D I T O R chirurgie, s’il reste indiscutable, risque néanmoins d’être obéré, d’une part, par les conséquences scolaires, familiales et psychologiques que ce long statut d’épileptique a déjà engendré, d’autre part, par les éventuels effets indésirables cognitifs induits par le traitement médicamenteux (et la maladie ?), et enfin par la déscolarisation qu’induira nécessairement la prise en charge chirurgicale à une période de la vie stratégique pour l’insertion professionnelle future. Se pose donc très sérieusement la question de savoir s’il est légitime d’intervenir beaucoup plus précocement, dès que surviennent les premières crises temporales. Cette question est sans doute plus facile à aborder lorsqu’il existe d’emblée une mauvaise réponse au traitement médicamenteux, et surtout lorsque la déscolarisation est rapide, que des troubles cognitifs s’installent ou que des troubles comportementaux apparaissent, en d’autres termes, lorsque l’on dispose d’arguments difficilement discutables quant au retentissement très péjoratif de l’épilepsie sur le développement cérébral. Dans ce cas, une chirurgie précoce est sans doute souhaitable, surtout si l’on tient compte de la plasticité du cerveau en croissance, laquelle permet d’espérer une récupération neuropsychologique après suppression des accès (4). Le rapport bénéfice/risque est, en revanche, d’appréciation beaucoup plus difficile lorsque les premiers épisodes épileptiques sont aisément contrôlés par un traitement médicamenteux apparemment bien supporté et que l’enfant poursuit sans difficulté sa scolarisation. Quoi qu’il en soit, des études contrôlées paraissent indispensables, ■ études dont les critères d’inclusion restent à définir. R É F É R E N C E S 1. B I B L I O G R A P H I Q U E S Wiebe S, Blume WT, Girvin JP, Eliasziw M. Effectiveness and efficiency of surgery for temporal lobe epilepsy Study Group. A randomized, controlled trial of surgery for temporal-lobe epilepsy. N Engl J Med 2001;345:311-8. 2. Engel J Jr, Wiebe S, French J et al. Practice parameter: temporal lobe and localized neocortical resections for epilepsy. Epilepsia 2003;44:741-51. I A L 3. Engel J Jr, Wiebe S, French J et al. Practice parameter: temporal lobe and localized neocortical resections for epilepsy: report of the Quality Standards Subcommittee of the American Academy of Neurology, in association with the American Epilepsy Society and the American Association of Neurological Surgeons. Neurology 2003;60:538-47. 4. Lassonde M, Sauerwein HC, Jambaque I, Smith ML, Helmstaedter C. Neuropsychology of childhood epilepsy: pre- and postsurgical assessment. Epileptic Disord 2000;2:3-13. 5. Taylor DC, Neville BGR, Cross JH. Autistic spectrum disorders in childhood epilepsy surgery candidates. Eur Child Adolesc Psychiatry 1999;8:189-92. 6. Yoon HH, Kwon HL, Mattson RH, Spencer DD, Spencer SS. Long-term seizure outcome in patients initially seizure-free after resective epilepsy surgery. Neurology 2003;61:445-50. 7. Kwan P, Brodie MJ. Early identification of refractory epilepsy. N Engl J Med 2000;342:314-9. 8. Dlugos DJ, Samuel MD, Strom BL. Response to first drug trial predicts outcome in childhood temporal lobe epilepsy. Neurology 2001;57(12):2259-64. 9. Berg AT, Langfitt J, Shinnar S. et al. How long does it take for partial epilepsy to become intractable? Neurology 2003;60:186-90. 10. Semah F, Picot MC, Adam C et al. Is the underlying cause of epilepsy a major prognostic factor for recurrence? Neurology 1998;51:1256-62. 11. Stephen LJ, Kwan P, Brodie MJ. Does the cause of localisation-related epilepsy influence the response to antiepileptic drug treatment? Epilepsia 2001; 42:357-62. 12. Garcia PA, Laxer KD, Barbaro NM. Prognostic value of qualitative magnetic resonance imaging hippocampal abnormalities in patients undergoing temporal lobectomy for medically refractory seizures. Epilepsia 1994;35(3):520-4. 13. Berkovic SF, McIntosh AM, Kalnins RM et al. Preoperative MRI predicts outcome of temporal lobectomy: an actuarial analysis. Neurology 1995;45:1358-63. 14. Arruda F, Cendes F, Andermann F et al. Mesial atrophy and outcome after amygdalohippocampectomy or temporal lobe removal. Ann Neurol 1996;40:446-50. 15. Mohamed A, Wyllie E, Ruggieri P et al. Temporal lobe epilepsy due to hippocampal sclerosis in pediatric candidates for epilepsy surgery. Neurology 2001;56: 1643-49. 16. Janszky J, Schulz R, Ebner A. Clinical features and surgical outcome of medial temporal lobe epilepsy with a history of complex febrile convulsions. Epilepsy Res 2003;55:1-8. 17. Engel J Jr. Surgery for seizures. N Engl J Med 1996;334:647-52. 18. Cendes F, Kahane P, Brodie M et al. The mesio-temporal lobe epilepsy syndrome. In: Roger J et al. (eds). Epileptic syndromes in infancy, childhood and adolescence. 3rd edition. Londres : John Libbey, 2002;513-30. Imprimé en France - Point 44 - 94500 Champigny-sur-Marne - Dépôt légal : à parution. © février 1997 - EDIMARK SAS Un publi-rédactionnel Biogen (8 pages) est encarté au centre de ce numéro. Est routé avec ce numéro un supplément de 20 pages intitulé Céphalées. Les articles publiés dans La Lettre du Neurologue le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous pays. 104 La Lettre du Neurologue - vol. IX - n° 4 - avril 2005