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L’heure de la gloire est arrivée: « Mirza »
Entre temps, Bennett est passé de l’autre côté de la carrière et il a réussi à se faire
embaucher comme directeur artistique chez Eddie Barclay. Après Nicole, Nino passe
donc chez Eddie qui vient de fonder une sous-marque appelée Riviera et dont Ferrer
sera donc l’un des premiers pensionnaires. Barclay, qui a lancé déjà nombre de
carrières comme celles de Brel ou de Dalida, croit plutôt moyennement en Nino
Ferrer, qui n’a pas réussi à trouver son style, ou plus exactement dont le style n’a
pas réussi à captiver le public. Tout va changer au cours de l’été 1965 où Nino se
produit avec son groupe dans les boîtes du Sud-Est, et notamment à Saint-Raphaël,
dans une boîte appelée La Playa. Le groupe joue ses chansons et, entre les sets, on
passe des disques. Il se trouve que ce jour là va avoir lieu une collision entre une
chanson qui passe sur la sono et un évènement totalement imprévu. La chanson
s’intitule « La-la-la-la » et elle est assez connue à l’époque, notamment chantée par
Stevie Wonder. L’évènement imprévu, c’est une vieille dame qui rameute tout le
monde pour retrouver le chien qu’elle a perdu, une chienne prénommée Mirza. Sur
l’air de « La-la-la-la » qu’il vient d’entendre, Nino prend le micro et se lance dans une
improvisation qui donne le fameux « Z’avez pas vu Mirza ». Plusieurs jours de suite,
il va tester ce gimmick dans les différents lieux où il se produit avec son groupe,
notamment à Saint-Tropez, et il se rend vite compte que la chanson fonctionne de
façon étonnante. Rentré à Paris, il va donc enregistrer ce morceau qui deviendra un
énorme succès au cours des mois suivants et déferlera sur les ondes tout au long de
l’année 1966. A ce moment, Nino l’ignore mais il vient de se faire piéger. Car s’il
s’imaginait toujours en crooner, en chanteur sérieux et profond, en devenant le
propriétaire de « Mirza » les choses ne seraient plus jamais comme avant. Il accède
grâce à cette chanson à la gloire, à la vie d’artiste à succès, au luxe et à l’argent,
mais dans un même temps il se voit coller une étiquette de bouffon dont il aura le
plus grand mal à se débarrasser. D’ailleurs, en 1980, sur un album intitulé La
Carmencita, on trouve un morceau intitulé « Prélude et mort de Mirza » où on entend
un chien aboyer et quelqu’un, probablement Nino, l’achever à coup de pied.
Pourtant, telle qu’elle apparaît en 1966 sur scène, la formation minimaliste de Nino
est déjà la preuve qu’il n’appartient pas à la même crémerie que Johnny, Les
Chaussettes noires et toute la bande. Il est accompagné par Richard Hertel, un petit
cogneur râblé à la batterie et par Bernard Estardy à l’orgue. Quant à lui, il tient
toujours la basse. Il n’y a pas de guitare, pas d’autres fioritures même si sur les
disques on entend des cordes et des cuivres. Finalement, donc, en devenant une
vedette de Salut les copains, Nino ne s’est pas renié puisqu’il est toujours un
chanteur de rhythm’n’blues et sa voix n’a pas trop à rougir face à celle de ses idoles
des labels Stax ou Atlantic. Au niveau du look, le groupe charge un peu la mule en
s’habillant comme des Lords anglais, un peu comme les Kinks à la même époque, et
ils poussent la distinction jusqu’à greffer des pieds Louis XV à l’orgue de Bernard
Estardy, qui se fait d’ailleurs surnommer Le Baron. Ce groupe, en version
instrumentale, enregistrera d’ailleurs à la même période deux 45 tours un peu
gaguesques sous le nom des Gottamous.
On peut ici faire une parenthèse sur Estardy qui est l’un des personnages les plus
importants de toute la première partie de la carrière de Nino Ferrer, d’abord comme
musicien et ensuite comme ingénieur du son et arrangeur lorsqu’il montera son
studio, le fameux CBE où défileront tous les poids lourds de la variété, les Claude
François, Joe Dassin, Sheila ou Michel Sardou. On peut dire que Bernard Estardy
© Christophe Conte pour le Hall de la Chanson, 2005
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est l’un des rares à avoir su canaliser le bouillonnement créatif de Nino Ferrer.
Estardy a un sens inné de ce qui plaît au public, il totalise d’ailleurs à lui tout seul 400
millions de disques vendus à travers tous les artistes qui ont défilé dans son studio
de la rue Championnet. La meilleure illustration, c’est la version de la chanson « Le
Sud », la version de Bernard Estardy que Nino détestait mais qui est à l’évidence la
plus efficace commercialement.
A partir du succès de « Mirza » va donc commencer à se constituer ce que Nino va
appeler « La bande à Ferrer », avec de nouveaux musiciens qui vont venir se greffer
pour les tournées et pour un fameux enregistrement live à Dijon qui constituera le
premier album de Nino et qui contient notamment « Je veux être noir », « Oh ! Hé !
Hein ! Bon ! », « Madame Robert », ses premières chansons fétiches comme « Un
an d’amour », « Pour oublier qu’on s’est aimé », et aussi une reprise de James
Brown en français, « It’s a man’s man’s world » », qui devient « Si tu m’aimes
encore ». Il apparaît de plus en plus clair que Nino, comme quelques autres – on
peut citer Henri Salvador -, va devoir vivre avec cette schizophrénie artistique
symbolisée par les deux faces des 45 tours. Un titre potache sur la face A, une belle
chanson triste sur la face B. A l’époque, en tout cas au tout début lorsqu’il casse la
baraque, il ne s’en plaint pas trop. C’est par la suite que les choses vont devenir plus
douloureuses pour lui, lorsque les ventes vont commencer à décliner et qu’il va sentir
qu’il est très difficile de corriger une image lorsque cette image s’est imprimée très
fortement dans le cerveau du public via la télévision. Car Nino était assez vieux pour
avoir connu l’époque du music-hall où les carrières se bâtissaient en dur, à travers la
scène exclusivement. Avec la génération Salut les copains à laquelle il est malgré
tout rattaché, et le développement des médias, on commence à voir arriver des
chanteurs jetables, oubliés d’une saison sur l’autre. Pour lui, dans la foulée de
« Mirza », les choses se passent très bien, notamment avec « Les Cornichons »
et« Oh ! Hé ! Hein ! Bon ! », deux chansons basées comme un certain nombre de
Nino Ferrer sur le principe de l’inventaire. Une façon de transposer l’univers de
Jacques Prévert en le reconfigurant sur un mode pop. Et puis, les années passant, il
continue à enchaîner les 45 tours, mais les ventes ne sont plus aussi mirobolantes et
il commence à voir sa notoriété s’élimer un peu. Les titres comme « Mao et moa »,
qui se moque gentiment des maoïstes, ou encore « Je vends de robes », « Le roi
d’Angleterre », qui sortent entre 1967 et 1969 (avec « Mon copain Bismarck », « Les
yeux de Laurence »…) sont des succès moindres. C’est pourtant durant cette
période, alors qu’il a embauché un nouvel organiste noir nommé Manu Dibango, qui
réalise également quelques arrangements, que Nino publie certaines de ses
chansons les plus sensibles. On peut citer le magnifique « La rua Madureira » ou
encore « Oerythia », où il s’essaie à la bossa nova, chansons qui passent un peu
inaperçues sur le moment mais qui sont aujourd’hui parmi ses grands classiques
inusables.
© Christophe Conte pour le Hall de la Chanson, 2005
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