télécharger ici - Le Hall de la chanson
Transcription
télécharger ici - Le Hall de la chanson
1 « La désabusion », « Suite » et « Fin »… Mais Nino n’a pas envie de donner de la confiture aux cochons et il a peur que cet album qu’il a en chantier, Blanat, voit sa carrière une fois encore ruinée par le peu d’intérêt que lui portent les gens de CBS. Il doit à la maison de disques un album supplémentaire dans son contrat et il ne tient pas à ce que ce soit celui-ci, auquel il tient beaucoup. Donc il revient à Paris, met Blanat en sommeil et enregistre Véritables variétés verdâtres (« L’inexpressible », « Valentin »…), un titre ironique pour un disque assez attachant mais un peu anecdotique où il revisite un peu toutes les étapes de sa carrière. Comme il l’avait prévu, l’album est enterré à sa sortie. Il va donc partir s’installer définitivement dans le Lot et démontrer de cette façon son aversion pour le show-biz parisien dont il n’a plus l’impression de faire partie et qu’il commence à avoir en horreur. Il va pourtant se passer encore un petit évènement en coulisse qui aurait pu tout changer puisque Richard Bennett est quant à lui parti s’expatrier aux Etats-Unis et il a dans l’idée de faire de Nino une vedette Outre Atlantique. Il approche du but lorsqu’il rencontre un producteur nommé Robert Stigwood, patron du label RSO, qui vient de faire fortune avec la musique de La fièvre du samedi soir des Bee Gees, et qui lui propose pour Nino un contrat d’un million de dollars pour que celui-ci vienne enregistrer à Los Angeles. Nino hésitera un moment, mais là encore il fallait prendre l’avion, et quitter la maison dans laquelle il venait d’installer sa famille. Il n’ira donc pas tenter l’aventure américaine. Il termine en revanche d’enregistrer et de mixer Blanat et signe un contrat avec un petit label de blues, Free Bird, autre pied de nez aux grandes maisons de disques qui l’ont laissé tomber. Blanat (« Fallen Angels », « L’arbre noir », « Michael and Jane », « Boogie on »… ) est un disque assez génial, très intense, très ombrageux, et qui reçoit un très bon accueil notamment de la part de la presse rock. Malheureusement pour Nino, le label Free Bird met la clef sous la porte et il se retrouve au début des années 80 à la case départ, sans maison de disques, isolé à la campagne, oublié des médias et sans projet immédiat. Heureusement, il va parvenir au fil des ans à reconstituer une équipe de gens, souvent des jeunes musiciens, qui vont lui permettre de conserver le goût pour la musique, pour l’écriture de chansons et lui donneront envie de remonter sur scène à plusieurs reprises. Il nourrit à cette époque une véritable obsession pour Jacques Higelin, qu’il a rencontré à la fin des années 70 et qu’il considère à la fois comme un fils spirituel et comme un modèle. Certaines chanson comme « Rondeau », qui figure sur l’album Ex libris en 1982, découlent directement de cette admiration pour Higelin. Ses disques de l’époque ne marcheront pas beaucoup, il y en aura quatre au cours des années 80 - La Carmencita en 1980 (« Carmencita »), Ex libris en 1982 (« Sémiramis »), Rock’n’Roll Cow-Boy (« Le look plouc ») en 1983, 13e album en 1986 (« L’arche de Noé ») - tous assez différents, partant un peu dans tous les sens, mais au moins gardera-t-il un minimum le contact avec son métier de chanteur. Car depuis qu’il s’est installé dans le Lot, c’est surtout à la peinture qu’il consacre la plus grande partie de son temps. Nino n’était pas un très grand peintre, il le savait, mais il trouvait dans la peinture une forme de recueillement et d’apaisement que la musique n’était plus en mesure de lui procurer. Et puis, en parallèle, les rééditions en CD de ses anciens succès, notamment ceux des années 60, l’ont fait découvrir à un public plus jeune qui n’avait sans doute jamais entendu parlé de lui auparavant. Il sera © Christophe Conte pour le Hall de la Chanson, 2005 2 également sollicité en 1985 par l’équipe du Théâtre de l’Unité pour participer à un projet ambitieux autour du thème de L’arche de Noé. Il s’impliquera à fond dans ce projet pour lequel il écrira la musique et tiendra le rôle ultime : celui de Dieu le père. Mais la colère de Nino contre le show-biz en général n’a pas faibli, elle ira même en s’amplifiant lorsqu’il publiera un nouvel album en 1993, le premier en sept ans. Le titre de l’album, La désabusion (« Notre chère Russie », « La danse de la pluie ») une contraction de désabusé et désillusion, en dit long sur son état d’esprit de l’époque. Une déprime accentuée par l’indifférence des grands médias pour ses nouvelles chansons, les télés acceptant de l’inviter uniquement s’il consent à chanter « Mirza », « Le Telefon » ou « Le Sud », ce dont il n’est évidemment pas question. Il s’emporte souvent sur les plateaux comme à la radio, il refuse le jeu qu’on lui impose et sa franchise lui ferme à cette époque plus de porte qu’elle ne lui en ouvre. Sans compter les portes qu’il prend un malin plaisir à claquer lui-même, y compris au visage des Drucker et consorts. Bref, Nino s’enferme dans la spirale bien connue de la paranoïa et de la dépression. Quelques années après La désabusion il met en chantier un autre projet qu’il compte intituler Suite et fin (« L’innocence ») et sur lequel il compte bien en finir, ce sont ses termes, avec le personnage de Nino Ferrer. On est au début de la fameuse année 1998 et, à son fils Arthur avec lequel il collabore sur ce projet, il dit clairement qu’il veut « tuer Nino Ferrer ». Un autre évènement personnel ne va pas arranger son moral, c’est la lente agonie de sa mère, qui vit dans une maison attenante à la sienne, et qui suite à une mauvaise chute s’est retrouvée quasiment à l’état végétatif. Sa mère va décéder après plus de huit mois de souffrance, en juin 1998. Nino se suicide à peine deux mois plus tard, le 13 août, deux jours avant son 64ème anniversaire. Nino a laissé quelques lettres à sa mort, pour sa famille mais aussi une lettre enragée, désespérée, d’une violence verbale inouïe, qu’il adressait pêle-mêle aux journalistes, aux télés, aux gens du disque qui l’avaient peu à peu lâché et contre lesquels il nourrissait une rancœur que l’on peut rendre en partie responsable de son geste. Le reste, comme toujours dans le cas d’un suicide, appartient à celui qui n’est plus en mesure de l’expliquer. Le 18 avril 2005, près de sept années après la mort de Nino Ferrer, paraît On dirait Nino, album hommage. Quinze artistes reprennent des chansons de Nino Ferrer d’une manière originale. On retrouve ainsi JP Nataf (« Oh ! Hé ! Hein ! Bon ! »), M (« Je vends des robes »), Bashung (« Le sud »), Miossec (« Chanson pour Nathalie »), Cali (« La rua Madureira »), Arno (« Mirza »), Tété (« Mon copain Bismarck »), La Grande Sophie (« Je veux être noir »), Art Mengo (« La maison près de la fontaine »), Fabien Martin (« Riz complet »), Helena (« Le telefon »), Daniel Darc (« Rondeau »), Fabio Viscogliosi (« Un anno d’amore »), Venus (« South ») et Autour de Lucie (« La rua Madureira »). © Christophe Conte pour le Hall de la Chanson, 2005