Le respect du principe de confiance légitime

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Le respect du principe de confiance légitime
COMPETENCES DROIT
Des arrêts de la Cour de justice et du tribunal de première instance des Communautés européennes
sanctionnent la violation du principe de confiance légitime.
Le respect du principe de
confiance légitime
Les Echos n° 19078 du 22 Janvier 2004 • page 12
Invoqué seul ou avec le principe de sécurité juridique dont il est issu, le principe de confiance
légitime est une création de la jurisprudence communautaire. Il est opposable aux administrations
communautaire et nationales lorsqu'elles mettent en oeuvre des réglementations communautaires
(1). Il impose à celles-ci de respecter la confiance des particuliers « quand elles ont fait naître
dans leur chef des espérances fondées »(2). Cela implique de s'abstenir de changer brusquement
une situation existante et même d'éviter de trahir la confiance dans une règle à venir ou dans une
position future.
Cependant, le respect de la confiance légitime ne suppose évidemment pas un statu quo juridique.
La Cour de justice reconnaît que « les opérateurs ne sont pas justifiés à placer leur confiance
dans le maintien d'une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir
d'appréciation des institutions communautaires » (3).
En revanche, le principe de confiance légitime protège les administrés contre la modification avec
effet immédiat et sans avertissement préalable des réglementations existantes. Dans l'affaire
Marks & Spencer, la cour a jugé qu'un Etat membre avait violé le principe de confiance légitime
en réduisant de moitié, avec effet rétroactif, un délai de prescription pour les actions en répétition
de l'indu, sans prévoir de régime transitoire (4). La cour vient de préciser, dans l'affaire Grundig
(5), que le simple fait de prévoir une phase de transition ne suffit pas. Celle-ci doit aussi être
suffisamment longue pour permettre de préserver effectivement le droit des particuliers qui
croient légitimement disposer d'un délai beaucoup plus long pour agir en justice.
Enfin, le principe de confiance légitime permet de tester la légalité du retrait d'un acte de
l'administration. Dans l'arrêt Lagardère (6), le tribunal de première instance des Communautés
européennes (TPI) a jugé que la Commission ne pouvait retirer une décision autorisant une
concentration que dans un délai raisonnable et en respectant la confiance légitime des parties. Or,
et c'est une précision de l'arrêt, il lui revenait de prouver que ces deux conditions avaient été
remplies. Ce n'était pas le cas en l'espèce puisque les parties avaient eu légitimement confiance en
la décision, rien ne laissant supposer qu'il ne s'agissait pas de la version définitive ou qu'elle était
entachée d'erreurs de droit.
En matière de décisions à venir, la jurisprudence est traditionnellement stricte. Il n'y a violation du
principe de confiance légitime que si l'administration a fourni des assurances précises,
inconditionnelles et concordantes, conformes aux normes applicables et de nature à faire naître
une attente légitime (7). Il incombe donc aux opérateurs d'être vigilants et de vérifier la légalité de
la position envisagée par l'administration puisque si celle-ci est illégale, la confiance ne sera pas
légitime (8). Encore faut-il, d'après l'arrêt « Cocoon » (9), qu'il leur soit donné la possibilité de
discuter en temps utile de la légalité de la position envisagée par l'institution.
Enfin, on peut avoir une confiance légitime dans les communications de la Commission,
assimilables aux « assurances précises, inconditionnelles et concordantes ». Ainsi, en droit de la
concurrence, le TPI a considéré que vu la confiance que les entreprises souhaitant coopérer avec
la Commission avaient pu tirer de la communication en matière de clémence, la Commission était
obligée de s'y conformer pour déterminer le montant de l'amende (10).
Les arrêts récents de la cour et du TPI montrent donc une vitalité croissante du principe de
confiance légitime, dont le respect suppose l'accomplissement d'obligations aussi diverses que
l'adoption d'un régime transitoire d'une certaine durée ou le respect de conditions de fond et de
procédure en matière de retrait d'actes et de prise de nouvelles décisions. Même polymorphe et
relatif, ce principe protège donc les opérateurs contre les brusques changements de situation et
contre des positions administratives futures ne correspondant pas à ce sur quoi ils ont pu,
légitimement, compter.
ANDRÉ COUTRELIS (*) VALÉRIE GIACOBBO (**)
(*) Avocat à la cour, Coutrélis et associés, Paris-Bruxelles (**) Elève - Avocat
(1) CJCE C-381/97, 3 décembre 1998 ; CE 12 mai 2003 ; C. Const., Dc 2002465 (absence de valeur constitutionnelle). (2) T43/97, 30 septembre 1998. (3)
C372/96, 17 septembre 1998 ; limite : aff 170/86. (4) C62/00, 11 juillet 2002.
(5) C255/00, 24 septembre 2002. (6) T251/00, 20 novembre 2002. (7) T158/03,
5 août 2003. (8) Ex : en matière d'aides d'Etat C169/95, 14 janvier 1997. (9)
T174/01, 12 mars 2003. (10) T9/99, 20 mars 2002. Voir aussi conclusions :
C91/01, 18 septembre 2003.

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