La Curée de Zola

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La Curée de Zola
Fiche Cours
Nº : 91019
FRANÇAIS
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LE TALENT C’EST D’AVOIR ENVIE
Etude d’œuvre :
La Curée de Zola
Plan de la fiche
1. Le lieu
2. Le temps
3. Les personnages
4. Les thèmes et les enjeux
Le lieu
L’hôtel Saccard
Le monde d’Aristide Saccard est celui de l’hôtel du Parc Monceau dont la couleur prédominante est l’or. Son « perron royal »,
ses « glands d’or » et ses lanternes exhibent l’éclat ostentatoire de la richesse de Saccard. A Monceau, tout n’est qu’« un étalage,
une profusion, un écrasement de richesses » (chapitre 1). Nouveau riche à l’image de ces bourgeois qui prennent le pouvoir sous le
Second Empire, Saccard étale sa fortune sans retenue et entend en profiter. Ainsi, l’hôtel du Parc Monceau est cet « appartement de
tapage, d’affaires et de plaisirs, où la vie moderne, avec son bruit d’or sonnant, de toilettes froissées, s’engouffr[e] comme un coup de vent »
(chapitre 3). Monceau est donc le paradis des plaisirs mondains, de la luxure, de la dépravation morale et de la « vie à outrance »
(chapitre 2). Enfin, l’hôtel Saccard est un espace politique, celui où se montrent les soutiens de l’Empire, ses ministres et ses notables
(chapitre 6).
L’hôtel Béraud du Châtel
Appartenant au père de Renée, l’hôtel Béraud est l’exact contrepoint de l’hôtel Saccard. La tante Elisabeth et la sœur de Renée,
Christine, y ont résidé. Tout respire la respectable vétusté. Appartenant à la « vieille bourgeoisie », Béraud est l’un des « derniers
représentants d’une ancienne famille bourgeoise dont les titres remontaient plus haut que ceux de certaines familles bourgeoises ».
La couleur de cet hôtel particulier est le noir qui revêt plusieurs connotations symboliques : les murs dégagent une « gravité noire »,
la bâtisse aux allures de cloître une lueur « noirâtre ». Le noir est la couleur de l’austérité : tout chez les Béraud du Châtel respire
la droiture. L’hôtel est ainsi perpétuellement « silencieux ». Le père de Renée vit en solitaire, retiré du monde. Celui qui, en tant que
magistrat, a passé sa vie à rechercher la droiture du Bien et de la Justice entend garder cette même rigueur. L’hôtel Béraud inspire
donc une crainte religieuse. Cette « maison calme et douce comme un cloître » invite ses occupants à la méditation intérieure. Renée
a été profondément marquée par cet espace, comme en témoignent ces lignes du chapitre 3 : « de tête, elle était bourgeoise ; elle avait
une honnêteté absolue, un amour des choses logiques, une crainte du ciel et de l’enfer, une dose énorme de préjugés. […] Elle appartenait à
son père, à cette race calme et prudente où fleurissent les vertus du foyer. »
Le noir, c’est aussi la couleur de l’ancien.A cet égard, l’hôtel Béraud, situé sur l’Île Saint-Louis, reste à l’écart des travaux haussmanniens,
des transformations et de la nouveauté. Ainsi, Saccard note que le père de Renée « ne sort guère que pour aller de loin en loin au Jardin
des Plantes. Et encore faut-il que je me fâche ! Il prétend qu’il se perd dans Paris, que la ville n’est plus faite pour lui » (chapitre 5).
Enfin, le noir rappelle le deuil de la Révolution et de ses idéaux que vient signer l’Empire. Au chapitre 2, un des ancêtres du maître
des lieux était « compagnon d’Etienne Marcel. En 1793, son père [de Renée] mourait sur l’échafaud, après avoir salué la République de
tous ses enthousiasmes de bourgeois de Paris, dans les veines duquel coulait le sang révolutionnaire de la cité. Lui-même était un de ces
républicains de Sparte, rêvant un gouvernement d’entière justice et de sage liberté. » Béraud n’hésite pas à donner « sa démission de
président de chambre, en 1851, lors du Coup d’Etat ». Face à la prolifération des fastueuses bâtisses de l’Empire, l’hôtel Béraud est
le symbole chancelant d’une République mourante. Les deux hôtels du roman s’opposent donc en tout point : les antagonismes
spatiaux, moraux et politiques expliquent que le père de Renée « ne venait jamais à l’hôtel du parc Monceau ».
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Le temps
Le Second Empire
Le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon Bonaparte s’empare du pouvoir par un coup d’Etat. Prenant le nom de Napoléon III, il instaure
le Second Empire. Comme l’a relaté Zola dans le premier volume des Rougon-Macquart, La Fortune des Rougon, et avant lui Hugo
dans Les Châtiments, l’armée prend place dans les rues et en expulse le peuple, à Paris comme en province. Les libertés disparaissent
et l’idéal républicain s’effondre. Le Second Empire est donc en place quand commence La Curée. L’Empereur apparaît en personne
dans le texte au chapitre 3, lors d’un bal donné aux Tuileries. Paré de ses décorations, le « Prince […] fixe […] ses regards sur Renée
et admire en elle la “fleur à cueillir”. » La politique de Napoléon III se veut une politique d’austérité : il s’agit en théorie de rétablir un
ordre moral dissolu. Ainsi, l’hypocrisie et la mascarade sociales couvrent les débauches et les luxures les plus criantes. Le personnel
impérial du roman zolien est à cet égard éloquent : le baron Gouraud est un sénateur dépravé, Monsieur de Mareuil « un candidat
perpétuel à la députation » (chapitre 1), les hommes d’affaires Toutin Laroche, Mignon et Charrier des entrepreneurs enrichis et mal
dégrossis, les femmes du monde se confondent avec les demi-mondaines. Au chapitre 4, Renée se rend chez Blanche Müller, tandis
que Suzanne Haffner et Adeline d’Espanet, surnommées les « deux inséparables », sont supposées homosexuelles. Le Second Empire
est aussi le moment où Paris devient le centre économique du pays et connaît un développement sans précédent. Le prolétariat
émerge, des centaines de « mille [de] terrassiers et maçons » viennent peupler Paris (chapitre 2). La bourgeoisie spécule et les grands
travaux du Baron Haussmann sont en marche.
Les travaux du baron Haussmann
La période du Second Empire est marquée par la réalisation des grands travaux haussmanniens. Préfet de la Seine de 1853 à 1869, le
baron Haussmann s’attelle à transformer Paris par des travaux spectaculaires. Zola donne à voir cette métamorphose urbaine dans
La Curée. Haussmann entend remodeler la capitale afin de faciliter déplacements et mobilité, mais aussi pour prévenir et canaliser
les éventuelles révolutions. Les vieux quartiers sont rasés et leurs ruelles étroites et tortueuses disparaissent pour laisser place à
des avenues rectilignes. Ces gigantesques travaux entraînent une activité économique débordante.Tandis que les ouvriers s’affairent,
les bourgeois profitent des retombées de cette « pluie d’or ». Au chapitre 2, Saccard explique à sa première femme, Angèle, les
modifications spatiales en cours : « on a coupé Paris en quatre. […] La grande croisée de Paris, comme ils disent. Ils dégagent le Louvre
et l’Hôtel de Ville. Jeux d’enfants que cela ! […] Quand le premier réseau sera fini, alors commencera la grande danse. Le second réseau
trouera la ville de toutes parts. » Il lui dévoile ses rêves de fortune : « Plus d’un quartier va fondre et il restera de l’or aux doigts des gens
qui chaufferont et remueront la cuve. » Saccard compte bien être de ces spéculateurs. L’affaire des terrains de Charonne l’accapare
d’ailleurs tout au long du roman. Plus que la moralité de sa femme, c’est de sa signature qu’il se préoccupe (chapitre 6).
Les personnages
Saccard ou « la note de l’or »
Avec Renée, Saccard est le personnage principal de La Curée. Présent à chaque chapitre, son portrait physique est succinct : « petit,
laid, noirâtre », la « mine chafouine » et les « jambes grêles » dessinent grossièrement un portrait peu flatteur. Du point de vue moral,
Saccard est un personnage monolithique placé sous le signe de l’or. Symbole de la « spéculation furieuse d’une époque », affairé à
faire « jaillir des millions » (chapitre 2), il naît d’une compilation de figures historiques : les frères Péreire et Haussmann ont en effet
pu inspirer Zola. Saccard cherche avant tout l’argent et non le Bien. Ses affaires se révèlent souvent véreuses : sans remords, il
dupe « la Ville, l’état, et sa femme » (chapitre 4) en faisant preuve d’une imagination féconde pour monter des coups. Au chapitre 5,
dans l’affaire de Charonne, il invente un « conte à dormir debout » pour obtenir son argent. La couleur de Saccard, c’est donc l’or.
La récurrence de cette couleur dans la description de l’hôtel Saccard (chapitre 1) et la métaphore alchimique qui traverse le
texte le disent de façon obsédante. Si Saccard est fort en affaires, il est à l’inverse un père et un mari démissionnaires. Il incarne
en cela la perversité morale du Second Empire. Il laisse Renée avoir des amants, sortir dans des lieux peu fréquentables (chapitre
4). Il ne réagit pas face à l’inceste (chapitre 6) et n’a jamais éduqué son fils (chapitre 3). Il s’impose comme le parfait reflet des
préoccupations matérialistes d’une époque décadente.
Cependant, Saccard peut apparaître comme une figure héroïque dans La Curée. Dynamique et actif, il prend son destin en main.
L’ambition et le désir de conquête le taraudent. « Homme décidé à franchir tous les fossés » et doté d’une forte volonté de puissance,
il s’élève socialement jusqu’à opérer « une vraie prise de possession » de Paris (chapitre 2). De Rougon, il devient Saccard. Son arme
n’est autre que sa rapacité. Gagner de l’argent est une chasse féroce : avec son « museau de fouine » (chapitre 1), ses « appétits
de loup » et d’« oiseaux de proie » (chapitre 2), il participe pleinement à la « curée ardente » (chapitre 3) qui se joue à Paris. Son
dynamisme conquérant lui assure une place dominatrice dans la narration. Manipulateur, il déclenche les principaux événements
narratifs : son mariage avec Renée au chapitre 2 et celui de Maxime et Louise au chapitre 6.
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Le pouvoir de Saccard est néanmoins à nuancer car le personnage a ses faiblesses. Comme tous les Rougon-Macquart, il subit le
poids de l’hérédité : c’est de son « sang des Rougon » qu’il tient « l’appétit de l’argent » et le « besoin de l’intrigue » (chapitre 2). Le
milieu dans lequel il évolue détermine aussi son caractère. La capitale favorise l’éclosion de ses tendances profondes : « Aristide
Saccard avait enfin trouvé son milieu. Il s’était révélé grand spéculateur, brasseur de millions ». Comme Macbeth, des voix lui crient : « Tu
seras riche » (chapitre 2). Saccard est aussi manipulé par les siens : Eugène, son frère ministre, lui donne des ordres et lui dicte
sa conduite. Mais Saccard doit avant tout se défier de lui-même : son imagination trop productive lui fait inventer des histoires
invraisemblables qui sentent le soufre et manquent de ruiner ses entreprises, « conte à dormir debout qu’il venait d’inventer à Renée »
(chapitre 5). Pour résumer, on peut qualifier Saccard de colosse aux pieds d’argile.
Renée ou « la note de la chair »
Dans son ébauche de La Curée, Zola écrit : « J’ai voulu montrer […] le détraquement cérébral d’une femme dont un milieu de luxe et de
honte décuple les appétits natifs. » Renée est donc cette « fleur du Second Empire » vouée à une fatale dégénérescence. Femme-fleur :
tel est l’aspect métaphorique sous lequel Renée apparaît le plus souvent dans le roman. Malgré une légère myopie, l’épouse de
Saccard est une belle femme aux cheveux blonds dont le « corps souple » a des « airs de garçon » (chapitre 1). Elégante et racée, elle
suscite l’admiration et le désir masculins. A la fin du chapitre 3, au bal des Tuileries, l’Empereur lui-même pose son regard sur elle
et la voit en « mystérieux œillet panaché noir et blanc ». Renée n’hésite d’ailleurs pas à exciter les désirs : plus que de la couvrir, ses
toilettes la dénudent et exhibent son corps désirable. Au chapitre 3, lors de leur première rencontre, Maxime suggère d’échancrer
sa dentelle et pose sa main sur la poitrine de sa belle-mère. Renée s’enivre du parfum de la fête impériale et sa vie tourbillonnante
finira par la conduire à la névrose. Déjà fragilisée par des carences affectives liées à son enfance, la jeune femme se détraque au
contact d’un milieu pervers et malsain.
Durant son enfance, Renée n’a goûté aucun bonheur. Elle perd sa mère à l’âge de huit ans et son éducation se fait en pension. A
l’adolescence, elle est violée et, déclarée coupable, forcée d’épouser un homme qu’elle n’aime pas (chapitre 2). Jetée dans un monde
de plaisirs, la jeune femme ne parvient pas à résister à l’influence de ce milieu décadent. La belle fleur se rend dans tous les lieux à la
mode : chez Blanche Müller, au Café Riche, chez le couturier Worms, au Théâtre Italien (chapitres 2, 4 et 5). Elle mène une vie frivole,
goûte des « jouissances inconnues » et croque finalement « le fruit défendu » en cédant à Maxime (chapitre 4). Ayant « choi[si] le
mal », la tête de la jeune aristocrate se détraque : au Théâtre Italien, alors qu’elle assiste à une représentation de Phèdre, elle plonge
dans un « rêve douloureux » avant que « [t]out [ne] se détraqu[e] dans sa tête » (chapitre 5). Le miroir dans lequel elle se regarde
au chapitre 6 lui renvoie l’image d’une femme ridée dont le front porte une « meurtrissure » et dont l’esprit se dérègle. Ainsi, elle
voit « deux apparitions sortir des ombres légères de la glace » : Maxime et Saccard, qui, armés d’outils de forgerons, la façonne tel un
« métal précieux ». Sa folie ne cesse d’évoluer : dans un dérèglement final, Renée s’éteint d’une méningite aiguë (chapitre 7). Femme
pitoyable par sa faiblesse, Renée accède au terme du roman au statut de victime tragique. Objet choisi et manipulé par Saccard (elle
est son faire-valoir et sa principale réserve d’argent), Renée est cette « nouvelle Phèdre » que le destin écrase et broie.
Maxime ou la médiocrité
Du trio central, il est le personnage le moins présent et le moins consistant. Totalement absent du chapitre 2, peu de pages lui
sont entièrement consacrées. Quand Zola le fait apparaître, c’est souvent pour évoquer les rapports qu’il entretient avec son père
ou Renée. Ce personnage falot n’acquiert pas de réelle autonomie narrative. Maxime est jeune et beau. Tel Narcisse, qu’il incarne
d’ailleurs dans la représentation théâtrale du chapitre 6, il se plaît à se regarder en classe dans la glace (chapitre 3). Il a un « air féminin
de demoiselle », un « balancement des hanches d’une femme faite ». L’« effémination de tout son être » en fait un « hermaphrodite ».
Physiquement indéterminé et ambigu, Maxime l’est aussi sur le plan moral. Le jeune homme est le symbole de la dégénérescence
morale et intellectuelle du Second Empire. Il connaît une jeunesse dorée qui le plonge dans la paresse et la mollesse. Son
« tempérament neutre », son oisiveté (« Il se moquait de Saccard, il le trouvait très bourgeois de se donner autant de peine pour gagner un
argent qu’il mangeait, lui, avec une si adorable paresse ») lui donnent l’air bête et creux : « deux trous bleus, clairs et souriants, des miroirs
de coquette, derrière lesquels on apercevait tout le vide du cerveau » (chapitre 3).
Dénué de sens moral, Maxime a le goût du plaisir et de la débauche : il fréquente le Café Riche, se rend chez Blanche Müller et
embrasse sans vergogne sa belle-mère. Chez lui, le vice a une racine naturelle et originelle : « Le vice en lui parut même avant l’éveil
des désirs. » Maxime est un faible. Tel un lâche, il accable Renée quand son père découvre l’inceste : « c’est elle », s’exclame-t-il au
chapitre 6. De plus, il est marqué par l’hérédité. Il a hérité des appétits du père et de la mollesse de la mère (chapitre 3).
Maxime est condamné à n’être qu’un personnage secondaire, manipulé par tous. Par Renée tout d’abord, qui prend immédiatement
le dessus sur le plan sexuel : « elle guettait Maxime, cette proie renversée sous elle, qui s’abandonnait, qu’elle possédait tout entière »
(chapitre 4). Manipulé aussi par Saccard, Maxime accepte passivement de se marier avec Louise (chapitre 4) puis de prêter de
l’argent à son père (chapitre 6) : « M’apporteras-tu demain les cent mille francs ? » Décadence, mollesse et faiblesse définissent
Maxime et en font un être de la dégénérescence.
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Les thèmes et les enjeux
La curée ou les « appétits lâchés »
Zola donne à son roman un titre métaphorique : le mot « curée » renvoie à un terme de vénerie qui désigne la partie de la bête
que l’on donne en pâture à la meute, sur le cuir même de la bête que l’on vient de dépouiller. Par extension, dès le XVIe siècle, la
curée désigne une ruée avide vers les biens, les places et les honneurs laissés vacants par la chute d’un homme.Trois occurrences du
mot sont présentes dans le roman : « ses narines battaient, son instinct de bête affamée laissait merveilleusement au passage les moindres
indices de la curée chaude dont la ville allait être le théâtre » (chapitre 2) ; « c’était l’heure de la curée ardente » (chapitre 4) ; « elle ne se
sentait pas d’indignation pour les mangeurs de curée » (chapitre 6).
Ce terme est avant tout symbolique et métaphorique : La Curée est le récit d’un dépeçage. La curée symbolise l’époque de folie et
de honte qu’est le Second Empire. Ainsi, après avoir dépecé la République, les comparses de Napoléon III s’en partagent les restes
fumants. Les entrepreneurs Saccard, Charrier et Mignon, tels des vautours, des oiseaux de proie affamés, se ruent sur Paris pour lui
faire des « entailles » et lui ouvrir les veines « à coup de hache » (chapitre 2). Napoléon III lui-même dépèce de ses regards remplis
de « lueurs fauves » le corps de Renée au bal des Tuileries tout comme Saccard, avec ses « tenailles », dégrafe le corsage de sa femme
qui se retrouve « sans un lambeau » (chapitre 6). Titre programmatique dont Zola file les connotations tout au long du roman, La
Curée peint la fureur d’une époque où les « appétits de jouissance » se déchaînent.
La critique du Second Empire
Tout comme dans La Fortune des Rougon, La Curée observe avec minutie la toile de fond historique. Le premier volet des RougonMacquart racontait le « guet-apens du Coup d’Etat », le second relate l’épanouissement du Second Empire. Des travaux haussmanniens
(chapitres 1, 2 et 7) aux lieux de divertissement à la mode (chapitres 4, 5 et 7), c’est toute la société impériale qui parade dans La
Curée. Une véritable galerie de portraits y défile. Au chapitre 1, lors de la promenade au Bois de Boulogne et du dîner chez Saccard
ou au chapitre 6 lors du bal de la mi-carême, les piliers de l’Empire, hommes politiques (Hupel de la Noue, le baron Gouraud, M. de
Saffré, le député Haffner, M. de Mareuil), hommes d’affaires (Toutin Laroche, Mignon et Charrier) et femmes du monde (Suzanne
Haffner et Adeline d’Espanet, la comtesse Vanska, Mme de Lauwerens, la duchesse de Sternick) se donnent la réplique dans une
vaste comédie sociale. Ces personnages secondaires servent la dénonciation du régime impérial, de son fonctionnement pervers
et de sa corruption morale. Suzanne Haffner et Adeline d’Espanet, « les deux inséparables », s’aiment d’amours homosexuelles.
Monsieur de Mareuil est obnubilé par la députation tandis que Mignon et Charrier trempent dans des affaires véreuses… Tous ces
« grands » ne sont que des profiteurs du régime ou des dépravés.
Plus qu’un motif réaliste, le fond historique se décline sur le mode satirique. La satire est d’abord politique, avec la stigmatisation de
la collusion entre le pouvoir et les intérêts financiers. L’intérêt et la quête de l’enrichissement personnel priment sur les convictions.
L’argent est un nouveau Dieu, rouage politique désormais essentiel. Et Mignon d’affirmer que « quand on gagne de l’argent, tout est
beau » (chapitre 1).Toute pensée ou conscience politique a disparu. La « guerre du Mexique », dans le chapitre 6, devient un sujet de
badinage, traité sur le mode de la plaisanterie. Finalement, les hommes de l’Empire ne pensent qu’à baffrer pour mieux engraisser.
Ils se jettent sur le monde comme ils se « ru[ent] sur les pâtisseries et les volailles truffées » lors du bal de la mi-carême (chapitre 6).
La satire morale et intellectuelle de la société impériale résonne aussi. Voué à la fête, le « tohu-bohu » impérial tourne au
divertissement de mauvais goût. Le refus de la culture est patent : les panneaux de la salle à manger des Saccard sont vides, le
propriétaire « ayant reculé devant une dépense purement artistique » (chapitre 1) ; Maxime ne garde de son éducation qu’une « religion
pour la toilette » (chapitre 3) ; les chanteurs fredonnent des airs minables tels que « Ah, il a des bottes, il a des bottes, Bastien », « Ohé,
les petits agneaux » ou « J’ai un pied qu’i r’mue » (chapitre 6). Tout respire donc la grossièreté et la vulgarité. De plus, la dépravation
est de mise. Luxure et prostitution, amours lesbiennes, homosexualité masculine (Baptiste, « c’étaient les palefreniers qu’il aimait »,
chapitre 7) et inceste (chapitre 4) salissent le théâtre impérial, dominé non par des tragédies sublimes mais par des vaudevilles
mesquins. Zola entendait faire de Renée une « nouvelle Phèdre ». Mais c’est une Phèdre dégradée et salie qui s’avance sur la scène
de l’Empire. La Phèdre racinienne subissait les foudres divines et mourait torturée par la culpabilité et le poids de sa faute. Renée,
elle, choisit de céder à Maxime et n’en éprouve du remords que par intermittences. Le Second Empire, répétition falote de l’Empire
qui avait si glorieusement ouvert le siècle, le clôt sur le mode mineur du grotesque.
Réception et postérité du texte
La Curée est rédigée entre mai et juillet 1870. Le 29 septembre 1871, le deuxième volume des Rougon-Macquart paraît en feuilleton
dans La Cloche et fait scandale. Le Parquet suspend la parution du texte pour raisons morales. Par amitié pour ce journal qui lui
assure une grande part de ses revenus, Zola ne souhaite pas aller jusqu’au procès qui lui aurait pourtant fait de la publicité. Pour
que La Cloche ne soit pas saisi et interdit de parution, il obtempère, non sans maugréer : « une société n’est forte que lorsqu’elle met
la vérité sous la grande lumière du soleil ». En 1871, La Curée paraît en librairie chez Lacroix, mais ne trouve pas son public. Zola
révise son texte et fait paraître une seconde édition chez Charpentier, qui vient de s’attacher par contrat les services du romancier.
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Cette édition n’est pas plus remarquée que la première. Barbey d’Aurevilly s’insurge contre « l’indécence voluptueuse, l’indécence
polissonne » à l’œuvre dans le roman. Jules Lemaître reproche à Zola de montrer les « volontés obscures de monstres ».
Il faudra attendre plusieurs années pour que des articles signés Huysmans ou Maupassant fassent l’éloge du roman. Aujourd’hui,
justice est rendue au texte : La Curée est souvent considéré par la critique comme le meilleur roman de Zola, avant L’Assommoir.
Document historique et sociologique sur les grands travaux haussmanniens et les mœurs dépravées du Second Empire, La Curée
se prête aussi à des lectures psychanalytiques.
En 1887, le roman a fait l’objet d’une adaptation théâtrale intitulée Renée et rédigée par Zola lui-même. Une adaptation
cinématographique italienne, de Baldassare Negroni, et une Française, de Roger Vadim ont été réalisées. Renée y est jouée par Jane
Fonda, Saccard par Michel Piccoli et Maxime par Peter Mac Enery.
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