Diagnostiquer une anémie par carence martiale

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Diagnostiquer une anémie par carence martiale
Anémies par carence martiale1
Item 222 : Diagnostiquer une anémie par carence martiale
l'attitude thérapeutique et planifier le suivi du patient.
- Argumenter
Introduction
- Les anémies par carence martiale (ou ferriprives) sont les plus fréquentes
des anémies.
- Elles affectent toutes les tranches d'âge dans tous les pays, développés ou
non.
- Chez les adultes des pays développés, dans 90% des cas, la carence est due à
un excès de perte par saignement chronique.
- Chez le nourrisson, la carence est le plus souvent due à un défaut d'apport.
On estime que plus d'un demi-milliard d'individus dans le monde ont une carence
martiale plus ou moins prononcée. Dans les pays en voie de développement,
jusqu'à 80% des habitants des milieux ruraux ont une anémie ferriprive. Aux
USA, 20% des femmes ont des réserves en fer nulles et la moitié d'entre elles
présentent une anémie. Une étude dans la région parisienne révèle une anémie
ferriprive chez 12% des nourrissons âgés de 10 mois.
Rappel physiopathologique
L'essentiel du fer est réparti entre l'hémoglobine des hématies (≅ 3 g) et
le fer de réserve cellulaire (ferritine) contenu dans les hépatocytes, les
érythroblastes et les macrophages (≅ 1 g). Ces réserves sont variables selon les
circonstances physiologiques, dont l'âge. Un déséquilibre prolongé entre apports
et besoins en fer, quelle qu'en soit la cause, amenuise progressivement le stock
de fer de l'organisme :
- le premier stade est celui d'une déplétion martiale isolée avec diminution du
stock de fer mis en réserve dans les tissus : la ferritine sérique baisse
- lorsque les réserves en fer sont épuisées, la déplétion martiale retentit sur
l'hématopoïèse, avec successivement : baisse du fer sérique et élévation de la
transferrine (ou sidérophiline), diminution de la quantité d'hémoglobine dans
les hématies (TGMHb ou CCMHb), augmentation de l'indice de dispersion des
hématies (RDW) ou anisocytose, microcytose, diminution du taux
d'hémoglobine et baisse de la production des réticulocytes
- à terme, la carence martiale se traduit donc par une anémie microcytaire,
hypochrome, non régénérative.
1
Dr P LAHARRAGUE (Laboratoire d’Hématologie)
Le fer est un constituant majeur de l'hème. Après épuisement des réserves, la
sidéropénie entraîne une diminution de la synthèse de l'hémoglobine dans les
érythroblastes et une augmentation du nombre des mitoses dans la lignée
érythroblastique, se traduisant par la production d'hématies de petite taille
(microcytose) et peu chargées en hémoglobine (hypochromie). Le fer entre aussi
dans la composition de la myoglobine, des cytochromes des mitochondries, et est
un cofacteur de nombreuses enzymes : la carence martiale profonde retentit sur
d'autres tissus (muscles, phanères, muqueuses) et perturbe l'activité physique,
intellectuelle et le comportement.
Les étiologies
* La cause la plus fréquente est la perte de fer par saignement chronique
: la disparition quotidienne de plusieurs milliards de globules rouges (10 ml de
sang contiennent 5 mg de fer !) épuise progressivement les stocks en fer de
l’organisme que le fer alimentaire ne suffit pas à remplacer. Les points de départ
de ces saignements se retrouvent le plus souvent à deux niveaux :
. appareil génital chez la femme.
. tube digestif dans les deux sexes.
Les épistaxis, les gingivorragies, les hématuries microscopiques ne peuvent à
elles seules expliquer une anémie par carence martiale. A saignements
comparables, la carence martiale est plus rapide et plus profonde chez la femme
en période d'activité génitale (moindres réserves liées aux pertes menstruelles
et aux grossesses).
Dans cette recherche, l’interrogatoire joue un rôle fondamental :
modifications de l’état général.
troubles digestifs récents.
menstruations : rythme, augmentation de la durée, volume des pertes
causes iatrogènes :
le stérilet +++
les médicaments : aspirine, anti-inflammatoires,
anticoagulants (causes favorisantes ou déclenchantes).
L’examen clinique (palpation abdominale, TV, TR) sera complété par
certains examens à prescrire de façon logique et raisonnée (échographie,
endoscopie digestive).
- Lésions hémorragiques du tube digestif :
Estomac : cancer +++
ulcère gastroduodénal +++
varices œsophagiennes de l’HTP
gastrites hémorragiques
hernie hiatale avec œsophagite
Colon :
cancers +++
polypes
recto-colite hémorragique
Grêle :
tumeurs
angiomes
Ankylostomiase en pays tropical.
Hémorroïdes
Micro saignements des sportifs de haut
niveau.
- Lésions gynécologiques :
Ménorragies fonctionnelles en préménopause
Stérilet
Fibrome utérin
Cancers.
* Les hyposidérémies carentielles sont un fléau dans les pays “sousdéveloppés” où le fer est apporté en quantité insuffisante par une l’alimentation
à base de féculents et pauvre en protides animaux. En France sont exposés à ce
risque :
. le nourrisson (grande pauvreté en fer du régime lacté)
. la femme enceinte (surtout après grossesses rapprochées et répétées)
et ceci d’autant plus que l’environnement socio-économique est défavorable.
On rencontre assez souvent chez la femme jeune Européenne, en période
d’activité génitale, des hyposidérémies avec anémie microcytaire où les
composantes hémorragiques (règles régulières ou discrètement abondantes) et
carentielles s’additionnent. L’interrogatoire fait apparaître chez ces malades des
erreurs diététiques : pas ou peu de viande (le fer héminique animal est le mieux
absorbé parmi toutes les sources en fer), peu de pain et autres céréales, excès
de produits affinés et cuits, excès de thé (puissant chélateur du fer
alimentaire).
* Les malabsorptions digestives de cause gastrique ou intestinale peuvent
être également en cause en dehors de tout régime carencé ou de toute
hémorragie, par exemple la maladie cœliaque.
Les symptômes cliniques
- ceux du syndrome d’anémie chronique (voir question sur les anémies)
- ceux en rapport avec la cause du saignement (signes d’ulcère gastrique, par
exemple)
- ceux en rapport avec l’hyposidérémie prolongée :
. peau sèche et rugueuse
-
. alopécie diffuse modérée
. koïlonychie : ongles fendillés, fragiles, concaves
. glossite : langue rouge, dépapillée, sensible aux mets acides
. parfois dysphagie
l'asthénie résulte à la fois de l'anémie et du déficit en fer
Une splénomégalie modérée peut s'observer, surtout chez l'enfant. Des troubles
du comportement alimentaire sont fréquents (par exemple, géophagie). Ces
signes disparaissent rapidement avec le traitement martial.
Les signes biologiques
- anémie :
. microcytaire
. hypochrome
. peu régénérative si elle dure longtemps
. souvent associée à une discrète thrombocytose
- hyposidérémie importante avec augmentation de la transferrine, ou
- ferritine effondrée
- le myélogramme est inutile
Avec quelles anémies peut-on confondre les anémies par carence martiale ?
* Anémies inflammatoires
Les syndromes inflammatoires quels qu’ils soient (infection, collagénose, cancer
profond, intervention chirurgicale) entraînent une anémie modérée avec
hyposidérémie. C’est dans les pays développés le grand problème de diagnostic.
La prescription de fer est inutile et inefficace.
Fer sérique
Transferrine (Tf)
Ferritine
Perls au myélogramme
Récepteurs de la Tf
Déplétion martiale
↓
↑
↓
pas de fer
↑
Anémie inflammatoire
↓
↓
normale ou ↑
normal ou ↑
↓
* Toutes les anémies microcytaires ne sont pas dues à une
hyposidérémie. En particulier, les thalassémies mineures ou hétérozygotes qui
s’observent autour du bassin méditerranéen (bêta) et en Afrique Noire ou Asie
du Sud-Est (alpha).
Cette anomalie n’entraîne aucun symptôme clinique dans sa forme hétérozygote.
Il s’agit d’une anomalie purement biologique qui associe :
- une anémie modérée microcytaire avec anisocytose, peu régénérative
- un nombre de globules rouges augmenté avec, parfois, des hématies à
ponctuations basophiles
- une sidérémie normale ou augmentée, une ferritine normale ou augmentée
- un excès d’hémoglobine A2 à l’électrophorèse de l’hémoglobine dans la bêta
thalassémie
- une électrophorèse normale dans l’alpha thalassémie
Une telle anomalie ne justifie aucune thérapeutique et, en particulier, aucune
administration de fer.
Bien entendu, une déplétion martiale peut être associée à une thalassémie (dans
ce cas l'électrophorèse de l'hémoglobine dans la bêta thalassémie peut être
normale).
Le traitement des anémies par carence martiale se situe à trois niveaux :
- Toujours traiter la cause d'une perte en fer quand cela est possible :
- ménorragies : traitement local, contraceptifs oraux
- saignements gastriques : traitement médical des ulcères ou
chirurgical des autres causes de saignement chronique
- ablation de polypes ou de cancers du colon
- traitement d'hémorroïdes hémorragiques
- arrêt de don du sang.
- S’assurer d’un apport alimentaire en fer suffisant (foie, viandes rouges et
blanches, poissons, légumes secs, fruits secs, œufs).
- Prescription de sels ferreux pour recharger les stocks de l’organisme.
* Principes
- Toutes les spécialités actuelles sont faites de sels ferreux, bien mieux
assimilés que les sels ferriques. L’absorption quotidienne du fer est
quantitativement limitée : elle correspond à la dose de 150 mg ou 200 mg de fer
métal (et non de sel de fer) par jour. Une dose supérieure est inutile car non
absorbée.
- Il faut prescrire 4 à 6 mois de traitement pour arriver à recharger les
stocks tissulaires en fer (soit en pratique 3 mois de plus qu’il ne faut de temps à
l’hémoglobine pour redevenir normale ou jusqu’à ce que l’hypochromie ait disparu)
jusqu’à ce que la ferritine soit redevenue normale.
- Les causes d’échec du traitement peuvent être :
. une insuffisance de posologie quotidienne
. une insuffisance de la durée du traitement +++
. une non compliance au traitement (troubles digestifs fréquents)
. l’absence de correction de la cause du saignement
. une achlorydrie associée (fréquence de la gastrite achlorydrique associée,
favorisant une malabsorption partielle du fer ingéré).
- Tous les sels ferreux sont mieux absorbés le matin à jeun, mais c’est à
ce moment qu’ils entraînent le maximum de signes d’intolérance digestive :
brûlures gastriques, nausées, vomissements. La tolérance est améliorée par
l’absorption en milieu de repas. Fréquente également est la diarrhée ou au
contraire la constipation. Constante enfin est la coloration noire des selles.
- L’importance des signes d’intolérance digestive, le risque que le malade
ne prenne pas ses comprimés de fer pour des raisons psychiatriques et la
malabsorption sont les seules rares indications à l’utilisation des formes
injectables (assez peu efficaces avec les préparations actuelles et beaucoup plus
onéreuses).
-Il faut enfin proscrire les sulfates ferreux chez le nourrisson,
responsables à cet âge de syndromes cholériformes.
* Moyens
Aucun sel ferreux n’a fait la preuve de sa supériorité ou de sa meilleure
tolérance sur les autres. L’essentiel est de bien connaître le maniement de 2 ou 3
spécialités. Il ne faut pas prescrire certaines associations de fer avec des
vitamines et autres composés ; le coût en est augmenté, mais non l’efficacité,
souvent d’ailleurs au prix d’une posologie unitaire en fer insuffisante. Il n'existe
pas actuellement de médicament générique.
Proposition de spécialités
Tardyferon®
Fumafer® (poudre)
pour le nourrisson
2 comprimés par jour (60 kg)
2 à 4 cuillérées dose/jour (poudre chocolatée)
* Résultats
Si le diagnostic est exact (ce n’est pas une anémie inflammatoire), les
anémies hyposidérémiques vraies vont se corriger avec la prescription d’une
thérapeutique martiale correcte.
. l’hyposidérémie se corrige en quelques jours (toujours doser le fer avant la
prescription de sels ferreux ou de transfusions)
. les réticulocytes augmentent dès le 6 ou 8ème jour
. l’hémoglobine augmente de 1 g par semaine
. l’hypochromie disparaît rapidement alors que la microcytose ne diminue
vraiment qu’après 3 à 4 semaines
. la ferritine basse et l’augmentation de la Tf sont parmi les derniers à se
corriger
• Doit-on transfuser ces malades ? Non ! Sauf cas exceptionnels liés
essentiellement à la mauvaise tolérance clinique. Le risque transfusionnel parait
en effet disproportionné eu égard à la constante efficacité d’une thérapeutique
martiale bien conduite. Si le malade ne peut attendre la durée nécessaire à la
remontée de l’hémoglobine, on peut faire passer 2 à 3 unités de concentrés
globulaires.
• Le traitement préventif des carences martiales de la grossesse est justifié
chez les femmes exposées (émigrées des pays en voie de développement et
multipares).
Dans la pratique on retiendra….
1- Les anémies par carence martiale (ou ferriprives) sont les plus fréquentes des
anémies. Elles affectent toutes les tranches d'âge dans tous les pays,
développés ou non. Chez les adultes des pays développés, dans 90% des cas, la
carence est due à un excès de perte par saignement chronique. Chez le
nourrisson, la carence est le plus souvent due à un défaut d'apport.
2- La cause la plus fréquente est la perte de fer par saignement chronique. Le
point de départ de ce saignement se retrouve essentiellement à l'un des deux
niveaux : génital chez la femme et tube digestif dans les deux sexes. Les
épistaxis, les gingivorragies, les hématuries microscopiques ne peuvent à elles
seules expliquer une anémie par carence martiale.
3- Le syndrome inflammatoire quelle qu'en soit l'origine (infection, collagénose,
cancer profond, intervention chirurgicale) entraîne une anémie modérée avec
hyposidérémie, sans diminution de la ferritine sérique. C’est, dans les pays
développés, le grand problème de diagnostic. La prescription de fer est alors
inefficace et inutile. Toutes les anémies microcytaires ne sont pas liées à une
diminution du fer sérique.
C'est le cas des thalassémies mineures ou
hétérozygotes qui s’observent autour du bassin méditerranéen (ß-thalassémie),
en Afrique Noire et en Asie du Sud-Est (α-thalassémie).
4- Le traitement se situe à trois niveaux : supprimer la cause de la perte de fer
quand cela est possible, s’assurer d’un apport alimentaire en fer suffisant et
prescrire un sel ferreux pour recharger les stocks de l’organisme. Il faut
prescrire 4 à 6 mois de traitement pour arriver à recharger les stocks
tissulaires en fer (soit en pratique 3 mois de plus qu’il n'en faut pour que
l’hémoglobine revienne à la normale ou que l’hypochromie ait disparu) et que la
ferritine soit redevenue normale. Si le diagnostic est exact (ce n’est donc pas
une anémie inflammatoire), les anémies par carence martiale sont normalement
corrigées par la prescription d’une thérapeutique martiale correcte. Dans les
conditions normales, l’hémoglobine augmente de 1 g par semaine.

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