Du fer – trop ou pas assez?

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Du fer – trop ou pas assez?
«Du fer – trop ou pas assez?»
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tion réd
édac
actionnelle avec:
en collaboration
rédactionnelle
Forum Médical Suisse
Swiss Medical Forum
Schweizerisches Medizin-Forum
Par ce projet,
et
soutiennent le travail quotidien
des médecins de famille.
Les sponsors n’ont aucune influence sur le contenu de la formation.
La formation n’est pas liée à des produits.
Conseil scientifique:
Prof. Photis Beris
Prof. Reto Krapf
Dr Edy Riesen
Prof. Rolf A. Streuli
Prof. AndréTichelli
Prof. Walter A. Wuillemin
Les textes sont basés sur les articles de formation suivants:
«Surcharge en fer secondaire aux transfusions» de Laura Infanti et Reto Krapf,
paru dans Forum Med Suisse 2009;9(23):417–420
«Carence martiale sans anémie – un sujet brûlant?» de Ferdinand Martius,
paru dans Forum Med Suisse 2009;9(15–16):294–299
Photos: page de couverture et page 2 © Knorre / Dreamstime.com
page 8 © Aniram / Dreamstime.com
Le fer en intraveineuse – pomme du
péché ou pomme de la connaissance?
Edy Riesen
Les après-midi, je parcourais une vaste commune paysanne de l’arrière-pays
lucernois pour arriver vers une ferme ou un hameau lointain, au volant de la VW
coccinelle que la fille du médecin de campagne devait louer à chaque fois auprès
d’une agence. C’était le début des années 70, deux ans avant mon examen d’Etat.
L’aimable assistant de section responsable de mon stage pratique m’avait convaincu
d’effectuer mon premier remplacement au cabinet médical. La femme du médecin
de campagne, très capable par ailleurs, allait m’y introduire. Je m’attelai donc
au travail, avec la fougue de la jeunesse et sous le régime sévère de l’épouse du
médecin (ce dernier séjournait dans sa maison de vacances). Il est des moments
que l’on n’oublie jamais, c’est bien connu.
Je me souviens comme si c’était hier de la grosse seringue de vingt millilitres qu’il
me fallait remplir de vitamine du complexe B, de strophantine et de fer. Le bénéficiaire de ce formidable cocktail était l’ancien postier du hameau, un petit homme
sec à la chevelure clairsemée, souffrant d’insuffisance cardiaque et d’anémie. Le
docteur M. était persuadé que ces injections intraveineuses hebdomadaires étaient
très bénéfiques à son patient.
Pendant trente ans environ, le fer en intraveineuse disparut ensuite dans l’oubli.
Durant tout ce temps, je me reprochai parfois tout bas d’avoir commis une erreur.
Lorsque les nouvelles solutions injectables de fer pour voie intraveineuse apparurent sur le marché, il y a quelques années, et surtout à partir du moment où elles
ont commencé à être appliquées en routine quotidienne, j’ai de nouveau ressenti
une certaine réserve face à l’utilisation de fer sans restriction par voie intraveineuse.
Mais mon collègue déjà longtemps décédé est ainsi définitivement réhabilité à titre
posthume, et avec lui l’étudiant sans expérience que sa conscience avait inutilement
rongé pendant de longues années.
Mûrir dans sa profession est une belle expérience. La vue d’ensemble sur plusieurs
décennies de médecine nous enseigne comment les doctrines et les principes les
plus consacrés partent au rebut et comment d’anciennes théories réapparaissent
comme par miracle. Toute arrogance est vaine: Adam déjà avait dû en faire l’amère
expérience dans l’Eden, lorsqu’il fut forcé d’abandonner sa pratique phytothérapeutique (attention à la pomme!). Je voudrais bien savoir lesquelles de nos doctrines
nos descendants rejetteront dans cinquante ans. Car si une chose est certaine, c’est
bien qu’ils le feront.
Article paru dans PrimaryCare 2009; 9: N° 13
A la suite des premiers séminaires, PrimaryCare donnera un compte rendu des ateliers.
1
Surcharge en fer secondaire
aux transfusions
Le plus important en bref pour non-hématologues
Introduction
Heureusement peu de patients souffrant de pathologies hématologiques telles
que syndromes myélodysplasiques, thalassémies et autres, mais toujours plus
avec l’augmentation de l’espérance de vie, ont besoin de transfusions régulières
d’érythrocytes pour leur survie d’une part, et de l’autre pour conserver une qualité
de vie acceptable. L’arrivée de l’érythropoïétine a pratiquement éliminé les transfusions pour les patients en insuffisance rénale terminale et fait régresser massivement l’ancien grand problème de la surcharge en fer secondaire aux transfusions.
L’organisme humain dispose d’un système efficace et restrictif pour prévenir une
surcharge en fer diététique. Si les réserves de fer sont suffisantes, le foie synthétise
l’hepcidine, une protéine inhibant la résorption duodénale de fer par internalisation
de la ferroportine, protéine transportant le fer. Le fer une fois dans l’organisme
ne peut cependant pas être efficacement éliminé ni surtout régulé. 1 mg de fer
seulement sort de l’organisme chaque jour par les épithéliums desquamés cutanés
et intestinaux.
Lors de la transfusion d’un culot érythrocytaire, 200–250 mg de fer parviennent
dans l’organisme, et le même nombre de jours sera nécessaire à leur élimination.
En cas de transfusions itératives et nécessaires d’érythrocytes, la surcharge en
fer – en l’absence de traitement – est une conséquence aussi obligatoire que
calculable.
100 transfusions provoquent une surcharge en fer d’environ 20 g. La surcharge
en fer après transfusions peut de même se développer beaucoup plus rapidement qu’avec une surcharge en fer primitive telle que dans l’hémochromatose.
L’exemple suivant l’illustre bien: alors que les patients ayant des formes homozygotes d’hémochromatose résorbent 2–3 fois plus de fer que les personnes
normales (exception la forme rare de l’hémochromatose juvénile), la transfusion
d’un culot érythrocytaire fournit très rapidement 100 fois plus de fer à l’organisme
qu’une résorption intestinale normale pendant un seul jour.
2
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Conséquences de la surcharge en fer transfusionnelle
Si les réserves de fer augmentent, il se produit tout d’abord une saturation complète
de la transferrine et ensuite de la ferritine, protéine de stockage intracellulaire.
Si ces mécanismes tampons sont épuisés, le fer se lie à d’autres molécules circulantes (non-transferrin-bound iron [NTBI]), ce qui provoque une accumulation de
complexes ferriques réactifs à l’intérieur de cellules parenchymateuses. Lors du
transfert d’électrons entre molécules de fer de valences différentes (Fe3+ et Fe2+), il se
forme des radicaux libres extrêmement réactifs tels qu’hydroxyles et oxygènes, avec
lésions d’organes subséquentes. Les organes endocriniens tels que l’hypophyse,
la thyroïde, les cellules des îlots pancréatiques et les gonades notamment sont
atteints. Parmi les organes parenchymateux, ce sont d’abord le cœur et le foie
qui sont touchés. Fait cliniquement important, de nombreux patients ayant une
surcharge en fer significative peuvent rester asymptomatiques. Les symptômes
initiaux sont souvent peu spécifiques: fatigue, arthralgies, intolérance au glucose,
éventuelle perte de libido. La figure 1 illustre la relation entre concentrations
sériques de ferritine et lésions d’organes prévisibles. Contrairement à l’hémochromatose héréditaire, dans laquelle l’atteinte parenchymateuse évolue sur
des années, dans la surcharge en fer secondaire à l’apport de transfusions la relation temporelle n’est pas clairement établie, mais les lésions peuvent se produire en
quelques années seulement. C’est pour ces raisons que le contrôle régulier des réserves
de fer est capital pour la prévention d’une toxicité chronique du fer, parfois
irréversible.
Diagnostic de la surcharge en fer
Le tableau 1 présente les instruments diagnostiques d’une surcharge en fer. Le
standard est toujours la biopsie hépatique, mais les techniques d’imagerie telles
que la résonance magnétique et autres donnent une bonne corrélation entre les
concentrations tissulaires de fer et les atteintes organiques potentielles. En règle
Figure 1
Relation entre concentration sérique de ferritine
et importance et conséquences de la surcharge
en fer.
1250
1000
Ferritin
(μg/l)
750
500
250
Valeur nominale
Augmentation Augmentation
du fer
du fer
hépatique
corporel
Lésions
d’organes
Cirrhose hépatique,
insuffisances
d’organes
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générale, il suffit de doser la concentration sérique de ferritine. Dans l’interprétation, il faut tenir compte du fait que la ferritine peut être augmentée pour d’autres
raisons, du fait qu’elle est un «marqueur» de l’inflammation en phase aiguë lors de
maladies intercurrentes. En dehors de ces limitations, la concentration de ferritine
est non seulement le test diagnostique le plus important, mais aussi le meilleur
paramètre de l’évolution sous traitement, et elle est toujours le meilleur témoin de
l’importance des réserves de fer.
Tableau 1. Diagnostic de la surcharge en fer.
1 Taux sérique de ferritine
2 Biopsie hépatique
3 Résonance magnétique du foie et du cœur
4 SQUID (Superconducting Quantum Interference Device)
Prévention et traitement de la surcharge en fer
Le tableau 2 présente les aspects les plus importants d’une stratégie de prévention
de la surcharge en fer. La mesure de prévention la plus importante – compte tenu
de la situation clinique globale du patient – est une stratégie de transfusion avec
retenue: «Le moins possible, mais autant qu’il faut».
Tableau 2. Prévention de la surcharge en fer secondaire aux transfusions.
1 Tenir compte des taux d’hémoglobine dans les recommandations de transfusions:
a Transfusions si hémoglobine <7 g/dl ou patient symptomatique
b Pas de transfusions si hémoglobine >10 g/dl et patient asymptomatique
c Décision individuelle (comoborbidités) si hémoglobine entre 7 et 10 g/dl
2 Traitement par érythropoïétine s’il est possible et efficace
3 Traitement par chélateur du fer si ferritine >1000 μg/l
Traitement par chélateur du fer
Trois chélateurs du fer sont admis en Suisse, dont les caractéristiques majeures
sont présentées aux tableaux 3 et 4. Tout traitement par chélateur du fer est compliqué et onéreux. Pour le dosage optimal d’un chélateur du fer, il faut tenir compte
aussi bien de l’objectif du traitement (réduction resp. stabilisation des réserves de
fer) que de la fréquence de transfusion. Le déroulement du traitement est contrôlé
régulièrement (mensuellement à trimestriellement) par la mesure de la ferritine.
Tous les chélateurs du fer ont montré un effet dose-dépendant avec la mobilisation
du fer. En outre, la déféroxamine ainsi que les chélateurs du fer oraux comme le
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Tableau 3. Indications des chélateurs du fer admis en Suisse.
Déféroxamine Monothérapie pour la formation de chélates dans la surcharge en fer chronique,
(Desféral®)
p.ex. hémosidéroses post-transfusionnelles telles qu’elles se présentent dans la
thalassémie, l’anémie sidéroblastique, l’anémie auto-immune et d’autres anémies
chroniques; hémochromatose idiopathique (primitive) chez des patients dont la maladie concomitante (p.ex. grave anémie, cardiopathie, hypoprotéinémie) exclut toute
saignée; surcharge en fer accompagnant une porphyrie cutanée tardive chez des
patients chez lesquels une saignée n’est pas possible. Traitement de l’intoxication
aiguë au fer. Traitement de la surcharge chronique en aluminium chez des patients en
insuffisance rénale terminale (en dialyse chronique) avec ostéopathies à l’aluminium
et/ou encéphalopathie des dialysés et/ou anémie à l’aluminium. Pour le diagnostic de
la surcharge en fer et en aluminium.
Défériprone
(Ferriprox®)
Traitement de la surcharge en fer chez des patients thalassémiques chez lesquels un
traitement par déféroxamine est contre-indiqué ou inapproprié. Traitement combiné
avec le Desféral® en cas d’hémochromatose sévère avec atteinte cardiaque.
Déférasirox
(Exjade®)
Traitement de l’hémosidérose post-transfusionnelle.
Tableau 4. Caractéristiques des chélateurs du fer admis en Suisse.
Déféroxamine
(Desféral®)
Défériprone
(Ferriprox®)
Déférasirox
(Exjade®)
Dose journalière usuelle
(mg/kg/jour)
25–60
75
20–30
Mode d’administration
Sous-cutanée/
intraveineuse
8–12 (24) heures,
5 jours/semaine
Orale, 3 fois par jour
Orale, 1 fois par jour
Demi-vie
20–30 minutes
3–4 heures
8–16 heures
Elimination
Urine, selles
Urine
Selles
Principaux effets
indésirables
Réactions cutanées y c.
urticaire, rares:
cataracte, cécité,
mucomycose,
infections à yersinies
Arthralgies, troubles
gastro-intestinaux,
rarement: augmentation des enzymes
hépatiques, très
rares: neutropénie/
agranulocytose
Troubles gastro-intestinaux (env. 20%),
exanthèmes (env.
10%), cytopénies,
pertes d’audition,
cataracte, discrète
insuffisance rénale
Coûts mensuels
(individu de 75 kg)
1100–2150 CHF (plus
frais de personnel,
de perfusion, etc.)
1520 CHF
2846–4270 CHF
11
3–5
Nombre de comprimés
journaliers (individu
de 75 kg)
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déférasirox et le déférriprone peuvent empêcher resp. réduire la surcharge de fer
dans le foie et le cœur.
L’administration de déféroxamine est compliquée, elle impose une injection
sous-cutanée ou intraveineuse sur plusieurs heures (par ex. la nuit). Ceci explique
la mauvaise compliance des patients et du même fait les échecs thérapeutiques.
Mais cela mis à part, la déféroxamine est généralement très bien tolérée. La
mobilisation du fer peut être augmentée par l’acide ascorbique (vitamine C).
Les baisses de vision et d’audition doivent être prévenues par des doses limitées à moins de 2500 mg par perfusion. Un effet indésirable rare et curieux,
non spécifique des spécialités orales, est la susceptibilité aux mucormycoses et
yersinioses.
Le premier chélateur du fer oral, la défériprone (Ferriprox®) a comme effet indésirable, même s’il est rare, de provoquer une neutropénie en principe réversible, mais
pouvant aller jusqu’à l’agranulocytose (env. 0,5 cas pour 100 années de traitement),
et quelques décès ont été signalés. Il est en outre toujours suspecté que ce médicament stimule la fibrose hépatique et cardiaque. Bien qu’il soit relativement meilleur
marché que ses concurrents, le nombre de comprimés à prendre jour après jour
est un stress non négligeable pour les patients.
Quelques petites études montrent que l’association déféroxamine-défériprone peut
mobiliser davantage de fer que les doses maximales de chacun de ces médicaments
seul, mais l’inconvénient est que leurs effets indésirables s’additionnent.
Tableau 5. Contrôles du traitement de déférasirox (Exjade®).
Paramètre
Fréquence des contrôles
Nombre de transfusions
En permanence
Ferritine sérique
Chaque mois, adaptation de la dose tous les
3–6 mois sur la base des variations de la ferritine
Créatininémie
Double dosage au départ; pendant le premier
mois de traitement ou après modifications
chaque semaine; ensuite chaque mois
Protéinurie/albuminurie
Mensuels
Tests hépatiques
Transaminases, bilirubine et phosphatase
alcaline au départ, puis toutes les 2 semaines
pendant le 1er mois et ensuite chaque mois
Hématologie
Hématocrite, leucocytes et thrombocytes
mensuels
Examens ORL et ophtalmologiques
Un examen au départ, puis annuel
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La spécialité la plus pratique pour les patients est actuellement le déférasirox
(Exjade®), dont la dose journalière est de 3–5 comprimés, mais c’est également
la plus chère du marché pour cette indication (tab. 4). Il a été démontré qu’à une
dose de 20 mg/kg/jour il parvenait à stabiliser les réserves de fer, en fonction de
la fréquence des transfusions (bilan nul, apport = mobilisation), et qu’à une dose
de 30 mg/kg/jour il permettait d’atteindre une mobilisation nette du fer. Des études
à long terme sur plus de bientôt 5 ans de suivi montrent que la dose journalière
doit être titrée tous les 3–6 mois en fonction des variations du taux de ferritine.
Malgré cette très longue période de suivi, des recommandations ont été émises sur
le contrôle adéquat d’effets indésirables potentiels néphrotoxiques, hématotoxiques,
ototoxiques et ophtalmotoxiques apparemment non progressifs (tab. 4). Au début du
traitement tout au moins, les effets indésirables gastro-intestinaux tels que nausée,
vomissement et douleurs abdominales sont relativement fréquents, avec 20%, et
10% pour les réactions cutanées pouvant aller jusqu’à la vasculite leucocytoclastique.
En résumé, la surcharge en fer est un problème rare des transfusions à long terme,
mais important pour les patients et leurs médecins, exigeant un traitement et
des contrôles permanents. Tous les traitements sont chers. Pour la déféroxamine
parentérale le mode d’administration est compliqué, mais ce médicament est bien
toléré pour ce qui est de ses effets indésirables. La défériprone orale peut provoquer
des agranulocytoses. Le déférasirox est le médicament le plus facile à utiliser, mais
son prix est très élevé, ses effets indésirables gastro-intestinaux et cutanés sont
fréquents en début de traitement et il requiert un contrôle à long terme.
Références recommandées
– Cappellini MD. Long-term efficacy and safety of deferasirox. Blood Reviews. 2008;22(Suppl 2):S35–S41.
– Masche UP. Deferasirox. Pharma-Kritik. 2006;2:6.
– Murphy MF, et al. British Committee for Standards in Haematology, Blood Transfusion Task Force.
Br J Haematol. 2001;113:24–32.
– Cohen AR, et al. Effect of transfusional iron intake on response to chelation therapy in thalassemia major.
Blood. 2008;111:583–94.
– Matmani M, et al. Influence of iron chelators on myocardial iron and cardiac function in transfusiondependent thalassaemia: a systematic review and meta-analysis. Br J Haematol. 2008;141:882–90.
– Demarmels-Biasutti F. Regulation des Eisenstoffwechsels. SMF. 2009, sous presse.
– Compendium suisse des médicaments. www.kompendium.ch.
– Déférasirox: Pennell DJ, Porter JB, Cappellini MD, Li C-K, Aydinok Y, et al. Efficacy and safety of deferasirox
(Exjade) in reducing cardiac iron in patients with β-thalassemia major: Results from the cardiac substudy
of the EPIC trial. In ASH Annual Meeting, San Francisco, USA, 6–9 December 2008; Blood (ASH Annual
Meeting Abstracts) 2008 112: Abstract 3873.
– Défériprone: Pennell DJ, Berdoukas V, Karagiorga M, Ladis V, Piga A, et al. Randomized controlled trial of
deferiprone or deferoxamine in beta-thalassemia major patients with asymptomatic myocardial siderosis.
Blood. 2006;107(9):3738–44.
Le texte de cette brochure est une version complétée et actualisée par R. Krapf et E. Weber (Novartis Pharma
Suisse) de l’article de formation paru dans Swiss Medical Forum SMF no 23/2009. Vous trouverez le texte
intégral sous www.medicalforum.ch.
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Carence martiale sans anémie
Conséquences non hématologiques de la carence martiale:
lesquelles sont confirmées, quand sont-elles importantes?
Le sujet «carence martiale sans anémie» est à la fois actuel et controversé. Avec
l’arrivée de spécialités de fer parentéral bien tolérées la discussion a pris de
l’ampleur.
Bases théoriques
Le fer total chez un homme en bonne santé est de 3,5–4 g, 2,5–3 g chez une femme.
Il se compose d’env. 1200 mg de réserves, lié à la ferritine ou à l’hémosidérine,
le reste étant du fer fonctionnel: 2500 mg dans l’Hb, 150 mg dans la myoglobine,
80 mg de fer libre intracellulaire, 8 mg de fer enzymatique. Le segment du transport
comporte env. 3 mg de fer lié à la transferrine, déplacé env. 8 fois par jour, c.-à-d.
passant des réserves du SRE (système réticulo-endothélial) dans l’érythropoïèse.
Cette dernière consomme donc chaque jour quelque 25 mg de fer. Les pertes intestinales quotidiennes sont de 1–2 mg, la résorption intestinale précisément réglée est
donc de 1–2 mg chez les hommes et les femmes postménopausées, de 3–4 mg chez
les préménopausées. 1 mg de fer résorbé par jour (30 mg/mois) peut compenser
une perte menstruelle d’env. 70 ml.
Le fer joue un rôle dans de nombreuses protéines de l’organisme comme transporteur d’oxygène ou catalyseur par déplacement d’électrons, et il peut se trouver
sous différentes constellations chimiques (tab. 1).
Tableau 1. Quelques protéines et enzymes contenant du fer.
Protéine/enzyme
Nom
Fonction
Protéines hémiques
(fer dans le cycle porphyrine)
Hémoglobine
Myoglobine
Cytochromes
Cytochrome-oxydases
Peroxydases
Catalases
Transport et stockage d’O2,
respiration cellulaire, détoxication,
protection contre le stress
oxydatif
Molécules de fer-soufre
Aconitase
Enzyme du cycle de l’acide
citrique et régulatrice du métabolisme du fer
Flavoprotéines ferriques
Cytochrome-réductases
NADH-déhydrogénase
Acyl-CoA-déhydrogénase
Xanthine-oxydase
Succinyl-déshydrogénase
Métabolisme énergétique
Métabolisme des purines
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Le manque de fer peut se classer dans trois grandes catégories:
1 Epuisement des réserves en cas de bilan négatif du fer.
2 Réserves de fer vides sans anémie. Certaines réactions métaboliques dépendant
du fer peuvent être altérées. Synonymes: carence martiale sans anémie, nonanemic iron deficiency, mild iron deficiency.
3 Anémie ferriprive manifeste.
Des études épidémiologiques effectuées en Europe et en Amérique montrent qu’env.
15% des femmes en âge de procréer remplissent les critères d’une carence martiale
sans anémie, dont 3% env. ont une anémie ferriprive manifeste.
Effets non hématologiques de la carence martiale sans anémie
Dans quelle mesure les effets non hématologiques de la carence martiale sans
anémie sont importants en clinique sera brièvement illustré ci-dessous. Pendant
longtemps la carence martiale sans anémie a fait l’objet de recherches en médecine
du sport surtout, dans le but d’optimiser les prestations des athlètes.
Force musculaire et endurance
Des expérimentations animales élégantes ont été réalisées dans les années 1970
déjà. Des rats recevant une alimentation pauvre en fer et anémiques ont été transfusés pour atteindre une hémoglobine de 6 g/dl, et d’autres ayant des réserves
pleines ont été exsanguino-transfusés pour atteindre la même valeur. Dans le
cylindre rotatif, les deux groupes ont couru moins de 10 minutes avant d’être
épuisés. Ensuite de quoi les deux groupes ont été ramenés à des valeurs normales
d’Hb. Le groupe ayant ses réserves pleines a amélioré son endurance à 20 minutes,
l’autre est resté à 10 minutes. Ce n’est pas le manque de myoglobine mais d’a-glycérophosphate mitochondrial qui fut en corrélation avec la performance réduite.
Mais ces expériences chez l’animal ne sont pas transposables telles quelles à la
situation de la carence martiale sans anémie, car la carence en fer tissulaire était
beaucoup plus importante.
La plupart des études d’intervention se consacrent aux performances musculaires
et à l’endurance. Le fait que la production d’ATP dépende du fer donne une explication plausible à l’effet du Fe. Quelques anciennes études ne montrent aucun effet,
mais celles de ces 15 dernières années montrent en général une amélioration des
fonctions musculaires sous substitution de fer dans la carence martiale sans anémie.
Avec l’administration de fer par voie orale, l’aveugle est cependant difficile à cause
de la coloration des selles.
Le fer standard dans les études est le FeSO4, mais il faut bien savoir si la dose est
donnée en mg de FeSO4 ou en mg de fer élémentaire. 100 mg de FeSO4 contiennent
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20 mg de fer élémentaire et inversement 80 mg de fer élémentaire par exemple
correspondent à 400 mg de FeSO4 (y c. eau de cristallisation). D’autres sels de fer
(fumarate, glycinate) sont équivalents.
Fonctions cognitives et comportement
Une grave carence martiale pendant la vie intrautérine et durant l’enfance provoque
un retard de croissance et du développement du SNC. Cette carence est souvent
associée à d’autres déficits nutritionnels, ce qui fait qu’une estimation isolée est
difficile. Ce n’est que chez les enfants de plus de 2 ans qu’une intervention thérapeutique a permis d’obtenir une amélioration.
Restless legs syndrome (RLS)
Une relation entre RLS et réserves de fer abaissées a été postulée depuis longtemps,
de même que les expériences positives avec le fer par voie orale. Dans le SNC le
fer joue un rôle dans le métabolisme de la dopamine (tryptophane-hydroxylase)
et la myélinisation des gaines nerveuses. Une grande étude chez des patients RLS
a cependant montré des paramètres normaux du fer dans le sang périphérique.
L’hypothèse actuelle est plutôt qu’une partie des patients RLS ont une perturbation
du transport du Fe à travers la barrière hémato-encéphalique, pouvant être corrigée
partiellement par des doses pharmacologiques de fer.
Alopécie
Des associations à la carence martiale sans anémie ont été recherchées dans les
alopécies androgénétique, circonscrite et diffuse (effluvium télogène chronique).
Les résultats de ces travaux sont contradictoires. Des études d’intervention n’ont
malheureusement porté que sur des collectifs très restreints. Un essai de traitement
par voie orale en cas de taux de ferritine bas est certainement parfaitement justifié.
Thermorégulation
Les patients en carence martiale sans anémie réagissent à l’exposition au froid par
une sécrétion de noradrénaline et une consommation d’oxygène plus importantes
que les personnes ayant des réserves de fer normales. Cette anomalie est encore
plus marquée dans l’anémie ferriprive. Tels sont les résultats d’une étude chez
21 volontaires plongés pendant 1 heure dans un bain refroidi de 36 à 28 degrés.
Les auteurs postulent un découplage mitochondrial de la phosphorylation oxydative
comme étiologie possible. Il n’y a aucune autre étude semblable.
Susceptibilité aux infections
S’il y a une grave carence martiale, les fonctions des lymphocytes et granulocytes
sont perturbées. La séquestration du fer est d’autre part l’une des principales armes
de l’organisme pour lutter contre les bactéries. Ces mécanismes opposés donnent
eux aussi des arguments contradictoires sur le status optimal du fer pour les défenses anti-infectieuses, surtout sous les tropiques. En France, une grande étude
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prospective chez des femmes en âge de procréer n’a montré aucune différence de
susceptibilité aux infections entre les groupes carence martiale (ferritine 8,2 ± 4,0 µg/l)
et bonnes réserves de fer (ferritine 46,1 ± 12,8 µg/l). Chaque groupe comptait
quelque 400 femmes. Cette étude associative n’a elle aussi montré pratiquement
aucune différence entre tous les paramètres examinés dans ces deux groupes.
Fatigue
La fatigue est un motif de consultation fréquent en ambulatoire et est actuellement en Suisse l’indication la plus courante à un traitement de fer dans le groupe
carence martiale sans anémie. La seule étude récente sur cette question est donc
particulièrement souvent citée, elle a été réalisée à Lausanne. Des femmes sans
anémie (Hb >117 g/l) mais se plaignant d’une fatigue d’étiologie indéterminée
ont été traitées en double aveugle soit par 80 mg de fer soit par placebo. Le taux
de ferritine n’a pas été un critère d’admission. 85% des sujets avaient des valeurs
<50 µg/l et 51% <20 µg/l. Ont été exclues les femmes présentant d’autres pathologies psychiques ou somatiques, de même que celles souffrant d’un syndrome de
fatigue chronique. Le principal paramètre a été la mesure de la fatigue sur une
échelle visuelle analogique de 1–10.
Après 1 mois de traitement, 136 sujets du groupe fer ont ressenti une diminution
de leur fatigue de 6,4 à 4,5 (29%), et ceux du groupe placebo de 6,5 à 5,6 (13%),
résultat significatif. Le score d’anxiété a suivi la même voie, mais le changement
du score de dépression n’a pas été significativement différent entre les deux
groupes. L’analyse de sous-groupes a montré que les différences n’ont été notables
que chez les femmes ayant une ferritine <50 µg/l.
Diagnostic de la carence martiale sans anémie
Anamnèse
Les règles sont les mêmes que pour l’anémie ferriprive manifeste, à consulter
dans les manuels de médecine interne et d’hématologie, surtout pour les listes des
sources d’hémorragie possibles. Comme la carence martiale est souvent multifactorielle, 4 facteurs doivent être systématiquement recherchés:
1 Besoins accrus: fin de la phase de croissance? Grossesses, accouchements et
avortements passés et actuels? Durée de l’allaitement?
2 Habitudes alimentaires: viandes et poissons? Fruits/jus de fruits? Grandes quantités d’inhibiteurs de la résorption du fer (thé, café, substances de lest végétales,
calcium)?
3 Trouble de la résorption: problèmes de poids, ballonnements, diarrhées, intolérances alimentaires? Anamnèse familiale de sprue ou de diabète de type 1?
Opérations sur l’estomac, prise d’antiacides de toutes classes? Status d’H. pylori.
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4 Pertes excessives de fer: épistaxis prolongé, hématémèse, méléna, macrohématurie, hémoptysie? Anamnèse de reflux et d’ulcère. Sports d’endurance, de haut
niveau, dons de sang. Ménarche, durée et intensité des règles, contraception
(pilule ou spirale)?
Des travaux récents montrent que la présence de l’Helicobacter pylori, même
sans ulcère ni gastrite manifestes, peut provoquer une carence martiale réfractaire au fer par voie orale. Les mécanismes n’en sont pas encore définitivement
éclaircis. La gastrite atrophique auto-immune avec hypoacidité, de même que tous
les antiacides, mais surtout les inhibiteurs de la pompe à protons, empêchent la
résorption du fer mais ne provoquent à eux seuls que rarement une carence martiale manifeste. Il ne faut pas non plus sous-estimer l’incidence de la sprue. Dans
plusieurs études elle est de 5% des patients ayant une anémie ferriprive refractaire
à la thérapie. Chez les femmes postménopausées et les hommes de >40 ans, une
endoscopie gastro-intestinale est obligatoire, sinon uniquement en cas de suspicion.
En plus d’une alimentation pauvre en fer, les pertes menstruelles sont de loin en
tête chez les patientes en carence martiale sans anémie. Mais elles sont notoirement difficiles à estimer. Plus de 80 ml est considéré comme ménorragie. Les points
suivants peuvent être des indices de règles anormalement fortes:
–
–
–
–
Tampons seuls insuffisants
Plus de 12 serviettes/règle (ou plus de 4/jour)
Emission de volumineux caillots (>2 cm) ou leur persistance le 2e jour
Durée >7 jours
Les stérilets sans gestagènes augmentent les pertes sanguines, les contraceptifs
les diminuent.
Laboratoire
Les paramètres hématologiques et chimiques permettant de caractériser plus
précisément une situation de carence martiale seront décrits dans un autre article.
Pratiquement toutes les études citées ne portent que sur le taux de ferritine et
l’Hb. La ferritine est mieux validée que le standard de la coloration du fer de la
moelle osseuse pour calculer les réserves de fer. Des taux <15 µg/l sont hautement
spécifiques de réserves vides, avec 15–30 µg/l les réserves sont épuisées ou presque,
avec 30–50 µg/l les données ne sont pas unanimes et à partir de 50 µg/l les réserves
sont suffisantes.
Comme la ferritine est également une protéine de phase aiguë, dont la concentration augmente dans les réactions inflammatoires et les lésions du parenchyme
hépatique, il faut au moins doser parallèlement la CRP et l’ALAT. Si l’un de ces
paramètres est augmenté, la ferritine ne peut pas être représentative des réserves
de fer car elle est relativement trop élevée. Cette constellation impose une recherche
de l’étiologie avant tout éventuel traitement de fer.
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Traitement
Changement d’alimentation
Il est possible d’augmenter les réserves de fer par le seul conseil diététique et un
changement de l’alimentation, mais il faut beaucoup de patience et les pertes continuelles ne doivent pas être trop importantes. Plus de poissons et de viandes, de
fruits et jus de fruits, et il est indiqué de diminuer les inhibiteurs de la résorption du
fer: thé, café, substances de lest végétales, produits laitiers et autres aliments riches
en calcium et en phosphates ne doivent pas être consommés en même temps que
les repas principaux riches en fer. Les casseroles en fonte sont à favoriser à celles
en aluminium (particulièrement efficace pour les mets acides). C’est une bonne
option pour les patientes ne voulant ni comprimés ni infusions.
Traitement de fer oral
S’il s’agit d’une carence martiale sans autre pathologie, la résorption intestinale
du fer est stimulée au maximum et au lieu des 10% normaux 20–40% du fer ingéré
seront résorbés. Le fer par voie orale est bon marché et sûr, c’est donc toujours le
standard du traitement de substitution. Son effet est plus lent il est vrai que celui
du traitement parentéral, mais dans une carence martiale sans anémie – jamais
une urgence médicale – il est suffisamment rapide. La résorption est optimale à
jeun, soit 1 heure avant les repas principaux. Le fer bivalent est mieux résorbé
que le trivalent car il n’a pas besoin d’être réduit. Mais il est moins bien toléré. Une
concentration élevée de protons améliore la résorption. La présence de substances
en augmentant la solubilité, comme l’acide ascorbique et les protéines animales,
est avantageuse. La liste des monopréparations autorisées en Suisse se trouve au
tableau 2.
Tableau 2. Monopréparations au fer autorisées en Suisse.
Substance active
Nom commercial
Chlorure de fer (II)
Ferrascorbin®
Fumarate de fer (II)
Ferrum Hausmann®
Fumarate + gluconate de fer (II)
Duofer®
Lufer®
Complexe glycine-sulfate de fer
ferro sanol®
Sulfate de fer (II)
Aktiferrin®
Ferro Gradumet®
Tardyferon®
Fe-III
– Hydroxyde ferrique FE (III) polymaltose
Maltofer®
– Carboxymaltose ferrique
Ferinject®
Fer sous forme d’hydroxide de fer-saccharose
Venofer®
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La mauvaise tolérance gastro-intestinale (ballonnements, douleurs, constipation)
est prise comme argument contre les comprimés de fer. L’incidence des effets indésirables en pratique clinique est d’env. 20%. Dans plusieurs études la proportion
d’interruptions à cause d’effets indésirables fut en moyenne de l’ordre de 5%, à
peine inférieure dans les groupes placebo. Il ne faut donc jamais renoncer a priori
à un essai de traitement par voie orale. Une dose progressive de 80–100 mg la
première semaine est recommandée, avant de donner la dose totale de 200 mg.
En cas d’intolérance il est possible de changer de spécialité, éventuellement avec
du fer trivalent, ou de la prendre avec les repas. Sous traitement de fer oral, il
est en tout temps possible de doser la ferritine pour en apprécier le résultat. Une
ascension de 10 µg/l correspond à une augmentation des réserves de fer d’env.
100 mg.
S’il n’y a pas d’ascension de l’hémoglobine (ou de la ferritine dans la carence
martiale sans anémie) malgré plusieurs semaines de traitement oral, une réévaluation s’impose: pertes permanentes sous-estimées? Aliments liant le fer? Interférence médicamenteuse? Sprue? Infection par H. pylori? Gastrite auto-immune?
Compliance?
Traitement de fer intraveineux
Correctement administrées, les nouvelles spécialités disponibles en Suisse n’ont
que très rarement – mais pas jamais! – d’effets indésirables sérieux. Une indication parfaitement posée reste de mise. Dans la carence martiale sans anémie,
l’indication n’est donnée qu’en cas d’intolérance documentée, de malabsorption ou
de mauvaise compliance non corrigible. Comme ce n’est pas le fer de l’Hb qui
doit être substitué, il faut 500–1000 mg pour remplir les réserves, fractionnés en
doses de 200 mg (Fe-Saccharose) ou en 1–2 doses pour le Fe-carboxymaltose. Un
contrôle de la ferritine n’est indiqué qu’après 8–12 semaines, vu que pendant les
premières semaines suivant l’injection i.v. il se produit une ascension passagère
mais marquée de la ferritine sérique, sans corrélation avec la quantité de fer
en réserve. Les doses suivantes seront fonction des pertes estimées (100 ml de
sang avec un hématocrite de 0,35 contiennent 35 mg de fer) ou mieux du taux de
ferritine.
Il n’y a aucune preuve rationnelle de l’intérêt de l’injection de fer si la ferritine est
>50 µg/l. Dans le syndrome métabolique avec insulinorésistance, compte tenu du
fait que les taux de ferritine sont régulièrement élevés même sans constellation
d’hémochromatose, une certaine prudence est de rigueur. Les taux de ferritine
dépendent ici surtout de l’inflammation hépatique et très peu de l’augmentation
du fer, mais quels qu’ils soient les saignées peuvent nettement corriger la résistance à l’insuline. Il est donc parfaitement possible de penser que la manifestation
retardée d’environ 10 ans de l’artériosclérose chez les femmes résulte en partie de
leurs faibles réserves de fer. En évoquant les données négatives pour la substitution
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vitaminique à hautes doses sur la mortalité à long terme, il faut être prudent et
ne pas déborder les mécanismes de régulation sensibles de l’organisme chez des
personnes par ailleurs en bonne santé.
La situation est tout autre dans les pathologies accompagnées d’une carence en
fer fonctionnel: insuffisance rénale chronique, cancers, maladies rhumatismales
inflammatoires et peut-être aussi insuffisance cardiaque grave avec anémie. Chez
ces patients, avec une ferritine sérique normale ou haute, les réserves de fer sont
suffisantes, mais il n’y en a pas ou pas assez pour l’hématopoïèse. Les mécanismes
en cause seront expliqués dans un prochain article. Dans une telle constellation
le fer oral n’a aucun effet, le parentéral par contre agit souvent bien et permet
d’économiser des transfusions. Il s’agit toujours de maladies dans lesquelles les
éventuelles conséquences métaboliques passent au second plan en face de l’amélioration aiguë de la qualité de vie (voir tab. 3).
Tableau 3. Indications bien établies et à l’étude pour un traitement par fer parentéral.
a) Carence martiale pure
Troubles de la résorption du fer (par ex. sprue, résections gastriques et/ou duodénales étendues,
interventions bariatriques)
Pertes de fer ne pouvant être compensées quantitativement par un traitement oral (par ex. ménorragies importantes, hémorragies GI réc. dans la maladie d’Osler)
Anémie sur grave hémorragie du postpartum ou postopératoire
Anémie sur hémorragie chez les témoins de Jéhovah
Intolérance au traitement oral ou mauvaise compliance non corrigible
b) Association carence martiale et autre facteur ou manque de fer fonctionnel
Pathologies intestinales inflammatoires chroniques
Arthrite rhumatoïde
Insuffisance rénale (avec ou sans dialyse), surtout sous érythropoïétine
Anémie ferriprive tumorale
(?) Insuffisance cardiaque grave avec anémie
En résumé, la carence martiale sans anémie est une réalité clinique, les données
sur les performances musculaires sont solides, mais celles pour la fonction cognitive
et la fatigue ne reposent malheureusement que sur de rares travaux. Les patients
ayant des problèmes doivent recevoir un traitement. En fonction des plaintes essentiellement subjectives et de l’important effet placebo, il faut encore quelques
études proprement randomisées et en aveugle, comme Beutler l’avait déjà dit il
y a presque 50 ans.
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Références recommandées
– Streuli R. Ferrum bonum et laudabile (lucrosumque). Schweiz Med Forum. 2008;8(32):563.
– Beutler E, Larsh SE, Gurney CW. Iron therapy in chronically fatigued nonanemic women: a double-blind
study. Ann Intern Med. 1960;52:378–94.
– McCann JC, Ames BN. An overview of evidence for a causal relation between iron deficiency during development and deficits in cognitive or behavioral function. Am J Clin Nutr. 2007;85:931–45.
– Allen RP, Earley CJ. The role of iron in restless legs syndrome. Movement disorders. 2007;22:S440–S448.
– Trost LB, Bergfeld WF, Calogeras E. The diagnosis and treatment of iron deficiency and its potential
relationship to hair loss. J Am Acad Dermatol. 2006;54:824–44.
– Duport N, Preziosi P, Boutron-Ruault M-C, Bertrais S, Galan P, Favier A, et al. Consequences of iron depletion on health in menstruating women. Eur J Clin Nutr. 2003;57:1169–75.
– Verdon F, Burnand B, Fallab Stubi C-L, Bonard C, Graff M, Michaud A, et al. Iron supplementation for
unexplained fatigue in non-anaemic women: double blind randomised placebo controlled trial. BMJ.
2003;326:1124–6.
– Heath AM, Skeaff CM, O’Brien SM, Williams SM, Gibson RS. Can dietary treatment of non-anemic iron
deficiency improve iron status? J Am Coll Nutr. 2001;20:477–84.
– Valenti L, Fracanzani AL, Dongiovanni P, Bugianesi E, Marchesini G, Manzini P, et al. Iron depletion by
phlebotomy improves insulin resistance in patients with nonalcoholic fatty liver disease and hyperferritinemia: evidence from a case-control study. Am J Gastroenterol. 2007;102:1251–8.
– Auerbach M, Coyne D, Ballard H. Intravenous iron: from anathema to standard of care. Am J Hematol.
2008:83;580–8.
Le texte de cette brochure est la version abrégée d’un article de formation continue paru dans Forum Médical
Suisse no 15/2009. Vous trouverez le texte intégral sous www.medicalforum.ch.
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