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G Model REVMED-4350; No. of Pages 6 ARTICLE IN PRESS La Revue de médecine interne xxx (2012) xxx–xxx Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Mise au point Supplémentation en fer : indications, limites et modalités Iron therapy: Indications, limitations and modality J.-B. Arlet a,∗,b,c , J. Pouchot a , S. Lasocki d , C. Beaumont c,e , O. Hermine c a Service de médecine interne, centre de référence des syndromes drépanocytaires majeurs, université Paris-Descartes, Sorbonne Paris-Cité, hôpital européen Georges-Pompidou, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, 20, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France b CNRS UMR 8147, 75015 Paris, France c Laboratoire d’excellence du globule rouge (GR-ex), service d’hématologie adulte, université Paris-Descartes, Sorbonne Paris-Cité, hôpital Necker, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, 161, rue de Sèvres, 75015 Paris, France d UMR CNRS 6214 – Inserm 771, pôle anesthésie-réanimation, université d’Angers, CHU d’Angers, 4, rue Larrey, 49100 Angers, France e Inserm U773, université Paris-Diderot, site Bichat, 16, rue Henri-Huchard, 75018 Paris, France i n f o a r t i c l e Historique de l’article : Disponible sur Internet le xxx Mots clés : Fer Hepcidine Érythropoïèse Anémie par carence martiale Anémie inflammatoire r é s u m é En moins de dix ans, les connaissances sur le métabolisme du fer ont été bouleversées par la découverte de la principale hormone régulatrice du métabolisme du fer de l’organisme : l’hepcidine. Parallèlement, de nouvelles formulations de fer intraveineux (IV) sont disponibles ou le seront prochainement, avec de nouvelles modalités de traitement ou de nouvelles indications. Cet article fait le point des données physiopathologiques récentes permettant une meilleure compréhension de l’anémie inflammatoire et par carence martiale. Les différentes modalités de prise en charge de l’anémie par carence martiale chez l’adulte (apports par voie orale ou intraveineuse) et les nouvelles indications du traitement par fer sont également abordées. Les situations dans lesquelles un traitement par fer pourrait être néfaste sont également discutées. © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne (SNFMI). a b s t r a c t Keywords: Iron Erythropoiesis Hepcidin Iron deficiency Anemia of chronic disease During the past 10 years, the knowledge of iron metabolism has been revolutionized by the discovery of the main regulatory hormone of body iron: hepcidin. Meanwhile, new formulations of intravenous iron have been developed and are already or readily available. In this article, we review the recent pathophysiological mechanisms underlying anemia of chronic disease or due to iron deficiency. We describe the various treatment modalities of iron deficiency anemia using oral or intravenous route and the emerging indications of treatment with iron. Finally, we discuss the situations in which iron supplementation may be harmful. © 2012 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Société nationale française de médecine interne (SNFMI). 1. Introduction Le fer est un micronutriment indispensable au métabolisme cellulaire (synthèse de l’ADN, division cellulaire) et pour de nombreuses réactions enzymatiques [1]. Les cellules de la lignée érythroblastique sont les plus grandes consommatrices de fer de l’organisme. En effet, 200 milliards de nouveaux globules rouges sont produits par jour. Le fer sérique est lié à son transporteur, la transferrine, également appelée sidérophiline. Il pénètre dans ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-B. Arlet). les érythroblastes grâce à un récepteur transmembranaire spécifique : le récepteur à la transferrine (CD71). Le fer est nécessaire à la prolifération et à la différentiation des érythroblastes au même titre que d’autres facteurs de croissance, au premier rang desquels l’érythropoïétine (Epo). Cela explique qu’un déficit prolongé en fer ait pour répercussion une anémie, d’autant que le fer entre également dans la composition de l’hème (structure aromatique entourant un atome de fer, servant au transport de gaz, dont le dioxygène). Celui-ci se lie aux chaînes de globine pour former l’hémoglobine. Les globules rouges circulants contiennent ainsi 70 % du fer de l’organisme. Le reste est retrouvé pour 20 % sous forme de ferritine (protéine de stockage, essentiellement dans les hépatocytes, les cellules de Küpffer et les macrophages spléniques) 0248-8663/$ – see front matter © 2012 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne (SNFMI). http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2012.04.007 Pour citer cet article : Arlet J-B, et al. Supplémentation en fer : indications, limites et modalités. Rev Med Interne (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2012.04.007 G Model REVMED-4350; No. of Pages 6 2 ARTICLE IN PRESS J.-B. Arlet et al. / La Revue de médecine interne xxx (2012) xxx–xxx et pour 10 % couplé à des enzymes, des protéines et à la myoglobine [2,3]. Cependant, parallèlement à son rôle vital pour l’organisme, le fer est également potentiellement toxique, notamment par sa capacité à générer du stress oxydant. Une meilleure connaissance du métabolisme du fer ainsi que des nouveautés thérapeutiques justifient cette mise au point dont l’objectif principal est de mieux préciser les indications et les limites du traitement martial chez l’adulte. Un apport de fer est fréquemment prescrit à tort ou de façon inadéquate (dose insuffisante, mauvaise voie d’administration, durée de prescription inadaptée). Nous discuterons également des indications émergentes de supplémentation martiale et, à l’inverse, de l’intérêt éventuel en cancérologie et hématologie du respect de la carence martiale ou de son induction par chélateurs, en dehors des indications bien définies que sont les surcharges. 2. L’hepcidine, hormone centrale de la régulation du fer et son rôle dans l’inflammation La découverte récente de l’hepcidine, hormone synthétisée par le foie, a bouleversé la compréhension de la régulation du métabolisme du fer [2]. Schématiquement, le fer est échangé entre différents compartiments : • les globules rouges, qui contiennent la majorité du fer de l’organisme (autour de 1800 mg) ; • les macrophages tissulaires, qui récupèrent le fer des globules rouges sénescents et le stockent sous forme de ferritine (environ 600 mg) ou le remettent en circulation pour permettre l’érythropoïèse médullaire ; • la moelle érythropoïétique, qui est le lieu d’utilisation du fer (environ 20 mg/jour). Les échanges entre ces différents compartiments « fonctionnels » s’effectuent sous forme de fer lié à la transferrine au niveau plasmatique. Mais finalement, à un instant donné, la quantité de fer contenu dans le plasma est infime. Parallèlement à ce cycle en circuit fermé, il existe des pertes minimes (de l’ordre de 1 à 2 mg/j) par micro-saignements, desquamations cellulaires, etc. Ces pertes sont, dans des condition physiologiques, compensées par un apport alimentaire du même ordre (fer alimentaire intestinal). Elles peuvent être augmentées, en situation pathologique, lors de saignements gynécologiques abondants, saignements digestifs et lésions vasculaires diverses. L’hepcidine se fixe au seul exporteur membranaire connu du fer : la ferroportine. Ainsi, l’hepcidine diminue l’absorption intestinale de fer et bloque la sortie du fer des macrophages et des hépatocytes grâce à sa liaison et à l’internalisation de la ferroportine [1,4]. L’hypersécrétion chronique d’hepcidine que l’on peut observer dans certaines circonstances pathologiques conduit ainsi à une carence martiale typique [5]. Cette situation est observée dans les très exceptionnelles tumeurs sécrétant de l’hepcidine ou au cours de syndromes inflammatoires associés à une sécrétion pure d’interleukine-6 (IL-6). En effet, l’IL-6 est la principale cytokine inflammatoire stimulant la synthèse hépatique d’hepcidine [6]. Le seul modèle pathologique décrit à ce jour de sécrétion pure d’IL6 est la maladie de Castleman, qui peut, dans certaines formes de la maladie, réaliser un syndrome inflammatoire biologique marqué contrastant avec un tableau de carence martiale (ferritine basse, anémie microcytaire), due à la production chronique d’hepcidine en quantité importante [5]. La cascade IL-6–hepcidine avec pour conséquence la diminution de concentration sérique de fer est activée après quelques heures lorsqu’on injecte de l’IL-6 chez des volontaires sains [6]. Le rôle physiologique de cette régulation fine du métabolisme du fer par la cascade IL-6–hepcidine réside peut-être dans un moyen de défense « naturel et inné » contre les infections. En effet, la carence martiale peut limiter la croissance de nombreux agents infectieux, pour lesquels le fer sérique est un élément indispensable du développement et de la prolifération [7–9]. Cette liaison entre métabolisme du fer et inflammation pourrait être aussi un moyen de lutte contre la prolifération cellulaire maligne (cf. infra). Lors des syndromes inflammatoires, qu’ils soient d’origine infectieuse, auto-immune ou maligne, d’autres cytokines (IL-1, tumor necrosis factor-˛, interféron-!) sont habituellement synthétisées, en plus de l’IL-6. Elles interviennent dans l’entrée du fer dans les cellules du système réticuloendothélial et dans le stockage du fer intracellulaire fixé sur la ferritine, dont la synthèse est augmentée [5,10,11]. Il en résulte donc, pour la majorité des syndromes inflammatoires, une séquestration du fer dans le compartiment « réserve » (augmentation de l’entrée favorisée par les cytokines citées précédemment et sortie bloquée par la cascade Il-6–hepcidine–ferroportine), une baisse de l’absorption digestive de fer (cascade IL-6–hepcidine–ferroportine) et, par voie de conséquence, un déficit dans le compartiment plasmatique. On parle alors de déficit « fonctionnel » en fer pour l’érythropoïèse puisque, à proprement parler, les stocks de fer sont « pleins », mais peu ou pas mobilisables. Le mécanisme de l’anémie inflammatoire qui en résulte est un peu plus complexe puisqu’en plus du déficit fonctionnel en fer, diverses cytokines inflammatoires (tumor necrosis factor-˛, interféron-", IL-1) ont une action inhibitrice directe sur la prolifération et la différentiation des précurseurs érythroïdes, mais aussi sur la synthèse d’Epo et l’expression du récepteur à l’Epo sur les cellules érythroïdes [2,10,12]. À l’inverse, l’explication physiopathologique commune de la plupart des hémochromatoses primitives est le blocage chronique de la sécrétion d’hepcidine et l’augmentation de l’absorption digestive du fer qui en résulte [2]. Ces situations d’hepcidine basse sont rencontrés dans des hémochromatose génétiques : de type 1 (mutations du gène HFE), de type 2 (mutations des gènes de l’hémojuvéline et de l’hepcidine) et de type 3 (mutation des gènes du récepteur 2 à la transferrine [TfR2]). La synthèse d’hepcidine est également régulée négativement dans une autre situation pathologique pouvant aboutir à une hémochromatose non génétique : la dysérythropoïèse. C’est le cas des thalassémies intermédiaires, certaines myélodysplasies de bas grade et les anémie sidéroblastiques [2,7]. Dans ces exemples, les transfusions de concentré globulaire, parfois nécessaires à la prise en charge de la maladie, peuvent être un facteur aggravant l’hémochromatose. 3. Carence martiale et déficit fonctionnel en fer La situation la plus classique justifiant un traitement par le fer est la carence martiale. C’est la cause la plus fréquente d’anémie [12]. En l’absence de syndrome inflammatoire, le diagnostic est facile, reposant sur une ferritinémie inférieure à 20 #g/L [2,7]. Les causes des carences martiales sont dominées par les saignements chroniques, digestifs ou gynécologiques, et beaucoup plus rarement dus à des saignées répétées (prélèvements pour des examens biologiques) ou des saignements volontaires (« asthénie de Ferjol »). Plus rarement également, il s’agit d’une malabsorption intestinale du fer liée à une maladie du tube digestif (maladie cœliaque, maladie inflammatoire chronique intestinale [MICI] ou parasitoses dans des pays à forte endémie). En revanche, la carence martiale due à un défaut d’apport alimentaire isolé n’est pas une cause reconnue, même chez des sujets dénutris ou malnutris. Une alimentation normale apporte en moyenne dix fois plus de fer (10 à 20 mg/j) que ne le permet l’absorption intestinale (environ 1 à Pour citer cet article : Arlet J-B, et al. Supplémentation en fer : indications, limites et modalités. Rev Med Interne (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2012.04.007 ARTICLE IN PRESS G Model REVMED-4350; No. of Pages 6 J.-B. Arlet et al. / La Revue de médecine interne xxx (2012) xxx–xxx 3 2 mg/j) [3,7]. En fait, la majeure partie du fer de l’organisme provient du recyclage du fer héminique des globules rouges sénescents, détruits dans la rate par les macrophages et non de l’apport alimentaire qui ne fait que compenser les pertes liées à la desquamation des muqueuses et de la peau, et aux menstruations. Comme discuté précédemment, dans certaines situations, alors même qu’il n’y a pas, à proprement parler, de carence martiale, le fer, sous forme de réserve, n’est pas disponible où pas assez rapidement mobilisable pour l’érythropoïèse. On parle de « déficit fonctionnel » en fer. Il peut être la conséquence de syndromes inflammatoires chroniques où le compartiment sérique est déficient alors que les réserves sont pleines. C’est aussi le cas des patients traités par Epo (dialysés et patients cancéreux avec ou sans chimiothérapie) qui stimule l’érythropoïèse, nécessitant un apport basal supérieur en fer qui dépasse les capacités de relargage des cellules du système réticuloendothélial. Dans les cas de déficit fonctionnel, la voie orale n’est pas ou peu efficace car l’absorption digestive est freinée par l’augmentation de la synthèse d’hepcidine. C’est dans cette situation que peut être discuté un traitement par fer intraveineux (IV), même si comme nous le verrons, les indications doivent probablement être limitées. femme enceinte chez qui les besoins en acide folique et en fer sont augmentés. Enfin, des traitements associés comme certains antibiotiques (quinolones, cyclines), l-thyroxine, lévodopa, inhibiteurs de la pompe à proton et anti-acides (aluminium, zinc) (liste non exhaustive) peuvent diminuer son absorption digestive [7]. De même, la prise concomitante de théine réduit l’absorption du fer. Le coût du traitement est faible (environ 6 D par mois pour le Fero-Grad® ). L’inconvénient principal du traitement par voie orale est sa relative mauvaise tolérance digestive pouvant concerner jusqu’à 20 % des patients, alors même que les durées de traitement sont longues (constipation ou diarrhée, douleurs abdominales, selles noires et parfois nausées), même si ce sont des effets secondaires mineurs [13]. En cas de mauvaise tolérance, on peut proposer d’autres formulations (existe en comprimé, poudre, sirop), la prise au moment du repas (même si cela diminue l’absorption de 50 %) ou encore la diminution de la dose administrée, avant de discuter un traitement par voie intraveineuse (Tableau 1). 4. Le fer par voie orale 4.2.1. Anémie par carence martiale Tous les patients ayant une anémie par carence martiale prouvée (ferrininémie basse dans la majorité des cas ou saignement récent, comme dans l’anémie aiguë post-hémorragie ou chirurgie) peuvent être traités par voie orale, en plus de la correction de la cause de la perte de fer. 4.1. Comment traiter ? La carence martiale peut et doit être le plus souvent corrigée par voie orale. Il existe plusieurs spécialités disponibles, sous forme de sulfate ou fumarate ferreux (Fe++ ), qui diffèrent entre elles par la quantité de fer qu’elles contiennent et l’adjonction pour certaines de vitamine B9 ou de vitamine C (cette dernière augmente l’absorption de fer) (Tableau 1). Plusieurs remarques sont importantes : • l’absorption du fer par voie orale, comme tout fer alimentaire, est médiocre (de l’ordre de 10 à 20 %). Il faut l’administrer, dans la mesure du possible, à jeun (une heure avant les repas), de préférence le matin, surtout si on utilise des formes galéniques contenant de la vitamine C qui augmente l’absorption du fer, mais qui est aussi un excitant ; • la durée d’une « cure » est de l’ordre de quatre mois pour reconstituer les réserves en fer ; • la dose à administrer est de 150 à 200 mg/j [13]. On peut recommander de ce fait l’utilisation préférentielle du Fero-Grad® (fer : 105 mg et vitamine C : 500 mg) ou Tardyféron® (fer : 80 mg et vitamine C : 30 mg), deux comprimés par jour, plutôt que d’autres formulations qui sont beaucoup moins concentrées (Tableau 1). L’adjonction de vitamine B9 n’a pas de place dans le traitement de la carence martiale isolée, mais reste utile chez la Tableau 1 Différent sels de fer par voie orale disponibles en France (liste non exhaustive). Formulation et concentration en fer. Sulfate ferreux Fero-Grad® Tardyféron® Tardyféron B9® Fumarate ferreux Fumafer® Ferrostrane® Formulation Concentration en fer (mg) Molécule associée Comprimé Comprimé Comprimé 105 80 50 Vitamine C 500 mg Vitamine C 30 mg Acide folique (B9) 350 !g Comprimé Poudre Sirop 66 33 34 – – – Dose journalière recommandée pour la correction de la carence martiale : 150 à 200 mg/j. 4.2. Qui traiter ? Les principales indications sont reprises dans le Tableau 2. 4.2.2. Faut-il traiter des patients carencés mais sans anémie ? Quatre essais randomisés, contre placebo, en double insu, ont évalué l’effet clinique d’une supplémentation en fer par voie orale chez des femmes sans anémie [14–17]. La première, chez 144 femmes adultes (âgées de 18 à 55 ans) suivies en médecine générale pour une fatigue avec carence martiale mais sans anémie, montre un bénéfice statistiquement significatif sur la fatigue d’un traitement d’un mois par Tardyféron® (80 mg/j) [15]. Ce bénéfice est limité aux patientes ayant une ferritinémie dans des valeurs basses (inférieure ou égale à 50 !g/L). Cette étude rejoint les conclusions du premier essai contrôlé, publié en 1960, chez des patientes fatiguée, sans anémie mais ayant une carence martiale prouvée par myélogramme (le gold standard) [14]. La troisième étude, chez 81 adolescentes ayant aussi une carence martiale (ferritinémie inférieure ou égale à 12 !g/L), sans anémie, démontre un bénéfice de la supplémentation en fer (deux mois) sur la mémoire et l’apprentissage verbal [16]. La dernière étude démontre un bénéfice sur les performances cognitives de jeunes femmes adultes [17]. D’autres essais contre placebo, avec des critères de jugement plus éloignés de la pratique clinique, chez des individus carencés non anémiques, ont montré un bénéfice de la supplémentation en fer sur différents éléments du métabolisme : amélioration de Tableau 2 Principales indications du fer par voie orale et intraveineux. Fer par voie orale Anémie par carence martiale Fatigue chez des femmes jeunes (< 55 ans) sans anémie avec ferritinémie dans des valeurs basses (≤ 50 !g/mL) Carence martiale chez des adolescentes, sans anémie Fer intraveineux Carence martiale ne répondant pas à un traitement par voie orale bien conduit (4 mois à bonne dose) ou traitement par voie orale mal toléré Patient dialysé ou insuffisant rénal sous érythropoïétine Carence martiale chez des patients avec maladies inflammatoires chroniques intestinales Insuffisance cardiaque chronique (chez des patients avec ferritinémie dans des valeurs basses) Pour citer cet article : Arlet J-B, et al. Supplémentation en fer : indications, limites et modalités. Rev Med Interne (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2012.04.007 G Model REVMED-4350; No. of Pages 6 4 ARTICLE IN PRESS J.-B. Arlet et al. / La Revue de médecine interne xxx (2012) xxx–xxx l’endurance physique, du seuil ventilatoire, etc. [18]. Cet effet de la supplémentation martiale, indépendant de la correction de l’anémie, pourrait relever du rôle du fer dans de nombreuses réactions enzymatiques, dans la fonction mitochondriale, dans la synthèse de neurotransmetteurs et dans les fonctions neuromusculaires [14,18]. Il y a donc actuellement plusieurs études méthodologiquement bien conduites, qui apportent des arguments convaincants pour traiter des patientes carencées (ferritinémie basse inférieure à 20 !g/L) mais sans anémie. Une limite de ces études, conduites avec le fer per os, est qu’il est difficile d’avoir un placebo parfait puisque les selles sont colorées en noir avec le produit actif. Il faut, bien sûr, savoir arrêter le traitement après une cure qui ne doit pas dépasser quelques mois. On ne dispose pas de données solides chez les hommes carencés et sans anémie. 4.2.3. Cas particulier de la grossesse Au cours de la grossesse, il y a une augmentation des besoins en fer secondaire à l’augmentation de la masse sanguine, à la croissance fœtale et au développement placentaire (le fer étant absorbé de façon active au niveau du placenta) et parallèlement, il existe une majoration compensatrice de l’absorption intestinale du fer alimentaire [19]. L’anémie par carence martiale en début de grossesse augmente le risque de prématurité, de mortalité périnatale et d’hypotrophie fœtale, alors qu’en l’absence d’anémie, la carence martiale n’a pas d’effet démontré sur le fœtus [19]. C’est donc uniquement en cas d’anémie par carence martiale prouvée qu’un traitement par fer oral est indiqué, jusqu’à correction de l’anémie (définie chez la femme enceinte comme un taux d’hémoglobine inférieur à 10,5 g/dL) [19]. Les doses prescrites sont faibles, comprises entre 30 et 60 mg/j et le fer est le plus souvent associé à de l’acide folique, recommandé par ailleurs, pendant la grossesse. Des doses plus importantes de fer sont à éviter du fait d’un risque potentiel sur le stress oxydatif et la mauvaise tolérance intestinale [19]. Une supplémentation systématique ne semble pas devoir être préconisée car il n’y a pas d’efficacité démontrée au plan obstétrical ou maternel, alors qu’il existe un risque d’effets secondaires et d’hémoconcentration [20]. 5. Le fer intraveineux 5.1. Les spécialités de fer intraveineux La voie intraveineuse doit sa mauvaise réputation à la possible survenue d’un choc anaphylactique, parfois fatal. C’était le cas avec d’anciennes formulations de fer (fer dextran) pouvant donner jusqu’à 0,6 % d’anaphylaxie fatale [21]. Les complexes d’hydroxyde ferrique–saccharose (Vénofer® , Fer Mylan® , 100 mg par ampoule) actuellement les plus utilisés en France ont un risque d’anaphylaxie bien moindre (0,002 % d’anaphylaxie fatale). Le risque anaphylactique semble aussi très faible avec les nouvelles formulations de fer IV arrivant sur le marché, même si les données de pharmacovigilance sont plus limitées. Parmi elles, le carboxymaltose ferrique (Ferinject® , 100 à 1000 mg par injection) est le seul disponible actuellement en France. D’autres spécialités, disponibles aux ÉtatsUnis, devraient bientôt arriver sur le marché français (fer gluconate, Feraheme® , 510 mg par injection ; fer isomaltoside Monofer® , 100 à 1000 mg par injection). Ces nouvelles formulations ont deux avantages : une durée d’injection intraveineuse plus courte et une dose injectable maximale possible par perfusion plus importante. Par exemple, une ampoule de 100 mg de Ferinject® peut être administrée en intraveineux direct [22] alors que l’administration de la même dose sous forme d’hydroxyde ferrique–saccharose (Vénofer® ou Fer Mylan® ) nécessite 15 à 30 minutes ; de la même façon, 200 mg de Ferinject® se perfuse en six minutes, contre environ 30 minutes à une heure de perfusion pour les spécialités plus anciennes. Par ailleurs, la dose maximale que l’on peut administrer en une fois est de 300 mg pour les complexes d’hydroxyde ferrique–saccharose et de 1000 mg (en 15 minutes) pour toutes les nouvelles formulations de fer. Le prix du Ferinject® est cinq fois plus élevé que les complexes d’hydroxyde ferrique–saccharose mais reste modéré (environ 15 D l’ampoule de 100 mg). Enfin, il faut souligner que la transfusion d’un culot globulaire apporte l’équivalent de 200 mg de fer IV. Même si la transfusion ne doit pas faire partie du traitement de l’anémie par carence martiale, il est donc inutile de réaliser des perfusions de fer juste avant ou après une transfusion, si celle-ci est justifiée. 5.2. Les doses de fer intraveineux à utiliser Les doses de fer à administrer par perfusion et leur rythme sont assez difficiles à préciser de façon synthétique. En effet, elles dépendent du type d’indication (anémie par carence martiale, anémie des insuffisants rénaux traités avec Epo, etc.), de la profondeur de l’anémie, du taux d’hémoglobine que l’on veut atteindre et du poids du patient. Ainsi, la formule de Ganzoni [23], qui prend en compte tous ces paramètres, devrait théoriquement être utilisée pour définir la dose totale cumulée à perfuser. Celle-ci est la suivante : poids corporel [kg] × (Hb cible − Hb réelle) [g/dl] × 2,4 + réserves de fer [mg] (pour un poids inférieur à 35 kg, les réserves de fer sont de 15 mg/kg, pour un poids supérieur ou égal à 35 kg, elles sont de 500 mg). Habituellement, la dose est d’environ 100 mg, deux à trois fois par semaine pour un poids de moins de 50 kg, et 200 mg, deux à trois fois par semaine pour un poids de plus de 50 kg (Vidal 2011). Les perfusions doivent être arrêtées lorsque l’objectif en hémoglobine est atteint et que les réserves sont reconstituées. Plusieurs essais contrôlés, dans différentes indications, sont en cours pour définir si de plus fortes doses de fer, autorisées par les nouvelles formulations (500 à 1 000 mg), administrées en une ou deux perfusions espacées d’une semaine, seraient équivalentes voire plus efficaces que la répétition des injections de plus faibles doses de complexes d’hydroxyde ferrique–saccharose. Ainsi, récemment, il a été montré qu’un schéma posologique simplifié, fondé sur le taux d’Hb (inférieur à ou supérieur à 10 g/dL) et le poids (inférieur à ou supérieur à 70 kg) était supérieur à la formule de Ganzoni pour corriger l’anémie par carence martiale de patients porteur de MICI [24]. Les résultats de ces études pourraient alors simplifier la prescription du fer IV qui se résumerait, pour une majorité de patients, par une ou deux perfusions de fer fortement dosé (posologie définie selon le poids et la profondeur de l’anémie). 5.3. Les effets indésirables et les contre-indications du fer intraveineux L’administration de fer IV s’accompagne d’une coloration rouge des urines et parfois d’un goût métallique. Une réaction anaphylactoïde (gonflement des mains et des pieds, dyspnée, hypotension, tachycardie) peut être observée et, exceptionnellement, un choc anaphylactique [7]. L’extravasation de fer au site d’injection peut provoquer douleurs, inflammation, formation d’abcès stériles et pigmentation brune définitive de la peau (Vidal 2011). Les effets secondaires intestinaux (douleurs, constipation, diarrhée, nausées) ne sont pas uniquement l’apanage du fer par voie orale, ils sont également observés avec le fer IV. Les effets des perfusions chroniques de fer à long terme, notamment sur les risques infectieux, athérosclérogène (par déclenchement de phénomènes oxydatifs) et de cancer ont fait l’objet de certaines discussions et études. Celles actuellement disponibles ne permettent pas de conclure formellement même si les risques théoriques sont probablement très faibles [7,8,25]. Une vigilance reste donc nécessaire. Pour citer cet article : Arlet J-B, et al. Supplémentation en fer : indications, limites et modalités. Rev Med Interne (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2012.04.007 G Model REVMED-4350; No. of Pages 6 ARTICLE IN PRESS J.-B. Arlet et al. / La Revue de médecine interne xxx (2012) xxx–xxx Les contre-indications à la perfusion de fer sont l’alcoolisme chronique, l’hémochromatose, une infection non contrôlée et l’hypersensibilité connue à la spécialité utilisée. Le fer IV peut être utilisé chez la femme enceinte et qui allaite (Vidal 2011). 5.4. Les indications du fer intraveineux Les principales indications du fer IV sont reprises dans le Tableau 2. 5.4.1. Indications indiscutables Les indications d’un traitement par fer IV ayant l’autorisation de mise sur le marché sont l’anémie de l’insuffisant rénal chronique hémodialysé, le don de sang autologue en préopératoire (même si cette pratique n’est plus à l’ordre du jour), les anémies aiguës en postopératoire immédiat chez des patients ne pouvant pas recevoir de fer par voie orale et les anémies par carence martiale lorsque le traitement par voie orale n’est pas possible, inefficace ou mal toléré. Un traitement par voie intraveineuse est également recommandé et logique dans la maladie cœliaque et les maladies inflammatoires intestinales où, en plus des problèmes d’absorption du fer et de toxicité du fer par voie orale liés à la maladie digestive, le syndrome inflammatoire peut, comme nous l’avons vu, aggraver la malabsorption par le biais de l’hepcidine. 5.4.2. Des indications nouvelles, à confirmer 5.4.2.1. L’insuffisance cardiaque. Une étude récente comparant des injections répétées de Ferinject® (200 mg par injection, dose totale calculée par la formule de Ganzoni) chez des insuffisants cardiaques assez graves (FEVG inférieur à 45 % ou inférieur à 40 %) avec carence martiale (définie, dans l’étude, comme une ferritinémie inférieure à 100 !g/L ou inférieure à 300 !g/L avec un taux de saturation de la transferrine inférieur à 20 %) montre l’intérêt des apports de fer IV, indépendamment de la présence d’une anémie [26]. Dans cette étude, 50 % des patients traités par Ferinject® rapportent une amélioration de leur état général (définie par autoévaluation) contre 28 % dans le bras placebo (p < 0,001) et une amélioration significative de l’insuffisance cardiaque évaluée sur la classe NYHA à six mois (ces deux critères constituaient le critère primaire de jugement), indépendante de l’existence ou non d’une anémie. Ces données paraissent assez convaincantes, d’autant que la carence martiale est associée à un mauvais pronostic chez les insuffisants cardiaques [27], mais il faut certainement éviter de trop supplémenter les patients (ferritinémie moyenne à six mois à 312 ± 13 !g/L dans le groupe traité par fer dans cette étude), car on sait que la surcharge en fer est néfaste à long terme sur le cœur (pas de suivi au long cours dans cette étude). 5.4.2.2. L’anémie inflammatoire chronique. Dans les anémies inflammatoires, l’apport de fer par voie orale est illogique en raison d’une stimulation de la synthèse hépatique d’hepcidine et par voie de conséquence d’une inhibition de l’absorption digestive de fer qui en résulte [2]. Comme vu précédemment, dans cette situation, le déficit fonctionnel en fer disponible pour l’érythropoïèse pourrait justifier l’utilisation de fer IV. Cependant, en cas de syndrome inflammatoire chronique, le fer IV est détourné de l’érythropoïèse au profit des organes de réserve. L’efficacité du fer IV peut donc être diminuée dans cette situation et la correction de l’anémie nécessite des doses plus fortes de fer IV. Des essais sont en cours pour étudier la place des nouvelles formulations de fer IV dans cette indication, qui auraient, en plus, l’avantage de pouvoir perfuser de plus fortes doses avec un moindre détournement au profit des cellules du système réticuloendothélial. Les situations où un traitement par le fer IV sont nécessaires devraient cependant être exceptionnelles puisque c’est avant tout le traitement étiologique de l’inflammation qui en est la solution logique. 5 Il existe également, dans l’anémie inflammatoire, des pistes thérapeutiques visant à antagoniser l’hepcidine, notamment par l’utilisation d’anticorps anti-hepcidine [2,28]. 5.4.2.3. Syndrome des jambes sans repos. Les raisons pouvant justifier la prescription de fer dans le syndrome des jambes sans repos reposent sur la découverte d’une diminution des concentrations en fer dans le liquide céphaloracidien et le locus niger des patients atteints de ce syndrome [18]. Une première étude comparant l’administration de fer IV contre placebo, en double insu, avec un faible effectif, chez des malades hémodialysés atteints de ce syndrome, a montré une efficacité du traitement [29]. Une seconde étude plus récente [30], chez des patients non dialysés, infirme les résultats de l’étude précédente avec également une administration de fer IV. Enfin, un seul essai contrôlé a montré une efficacité du fer par voie orale dans cette indication [31]. D’autres études sont donc nécessaires pour préciser la place du traitement par le fer dans cette indication. 5.4.2.4. Fatigue chronique. Un essai contrôlé récent suisse a inclus 90 femmes non ménopausées, non anémiées avec une ferritinémie inférieure ou égale à 50 !g/L et une fatigue chronique pour recevoir 800 mg de fer IV (quatre perfusions de 200 mg de Venofer® sur deux semaines) ou un placebo. L’efficacité sur la fatigue (évaluée seulement à 1,5 et trois mois) semble réservée aux seules patientes réellement carencée (ferritinémie inférieure à 15 !g/L) [32]. La place du traitement intraveineux et le bénéfice/risque par rapport au fer oral reste à préciser dans cette indication qui concerne de très nombreuses femmes. Il faut notamment signaler 21 % d’effets indésirables (peu graves) avec le fer IV dans cette étude versus 7 % dans le groupe placebo et une durée de suivi limitée. 6. Fer et cancer Le fer est nécessaire à la croissance et au métabolisme des cellules néoplasiques et le récepteur à la transferrine est exprimé sur plusieurs cellules tumorales [1,2]. Des études chez la souris ont montré une augmentation de la progression tumorale lors de la supplémentation en fer. Par ailleurs, il existe un risque accru de cancer dans l’hémochromatose et à l’inverse plusieurs arguments pour penser qu’une chélation du fer dans certaines affections malignes pourrait être bénéfique (neuroblastome, leucémie aiguë myéloïde notamment) [33–35]. Il existe également un débat sur le risque de progression tumorale avec l’utilisation des éryhtropoïétines, associées dans de nombreuses études à des apports de fer (augmentation de la progression tumorale, diminution de la survie), même si l’efficacité de l’association (y compris en l’absence de carence martiale) a été clairement démontrée sur la concentration d’hémoglobine et la qualité de vie [36,37]. L’utilisation du fer dans les affections néoplasiques doit donc rester prudente et être limitée aux malades ayant une carence démontrée [37]. En revanche, le respect d’une carence martiale à visée antitumorale chez ces patients reste à démontrer et c’est un domaine de recherche peu exploré. Lorsque la correction d’une carence martiale est envisagée, l’utilisation de fer IV pourrait être utile car le traitement par voie orale est souvent mal accepté et inefficace (altération fréquente de la muqueuse digestive sous chimiothérapie, syndrome inflammatoire associé) [16]. 7. Conclusion La majorité des carences martiales doit être corrigée par voie orale. Les nouvelles formulations de fer IV permettront peut-être de mieux traiter les patients intolérants aux traitements par Pour citer cet article : Arlet J-B, et al. Supplémentation en fer : indications, limites et modalités. Rev Med Interne (2012), http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2012.04.007 G Model REVMED-4350; No. of Pages 6 6 ARTICLE IN PRESS J.-B. Arlet et al. / La Revue de médecine interne xxx (2012) xxx–xxx voie orale [38]. Quant à l’intérêt de nouvelles indications thérapeutiques, telles que l’insuffisance cardiaque, elles sont pour la plupart à confirmer. Déclaration d’intérêts Tous les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt, excepté Sigismond Lasocki consultant pour ViforPharma. Références [1] Cazzola M, Bergamaschi G, Dezza L, Arosio P. Manipulations of cellular iron metabolism for modulating normal and malignant cell proliferation: achievements and prospects. Blood 1990;75:1903. 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