L`HEPCIDINE, LA GRANDE DAME DU FER

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L`HEPCIDINE, LA GRANDE DAME DU FER
L’HEPCIDINE, LA GRANDE DAME DU FER
par
S. VAULONT*
L’hepcidine est un petit peptide hormonal produit par le foie, distribué dans le
plasma et excrété dans les urines. Ce peptide constitue le régulateur central de
l’équilibre du fer dans l’organisme. Il agit en contrôlant l'absorption intestinale de
fer et la réutilisation du fer par le système réticulo-endothélial. Le mode d’action
du peptide vient tout juste, quatre ans après sa découverte, d’être décrypté. L’hepcidine agit en empêchant l’export du fer des entérocytes, site de l’absorption intestinale du fer alimentaire, et des macrophages, site de recyclage du fer de
l’hémoglobine. Pour cela, l’hepcidine se lie à l’exporteur du fer présent à la membrane de ces cellules, la ferroportine, en induisant son internalisation et sa dégradation [1], (fig. 1).
Comme cela est prévisible pour une hormone dont le rôle est de limiter la quantité de fer dans l’organisme, la production d’hepcidine est augmentée par le fer
permettant de limiter l’accumulation du métal qui peut produire des lésions tissulaires irréversibles en favorisant la production de radicaux libres. À l’inverse,
l’hepcidine est diminuée dans toutes les situations nécessitant une quantité accrue
de métal comme les situations de deficit en fer, d’anémie, et d’hypoxie. De même,
chez la mère en fin de gestation, l’hyperabsorption intestinale de fer est assurée
par une diminution de l’hepcidine pour permettre de suppléer les demandes importantes du fœtus en croissance. Ainsi, l’hepcidine se présente-t-elle comme le « ferrostat » de notre organisme permettant d’ajuster les quantités de fer aux demandes
de l’organisme [2].
Il est aujourd’hui bien démontré qu’un certain nombre de pathologies sont directement associées à la dérégulation de la production du peptide, avec, d’une part,
les maladies de surcharge en fer, associées à un défaut de production d’hepcidine,
et d’autre part, les anémies de l’inflammation avec des taux trop élevés d’hepcidine
(fig. 2).
* Institut Cochin, Paris.
FLAMMARION MÉDECINE-SCIENCES
— ACTUALITÉS NÉPHROLOGIQUES 2006
(www.medecine.flammarion.com)
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S. VAULONT
DMT1
Fer
alimentaire
Hepcidine
Entérocyte
GR
Synthèse
d’hepcidine
Fer
recyclé
?
Fer sérique
HJV
Macrophage
RTf2
HFE
GR
Globule Rouge
DMT1
Divalent metal transporter1
Hepcidine
Ferroportine
Fer
Interraction ferroporine/hepcidine conduisant
à l’internalistaion et la dégradation de la ferroportine
FIG. 1. — Boucle de régulation de la production hépatique d’hepcidine et de la quantité de
fer circulante.
FER
HEPCIDINE
Homéostasie
Hémochromatoses
juvénile
classique
hemojuvéline
HFE
hepcidine
RTf2
Anémie
inflammatoire
Absorption
intestinale
de fer
Recyclage
du fer
macrophagique
Phénotype
biochimique
Surcharge
en fer
sévère
Surcharge
en fer
modérée
Déficit
en fer
FIG. 2. — Implication de l’hepcidine dans les maladies liées à des désordres du métabolisme
du fer.
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HEPCIDINE ET SURCHARGES EN FER
On oppose généralement aux surcharges en fer acquises (apport excessif de fer,
syndrome métabolique, maladies chroniques du foie, maladies hématologiques…)
les surcharges en fer primaires (hémochromatoses) qui désignent des maladies
génétiques touchant des gènes impliqués directement dans le métabolisme du fer
[3]. La maladie se caractérise par une absorption intestinale de fer anormalement
élevée entraînant l’accumulation progressive du métal dans les tissus. Les conséquences biochimiques de cette hyperabsorption de fer sont une augmentation de
la saturation de la transferrine et de la ferritine sérique. Il s’agit d’une maladie
extrêmement fréquente, mais de pénétrance incomplète. Les patients développent
une symptomatologie très variée, comprenant cirrhose, hépatocarcinome, diabète,
cardiomyopathie, arthrite et autres complications. Depuis la découverte en 1996
du premier gène de l’hémochromatose, le gène HFE, la liste des gènes responsables
de cette maladie n’a cessé de croître (HJV, RTf2, hepcidine) faisant de l’hémochromatose une maladie hétérogène [4]. Il existe néanmoins un point commun
entre toutes ces formes qui est un défaut d’activation de l’hepcidine et aujourd’hui
tout laisse à penser que la gravité et la précocité de la maladie sont directement
liées aux niveaux d’hepcidine résiduels. L’hepcidine apparaît donc comme le
déterminant commun des hémochromatoses mettant en lumière le rôle déterminant
du peptide dans la physiopathogénie de la maladie. Notons que dans le modèle des
souris hémochromatosiques Hfe knockout, il a été montré que la surcharge en fer
pouvait être prévenue par un apport d’hepcidine laissant suggérer la possibilité
d’un traitement thérapeutique préventif de l’hémochromatose héréditaire par
l’hepcidine [5].
Il existe une autre forme particulière d’hémochromatose liée à des mutations de
la ferroportine [6]. Cette maladie se transmet suivant un mode autosomique dominant (contrairement aux autres formes d’hémochromatose) et présente une certaine
hétérogénéité dans la description des signes cliniques. Des travaux récents sur les
conséquences fonctionnelles des mutations de la ferroportine sur l’export cellulaire
de fer propose de classer ces mutations en deux catégories permettant d’expliquer
ces différences phénotypiques. D’une part, des mutations perte de fonction où la
ferroportine perd ses capacités d’export de fer, et d’autre part, des mutations type
gain de fonction qui ne modifient pas cette activité, mais confèrent à la ferroportine
une résistance à l’hepcidine [7, 8].
HEPCIDINE ET INFLAMMATION-INFECTION
L’hepcidine est très fortement induite dans les situations d’infection et d’inflammation [9-11] faisant de cette molécule un bon candidat pouvant rendre compte
de l’hyposidérémie et de l’anémie que l’on retrouvent souvent associées aux syndromes inflammatoires, infectieux, et cancéreux, connues sous le nom d’anémie
chronique inflammatoire, ou anémie de l’inflammation [12]. En effet, les signes
cliniques de cette anémie, qui sont une diminution du fer sérique, une rétention du
fer dans les macrophages et une augmentation de l’absorption intestinale de fer,
sont tous compatibles avec une augmentation d’hepcidine. De fait, la térébentine
(qui déclenche une inflammation locale aiguë) administrée à des souris déficientes
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en hepcidine, n’entraîne plus de diminution du fer sérique [10]. Chez plusieurs
patients développant une anémie chronique inflammatoire, des taux élevés d’hepcidine ont été détectés [9, 13]. Les cytokines pro-inflammatoires jouent un rôle
central dans l’induction du gène hepcidine à l’inflammation, en particulier les cytokines IL-1 et IL-6 [11, 14].
HEPCIDINE ET INSUFFISANCE RÉNALE
Si la question de déterminer les taux d’hepcidine chez les patients atteints
d'insuffisance rénale semble pertinente, elle ne trouve malheureusement pas encore
de réponse claire aujourd’hui. La majorité des patients qui souffrent d’insuffisance
rénale avancée souffrent aussi d’anémie dont l’origine est complexe et probablement multifactorielle. Si l’insuffisance relative d'érythropoïétine (EPO) est un facteur déterminant conduisant à un défaut de stimulation de l’érythropoïèse, il est
aujourd’hui également clairement établi que « l'urémie » est un état inflammatoire
chronique, conduisant à terme à la mise en place d’une anémie de type inflammatoire. Ainsi, les patients insuffisants rénaux présentent-ils une activation de diverses cellules de l’immunité et une augmentation de la production des cytokines proinflammatoires telles que IL-1, IL-6 et TNF-α.
Seules trois études ont été publiées à ce jour sur des petites cohortes d’insuffisants rénaux [15-17]. Les résultats de ces études montrent une augmentation de la
pro-hepcidine (l’hepcidine est synthétisée dans le foie sous le forme d’un pré-propeptide de 84 acides aminés, comportant en N-Ter un peptide signal, puis une prorégion, et en C-ter le peptide mature de 25 acides aminés tel que l’on retrouve
dans le sang et dans l’urine) chez les patients insuffisants rénaux chroniques
dialysés et traités à l’éryhtropoïétine [15, 17] et chez les patients n’ayant reçu
aucun traitement [16]. Les auteurs soulignent que cette augmentation des taux de
pro-hepcidine pourrait s’expliquer par la forte production de cytokines due à la
réaction inflammatoire et ainsi contribuer au déficit en fer fonctionnel que l’on
observe chez ces patients. Ces résultats sont toutefois à considérer avec précaution.
Il faut savoir en effet qu’à ce jour, il n’existe pas de kit commercialisé dosant
l’hepcidine mature. Seule une équipe aux États-Unis a mis au point un immunodosage de l’hepcidine mature urinaire [9]. Dans les études citées précédemment,
les auteurs utilisent un kit de dosage qui mesure, non pas l’hepcidine mature
urinaire, mais la pro-hepcidine sérique (kit DRG International®), et l’intérêt
physiologique du dosage de la pro-hepcidine reste à établir.
L’apport d’EPO constitue un traitement de choix pour l’anémie de l’insuffisance
rénale et son efficacité est d’autant plus grande que le fer est en quantité suffisante
pour permettre à l’EPO de stimuler de façon optimale l’érythropoïèse. Il est
aujourd’hui souvent envisagé l’association de l’EPO avec des injections de fer par
voie intraveineuse avec un suivi strict de la ferritinémie pour éviter les surcharges
en fer secondaires. Notons que de façon intéressante, il a été montré que l’injection
d’EPO provoquait, chez la souris, une inhibition de l’expression de l’hepcidine,
ce qui pourrait contribuer à l’efficacité du traitement à l’EPO permettant une
meilleure disponibilité du fer [18]. Dans ces conditions, une mauvaise réponse au
traitement à l’EPO observée chez certains patients pourrait s’expliquer par la persistance de taux trop élevés d’hepcidine après traitement.
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CONCLUSION
L’hepcidine est au cœur des mécanismes de régulation nécessaires au maintien de
l’homéostasie du fer dans l’organisme. Les perspectives diagnostiques et thérapeutiques sont très importantes et constituent une étape déterminante dans le domaine
des maladies de l’homéostasie du fer (surcharges en fer et anémies chroniques
inflammatoires) qui touchent des dizaines de millions de personnes dans le monde.
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