Proposition de corrigé rédigé pour le commentaire littéraire

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Proposition de corrigé rédigé pour le commentaire littéraire
Proposition de corrigé rédigé pour le commentaire littéraire (séquence POESIE)
TEXTE proposé : Lionel RAY, « Seconde après seconde… », in Syllabes du sable (1996)
Bien que légèrement antérieur, Lionel RAY fait partie avec Alain Jouffroy, Guy Goffette ou encore
Jacques Roubaud de la nouvelle vague poétique de la fin du XXe siècle. Pris sous l’aile d’Aragon il renonce à
sa carrière professorale et s’impose comme poète. Essayiste et biographe (de Rimbaud, par exemple),
lecteur et admirateur d’autres poètes (comme Michaux qu’il place en haut de son Panthéon) il ne cesse de
défendre ce genre décrié et souvent traité de cette « vieille dame » ; à cette vision dégradante et hâtive, il
veut affirmer, fermement, fougueusement que la poésie est d’actualité, et qu’elle est, selon ses propres
termes hyperboliques « vraiment très, très vivante ».
Son recueil Syllabe du sable, paru en 1996 contient des chansons, des sonnets, bref des formes fixes
revisitées, démantelées et remises à jour, pour célébrer les moments simples et insondables de l’existence
humaine. Son sonnet « Seconde après seconde » est l’un des plus célèbres.
Comment le poète rend-t-il le soleil, entité tellement mythifiée, déjà mille fois célébrée, poétisée, et
appartenant à tous dans divers imaginaires, si intime et si familier du lecteur ? Comment imposer une
nouvelle fois et pour de bon, l’objet-soleil au lecteur ?
Observons comment Lionel RAY conforte son évidence, sa proximité au lecteur ; puis comment l’impose
comme enjeu esthétique; enfin, comment il l’anoblit pour en faire une valeur haute, qui s’impose aussi sur
le plan moral.
Imposer le soleil signifie d’abord le rendre immanquable sur un plan « social » : le soleil est d’abord
consacré comme lien. Le poète rend ce lien évident et incontournable.
Le soleil se pare d’une forme certes fixe et apparemment contraignante mais surtout significative en ce
qu’elle est la forme la plus diffusée, la plus répandue, la plus familière des lecteurs. Le soleil comme sujet
d’évidence se devait d’emprunter une forme elle-même immédiatement identifiable.
Le soleil se donne immédiatement à comprendre, par l’emploi de termes transparents. Quand les précieux
le nommeraient « l’astre lumineux » ou quand un physicien préférerait le désigner par ses propriétés, le
poète mise ici tout sur le dénuement lexical : le « soleil », sans périphrase, ni complément de détermination,
et sans attendre (dès le vers liminaire) le soleil est donné à voir et comme il domine le ciel, il domine le poète,
qu’il semble surplomber du haut du premier vers.
Enfin, le texte veut aussi assumer une proximité délibérée et croissante avec le lecteur également au niveau
des temps. Le présent longuement éclipsé par le passé (composé d’abord, avec « est venu » et « a traversé »,
puis simple avec « toucha » et son corollaire l’imparfait « tu te demandais ») se retrouve au tercet final avec
le double présent « approche » et « disparaît »), où le présent d’énonciation confondu avec le présent
d’habitude permet de nouveau de faire corps avec le lecteur pendant le temps de sa lecture et de son
appropriation du poème par le biais de la simultanéité entre les deux réalités ; celle mise en scène, du soleil,
et celle réelle du lecteur en train de lire.
Imposer le soleil consiste aussi, sur le plan esthétique à faire du soleil un divertissement.
Le soleil anime le texte, l’anime et le vivifie. Il incarne la vie, il génère aussi de la vie. Le soleil est ainsi
personnifié (« le soleil est venu », puis lui est apposé le groupe nominal « visiteur furtif » qui confirme son
humanisation) mais il est également personnifiant, en ce que lui-même, à son tour, ravive le texte qui prend
forme et corps. Autour du soleil, le monde se dote de toutes les qualités, toutes les appréhensions du réel,
notamment physiques : sens visuel (la « clarté »), sens auditif (« silencieux »), sens tactile (« feutrés », la
mention des « doigts »), sens olfactif (« haleine »). Le soleil entraîne avec lui toute une animation du monde.
Le soleil impose aussi de la musicalité dans le monde, autant dire une dimension poétique. Même si le poème
n’est en apparence pas versifié, les effets d’écho sont nets : la nasale « an » ou encore la syllabe « pa »
parsèment le poème : « entre », « écroulement », « silencieux », « mouvante », « cheminant »,
« demandait », « ancien », pour la première série, tandis que pour le son « pa » déterminant (puisque
représentant par homophonie l’approche du soleil, dont les « pas » sont désignés sans détour) , il apparaît
dans « apparues », « papier », « page », « pas », « disparait ». Les mots ne dissimulent pas le tissage dont ils
sont les acteurs : « apparaît » se retrouve dans « disparait », « silence » dans « silencieux », tandis que la
reprise est même consacrée en répétition avec dès le vers liminaire « seconde » doublé par lui-même. Les
sons et les mots ne s’abandonnent pas, le soleil ayant créé autour de lui de l’unité, de cohérence et ayant
confirmé que tout était lien, par le son comme par l’idée.
Enfin, le soleil est à l’origine d’un maillage lexical puissamment vivant, qui se définit par le mouvement, qui
parcourt tout le poème et achève de lui conférer son unité. Les verbes de mouvement sont quasi
omniprésent tout au long de ces quatorze vers comme en témoignent les différentes formes verbales (du
participe passé au participe présent en passant par l’adjectif verbal et le verbe conjugué, comme si le voyage
valait aussi pour la conjugaison) « est venu », « a traversé », « cheminant », « mouvantes », « approche ».
Enfin, le soleil valorisé et plus que cela, célébré, est en outre élevé au rang de véritable modèle : ce
sonnet entend proposer une éthique du soleil.
Pour commencer, le sonnet fonde ici une morale de la responsabilité. Ce qui compte, c’est l’humanisation
d’un monde où les personnes par les modalisations (« à pas feutrés » avec l’adjectif tout subjectif qui ne
tient qu’à l’échelle de valeur et à l’expérience du locuteur, ou encore « très ancien », avec l’adverbe
modalisateur) mais aussi par les interpellations directes (la seconde personne apparaissant telle quelle au
dernier tercet), il convient d’assumer sa présence, et d’en assumer par là le degré de parti pris, donc la
fragilité ainsi que la singularité.
C’est aussi une morale de la cohérence que propose le poème. Ainsi le temps s’affirme-t-il comme l’enjeu
constant qui enserre le poème entre deux marqueurs de temps insistants (chacun répété) : « seconde après
seconde » au premier quatrain, auquel répond en clôture de poème « du temps, du temps très ancien », de
même que dans le sens, se confirme aussi cette utopie d’un monde où tout se répond exactement mais dans
un idéal d’intuition plus que de parole (vue ici, non sans ironie, au sein d’un poème forcément bavard,
comme un échec du sacré): au « silencieux » du début correspond, dans ce monde idéal (où tout se tient,
tout se confirme, tout s’annonce et tout se vérifie ensuite) qu’est le poème, le « sans écho » final.
Troisème caractéristique de ce sonnet qui ne cause surtout pas météorologie, incarner une morale de
l’affirmation. On ne note dans cet hymne au dépouillement, paradoxalement, aucune négation franche ; au
mieux, trouve-t-on des restrictions ou privations, mais qui n’entament pas la tournure de phrase
exclusivement déclarative et affirmative. L’interrogation n’est qu’indirecte (introduite par l’adverbe
interrogatif « si… » mais sans variation de la ponctuation imperturbable) et les négations n’entravent pas la
voix affirmative. S’il y a négation, elle se limite à une préfixation (« indécises ») ou bien à une privation (« sans
écho ») qui permet de ne pas employer de négation explicite ordinairement en usage, sous forme d’un
adverbe par exemple. Le poème semble ne surtout pas vouloir laisser se ternir le tableau, qui se veut
jusqu’au bout laissé, autour du soleil et à partir de lui, pur et impeccable.
Il est frappant que ce petit sonnet en quatorze vers ne s’intéresse évidemment ni au sonnet en tant
que tel ni à l’élément-soleil, habituellement célébré par les poètes pour sa violence ou encore sa lointaine
majesté. Ici, au contraire, Lionel RAY propose de voir dans le soleil une sorte de guide, mais moins comme
un prophète que comme un semblable, en compagnon nous prendrait la main afin d’envisager une
communauté, soudée par l’art et par la morale.
Un topos aussi répandu que le soleil, célébré depuis au moins Théophile de Viau en poésie, peut
revêtir diverses significations qui vont bien au-delà du traditionnel élément naturel qui parachèverait tout
tableau paysager, ou qui outrepasse de la non moins répandue évocation spirituelle. Ainsi quand Césaire
parle du « soleil serpent » dans les Armes miraculeuses, il est aisé de deviner derrière l’éloge lyrique de la
boule de feu une exhortation politique et polémique, qui appelle tout le peuple martiniquais à s’emparer à
mains nues de son destin. Le topos, souvent vu comme un échec de la création, peut aussi être considéré
comme sa marque la plus affûtée ; loin d’être un renoncement il peut être une formidable opportunité, un
catalyseur de nouveautés (les Surréalistes et les membres de l’OULIPO l’ont bien compris) et il peut même
devenir une heureuse obligation, à savoir une obligation de faire sens comme jamais auparavant.