Prévalence des marqueurs sérologiques du virus de l`hépatite B

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Prévalence des marqueurs sérologiques du virus de l`hépatite B
Prévalence des marqueurs sérologiques du virus
de l’hépatite B chez les femmes enceintes
dans le district de Bamako, Mali.
S. Sidibe (1), B. Youssoufi Sacko (2) & I. Traoré (3)
(1) Maître assistant de radiologie et de médecine nucléaire, Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontostomatologie (FMPOS) du Mali
(2) Biologiste service de radiologie et de médecine nucléaire, Bamako, Mali.
(3) Professeur agregé de radiologie à la FMPOS, chef de service de radiologie et de médecine nucléaire, Hôpital du Point “G”,Bamako, Mali.
Correspondances : Dr Sidibé Siaka,Service de radiologie et médecine nucléaire, Hôpital du Point “G”,Bamako, Mali. Fax : 223 22 97 90.Email : [email protected]
Manuscrit n° 2302. “Santé publique”. Reçu le 2 avril 2001. Accepté le 7 août 2001.
Summary: Prevalence of hepatitis B virus serologic markers in pregnant women in Bamako, Mali.
A prospective study of the serological markers of hepatitis B virus (HBV) including hepatitis B virus
surface antigen (HBsAg) and hepatitis B surface antibody (anti HBs) was conducted over 5 years in
Bamako. The aims of this study were to assess the prevalence of HBsAg in pregnant women and to
determine the risk of HBV infection for this population. The study involved 829 pregnant women
for whom blood samples were collected after the first quarter of pregnancy. HBsAg and anti HBs
were detected in all cases by radioimmunoassay.
The prevalence of HBsAg and anti HBs in pregnant women was respectively 15.5% and 16.9%. This
prevalence of HBsAg, higher than in the general population, points to the fact that pregnant women
are a high risk group for hepatitis B infection. In addition, scarification and tattooing practices
increase significantly the risk of infection by hepatitis B virus (OR = 2,03; 1,07 < OR < 3,82; χ 2 = 5,62;
p: 1%). Thus, we can presumably conclude that infants and new borns in such conditions are largely
exposed to hepatitis B virus infection, even though hepatitis B core antibody and hepatitis B e anti gen were not investigated for technical reasons.
In conclusion, the authors believe that infants and new borns must be systematically immunised
against hepatitis B virus infection in Bamako.
hepatitis B
pregnant woman
HBsAg
radio immunoassay
Bamako
Mali
Sub-Saharan Africa
Résumé :
Un travail prospectif portant sur 829 femmes enceintes et sur une période de 5 ans a été entrepris
dans le district de Bamako, afin de déterminer la prévalence de deux marqueurs sériques du virus
de l’hépatite B. Ces deux marqueurs, l’antigène de surface du virus de l’hépatite B (AgHBs) et l’an ticorps anti-HBs (antiHBs), ont été recherchés par technique radio-immunologique.
La prévalence du portage de l’AgHBs chez les femmes enceintes est très élevée (15,5 %), supérieure
à celle de la population générale; la prévalence du portage de l’antiHBs est de 16,9 %. Ils permet tent de penser que les enfants et les nouveau-nés dans un tel contexte sont largement exposés au
risque de contamination par le VHB même si, pour des raisons techniques, l’anticorps anti-HBc et
surtout l’antigène HBe n’ont pas pu être recherchés dans notre population d’étude.
Une analyse des facteurs de risque de portage de l’AgHBs fait apparaître que seules les pratiques de
scarification et/ou de tatouage sont associées significativement au portage de l’HBs (OR = 2,03 ;
1,07 < OR < 3,82 ; χ 2 = 5, 62; p: 1).
Ce travail montre que le district de Bamako se situe dans les zones de très forte prévalence au niveau
de la planète et, de ce fait, la vaccination systématique contre l’hépatite B des nouveau-nés et/ou
des nourrissons constitue une priorité.
Introduction
L
a prévalence du portage de l’antigène de surface de l’hépatite
B (AgHBs) varie chez l’adulte jeune au Mali entre 8 et
12 % (7, 8). Si, dans les pays industrialisés, l’hépatite virale B
est une infection surtout liée au sexe ou au sang, en Afrique,
la contamination mère-enfant en période péri- et néo-natale du
virus est un mode majeur de transmission, associée à une transmission horizontale par contact très élevée dès l’enfance (1).
Bull Soc Pathol Exot, 2001, 94, 4, 339-341
hépatite B
femme enceinte
Ag HBs
radio-immunologie
Bamako
Mali
Afrique intertropicale
En effet, un enfant sur 4, né de mère AgHBs positive, risque
d’être infecté par le virus de l’hépatite B (VHB) pendant les
12 premiers mois de la vie, alors que ce risque serait 5 fois
moindre chez les enfants nés de mère AgHBs négatives (1, 2,
5, 8, 14) ; dans le district de Bamako, des études ont montré
qu’un bébé né de mère porteuse de l’AgHBs court près de 20
fois plus de risque d’être contaminé par le VHB que celui
dont la mère est AgHBs négatif (12). Il est maintenant clairement établi qu’une contamination au moment de la naissance
339
S. Sidibe, B. Youssoufi Sacko & I. Traore
entraîne pour l’enfant un taux de portage chronique de 90 %
et que ce taux reste élevé si l’infection survient dans la petite
enfance jusqu’à l’âge de 4 ans (> 30 %) (1, 5, 14).
Ce portage chronique avec réplication virale prolongée est
un facteur déterminant dans l’oncogénèse du VHB (8, 11, 14).
À partir de ces données, il nous a paru important de préciser
l’importance du réservoir humain du VHB que constituent les
femmes enceintes dans le district de Bamako.
Nous avons donc entrepris l’étude de la prévalence des marqueurs sérologiques (AgHBs, anticorps anti-HBs) du VHB
afin d’identifier certains facteurs de risque de portage de l’Ag
HBs chez les femmes enceintes.
Tableau II.
Prévalence de l’AgHBs et de l’antiHBs chez les femmes enceintes
en fonction de la parité.
Relationship between the prevalence of HBV markers (HBsAg and HBs
antibody) and the number of pregnancies among pregnant women.
u 16 avril 1994 au 31 mars 1999, 829 femmes enceintes
ont été incluses dans ce travail. Ces femmes ont été recrutées dans les centres de santé des communes III et IV du district de Bamako. Ces centres ont été choisis en raison de leur
situation géographique (centre ville de Bamako) et de leur
expérience en consultation maternelle prénatale. Les critères
d’inclusion étaient :
- accord éclairé de la gestante à participer à l’étude ;
- grossesse évolutive depuis au moins 4 mois.
Les prises de sang ont eu lieu lors d’une consultation prénatale du 2è ou 3è trimestre de grossesse. Toutes les gestantes ont
fait l’objet à cette occasion d’une enquête par interview renseignant sur l’âge, la parité, les antécédents médicaux personnels, en particulier la notion de transfusion, même ancienne,
ou d’ictère, et le niveau socio-économique.
L’AgHBs et l’anticorps anti-HBs (AntiHBs) ont été systématiquement recherchés dans l’ensemble de la population d’étude.
Pour chaque gestante, ces deux marqueurs sérologiques du
VHB ont été recherchés par méthode radio-immunologique le
même jour, sur la même aliquote de sérum, en utilisant les
trousses du département des isotopes de Bejing (République
Populaire de Chine).
Le test de χ 2 a été utilisé pour l’analyse statistique des résultats et un seuil de 5 % a été retenu pour décider de la significativité des différences observées.
Résultats
P
our ces 829 femmes, l’âge moyen était de 34,06 ans
(extrêmes: 17 et 46 ans). Parmi ces femmes, 206 étaient primigestes, 479 multipares (2 à 5 grossesses), 144 grandes multipares (plus de 5 grossesses). Aucun antécédent d’ictère ou de
transfusion n’a été noté ; par contre, 540 femmes présentaient
une scarification et/ou un tatouage, et 789 signalaient avoir été
excisées. Dans 67,6 % des cas (560/829), elles étaient des
femmes au foyer de condition socio-économique modeste.
Toutes les 829 femmes ont mené à terme leur grossesse.
Trente-cinq pour cent des 829 femmes enceintes avaient au
moins un des deux marqueurs sériques du VHB recherchés ;
Tableau I.
Prévalence de l’AgHBs et de l’antiHBs chez les femmes enceintes
en fonction de l’âge.
Relationship between prevalence of HBV markers
(HBsAg and HBs antibody) and age among pregnant women.
plus de 40 ans
total
29
57
43
0
129
29
68
36
7
140
125
302
112
21
560
183
427
191
28
829
Santé publique
grande multipare
( 5 grossesses)
total
29
62
38
129
29
79
32
140
AgHBs +
AntiHBs AgHBs AntiHBs +
AgHBs AntiHBs total
121
306
133
560
179
447
203
829
Prévalence de l’AgHBs chez les femmes enceintes
en fonction des antécédents de scarification et ou de tatouage.
Relationship between the prevalence of HBsAg
and scarification or tattooing among pregnant women.
D
moins de 21 ans 21 - 30 ans 31 - 40 ans
multipare
(2-5 grossesses)
Tableau III.
Population d’étude et méthode
AgHBs +
AntiHBs AgHBs AntiHBs +
AgHBs AntiHBs total
primigeste
scarification
ou tatouage +
scarification
ou tatouage total
AgHBs +
AgHBs -
total
76
464
540
31
258
289
107
722
829
OR =2,03 ; 1,07 <OR <3,82 ; X2 =5,62 ; p: 1 %.
l’anti HBs a été retrouvé chez 140 (16,9 %), l’AgHBs était
présent chez 129 (15,5 %) d’entre elles et, dans 21 cas, associé à l’anti HBs. Ni l’âge, ni la parité (tableaux I et II), ni le fait
d’avoir été excisée, n’influençaient la prévalence du portage de
l’AgHBs, contrairement aux antécédents de scarification et ou
de tatouage (tableau III), qui augmentaient le risque de portage
d’un facteur 2 (OR = 2,03 ; 1,07 < OR < 3,82 ; χ 2 = 5, 62 ;
p : 1 %).
Discussion
L
’AgHBs constitue un bon marqueur d’évaluation du portage du VHB dans une population puisque sa présence
témoigne soit d’une hépatite virale B aiguë, soit d’un état de portage chronique du VHB (8, 11, 14). L’apparition dans le sérum
de l’antiHBs signe, soit l’arrêt de la réplication virale avec guérison, soit une protection post vaccinale (1, 10). La prévalence
du portage de l’AgHBs chez la femme enceinte dans notre
série est de 15,5 % ; elle est significativement supérieure à celle
de la population générale malienne (7, 8). Ce résultat, superposable à celui des travaux réalisés dans la sous-région ouestafricaine (1, 4, 6), est nettement plus élevé que celui obtenu
lors des études conduites en Afrique centrale et en Europe (4,
9, 15). Cette différence pourrait pour certains être liée au climat (4), mais plus vraisemblablement à l’épidémiologie locale
et notamment à une contamination très précoce dans la vie. Ce
taux élevé de portage de l’AgHBs chez les femmes enceintes
est préoccupant, si l’on sait que toute femme AgHBs positif
peut transmettre le VHB à son enfant (1, 2, 5, 12, 13). L’appréciation effective de ce risque aurait été plus facile si, dans
ce travail, l’anticorps anti-HBc et surtout l’antigène HBe
avaient pu être dosés. Malgré la relative jeunesse de la population d’étude, elle est constituée, dans plus de 75 % des cas,
de femmes ayant fait au moins 2 grossesses. Ces femmes, de
condition socio-économique modeste, ont subi l’excision dans
95,2 % (789/829) des cas et présentent, pour près de deux tiers
d’entre elles (65 %), tatouages et/ou scarifications. De l’ensemble des facteurs de risque étudiés dans notre série, seule
la pratique de la scarification et ou du tatouage influence
significativement le risque du portage de l’AgHBs (cf. plus
haut, in résultats). Ce résultat peut s’expliquer par le fait
340
Prévalence des marqueurs sérologiques du virus de l’hépatite B chez les femmes enceintes
que ces pratiques traditionnelles largement répandues dans
notre société étaient réalisées dans un passé encore récent dans
des conditions d’hygiène précaire.
Il convient de souligner que 2,5 % (21/829) des femmes
enceintes de notre série portent simultanément l’AgHBs et
l’antiHBs. Cette présence simultanée n’est pas exceptionnelle
(3) et se rencontre chez certains porteurs chroniques du VHB
mais, dans ce cas, le titre des antiHBs est faible.
Conclusion
C
e travail révèle la fréquence très élevée du portage de
l’AgHBs chez les femmes enceintes dans le district de
Bamako et attire l’attention sur le rôle possible de la scarification et du tatouage dans ce portage. Cette prévalence considérable (15,5 %) fait classer cette zone parmi les régions de la
planète à très fort taux de portage. Ces faits rendent indispensables la mise en place urgente d’une politique vaccinale
contre l’hépatite B des nouveau-nés et/ou des nourrissons
pour réduire significativement et rapidement le portage chronique et, à plus long terme, les cirrhoses et les cancers primitifs du foie. Cette stratégie est déjà en place dans plus de 100
pays de la planète.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
Remerciements
Nous re m e rcions l’Agence internationale de l’énergie atomique
(AIEA), Vienne, qui a, dans le cadre du contrat de re c h e rc h e
RC 7536 RB, fourni les trousses pour la recherche des marqueurs.
11.
12.
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