The Sessions

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The Sessions
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Récit
«The Sessions»,
une véritable histoire d'assistance sexuelle
8 mars 2013 à 00:28
Par ÉRIC FAVEREAU
Le film sorti cette semaine est inspiré du récit fait par Mark O'Brien, poète américain
handicapé, de son expérience avec Cheryl Cohen Greene, «sex surrogate» aux ÉtatsUnis.
Capture d'écran du film «The Sessions», avec John Hawkes et Helen Hunt. - DR
De magnifiques personnages. Et c’est assurément la force mais aussi la limite de ce
film, The Sessions, qui a décidé de se coltiner un thème casse-gueule, celui des
assistant(e) s sexuel(le)s pour les personnes handicapées qui se trouvent dans
l’impossibilité physique ou psychique d’actes sexuels. Un film qui, du festival de San
Sebastian à celui de Toronto et de Londres, a accumulé les prix.
Comment résister à ces personnages qui éblouissent ? Ils sont beaux, charmants,
drôles, émouvants, caustiques, et leur séduction est d’autant plus efficace que l’on
nous dit que «tout est vrai». Car il s’agit de «l’histoire vraie du poète et journaliste
Mark 0’Brien qui, à 38 ans, a entrepris de perdre sa virginité, dans des conditions
assez particulières». Cet artiste américain a survécu à une attaque de polio dans les
années 50, mais le prix en a été lourd: il a dû passer la plus grande partie de sa vie
dans un poumon d’acier qui lui permet de respirer, ne pouvant en sortir que 2 à 3
heures par jour. Une vie handicapée enfermée dans son corps et son sarcophage
d’acier.
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«Les notes d’une thérapeute clinicienne»
A l’approche de la quarantaine, Mark O’Brien a donc l’envie saugrenue d’être comme
tout le monde, et donc, entre autres choses, de goûter à tous les plaisirs de la vie. Il
prend la décision d’engager une professionnelle de l’assistanat sexuel, un métier
officiellement reconnu aux États-Unis, où on compte plus d’une centaine de «sex
surrogate». Et cela marche. Mark O’Brien va plus tard raconter cette expérience dans
un article, publié en 1990 dans le magazine littéraire The Sun (1).
C’est cet article qui est à la base du film. Cheryl Cohen Greene, l’assistante sexuelle
interprétée dans le film par Helen Hunt, existe toujours. C’est une femme
exceptionnelle, comme la décrivent volontiers le metteur en scène, Ben Lewin, ainsi
qu’une journaliste du Sunday Times Magazine qui l’a rencontrée longuement. Jeune
mamie de 68 ans, elle est toujours mariée, continue son travail, et vit à Oackland, sur
la côte Pacifique des États-Unis. Lors de la rédaction du scénario, le metteur en scène
est allé la voir : «Ma première rencontre avec Cheryl a été cruciale. A un moment
donné, elle m’a demandé si cela m’ennuyait qu’elle se réfère à ses notes. J’ai pensé:
elle a des notes ? C’étaient les notes d’une thérapeute clinicienne, pas celles d’une
travailleuse du sexe.»
«Le métier idéal»
L’actrice, Helen Hunt, qui va endosser le rôle de Cheryl, doit lui ressembler. Elle est
belle comme tout. Elle joue doucement, mais le fait sans hésiter. S’approche du corps
de Mark, comme une pro. «Je voyais, dit l’actrice, un défi de jouer Cheryl comme une
professionnelle ordinaire. Je ne connaissais pratiquement rien sur l’assistance
sexuelle avant de jouer, mais j’ai vite découvert que c’est un métier sérieux, même s’il
s’aventure sur un territoire délicat.» «Quand j’ai rencontré Cheryl, poursuit Helen
Hunt, elle m’est apparue très douce, très candide. On a beaucoup parlé, elle m’a dit
que son job était de dire à mon patient comment il était, et de lui dire que j’étais
totalement ok avec ça. Voilà, il a un corps, j’ai un corps, et on y va». La vraie Cheryl
poursuit : «Ce métier était une vocation, pour moi c’était le métier idéal car je
menais une quête personnelle pour me sentir mieux dans ma peau et ma propre
sexualité.» Elle a suivi pour cela différentes formations en sexologie. Cheryl a
commencé son métier d’assistante sexuelle en 1973, après avoir travaillé dans une
clinique où elle faisait du soutien téléphonique.
Dans le film, Mark, enfermé dans son poumon d’acier, lui demande, la première fois
qu’il la voit : «Mais quelle est la différence entre ce que vous faites et se prostituer ?»
Elle répond : «Une prostituée fait tout pour garder son client.» La vraie assistante
sexuelle ajoute : «Beaucoup de gens pensent que notre travail c’est d’avoir et de faire
du sexe. Or ce n’est pas ça. 90% de notre temps dans les séances tournent autour de
la relaxation, de la communication, de la pédagogie.» Des séances d’une heure entre
100 et 150 dollars, dans une série de 6 à 8 séances. «Or, explique Cheryl, ce n’est qu’à
partir de la cinquième séance que l’on commence à s’embrasser, et se toucher.» En
tout état de cause, ces séances sont limitées en nombre, pas plus de 12.
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«Une douce, tendre, pleine expérience»
Dans l’article original, Mark O’Brien raconte ce qu’il avait en tête quand il a
commencé à contacter une assistante sexuelle: «Je voulais être aimé, je voulais que
l’on me prenne dans les bras, qu’on me caresse et qu’on m’apprécie. Mais ma haine
de moi-même et ma peur étaient trop intenses.» Et après ? «Une chose que j’ai
apprise avec Cheryl, c’est que les relations sexuelles ne sont pas l’expression de
l’agressivité masculine, mais une douce, tendre, pleine expérience. Mais voilà, cette
connaissance m’arrive peut-être trop tard ?»
Tout a fonctionné, parfaitement. Au point même qu’il a fallu que le duo arrête à la
sixième séance, l’un et l’autre commençant à s’attacher. La dernière séance,
l’assistante est venue avec un miroir. Mark s’en amuse. Il est drôle et caustique.
«Vous croyez en Dieu?» lui demande-t-on? Réponse: «Oui, car il faut bien qu’il y ait
quelqu’un que je puisse accuser pour toutes les injustices que je dois porter.»
Mark va rencontrer ensuite une jeune femme. «Vous savez, je ne suis pas puceau»,
lui dira-t-il en préambule. Il vivra avec elle quelques années jusqu’à sa mort.
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http://next.liberation.fr/sexe/2013/03/07/c-est-pareil-qu-avec-une-personnevalide_887097
Témoignage
«C’est pareil qu’avec une personne valide»
7 mars 2013 à 23:11
Par QUENTIN GIRARD
Marianne Chargois, 31 ans, ex-assistante sexuelle.
Marianne Chargois, mardi à Paris. Elle est performeuse et a été assistante sexuelle entre 2010 et
2011. - Photo Bruno Charoy pour Libération
«La première fois, ce fut très solennel. J’ai vu le client dans un bar. Puis chez lui. Il
avait été préparé, nettoyé et mis nu dans son lit par son auxiliaire de vie. Cela s’est
bien passé. Pour moi, c’était pareil qu’avec une personne valide. De manière générale,
c’est un peu étrange, il y a toujours des intermédiaires entre la personne et nous, mais
en même temps c’est très compliqué de s’en passer. Le problème, c’est que parfois on
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a l’impression d’être utilisé. Je me souviens d’une mère qui m’avait appelé pour son
fils autiste de 18 ans. En parlant avec lui, je me suis rendu compte qu’il était
homosexuel et qu’on m’avait fait venir pour le faire changer de bord. Horrible.
«Ou une autre femme qui avait annulé le rendez-vous parce que son neveu "n’avait
pas été sage". Les assistants sexuels ne doivent pas être des instruments de chantage
ou de récompense. La rémunération est aussi une vraie question. C’est 100 euros de
l’heure, un prix fixe, "éthique" et, en théorie, il ne doit y avoir que des caresses et des
masturbations. Mais les handicapés sont comme tout le monde, ils veulent davantage,
mais moi, pour 100 euros, je ne suce pas ou je ne fais pas de pénétration.
«Avoir une formation, c’est important, notamment pour les handicapés mentaux,
mais il ne faut pas oublier que l’assistanat sexuel, c’est de la prostitution. Il faut une
légalisation car l’illégalité entraîne de nombreuses complications. Idéalement, ce
serait une sous-catégorie du travail sexuel, effectuée par des professionnel(le)s. Il ne
faut pas oublier, à la fin, la réalité des corps, les sexes à toucher, et ça tout le monde
ne peut pas le faire.»
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http://www.liberation.fr/societe/2013/03/07/zone-grise_887098
Zone grise
7 mars 2013 à 23:06
Par NICOLAS DEMORAND
Libération
En 2002, la philosophe Julia Kristeva livrait le constat sans fard des manquements de la République
à l’égard de ses «citoyens en situation de handicap». Pas, peu ou mal scolarisés, obligés pour
certains d’aller se faire soigner à l’étranger, ayant du mal à accomplir les gestes les plus
élémentaires de la vie quotidienne ou civique, ces Français comme les autres apparaissaient pour
ce qu’ils étaient en réalité : des hommes, des femmes et des enfants de seconde catégorie. Une
batterie de textes de lois cherchait, en 2005, à combler la partie de ce retard la plus indigne, la
plus visible, c’est-à-dire aussi la plus facile à discuter publiquement. Autrement plus complexes :
les questions intimes, privées, sensibles, sensuelles. La manière d’écouter ces corps désirants que
sont aussi, comme les autres, tous les autres, les corps handicapés. Certaines démocraties
avancées ont pris le sujet de front et imaginé des solutions pragmatiques : former des assistants et
assistantes sexuels qui permettent aux personnes handicapées de renouer avec un autre usage,
tellement intense, de leur propre corps. En France, une effrayante zone grise recouvre ce tabou,
assimilable à de la prostitution pour ceux qui s’y «livrent» et à du proxénétisme pour ceux qui
l’organisent, les handicapés et leur entourage devant, eux, faire preuve d’une humiliante
ingéniosité pour faire valoir leur droit à ce que le sociologue Eric Fassin appelle la «citoyenneté
sexuelle» (lire page 6). Débattre de cette question où se croisent corps handicapés et commerce
des corps n’est pas à l’ordre du jour en France.
http://next.liberation.fr/sexe/2013/03/07/l-argent-permet-de-prevenir-lattachement_887086
Témoignage
«L’argent permet de prévenir l’attachement »
7 mars 2013 à 23:06
Par ANNE-CLAIRE GENTHIALON
Pascal, 50 ans, ex-assistant certifié:
«Entre 2009 et 2011, j’ai été le seul assistant sexuel "certifié" du pays. Etant
formateur médico-social, j’avais été sensibilisé à la sexualité des personnes
handicapées. L’assistance sexuelle leur permet de passer de la privation, qu’elles
subissent du fait de leur handicap, à la frustration qui, elle, appartient à tout le
monde.
«Mes convictions m’ont poussé à suivre la formation de l’Association sexualité
et handicaps pluriels en Suisse. J’ai commencé à exercer tout de suite après, à raison
d’un ou deux jours par mois. Ces bénéficiaires, aussi bien des hommes que des
femmes et très souvent en situation de handicap moteur, me contactaient par le biais
de mon site ou d’associations. Je leur proposais des massages, des caresses érotiques,
mais jamais de rapports sexuels. Pour beaucoup, c’était déjà une belle découverte.
«J’ai toujours été émerveillé de voir comment les femmes ou les hommes
s’approprient leur désir et laissent leurs corps, malgré leurs blessures, se réveiller.
J’aimerais que nos détracteurs comprennent que notre éthique est celle du respect
humain et réciproque. L’accompagnement sexuel, c’est avant tout des rencontres,
chacune unique et singulière, et un dialogue pour prendre en compte les attentes.
«Parfois, il suffit d’une ou deux séances. Le but n’est pas de fidéliser la personne,
mais de la rendre autonome. Dans cette phase pionnière en France, je ne me faisais
pas payer, juste rembourser les frais de déplacement. L’argent est nécessaire pour
prévenir l’attachement et se positionner dans une relation professionnelle. Je ne l’ai
jamais vécu comme un sacrifice ou un geste altruiste, je souhaitais vivre cette
expérience, pendant un temps, pour pouvoir ensuite en parler, militer et j’espère, un
jour, la transmettre.»
http://next.liberation.fr/sexe/2013/03/07/on-sort-de-la-vision-binaire-opposant-l-amourgratuit-au-sexe-venal_887084
Interview
«On sort de la vision binaire opposant l’amour
gratuit au sexe vénal»
7 mars 2013 à 22:06 (Mis à jour: 9 mars 2013 à 13:59)
Par MATTHIEU ECOIFFIER
Sociologue à l’université de Paris-VIII, Eric Fassin travaille sur la politisation des
questions sexuelles et raciales.
The Sessions, en parlant des services sexuels aux handicapés, interroge-t-il la
sexualité de tous ?
Le film montre la sexualité comme on ne la voit jamais. Bien sûr, le cinéma est saturé
d’actes sexuels ; mais on n’est jamais appelé à les regarder ainsi, avec le tâtonnement
maladroit des corps, l’apprentissage du plaisir en même temps que l’éducation
sentimentale. On montre d’ordinaire une sexualité transparente - ou opaque, comme
dans la pornographie. Ici, comme les personnages, on explore la sexualité, pour
savoir quel sens lui donner. Quand on parle handicap et sexualité, le risque, c’est de
verser dans la compassion. On met alors l’accent sur la «misère sexuelle» : «Les
pauvres…» Mais le film de Ben Lewin fait de la personne en situation de handicap un
sujet, et non un objet : dans The Sessions, c’est Mark O’Brien [interprété par John
Hawkes], écrivain et poète, qui raconte son histoire.
Ce film invite-t-il à penser différemment la marchandisation du corps ?
The Sessions aborde à plusieurs reprises la question du rapport avec la prostitution.
Cheryl, l’assistante sexuelle, pose la différence : on ne paie pas d’avance, et le nombre
de séances est limité ; d’ailleurs, le succès de l’expérience amène à les réduire. Il ne
s’agit pas de légitimer l’assistance sexuelle en renvoyant les autres formes de travail
sexuel dans l’illégitimité. En revanche, on renonce à une vision binaire de la sexualité,
héritée du monde victorien, qui oppose l’amour gratuit et désintéressé au sexe vénal
et intéressé. En réalité, il n’y a pas d’amour «pur», libéré des relations économiques.
La sociologue Viviana Zelizer a montré combien nous oscillons entre deux lectures,
naïve et cynique, des rapports entre économie et intimité : soit nous les posons
comme des «mondes hostiles», radicalement incompatibles, soit, au contraire, nous
affirmons que la relation amoureuse, par exemple, ne serait «rien d’autre» qu’un
rapport intéressé. Mais cette alternative nous empêche de penser la complexité de
l’intimité : ainsi, le mariage et la prostitution ne s’opposent pas comme le jour et la
nuit ; il serait pourtant faussement lucide de réduire le premier à la seconde. Pour
justifier l’assistance sexuelle ou la gestation pour autrui, il n’est pas nécessaire d’en
faire un don pur. On peut aussi les penser comme des métiers. C’est d’ailleurs le
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moyen de ne pas nier la possibilité de l’exploitation… qui existe aussi dans les
relations supposées désintéressées. En anglais, d’ailleurs, on utilise le même mot,
surrogate [«de substitution», ndlr], pour le sexe et les mères porteuses.
Partir des besoins sexuels concrets est-il suffisant pour s’affranchir de la
morale ?
On s’expose bien sûr à reproduire les normes : l’hétérosexisme, mais aussi le sexisme,
en naturalisant le désir masculin (un besoin), et en assignant le care sexuel aux
femmes (leur vocation). Mais pas plus que dans toute autre pratique ou
représentation du sexe. En fait, il y a des assistants sexuels hommes ; et les
«bénéficiaires» peuvent être du même sexe. Le handicap ne réduit pas la personne à
sa condition médicale ; d’autre part, la sexualité n’est pas un simple besoin naturel.
Le sujet politique est donc un sujet sexuel. Il en va de la sexualité comme des autres
libertés et droits (qui n’ont rien d’absolu ou d’inconditionnel) : il s’agit de citoyenneté
sexuelle.
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http://next.liberation.fr/sexe/2013/03/07/pour-la-premiere-fois-je-me-suis-sentiefemme_887092
Témoignage
«Pour la première fois, je me suis sentie
femme»
7 mars 2013 à 23:06
Par ANNE-CLAIRE GENTHIALON
Valentine, 40 ans, cliente d'un assistant sexuel
«C’est un ami qui m’a transmis les coordonnées d’un assistant sexuel, un infirmier
qui "rendait service" à des femmes handicapées, estimant que toute personne a
besoin d’affection. Je suis infirme moteur cérébrale. Concrètement, je me déplace en
fauteuil roulant et je n’ai pas l’usage de mon bras gauche, mais j’ai toute ma
sensibilité. Dans la vie de tous les jours, malgré mon handicap, je suis indépendante.
«Nous nous sommes rencontrés une première fois pour faire connaissance et
déterminer les limites de chacun. J’avais des réticences : ce n’est pas anodin de payer
pour avoir de l’intimité avec quelqu’un. J’ai longtemps espéré une belle rencontre, un
mariage et des enfants. Après plusieurs années, j’ai compris que, si je ne faisais rien,
rien ne se passerait. Ça me pesait : je me disais que je ne connaîtrais jamais le plaisir.
Alors, j’ai laissé tomber mes principes et j’ai payé 50 euros pour faire l’amour.
«Il est venu chez moi. Nous nous sommes d’abord allongés l’un à côté de l’autre et
avons touché nos corps. Il m’a massée, a pris son temps. J’étais un peu craintive au
début car très peu expérimentée sexuellement, mais il a été très attentif et très tendre.
Grâce à lui, pour la première fois de ma vie, je me suis sentie femme et plus
uniquement une paire de jambes sur un fauteuil. Ce n’était pas mon handicap qui
était touché, caressé, mais moi ! Je vivais enfin quelque chose de normal.
«Cette expérience s’est répétée pendant plusieurs mois et s’est arrêtée quand cet
assistant sexuel a cessé son activité. Cela m’a permis de découvrir le sexe mais aussi
de réaliser que j’avais le droit d’exprimer mes désirs, mes envies… J’ai aussi compris
que je pouvais donner : quand on est handicapé, on reçoit énormément mais on ne
nous permet jamais de rendre.»
http://next.liberation.fr/sexe/2013/03/07/sexe-le-voeu-pieu-des-handicapes_887099
Décryptage
Sexe : le vœu pieu des handicapés
7 mars 2013 à 23:06
Par ERIC FAVEREAU, ANNE-CLAIRE GENTHIALON
Le film «The Sessions», sorti mercredi, pose avec finesse la question taboue de
l’assistance sexuelle aux handicapés. Un débat que le gouvernement évite.
Des personnages qui éblouissent, sur un thème tabou et casse-gueule. The Sessions,
film sorti mercredi en salles après avoir accumulé les prix dans les festivals de
cinéma, parle des assistants(e)s sexuels pour les personnes handicapées. C’est
l’histoire vraie du poète et journaliste américain Mark O’Brien qui, arrivé à 38 ans, a
entrepris de perdre sa virginité, avec Cheryl, une sexual surrogate, une
professionnelle de l’assistanat sexuel, métier officiellement reconnu aux Etats-Unis.
Après une attaque de polio, O’Brien a passé la plus grande partie de sa vie dans un
poumon d’acier - un caisson d’assistance respiratoire -, ne pouvant en sortir que deux
à trois heures par jour. «Je voulais être aimé, que l’on me prenne dans les bras, qu’on
me caresse et qu’on m’apprécie. Mais ma haine de moi-même et ma peur était trop
intense», témoignera-t-il dans un article publié en 1990 dans le magazine The Sun. Et
après ? «Une chose que j’ai apprise avec Cheryl, c’est que les relations sexuelles ne
sont pas l’expression de l’agressivité masculine, mais une douce, tendre, pleine
expérience.»
L’histoire est belle mais américaine. En France ? Il a fallu attendre 2007 et la tenue
du colloque «Dépendance physique : intimité et sexualité» pour que la question de
l’assistance sexuelle sorte de l’ombre. Pour la première fois, des personnes très
dépendantes livraient leurs témoignages, leur détresse et, surtout, l’urgence de
bénéficier d’un accompagnement à la vie intime, affective et sexuelle. Depuis, le débat
revient périodiquement. Mais ne trouve pas de solution. La loi de 2005 promeut
l’autonomie et la citoyenneté des handicapés, mais leur accès à la sexualité n’y est pas
envisagé. «Nous avons le droit de recevoir beaucoup d’aides, mais aucune pour
exercer notre sexualité», dénonce Julia Tabath, vice-présidente de l’association
CH(s)OSE, qui milite pour l’instauration de l’assistance sexuelle. «Chacun bricole en
trichant avec la loi : l’assistance sexuelle n’est pas l’unique réponse pour la prise en
compte de la sexualité des personnes handicapées, mais elle mérite au moins d’être
débattue !» A la détresse des personnes prisonnières de leurs corps, sans accès à la
moindre sexualité, on oppose la marchandisation des corps, question qui divise
jusqu’aux associations de handicapés. En attendant : système D.
Des numéros d’assistants sexuels improvisés s’échangent sous le manteau.
Confrontée aux demandes de ses résidents adultes myopathes, une directrice
d’établissement raconte à Libération qu’elle envisage d’affréter un car pour se rendre
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aux Pays-Bas, où l’aide sexuelle est légale. Les rares escort girls qui acceptent des
handicapés nous confient leur peur de «mal faire ou de faire mal». Et puis il y a ce
père de famille qui a conduit son fils, jeune adulte paralysé, jusqu’à Genève pour qu’il
puisse y vivre son initiation sexuelle. Des pratiques clandestines, réservées à ceux qui
ont les moyens financiers, voire dangereuses en raison de l’absence de formation de
ceux et celles qui la pratiquent.
L’assistance sexuelle pour qui et comment ?
«Ce service s’adresserait essentiellement aux personnes qui, du fait de leur
handicap, ne peuvent pas entrer en contact avec un partenaire ou sont incapables
de se procurer elles-mêmes du plaisir», détaille Julia Tabath, de CH(s)OSE.
Contact peau à peau, caresses sensuelles, coït mais aussi aide à deux personnes
handicapées pour faire l’amour en couple : l’assistance ne se réduit pas à un simple
rapport sexuel. Il s’agit avant tout de découvrir ou redécouvrir son corps, son intimité
ou le plaisir, le temps de plusieurs séances. Dans son projet, CH(s)OSE met l’accent
sur la nécessité d’une formation ad hoc. Un impératif aussi souligné par le Comité
national consultatif des personnes handicapées dans son rapport de 2010 : «Elle
serait assurée par un organisme de formation chargé préalablement d’effectuer une
sélection en fonction de critères d’aptitude. A l’issue de cette formation, un jury
délivrerait une certification d’aptitude pour une durée déterminée, renouvelable.»
Ce modèle s’inspire largement de la Suisse, où l’Association sexualité et handicaps
pluriels a dispensé une session de formation de 300 heures en 2008. De l’autre côté
des Alpes, où l’activité est légale, les assistants sexuels formés doivent avoir plus de
30 ans, être «en équilibre dans leur vie personnelle» et avoir un travail - le gain de
170 euros pour une heure et demi de séance ne devant pas être leur principale
ressource. Une fois certifiés, ils bénéficient d’un suivi psychologique individualisé.
Quel est le principal obstacle ?
En France, faire l’intermédiaire entre une personne qui a des rapports sexuels
rémunérés et une autre qui paie est considéré comme du proxénétisme - puni de
sept ans de prison et de 150 000 euros d’amende. «Cela n’a pourtant rien à voir avec
une passe, défend Julia Tabath. Les accompagnants posent leurs limites, certains
vont pratiquer la pénétration, d’autres se contenter d’un éveil à la sensualité. S’ils
sont payés, c’est pour éviter toute confusion entre assistance sexuelle et relation
amoureuse.»
Directeurs d’établissements, auxiliaires de vie, parents et tout autre tiers sollicitant
un assistant sexuel pour un handicapé risquent des poursuites. «C’est pourquoi nous
demandons une exception à la loi pour les personnes handicapées», rappelle Tabath.
Une position qui ne fait pas l’unanimité. Pour Maudy Piot, féministe, fondatrice du
collectif Handicap, Sexualité, Dignité et présidente de l’association Femmes pour le
dire, femmes pour agir, l’accès à la sexualité ne doit pas passer par la
marchandisation des corps. «Il n’y a pas de droit à la sexualité. Pourquoi, à ce
moment-là, les prisonniers, les gros, les maigres, les moches n’y auraient pas droit
?» A l’en croire, «l’assistance sexuelle ne ferait que renforcer la ghettoïsation des
personnes en situation de handicap».
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Y a-t-il un espoir de déblocage ?
En 2011 le député UMP Jean-François Chossy appelait dans un rapport à
«promouvoir l’idée que toute personne doit pouvoir recevoir l’assistance humaine
nécessaire à l’expression de sa sexualité», plaidant pour un «un cadre éthique et
juridique indispensable pour éviter toute dérive». Réponse de Roselyne Bachelot :
«Vous pensez que la ministre en charge du Droit des femmes va soutenir un truc
pareil ?» Et puis rien, jusqu’à la déclaration du candidat Hollande dans le magazine
Faire face : «Nous devrons mener ce débat, regarder ce qui se passe dans d’autres
pays, sans préjugés.» En février, l’association Ch(s)OSE a donc adressé au Président
une lettre ouverte réclamant de lancer ce grand débat. Cette semaine, c’est au tour
des opposants à l’assistance sexuelle d’interpeller Hollande en lui demandant un
«renforcement de la politique abolitionniste et de la lutte contre toute forme de
proxénétisme, sans exception». Des interpellations qui risquent de rester lettre morte
: contacté par Libération, le cabinet de Marie-Arlette Carlotti, la ministre chargée des
Personnes handicapées, nous a fait savoir que cette question «n’est pas à l’ordre du
jour».
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