Les 100 mots de la sexualité AL

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Les 100 mots de la sexualité AL
Note de lecture – présentation d'ouvrage :
Les 100 mots de la sexualité
sous la direction de Jacques André
coll. Que sais-je ?, Paris, PUF, 2011.
Alexandre Lévy*
Cent mots ! Pour certains, c'est déjà trop, pour d'autres,
c'est trop peu. Comment faire ?
Serait-ce trop ? Que les lecteurs inquiets au sujet de leur libido se
rassurent, ces 100 mots là n'exigent pas pour autant une pratique ad hoc. Qu'ils ne se formalisent
pas non plus devant l'Origine du monde, donnée en couverture, à peine voilé par le bandeau de la
collection. Notons au passage que l'apposition de la mention « Que sais-je ? » sur l'image modernise
singulièrement la toile de Gustave Courbet ainsi tatouée.
Il ne s'agit pas ici d'un recensement de notions théoriques et de concepts autour de la sexualité,
mais au fond un exercice bien plus riche et distrayant : cet ouvrage aborde la sexualité dans ses
rapports au langage. La vie sexuelle est ici visitée dans les divers usages de la langue et de ses
expressions : occasion de réviser notre latin en la matière, quoique finalement se faisant rare – ne
resterait-il que « Cunnilingus », « Libido » et « Post-coïtum, animal triste » aux latinistes ? –
laissant la place plus volontiers aux termes anglais, propices à quelques truculences difficilement
traduisibles. Et apprenons aux quelques candides qui restent, résistants aux appels impérieux de
jouissance : que non, « Backroom » ne désigne pas la pièce d'une quelconque arrière-boutique ; que
« Fist fucking » n'est pas seulement l'injure proférée lorsqu'on s'est coincé une main baladeuse dans
la porte de ce que nous prenions comme la pièce en arrière-boutique ; et que « Coming out » ne
désigne pas la sortie dérobée de ladite pièce.
Mais, cent mots ! Trop peu pour dire la chose, pourrait-on entendre par ailleurs, et c'est frustrant. Et
alors ! Notre insatiable curiosité polymorphe en resterait quitte ? Que ces lecteurs se rassurent
également, la frustration fait partie de ces cent mots-là, même si l'entrée nous en donne déjà la
couleur en étant accompagnée d'un petit complément : nous pouvons lire « Frustré (mal baisé) »,
coincé d'ailleurs entre « Frigidité » et « Godemiché ». N'est-ce pas là la possibilité d'un programme
pour les plus inventifs de nos lecteurs ?
La quatrième de couverture donne le ton : « Au commencement était l' « Abstinence », à la fin la
* Maître de conférence, IPSA, UCO, Angers, (France) PRES l'UNAM Université / PPI (EA 2646) / Equipe Ceripsa
(UCO).
« Zone érogène » ». Le voyage s'annonce riche de promesses et d'aventures. Co-écrits à treize mains
et dirigé par Jacques André, ces 100 mots... recèlent d'anecdotes étymologiques, historiques,
sociologiques, éthologiques parfois . L'écriture, limpide, concise et souvent drôle laisse apparaître le
sérieux de l'affaire : le soucis d'une clinique du désir traverse l'ouvrage, prenant le temps du récit et
du questionnement, travaillé par l'apport freudien, en mettant souvent en exergue quelques paroles
de patients et d'analysants prises au vol, contribuant à nous captiver par ces ponctuations à la
Georges Perec, qui nous invitait à la rencontre des habitants d'un immeuble dans La vie mode
d'emploi.
Aussi, si Armand questionne le désir de l'Autre sexe, allumant sans le savoir son propre désir,
Jeanne finit par révéler le sien dans un de ses rêves. Si Romain balbutie devant son père se
défaussant, la petite Lucie vient à affirmer son envie de savoir, devant sa mère se troublant. Alors
que Louis se rappelle de sa surprise juvénile et érectile, Jules s'inquiète pour sa liberté onanique.
Luc est angoissé, contrairement à Joseph, paré de son écran. Léo est idéaliste, Lucia est terrifiée,
mais pas Manon, devant son violent fantasme. Clémentine est froide, du moins étymologiquement,
alors qu'Héléna exige un mot comme condition de la chose.
Or, mine de rien, tout en évitant la dimension pesante et mortifiante d'une telle entreprise, les 128
pages de ces 100 mots... s'en réfèrent à des savoirs éclectiques quasi-encyclopédiques. Arts, théâtre,
littérature et sciences humaines sont ainsi convoqués à toutes les pages du recueil, mariant les
genres et les références. Outre les figures du panthéon de l'Olympe, les métamorphose d'Ovide,
nous trouvons également plus d'une centaine d'auteurs et d'artistes venus prêter main forte à la
question du sexuel : parmi eux bien sûr, Sade et Masoch, mais également Nabokov et Laclos,
Stendhal et Proust, Shakespeare et Kundera... De Saint Paul à Brassens, de Michel Ange à Louise
Bourgeois, de Joyce à Milène Farmer, de Umberto Eco à Benoit XVI, les rebondissements sont
nombreux et quelques fois inattendus, concourant au plaisir de la lecture.
Le champ cinématographique n'est pas en reste, où se conjuguent sympathiquement l'œuvre d'art et
d'essai et le blockbuster : Jean Eustache, François Truffaut et « Twilight », Woody Allen, Igmar
Bergman et « Quand Harry rencontre Sally », ou encore Maurice Piallat, Luchino Visconti et « Sex
in the City »...
Le travail ciselé et ouvragé pour une telle diversité d'entrées est indéniable, rendant difficile un
décernement quelconque de palme. Risquons-nous tout de même à en mentionner quelques unes :
ainsi le remarquable « Harcèlement sexuel », qui en quelques lignes rassemblent les définitions, les
enjeux et cible le questionnement : n'y aurait-il pas au fond quelque chose qui nous harcèle, et qui
aurait à voir avec une haine du sexuel ? L'entrée « Insulte, injure » nous donne la mesure en
quelques lignes également de l'intime connexion entre la langue, le sexuel et la sexuation.
Mentionnons enfin l' « Abstinence, chasteté » qui ouvre le recueil, nous dressant de fulgurants
tableaux en nous faisant passer des pratiques « S/M » aux épreuves délicieuses du fin' amor, l'amour
courtois.
L'abécédaire semble ici un noble prétexte pour nous montrer qu'au-delà du faire et des pratiques –
occasion d'entrevoir la variété et variation des jouissances, allant de l'extase à l'enfer –, le sexuel est
porté par le dire, toujours passible de se renouveler voire de se réinventer. Et qu'il y ait Cent mots
présentés ici nous invite à en décliner mille autres.

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