Anatomo-pathologie des tumeurs malignes du pénis

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Anatomo-pathologie des tumeurs malignes du pénis
Progrès en Urologie (2005), 15 801-804
Anatomo-pathologie des tumeurs malignes du pénis
Agnes LESOURD
Histologiquement, l’épithélium reste plan, mais il comporte
des stigmates d’inflammation virale : cellules plurinucléées,
vacuolisées correspondant à des koïlocytes, noyaux fripés
souvent hyperchromatiques. Ces lésions sont souvent associées à une dysplasie au minimum légère, voire plus, entrant
alors dans le cadre des lésions précancéreuses
I. LES CONDITIONS PRECANCEREUSES.
Ainsi dénommées car elles sont souvent associées au carcinome épidermoïde (CE) [17].
1. Le lichen scléro-atrophique (Fig 3):
Ce sont cliniquement des papules irrégulières blanchâtres et
fermes regroupées en plaques entourées d’une aréole rosée
ou pigmentée. La lésion évolue vers une atrophie et peut
entraîner un phimosis ou une sténose du méat (« balanitis
xerotica obliterans »).
b) Condylomes acuminés [17]
Ce sont des lésions exophytiques sessiles ou pédiculées. Ils
siègent sur la couronne du gland, le méat urétral, la fossette
naviculaire.
Histologiquement, il s’agit d’une prolifération épithéliale
malpighienne hyperpapillomateuse, avec acanthose, hyperkératose, et koïlocytes. Les atypies sont absentes ; et les
mitoses rares sont situées en profondeur.
Elles siègent le plus souvent sur le gland et le prépuce. Il en
existe 2 formes cliniques : avant la puberté (forme congénitale), et chez le sujet âgé (forme associée au CE).
Histologiquement, la membrane basale épithéliale est rectiligne et soulignée par une bande conjonctive oedémateuse puis
fibreuse limitée en profondeur par un infiltrat inflammatoire
mononucléé en bande. L’épithélium de surface devient atrophique et hyperkératosique mais sans atypie (Fig 4).
c) La tumeur de Buschke-Löwenstein
C’est une lésion controversée. Il s’agirait pour certains d’un
condylome géant associé à HPV 6 et 11, pour d’autres elle a
été considérée comme un carcinome verruqueux [10, 13].
Pour Cubilla [4], les carcinomes verruqueux ne sont pas liés
au virus HPV ce qui les oppose aux condylomes. La tumeur
de Buschke-Löwenstein regrouperait plusieurs entités liées à
HPV, allant du condylome au carcinome condylomateux.
Il existe une association entre lichen scléro-atrophique et
cancer de la vulve. Plusieurs hypothèses physiopathologiques
ont été évoquées : des désordres hormonaux, des facteurs
génétiques, un mécanisme auto-immun [18]. Le risque d’évolution vers un CE est discuté y compris dans la localisation
pénienne. Pour certains auteurs, une transformation maligne
est observée dans 9% des cas [14, 15].
II. LES LESIONS PRECANCEREUSES
Ces lésions peuvent évoluer vers un CE en l’absence de traitement. Il s’agit des dysplasies et des différentes formes de
carcinome in situ.
2. Les condylomes vénériens :
Ce sont des lésions infectieuses, bénignes, contagieuses et
récidivantes. L’agent viral responsable est le human papiloma
virus (HPV). Le sous-type d’HPV a pu être mis en évidence
par immuno-histochimie et hybridation in situ. Il s’agit le
plus souvent des sérotypes HPV 6 et 11 mais les sérotypes
oncogènes 16, 18, 31 et 33 peuvent être mis en évidence dans
les condylomes avec dysplasie.
En outre il a été décrit une hyperplasie pseudo tumorale très
bien différenciée susceptible d’évoluer vers un CE sous le
terme clinique de « balanite pseudoépithéliomateuse kératosique et micacée ».
Le point commun de tous les CARCINOME IN SITU de
type épidermoïde est leur aspect histologique. Ils peuvent se
présenter sous 3 formes cliniques:
Plusieurs présentations cliniques ont été décrites :
L’érythroplasie de Queyrat : c’est une plaque bien limitée
rosâtre, lisse, unique des muqueuses du gland et du prépuce
[9]; Elle évolue dans 33% des cas vers un CE.
a) Les condylomes plans
Macroscopiquement ce sont des lésions papuleuses ou maculeuses mieux visibles par l’application d’acide acétique et par
péniscopie. Elles siègent sur le prépuce ou sur le fourreau.
La maladie de Bowen : plaque bien limitée squameuse ou
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croûteuse, unique, pouvant atteindre la peau de la verge. 10
% des sujets développent un CE [9].
Il se grade en bien, moyennement, peu différencié (grade de
Broders) en fonction des atypies, et de l’importance de la
kératinisation.
Ces deux formes cliniques surviennent vers l’âge de 50 à 60
ans.
Le mode d’extension est variable : superficiel (le plus fréquent), vertical, papillaire verruqueux, ou multicentrique.
La papulose bowenoïde doit être différenciée de la maladie
de Bowen: L’aspect histologique est celui d’un carcinome in
situ de type Bowen mais la lésion est plus diffuse, multicentrique, indolore, répondant bien au traitement conservateur et
pouvant régresser spontanément. Elle survient chez des
sujets plus jeunes (âge moyen: 29,5 ans),ayant une histoire
d’infection à virus HPV. Cette lésion n’évolue pas vers un
carcinome invasif [2].
Le risque de métastases ganglionnaires inguinales est plus
important si la tumeur a une extension verticale.
L’extension en profondeur se fait vers les corps caverneux
après rupture du fascia de Buck puis de l’albuginée.
La forme infiltrante ne serait pas liée au virus HPV alors
que le carcinome basaloïde et le carcinome condylomateux
le sont [3]. Ce carcinome serait plus souvent associé au
lichen scléro-atrophique.
La maladie de Paget extra-mammaire est à considérer à
part. Elle représente une forme d’extension carcinomateuse,
sans préjuger du type histologique épidermoïde ou glandulaire [11].
2. Le carcinome basaloïde.
C’est une tumeur non exophytique, ulcérée avec mode d’extension vertical. Elle atteint les sujets plus jeunes que le CE
habituel. Elle est plus souvent liée au virus HPV (sous type
16 le plus souvent).
II. CLASSIFICATION HISTOLOGIQUE [5]
1. Le carcinome epidermoïde (95% des cas)
Elle est constituée de cellules basales en nids avec nécrose
centrale type comédocarcinome. Il existe parfois des images
de kératinisation abrupte. Le grade est plus souvent élevé, les
extensions lymphatiques fréquentes et le risque métastatique
élevé [12].
a) Caractères généraux morphologiques et évolutifs [7]
Le carcinome épidermoïde siège principalement sur le gland,
le prépuce et le sillon balano-préputial. L’extension locorégional se fait essentiellement par voie lymphatique vers les
ganglions inguinaux, ce qui conditionne le pronostic.
Il est à différencier du carcinome basocellulaire cutané de la
verge, qui ne donne pas de métastases et du carcinome transitionnel d’origine urétrale.
Il existe deux types de tumeur selon leur mode d’extension :
la tumeur ulcéro-infiltrante et la tumeur exophytique
(papillaire). La tumeur ulcéro-infiltrante a une extension
plus rapide en profondeur et un tropisme lymphatique plus
important, d’où un pronostic plus défavorable. Les tumeurs
exophytiques sont superficielles, présentent une extension
latérale et une atteinte ganglionnaire absente ou tardive.
3. Le carcinome condylomateux.
C’est une tumeur infiltrante qui a d’abord été décrite dans la
vulve [16]. Elle est multifocale et associée à HPV.
L’aspect est papillaire avec des axes fibrovasculaires [6]. Il
existe une hyperkératose, une parakératose, des koïlocytes,et
des cellules binucléées. Elle donne rarement des métastases
ganglionnaires.
Le potentiel d’extension tumorale dépend aussi du siège de
la tumeur et des obstacles naturels à l’extension : une tumeur
du gland envahit le corps spongieux, une tumeur du prépuce
doit envahir le sillon ou le gland avant d’atteindre les corps
érectiles, une tumeur du sillon doit traverser l’albuginée
avant d’atteindre les corps caverneux.
4. Le carcinome verruqueux
C’est un carcinome épidermoïde exophytique et endophytique très bien différencié, avec hyperacanthose, hyperkératose et des bourgeons tumoraux qui repoussent le stroma en
profondeur. Les papilles épithéliales sont dépourvues d’axe
conjonctif.
Toutes ces données permettent de définir les facteurs du pronostic [7, 8]: siège de la tumeur, mode d’extension, profondeur d’extension en mm et le stade local (pT), extension lymphatique (pN). Le grade histologique est le troisième facteur
pronostic important. Il existe plusieurs grades histo-pronostiques (Broders, Maiche, autres). Les marqueurs de prolifération parmi lesquels la P53 auraient une valeur pronostique
indépendante.
Les noyaux sont ronds. Quelques atypies peuvent se voir
dans la couche basale épithéliale. Il n’y a pas de koïlocytes,
ce qui le différencie du condylome géant. C’est une tumeur
à malignité locale. Elle ne donne pas de métastase ganglionnaire.
5. Le carcinome papillaire
b) Classification
C’est une tumeur exophytique qui n’a ni les caractères du
carcinome condylomateux avec ses atypies virales ni du carcinome verruqueux avec sa très grande différenciation et son
caractère endophytique qui repousse le chorion.
1. type habituel.
Histologiquement il ressemble aux carcinomes épidermoïdes
d’autres localisations (Fg 5).
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6. Le carcinome sarcomatoïde
Son aspect macroscopique est souvent polypoïde. C’est une
tumeur de haut grade avec mode d’extension vertical et
risque élevé de métastases [12]. Elle est constituée de cellules fusiformes disposées en faisceaux avec par endroits des
îlots de cellules épithélioïdes, et une différenciation épidermoïde focale.
CE QU’IL FAUT RETENIR
Conditions précancéreuses (lésions fréquemment associées à un carcinome du pénis): le lichen scléro-atrophique
chez le sujet âgé, et les condylomes vénériens à HPV.
Lésions précancéreuses: elles évoluent vers un carcinome
pénien en l’absence de traitement. Il s’agit de lésions de
carcinome in situ. On regroupe ainsi l’Erythroplasie de
Quérat et la Maladie de Bowen. La Maladie de Paget extramammaire est à classer à part.
L’immunohistochimie permet de le différencier d’un sarcome notamment musculaire lisse car les marqueurs épithéliaux sont positifs.
Une transformation sarcomateuse peu différenciée a été
décrite après radiothérapie des carcinomes verruqueux.
Les carcinomes du pénis: 95% sont des carcinomes épidermoïdes. Ils siègent principalement sur le gland, le prépuce et dans le sillon balano-prépucial.
2. Autres tumeurs malignes du penis
les carcinomes adénosquameux.
Il en existe 2 formes principales: une forme ulcéro-infiltrante qui sera rapidement associée à un envahissement
ganglionnaire, et une forme exophytique qui entraîne une
évolution ganglionnaire tardive et rare.
le carcinome urothélial développé à partir de l’urètre.
le carcinome sébacé.
le carcinome neuroendocrine à cellules de Merkel.
Le pronostic de ce carcinome est conditionné par sa profondeur d’infiltration, son grade d’histopronostic et l’existence éventuelle d’emboles sanguins ou lymphatiques.
le mélanome malin (moins de 1% des cancers du pénis) survient sur le gland.
A coté du type habituel de carcinome épidermoïde, forme
la plus fréquente, parmi toutes les formes décrites, 2 formes particulières méritent d’être citées: le carcinome basaloïde qui touche des hommes plus jeunes, est une forme
agressive, souvent liée à HPV. Le carcinome verruqueux
est une lésion à malignité locale exclusive.
les sarcomes: moins de 5% des cancers du pénis surviennent
sur le gland pour le sarcome de Kaposi , chez des sujets HIV
+, et sur le corps du pénis pour les autres: (epithelioïde,
hémangioendotheliome, angiosarcome, leiomyosarcome,
fibrosarcome, histiocytome fibreux malin). Des rhabdomyosarcomes embryonnaires ont été décrits chez l’enfant. On
peut aussi voir des tumeurs conjonctives bénignes
les lymphomes. Il faut rechercher un site primitif ganglionnaire
les métastases sont très rares: prostate, vessie, recto sigmoïde, rein.
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