Modification du contrat de travail et transfert d

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Modification du contrat de travail et transfert d
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Modification du contrat de travail et transfert
d’entreprise
le 17 juin 2016
SOCIAL | Rupture du contrat de travail
Lorsqu’un transfert d’entreprise entraîne, par lui-même, une modification du contrat de travail
autre que le changement d’employeur, le salarié est en droit de s’y opposer mais l’employeur peut
tirer les conséquences de ce refus en engageant une procédure de licenciement qui reposera sur
une cause réelle et sérieuse.
Soc. 1er juin 2016, FS-P+B, n° 14-21.143
Le lieu de travail relève, a priori, du contrat de travail et non des simples conditions de travail. Il
s’ensuit que sa modification constitue une modification du contrat nécessitant l’accord du salarié (à
propos d’une « modification d’un élément substantiel du contrat », V. Soc. 8 oct. 1987, nos
84-41.902 et 84-.41.903, Bull. civ. V, n° 541 ; D. 1988. 57, obs. Y. Saint-Jours ; Dr. soc. 1988. 135,
obs. J. Savatier ; retenant la distinction entre modification du contrat de travail et changement des
conditions de travail, V. Soc. 10 juill. 1996, n° 93-40.966, Bull. civ. V, n° 278 ; D. 1996. IR 199 ; Dr.
soc. 1996, obs. H. Blaise ; GADT, 4e éd., 2008, n° 50). Plusieurs tempéraments doivent cependant
être apportés au régime de cette modification. En premier lieu, la chambre sociale a précisé que la
modification du lieu du travail au sein d’un même secteur géographique ne relève que du
changement des conditions de travail que le salarié ne peut refuser sans commettre une faute (Soc.
20 oct. 1998, n° 96-40.757, Bull. civ. V, n° 431). En second lieu, la loi est venue tempérer les effets
du refus de la modification du contrat de travail dans certaines hypothèses, qu’elles relèvent de la
modification du lieu du travail ou d’un autre élément du contrat. Tel est par exemple le cas
s’agissant de l’application d’un accord de mobilité interne (C. trav., art. L. 2242-19) ou encore des
accords de maintien de l’emploi (C. trav., art. L. 5125-2). Dans ces hypothèses, la loi prévoit que,
lorsqu’un ou plusieurs salariés refusent l’application de l’accord à leur contrat de travail, leur
licenciement « est prononcé selon les modalités d’un licenciement individuel pour motif
économique ». Est encore précisé dans l’article L. 5121-2 que ce licenciement « repose sur une
cause réelle et sérieuse ». Le transfert d’entreprise implique également des spécificités en matière
de modification du contrat de travail. L’article L. 1241-1 du code du travail prévoit qu’en cas de
transfert de l’entreprise, « tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent
entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise ». Le transfert d’une « entité économique
autonome, conservant son identité, donc l’activité est poursuivie ou reprise » emporte ainsi une
substitution d’employeur automatique (Soc. 14 déc. 2004, n° 03-41.713, Bull. civ. V, n° 331 ; Dr.
soc. 2005. 229, obs. A. Mazeaud ). Il s’ensuit que le changement d’employeur ne constitue pas une
modification du contrat de travail et s’impose au salarié sous réserve d’un droit d’opposition
produisant les effets d’une démission (Soc. 10 oct. 2006, n° 04-40.325, Bull. civ. V, n° 295 ; Dr. soc.
2006. 1191, obs. A. Mazeaud ; D. 2007. 472, obs. J. Mouly ; RDT 2006. 390, obs. P. Waquet ; en
application de la jurisprudence communautaire, V. CJCE 16 déc. 1992, aff. C-132/91 et C-139/91,
Katsikas, Skeb, Schroll, Rec. CJCE p. I-6577 ; JOCE n° C 22, 26 janv. 1993 ; RTD eur. 1994. 277,
chron. E. Traversa ).
À l’occasion du transfert, l’employeur peut toutefois être tenté d’imposer d’autres modifications du
contrat de travail que la simple substitution d’employeur. Ces propositions peuvent être ou non la
conséquence directe du transfert. Lorsqu’elle ne l’est pas, la proposition de modification relève du
droit commun de la modification du contrat de travail. Ainsi, l’introduction d’une clause de mobilité
dans le contrat, à l’occasion du transfert, constitue une modification substantielle des conditions de
travail que le salarié peut refuser (Soc. 2 juin 1992, n° 89-41.696, Dalloz jurisprudence). De même,
la proposition d’une rétrogradation par l’employeur qui chercherait à éluder les dispositions d’ordre
public relatives au transfert en modifiant le contrat de travail constitue une proposition de
modification du contrat de travail que le salarié peut refuser sans que ce refus ne constitue ni une
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faute grave, ni une cause réelle et sérieuse de licenciement (Soc 14 janv. 2004, n° 01-45.126, Bull.
civ. V, n° 9). Dans l’arrêt commenté, la modification était une conséquence directe du transfert. Le
transfert emportait la modification du lieu du travail, de la Seyne-sur-Mer (Var) vers Lyon. Une des
salariés dont le contrat devait être transféré avait alors fait part de son refus du fait de
l’éloignement géographique et « des conséquences importantes sur [sa] vie privée ». La société
cessionnaire avait alors licencié la salariée pour motif personnel. À la suite de l’arrêt de la cour
d’appel retenant le caractère réel et sérieux du licenciement prononcé, la salariée s’est pourvue en
cassation, reprochant notamment à l’arrêt d’appel d’avoir retenu que le refus d’une modification du
contrat de travail pouvait constituer un motif de licenciement.
La Cour de cassation rejette le pourvoi en énonçant que, « lorsque l’application de l’article L.
1224-1 du code du travail entraîne une modification du contrat de travail autre que le changement
d’employeur, le salarié est en droit de s’y opposer ; qu’il appartient alors au cessionnaire, s’il n’est
pas en mesure de maintenir les conditions antérieures, soit de formuler de nouvelles propositions,
soit de tirer les conséquences de ce refus en engageant une procédure de licenciement ». Selon la
chambre sociale, le licenciement reposait en l’espèce sur une cause réelle et sérieuse dès lors que
la cour d’appel avait constaté que le transfert « avait entraîné par lui-même une modification de
son contrat de travail ».
Cet arrêt n’est pas le premier à reconnaître la faculté pour l’employeur de prononcer un
licenciement à la suite du refus d’une modification du contrat de travail autre que le changement
d’employeur résultant du transfert d’entreprise (Soc. 30 mars 2010, n° 08-44.227, Bull. civ. V. n° 79
; D. 2010. 968 ; Dr. soc. 2010. 856, obs. A. Mazeaud ). Dans l’arrêt de 2010, il s’agissait d’un
transfert partiel, le salarié se trouvant dès lors lié par une pluralité de contrats à temps partiel avec
plusieurs employeurs. Un auteur avait alors relevé qu’un tel licenciement serait du fait du salarié et
que la cause réelle et sérieuse reposerait « sur l’opposition à la modification du contrat dans le
respect des obligations de bonne foi du cessionnaire » (A. Mazeaud, art. préc.). Cela peut
surprendre. En principe, « le refus du salarié d’une modification de son contrat n’est pas une cause
justificative de licenciement » (Soc. 7 oct. 1997, n° 95-42.196, Dr. soc. 1997. 1097, obs. G.
Couturier ; 5 févr. 1997, n° 94-40.948, Bull. civ. V, n° 53 ; D. 1997. 75 ; Dr. soc. 1997. 317 ). La
cause du licenciement est ainsi à rechercher dans la cause de la modification refusée. La chambre
sociale a, en ce sens, précisé que « la rupture résultant du refus par le salarié d’une modification de
son contrat de travail, proposée par l’employeur pour un motif non inhérent à sa personne,
constitue un licenciement pour motif économique » (Soc. 11 déc. 2001, n° 99-42.906, D. 2002.
1012 ). Un autre auteur avait préféré reconnaître une nouvelle hypothèse de licenciement sui
generis (P. Morvan, « Divisibilité du contrat de travail transféré », JCP S 2010. 1297).
En l’espèce, le licenciement avait été prononcé pour motif personnel. La chambre sociale n’apporte
expressément aucune précision sur la nature du licenciement. Elle retient cependant que le
licenciement (prononcé pour motif personnel donc) est justifié. Quelle que soit sa nature, le
licenciement résultant du refus de modification d’un élément du contrat de travail directement
entraînée par le transfert justifiera donc à l’avenir un licenciement. Le contrôle de la cause réelle et
sérieuse est réduit au lien entre la modification proposée et le transfert. Comme en matière
d’opposition au changement d’employeur, l’efficacité du droit d’opposition du salarié en cas de
transfert d’entreprise semble bien limitée.
par Magali Roussel
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