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Modifications récentes de la responsabilité médicale
en matière pénale
M. Bernard*
Il est question dans cet article de l’aspect pénal de la responsabilité médicale, dans ses divers aspects de base, mais aussi au
vu de décisions importantes ayant récemment modifié le panorama de cette responsabilité.
LES FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITÉ
EN MATIÈRE PÉNALE
DIVERS DOMAINES DE L’IMPLICATION PÉNALE
DE LA RESPONSABILITÉ MÉDICALE
Quelques notions de base de droit pénal :
Le droit pénal vise à l’application de la loi, et non au règlement
d’un contentieux. Le procès pénal n’oppose pas deux contradicteurs, mais la société et un “prévenu” qui a contrevenu à ses règles
en commettant, selon l’importance de l’action reprochée, une
contravention, un délit ou un crime. Ce procès est déclenché au
nom de la victime, mais une éventuelle condamnation sera faite
au bénéfice de la société, et non de la victime.
La “constitution de partie civile” à l’occasion d’une action pénale
permet de formuler une demande d’indemnisation financière du
préjudice subi. Cette demande sera examinée dans un cadre civil
adjoint à l’action pénale, et pourra faire l’objet d’une compensation, non dans un esprit répressif, mais dans un esprit contentieux.
La responsabilité pénale du médecin, en pratique rarement
engagée, est en général de nature délictuelle, exceptionnellement
criminelle.
On ne peut “assurer” une responsabilité pénale, qui, de fait, ne
sera jamais transférable. Nul ne peut s’exonérer de sa responsabilité pénale.
C’est le tribunal correctionnel qui jugera ce type de litige, pour
les infractions de nature délictuelle, et les peines encourues sont
des amendes ou des peines d’emprisonnement, la prescription étant
de trois années. En matière criminelle, c’est la cour d’assises qui
sera compétente, la prescription étant de dix ans.
La charge de la preuve incombe à la partie qui a engagé la procédure (soit la partie civile, qui a déclenché les poursuites pénales
en déposant une plainte, soit le procureur de la République, qui
intervient au nom de la société).
Comme en matière civile, le triptyque dommage-faute-causalité s’exerce, mais l’existence d’un dommage n’implique pas obligatoirement l’existence d’une faute de nature p é n a l e, la nécessité
d’un lien indiscutable de causalité étant rappelée à chaque occasion par la Cour de cassation.
Ils tiennent pour la plupart au bon sens, et relèvent notamment
du fait d’exercer, légalement ou pas, prudemment ou pas, sur des
bases à la fois scientifiques et éthiques, ou pas, mais impliquant
également la notion de mutilation, volontaire ou pas, ou de manquement grave aux règles humaines de secours et d’entraide, à
des règles... “humaines et humanitaires”.
Un bref rappel permet d’énumérer sans les détailler : homicides
et blessures volontaires et involontaires ; erreur fautive de raisonnement, erreur de diagnostic ; expérimentation ; avortement illégal ; manquements graves à une obligation professionnelle ; nonassistance à personne en danger ; exercice illégal de la médecine ;
fausses déclarations, certificat mensongers, certificats complaisants ; infraction à la législation des stupéfiants ; refus de déférer
à l’autorité publique ; violation du secret professionnel.
* Expert près la cour d’appel de Paris, spécialisé en matière de Sécurité sociale.
E-mail : [email protected]
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ACTUALITE RÉCENTE EN MATIÈRE DE RESPONSABILITÉ
MÉDICALE PÉNALE
La loi du 10 juillet 2000
Cette loi a modifié de façon importante la définition de la responsabilité pénale non intentionnelle, en introduisant au centre de la
question la notion de causalité.
1. Le premier principe de ce texte est d’exonérer de responsabilité pénale les auteurs de délits non intentionnels (“blessures
ou homicides par imprudence”) ayant commis une faute “peu
grave” et n’ayant pas délibérément violé une règle de sécurité. Pour
ce faire, une distinction fondamentale doit être faite entre l’auteur
direct du délit et l’auteur indirect (suivant la définition qui en est
donnée dans le corps de cet article de loi).
L’article 121-3 du Code pénal se compose maintenant comme
suit :
“Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements, s’il est établi que l’auteur
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des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu,
le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions,
de ses compétences ainsi que des moyens dont il disposait.
Dans le cas prévu dans l’alinéa qui précède, les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage mais qui ont
créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation
du dommage, ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit
violé de façon manifestement délibérée une obligation de prudence
ou de sécurité prévue par la loi ou les règlements, soit commis
une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une
particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer”.
Dans le premier cas, celui de l’auteur direct, une faute simple est
suffisante pour donner lieu à condamnation, la seule question étant
de savoir si l’auteur a accompli ses actions de façon normale, compte
tenu de la nature de la mission, de ses compétences, de son pouvoir, de ses moyens.
Dans le deuxième cas, celui de l’auteur indirect, le législateur exige
l’existence d’une violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi
ou les règlements, soit une faute caractérisée, exposant autrui à
un danger qui ne pouvait être ignoré.
On peut en conclure que plus le lien de causalité (relation) entre
le dommage et l’auteur est éloigné, plus la faute doit être grave
pour pouvoir donner lieu à condamnation.
Il faut préciser que ce distinguo de qualification entre auteur direct
et auteur indirect ne s’applique qu’aux personnes physiques, et
pas aux personnes morales.
Cette loi du 10 juillet 2000 est rétroactive aux affaires en cours.
Il y a donc lieu pour les magistrats de se prononcer sur :
Le fait pour un prévenu “d’obtenir” la qualité “d’auteur indirect”, qui rehausse d’un cran les exigences de faute pour pouvoir
aboutir à une condamnation.
La notion de “violation délibérée des obligations de prudence
et de sécurité prévue par la loi ou les règlements”, en cas de qualité d’“auteur indirect”.
Ou, a contrario, la “faute caractérisée” exposant sciemment
autrui à un risque grave.
Un arrêt du 28 juin 2001 de la cour d’appel de Lyon donnant une
définition restrictive de cette dernière notion semble faire envisager
que les conditions soient rarement réunies pour atteindre la qualification de “faute caractérisée”, qui remplace la notion initialement énoncée de “faute d’une exceptionnelle gravité”. Dans cette
hypothèse, cette modification législative entraînerait une raréfaction des qualifications “d’auteur direct”, et, de fait, une moindre activité de la machine judiciaire pénale à l’encontre du corps médical.
Cette qualification est bien sûr toutefois exclusivement dévolue
aux magistrats dans leur appréciation souveraine de chaque dossier.
Cette éventualité fait cependant évoquer le caractère “destructeur
et infamant” de la mise en examen, volontiers largement relayé
par une médiatisation parfois indécente de la part de certains journalistes dont le propos est de vendre du papier et non de respecter,
comme la loi les y oblige pourtant vis-à-vis de tout citoyen, la
présomption d’innocence, qui se transforme rapidement en présomption de culpabilité, et qui concerne un médecin, mais aussi
un père, un mari…
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Ce risque, chaque année majoré, de judiciarisation de notre profession est en outre dangereux pour sa propre survie... Qui ira,
de gaieté de cœur, embrasser une profession à risque judiciaire
de plus en plus élevé ? Cela risque de poser dans un avenir pas
forcément très lointain de sérieux problèmes de remplacement
des générations de confrères partant en retraite…
Le président de l’Académie nationale de Médecine a envisagé en
2001 le projet que “Les dispositions des articles 221-6 et 222-19
du Code pénal ne (soient) applicables aux praticiens des professions médicales et paramédicales qu’en cas de faute mettant en
cause leur honneur et leur moralité”.
La restriction de la qualification de la faute caractérisée peut éventuellement être considérée comme un pas dans ce sens.
2. Le principe d’identité des fautes pénale et civile a maintenant disparu, depuis cette loi du 10 juillet 2000 rendant caduques
les termes d’un arrêt de la Cour de cassation du 18 décembre
1912. Avant cette disposition, il y avait “autorité du pénal sur le
civil” de sorte que, dans le cas d’une plainte pénale avec constitution de partie civile destinée à obtenir, outre une condamnation
purement pénale, une indemnisation d’un préjudice, l’action civile
s’éteignait de fait en cas de relaxe du prévenu, et interdisait alors
toute indemnisation “au civil”. Cette disposition est abrogée ; il
est donc maintenant possible de voir l’auteur présumé d’un délit
être relaxé, et la victime être malgré tout indemnisable dans le
cadre de la procédure civile.
3. L’infraction de “mise en jeu délibérée de la vie d’autrui” est
créée, infraction de prévention dont il peut être argué même en
l’absence de dommage réalisé, et pour laquelle l’action sanitaire
est bien sûr concernée. Elle se rapporte à des actions d’une exceptionnelle gravité, évoquant dans le concept le distinguo qui peut
être fait entre faute médicale et faute détachable du service et
relevant “d’une exceptionnelle gravité”, dans le cadre de nos activités hospitalières, régies par le droit administratif.
4. Les personnes morales sont désormais passibles de poursuites
pénales. Cette disposition exclut néanmoins l’État, c’est-à-dire
les hôpitaux militaires.
Le report de la sanction pénale du défaut d’assurance
dans la loi du 30 décembre 2002
L’article 2 de la loi du 30 décembre 2002 diffère l’application de
la mise en jeu de sanctions pénales pour défaut d’assurance professionnelle pour les praticiens ou les personnes morales (cliniques,
établissements de soin) et précise que ces mesures entreront en
vigueur au plus tard le 1er janvier 2004. Le même texte exonère
l’APHP, les Hôpitaux de Lyon et ceux de Marseille de souscrire
une telle assurance. Ces groupements deviennent donc leur propre
assureur.
CONCLUSION
L’aspect pénal de notre responsabilité professionnelle, qui peut
nous toucher tant dans notre activité hospitalière que dans notre
activité libérale, nous inquiète toujours, et à juste titre, d’autant
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qu’aucun système d’assurance ne peut nous en exonérer. Les règles
de conduite de logique et de bon sens de notre activité médicale
doivent se compléter du naturel respect des règles élémentaires
de bonne conduite… civique. Les grandes règles de définition de
la responsabilité pénale reposent toujours sur la notion de faute,
dont la mise en évidence est nécessaire pour envisager l’éventualité d’une condamnation. La question de l’homicide et des blessures par imprudence reste en première ligne du risque d’implication pénale d’un médecin dans son exercice professionnel.
Au-delà des strictes règles professionnelles, l’application de règles
de bon sens et de prudence doit pouvoir nous aider à éviter les
risques de mise en cause face à cette juridiction.
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