Terroirs et produits du terroir
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Terroirs et produits du terroir
Revue de presse Formation EN 2007 – IFRAC Terroirs et produits du terroir ? Vieux mot français, souvent sans équivalent dans d’autres langues, le terroir désigne classiquement une étendue limitée de terre considérée du point de vue de ses aptitudes agricoles (Dictionnaire Robert). Des géographes en ont proposé une définition plus précise encore, en parlant, par exemple, d’un ensemble de terres travaillées par une collectivité sociale unie par des liens familiaux, culturels, par des traditions plus ou moins vivantes de défense commune et de solidarité de l’exploitation (Pierre George). Mais force est de constater que les mutations vécues par la société française au cours du XXè siècle ont donné au mot terroir un pouvoir d’évocation qui dépasse très largement les limites de ces définitions académiques. Devenu tout à la fois une valeur refuge authentique et le lieu commun de nostalgies diverses, le terroir est avant tout identifié aux produits qui en sont issus, pour lesquels il devient un signe tangible de qualité, voire même un véritable label. Les français ont une conscience particulièrement aïgue de la valeur économique et surtout culturelle de leurs produits de terroirs. En France, les pouvoirs publics conduisent depuis quelques années une réflexion approfondie à leur sujet. Elle a permis d’établir des critères qui les qualifient clairement. Si un tel produit ne peut, par définition, être transposable d’un terroir dans un autre, il est clair que ses qualités ne peuvent pas être ramenées aux seules conditions naturelles du milieu qui l’a vu naître. Ce milieu n’est un terroir que parce que les hommes qui y vivent y ont patiemment «fabriqué leur territoire» au cours de siècles passés et continuent à le faire aujourd’hui. Ces produits traditionnels, dits de terroirs dépendent donc au moins autant des conditions naturelles que des savoir-faire humains. Nous en prendrons pour preuve le fait que les recettes de terrroir, emblématiques des régions où elles sont nées, sont d’abord et avant tout affaire de savoirfaire, tel le fameux cassoulet de Castelnaudary [1] dont la réalisation dépend à la fois de produits très élaborés préparés à l’avance, comme les viandes confites, et d’un tour de main très particulier, qui demande un apprentissage long et minutieux De même, il serait tout aussi erroné de faire des produits de terroirs les créations de sociétés rurales confinées, repliées sur elles-mêmes. Certes les traditions agricoles reposent sur des patrimoines culturels locaux, mais elles se sont nourries aussi d’ouvertures répétées sur le vaste monde. L’innovation « bien tempérée» est un élément protecteur de la ruralité, pas une menace. Ainsi, le Piquenchagne de l’Allier est un pain brioché garni de poires, de pommes ou de coings pochés dans un léger sirop, qui est parfumé à la cannelle, une épice venue d’Orient. Enfin, et c’est un paradoxe, un produit de terroir ne le devient véritablement que par le fait d’être connu et recherché hors de la région qui l’a vu naître. Cette dernière condition est à la fois un bienfait et une source de risques graves. Un bienfait, car la célébrité devient vite une garantie de pérennité pour un produit traditionnel de qualité. Une source de risques graves aussi, car le succès fait naître souvent la volonté d’accroître les rythmes de production et les quantités produites. Cette intensification recèle une menace : celle de l’affadissement des qualités fondamentales qui faisaient justement la valeur de la production traditionnelle, par définition assez malthusienne. La recherche de l’équilibre dans un tel contexte s’avère délicate. On le voit, terroirs et produits de terroirs ne sont pas des sortes de pièces de musées, au statut figé par le sens commun. Il convient au contraire d’insister sur leur nature dynamique et leur appartenance aux espèces vivantes. Ainsi, la défense des terroirs et de leurs productions est autant une affaire de vigilance pour en préserver l’authenticité que de capacité d’adaptation aux évolutions du monde. Philippe Gillet Directeur de l'IFRAC Jérôme MUZARD – Académie de Nantes – Sources : www.ifrac.com