Dossier de référence préparé par l`Institut international d

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Dossier de référence préparé par l`Institut international d
Dossier de référence préparé
par l’Institut international
d’Administration publique*
DIDIER MAUS, Directeur de l’Institut international
d’Administration publique
JACQUES RODRIGUEZ, docteur en sociologie,
professeur de sciences sociales (université de Lille III)
MARIE-CHRISTINE MEININGER, docteur en droit, adjointe à la Directrice
de la recherche et des publications de l’IIAP
I.– UNE EFFERVESCENCE CONSTITUTIONNELLE
Après des remises en cause idéologiques et institutionnelles fondamentales, la plupart des pays de l’espace
francophone en sont venus à se doter de formes de gouvernement participant des normes libérales dominantes.
Cette « fièvre constitutionnelle » ne s’accompagne pas toujours de changements profonds dans les conditions
d’exercice du pouvoir – le droit constitutionnel ne pouvant d’ailleurs pas répondre, seul, aux difficultés politiques
que traversent ces pays(1). Inversement, une continuité constitutionnelle apparente peut dissimuler une histoire politique heurtée et complexe. C’est en particulier le cas du Liban, dont la constitution, qui date de 1926, n’a subi que
de légers toilettages(2).
Mais quelle qu’en soit la véritable portée, sans doute variable mais jamais nulle, le constitutionnalisme est
désormais entré dans une phase d’intense activité. Il n’est pas excessif, en effet, de parler d’effervescence constitutionnelle si l’on songe qu’au cours des dix dernières années, compte non tenu des pays du Nord, 36 pays de la
Francophonie ont modifié leur loi fondamentale. Parmi ceux-ci, 29 se sont dotés d’une constitution entièrement
nouvelle.
A.– Le contexte
La vague de transformations constitutionnelles qui touche la plupart des pays de la Francophonie fait suite
aux bouleversements intervenus en Europe de l’Est. Les premiers pays concernés par la transition démocratique
sont en effet ceux de l’ancien « glacis » soviétique.
À la fin des années 1980, tout concourt à enrayer le travail de « normalisation » entrepris dans ces pays durant
cette décennie, et à accélérer la fin du communisme(3). La situation économique est devenue ingérable ; l’endettement extérieur progresse de façon inquiétante ; l’appareil d’État semble de plus en plus impuissant, y compris dans
ses fonctions répressives, perdant ainsi le contrôle des mouvements sociaux. La politique de « largage » conduite
par Moscou achève de déstabiliser les « démocraties populaires » et annonce l’indépendance des pays baltes – qui
s’émanciperont au cours de l’été 1991.
En Pologne, par exemple, durant l’été 1988, le pouvoir recherche le dialogue avec l’opposition et propose l’instauration d’une « table ronde » qui aboutira, l’année suivante, à un projet d’élargissement de l’assise gouvernementale.
L’instauration du multipartisme et la tenue d’élections libres figurent parmi les bases de l’accord. Le succès électoral
de l’opposition entraîne un premier train de réformes constitutionnelles (7 avril puis 29 décembre 1989). De même, si
la transition intervient dans de tout autres conditions en Bulgarie (par le biais d’une « révolution de palais »), ses conséquences sont à peu près identiques : une nouvelle constitution est adoptée par l’Assemblée le 12 juillet 1991.
Le « dégel » intervenu à l’Est de l’Europe ne saurait cependant être regardé comme « la » cause des changements que vont connaître les autres pays de la Francophonie.
* Étude réalisée à la demande de l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie.
1. J. du Bois de Gaudusson, « Les solutions constitutionnelles des conflits politiques », Afrique contemporaine, n° spécial, 1996,
pp. 250-256.
2. G. Cabanis et M. L. Martin, Les nouvelles constitutions des pays francophones du Sud, vol. 3, Paris, L’Hermès, 1998.
3. H. Carrère d’Encausse, Le grand frère, Paris, Flammarion, 1983.
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Les régimes communistes d’Asie du Sud-Est résistent par exemple assez bien au mouvement de libéralisation
qui secoue l’Europe. Seul le Cambodge adoptera, finalement, les principes de la démocratie libérale et pluraliste
à la suite des accords de Paris (23 octobre 1991).
Symétriquement, le « printemps démocratique » que célèbre l’Afrique ne résulte pas d’un simple effet de contagion, qui viendrait consacrer la victoire du libéralisme. On peut tout d’abord constater que le processus de réformes
politiques amorcé dans certains pays précède parfois les bouleversements de l’Europe de l’Est. C’est en particulier le cas du Cameroun, où le président Ahidjo s’engage dès 1982 dans une transition pacifique vers le multipartisme(4). S’il est vrai, d’autre part, que la chute du communisme souligne les limites du césarisme africain, des
régimes de parti unique (ou ultra dominant) et des dictatures, le processus de démocratisation exprime, plus profondément, un ensemble de tensions internes aux pays africains et de pressions externes.
Il opère en effet dans un contexte économique et social très dégradé, qui souligne l’échec d’un système de gouvernement qui se voulait intégrateur. Il résulte par ailleurs de la stratégie de « promotion » de la démocratie conduite
par les responsables politiques occidentaux – discours de La Baule du président Mitterrand en 1990 – et les bailleurs
de fonds internationaux. Cette stratégie suppose que l’amélioration de l’environnement institutionnel permettra un
meilleur fonctionnement du marché et garantira le succès des politiques d’ajustement(5). La démocratisation devient
ainsi une dimension essentielle du développement.
B.– Les formes de la dynamique démocratique
Malgré l’orientation démocratique commune qui sous-tend l’évolution politique dans la plupart des pays de
la Francophonie, les conditions de la transition ne sont pas identiques. Les solutions retenues par les États sont
variables.
1. La démocratisation par voie de Conférence nationale a été commencée au Bénin, puis reproduite dans d’autres
pays avec des fortunes diverses. C’est un schéma de transition démocratique spécifique à l’Afrique.
Dans ce cadre, à défaut d’être toujours conçue comme souveraine ab initio, la Conférence s’impose comme
unique source de légitimité et d’autorité, et procède à une réforme des institutions. Elle impose le plus souvent une
autre répartition du pouvoir au sommet de l’État, et charge une nouvelle équipe de gérer la transition en organisant des élections sur la base d’une nouvelle constitution. Elle peut alors confier des pouvoirs importants à un
Premier ministre. Ce fut, par exemple, le cas au Congo ou au Bénin(6).
On retrouve le schéma de la « Conférence nationale des forces vives de la Nation » dans d’autres pays, mais
avec des contrastes importants. Au Togo (oct. 1990-juil. 1991), à Madagascar (1992) et au Zaïre (août-déc. 1991),
cette formule s’est enlisée au point d’apparaître finalement assez conflictuelle.
En revanche, le caractère modéré et consensuel de la Conférence est prépondérant au Niger (juil.-oct. 1991),
au Mali (juil.-août 1991) et au Tchad (jan.-avril 1993).
2. L’établissement d’une nouvelle constitution par les équipes dirigeantes en place est un modèle d’application plus générale.
Cette formule a permis, tantôt d’éviter la tenue d’une Conférence nationale, tantôt de procéder à une libéralisation prudente, dont le pouvoir en place conserve le contrôle. La Côte d’Ivoire en 1990, le Burkina Faso, le
Cameroun ou la Mauritanie en 1991 illustrent le premier cas de figure : en accélérant le passage au multipartisme,
les responsables politiques en place ont en effet contrôlé l’agenda politique et court-circuité une opposition divisée. Les nouvelles constitutions, élaborées par des équipes restreintes puis adoptées par le peuple, ne bouleversent
pas fondamentalement l’équilibre des pouvoirs.
Dans un tout autre contexte, les démocraties populaires du Sud-Est asiatique sont parvenues à attendrir quelque
peu leur régime politique sans altérer ses principes. La nouvelle constitution adoptée à l’unanimité par l’Assemblée
populaire du Laos en août 1991 a ainsi favorisé une adaptation très mesurée des institutions, sans toutefois abandonner le principe du monopartisme. Un scénario analogue est observable au Vietnam, où l’Assemblée a adopté une constitution censée participer d’une « adaptation aux nouvelles conditions historiques » (constitution du 15 avril 1992).
4. J. Takougang, « Cameroon : Biya and Incremental Reform », in J.F. Clark (ed.), Political Reform in Francophone Africa, Oxford, Westview
Press, 1997, pp.162-178.
5. J. Fournier, « L’État dans un monde en évolution », Revue française d’Administration publique, n° 84, 1997, pp. 557-562.
6. A. Bourgi, « Enfin des Premiers ministres à part entière », Jeune Afrique, n° 1583, mai 1991.
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3. Le schéma de la démocratisation graduelle consiste en une (re)conversion lente à la démocratie par le biais
d’un processus électoral.
Celui-ci peut tout d’abord intervenir, à l’initiative des autorités en place, dans le contexte d’une transformation pacifique du régime. De façon générale, l’abandon du modèle soviétique a été réalisé dans de telles conditions. Sous la pression des manifestations populaires, ou par la voie de tables rondes entre le gouvernement et
l’opposition, les assemblées élues sous le système socialiste ont favorisé la tenue d’élections libres et hâté l’adoption de nouvelles dispositions constitutionnelles. En Bulgarie, en Slovénie, en Lituanie, de nouvelles chartes constitutionnelles ont ainsi été adoptées ; de même en Pologne, où plusieurs révisions successives ont été nécessaires.
Mais dans ce cadre, la démocratisation peut aussi intervenir dans des conditions plus difficiles, marquées par
un recours à la violence. Le processus qui s’amorce au Burundi en 1990 se caractérise ainsi par des affrontements
ethniques. De même en Centrafrique, où l’histoire politique est particulièrement heurtée entre la légalisation du
multipartisme, en 1991, et l’adoption d’une nouvelle constitution en 1994.
4. Le modèle de la transition « violente » est beaucoup moins fréquent que les précédents. On le trouve par
exemple au Mali où c’est paradoxalement un coup d’État militaire qui va décider de l’issue et des modalités de la
démocratisation. En janvier 1991, en effet, une frange de l’armée, soutenue par la population, choisit de déposer
le président Traoré afin d’accélérer la transformation du régime. La Conférence nationale malienne de juillet 1991
sera la conséquence directe de cette intervention militaire. Sous une forme beaucoup plus atténuée, la Roumanie
se rapproche également de ce modèle. La suppression du régime dictatorial, en 1989, intervient en effet dans un
contexte politique et social particulièrement tendu, et la population paye un lourd tribut à la libéralisation du régime.
C.– Un renouveau constitutionnel
Au cours des dix dernières années, la plupart des États de la Francophonie ont élaboré un nouveau texte constitutionnel ou, du moins, révisé leur loi fondamentale. L’état des lieux de ces transformations est spectaculaire, autant
par son ampleur que par le rythme de parution de ces nouvelles constitutions.
1. En Asie du Sud-Est, les trois pays de la Francophonie se dotent d’une constitution entièrement nouvelle en
l’espace de deux ans. Le Laos amorce le processus (constitution du 14 août 1991), bientôt suivi par le Vietnam
(15 avril 1992) et le Cambodge (constitution du 21 septembre 1993).
2. Sur le continent européen, de nouvelles constitutions sont adoptées dans plusieurs pays, tantôt par l’Assemblée,
tantôt par voie référendaire : en Slovénie (constitution du 25 juin 1991), en Bulgarie (constitution du 12 juillet
1991), en Roumanie (8 décembre 1991), en République tchèque (16 décembre 1992), et enfin en Lituanie
(25 octobre 1992).
Deux autres pays se sont inscrits dans des processus de plus longue haleine. La Pologne a ainsi procédé à des
retouches de la constitution de 1952 par voie de lois référendaires. Elle s’est engagée ensuite dans l’élaboration
d’une nouvelle loi fondamentale, qui a été adoptée par référendum le 25 mai 1997. De même, l’Albanie a fonctionné sur la base de la constitution de 1976 avant de parvenir, récemment, à faire adopter un autre texte. Un référendum d’approbation, intervenu le 22 novembre 1998, a permis l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi fondamentale
inspirée, à certains égards, par les experts du Conseil de l’Europe.
3. Les transformations ne sont pas moins impressionnantes en Afrique. Amorcés avec le Bénin (constitution
du 11 décembre 1990), les changements se succèdent ensuite à un rythme très soutenu : en Guinée (23 décembre
1990), au Gabon (26 mars 1991), au Rwanda (10 juin 1991), en Mauritanie (12 juillet 1991) et au Mali (15 octobre
1991). L’année 1992 est tout aussi féconde : Djibouti adopte une nouvelle constitution (15 septembre 1992), de
même que le Burundi (13 mars 1992) ou Madagascar (18 septembre 1992, révisée en 1995) ; le Cap Vert révise
l’ancienne constitution de 1981 (4 septembre 1992).
Sans prétendre à l’exhaustivité, citons, pour ce qui concerne les années suivantes, le cas du Sénégal (13 juin
1994), de la révision constitutionnelle en Tunisie (6 novembre 1995, puis octobre 1997), le cas du Cameroun
(18 janvier 1996), du Maroc (13 septembre 1996) ou encore du Burkina Faso, qui retouche en janvier 1997 la loi
fondamentale de 1991.
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II.– UN ATTACHEMENT AUX PRINCIPES DE L’ÉTAT DE DROIT
A.– Le respect des droits de la personne humaine
Les nouvelles constitutions des pays de l’espace francophone réservent une place de choix aux droits de
l’Homme, qui constituent par exemple, selon les termes de l’article premier de la constitution centrafricaine de
1994, « la base de toute communauté humaine, de la paix et de la justice dans le monde ».
1. La constitutionnalisation des droits de l’Homme
Dans les pays francophones, la proclamation des droits de l’Homme n’est pas un phénomène inédit, puisqu’on
l’observe par exemple en Afrique francophone depuis l’époque de l’indépendance. Cette tendance a cependant été
notablement renforcée depuis les années 1990, et elle ne concerne pas seulement le continent africain.
Cette « boulimie » juridique se traduit par l’intégration à la constitution de textes internationaux et par la reconnaissance de nombreux droits.
1. La plupart des lois fondamentales adhèrent aux principes et aux droits et principes consacrés par les instruments internationaux : la Charte des Nations Unies (1945), la Déclaration universelle des droits de l’Homme (1948),
la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples (1981).
Le Préambule des constitutions africaines souligne ainsi l’attachement des États à ces valeurs. C’est le cas,
entre autres, de la constitution du Burundi, de la Guinée, du Mali, du Maroc, de la Mauritanie, du Niger, de la
République centrafricaine, du Tchad ou du Togo.
2. Dans un grand nombre de constitutions, un titre entier est consacré aux droits de l’Homme. Ces dispositions
sont d’autant plus importantes qu’elles figurent traditionnellement dans le titre premier ou le titre II de la loi fondamentale.
La reconnaissance des droits de l’Homme apparaît ainsi en bonne place dans la constitution du Burundi (titre
II), du Cap Vert (titre I), de la République centrafricaine (titre I), du Congo (titre II), de Djibouti (titre II), de Guinée
(titre II), de Madagascar (titre II), du Mali (titre I), du Maroc (titre I), de Maurice (chapitre II), du Niger (titre II),
ou encore de Tunisie (chapitre 1er).
Au Cameroun, les droits fondamentaux sont énumérés dans le préambule de la constitution, mais celui-ci fait
partie intégrante de la loi fondamentale (art. 65 de la constitution).
On trouve des dispositions de même nature dans les autres constitutions, où elles sont toutefois moins mises
en valeur. C’est notamment le cas des nouvelles constitutions d’Asie du Sud-Est francophone : articles 21 à 38
pour le Laos, 49 à 82 pour le Vietnam, et 31 à 55 pour le Cambodge.
2. L’étendue des droits protégés
Il n’est guère de droits et libertés qui ne soient solennellement proclamés.
D’une manière générale, la plupart des États garantissent la sûreté personnelle, la propriété, la liberté d’opinion ou de circulation, la liberté religieuse ou le droit de vote.
Ces droits et libertés sont également garantis dans les démocraties populaires (Vietnam et Laos), où figurent
également des droits de la « deuxième génération » (droit syndical, droit de grève, droit au travail ou à l’assistance
sociale), de même que certains droits spécifiques(7). Le droit de porter plainte contre les activités illégales de l’État est ainsi reconnu par les trois constitutions asiatiques (article 28 de la constitution lao, 39 pour le Cambodge et
74 pour le Vietnam).
En Afrique, certaines lois fondamentales consacrent de très nombreux articles, fort détaillés, aux droits de
l’Homme. La constitution de Madagascar n’en prévoit pas moins de trente. De même, la République du Cap Vert
en propose une liste impressionnante, incluant la confidentialité des communications (art. 41), les droits des enfants
(art. 86 et 87) ou des consommateurs (art. 79).
Y figure également le droit de résistance des citoyens (art. 18), que l’on retrouve dans plusieurs constitutions
africaines (Bénin, Congo, Tchad, Togo). La richesse des dispositions contenues dans les déclarations africaines se
traduit aussi par la reconnaissance de droits ou de principes très spécifiques, tels que la « transparence » dans la
7. A. Cabanis et M.-L.Martin, « Droits et libertés dans les nouvelles constitutions d’Asie du Sud-est francophone : espace de convergence »,
Revue française de Droit constitutionnel, n° 24, 1995, pp. 695-708.
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gestion des affaires publiques (art. 31 de la constitution du Niger) ou le droit à la « désobéissance » en cas de déstabilisation du régime constitutionnel (préambule de la constitution du Congo).
Au-delà de la déclaration de ces droits, ce sont toutefois les conditions de leur mise en œuvre qui soulèvent de
multiples interrogations. En effet, « l’ampleur des formules et le caractère péremptoire des engagements ne peuvent que dissimuler la dimension largement incantatoire de cette partie des constitutions(8) ».
B.– La prééminence de la démocratie pluraliste
À de très rares exceptions près (la Guinée équatoriale, par exemple), la démocratie est une constante des nouvelles constitutions, qui en réaffirment le principe et les modalités.
Le principe fondamental de la souveraineté du peuple exige le respect du pluralisme politique et de la séparation des pouvoirs.
1. Le pluralisme politique
Élément essentiel de la démocratie, le respect du pluralisme est rappelé par la plupart des nouvelles constitutions. Tout comme la loi fondamentale béninoise, celle du Niger proclame ainsi son « attachement au principe de
la démocratie pluraliste » (préambule de la constitution de mai 1996). Ce principe est d’autant plus important pour
ces pays qu’ils entendent abandonner le système du parti unique.
1. L’Afrique (re)découvre le multipartisme après avoir durablement subi le joug de régimes monopartisans – seul
le Maroc a échappé au régime du parti unique, les constitutions de 1962, 1970 et 1972 l’ayant explicitement condamné.
C’est au Sénégal, en Égypte et en Tunisie que les premiers frémissements ont lieu, dès les années 1980. Au cours de
la décennie suivante, le Bénin a joué dans ce domaine un rôle pionnier, bientôt suivi par le Gabon et le Congo.
Identiquement, les nouvelles constitutions d’Europe de l’Est condamnent les principes qui étaient au fondement de l’ancien système, et notamment le rôle dirigeant du parti communiste. Les élections sont désormais libres,
et le mandat impératif, dont le principe dissimulait une subordination au parti, est proscrit.
En Asie du Sud-Est, en revanche, le système du parti-État reste en vigueur, sauf au Cambodge. L’article 3 de
la constitution du Laos dispose ainsi que « le droit de maître du peuple pluriethnique sur la Nation est exercé et
garanti par le fonctionnement du système politique, dont le Parti Populaire Révolutionnaire Lao constitue le noyau
dirigeant ». Tous les organes de l’État sont dès lors subordonnés aux instances du parti unique, configuration que
l’on retrouve également au Vietnam (art. 5 de la constitution du 15 avril 1992).
2. L’un des aspects les plus spectaculaires de cette évolution est sans doute la multiplicité des partis qui, dans
chaque pays, concourent à l’expression du pluralisme démocratique. Parfois limité à deux (en République centrafricaine), le nombre de partis politiques s’élève à plusieurs dizaines au Bénin (80), au Burkina Faso (70) ou au
Tchad (60). On n’en dénombre pas moins de 125 à Madagascar, et de 173 au Gabon(9).
Dans ces conditions, la multiplication des structures partisanes ne témoigne pas nécessairement d’une saine
démocratie, ni d’un développement politique satisfaisant. Au contraire, elle sert parfois de support à des dérives
politiques ou des dérapages ethnocentristes. En ce sens, s’il est l’indice d’un approfondissement de la société civile,
le multipartisme ne saurait toutefois être considéré comme une panacée, et appelle des garde-fous.
2. Les cadres constitutionnels
Les nouvelles constitutions témoignent d’une grande diversité. À l’exception du Vietnam et du Laos, toutes les
constitutions organisent la répartition des compétences entre le Parlement, le Président, le Gouvernement et l’autorité judiciaire. Toutefois, le principe même de la séparation des pouvoirs n’est pas toujours expressément consacré par la charte fondamentale : c’est le cas, par exemple, en Lituanie.
• La variété des formes de gouvernement
Les nouvelles constitutions des pays de la Francophonie présentent une grande diversité s’agissant de la nature
du régime.
8. A. Cabanis et M.-L. Martin, « Le nouveau cycle constitutionnel ultra-méditerranéen francophone et la constitution d’octobre 1958 », in
Y. Mény (dir.), Les politiques du mimétisme institutionnel : la greffe et le rejet, Paris, L’Harmattan, 1993, pp. 139-164.
9. Réseaux documentaires pour le développement, L’État de droit, Ibiscus, 1997, p. 12.
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1. Sur le continent européen, tous les pays ont opté pour la démocratie parlementaire (Bulgarie, Lituanie,
Pologne, République tchèque, Slovénie). Seule la constitution de Roumanie, fortement influencée par certains
constitutionnalistes français, institue un régime parlementaire à tendance présidentielle(10).
2. En Afrique, le régime présidentiel ou semi-présidentiel, calqué sur le modèle français de 1958, est le plus
représenté, sans toutefois faire figure de « modèle ».
C’est le cas au Maghreb, en République tunisienne ou, sous une autre forme, au Royaume du Maroc. Mais
c’est surtout en Afrique subsaharienne que le régime présidentiel est le plus courant : on le trouve au Bénin, au
Mali, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Tchad, etc. Au Burkina Faso ou au Burundi, par exemple, la forme parlementaire n’en laisse pas moins au président, élu au suffrage universel direct, un rôle politique central : il est le
maître du jeu politique.
En revanche, certains États comme le Liban ont choisi un régime parlementaire, assez proche ici du régime de
la IIIème République française. On retrouve cette formule au Cap Vert, à Sao Tomé et Principe, ou encore à
Madagascar où le parlementarisme est très respectueux des droits du Parlement.
• L’organisation des pouvoirs
1. Les constitutions d’Europe centrale, orientale et balte prévoient l’existence d’au moins une assemblée élue
au suffrage universel direct, un gouvernement responsable devant cette assemblée, et un chef de l’État distinct du
chef du gouvernement.
Parfois monocaméral (Bulgarie, Lituanie), le Parlement se compose le plus souvent de deux chambres, la
seconde apparaissant sous différentes appellations : Sénat (Pologne, Roumanie, République tchèque) ou Conseil
national (Slovénie).
Le chef du Gouvernement reçoit l’investiture de la première chambre tandis que le gouvernement est responsable devant elle. La mise en jeu de la responsabilité gouvernementale peut intervenir collectivement (Roumanie,
République tchèque), mais aussi, comme le prévoient les lois fondamentales polonaise, bulgare ou slovène, sous
la forme d’une responsabilité individuelle des ministres(11).
2. En Afrique francophone, les lois fondamentales dissimulent souvent la nature présidentielle du régime. « La
fonction de chef de l’État demeure centrale au sein des institutions nées de la transition démocratique en Afrique.
Elle incarne à ce titre la part de continuité dans un environnement politique où le monolithisme est battu en brèche
avant que le pluralisme n’ait trouvé les voies de son expression(12) ».
Ainsi les instruments classiques du parlementarisme (motion de censure et droit de dissolution) sont-ils souvent inopérants : c’est le cas par exemple au Cameroun, au Congo (art. 122 et 123 de la constitution), au Burundi
(art. 134 et 135) ou encore au Gabon (art. 19 et 63). D’autre part, le bicéphalisme du pouvoir exécutif peut s’avérer purement factice. Au Niger par exemple, le Premier ministre n’est pas responsable devant le Parlement. Le
Président est incontestablement le véritable chef de l’exécutif : il a l’initiative des lois (art. 48), il est le chef de
l’administration (art. 51) et de l’armée (art. 52) ; il « détermine et conduit le politique de la nation » (art. 56) et dispose du pouvoir réglementaire (art. 58).
À cet égard, en prévoyant l’instauration d’un exécutif monocéphale conférant au Président d’importantes prérogatives, la constitution béninoise (art. 54 en particulier) a le mérite de la franchise. De même, en Côte d’Ivoire
(art. 21 de la constitution) ou en République centrafricaine (art. 21) la constitution affiche explicitement la prééminence du chef de l’État. Étant donné la forte concentration du pouvoir autour du Président, la création d’un
poste de Premier ministre peine à transformer les conditions concrètes d’exercice de l’autorité. C’est ce que démontre,
à bien des égards, l’expérience conduite en Guinée depuis 1996(13).
Il faut également noter que certaines constitutions réservent un statut particulier aux religions, et plus spécialement à l’islam. La loi fondamentale de la République de Mauritanie institue à cet effet un Haut Conseil Islamique
(art. 94), organe consultatif pouvant être sollicité par le président de la République. De même, la République
Islamique des Comores consacre son titre VI au Conseil des Ulémas, instance consultative.
10. M. Constantinescu et I. Muraru, « Les influences françaises dans le processus d’élaboration de la constitution roumaine de 1991 », Revue
française de Droit constitutionnel, 1998.
11. M. Lesage, Constitutions d’Europe centrale, orientale et balte, Paris, La Documentation Française, 1995, pp. 13-30.
12. B. Saint-Girons, « Fonction présidentielle et transition démocratique », in Nouvelles constitutions africaines, op. cit., p. 35.
13. M. Tshiyembe, « Étude comparée des nouvelles institutions constitutionnelles africaines », Présence africaine, 1997, pp. 51-98.
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III.– PROTECTION ET GARANTIE DES DROITS
L’effervescence constitutionnelle qui caractérise la plupart des pays de la Francophonie se conjugue avec une
prolifération des instances de contrôle dont les compétences sont variables selon les pays. La République centrafricaine illustre de façon paradigmatique cette démultiplication des instruments protecteurs puisqu’on en recense
pas moins de sept, au nombre desquels se trouvent une Cour constitutionnelle, un Conseil d’État, un Tribunal des
conflits, une Haute Cour de justice ou encore une Cour de cassation. Ce « blindage juridique » n’a toutefois pas
empêché les menaces de coups d’État militaires, ni l’instabilité politique, très forte en Centrafrique au cours des
deux dernières années.
S’il faut donc considérer avec prudence la prolifération de ces organes de contrôle censés fortifier l’État de
droit et consolider la transition démocratique, le bilan n’en reste pas moins impressionnant. Au terme de dix années
de démocratisation, on assiste à une quasi-généralisation du contrôle de constitutionnalité, au développement et à
la professionnalisation de la fonction judiciaire, et à la création assez fréquente d’autorités indépendantes ou d’institutions de médiation œuvrant, de façon souple, pour apprivoiser la démocratie.
A.– Le contrôle de constitutionnalité
L’affirmation de l’État de droit dans les préambules ou dans les déclarations sur les libertés, qui ouvrent les
constitutions d’un grand nombre de pays francophones, n’a de sens qu’avec une soumission des pouvoirs institués
à la hiérarchie des normes et un contrôle de leurs actions par un conseil constitutionnel indépendant, disposant par
ailleurs de compétences suffisamment étendues.
La plupart des pays de l’espace francophone ont ainsi mis en place un dispositif très complet de contrôle de
constitutionnalité. On dénombre toutefois quelques exceptions : en Guinée-Bissau, par exemple, il appartient à une
commission ad hoc de l’Assemblée nationale de « décider de la constitutionnalité des lois, des décrets-lois et des
autres textes législatifs » (constitution du 16 mai 1984). Certaines chartes constitutionnelles ont par ailleurs renoncé
à créer un conseil constitutionnel autonome, préférant mettre en place une Cour Suprême ou une simple chambre
constitutionnelle.
Trois variables semblent dès lors particulièrement importantes pour apprécier la nature des mécanismes de
contrôle de constitutionnalité : l’adoption d’un organe de contrôle autonome, véritable juridiction constitutionnelle, d’abord ; ensuite, l’ouverture du prétoire au citoyen, comme c’est le cas au Bénin ou en Centrafrique ; et
enfin la place réservée à la loi ordinaire dans la mise en œuvre et l’organisation de cet organe de contrôle. Dans
l’hypothèse d’une intervention du législateur ordinaire, en effet, le juge constitutionnel se trouve, d’une certaine
façon, placé en situation de dépendance à l’égard du pouvoir dont il doit, par ailleurs, contrôler les normes(14). C’est
le cas, semble-t-il, de la Slovénie ou de la Côte d’Ivoire.
Toutefois, la méfiance manifestée par certains constituants peut aussi être interprétée comme un indice de l’efficacité de contrôle assuré par le juge constitutionnel. En effet, si les constituants ont cherché à limiter son autonomie, c’est aussi qu’ils ne le considèrent pas comme une simple instance d’enregistrement.
1. Un contrôle autonome : les cours et conseils constitutionnels
Bénin
La Cour constitutionnelle béninoise est instituée par le titre V (art. 114 à 124) de la constitution du 11 décembre
1990. Conformément à l’article 115 al.6 de la constitution, une loi organique (n° 91-009 du 4 mars 1991) détermine l’organisation, le fonctionnement de la cour et la procédure suivie devant elle.
• La Cour constitutionnelle comprend sept membres inamovibles pendant la durée de leur mandat (d’une durée
de cinq ans). Ils sont nommés par le bureau de l’Assemblée nationale (4) et par le président de la République
(3). Le président de la cour est élu par ses pairs (art. 115 de la constitution ; art. 3 de la loi organique).
L’indépendance des membres de la Cour constitutionnelle (art. 115 al.4 de la constitution) a pour contrepartie une obligation de réserve, rappelée par le décret n° 94-11 du 26 janvier 1994.
• La cour peut être saisie par le président de la République, le président de l’Assemblée, le président de la Haute
Autorité de l’audiovisuel, le président du Conseil économique et social, par tout citoyen ou par toute association de défense des droits de l’Homme (art. 122 de la constitution ; art. 22 et 24 de la loi organique).
• La cour est seule compétente pour statuer sur la constitutionnalité des lois (organiques et ordinaires), du règlement intérieur de l’Assemblée et de la Haute Autorité de l’audiovisuel et du Conseil économique et social,
14. A. Cabanis et M. L. Martin, Les constitutions d’Afrique francophone. Évolutions récentes, Paris, Karthala, 1999, pp.159-162.
Dossier de référence
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ainsi que sur les règlements censés porter atteinte aux droits. Elle règle les conflits d’attribution entre les institutions de l’État (art. 117 de la constitution). Elle veille à la régularité des élections du président de la
République et des référendums, et statue sur les irrégularités des scrutins.
• Aux termes de l’article 124 de la constitution, les décisions de la cour sont insusceptibles de recours et s’imposent aux pouvoirs publics.
Bulgarie
La constitution du 12 juillet 1991 a prévu la création d’une Cour constitutionnelle dans son titre VIII (art. 147
à 152). Cette cour « ne peut se voir attribuer ou retirer des pouvoirs par une loi » (art. 149-2 de la constitution).
Une loi du 30 juillet 1991 régit l’organisation, la composition et les compétences de la cour.
• La cour comprend douze membres, élus pour neuf ans et désignés, par tiers, par le président de la République,
le président de l’Assemblée nationale, et par une réunion commune des juges de la Cour de cassation et de
la Cour administrative suprême (art. 147 de la constitution ; art. 4 de la loi de 1991). Le statut de juge constitutionnel est incompatible avec tout autre fonction publique, privée, politique ou syndicale, et assortie d’immunités semblables à celles reconnues aux députés.
• La cour peut être saisie par le président de la République, le conseil des ministres, un cinquième des députés, ou les hautes instances juridictionnelles (art. 150-1 de la constitution). Il n’existe pas de saisine directe
des citoyens.
• La Cour constitutionnelle « garantit la suprématie de la constitution » ; elle « est indépendante des pouvoirs
législatif, exécutif et judiciaire » (art. 1er de la loi de 1991). Elle donne de la constitution des interprétations qui
s’imposent à tous (art. 149-1 de la constitution ; résolution de la cour du 12 mai 1992). Elle règle les conflits
de compétence entre les pouvoirs exécutif et législatif.
En matière de contrôle des actes :
– elle se prononce a priori sur la conformité à la constitution des accords internationaux ;
– elle apprécie la conformité des normes internes avec les traités internationaux auxquels la Bulgarie est partie ;
– lorsqu’elle est saisie, elle se prononce a posteriori, sans contrainte de délai, sur la constitutionnalité des
lois et des actes du Président.
• Les décisions de la cour sont définitives et obligatoires pour tous les organes de l’État.
Restent toutefois deux interrogations :
– les lois référendaires peuvent-elles faire l’objet du contrôle a posteriori de la cour ?
– le contrôle doit-il s’étendre aux lois adoptées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle constitution ? La position de la cour sur ce point n’est, semble-t-il, pas encore établie(15).
Burundi
Consacrée par la constitution du 10 mars 1992, la Cour constitutionnelle n’a pas été modifiée par la réforme
de la loi fondamentale intervenue en 1998. L’acte constitutionnel de transition du 6 juin 1998 réserve ainsi le chapitre 2 de son titre VIII à la cour (articles 142 à 149). Il en fixe la composition, la saisine et le champ de compétence, réservant à la loi l’organisation et le fonctionnement de la cour.
Un décret-loi n°1/001 du 15 juin 1998 prévoit ainsi l’organisation, la procédure applicable devant la cour ainsi
que son fonctionnement.
• La cour est composée d’au moins cinq membres, magistrats permanents et membres non permanents. Tous
sont nommés par le président de la République, pour une durée de 4 ans (art. 147 de l’acte de transition ; art.
2 à 7 du décret-loi).
• La Cour constitutionnelle peut être saisie par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale, le ministère public ou un par un quart des parlementaires.
Tout citoyen ou toute personne morale peut également saisir la cour, par voie d’action ou par voie d’exception d’inconstitutionnalité (art. 147 de l’acte de transition).
• La cour est compétente pour contrôler a priori les actes internationaux, les lois (ordinaires et organiques)
avant promulgation, les actes réglementaires avant mise en application, ainsi que le règlement de l’Assemblée.
Elle intervient aussi a posteriori lorsqu’elle est saisie par une juridiction. Elle a compétence pour interpréter
la constitution, recevoir le serment du président de la République et constater la vacance de son poste.
15. M. Verdussen, La justice constitutionnelle en Europe centrale, Bruxelles-Paris, Bruylant, LGDJ, 1997.
108
Symposium international de Bamako
• Les décisions de la cour ne sont susceptibles d’aucun recours. Toute disposition déclarée inconstitutionnelle
ne pourra ni être promulguée, ni être mise en application (art. 149 de l’acte de transition).
Cambodge
Dans la nouvelle constitution du 21 septembre 1993 (amendée à deux reprises, en 1994 et 1999), le titre XII
(art. 136 à 144) institue un conseil constitutionnel inspiré du modèle français(16).
Plusieurs Krâm (acte royal de promulgation d’une loi) organisent le fonctionnement et précisent les compétences du conseil, en particulier le Krâm du 8 avril 1998 relatif à l’organisation du Conseil constitutionnel.
• Le Conseil constitutionnel se compose de neuf membres désignés pour neuf ans, par tiers, par le Roi, le
Conseil supérieur de la magistrature et l’Assemblée nationale (art. 137 de la constitution).
Le statut de membre du Conseil est incompatible avec toute fonction politique ou publique.
Les membres du conseil bénéficient d’une immunité de juridiction (art. 11 du Krâm de 1998).
• Le conseil peut être saisi
– en matière de constitutionnalité d’une loi, par le Roi, le président de chaque assemblée, le Premier ministre,
un quart des membres du Sénat ou un dixième des députés (art. 140 de la constitution) ; de même, tout
citoyen peut soulever l’inconstitutionnalité d’une loi par l’intermédiaire des députés ou des présidents des
assemblées (art. 141 al.2) ;
– par la Cour suprême dans le cadre d’une question préjudicielle portant sur la constitutionnalité d’un texte ;
– par toute personne contestant une décision du Comité national électoral dans le cadre du Krâm du 26
décembre 1997 relatif à l’élection des députés (art. 42 du Krâm).
• Le conseil constitutionnel est seul compétent pour interpréter la constitution ainsi que les lois. Il statue, en
premier et dernier ressort, sur les litiges relatifs à l’élection des députés (art. 34 al.4 du Krâm de 1998).
En matière de contrôle des actes :
– le Conseil constitutionnel exerce un contrôle a priori sur les lois constitutionnelles, les lois organiques, les
lois de ratification des traités ainsi que les règlements des assemblées,
– il peut contrôler a posteriori toute loi déjà promulguée (art. 141 de la constitution ; art. 18 du Krâm de
1998).
• Les décisions du conseil sont sans appel (art. 142 de la constitution) ; elles s’imposent à l’ensemble des « pouvoirs stipulés dans la constitution » (art. 23 du Krâm).
Cameroun
La constitution de la république de Cameroun du 18 janvier 1996 a prévu l’instauration d’un Conseil constitutionnel. Son titre VIII (art. 46 à 52) définit le conseil comme un « organe régulateur du fonctionnement des pouvoirs publics ».
Elle prévoit de lui attribuer des fonctions électorales – veiller à la régularité des élections présidentielles et parlementaires ainsi que des référendums (art. 48) – et des fonctions de contrôle, le conseil devant statuer souverainement sur la constitutionnalité des traités internationaux et des règlements des deux assemblées (art. 47 al.1 et 2), et
pouvant examiner a priori la constitutionnalité des lois ordinaires (art. 47 al.3). L’article 52 réserve à la loi le soin
d’organiser le fonctionnement du conseil ainsi que les modalités de saisine et la procédure applicable devant lui.
Toutefois, ce Conseil constitutionnel n’a pas encore été mis en place. Dans le cadre des « dispositions transitoires », l’article 67 prévoit ainsi que « la Cour suprême exerce les attributions du Conseil constitutionnel jusqu’à
la mise en place de celui-ci ».
Côte d’Ivoire
La chambre constitutionnelle de la Cour suprême, créée en 1960, a été remplacée par un Conseil constitutionnel en 1994 (loi n° 94-438 du 16 août 1994). Plusieurs dispositions de la constitution ont, par ailleurs, été remaniées dans le cadre de la loi constitutionnelle n° 98-387 du 2 juillet 1998. Le titre VI de la loi fondamentale révisée,
très bref, est consacré au Conseil constitutionnel. Il renvoie à la loi pour ce qui est de sa composition, son fonctionnement et ses attributions.
Outre la loi de 1994 précitée, et partiellement modifiée en 1995 (loi du 25 août), plusieurs textes réglementaires sont intervenus pour fixer l’organisation du secrétariat général du conseil (décret du 3 août 1995) ou les
conditions de rémunération des membres du conseil (décret du 14 novembre 1996).
16. M. Gaillard, Démocratie cambodgienne. La constitution du 24 septembre 1993, Paris, L’Harmattan, 1993.
Dossier de référence
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• Le conseil se compose de neuf membres, dont six nommés par le président de la République. Les anciens
présidents de la République sont membres de droit (art. 1 de la loi du 25 août 1995). Assimilés à des magistrats de l’ordre judiciaire, les membres du conseil jouissent des mêmes droits, obligations et incompatibilités (art. 5 de la loi de 1994).
• La saisine du conseil en matière de contrôle de constitutionnalité appartient essentiellement au président de
la République. Celui-ci doit lui déférer les lois organiques, les engagements internationaux et le règlement
de l’assemblée ; il peut également saisir le conseil à propos d’une loi ordinaire ou d’un décret (art. 15 et 18
de la loi de 1994). Les parlementaires (un quart des députés) disposent d’un droit de saisine pour les seules
propositions de loi ou pour les amendements susceptibles de ne pas relever du domaine de la loi (art. 16 de
la loi de 1994).
• En matière électorale, le conseil statue sur les réclamations relatives à l’élection du président de la République
et proclame les résultats. Il est seul habilité à constater « l’empêchement absolu » du Président (art. 13 de la
loi de 1994). Il veille d’autre part à la régularité des opérations de référendum et en prononce les résultats.
En matière de contrôle des actes, le conseil exerce un contrôle a priori, tantôt obligatoire (traités internationaux, lois organiques, règlement de l’assemblée), tantôt facultatif (lois ordinaires, ordonnances et décrets).
• Les décisions du conseil s’imposent à toutes les autorités civiles et militaires. Aucune décision déclarée inconstitutionnelle ne peut entrer en application (art. 19 de la loi de 1994), et aucun engagement international ne
peut être ratifié sans une modification de la constitution si le conseil a jugé qu’il comportait des clauses
contraires à celle-ci (art. 55 de la constitution, modifié en 1998).
Djibouti
La République de Djibouti s’est dotée d’un Conseil constitutionnel dans le cadre de la constitution du 4 septembre 1992. Son titre VIII (art. 75 à 82) lui est consacré. Conformément à l’article 82, une loi organique est intervenue en 1993 pour déterminer les règles de fonctionnement et d’organisation du conseil.
• Les six membres du conseil sont nommés pour huit ans par le président de la République (2), le président de
l’Assemblée nationale (2) et le Conseil supérieur de la magistrature (2). En outre, les anciens présidents de
la République en sont membres de droit (art. 76 de la constitution ; art. 2 de la loi). Ces fonctions sont incompatibles avec l’exercice de tout mandat politique.
• Le conseil peut être saisi, avant la promulgation d’une loi, par le président de la République, par le président
de l’Assemblée ou par dix députés. Les citoyens disposent aussi de cette faculté, par voie d’exception, en
invoquant l’inconstitutionnalité d’une disposition, législative ou réglementaire, qui leur est appliquée (art. 80
de la constitution ; art. 18 al.3 de la loi de 1993).
• Le Conseil constitutionnel veille à la régularité de l’ensemble des opérations électorales (art. 77 de la constitution) et peut prononcer leur annulation (art. 36 de la loi organique). Il est seul compétent pour constater
l’empêchement du président de la République (art. 31 de la loi). Il statue a priori, et obligatoirement, sur la
conformité à la constitution des traités, des lois organiques et du règlement de l’Assemblée nationale (art. 78
de la constitution ; art. 17 de la loi organique).
• Les décisions du conseil s’imposent aux pouvoirs publics et sont insusceptibles de recours (art. 81 de la constitution).
Égypte
La Cour suprême constitutionnelle a été instituée en 1979, en application des dispositions transitoires de l’article 192 et des règles arrêtées au titre V de la constitution de 1971. Le décret-loi 168/1998 modifie très légèrement la loi de 1979 s’agissant des effets des jugements de la cour : l’effet rétroactif qui s’attache en règle générale
aux jugements d’inconstitutionnalité ne s’applique pas en matière fiscale.
Gabon
La constitution du 26 mars 1991 prévoit, dans son titre VI (art. 83 à 93), l’instauration d’une cour constitutionnelle, présentée comme « la plus haute juridiction de l’État en matière constitutionnelle », une juridiction chargée de garantir « les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques » (art. 83). Une loi
organique du 26 septembre 1991, modifiée le 17 septembre 1994, précise les conditions de fonctionnement de la
cour et la procédure devant être suivie devant elle.
Plusieurs lois – n° 13/94 du 18 mars 1994, n° 18/95 du 29 septembre 1995 et n° 1/97 du 22 avril 1997 – modifient la constitution en fixant la composition, les conditions de saisine et les attributions de la cour.
• La cour se compose de neuf membres désignés, par tiers, par le président de la République et par les prési-
110
Symposium international de Bamako
dents de chaque assemblée (art. 4 issu de la loi de septembre 1994). Les anciens présidents de la République
ont voix consultative (art. 6 de la loi de 1991). Les membres de la cour disposent d’une immunité de juridiction, et les lois spéciales relatives aux outrages envers les dépositaires de l’autorité leur sont applicables
(art. 13b et 14 issus de la loi de septembre 1994).
• Le droit de saisine appartient aux autorités publiques : président de la République, Premier ministre, présidents des assemblées, présidents des cours judiciaires (art. 36, loi de septembre 1994).
D’autre part, l’article 86 de la constitution réserve le droit à tout justiciable d’invoquer l’exception d’inconstitutionnalité à l’encontre d’un acte qui méconnaîtrait les droits fondamentaux. Enfin, la loi de 1997 prévoit que le juge du siège peut saisir la cour par voie d’exception préjudicielle (art. 86).
• La cour est compétente pour interpréter la constitution et l’ensemble des textes à valeur constitutionnelle (art.
88 issu de la loi de 1997). Elle se prononce sur la régularité des consultations électorales et en prononce les
résultats (art. 84 issu de la loi de 1995).
En matière de contrôle des actes :
– elle statue a priori et obligatoirement sur la constitutionnalité des traités, des lois organiques, des règlements des assemblées ou du Conseil de la communication ;
– elle peut être appelée à se prononcer sur la constitutionnalité des lois ordinaires, des ordonnances ou des
actes réglementaires censés porter atteinte aux droits fondamentaux. Elle effectue à ce titre un contrôle a
priori ou a posteriori.
• Les « décisions de la Cour constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles » (art. 92 de la constitution).
Liban
L’article 19 de la constitution du 23 mai 1926 prévoyait l’institution d’un conseil constitutionnel.
La loi n° 250 du 14 juillet 1993 met en place ce conseil, tandis qu’une loi n° 516 du 6 juin 1996 porte règlement intérieur de cet organe. Le statut législatif du conseil est un élément de fragilité.
• Le conseil est composé de dix membres désignés, pour moitié, par la chambre des députés et par le conseil
des ministres (art. 2 et 3 de la loi de 1993).
• Le droit de saisine appartient au président de la République, au président de l’Assemblée nationale, au président du conseil des ministres, à dix députés. Les chefs des communautés reconnues légalement disposent
aussi de cette faculté, mais uniquement en matière de statut personnel, de liberté religieuse ou de liberté de
conscience (art. 19 al. 2 de la loi de 1993 ; art. 18 de la loi de 1996).
• Il appartient au conseil de connaître de la validité des élections présidentielles et législatives, et des contestations y afférent (art. 23 de la loi de 1993 ; art. 31 de la loi de 1996).
Le conseil exerce par ailleurs un contrôle a priori et a posteriori des actes ayant force de loi (art. 18).
• Les décisions du conseil ne sont pas susceptibles de recours et sont revêtues de l’autorité de la chose jugée
(art. 43 et 44 de la loi de 1996).
Lituanie
La constitution du 1er août 1992 consacre son chapitre VIII à la cour constitutionnelle de Lituanie.
Une loi relative à cette cour a été adoptée en 1993 tandis que les juges ont été désignés en mars de la même année.
• La cour se compose de neuf juges élus pour neuf ans par la Diète, sur proposition du président de la République,
du président de la Diète et du président de la Cour suprême.
• La cour peut être saisie, selon les cas, par le gouvernement, un cinquième des députés, les tribunaux ou le
président de la République.
• La cour est juge de la constitutionnalité des lois, des règlements et des traités internationaux, avant leur ratification. Elle est également juge des élections présidentielles, de l’incapacité du Président et des élections
législatives.
La cour constitutionnelle lituanienne rend en moyenne un arrêt par mois sur des thèmes variés. Sa jurisprudence est solide, bien argumentée et en parfaite concordance avec celle des pays européens.
Madagascar
À la Haute-Cour constitutionnelle, prévue à l’article 9 de la convention du 31 octobre 1991, devait se substituer une Cour constitutionnelle, administrative et financière (art. 105 de la constitution du 18 septembre 1992).
Cette dernière n’ayant jamais vu le jour, la Haute-Cour constitutionnelle continue d’exercer ses fonctions telles
que fixées par la convention de 1991 et l’ordonnance n° 92-018 du 8 juillet 1992.
Dossier de référence
111
Certaines modifications ont été apportées à l’occasion de la révision constitutionnelle du 8 avril 1998 : les
articles 118 à 125 de la nouvelle loi fondamentale définissent le cadre d’intervention de la Haute Cour constitutionnelle.
• La Haute-Cour constitutionnelle comprend neuf membres nommés par le président de la République, par
chaque assemblée et par le Conseil supérieur de la magistrature. Les fonctions de membre de la Haute-Cour
constitutionnelle sont incompatibles avec l’exercice d’un mandat électif ou d’une fonction publique (art. 120
de la constitution modifiée en 1998).
• La Haute-Cour constitutionnelle peut être saisie par le chef de l’État, le chef de toute institution, les organes
des provinces autonomes ou, par voie d’exception, par toute partie à un procès mettant en cause la constitutionnalité d’une disposition législative ou réglementaire (art. 122 al.3 de la constitution modifiée ; art. 35 et
36 de l’ordonnance du 2 octobre 1992).
• La Haute-Cour constitutionnelle statue sur le contentieux des opérations électorales. Elle constate la vacance
de la présidence de la République en cas de déchéance du Président prononcée par la Haute-Cour de Justice
(art. 113). Elle règle les conflits de compétence entre les diverses institutions d’État, ou entre l’une d’elles et
les provinces autonomes (art. 118). Elle se prononce, avant leur promulgation, sur la constitutionnalité des
lois organiques, du règlement des assemblées, des traités, des ordonnances et, le cas échéant, des lois ordinaires.
• Les arrêts rendus en matière électorale et les décisions prises à l’occasion du contrôle d’un acte ne sont pas
susceptibles de recours. Ils s’imposent aux pouvoirs publics (art. 124 de la constitution modifiée).
Mali
La constitution malienne du 12 janvier 1992 institue une Cour constitutionnelle indépendante du pouvoir judiciaire – à la différence de la section constitutionnelle de la Cour suprême datant de 1965. Le titre IX de la constitution (art. 85 à 94) ainsi que la loi organique du 11 février 1997 déterminent l’organisation, le fonctionnement et
les attributions de la cour.
• La cour comprend neuf conseillers nommés pour sept ans par le président de la République, le président de
l’Assemblée et le Conseil supérieur de la magistrature (art. 91 de la constitution). Leur mandat est renouvelable une fois. La fonction de conseiller est incompatible avec tout emploi public ; elle est assortie d’une
immunité de juridiction (art. 3 et 8 de la loi organique).
• Ont le droit de saisir la cour : le président de la République, le Premier ministre, le président de chaque assemblée, le président de la Cour suprême, ou un dixième des conseillers nationaux (art. 88 de la constitution). En
matière électorale, cette saisine est également ouverte aux candidats, aux partis politiques, au président de la
Commission électorale nationale ou à tout membre d’un bureau de vote (art. 31 et 33 de la loi organique).
• La cour contrôle les élections présidentielles et législatives, ainsi que les opérations de référendum. Elle est par
ailleurs juge des contentieux électoraux (art. 31 de la loi organique). En matière de contrôle des actes, la cour
opère exclusivement un contrôle a priori :
– obligatoire s’agissant des lois organiques et du règlement des assemblées ;
– facultatif pour les lois simples.
• Les décisions de la cour ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics (art. 94 de
la constitution).
Maroc
Dans ce pays, la justice constitutionnelle est une tradition ancienne, remontant à la première constitution de
décembre 1962. En 1992, un Conseil constitutionnel se substitue à la chambre constitutionnelle initialement chargée, au sein de la Cour suprême, du contrôle de la constitutionnalité des lois. La justice constitutionnelle s’est ainsi
individualisée en devenant indépendante du pouvoir judiciaire. À cet égard, la révision constitutionnelle intervenue en 1996 (référendum du 13 septembre 1996) n’altère en rien ce principe. Au contraire, les compétences et la
saisine du conseil ont été élargies.
Conformément aux articles 80 et 81 de la constitution, l’organisation, le fonctionnement du conseil, mais aussi
la procédure suivie devant lui relèvent de la loi organique : loi n° 29-93 du 25 février 1994, modifiée et complétée par la loi n° 8-98 du 28 septembre 1998.
• Depuis 1998, le Conseil constitutionnel se compose de douze membres nommés pour neuf ans : six sont désignés par le Roi ; trois le sont par le président de la Chambre des représentants, et trois par le président de la
Chambre des conseillers (art. 79 de la constitution modifiée ; art.1er de la loi organique). Cette fonction est
incompatible avec l’exercice d’une quelconque activité ayant un lien avec l’État (fonction publique ou élec-
112
Symposium international de Bamako
tive, emploi dans une entreprise publique). Autre garantie d’indépendance : le mandat des juges est non renouvelable.
• Le conseil peut être saisi par des organismes publics (Roi, Premier ministre, présidents des Chambres, proportion de parlementaires) dans le cadre d’un recours non contentieux (examen d’une loi organique par
exemple) ou d’un recours contentieux (contrôle de constitutionnalité des lois ordinaires avant leur promulgation). Les citoyens disposent d’un droit de recours individuel auprès du conseil en matière électorale : ce
recours est ouvert à la fois aux candidats et aux électeurs d’une circonscription (art. 29 et 30 de la loi organique).
• Le conseil est seul compétent pour apprécier la constitutionnalité d’un texte (art. 25 du Code de procédure
civile). Il intervient obligatoirement pour contrôler la constitutionnalité des lois organiques et des règlements
des assemblées, avant leur promulgation ou leur mise en application (art. 81 de la constitution ; art. 21 de la
loi organique). Son intervention est par contre facultative s’agissant des lois ordinaires ; elle suspend le délai
de promulgation (art. 23 de la loi organique).
Le conseil joue par ailleurs un rôle important en matière de répartition des compétences. Il statue ainsi sur
l’irrecevabilité législative opposée par le gouvernement et, dans le cadre de la procédure de délégalisation,
il se prononce sur la modification par décret de textes pris en forme législative. Dans le domaine électoral,
le conseil examine les recours portant sur l’élection des membres du Parlement, et vérifie d’autre part la régularité des opérations de référendum (art. 81 de la constitution ; art. 36 et 37 de la loi organique).
• Les décisions du conseil ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics (art. 81 al.8
de la constitution). Lorsqu’il se prononce sur le contentieux électoral, il statue soit par le rejet de la requête,
soit par l’annulation de l’élection contestée.
Mauritanie
Le titre VI (art. 81 à 88) de la constitution du 20 juillet 1991 est consacré au Conseil constitutionnel. Conformément
à l’article 88 de la loi fondamentale, une loi organique n° 92-04 du 18 février 1992 détermine les modalités de
fonctionnement et précise les attributions du conseil. Plusieurs textes réglementaires fixent le détail du régime
indemnitaire ou des obligations des membres de cette institution.
• Le conseil comprend six membres désignés par le président de la République et les présidents de chaque
assemblée. Leur indépendance est garantie par le caractère non renouvelable de leur mandat et par les incompatibilités et immunités qui s’attachent à la fonction (art. 4 à 7 de la loi organique).
• Le droit de saisir le conseil appartient au président de la République, au président des assemblées, et à un
tiers des députés ou des sénateurs (art. 86 de la constitution). Tout électeur ou tout candidat peut également
saisir le conseil dans le cadre du contentieux électoral (art. 33 al.2 de la loi organique).
• Le conseil statue sur la régularité des élections. Les lois organiques, les engagements internationaux et les règlements des Assemblées doivent être soumis au conseil avant leur promulgation ou leur entrée en vigueur. Les
lois ordinaires peuvent lui être déférées.
• Les décisions du conseil sont revêtues de l’autorité de la chose jugée et ne sont susceptibles d’aucun recours
(art. 87 de la constitution).
Moldavie
La constitution de la République de Moldavie prévoit, dans son titre V (art. 134 à 142) la création d’une Cour
constitutionnelle, « unique autorité constitutionnelle ». Une loi du 13 décembre 1994, modifiée depuis, organise
son fonctionnement. La cour est entrée en fonction en février 1995 et, en juin de la même année, le Parlement a
adopté le Code de la juridiction constitutionnelle.
• La cour est composée de six juges, nommés pour six ans par le président de la République, le Parlement et
le Conseil supérieur de la magistrature. L’indépendance, l’inamovibilité et l’immunité juridictionnelle des
juges sont explicitement prévues par la loi de 1994 (art. 13 à 16).
• Le droit de saisine est largement entendu pour ce qui concerne les organismes publics (art. 25 de la loi de
1994). En revanche, les citoyens n’ont pas le droit de saisir la cour, et celle-ci ne peut pas s’autosaisir.
• Les compétences de la cour sont étendues. Elle est appelée à statuer a priori et a posteriori sur la constitutionnalité des textes intervenus après la constitution de 1994 : traités, lois, décrets présidentiels, règlements
des assemblées, arrêtés pris par le gouvernement (art. 4-1 et 4-2 du Code de 1995). Elle interprète la constitution et se prononce sur toute initiative de révision de la loi fondamentale. Elle proclame des résultats des
référendums ainsi que des élections présidentielles et législatives.
• Les arrêts de la cour sont insusceptibles de recours (art. 140-2 de la constitution).
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Niger
À la suite du coup d’État survenu en avril 1999, les fonctions de la Cour suprême ont été suspendues. Une nouvelle constitution, adoptée par référendum le 18 juillet 1999, instaure une Cour constitutionnelle, « juridiction compétente en matière constitutionnelle et électorale » (art. 103 de la nouvelle constitution) qui succède à l’ancienne
Cour suprême. Les dispositions consacrant la mise en place de cette institution n’ont pas encore été édictées.
Pologne
La loi constitutionnelle de transition, adoptée en octobre 1992, instituait, dans son chapitre 4, un Tribunal
constitutionnel. La nouvelle constitution polonaise du 25 mai 1997 n’en modifie pas l’économie générale, mais
élargit au contraire ses compétences. Les règles posées dans la nouvelle loi fondamentale ont été précisées dans
une loi du 1er août 1997.
• Le Tribunal constitutionnel se compose désormais de quinze membres, nommés par la Diète. Leur indépendance est garantie par la constitution (art. 33a-5).
• Le tribunal exerce un contrôle a priori, à la demande du seul président de la République, sur les lois et règlements ayant force de loi. Il exerce également un contrôle a posteriori sur les textes législatifs et réglementaires, par voie d’action et par voie d’exception. Depuis 1997, le tribunal constitutionnel est par ailleurs
compétent pour arbitrer les conflits d’attribution entre les différentes institutions de l’État.
Le dispositif polonais de contrôle de constitutionnalité présente certaines singularités. Dans le cadre de la procédure dite de « signalisation », le Tribunal constitutionnel a ainsi la possibilité d’indiquer à la Diète les lacunes
ou les défauts de la législation. D’autre part, la constitution de 1997 a mis en place une procédure de plainte constitutionnelle individuelle permettant à tout citoyen de soumettre au tribunal une décision définitive, émanant d’une
juridiction ou d’un organe administratif, qui porterait atteinte aux libertés fondamentales et aux droits reconnus
par la constitution.
Roumanie
La constitution roumaine de 1991 institue, dans son titre V (art. 140 à 145), une Cour constitutionnelle. Son
fonctionnement est précisé par une loi n° 47 du 18 mai 1992, modifiée par la loi n° 138 du 24 juillet 1997 en ce
qui concerne les dispositions procédurales.
• La cour se compose de neuf juges, nommés pour neuf ans. Elle dispose d’un budget propre.
• Elle examine d’office toute initiative de révision constitutionnelle, avant qu’elle soit présentée au Parlement.
Dans le cadre du contrôle a priori, elle apprécie la constitutionnalité des lois votées par les chambres, avant
qu’elles n’aient force exécutoire. Son contrôle a posteriori s’exerce à l’égard des règlements des Assemblées,
des ordonnances gouvernementales prises sur habilitation législative (art. 114 de la constitution) et des lois
promulguées(17).
Sénégal
Les diverses révisions constitutionnelles intervenues depuis 1991 ont eu pour effet de remplacer la Cour suprême
par trois hautes juridictions, dont un Conseil constitutionnel, instance distincte au sein du pouvoir judiciaire (art.
80 de la constitution, issu des révisions du 30 mai 1992 et 29 janvier 1999).
• Le conseil comprend cinq membres nommés par le président de la République. Ils sont non renouvelables et
nul ne peut mettre fin à leur mandat avant expiration, sauf pour incapacité physique (art. 80 bis de la constitution).
• Seules certaines personnes sont habilitées à saisir le conseil :
– le président de la République, en matière de constitutionnalité des lois et des traités, de contrôle du domaine
de la loi, de référendum ou de recours aux pouvoirs exceptionnels ;
– un dixième des membres de l’Assemblée nationale en matière de contrôle de constitutionnalité des lois et
des traités ;
– le président de l’Assemblée pour ce qui concerne la délimitation du domaine de la loi, l’empêchement ou
le décès du président ;
– le Conseil d’État ou la Cour de cassation dans l’hypothèse où une exception d’inconstitutionnalité est soulevée devant eux ;
17. F. B. Vasilescu, « Considérations sur le régime politique actuel de la Roumanie », Revue française de droit constitutionnel, 1995, pp.
477-478 ; M. Verdussen, La justice constitutionnelle en Europe centrale, op. cit.
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Symposium international de Bamako
– tout candidat amené à contester la liste des candidats à l’élection présidentielle.
• Le conseil contrôle la constitutionnalité des lois et des engagements internationaux, par voie d’action ou par
voie d’exception (art. 82 al.1 de la constitution). Tout citoyen peut en effet contester la constitutionnalité d’une
loi déjà promulguée dont on veut lui faire application devant une haute juridiction ; celle-ci doit alors surseoir à statuer et saisir le conseil constitutionnel. En matière électorale, le conseil n’est compétent que pour
les élections nationales. Il intervient avant le scrutin (élaboration des listes de candidats), puis contrôle la
régularité des opérations électorales et se prononce sur les éventuelles contestations.
• Aucune disposition ne précise la portée des décisions du Conseil constitutionnel.
Slovénie
La constitution de 1991 instaure, dans son titre VIII (art. 160 à 167), une Cour constitutionnelle chargée de
veiller à la constitutionnalité et la légalité des actes, mais aussi d’assurer la protection des droits de l’Homme et
des libertés fondamentales.
Une loi des 21 février et 8 mars 1994 précise le fonctionnement de la cour et les modalités du contrôle qu’elle
est amenée à opérer.
• La cour est composée de neuf juges élus par l’Assemblée nationale sur proposition du président de la République
(art. 163 de la constitution). La constitution prévoit le régime des incompatibilités (art. 166 ; art. 16 de la loi
de 1994) et accorde aux juges la même immunité que celle dont jouissent les parlementaires. De sorte que
« l’Assemblée nationale décide de la levée de cette immunité » (art. 167).
• Le droit de saisine est largement entendu. Outre les organismes publics, l’ombudsman peut adresser une
requête au conseil en matière de droit de l’Homme (art. 23 de la loi de 1994), de même que toute personne
dont les intérêts légitimes sont atteints (art. 24).
• La cour intervient comme régulateur des pouvoirs publics : elle règle ainsi les conflits d’attribution entre les
pouvoirs exécutif et législatif, entre l’État et les collectivités locales (art. 160 de la constitution). Elle exerce
aussi un contrôle préventif en émettant un avis avant la ratification d’un accord international. Elle contrôle
enfin, a posteriori, la conformité à la constitution des normes de valeur législative, mais aussi la légalité et
la constitutionnalité des règlements.
• Aux termes de la loi, les décisions de la cour revêtent un caractère obligatoire (art. 1-3 de la loi de 1994).
Reste que les effets juridiques de ces décisions ne sont pas définis par la constitution elle-même : celle-ci dispose en effet que « les conséquences juridiques de la décision de la Cour constitutionnelle sont réglementées
par la loi » (art. 161 al.3 de la constitution).
Tchad
La constitution du 14 avril 1996 réserve un titre VII, comprenant onze articles, au Conseil constitutionnel.
Une loi organique n° 19 du 2 novembre 1998, prise sur le fondement de l’article 175 de la constitution, met en
place cet organe de contrôle et réglemente son fonctionnement. Les membres du conseil ont été nommés par décret
le 8 avril 1999.
• Le conseil se compose de neuf membres désignés par le président de la République et les présidents des deux
chambres. La constitution prévoit l’inamovibilité des membres du conseil et l’incompatibilité de leurs fonctions avec tout mandat électif et toute activité publique (art. 165 et 167).
• Le conseil peut être saisi, par voie d’action, par les plus hautes autorités de l’État pour apprécier la constitutionnalité d’une loi avant sa promulgation (art. 170).
Les citoyens peuvent également saisir le conseil, et ce dans deux cas de figure :
– pour contester les résultats d’une élection à laquelle ils sont partie prenante (art. 20 de la loi organique de 1998) ;
– par la voie de l’exception d’inconstitutionnalité invoquée devant une juridiction, qui doit alors surseoir à
statuer (art. 171 al.1 de la constitution).
• Outre son rôle classique en matière de contrôle de constitutionnalité des lois ou des traités, le conseil connaît
du contentieux des élections nationales et règle les conflits de compétences entre les institutions étatiques
(art. 166 de la constitution).
• Les décisions du conseil s’imposent aux pouvoirs publics, y compris les autorités militaires, ce qui constitue
une spécificité tchadienne (art. 174 al.2).
Togo
La constitution togolaise de 1992 substitue à l’ancienne chambre constitutionnelle, rattachée à la Cour suprême,
une institution autonome dénommée Cour constitutionnelle. Cette institution est organisée par la loi organique
Dossier de référence
115
n° 97-01 du 8 janvier 1997 qui fixe également les modalités de son fonctionnement. La cour exerce des compétences classiques en matière électorale ; elle constate par ailleurs l’empêchement du président de la République
(art. 65 de la constitution) et émet un avis quant à l’usage de pouvoirs exceptionnels par le gouvernement (art. 86).
Le contrôle de constitutionnalité intervient a priori. Il est obligatoire pour les lois organiques ou le règlement
de l’Assemblée ; facultatif dans le cas des lois ordinaires, et donc subordonné à la demande des autorités qualifiées
(selon l’art. 104 al. 3 : le président de la République, le Premier ministre, le président de l’Assemblée ou un cinquième de ses membres). S’agissant des traités internationaux, leur examen préalable par la cour n’est prévu ni par
la constitution, ni par la loi organique. Seul un examen de la loi autorisant la ratification ou l’approbation de l’engagement international peut donc permettre à la cour d’apprécier la conformité de celui-ci à la loi fondamentale.
2. Un contrôle intégré à un pouvoir judiciaire unitaire
Le fait que l’organe devant surveiller la conformité des lois à la constitution soit intégré à la haute instance judiciaire ne se traduit pas nécessairement par une perte d’autorité. D’une certaine façon, un tel rapprochement pourrait même contribuer à dépolitiser le contrôle de constitutionnalité. Cependant, ces regroupements expriment parfois
une volonté de banaliser le Conseil constitutionnel en le réduisant au rang de simple composante d’un organe plus
important.
En effet, l’objectif qui a présidé à l’adoption d’un tel schéma ne semble pas avoir été la valorisation de la fonction de contrôle de constitutionnalité. Dans les pays ayant retenu cette formule, on observe tout d’abord que les
recours individuels sont rarement envisagés (exception faite de l’Ile Maurice où l’inspiration anglo-saxonne est
forte), et on constate en second lieu que le constituant réserve souvent au législateur ordinaire le soin de déterminer, outre l’organisation, le fonctionnement et parfois les attributions de la « chambre » constitutionnelle.
Burkina Faso
Le contrôle de constitutionnalité des lois est assuré par la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême (art.
152 de la constitution du 11 juin 1991). Une ordonnance n° 91-0051/PRES du 25 août 1991 réglemente la composition, l’organisation et le fonctionnement de cette Cour.
• La chambre constitutionnelle est compétente pour connaître du contentieux électoral (art. 154 de la constitution). S’agissant du contrôle des actes, elle est obligatoirement consultée sur la constitutionnalité des lois
organiques et des règlements des assemblées, avant leur mise en application. Les lois ordinaires et les traités
peuvent lui être déférés (art. 155 al.2).
• Les recours tendant à faire constater l’inconstitutionnalité d’une loi ne peuvent être présentés que par les plus
hautes autorités de l’État (président du Faso, Premier ministre, présidents des assemblées ou un cinquième
des députés). Les citoyens ne peuvent saisir la chambre, pas même par voie d’exception.
Cap Vert
La nouvelle constitution du 5 août 1992 confie à une institution unique, appelée Tribunal suprême de justice,
l’autorité sur les tribunaux ordinaires, ainsi que les missions d’un tribunal constitutionnel (art. 229 et 237 de la
constitution). Le Tribunal suprême de justice est ainsi compétent pour apprécier la constitutionnalité et la légalité
de toute loi et de tout règlement. Il intervient également en tant que juge électoral.
Congo
L’Acte fondamental du 24 octobre 1997 dispose, dans son article 72, que « le pouvoir judiciaire est exercé par
la Cour suprême et les autres juridictions nationales créées par la loi ». La Cour suprême assure ainsi le « contrôle
de conformité » des lois et des traités à l’Acte fondamental (art. 73).
Guinée
Aux termes de la constitution de décembre 1990, le pouvoir judiciaire est exercé par les cours et tribunaux, au
sommet desquels se trouve la Cour suprême.
La « chambre administrative et constitutionnelle » de la Cour a pour missions :
• d’apprécier a priori la constitutionnalité des lois et des engagements internationaux ;
• d’examiner les recours formés contre les actes du président de la République ou contre les ordonnances ;
• de statuer sur le contentieux électoral (art. 83 de la constitution).
Les citoyens ne disposent pas du droit de saisine. Celui-ci est réservé aux députés (un dixième), au président
de la République et aux partis politiques s’agissant des réclamations électorales.
116
Symposium international de Bamako
Haïti
Le contrôle de constitutionnalité incombe à la Cour de cassation. Les dispositions récentes introduites par
le décret du 22 août 1995 relatif à l’organisation judiciaire précisent les conditions dans lesquelles s’exerce cette
attribution. Le décret prévoit ainsi qu’un requérant peut exciper de l’inconstitutionnalité d’un texte dans le cadre
d’un litige porté à la connaissance d’un tribunal (art. 146). Celui-ci sursoit à statuer, renvoyant alors les parties
devant la Cour de cassation. Les juges de la Cour ne pourront déclarer le texte inconstitutionnel qu’à la majorité qualifiée des deux tiers (art. 147). Mais si la demande en inconstitutionnalité est déclarée irrecevable ou mal
fondée, le requérant est condamné à une amende dont le non recouvrement peut entraîner la contrainte par
corps (art. 143).
Maurice
La constitution mauricienne de mars 1968, modifiée à deux reprises en 1991 et 1997, donne à la Cour suprême
une compétence d’attribution générale en matière constitutionnelle (art. 83-2).
Elle examine ainsi :
• les questions relatives à l’interprétation de la constitution pouvant lui être adressées par l’ensemble des tribunaux ;
• les requêtes individuelles formées par les personnes qui estiment que les dispositions de la constitution ont
été violées. La Cour établit à cette occasion une « déclaration » susceptible d’ouvrir droit à réparation pour
le requérant.
Rwanda
Supprimée en 1978, la Cour suprême a été rétablie à la suite des Accords de paix d’Arusha en août 1993. L’une
des « sections » composant la Cour suprême est appelée Cour constitutionnelle (art. 28 de la constitution). Les
règles de compétence, d’organisation et de fonctionnement de cette cour sont renvoyées à une loi organique.
Elle a pour missions de :
• veiller à la régularité des consultations populaires ;
• statuer sur les recours formés contre les règlements des autorités administratives ;
• de garantir la conformité à la constitution des traités et des lois en opérant un contrôle a priori sur demande
de l’Assemblée nationale. Les citoyens n’ont pas qualité pour saisir la Cour.
Seychelles
La Cour suprême, instituée en vertu de l’article 125 de la constitution de 1992, siège comme Cour constitutionnelle. Elle est compétente pour statuer en matière d’interprétation, d’exécution ou de violation de la constitution (art. 129-1). Le droit de saisine est très largement entendu dans la mesure où, selon les termes de l’article
130-1, « quiconque allègue une infraction aux dispositions de la présente constitution (…) peut adresser une requête
à la Cour ». Celle-ci peut être saisie par voie d’action ou par voie d’exception : dans cette hypothèse, le tribunal
devant lequel l’inconstitutionnalité est soulevée sursoit à statuer et renvoie la question devant la cour (art. 130-6).
L’existence d’un juge constitutionnel ne constitue sans doute pas une condition suffisante permettant l’ancrage
de la démocratie. C’est ce que prouve, par exemple, le cas du Niger où l’intervention de la Cour suprême en 1995
pour dénouer la crise politique ne fut suivie d’aucun effet. Par contre, il s’agit sans doute d’une condition nécessaire. En interprétant la constitution, en régulant le fonctionnement des pouvoirs publics et en assurant le respect
des droits fondamentaux, le juge constitutionnel est en position de régler certains désaccords, mais aussi de roder
les principes et les institutions de la démocratie. C’est ainsi que le juge constitutionnel a favorisé, au Bénin, l’alternance politique de 1996, tout comme il est parvenu, dans le contexte du régime parlementaire malgache, à organiser la destitution du président de la République puis la tenue d’élections libres.
B.– La justice et la protection des droits fondamentaux
L’un des droits essentiels des citoyens est de disposer d’un recours effectif devant les juridictions, et ce dans
des conditions qui garantissent que sa cause soit entendue équitablement par un tribunal impartial. Mais l’application sans faille de cette garantie ne s’exerce pas sans difficulté dans des pays où le sens du droit n’est pas encore
partagé par tous. C’est pourquoi le rôle des cours constitutionnelles est déterminant pour rappeler aux juridictions
qu’elles doivent assurer le respect des valeurs universelles que les États entendent désormais défendre.
Parce que, dans un État de droit, le juge joue un rôle central dans la « fabrication » et la protection du droit, les
réalisations des pays membres de la Francophonie en matière juridictionnelle et judiciaire font l’objet d’une atten-
Dossier de référence
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tion particulière. Un plan d’action a d’ailleurs été déterminé à l’occasion de la Conférence des Ministres francophones de la Justice (Le Caire, novembre 1995). La modernisation de la justice, son indépendance et son efficacité, ainsi que son rôle dans la protection effective des droits fondamentaux constituent les principaux axes de ce
plan, autour desquels se déclinent les initiatives des États membres.
1. La modernisation de la justice
Certains pays membres se sont efforcés de doter les personnels judiciaires de statuts protecteurs, d’améliorer la qualité du recrutement ainsi que la formation des magistrats, et d’accroître l’équipement (notamment documentaire) des juridictions. La professionnalisation de la justice par la formation des magistrats (et de l’ensemble
des acteurs juridiques), sans laquelle il ne peut y avoir de sécurité juridique, est en effet inhérente au concept d’État de droit.
On recense, au titre de ces initiatives :
Bénin
• élaboration en 1995 d’un projet de loi portant modalités d’application du principe d’inamovibilité des magistrats du siège, principe constitutionnel figurant aux articles 125-127 de la loi fondamentale de 1990 ;
• projet de création de trois cours d’appel et de cinq tribunaux de première instance ;
• création d’une direction du ministère de la Justice chargée de la promotion des droits de l’Homme ;
• poursuite de la mise en place d’une documentation juridique.
Bulgarie
• création, à partir de 1994, de nouvelles instances juridictionnelles (Cours d’appel, Cour de Cassation et Cour
Suprême administrative).
Cambodge
• construction de nouveaux tribunaux et réhabilitation de locaux vétustes.
Cameroun
• création de nouvelles juridictions (tribunaux administratifs, notamment).
Comores
• adoption en 1991 d’une loi portant statut de la magistrature et définissant les conditions d’accès à la fonction
de magistrat.
Haïti
• promulgation, le 8 mars 1998, d’une loi portant réforme de la justice et tendant à raffermir l’indépendance
du pouvoir judiciaire.
Mali
• réforme du statut de la magistrature par ordonnance du 5 juin 1992 ;
• création de plusieurs justices de paix dans les villes qui en étaient privées.
Maroc
• réforme du Conseil supérieur de la magistrature, tendant à augmenter la représentation des magistrats ;
• poursuite de la création et de l’équipement de nouveaux tribunaux.
Mauritanie
• adoption, en 1993, d’une loi organique portant statut de la magistrature.
Niger
• mise en place d’un comité de réflexion sur l’indépendance des magistrats au sein du Conseil supérieur de la
magistrature ;
• réforme, par décret du 16 avril 1996, du statut de la magistrature ;
• modification, par la loi n° 97-015 du 20 juin 1997, du fonctionnement et des attributions de la Cour Suprême.
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Symposium international de Bamako
République démocratique du Congo
• élaboration d’un projet de loi portant création d’une Cour constitutionnelle, d’un Conseil d’État et d’une Cour
de Cassation ;
• amélioration de l’indépendance des magistrats par la création d’un Conseil Supérieur de la Magistrature gérant
les nominations, les avancements, et exerçant le pouvoir disciplinaire.
Roumanie
• amélioration du recrutement des magistrats ;
• consécration du principe d’inamovibilité des magistrats du siège et du principe de « stabilité » des magistrats
du parquet.
Tchad
• réforme du statut de la magistrature ;
• élaboration d’un projet de loi visant la création d’une Cour Suprême et de plusieurs cours d’appel, conformément aux dispositions constitutionnelles (voir, en particulier, l’article 148 de la constitution du 14 avril
1996).
Togo
• adoption de deux lois portant, respectivement, statut des magistrats (loi n° 96-11 du 21 août 1996), et réglementant le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature (loi n° 97-04 du 6 mars 1997).
2. L’accessibilité du prétoire
Rendre la justice plus accessible, afin que chacun puisse y recourir avec la certitude de faire reconnaître ses
droits par un juge impartial, est une nécessité dans un État de droit. L’article 19 de la constitution togolaise, par
exemple, formule ce principe de façon très explicite : « Toute personne a droit en toute matière à ce que sa cause
soit entendue et tranchée équitablement (…) par une juridiction indépendante et impartiale ». De nombreuses
réformes tendent désormais à concrétiser cette exigence.
L’accessibilité à la justice nécessite d’abord un renforcement de la capacité des juridictions. Certaines des
mesures évoquées ci-dessus contribuent, de toute évidence, à améliorer le fonctionnement des systèmes judiciaires
en palliant l’insuffisance de personnel ou de juridictions (voir en ce sens les efforts entrepris au Maroc, au Mali
ou encore au Cameroun). Pour assurer une égale protection de la loi à tous les justiciables, Haïti ou l’Égypte ont
récemment pris des mesures qui se traduisent par une augmentation du nombre de chambres dans les diverses juridictions et même, dans le cas d’Haïti, une augmentation très sensible du nombre de tribunaux.
D’autre part, plusieurs pays, dont Haïti, le Bénin, la Bulgarie, le Cameroun ou le Maroc, s’acheminent vers la
mise en place d’un dispositif opérationnel d’assistance judiciaire pour les personnes démunies.
De son côté, l’Égypte s’emploie à réformer son code de procédure civile afin de faciliter l’accès à la justice
pour tous les justiciables.
De même, en République démocratique du Congo, des « bureaux d’information judiciaire » ont été ouverts dans
les tribunaux afin d’offrir un conseil juridique aux personnes indigentes.
C.– Le développement de nouveaux organes de contrôle du pouvoir
1. Les cours des comptes
Certains États associés à l’espace francophone ont prévu, souvent dans la constitution elle-même, la mise en
place d’un organe de contrôle des comptes publics. En prenant l’initiative, en janvier 1999, d’instaurer une Cour
des comptes par une loi constitutionnelle, le législateur du Sénégal confirme l’utilité et l’importance d’une telle
institution (loi n° 99-02 du 29 janvier 1999).
Quelle que soit leur dénomination, ces organes de contrôle exercent, alternativement ou conjointement, les
fonctions que remplit la Cour des comptes française : à la fois juridiction amenée à juger les comptes des comptables publics, et/ou instance de contrôle chargée d’assister le gouvernement et le parlement durant l’exécution de
la loi de finances. Toutefois, dans les pays de la Francophonie, l’organe chargé du contrôle des comptes est intégré dans les dispositifs institutionnels les plus variés.
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1. La Cour des comptes apparaît souvent comme une simple composante de la Cour suprême. C’est le cas dans
les pays abritant un ordre juridique unitaire, au sein duquel cette Cour assume les fonctions de juridiction suprême.
La Cour des comptes ne constitue pas alors une juridiction à part entière. Au Burkina Faso, par exemple, le contrôle
des comptes publics est assuré par une chambre spécifique, appelée Chambre des comptes, à l’intérieur même de
la Cour suprême (art. 127 de la constitution de 1991). Corollaire : le contrôle des comptes n’est pas effectué par
des magistrats spécialisés dans les questions de finances publiques. On retrouve une situation du même type au
Mali, où la Cour suprême abrite une « section des comptes » (article 83 de la constitution de février 1992). La solution adoptée au Rwanda semble à cet égard très proche. Initialement, la constitution rwandaise de juin 1991 prévoyait l’intervention de la Cour des comptes sans préciser son statut, ni la nature de son contrôle (art. 84 de la
constitution du 10 juin 1991). Désormais, l’accord de paix d’Arusha, constitutif de la nouvelle loi fondamentale
rwandaise, dispose explicitement que la Cour des comptes constitue la cinquième « section » de la Cour suprême
(art. 28 du Protocole d’accord sur le partage du pouvoir).
Dans les autres pays, la Cour des comptes est une institution plus ou moins autonome, mais distincte de la juridiction suprême. En Tunisie, son autonomie est relativement limitée dans la mesure où la Cour des comptes est
intégrée au Conseil d’État, dont elle constitue, selon les termes de l’article 69 de la constitution, l’un des « organes »,
l’autre étant le tribunal administratif. À l’inverse, en République centrafricaine ou au Gabon, elle constitue une
véritable juridiction. En Centrafrique, ses décisions relèvent, par la voie de la cassation, du Conseil d’État (art. 87
et 88 de la constitution de 1994). De même, au Togo, la Cour des comptes se présente comme une juridiction autonome, à laquelle la constitution de 1992 réserve un titre entier (titre VII, art. 107 à 111). Elle prévoit sa composition, fixe les conditions de recrutement de ses membres et détermine leur régime statutaire : inamovibilité (art.
110) et bloc d’incompatibilités (art. 111).
En revanche, si le Maroc dote aussi la Cour des comptes d’un statut constitutionnel en lui consacrant le titre
X de la loi fondamentale de 1996, la nature juridictionnelle de l’institution n’est pas explicitement indiquée.
Dans la constitution togolaise, par exemple, il est clair que « la Cour juge les comptes des comptables publics »
(art. 107). Le texte marocain est moins net, se contentant d’indiquer que la Cour assure le contrôle de l’exécution de la loi de finances et dispose, pour ce faire, d’un pouvoir de sanction (art. 96). Ailleurs, enfin, le contrôle
exercé par la Cour des comptes est parfois évoqué par le texte constitutionnel, mais celle-ci ne dit rien du statut
de l’institution, ni de sa nature éventuellement juridictionnelle. C’est le cas, par exemple, en Mauritanie, où seule
l’intervention de la Cour dans l’exécution de la loi de finances est prévue par la constitution (article 68 al.6).
2. Les Cours des comptes interviennent généralement à deux titres. Premièrement, elles contrôlent les comptes
publics en sanctionnant, le cas échéant, les manquements aux règles comptables. À ce titre, elles bénéficient parfois, comme c’est le cas au Maroc, d’un réseau de cours régionales des comptes susceptibles de prolonger efficacement leur action en direction des collectivités décentralisées.
Deuxièmement, elles collaborent avec le parlement pour veiller au bon usage des deniers publics. Elles contribuent ainsi au contrôle de l’action administrative, non seulement directement dans leurs fonctions juridictionnelles
(ou quasi-juridictionnelles), mais encore indirectement, en facilitant le contrôle exercé par le parlement. Au Togo
par exemple, la Cour des comptes « assiste le parlement et le gouvernement dans le contrôle de l’exécution de la
loi de finances » (art. 107 al.3 de la constitution). La loi fondamentale mauritanienne lui confie aussi cette mission, qu’elle formule dans les mêmes termes : « Une Cour des comptes assiste le parlement et le gouvernement
dans le contrôle de l’exécution de la loi de finances » (art. 68 de la constitution). La même fonction est attribuée
à la Cour des comptes marocaine (art. 97 de la constitution) ou rwandaise, celle-ci étant plus particulièrement chargée d’assister le travail parlementaire (art. 84 al.2 du texte constitutionnel de 1991). C’est une fonction essentielle,
qui permet d’atténuer un peu le déséquilibre des pouvoirs dont pâtit souvent le législateur, singulièrement en matière
financière.
En raison même des fonctions qui leur incombent, les cours des comptes sont appelées à jouer un rôle important en matière de lutte contre la prévarication ou les malversations. Tout dépend naturellement des moyens dont
elles disposent pour remplir cette mission. En l’état actuel des choses, il semble que l’intégration des chambres
des comptes, comme composantes d’une juridiction suprême, présente à cet égard des avantages. Dans ce cadre,
elles disposent en effet de l’autorité reconnue à cette institution et des moyens qui lui sont accordés, moyens qui
font souvent défaut à des institutions jugées moins essentielles dans le fonctionnement des pouvoirs publics…
quand elles entrent en vigueur.
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Symposium international de Bamako
2. Les instances de régulation indépendantes
Un grand nombre de pays francophones ont mis en place des institutions de régulation et de contrôle dans les
domaines sensibles de la communication, des consultations électorales ou des droits de l’Homme. Le plus souvent
d’origine constitutionnelle – en particulier s’agissant des autorités chargées de veiller au respect de la liberté de la
presse ou de la communication – ces institutions administratives sont parfois créées par voie législative.
• La régulation du secteur audiovisuel et de la presse
Dans le domaine des médias, le développement de telles « autorités indépendantes » est assez répandu, et on
les repère dans un nombre significatif de pays appartenant à l’espace francophone. À l’exception de l’Égypte qui
s’est dotée d’un Conseil Supérieur de la Presse dès 1980 (art. 211 de la constitution), la multiplication de ces institutions est un phénomène récent qui coïncide avec la transition démocratique et cherche à la conforter.
On dénombre ainsi :
Bénin
La constitution béninoise de décembre 1990 consacre son titre VIII à la Haute Autorité de l’audiovisuel et de
la communication. Cette instance de régulation a pour fonction d’assurer la liberté et de garantir la protection des
organes de presse et des médias audiovisuels (art. 142 de la constitution).
Burundi
Le Conseil National de la Communication veille au respect de la liberté de communication écrite et orale (art.26
de la constitution du 10 mars 1992). Le C.N.C. dispose d’un pouvoir de décision pour faire respecter la liberté de
la presse et pour garantir à tous les partis politiques un accès équitable aux médias.
Cap Vert
• mise en place d’un Conseil National de la Presse.
Congo
Un Conseil Supérieur de l’Information et de la Communication (C.S.C.I.), a été prévu par l’acte fondamental
du 24 octobre 1997 en son titre XII (art.156 à 160). Le C.S.C.I. a pour fonction d’assurer le respect des règles déontologiques, de garantir la liberté de la presse ainsi que l’expression pluraliste de l’opinion publique. À cet effet, le
C.S.C.I. peut émettre des avis et des recommandations.
Gabon
Le Conseil National de la Communication, a été institué par le titre VII de la constitution du 26 mars 1991
(titre demeuré inchangé après les révisions de 1994, 1995 et 1997). Les articles 94 à 102 prévoient que le C.N.C.
veille au respect de l’expression démocratique et de la liberté de la presse. Il est par ailleurs le garant de l’accès
du plus grand nombre à la communication. En cas d’entorse à cette liberté constitutionnelle, le C.N.C. peut adresser aux responsables des observations publiques.
Mali
L’article 7 du titre premier de la constitution du 25 février 1992, relatif aux « droits et devoirs de la personne
humaine », consacre la liberté de la presse et confie à un « organe indépendant » (art.7, al.3) le soin de garantir
l’égalité d’accès aux médias. Une loi organique n° 93-001 du 6 janvier 1993 institue donc un Comité National de
l’égal accès aux médias d’État.
Niger
Le Conseil Supérieur de la Communication, a été institué par le titre IX de la constitution du 26 décembre 1992
(art. 113 à 115). Défini comme une « autorité administrative indépendante » (art.113), le C.S.C. a pour mission
d’assurer la liberté et l’indépendance des médias audiovisuels et de la presse.
Conformément à la constitution (art.115), une série de lois organiques délimitent le champ d’action du Conseil.
La loi n° 93-21 du 30 mars 1993 réglemente sa composition, son organisation, son fonctionnement et ses attributions ; la loi n° 93-30 du 30 mars 1993 détermine le régime des infractions commises par voie de presse ou tout
autre moyen de communication ; enfin, deux lois des 30 et 31 mars 1993 aménagent le régime, très libéral, de la
presse et de la communication audiovisuelle.
Dossier de référence
121
Pologne
Le Conseil National de la radiodiffusion et de la télévision, prévu par l’article 36b de la loi constitutionnelle
provisoire du 17 octobre 1992, n’a pas été modifié par la nouvelle constitution résultant du référendum du 25 mai
1997. Selon l’art.36b al.4 de la constitution, une loi ordinaire réglemente son organisation interne et son fonctionnement. Composé de personnalités nommés par la Diète, le Sénat et le président de la République, le Conseil
a pour fonction de garantir la liberté d’expression.
République Centrafricaine
La constitution du 28 décembre 1994 dispose, dans son article 13 al.5, qu’un « organisme indépendant » a
vocation à garantir l’exercice de la liberté de la presse ainsi qu’un égal accès aux médias. Le statut de cet « organisme » est fixé par la loi.
Tchad
Le Haut Conseil de la Communication a été institué par le titre IX de la constitution du 14 avril 1996 (art.183
à 187). La composition et les attributions de cette instance sont précisées par la constitution. « Autorité administrative indépendante » du pouvoir politique (art.184), le Haut Conseil comprend neuf membres nommés par le président de la République. L’indépendance de l’institution est assurée dans la mesure où une majorité d’entre eux ne
sont pas désignés par le pouvoir politique. On dénombre en effet trois professionnels de la communication et de
la presse, désignés par leurs pairs, un magistrat nommé par le président de la Cour Suprême, et une personnalité
du monde de la culture désignée, là aussi, par ses pairs (art.184, al.2). Le Haut Conseil a un rôle régulateur en
matière d’accès aux médias et d’utilisation de ceux-ci par les autorités publiques. Il joue par ailleurs un rôle consultatif en donnant des avis sur les questions relevant de sa compétence.
Togo
Le titre IX de la constitution du 14 octobre 1992 (articles 130 et 131) prévoit la mise en place d’une Haute
Autorité de l’audiovisuel et de la communication. Les modalités de fonctionnement et d’organisation de cette Haute
Autorité sont fixées par une loi organique. Cette Autorité, qui a pour mission de « garantir et assurer la liberté et
la protection de la presse » (art.130), a été mise en place en 1996. Elle est seule compétente pour accorder les autorisations et attribuer les fréquences radiophoniques. De même, l’installation de nouvelles chaînes de télévision est
soumise à son agrément.
Il faut indiquer que dans de nombreux pays dépourvus d’une « Haute Autorité », le législateur s’efforce néanmoins de réglementer l’utilisation des médias et de stabiliser le régime de la presse écrite dans un contexte de suppression de la censure. La législation camerounaise (loi n° 90-052 de décembre 1990, amendée en 1995), relative
à la « communication sociale », fixe par exemple les principes en matière d’accès des partis politiques aux médias
publics, et contribue notablement à la libéralisation de la presse.
• La surveillance des consultations électorales
La lutte pour la conservation du pouvoir se traduit parfois par un refus de l’alternance politique – notamment
en Afrique – bafouant ainsi une règle fondamentale de la vie démocratique. De nombreux cas de fraude ont par
exemple été dénoncés par des observateurs internationaux (Cameroun en octobre 1992 ; Togo en août 1993 ; Guinée
en décembre 1993 ; Côte d’Ivoire en octobre 1995, etc.).
Dans ces conditions, la préparation des élections suscite de nombreux débats et incite au développement de
mécanismes permettant de garantir une plus grande transparence du jeu électoral. La réglementation des élections,
intervenue au Bénin en 1995, a ainsi été complétée par l’instauration d’une Commission électorale nationale, organisme autonome chargé de garantir la franchise du scrutin(18). De nombreux pays ont également adopté un instrument de contrôle de cette nature, permettant de surveiller la sincérité des scrutins.
La création au Mali, en 1996, d’une Commission électorale nationale indépendante a ainsi permis de consolider les institutions démocratiques (3 décembre 1996). Cette instance est compétente pour veiller aux conditions
dans lesquelles les candidatures sont enregistrées (art. 31 de la loi du 11 février 1997), et pour superviser les élections. Mais elle ne saurait trancher les différends électoraux, qui relèvent de la compétence de la Cour constitutionnelle (art.86 de la constitution malienne de 1992).
18. « La réglementation des élections au Bénin », Afrique contemporaine, n° 173, 1995, pp. 40-54.
122
Symposium international de Bamako
Dans le même esprit, le Parlement du Togo a adopté, en septembre 1997, un nouveau code électoral prévoyant
la mise en place d’une Commission électorale nationale (C.E.N.).
Une commission du même type a été instaurée au Cambodge par le Krâm du 26 décembre 1997. Mais elle dispose de compétences plus larges que les précédentes. Le Comité électoral national intervient tout d’abord dans le
cadre de la procédure d’inscription sur les listes électorales, et communique au conseil constitutionnel les listes
définitivement établies. Il dispose dans ce cadre d’un véritable pouvoir de décision dans la mesure où les réclamations qui lui sont adressées par les électeurs peuvent, en cas de rejet, faire l’objet d’un recours auprès du Conseil
constitutionnel. Il intervient ensuite, d’une certaine façon, comme juridiction de premier ressort en matière de
contentieux électoral. En effet, après avoir vérifié et décidé de la validité du scrutin, il examine les recours formés
contre les résultats. À cette occasion, s’il juge la plainte fondée, il peut faire procéder à de nouvelles élections. S’il
décide de rejeter la requête, sa décision peut, là encore, être contestée devant le Conseil constitutionnel.
• Les autorités veillant au respect des droits de l’Homme
L’attachement aux principes des droits de l’Homme, affirmé par la très large majorité des pays de la Francophonie
ayant choisi la voie de la démocratie, s’est parfois traduit par l’instauration d’une « autorité » indépendance chargée de veiller au respect des prescriptions contenues dans la loi fondamentale.
Sous diverses appellations (Comité National ou Commission Nationale), on recense ainsi des institutions de
ce type dans plusieurs pays, parmi lesquels le Bénin, le Cameroun, le Cap Vert, le Tchad (depuis 1995), ou encore
le Togo. Tout comme la constitutionnalisation des droits de l’Homme et des libertés publiques, la mise en place de
ces institutions autonomes témoigne incontestablement d’une ferme volonté de garantir les droits de la personne
humaine.
Au Cameroun par exemple, le Comité National des droits de l’Homme, « autorité administrative indépendante » instaurée par le décret présidentiel n° 90-1459 de décembre 1990, a pour mission de défendre les droits et
libertés individuels en enquêtant sur tous les cas de violation portés à sa connaissance. Cependant, son action est
limitée par un manque de moyens matériels et financiers, qui réduit fortement son autonomie.
Le Conseil National Consultatif des droits de l’Homme dont s’est doté le Bénin en 1997 (décret n° 97-503 du
16 octobre 1997) joue un rôle sensiblement différent. Il émet des avis lorsqu’il est sollicité par les pouvoirs publics
pour examiner un texte, et formule des recommandations tendant à sensibiliser les autorités sur les défaillances ou
les insuffisances de la législation ou de la réglementation en matière de protection des droits fondamentaux.
Au Togo, la Commission Nationale des droits de l’Homme, créée initialement en 1987, a été intégrée à la constitution en 1992 : elle fait désormais l’objet d’un titre spécial de la loi fondamentale (articles 156 à 158). Présentée
comme « indépendante » et ne devant être soumise qu’à la constitution et à la loi, cette Commission manque toutefois de pouvoirs.
La République Fédérale des Comores a mis en place, par décret du 27 mars 1999, une Commission nationale
des droits de l’Homme. À la différence de ses homologues, cette Commission semble avoir des attributions définies de manière restrictive : elle serait en effet principalement chargée du suivi de la Convention mondiale des
droits de l’enfant.
3. La protection des citoyens : l’institution du médiateur
Dans sa forme classique, l’institution de médiation (ou ombudsman, ce qui signifie, en suédois, « celui qui
parle au nom d’autrui ») est créée par la constitution ou la loi, dirigée par un fonctionnaire indépendant, afin de
recevoir les plaintes relatives à la mauvaise administration.
L’ombudsman a le pouvoir d’enquêter, de critiquer, de recommander certaines réformes et, de façon générale,
de rendre publics les dysfonctionnements administratifs les plus criants.
L’institution du médiateur s’est étendue de manière rapide dans nombre de pays dépourvus de tradition démocratique ancienne. Les pays anglophones ont amorcé ce mouvement, en particulier le Nigéria qui se dote dès 1975
d’une instance de médiation (Public Complaints Commission), chargée de garantir la responsabilité du gouvernement vis-à-vis de ses administrés(19).
Depuis la fin des années 1980, un tel mode de régulation, à la fois souple et informel, s’est développé dans les pays
de la Francophonie où il joue un rôle essentiel : pallier l’inexistence ou l’insuffisance des juridictions administratives.
19. L. Adamolekun, « Perspectives africaines en matière d’administration médiatrice », R.I.S.A., 1986, pp. 69-73.
Dossier de référence
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N’étant soumis à aucune autorité (voir par exemple l’article 101 de la constitution mauricienne), le médiateur
apparaît dès lors comme un instrument de contrôle très utile aux nouvelles démocraties : c’est un moyen peu coûteux permettant de mettre en place une institution capable de gérer les conflits entre administration et administrés ;
c’est aussi un instrument puissant de consolidation de l’État de droit, qui engage les administrations à reconsidérer leurs attitudes. Le succès de la formule dissimule toutefois une grande variété de dispositifs (en matière de
mode de désignation, de saisine, de compétences, etc.).
Burkina Faso
Le législateur burkinabè a créé, par la loi n° 22/94/ADP du 17 mai 1994, une institution appelée « Médiateur
du Faso ». Celle-ci se présente comme une « autorité indépendante ». Le 29 décembre 1994, le président du Faso
a nommé le premier médiateur (décret n° 494/PRES), dont les activités ont commencé en mai 1996.
Le recours au médiateur est entièrement gratuit et dénué de formalisme. Toute réclamation doit cependant être
précédée de démarches qui ont mis l’administration en mesure de répondre aux demandes du réclamant.
• Saisine. Le « médiateur du Faso » peut être saisi :
– par toute personne s’estimant lésée par l’intervention ou l’inaction de l’administration (saisine directe) ;
– par un élu (député, conseiller municipal, maire, conseiller de village ou conseiller départemental) qui n’est
pas forcément celui de la circonscription dont dépend le demandeur (saisine indirecte).
D’autre part, aux termes de l’article 15 de la loi de 1994, le médiateur dispose d’un droit d’autosaisine : il peut
« se saisir d’office de toute question relevant de sa compétence chaque fois qu’il a des motifs légitimes de croire
qu’une personne ou un groupe de personnes a été lésé, ou peut vraisemblablement l’être, par l’acte ou l’omission
d’un organisme public ».
• Moyens d’action. Le médiateur intervient par le dialogue et la persuasion pour parvenir à un accord amiable
entre les parties. Il ne dispose d’aucun pouvoir de coercition. En revanche il peut procéder à des investigations ou des vérifications à propos des réclamations qui lui sont soumises. À cette occasion, il peut réclamer
à toute administration la production de documents permettant d’élucider une affaire. À défaut de réponse
satisfaisante, ou en cas de dysfonctionnement persistant, le médiateur peut aviser le président du Faso dans
un rapport spécial, ou à l’occasion de son rapport annuel.
Congo
L’Acte fondamental du 24 octobre 1997 a instauré le Médiateur de la République du Congo. Un projet de loi
portant institution du Médiateur et précisant ses attributions a été déposé à l’Assemblée à la fin de l’année 1999.
Côte d’Ivoire
Mise en place d’une « Grand médiateur de la République de Côte d’Ivoire ».
Gabon
Une loi du 16 juillet 1992 institue le « Médiateur de la République du Gabon ». Organisme rattaché à la présidence de la République, le médiateur se présente toutefois comme un « service autonome », disposant de pouvoirs propres.
En charge du règlement des conflits entre l’administration et les administrés, il dispose de pouvoirs d’enquête
et d’information. À cet égard, il peut attirer l’attention du président de la République sur toute entorse aux droits
des administrés ou aux principes d’une bonne administration lors du rapport d’activité annuel qu’il lui remet. Il
dispose d’ailleurs d’un pouvoir de proposition, contribuant ainsi à l’amélioration du fonctionnement de l’administration.
Madagascar
Aux termes de l’article 40 al.2 du texte constitutionnel de 1992 (que la réforme de 1995 ne modifie pas),
l’État « s’engage à instituer un organisme indépendant chargé de la promotion et de la protection des droits de
l’homme ». Le « Médiateur de la République » malgache remplit cette fonction.
Mali
La loi n° 97-022 du 14 mars 1997 a instauré un « Médiateur de la République ».
Maurice
La constitution mauricienne issue de la révision du 10 décembre 1991 consacre son chapitre IX à l’institution
de « l’ombudsman ». Le fonctionnement, les missions et les prérogatives du médiateur sont amplement détaillés
124
Symposium international de Bamako
par le texte constitutionnel lui-même, dans ses articles 96 à 102A. En dépit de son nom, qui le rapproche a priori
du « modèle » suédois de l’ombudsman parlementaire, le médiateur mauricien est nommé par le président de la
République après consultation des principaux responsables politiques (art.96 al.2 de la constitution).
Le médiateur mauricien peut enquêter sur tous les cas de l’administration qui lui sont signalés, mais aussi sur
toute allégation de fraude ou de corruption à l’encontre d’un titulaire d’un emploi public (art.102A al.1).
• Saisine. L’ombudsman peut être saisi par tout citoyen, ou groupe de citoyens (à l’exception des autorités
publiques), victime(s) d’un fonctionnement défectueux de l’administration (art.97 al.3). Il peut également
s’auto-saisir s’il constate un dysfonctionnement justifiant l’ouverture d’une enquête approfondie.
• Moyens d’action. L’ombudsman dispose de pouvoirs d’enquête étendus, garantis par la constitution. En particulier, aucune procédure ou intervention extérieure ne peut entraver l’accomplissement de son action (immunité de juridiction de l’art. 101, al.1). Il dispose, à l’occasion de ses investigations, de prérogatives comparables
à celles de la Cour Suprême en matière de convocation et d’audition de témoins. De même, aucune restriction
concernant la divulgation d’informations ne lui est opposable (art. 98, al.2 et 3).
La constitution précise toutefois que ses investigations ne sauraient concerner certaines autorités (par ex. le
Président ou ses collaborateurs, les Commissions établies par la constitution), ni interférer avec les intérêts de la
sécurité nationale (art. 99, al.2 et 10). Les enquêtes conduites par l’ombudsman donnent lieu à la production d’un
rapport, adressé au président de la République, ainsi qu’au Premier ministre. Ce dernier doit transmettre ce document à la représentation nationale dans un délai de trois mois (art. 102A, al.13), délai durant lequel il lui appartient de porter remède aux dysfonctionnements repérés par le médiateur.
Mauritanie
Existence d’un « Médiateur de la République ».
Pologne
Entré en fonction le 1er janvier 1988, le médiateur polonais, qualifié de « protecteur des droits civiques », a
été élevé au rang constitutionnel en 1992 (art. 8 et 36a de la loi constitutionnelle du 17 octobre 1992, inchangés
lors de la révision de 1997). Désigné par la Diète en accord avec le Sénat, le médiateur polonais correspond assez
fidèlement au « modèle » suédois de l’ombudsman parlementaire. Sa mission est définie de manière assez extensive, sur la base d’une compétence ratione materiae large : protéger les droits et libertés garantis par la Constitution
et les autres dispositions juridiques. Pour ce faire, il dispose de pouvoirs d’investigation étendus et peut, par ailleurs,
adresser des recommandations aux parlementaires ainsi qu’au gouvernement, sous la forme de propositions de
réformes législatives.
Toutefois, ses leviers d’action les plus efficaces sont :
– la possibilité qui lui est donnée d’adresser des « requêtes » au Tribunal constitutionnel contre tout acte qui
retirerait rétroactivement aux citoyens un « droit acquis » ;
– le rapport annuel, dans lequel il recense l’ensemble des carences constatées dans l’action administrative,
et dénonce l’inertie des services publics.
L’action du « protecteur des droits civiques » reste cependant limitée par l’absence de représentants locaux, susceptibles de drainer plus facilement les requêtes et de relayer efficacement son intervention sur tout le territoire(20).
Sénégal
Le « Médiateur de la République » a été institué par la loi n° 91-14 du 11 février 1991, et le premier médiateur a été nommé par décret du 14 février 1991. Instance de régulation des rapports administration/administrés,
soucieuse du respect de l’État de droit, le médiateur est une « autorité indépendante » des pouvoirs institués, inamovible et jouissant d’une immunité de juridiction pour les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions.
• Saisine. Le principe général est la saisine directe du médiateur par les administrés (art. 7 de la loi de 1991).
Des réclamations peuvent toutefois émaner du président de la République lorsqu’il a été préalablement sollicité par des individus.
• Moyens d’action. Dans le cadre de la loi de 1991, le médiateur dispose de pouvoir d’investigations lui permettant d’apprécier le bien fondé des allégations des demandeurs ou de l’administration.
Toutes les institutions publiques ont l’obligation de faciliter les démarches du médiateur en lui fournissant les
informations qu’il réclame. À cet égard, celui-ci peut d’ailleurs enjoindre les autorités administratives de répondre
20. T. Zielinski, « Le défenseur des droits civiques. Possibilités et limites de son efficacité », Droit polonais contemporain, n°1-4, 1995,
pp. 71-84.
Dossier de référence
125
à ses demandes dans des délais stricts. Selon l’article 12 de la loi, seules les pièces relatives à la politique étrangère ou la sûreté de l’État échappent aux investigations du médiateur.
Le médiateur est dépourvu de pouvoir de décision : ses préconisations peuvent éventuellement être reprises à
leur compte par les administrations concernées. Son autorité morale se double cependant de la possibilité de demander à l’autorité administrative compétente d’engager des poursuites (disciplinaires ou pénales) en cas de manquement grave aux obligations d’un agent.
Enfin, le médiateur peut adresser aux autorités administratives des « recommandations » tendant à l’amélioration du service public, et dénoncer l’inaction des administrations dans son rapport annuel, publié au Journal
Officiel (21).
Slovénie
La constitution slovène du 23 décembre 1991 prévoit, dans son article 159, la création d’un « Protecteur des
droits de l’Homme et des libertés fondamentales ». Elle envisage d’autre part la possibilité de créer d’autres institutions de cette nature dans des domaines particuliers de l’action gouvernementale (art. 159 al.2).
Vanuatu
Le médiateur de la République de Vanuatu a été institué par la constitution de 1980. La première nomination
est intervenue en 1994.
Les interventions du médiateur résultent d’une compétence entendue très largement. Il a en effet pour mission :
– d’enquêter sur les administrations défectueuses, à partir des plaintes qui lui sont adressées ;
– de contrôler que l’accès des citoyens aux différents services de l’État, dans la langue de leur choix (français, anglais, bichelamar), est effectif ;
– mais aussi de constater les violations constitutionnelles.
La pérennité du médiateur de la République de Vanuatu n’est pas assurée. En 1998, en effet, une loi visant à
supprimer cette institution a été votée. Le Président a certes refusé de la promulguer, mais cet épisode souligne
bien la vulnérabilité de l’instance de médiation, tout autant que la fragilité de la constitution elle-même, puisqu’une
loi ordinaire est venue réformer le texte constitutionnel.
Dans certains pays d’Afrique francophone notamment, la priorité est donnée à l’installation des assemblées
parlementaires, à la réforme administrative, au contrôle de la fonction publique ou à la consolidation de la fonction judiciaire. Devant l’ampleur de la tâche, l’instauration d’une institution de médiation apparaît secondaire. Au
Bénin par exemple, la mise en place d’un ombudsman figure encore à l’état de projet, tout comme au Cameroun(22)
ou au Tchad.
Il semble bien toutefois qu’en raison même de son rôle de critique, l’institution de médiation participe activement d’une consolidation de l’État de droit. Elle rappelle à sa façon, non contentieuse, la responsabilité de la puissance publique ; elle souligne les défaillances de l’administration et, partant, garantit, sur un mode mineur mais
non dépourvu d’efficacité, la soumission de l’État au droit.
C’est pourquoi, il serait sans doute maladroit d’opposer l’État de droit à l’ombudsman, en présentant celui-ci
comme une survivance archaïque ou l’héritage d’un âge pré-démocratique. Comme l’a justement souligné le
Médiateur du Faso à l’occasion du colloque de Nouakchott, en mai 1998, le principe de l’équité que privilégient
les médiateurs, de préférence au droit, retrouve à bien des égards les mécanismes de la justice traditionnelle qui
existent dans certaines communautés. En ce sens, cette institution évolutive et souple s’inscrit fort bien dans la tradition de nombreux pays, notamment en Afrique(23).
IV.– DE LA MODERNISATION DE L’ADMINISTRATION
À LA GOUVERNANCE
Les réformes de l’administration telles qu’elles apparaissent au cours de la dernière décennie dans les pays de
l’espace francophone, sont la résultante d’une part de la remise en cause du rôle de l’État, notamment dans le cadre
21. O. Camara, « Le médiateur de la République du Sénégal », R.I.S.A., n° 64, 1992, pp. 675-680.
22. D. Mbarga Nyatte, « Les obstacles à la participation des citoyens à l’administration et à l’exercice de la fonction administrative en
Afrique noire francophone : le cas du Cameroun », Institut International des Sciences Administratives, XXIVème Congrès international
des Sciences administratives, Paris, 7-11 septembre 1998.
23. « Ombudsman et Médiateurs : l’indépendance de l’institution au service de la démocratie », Actes du colloque de Nouakchott, 19-21
mai 1998, Association des Ombudsman et Médiateurs de la Francophonie.
126
Symposium international de Bamako
des politiques d’ajustement structurel, d’autre part de l’avènement des principes démocratiques et de l’État de droit.
Elles sont généralement englobées sous le terme de gouvernance, ou de bonne gouvernance, qui malgré les ambiguïtés qu’il recèle et les malentendus qu’il a suscités(24), permet de réaliser une synthèse – au moins provisoire –
des préoccupations d’efficacité dans la gestion, de soumission de l’administration au droit, de responsabilité, de
transparence, de moralisation et de participation assurant la réintégration de la société civile.
Promu à la fin des années quatre-vingt par la Banque mondiale pour désigner en particulier les conditionnalités dans l’octroi des prêts, le concept de bonne gouvernance, d’abord conçu pour renforcer l’efficacité des réformes
économiques – à travers la lutte contre la corruption, la décentralisation, les privatisations, le renforcement de la
société civile – a été ensuite élargi à la bonne gestion des affaires publiques et de la démocratie en vue du développement durable, pour inclure l’adoption d’une Constitution démocratique, le respect des droits de l’Homme, le
système judiciaire, etc… En ce qui concerne l’administration, les principales implications en sont une fonction
publique compétente, professionnelle et neutre, la décentralisation, la responsabilité, l’imputabilité et la soumission au droit de la gestion publique, une utilisation efficace et transparente des ressources publiques, une redéfinition de ses rapports avec la société civile.
Comme l’affirmait Mme Juliette Bonkoungou, ministre de l’Administration publique et de la modernisation
du Burkina Faso, dans son discours introductif à la XIIème réunion d’experts des Nations Unies sur l’administration publique et les finances « compte tenu de la vocation de l’administration et de sa place dans la société, une
approche purement technique de sa modernisation semble aujourd’hui incomplète et insuffisante voire dépassée.
Il faut une approche globale, intégrée et systémique de modernisation et de développement de la gestion publique
qui intègre la dimension prospective et est assis sur le socle de la démocratie administrative ; en un mot, une bonne
gouvernance (…) S’il est vrai que la finalité première de l’administration, c’est de satisfaire les besoins des populations, il devient alors évident qu’un programme de modernisation de celle-ci, digne de ce nom, ne saurait tenir
indéfiniment à l’écart les organes qui sont censés représenter ces populations ou défendre leurs intérêts ou qui ont
pour vocation de dénoncer les abus dont elles peuvent être victimes ou de les en protéger. En d’autres termes, il
n’est plus concevable d’envisager la modernisation de l’administration comme une activité qui doit se dérouler
uniquement au sein de l’administration, au sens classique du terme, et qui est menée exclusivement par et pour les
fonctionnaires, au risque d’hypothéquer la finalité même de la modernisation qui est de développement économique et social de la population ».
Le concept de bonne gouvernance renvoie donc à une conception extensive de la modernisation, où le contrôle
des comptes publics et le pouvoir judiciaire notamment jouent un rôle déterminant. Dans le cadre très limité de ce
texte, on se bornera à évoquer d’une part les réformes de la fonction publique engagées dans le cadre des programmes d’ajustement structurel et de démocratisation politique et d’autre part la « troisième » vague de décentralisation, la première qui soit véritablement démocratique.
A.– La fonction publique, ajustement structurel et principes démocratiques
Dans la fonction publique, la mise en œuvre des programmes d’ajustement structurel a entraîné le démantèlement d’un certain nombre de structures, et accru l’exigence d’une rénovation profonde de la gestion des affaires
publiques. L’exigence d’une fonction publique compétente, professionnelle et neutre ainsi que les principes d’imputabilité et de responsabilité constituent une composante essentielle de la bonne gouvernance et de la mise en
place de l’État de droit. À titre d’exemple, le bon déroulement des opérations électorales, même placé sous le
contrôle d’une commission électorale indépendante, nécessite le recours à des fonctionnaires ; l’utilisation fréquente, dans les bureaux de vote et pour le dépouillement des scrutins, d’agents en retraite (militaires ou autres)
ou de personnels des entreprises publiques est un aveu des doutes pesant sur la neutralité des fonctionnaires.
Une étape importante a été marquée par l’Initiative de Cotonou de novembre 1991 qui a donné naissance à
l’Observatoire des fonctions publiques africaines (OFPA), comme cadre de concertation, outil de collecte et de
diffusion de l’information administrative et de promotion de la réforme de la fonction publique. Cette initiative est
une illustration de la volonté politique qui s’est affirmée en Afrique au début des années quatre-vingt-dix.
La problématique de la réforme des fonctions publiques africaines, inspirée des programmes d’ajustement
structurel, repose sur le souci de restaurer les équilibres financiers tout en renforçant l’efficacité de l’administration. Certains pays ont adopté une approche empirique et timide et sont partis des exigences d’adaptation au coup
par coup en améliorant timidement le système existant. À cette approche réformiste et empirique s’oppose une
24. V. Corkery (Joan) (dir.), Gouvernance : concepts et applications, Bruxelles, IISA, 1999.
Dossier de référence
127
nouvelle orientation, plus radicale, prise par des États comme le Burkina Faso, la République centrafricaine, les
Comores, le Mali. Ces États se sont efforcés de mettre en place une gestion intégrée des structures et des effectifs
qui se caractérise globalement par deux éléments :
– un remodelage de l’environnement institutionnel,
– une programmation maîtrisée des dépenses publiques(25).
1. Une forte volonté politique s’appuyant
sur une démarche participative
Une des caractéristiques de la démarche, en particulier au Bénin et au Burkina Faso, est la volonté de s’appuyer sur la mobilisation des agents, notamment des syndicats de fonctionnaires et d’impliquer la société civile(26).
Aux Comores, une commission interministérielle, appelée Commission technique d’ajustement et de renforcement institutionnel de l’administration publique, a été créée avec pour mission de proposer au gouvernement un
programme de réformes et d’examiner les missions, les attributions et modes de fonctionnement des différentes
catégories de services publics. On trouve également ce type de démarche au Burkina Faso et au Bénin avec la création d’un département chargé de la fonction publique et de la modernisation de l’administration (Burkina Faso) ou
d’un département chargé de la fonction publique et de la réforme administrative (Bénin). Ils ont à leurs côtés des
organes consultatifs : la Conférence annuelle de l’administration publique au Burkina Faso, la Commission nationale de la réforme administrative au Bénin. Il faut également citer la Commission de modernisation de l’administration au Mali. Enfin, en Centrafrique, un comité de pilotage a été créé, composé des principaux ministres concernés
afin de fixer les grandes orientations et d’assurer le suivi de la réforme ; un comité de suivi technique a été chargé
d’assurer la validation technique des projets élaborés par des groupes de projets.
La participation des fonctionnaires est recherchée à tous les niveaux à travers les organes paritaires (au Burkina
Faso, par exemple). En outre différentes expériences ont été réalisées afin de faire participer la société civile à la
réforme : mobilisation d’associations d’usagers au sein de la Commission de modernisation de l’administration et
organisation en 1994 d’un atelier de 4 jours avec les professions judiciaires, les milieux d’affaires et les partenaires
du développement au Mali, réalisation de films (Burkina Faso) ou de sketches télévisés dénonçant l’attitude des
fonctionnaires à l’égard du public (Bénin)(27).
2. La réforme des modes de gestion
Un des aspects de la réforme vise la transformation des modes de gestion des carrières, des effectifs et des
rémunérations. Le mouvement amorcé au Burkina Faso, aux Comores, en Centrafrique et au Mali semble intégrer
dans le système de la carrière une certaine dose de système d’emploi. Aux Comores, par exemple, on s’oriente
vers une détermination de la rémunération, à la fois par rapport au corps d’appartenance du fonctionnaire et par
rapport à l’emploi occupé.
Le cas de la réforme au Cameroun est intéressant. Les institutions camerounaises sont en effet le produit de
différentes cultures administratives, pré-coloniale, allemande, française et britannique. Ainsi le contexte est-il
caractérisé par cette interaction de plusieurs courants. Dans ce pays, la restauration du multipartisme, à partir de
1990, a été consacrée par la loi du 19 décembre 1990 sur la liberté d’association. Les réformes ont été engagées
sous l’effet de différents facteurs politiques internes – économiques, sociaux et culturels – auxquels se sont ajoutées
les pressions économiques externes ainsi que l’implication des organisations internationales. Le programme de réforme
de la fonction publique s’est présenté comme une composante du programme d’ajustement structurel. Sous le titre
de « réforme de la fonction publique », un double objectif a été poursuivi : d’une part, réduire les dépenses de la
fonction publique, d’autre part, augmenter son efficacité avec la mise en place de plans ministériels, la révision du
cadre juridique de la fonction publique et la mise en œuvre d’un système efficace de gestion des employés de
l’État, notamment de gestion des dossiers du personnel et de mise en ligne de la gestion salariale. C’est le ministère de la fonction publique et de la réforme administrative ainsi que celui de l’économie et des finances qui se
sont vus attribuer la responsabilité de la réforme de la fonction publique.
25. V. Assoumani (Saandi), La modernisation de l’Administration publique en Afrique sub-saharienne : vers un système de gestion intégrée des structures et des effectifs, IIIème Conférence internationale de l’IISA, Beijing, 8-11 octobre 1996, 19 p.
26. Fofana (Wamara), Démocratisation de la réforme administrative en Afrique subsaharienne francophone, in : Claisse (A.), Meininger
(M.C), Les politiques de modernisation administrative, constats et projets, Bruxelles, IISA, 1997, p. 57 et suiv.
27. W. Fofana, op. cit.
128
Symposium international de Bamako
Les dispositions adoptées au Cameroun visent d’une part la réduction de la charge financière de la fonction
publique et d’autre part la diminution des effectifs. Parmi les mesures prises en vue de réduire la charge financière de la fonction publique, on peut citer le gel des répercussions financières des promotions, la réforme du
système des rémunérations accessoires (paiement des congés, indemnités de transport, par exemple), la réduction des allocations familiales, la réduction et la suppression de certaines primes et enfin la baisse des salaires
des fonctionnaires de l’État. Quant à la réduction des effectifs, celle-ci a été poursuivie à travers le gel des nominations dans la fonction publique, la fermeture de certaines écoles de formation de fonctionnaires, la mise à la
retraite des agents ayant atteint la limite d’âge, l’harmonisation et la réduction de l’âge de départ en retraite de
différentes catégories de personnel (réduction de 60 à 55 ans pour les personnels contractuels de certaines catégories, de 50 à 50 ans pour d’autres) ; le principe a été adopté du départ en retraite après 30 ans de service.
Il faut ajouter la réorganisation et le redéploiement du personnel dans un nombre important de ministères.
Le départ des agents en surnombre s’est accompagné de la mise en place de programmes d’accompagnement
pour permettre la reconversion des agents quittant la fonction publique en vue de leur insertion dans le secteur
privé.
Ces mesures vont de pair avec l’adoption d’un nouveau statut fondé sur la notion d’emploi et d’un nouveau
système de gestion des employés de l’État et des salaires (informatisé).
3. Les réformes statutaires
Le nouveau statut général de la fonction publique de l’État du Cameroun en date du 7 octobre 1994 est bâti
sur le concept de « poste de travail ». Il clarifie les droits et les obligations du fonctionnaire, les mécanismes de
son évaluation et les principes de sa gestion en posant des règles inspirées des principes de transparence et de
démocratie.
Le poste de travail est défini comme « l’ensemble des tâches, attributions et responsabilités, exigeant des
connaissances et aptitudes particulières ». Pour recruter un fonctionnaire, son poste doit être préalablement prévu
au budget de l’État. Il est interdit de procéder à un recrutement qui n’a pas « pour objet exclusif de pourvoir
régulièrement à la vacance d’un poste de travail ».
Les droits des fonctionnaires comprennent le droit à la formation permanente et le droit à la participation.
Ainsi, l’État s’engage-t-il à assurer aux fonctionnaires, au cours de leur activité, une formation permanente et
ces derniers participent-ils à « l’élaboration des règles statutaires relatives à leur carrière ou au fonctionnement
des services publics » par l’intermédiaire de leurs représentants élus(28).
Les fonctionnaires sont tenus de respecter les obligations de se consacrer au service, de désintéressement,
d’obéissance, de réserve, de discrétion professionnelle. L’obligation de servir et de se consacrer au service est
définie par référence aux valeurs de probité, de respect de la chose publique, de sens des responsabilités et de
transparence. L’agent public est en outre invité à « satisfaire aux demandes d’information du public, soit de sa
propre initiative, soit pour répondre à la demande des usagers ». Quant à l’obligation de désintéressement, elle
vise à prévenir le fonctionnaire contre les conflits d’intérêts en l’incitant à subordonner ses propres intérêts à
ceux de son organisation et à se dévouer à la sauvegarde du patrimoine de son service. La violation de ces obligations constitue une faute qui expose à un ensemble de sanctions disciplinaires.
Enfin, le fonctionnaire fait l’objet « d’une évaluation de ses performances professionnelles en fonction des
objectifs qui lui sont assignés, du délai imparti pour la réalisation et de la qualité des résultats ».
Les articulations d’un tel système d’évaluation qui est centré sur les objectifs assignés et les résultats restent cependant à préciser en ce qui concerne les responsabilités attribuées à chaque poste de travail, les critères
d’évaluation des résultats et les mécanismes d’imputabilité vis-à-vis des usagers du service public. Par ailleurs,
on peut s’interroger sur le caractère dissuasif des sanctions retenues en cas de faute si l’on considère les reproches
persistants et nombreux faits aux agents de l’État pour leur manière de servir, le manque de transparence dans
le traitement de certains dossiers et le faible dévouement au service(29). En outre, la mise en œuvre de ces réformes
a été plus longue que prévu et un certain nombre de mesures ont été retardées à l’exception de celles permettant une retraite anticipée et de celles relatives à la gestion des salaires.
On peut également citer l’ordonnance du 17 août 1995 portant statut des entreprises publiques, prévoyant
28. Les organes de gestion au sein desquels s’exerce le droit à la participation sont : le conseil supérieur de la fonction publique ; la commission administrative paritaire ; le conseil permanent de discipline de la fonction publique et les conseils de santé (art. 86-93).
29. V. Ngouo (Léon, Bertrand), « Responsabilité et transparence dans les organisations gouvernementales au Cameroun : examen des dispositions institutionnelles », Revue internationale des sciences administratives, 63 (4), p. 557 et suiv.
Dossier de référence
129
des dispositions détaillées, assorties de sanctions pénales, en matière de transparence et de responsabilité dans
la gestion. Des orientations comparables ont été poursuivies au Sénégal avec la loi du 2 janvier 1990 modifiant
le statut de la fonction publique de 1961 et la mise en place de dispositions fortement incitatives pour favoriser
le départ volontaire en retraite des fonctionnaires de l’État. Les objectifs cependant n’ont pas été atteints, notamment celui du départ de 4 200 fonctionnaires. De même, en ce qui concerne les restrictions apportées aux recrutements, la proportion d’une nomination pour quatre départs n’a pas non plus été respectée. Enfin, des difficultés
sont également apparues dans la reconversion des fonctionnaires vers les emplois du secteur privé et les départs
ont entraîné des manques dans certains services.
Dans l’ensemble, le bilan de ces réformes est très nuancé. En dépit d’un programme ambitieux, ni les principes d’efficacité, ni ceux de responsabilité, d’imputabilité et de transparence ne semblent avoir véritablement
progressé au Cameroun, relève B. Ngouo(30). L’absence de promotion d’une culture d’éthique et de mise en œuvre
de mécanismes d’évaluation ainsi que l’égoïsme des acteurs qui adoptent des comportements « de type utilitariste », renforcent l’irresponsabilité de l’organisation. S’agissant de transparence, en particulier, l’écart entre les
discours et la pratique est tel que certains se demandent si entre la quasi-opacité actuelle et l’idéal de transparence, il ne vaudrait pas mieux commencer par viser une étape intermédiaire.
De manière générale, la réflexion sur l’éthique et le professionnalisme dans la fonction publique ne peut
être isolée de celle sur le problème extrêmement préoccupant de la corruption. Les mesures partielles telles que
le renforcement des sanctions n’ont d’efficacité que si elles sont fermement appliquées.
En Bulgarie, le remplacement d’une partie des cadres de la fonction publique dans le cadre de programmes
de lutte contre la corruption a pu être interprété comme un constat d’échec de ces campagnes et une mesure politique(31). De nombreux autres exemples pourraient être cités. La fin de la décennie semble cependant marquer
un tournant avec l’implication croissante des organisations internationales et la déclaration des ministres africains sur la lutte contre la corruption(32) de Washington du 23 février 1999.
B.– Décentralisation. La troisième vague
On peut distinguer trois grandes vagues dans le processus de décentralisation dans les pays d’Afrique francophone. Dans la période qui a suivi les indépendances, au moment de la consolidation de l’État nation, la décentralisation est apparue comme un instrument au service de l’État, du régime militaire ou du régime de parti
unique. Dans une seconde phase, à partir des années soixante-dix, la plupart des gouvernements ont été encouragés par les institutions financières internationales à adopter des programmes de réformes structurelles où la
décentralisation est apparue comme un moyen de réduire les dépenses du gouvernement central. Ni dans la première phase ni dans la seconde, la « décentralisation » n’apparaît comme un moyen de participation démocratique. Elle demeure tributaire du centre qui conserve la mainmise sur le processus de budget, le personnel et les
structures.
C’est avec l’avènement de la démocratisation dans les années quatre-vingt-dix que l’on voit arriver une troisième vague décentralisatrice liée au mouvement de libéralisation et de démocratisation politique. Cependant,
comme le souligne Dele Olowu dans un article paru dans la Revue française d’administration publique(33), l’expérience de la décentralisation n’a pas été un franc succès, le principal obstacle tenant à la tendance des gouvernements à confondre les administrations décentralisées et déconcentrées.
La décentralisation ne peut réussir que si un certain nombre de conditions sont réunies(34). On ne peut décentraliser que si le centre est une réalité et non une formule institutionnelle vide. L’État ensuite doit être démocratique car il ne peut transférer aux citoyens une partie de son pouvoir que s’il leur fait confiance. Ensuite il
doit être fort et décider à déconcentrer parallèlement une partie de ses responsabilités. Il doit en outre être animé
d’une volonté durable de mener à bien la politique de décentralisation. Enfin et surtout, la décentralisation ne
peut réussir que si elle bénéficie de l’adhésion populaire.
30. op. cit.
31. Verheijen (Tony), Dimitrova (Antoaneta), Corruption and unhetical behaviour of Civil and public servants : causes and possibles
solutions, NISPAcee, Tallin, 23-26 avril 1997.
32. http ://www.gca-cma.org/fcorrup.htm
33. Olowu (Dele), Évaluation des politiques de décentralisation en Afrique dans les années quatre-vingts, Revue Française d’Administration
publique, n° 88, p. 517 et suiv.
34. Clauzel (Jean), « La décentralisation dans les pays d’Afrique sub-saharienne », in : Décentralisation et expériences concrètes de
modernisation de l’administration africaine, Paris, IIAP, 1997 (Coll. « Dossiers et débats »).
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Symposium international de Bamako
1. Expériences de décentralisation
Nombre de pays se sont engagés dans des expériences de décentralisation avec un certain nombre de réalisations concrètes.
Au Bénin, l’ère du « renouveau démocratique » s’est ouverte sur un projet de décentralisation ambitieux. La
réforme territoriale a été engagée par la loi du 13 août 1990 relative à l’organisation et aux attributions des circonscriptions administratives durant la période de transition. Cette loi reconduit les structures qui avaient été mises
en place par le régime révolutionnaire précédent – avec des changements d’appellation – et la dissolution des
organes politiques qui émanaient du parti unique. Pour consolider cette nouvelle orientation démocratique dégagée par la conférence nationale et pour la rendre irréversible, la Constitution du 11 décembre 1990 consacre le
principe de la décentralisation dans son titre 10 (articles 150 à 153). Au terme de l’article 151 « les collectivités
s’administrent librement par des conseils élus et selon les conditions prévues par la loi ».
Pour traduire ce principe dans la réalité, le gouvernement du « renouveau démocratique » a organisé, du 7 au
10 janvier 1993, à Cotonou, les « États généraux de l’administration territoriale » qui ont défini les grandes orientations de la réforme de l’administration territoriale de la République du Bénin. Ils en ont arrêté les principes avec
un niveau unique de décentralisation, la commune, et le transfert à ces dernières des ressources nécessaires à leur
bon fonctionnement. La commune devient ainsi le niveau unique de décentralisation qui correspond au ressort territorial des sous-préfectures et circonscriptions urbaines. Elle jouit de la personnalité juridique et de l’autonomie
financière. Elle est administrée par un conseil communal élu au suffrage universel direct. Le maire est élu par le
conseil municipal en son sein.
L’arrondissement reste une simple division administrative. Il est administré par un chef d’arrondissement qui
est l’un des adjoints au maire de la commune. Le chef d’arrondissement est assisté d’un conseil d’arrondissement
composé du collectif des chefs de villages ou des quartiers de ville (cet organe n’a qu’un rôle consultatif).
L’arrondissement est subdivisé en quartiers de ville ou villages qui sont des unités administratives sans personnalité juridique ni autonomie financière. Celles-ci sont administrées par un chef de village ou de quartier de ville
désigné par la population, assisté d’un conseil composé des représentants des anciens, des jeunes, des femmes et
des hommes(35). Au Cameroun, le principe de la désignation de tous les maires des communes rurales par l’élection a été posé en 1992, et en 1995 l’annonce a été faite d’une décentralisation régionale dans le cadre de la réforme
de la constitution.
À Madagascar, la décentralisation a été engagée en plusieurs étapes. Les premières lois sur la décentralisation
ont été promulguées et les collectivités de base, en l’occurrence les communes, ont été mises en place ; l’élection
des maires et des conseillers municipaux a eu lieu le 5 décembre 1995. Les trois niveaux de décentralisation prévus sont les régions, les départements, les communes (soit 28 régions, 158 départements et 1347 communes). En
revanche, les textes ne reconnaissent ni le rôle ni la place des chefferies traditionnelles dans la vie locale. Dans la
pratique cependant, l’existence de ces dernières ne peut être niée.
Le Mali, après avoir connu une monocratie partisane de fait (Première République) puis une monocratie partisane constitutionnelle (Deuxième République) s’est engagé dans la voie de la démocratie pluraliste qui constitue
le seul socle de développement de démocratie locale. La véritable décentralisation est celle dont l’initiative est
venue de la conférence nationale de Bamako qui s’est tenue du 29 juillet au 12 août 1991. L’exemple de ce pays
est particulièrement significatif. En effet, comme dans d’autres pays d’Afrique non francophones, la décentralisation a été la conséquence de luttes pour le pouvoir et de revendications d’autonomie locale. Le motif de la lutte
était une mauvaise gouvernance, un gouvernement national ne tenant pas compte des groupes minoritaires ou donnant le sentiment d’utiliser les ressources publiques pour favoriser certains groupes ou certaines tribus. En 1991,
l’État n’avait aucun crédit dans l’opinion et le conflit du Nord s’inscrit dans cette logique du manque total de
confiance en l’État central. Après la guerre civile, le pacte national signé le 11 avril 1992 sous le régime de transition, consacre le principe d’une décentralisation au profit de structures de base vouées à se substituer au modèle
de déconcentration hérité au moment de l’indépendance. Les nouveaux pouvoirs ne pouvaient manquer de mettre
l’accent sur l’autonomie des communautés. Dès son élection en avril 1992 et son investiture en juin de la même
année, le Président Konaré s’est engagé dans la décentralisation. Après consultation, le pays a été divisé en 8
régions, 701 communes et des milliers de villages.
Quel a été le cadre juridique mis en place ? L’article 84 de la Constitution de la Troisième République dispose
que les collectivités s’administrent librement par des conseillers élus et dans les conditions fixées par la loi. Plusieurs
35. Voir la 7ème conférence des directeurs d’ENA, 1995, Yaoundé, « Décentralisation et formation pour l’administration locale », n° hors
série des Cahiers africains d’Administration publique, 1997, CAFRAD/IIAP.
Dossier de référence
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lois de 1993 et 1995 déterminent les conditions de la libre administration des collectivités locales, le statut des
fonctionnaires locaux, le code des collectivités territoriales en République du Mali. La loi de base est la loi n° 93008. Ce texte précise que les collectivités locales ont la personnalité morale et l’autonomie financière avec toutes
les conséquences qui en résultent, c’est-à-dire un personnel local ainsi qu’un budget autonome alimenté par des
ressources propres.
Les chefs de district sont désormais élus au niveau local, au lieu d’être comme précédemment nommés par le
pouvoir de Bamako. Mais c’est la commune qui constitue la clé de voûte de la décentralisation. Il s’agit de mobiliser à ce niveau les organisations professionnelles, économiques, non gouvernementales – dont les associations
de village – qui s’attachent à résoudre les problèmes concrets du quotidien : alimentation en eau, santé publique,
enseignement. Ainsi l’Union des producteurs du Mali s’est-elle associée au village Ntijna pour acquérir des pompes
à eau, construire trois écoles primaires et rémunérer les instituteurs dans un pays où cela faisait bien longtemps
que les enseignants n’avaient pas touché de salaire. En outre, les responsables locaux ont reçu le pouvoir de recruter et de licencier leurs propres cadres au lieu que ceux-ci soient nommés par le gouvernement central dont ils
dépendaient pour le déroulement de leur carrière.
Concernant la décentralisation en zone rurale, on peut également citer les communautés rurales au Sénégal,
les communautés rurales de développement en Guinée, les collectivités locales de développement au Burkina Faso,
les communautés rurales en Côte d’Ivoire.
En Europe centrale également, la décentralisation a constitué une pièce essentielle de la démocratisation et de
la mise en place de l’État de droit et les réformes en ce domaine ont souvent davantage progressé que celles engagées au niveau de l’administration centrale et de la fonction publique. En Bulgarie, la loi de 1991 a consacré le
principe de l’autonomie des collectivités locales et de l’élection au suffrage universel des organes municipaux
(conseil municipal, maire élu par ce dernier). De même en Roumanie, les principes de la démocratie locale ont été
consacrés par l’Acte sur l’administration publique locale. Les villes et les communes sont désormais administrées
par des conseillers élus, tout comme les maires, au suffrage universel direct.
À l’opposé du mouvement de décentralisation qui caractérise la plupart des pays évoqués ici, on peut citer
l’exemple de la République populaire du Laos qui, après avoir expérimenté une forme de décentralisation durant
plusieurs années, a fait le choix de la recentralisation (art. 57 et 63 de la Constitution du 15 août 1991). L’organisation
centralisée à plusieurs niveaux – district, province – laisse cependant place à une forme de participation populaire
– pour la désignation du chef de village. Comme le soulignent Patrick Keuleers et Souvanb Soukchaleun, la dialectique centralisation/autonomie qui caractérise les relations du pouvoir au Laos s’inscrit dans la recherche d’un
difficile équilibre entre le centre et la province. L’expérience vécue au Laos montre cependant les obstacles rencontrés dans une société agraire traditionnelle en pleine mutation économique(36).
Plus généralement se pose la question de l’évaluation de ces réformes.
2. Évaluation et perspectives
Les problèmes que rencontre la décentralisation sont de plusieurs ordres : le refus du pouvoir politique et administratif central d’abandonner son monopole, le besoin de réformes économiques, politiques et institutionnelles à
plus grande échelle, enfin la nécessité d’institutions et de modes de gestion plus adaptés.
Tout d’abord, l’importance des problèmes politiques est considérable et la forte concentration des pouvoirs
officiels fait l’objet d’un soin jaloux. En l’absence de toute force capable de contrebalancer le pouvoir central, les
hommes politiques et les fonctionnaires ne sont guère enclins à partager leur pouvoir avec d’autres acteurs, même
lorsqu’ils proposent des programmes de décentralisation.
Ensuite, étant donné le caractère fortement centralisé des structures politiques, économiques et institutionnelles, la mise en place de structures locales efficaces est difficilement envisageable sans des réformes à plus grande
échelle. Puisque la décentralisation implique de partager les ressources sociales, celle-ci doit être soutenue par le
renforcement du multipartisme, des pouvoirs du parlement et de l’indépendance du pouvoir judiciaire. En particulier, le renforcement du pouvoir judiciaire doit permettre de résoudre les conflits opposant les autorités locales
entre elles ou opposant les autorités locales aux autorités nationales. De même, les assemblées locales sont souvent bien mieux placées que le gouvernement central pour réprimer les abus éventuels des administrateurs locaux.
Elles peuvent en outre s’engager dans des partenariats avec des organisations non gouvernementales. Il revient au
gouvernement central, une fois libéré d’une partie de ses tâches, d’accomplir ce que lui seul a les moyens de réa36. Keuleers (Patrick), Soukchaleun (Souvanb), L’évolution historique des relations de pouvoir entre les autorités centrales et les autorités
locales dans le République Démocratique Populaire Lao, IIIè Conférence internationale de l’IISA, Beijing, 8-11 octobre 1996, 17 p.
132
Symposium international de Bamako
liser, c’est-à-dire mettre en place un cadre juridique et des moyens propres à favoriser le fonctionnement de multiples organisations à l’échelon local.
Il faut souligner que la mise en place de structures économiques locales peut fournir un contexte favorable au
développement des infrastructures essentielles. Par exemple, des expériences de banques communautaires ont
prouvé qu’il était possible de mobiliser avec succès l’épargne des zones rurales pour la mettre au service du développement.
On peut également évoquer la difficulté à fixer la répartition des responsabilités entre les différents échelons,
les équilibres financiers et politiques, notamment entre zones urbaines et zones rurales. Il faut en particulier déterminer le niveau des pouvoirs de décisions qui sont dévolus aux autorités locales. Malheureusement, nombre de
réformes privilégient les structures de grande taille afin de réaliser des économies d’échelle, ce qui se justifie en
termes d’efficacité mais n’a que peu de choses à voir avec les sentiments d’appartenance des populations. L’un
des problèmes les plus délicats est d’arriver à intégrer les structures informelles communautaires au sein des structures formelles de l’État sans pour autant nuire à leur identité et à leur spécificité respectives. Dans un certain
nombre de pays, on a vu une intégration progressive des structures officielles et non officielles (associations d’habitants ou autres), cela afin que les véritables décisions soient le fait des populations locales. Par exemple, au
Burkina Faso des comités de village poursuivant un intérêt commun – empêcher la dégradation de la brousse –
ont pu être intégrés comme un mécanisme de décentralisation informelle.
Enfin, et c’est le principal défi, il faut trouver les moyens d’une gestion efficace de l’ensemble du système et
se poser la question des relations entre les autorités locales et les autres acteurs institutionnels, entreprises ou ONG.
Comme le souligne Dele Olowu ces questions ont une incidence majeure sur la capacité à construire et à maintenir une politique de décentralisation aux différents niveaux.
De manière plus générale, il est difficile de dissocier la réforme locale de la question plus vaste de la redéfinition du rôle de l’État et de la remise en cause du schéma fondamentalement centraliste et monocratique qui prévaut dans beaucoup d’administrations africaines en particulier. En vertu de ce schéma, l’État domine la société et
à l’intérieur de l’État, c’est l’appareil exécutif central et la fonction publique qui prévalent sur les autres organes,
notamment, le Parlement, le système judiciaire, les entreprises publiques ou les autorités locales. La démocratisation ouvre la voie à une nouvelle conception de la gestion de l’État, plus polycentrique, qui donne la priorité à la
diversité des forces nationales et locales englobant les intérêts publics, privés, non gouvernementaux et communautaires.
On peut formuler une autre observation générale. Comme il a été rappelé lors d’un colloque organisé en 1996
par l’IIAP et l’ENA de Tunis(37), les concepts de décentralisation et de modernité ne sont pas toujours adaptés à la
réalité africaine et sont porteurs d’un certain nombre d’ambiguïtés et de paradoxes. Il n’en demeure pas moins que
la décentralisation fournit la clé de nouveaux principes de gestion démocratique : un principe de subsidiarité, un
principe de participation, un principe de responsabilité.
La décentralisation suppose, en particulier, une réflexion sur la répartition des tâches entre l’État et la société
civile d’une part, entre les différentes autorités civiles d’autre part. Ce principe de subsidiarité peut permettre d’intégrer les mécanismes informels.
Il existe donc une relation évidente entre la démocratisation et la décentralisation. Les expériences de décentralisation menées dans les pays de l’espace francophone montrent que cette relation, pour prendre tout son sens,
doit s’appuyer sur plusieurs principes :
– l’adéquation entre les compétences transférées aux collectivités locales et les ressources financières ;
– la mise en parallèle de la décentralisation et d’une politique de décentralisation concomitante ;
– l’intégration de la décentralisation dans une politique globale de modernisation qui vise à rendre l’administration moins coûteuse et plus performante, à la rendre plus proche du citoyen et plus ancrée dans son milieu,
à la rendre plus ouverte et transparente et enfin d’en faire une administration plus professionnelle au service
de l’usager – donc une administration de proximité au service du citoyen.
V.– LA DÉMOCRATIE : UN APPRENTISSAGE ET UNE FINALITÉ
Le processus de démocratisation dans les pays de la Francophonie est soumis à de fortes contraintes, tant
internes qu’externes. Le rôle de l’armée est à cet égard une variable très importante, même si son action peut aussi
aider (cas du Mali) ou consolider la transition démocratique en évitant la guerre civile (cas du Niger en janvier
37. Décentralisation et expériences concrètes de modernisation, op. cit.
Dossier de référence
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1996). Les contraintes économiques sont également déterminantes dans l’ancrage de la démocratie : en délégitimant les responsables politiques, elles entament le crédit des institutions démocratiques. Enfin, les contraintes
identitaires font peser une lourde hypothèque sur l’avenir de certaines démocraties, non seulement en Afrique,
mais aussi sur le continent européen. Utilisées comme des ressources politiques, les identités ethniques ou communautaires sont en effet susceptibles de dévoyer le fonctionnement des institutions de la démocratie.
Entre mimétisme constitutionnel et « indigénisation » des institutions, les pays de la Francophonie doivent
trouver le bon dosage pour se doter d’une administration publique performante et de contre-pouvoirs efficaces. Ce
processus, nécessairement lent, réclame une amélioration constante des institutions judiciaire, parlementaire et des
instances juridictionnelles (conseils et cours constitutionnels, cours de comptes). Mais si l’État de droit dépend en
effet de l’état du droit, il est également tributaire d’un état d’esprit.