L`influence de la jurisprudence

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L`influence de la jurisprudence
L’influence de la jurisprudence sur la société et
sur le développement d’une jurisprudence
globale des droits de l’homme.
------------Parler de l’influence de la jurisprudence de la justice
constitutionnelle sur la société et sur le développement d’une
jurisprudence globale des droits de l’homme, c’est en réalité exposer
sur l’impact des décisions du juge constitutionnel dans la société
lorsqu’il intervient pour assurer la protection des droits
fondamentaux de la personne humaine tels que garantis par la
Constitution.
En effet, les dispositions de la Constitution de la République
Gabonaise traitant de la Cour Constitutionnelle désignent celle-ci
comme l’organe chargé de garantir les droits fondamentaux de la
personne humaine et les libertés publiques. La même Loi
fondamentale fait également de cette juridiction l’organe régulateur
du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs
publics.
Par conséquent, les décisions rendues dans ce cadre ont
nécessairement une influence sur la société.
Toutefois, il n’est pas inutile de rappeler que le concept des
droits de l’homme a un sens beaucoup plus large que celui des
droits fondamentaux constitutionnalisés.
Cependant, cet exercice qui consiste à débattre de l’influence
de la jurisprudence sur la société et sur le développement d’une
jurisprudence globale des droits de l’homme nous amène à poser
une double interrogation, à savoir, d’une part, s’il est possible ou
souhaitable d’apprécier l’influence de cette jurisprudence, et, d’autre
part, s’il revient au juge constitutionnel lui-même d’en mesurer
l’impact.
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Cette double interrogation n’est pas sans intérêt, car elle
présente l’avantage d’ouvrir des pistes de réflexion, et de ce fait,
participe à la démarche d’une analyse scientifique.
Les débats qui vont suivre vont, sans nul doute, apporter des
réponses à ces questionnements.
Il nous faut, pour la bonne compréhension de tous, envisager
la réflexion sur cette question de façon bidimensionnelle, d’abord
l’influence de cette jurisprudence sur la société, et ensuite son
influence sur le développement d’une jurisprudence globale des
droits de l’homme. Le thème tel que formulé, est révélateur de ce
découpage.
On notera que les décisions du juge, et plus précisément du
juge constitutionnel, s’appliquent à la société. De ce fait, elles ont
nécessairement des répercussions sur celle-ci.
La jeune juridiction constitutionnelle gabonaise, comme toutes
celles ici présentes a, en effet rendu, comme nous l’allons montrer
dans un instant, des décisions dont l’influence sur la société et sur le
développement d’une jurisprudence globale des droits de l’homme
méritent l’attention.
L’influence de la jurisprudence constitutionnelle gabonaise sur
la société s’est faite de manière progressive.
Il faut dire que dès sa première décision du 28 novembre
1992, la Cour Constitutionnelle a annoncé son intention d’assurer
une protection accrue des droits fondamentaux de la personne
humaine, partie importante, faut-il encore le rappeler, des droits de
l’homme. Elle a élargi sa panoplie d’instruments de contrôle en
prenant le soin de préciser les normes auxquelles elle se réfère pour
accomplir cette mission, normes qui, depuis cette décision,
constituent le bloc de constitutionnalité.
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La première décision par laquelle la Cour a véritablement
rassuré le citoyen gabonais pour la protection de ses droits
fondamentaux est celle du 28 janvier 1993. Le législateur ayant
rendu complexe l’obtention de la carte nationale d’identité, la Cour,
contrôlant le texte réglementaire qui fixait les conditions de
délivrance de cette pièce, a d’abord rappelé que la carte nationale
d’identité est un document important pour l’exercice des droits de
tout citoyen. Puis elle a précisé par la suite que l’’administration se
trouvait de toutes façons dans une situation de compétence liée,
dès lors que le citoyen a présenté un dossier comportant toutes les
pièces requises.
La Cour a donc jugé que les dispositions de ce texte qui
donnaient à l’Administration le pouvoir d’apprécier l’opportunité de
délivrer ou de renouveler la carte d’identité nationale à un citoyen,
en dépit du fait que le dossier de celui-ci était complet,
constituaient une source de discrimination entre les citoyens devant
la loi.
De ce fait, elles ont été censurées.
Cette décision a été suivie de bien d’autres dont l’impact sur la
société n’est pas négligeable.
On pourrait citer à titre d’exemple la décision du 5
janvier 1994 par laquelle la Cour Constitutionnelle, saisie
de l’annulation de l’élection du Président de la République
du 5 décembre 1993 par les candidats malheureux à ladite
élection, dont l’un s’était autoproclamé Président de la
République, a réaffirmé le principe constitutionnel selon
lequel la souveraineté nationale appartient au peuple qui
l’exerce directement, par le référendum ou l’élection, selon
le principe de la démocratie pluraliste, et indirectement par
les institutions constitutionnelles. En plus de rappeler ce
principe, la Cour Constitutionnelle a tenu également à
préciser qu’elle seule compétente pour légitimer une
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élection en proclamant les résultats de celle-ci. Par
conséquent, aucun citoyen ne dispose du pouvoir de
s’autoproclamer élu.
La Cour a également fait application de ce principe
dans une autre décision rendue en 1995, lorsque les
députés à l’Assemblée Nationale, en violation dudit
principe, avaient unilatéralement décidé de proroger leur
mandat de six mois. A cette occasion,
la Cour
Constitutionnelle
avait
ordonné
l’organisation
d’un
référendum pour permettre au peuple de se prononcer sur
la question.
L’on ne saurait non plus taire la décision du 10 février
2003, relative à la loi portant création de la Commission
Nationale de lutte contre l’Enrichissement illicite, par laquelle la
Cour a déclaré inconstitutionnelles celles des dispositions de
cette loi qui donnaient à cet organe administratif, sans
l’intervention du juge, le pouvoir d’entraver la liberté d’un
citoyen d’aller et venir, de le priver de son droit de propriété, de
s’immiscer arbitrairement dans sa vie privée et de prendre
contre lui des sanctions pour des faits dont il est présumé
coupable, alors qu’une présomption d’innocence le couvre
jusqu’à l’établissement de sa responsabilité par une juridiction.
Il
est à rappeler que la Constitution ne consacre pas
seulement que des droits politiques. Elle accorde une place non
négligeable aux droits sociaux et économiques. En dehors de ceux
prévus par d’autres textes à valeur constitutionnelle, il convient de
relever les droits sociaux et économiques consacrés par le texte
constitutionnel au sens classique du terme. Il en est ainsi de l’alinéa
7 de l’article premier qui dispose que « chaque citoyen a le devoir
de travailler et le droit d’obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé
dans son travail en raison de ses origines, de son sexe, de sa race,
de ses opinions ». Et l’alinéa 8 du même article de poursuivre,
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« l’Etat selon ses possibilités, garantit à tous, notamment à l’enfant,
à la mère, aux handicapés, aux vieux travailleurs et aux personnes
âgées, la protection de la santé, la sécurité sociale, un
environnement naturel préservé, le repos et les loisirs ».
Ces dispositions établissent, si besoin est, le souci du
constituant de protéger à la fois socialement et économiquement le
citoyen gabonais. Leur application n’ayant à ce jour suscité aucune
polémique, la Cour n’a donc pas rendu de décision les concernant.
On ne saurait dire autant en matière électorale où l’influence
des décisions de la Cour est plus que prépondérante.
D’abord sur la forme, lorsqu’elle rejette un recours, la Cour
Constitutionnelle ne se soustrait pas à son devoir de juge
pédagogue, lequel le conduit à orienter les requérants sur la
manière dont il convenait de saisir le juge en indiquant, par
exemple, qui avait qualité à agir pour que la requête fût déclarée
recevable.
C’est ainsi que la Cour Constitutionnelle, dans sa décision du 8
mars 1997 posera le principe selon lequel lorsqu’un parti politique
n’a pas présenté de candidat dans une circonscription donnée, il ne
saurait arguer de nullité les opérations électorales de ladite
circonscription, sous peine d’être débouté pour défaut de qualité.
Lors de la dernière, la Cour n’a pas manqué de rappeler dans
de nombreuses décisions que l’avocat d’un requérant, par exemple,
n’a pas qualité pour initier la demande en annulation d’une
élection, la requête introductive d’instance devant être signée du
requérant lui-même et non de son représentant.
Par ailleurs, toujours s’agissant de la recevabilité des requêtes,
l’on peut citer le cas de ces requérants qui, entre les deux tours
d’une élection, demandaient souvent l’annulation des opérations
électorales.
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La Cour indiquera, à ce sujet, que dès lors que le premier tour
d’une élection n’a pas donné lieu à un élu, le recours visant la
remise en cause de telles opérations électorales est dépourvu
d’objet et la requête ne peut qu’être déclarée irrecevable.
Sur le fond, de nombreux principes ont été posés dès les
premières décisions de la Cour en vue d’orienter de nombreux
requérants. Il en fut ainsi à propos de la notion de transfert
d’électeurs, au sujet de laquelle la Cour rappellera dans sa décision
du 22 mars 1997, décision de principe, qu’ « il y a transfert
d’électeurs d’une circonscription à une autre ou d’un bureau de vote
à un autre lorsque des électeurs, qui ne sont pas inscrits sur la liste
électorale de la circonscription ou du bureau de vote où ils se
transportent, y prennent part au vote. »
Une autre décision de principe concerne le contenu que la
Haute Juridiction donnera à la notion de manipulation de la liste
électorale, laquelle s’entend des manœuvres frauduleuses
orchestrées par le candidat lui-même ou en sa faveur et tendant à
fausser la sincérité du scrutin, telle la soustraction de la liste
électorale des noms d’électeurs régulièrement inscrits et qui ne lui
sont pas favorables.
Par ces quelques exemples, on peut relever que l’influence de
la justice constitutionnelle gabonaise sur la société n’est pas
négligeable. Ce qui prouve que le juge constitutionnel veille à la
garantie des droits de l’homme constitutionnalisés.
Mais cette protection des droits constitutionnellement
consacrés ne peut se faire au mépris du principe sacro saint de la
hiérarchie des normes. Le respect de ce principe par la loi et par les
actes réglementaires a été réaffirmé par la Cour, d’abord dans la
décision du 4 mars 1996, puis dans celle du 18 novembre 1999.
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Voilà dit, de façon succincte, ce qui devait l’être au sujet de
l’influence de la justice constitutionnelle sur la société gabonaise.
Reste à compléter ces remarques par celles se rapportant au
développement d’une jurisprudence globale des droits de l’homme.
Le juge constitutionnel gabonais ne peut véritablement
procéder à la protection des droits de l’homme de façon globale que
si au nombre de ses textes de référence, certains instruments
internationaux y font partie.
La Cour constitutionnelle, dans sa première décision rendue le
28 février 1992, a établi qu’elle procédera au contrôle de
constitutionnalité en se référant non seulement à la Constitution
stricto sensu, mais également aux textes et normes à valeur
constitutionnelle contenus dans le préambule de la Constitution et
qui forment avec cette dernière le bloc de constitutionnalité.
La lecture du préambule de notre Constitution indique que
celui-ci comprend les textes internationaux que sont la Déclaration
des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, la Déclaration
Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et la Charte Africaine
des Droits de l’Homme et des peuples de 1981 et de la Charte
nationale des libertés de 1990.
Tous ces textes ont valeur constitutionnelle et contiennent des
normes de référence qui permettent au juge gabonais de juger de la
constitutionnalité des lois et d’assurer la protection des droits qui y
figurent.
A travers de nombreuses décisions, la Cour constitutionnelle
gabonaise a en effet utilisé la plupart de ces textes, contribuant de
ce fait au développement d’une jurisprudence globale des droits de
l’homme. Dans sa décision du 4 mars 1993, la Cour, contrôlant la loi
organique sur le Conseil Supérieur de la Magistrature, rappela au
législateur que certaines des dispositions de son texte étaient
contraires à celles de l’article 8 de la Déclaration Universelle des
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Droits de l’Homme de 1948, aux termes desquelles ‘’toute personne
a droit à un recours effectif devant les juridictions nationales
compétentes contre les actes violant les droits fondamentaux qui lui
sont reconnus par le Constitution et par la loi’’.
Mais la décision qui va véritablement marquer l’utilisation par la
Cour Constitutionnelle de la République Gabonaise des instruments
internationaux à valeur constitutionnelle est celle du 18 août 1994.
Dans cette décision, épilogue du contrôle de la loi organique relative
à l’élection des députés à l’Assemblée nationale, la Cour retiendra
que l’alinéa 2 de l’article 18 de la loi soumise à son contrôle, qui fait
peser une contrainte morale sur le parlementaire désireux de
démissionner de son parti politique, porte gravement atteinte à une
liberté fondamentale reconnue et garantie par la Déclaration des
droits de l’homme et du citoyen de 1789 en son article 10 et par la
Charte africaine des droits de l’homme et des peuples de 1981 en
son article 8. Cette décision sera suivie de bien d’autres dont
nous voulons faire ici l’économie.
Dans le même ordre d’idées, on peut aussi citer l’avis rendu en
ce début de mois de janvier 2009 par lequel la Cour
Constitutionnelle, répondant aux préoccupations du Gouvernement
quant à l’exercice du droit de vote de certains députés, en
l’occurrence grands électeurs des sénateurs et dont les sections
électorales sont à cheval sur deux circonscriptions, a, sur le
fondement des dispositions de la Déclaration universelle des droits
de l’homme de 1948 et sur celles de l’article 4 de la Constitution,
réaffirmé le principe de l’égalité du suffrage qui se traduit dans son
application par le concept d’un homme, une voix.
Reste à signaler une certaine convergence de jurisprudences
entre la Cour Constitutionnelle de la République Gabonaise et les
juridictions constitutionnelles des autres pays. On relèvera à titre
d’illustration les décisions de la Cour Constitutionnelle de la
République Gabonaise du 2 novembre 1993 sur la Communication,
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et celle du Conseil Constitutionnel français du 17 janvier 1989 sur le
Conseil Supérieur de l’Audiovisuel.
De ces deux décisions, on remarque que les deux juges, face à
une même question, ont adopté un raisonnement à l’identique. Les
requêtes adressées à chacun des juges demandaient l’annulation de
certaines dispositions estimées inconstitutionnelles en ce que cellesci apportaient une limitation à l’exercice de la liberté de
communication.
Dans les deux décisions, les juges français et gabonais, chacun
pour ce qui le concerne, ont estimé que les dispositions querellées
ne procédaient nullement à la limitation de l’exercice de la liberté de
communication, mais plutôt permettaient de la concilier non
seulement avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la
sauvegarde de l’ordre public, le respect de la liberté d’autrui, la
dignité du citoyen et la préservation du caractère pluraliste des
courants d’expression socioculturels, mais aussi avec les contraintes
techniques inhérentes aux moyens de communication audiovisuelle.
En outre, sa qualité de membre actif de l’Association des Cours
et Conseils Constitutionnels ayant en Partage l’Usage du Français
donne l’occasion à la Cour Constitutionnelle de la République
Gabonaise de partager son expérience avec les autres institutions
similaires également membres de cette Association.
Le Président en exercice de l’Association des Cours et Conseils
Constitutionnels ayant en Partage l’Usage du Français sera plus
explicite sur les mécanismes de fonctionnement de ces échanges.
Ces quelques illustrations de la contribution de la juridiction
constitutionnelle gabonaise à la protection des droits de l’homme
permettent de mesurer l’influence de sa jurisprudence sur la société
et sur le développement d’une jurisprudence globale des droits de
l’homme. Sans doute paraissent-elles encore bien modestes, mais
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elles n’en constituent pas moins un apport déterminant dans
l’édification d’un Etat de droit au Gabon.
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