62475-Conte arbre à palabres2

Transcription

62475-Conte arbre à palabres2
L’ARBRE A PALABRES
(Conte extrait de la campagne des Kilomètres de Soleil 2003-2004)
D’après l’œuvre de Pierre Rabhi : Parole de Terre, une initiative africaine.
Avec l’aimable autorisation des Editions Albin Michel
(texte adapté par Lisette PROST (CCFD), dit par Med Hondo
Réalisation et mixage : Jérôme GASSELIN)
Il était une fois, un ancien Tyemoro, qui appréciait sa terre nourricière. Il retrouvait ses
racines qu’il avait acquises de ses aïeux.
Un jour, ses paroles vinrent, flot ininterrompu, trop longtemps retenu.
« Autrefois, à la place du désert il y avait la forêt. Nous produisions suffisamment de
nourriture pour tout le village. Quand l’un manquait les autres lui donnaient. Les travaux se
faisaient ensemble. Les hommes chantaient en offrant à la terre les semences qui
produiraient la nourriture nécessaire à leur survie. Le soir, tout le village se réunissait sous
l’arbre à palabres, et chacun parlait avec les autres, on participait aux décisions bonnes pour
le village.
Un jour, certains d’entre nous sont partis très loin. Bien plus tard, quand ils sont revenus, ils
n’étaient plus pareils. Ils s’habillaient, marchaient et parlaient comme les hommes de la ville.
Ils avaient quelque chose que nous n’avions jamais vu : ils avaient de « larzan ».
C’était des morceaux de papier avec de jolis dessins, et des ronds de métal gravés. Ils nous
ont dit qu’avec « larzan » on peut tout faire.
Ils étaient désormais, les grands chefs du pays, ils étaient très bien habillés et ils n’ont pas
voulu parler avec les chefs coutumiers du village. Ils nous ont dit qu’il fallait que le pays soit
riche. Alors au lieu de planter des fèves, des ignames ou des gombos, on a fait pousser du
coton et des arachides. On nous a pris les récoltes. A la place, on nous a donné de « larzan »,
pour acheter des graines, de la poudre blanche qui fait pousser et des produits qui tuent (les
ravageurs des récoltes).
Mais comme « larzan » que l’on donnait ne suffisait pas, on a commencé à couper la forêt.
Avec les bois, les jeunes avaient de « larzan », et après, de gros buffles de fer écorchaient la
terre pour faire de nouveaux champs. C’est comme cela que l’on a coupé l’arbre à palabres,
pour cultiver du coton. Alors les gens n’avaient plus rien pour se retrouver le soir. Ils ne
chantaient plus pour semer de quoi se nourrir. Ils travaillaient uniquement pour avoir de
« larzan ». Ils étaient très fatigués.
Petit à petit, les gens du village ne se sont plus parlé. Ils se sont chamaillés pour couper un
arbre. Puis ils se sont disputés pour avoir un champ. Ils sont devenus jaloux les uns des
autres, à cause de « larzan ».
Quand il y avait la forêt il y avait de l’eau dans les puits, du gibier que l’on chassait, des fruits
à ramasser. Quand les hommes ont eu coupé tous les arbres, il n’y avait plus d’animaux, ni
de fruits, et plus personne n’avait de semence de fèves, d’ignames ou de gombos. La terre
qui n’était plus protégée par les arbres a laissé partir l’eau. Le sel de la terre s’est déposé à la
surface du sol et l’a rendu stérile. Le sable a tout mangé et le désert est apparu. Alors, les
hommes, les femmes et les enfants ont commencé à mourir de faim.
Les vieux ne comprenaient plus rien, et ils ne parlaient plus les mêmes mots.
Et de toute manière, il n’y avait plus d’arbre à palabres… »
Le lendemain, le vieux sage consulta Ouseini, un homme jeune avec qui il avait sympathisé. Il
admit l’importance de l’arbre à palabres, et lui demanda s’ il voulait l’aider. Ils ont cherché
dans ce qu’il pouvait rester de forêt, au loin. Ils voulaient un arbre au port étalé. Il fut difficile
de trouver un bel acacia centenaire. Avec d’infinies précautions, ils l’ont enlevé à sa forêt,
pour le planter au centre du village. L’eau du puits a permis d’assurer sa reprise. Au bout de
quelques jours, Tyemoro et Ouseini invitèrent les habitants à s’asseoir autour de l’arbre.
Petit à petit, la parole revint. Plusieurs mois plus tard, le village avait retrouvé une unité. Les
gens avaient formé une communauté où la parole circulait.
Les décisions bonnes pour le village n’étaient plus prises par les grands chefs du pays, ou les
administrateurs de l’état, mais par l’ensemble des habitants. Lors des débats contradictoires,
les bâtons à palabres étaient réapparus. Et l’arbre, tous les soirs, connaissait un succès
grandissant. Les plus jeunes recevaient le savoir des anciens. Ils apportaient, en échange, les
connaissances acquises au contact des blancs.
Les hommes, les femmes et les enfants ne mourraient plus de faim.
Plus d’un an après, le vieux Tyemoro était parti, le cœur léger car son village avait fini d’être
fou. La parole était revenue, et avec elle la sagesse.
Fin